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Comptes rendus

Tanguy Prigent. Le paysan breton qui devint ministre du général de Gaulle

Léandre Mandard et Véronique Lucas
p. 225-226
Référence(s) :

Christian Bougeard, Tanguy Prigent. Le paysan breton qui devint ministre du général de Gaulle, Morlaix, Skol Vreizh, 2021, 84 p.

Texte intégral

1Les éditions Skol Vreizh publient régulièrement dans leur « collection bleue » des fascicules consacrés à des thèmes divers dont la somme vise à constituer une « encyclopédie des cultures de Bretagne », avec des opuscules dédiés aussi bien à des sujets d’histoire que de littérature ou de culture populaire. Ce numéro 77 s’intéresse à un personnage charismatique quelque peu mythifié, bien qu’un peu oublié : François Tanguy-Prigent. Christian Bougeard s’est fait le spécialiste de cette figure importante du socialisme en Bretagne, dont il a publié une biographie documentée aux Presses universitaires de Rennes en 2002 (Tanguy Prigent, paysan ministre). Cette synthèse plus accessible se distingue de l’ouvrage précédent par l’abondance des photographies réunies par l’auteur, notamment auprès de la famille Prigent, documents auxquels il n’avait pas encore eu accès il y a 20 ans.

2L’hyperactivité militante entamée précocement explique la trajectoire politique exceptionnelle de Tanguy-Prigent. Issu d’une famille paysanne tôt acquise aux idées socialistes dans le Trégor finistérien, sa sortie prématurée de l’école à 13 ans en fait un autodidacte, se formant notamment par la lecture assidue de la presse socialiste. À 15 ans, en 1925, il crée une section de la SFIO dans sa commune. À 18 ans, il fonde une coopérative de battage réunissant 17 fermes, pour faire contrepoids à l’influence du « bloc agraire » aristocrate et conservateur incarné par l’Office Central de Landerneau. Dans les années 1930, alors que la crise économique touche les campagnes bretonnes, il s’affirme progressivement comme un syndicaliste paysan et un responsable socialiste spécialiste des questions agricoles à la gauche de la SFIO, en arpentant sans relâche le terrain bas-breton. Il est élu conseiller général en 1934, maire de Saint-Jean-du-Doigt en 1935, et devient jeune député du Front populaire en 1936, à 26 ans. Participant alors au travail législatif permettant la création de l’Office du blé, il échoue cependant à faire voter un véritable statut du fermage.

3La période de la guerre le propulse au sommet de l’État. L’expérience du Blitzkrieg et de la défaite, alors qu’il est mobilisé comme sous-lieutenant, remet en cause le pacifisme doctrinal auquel il avait adhéré. Le 10 juillet 1940, il est parmi les 80 parlementaires qui refusent les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Il est maintenu dans ses fonctions de maire jusqu’en janvier 1943. En éditant un bulletin mensuel de son syndicat et de sa coopérative agricole prônant l’idéal coopératif, il continue à combattre les thèses corporatistes de l’Office de Landerneau, qui triomphent sous Vichy. Cette opposition légale au régime est tolérée jusqu’en 1942, qui voit la publication suspendue. L’action de Tanguy-Prigent devient alors de plus en plus souterraine, et il bascule dans la clandestinité à partir de l’été 1943, au sein du réseau Libération Nord et du Parti socialiste clandestin. En juillet-août 1944, il commande un bataillon FFI de 200 hommes et prend part au siège de Brest, aux côtés des Américains. Au cours de la guerre, Tanguy-Prigent sera donc passé par toutes les facettes de la résistance. Il n’aura été inquiété que deux fois par les autorités, en septembre 1940 et janvier 1943, pour être rapidement relâché.

4C’est à la fin de l’été 1944 que le général de Gaulle l’appelle au ministère de l’Agriculture, qu’il occupe durant trois années difficiles de pénurie alimentaire. Sa tentative de bâtir un syndicalisme agricole unifié échappant aux forces conservatrices va échouer : la Confédération Générale de l’Agriculture, créée en mars 1945 à partir du mouvement Résistance paysanne, est acquise à la droite dès l’année suivante. Mais le vote unanime de la réforme du statut du fermage et du métayage en avril 1946 a signifié une véritable révolution juridique et sociale dans les campagnes françaises. Inscrite à son initiative dans le programme du Conseil national de la Résistance, cette législation, que Tanguy Prigent a dû imposer au sein du gouvernement qui en était issu, a attribué d’importantes protections aux agriculteurs en les sécurisant face aux propriétaires fonciers.

5En 1956-1957, il est ministre des Anciens Combattants du gouvernement Guy Mollet, dont il est un des fidèles, et qu’il approuve en février 1956 quand le président du Conseil envoie le contingent en Algérie, cran décisif dans l’escalade du conflit. Tanguy-Prigent soutient donc la ligne dure du gouvernement dont il fait partie. Il faudra attendre le bombardement du village tunisien de Sakhiet Sidi Youssef, en avril 1958, pour ébranler sa lecture réformiste du problème algérien et le voir basculer dans l’opposition à Mollet, avec lequel il rompt au moment de l’arrivée au pouvoir de De Gaulle, à laquelle il s’oppose. Il perd son fief trégorrois aux élections législatives de novembre 1958, dans un contexte de raz-de-marée gaulliste. Plusieurs années plus tard, Tanguy-Prigent tentera de s’expliquer sur son soutien à Mollet pendant la guerre d’Algérie, et confessera un certain aveuglement. Finalement partisan de l’indépendance algérienne, il est réélu député en 1962 sous l’étiquette PSU. Ce sera son dernier mandat : affaibli par les amphétamines et autres dopants auxquels il recourait pour tenir un rythme de vie très intense, il décède en 1970, à l’âge de 60 ans.

6Cette démarche de vulgarisation à partir d’un travail universitaire sur un homme politique breton emblématique, sans en occulter les facettes controversées, est à saluer au moment où s’effacent les générations qui en ont été contemporaines. À juste titre, l’ouvrage met l’accent sur son ascension politique fulgurante, mais on peut regretter l’absence d’autres aspects pourtant d’intérêt significatif, comme son implication au CELIB (Comité d’études et de liaison des intérêts bretons) de 1950 à 1966. Vice-président de cet organe et président de sa commission parlementaire, il a participé activement à ses travaux et contribué à sa notoriété. De même, une autre réalisation ministérielle à son actif est passée sous silence : l’institution des Coopératives d’utilisation de matériel agricole (CUMA) par une ordonnance qu’il promulgue en octobre 1945. Ces coopératives constituent aujourd’hui une spécificité française majeure, concernant plus du tiers des agriculteurs. Comme l’auteur le spécifiait déjà en conclusion de sa biographie universitaire de Tanguy Prigent, ce nouvel ouvrage ne rend que plus évident le besoin de recherches sur son action agricole, en complément des études existantes sur son parcours politique.

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Pour citer cet article

Référence papier

Léandre Mandard et Véronique Lucas, « Tanguy Prigent. Le paysan breton qui devint ministre du général de Gaulle »Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 129-4 | 2022, 225-226.

Référence électronique

Léandre Mandard et Véronique Lucas, « Tanguy Prigent. Le paysan breton qui devint ministre du général de Gaulle »Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest [En ligne], 129-4 | 2022, mis en ligne le 14 décembre 2022, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/abpo/8069 ; DOI : https://doi.org/10.4000/abpo.8069

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