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Concevoir l’espace domestique pour contrôler la main-d’œuvre : l’action de la Société mulhousienne des cités ouvrières durant la seconde moitié du XIXe siècle

Lucie Prohin

Résumés

Fondée le 10 juin 1853 à l’initiative de plusieurs industriels, la Société mulhousienne des cités ouvrières fait bâtir, jusqu’en 1897, plus d’un millier d’habitations. Celles-ci permettent de loger une partie de la main-d’œuvre de la ville, mais contribuent plus largement à une entreprise paternaliste de moralisation des classes laborieuses. Cet article s’attache à étudier les dispositifs spatio-économiques conçus pour contrôler les ouvrières et ouvriers au sein même de leur espace domestique, et interroge ainsi le choix de l’habitat individuel, le rôle donné aux jardins attachés aux maisons, ou encore la mise en place d’un innovant système de location-vente. Il questionne en outre les mécanismes de fonctionnement de ce contrôle, en se focalisant sur le triptyque sélection-réglementation-incitation. Si la réalité vécue des cités reste difficile à appréhender, l’analyse fait apparaître l’effectivité limitée des mesures de contrôle et souligne l’évolution idéologique du projet des industriels mulhousiens au cours de la seconde moitié du XIXe siècle.

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Texte intégral

1Le 30 juin 1852, le docteur Achille Penot présente à la Société industrielle de Mulhouse (S.I.M.) un « projet d’habitations pour les classes ouvrières » :

  • 1 Penot, Achille, « Projet d’habitations pour les classes ouvrières. Rapport présenté au nom du comit (...)

Si nous pouvons offrir à ces hommes des habitations propres et riantes ; si nous donnons à chacun un petit jardin, où il trouvera au milieu des siens une occupation agréable et utile ; où dans l’attente de sa modeste récolte, il saura apprécier à sa juste valeur cet instinct de la propriété que la Providence a mis en nous, n’aurons-nous pas résolu d’une manière satisfaisante, un des problèmes les plus importants de l’économie sociale ?1

2Ce dessein se concrétise l’année suivante, avec la création de la Société mulhousienne des cités ouvrières (S.O.M.C.O.). Fondée à l’initiative de douze industriels membres de la S.I.M., elle fait ériger, de 1853 à 1897, 1 243 maisons. Comme en témoigne le projet initialement présenté par Penot, la production de ces habitations n’a pas pour seul objectif de loger les travailleurs et travailleuses : il s’agit plus largement de les recentrer sur leur cellule familiale, de les sédentariser et de maîtriser la nature de leurs occupations durant le temps passé hors de l’usine. Concevoir l’espace domestique de la main-d’œuvre doit ainsi permettre au patronat de l’y contrôler, matériellement et moralement, afin de construire une classe ouvrière modèle correspondant à un idéal de société.

  • 2 Jonas, Stéphane (dir.), La Cité de Mulhouse (1853-1870) : un modèle d’habitat économique et social (...)
  • 3 Ott, Florence, La S.I.M., 1826-1876. Ses membres, son action, ses réseaux, Strasbourg, Presses univ (...)
  • 4 Guerrand, Roger-Henri, Les origines du logement social en France, Paris, Les Éditions ouvrières, 19 (...)
  • 5 Foucault, Michel (dir.), Politiques de l’habitat, Paris, C.O.R.D.A., 1977.
  • 6 Murard, Lion, Zylberman, Patrick, « Le petit travailleur infatigable ou le prolétaire régénéré : vi (...)
  • 7 Eleb, Monique, L'apprentissage du “chez-soi” : Le Groupe des maisons ouvrières, Paris, avenue Daume (...)

3Le Mulhouse industriel a fait l’objet de nombreux travaux, portant notamment sur les questions urbaines et de logement2, ou encore sur l’histoire de la S.I.M.3. Du fait de leurs larges thématiques, ces études n’ont toutefois abordé que succinctement la question du contrôle social. Parallèlement, les liens unissant cette notion et les projets et réalisations de cités paternalistes ont été mis en évidence à partir de la fin des années 19604, et de nombreux travaux se sont plus largement intéressés aux lieux et espaces d’encadrement et de contrôle des populations5, notamment dans le contexte industriel6. Si certaines études portant sur le logement populaire et la notion d’espace domestique ont adopté une lecture rapprochée d’une opération architecturale7, la majorité d’entre elles mobilise de nombreux exemples, soulignant le caractère global de phénomènes étudiés dans une perspective diachronique.

  • 8 Rousseaux, Xavier, « Contrôle social. Un concept pertinent pour la recherche historique ? », Hypoth (...)
  • 9 Bouquet, Brigitte, « Analyse critique du concept de contrôle social. Intérêts, limites et risques » (...)

4En s’appuyant sur ces indispensables travaux et en faisant le choix d’une focalisation sur le cas d’étude unique des cités mulhousiennes — offrant des sources denses — notre contribution entend ainsi saisir plus finement, et de façon « enracinée »8, les dispositifs spatio-économiques et les mécanismes de fonctionnement d’un contrôle social envisagé comme un « phénomène complexe et multiforme »9. Elle interrogera en outre les effets de ce dernier, ainsi que l’évolution du projet des industriels mulhousiens au cours de la seconde moitié du XIXe siècle.

Dispositifs

Contre le cabaret, un jardin à cultiver

  • 10 Villermé, Louis-René, Tableau de l'état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactur (...)

5Si la création de la S.O.M.C.O. marque le début d’une politique patronale de grande ampleur dans le domaine du logement à Mulhouse, il est à noter qu’en 1835, des habitations avaient déjà été érigées pour loger trente-six ménages ouvriers travaillant à la fonderie André Kœchlin & Cie. Ce projet avait été salué par l’enquêteur et médecin Louis-René Villermé, qui soulignait notamment le rôle des jardins attachés à ces habitations — « pour y cultiver une partie des légumes nécessaires au ménage, et surtout pour habituer l’ouvrier à y passer le temps qu’il donnerait au cabaret »10.

  • 11 C’est également celui qui est exposé lors de l’Exposition universelle de 1867 : Detain, C., « Expos (...)
  • 12 Muller, Émile, Habitations ouvrières et agricoles, Paris, Delacroix-Comon, 1856, p. 16.

6Deux décennies plus tard, les jardins occupent toujours une place capitale dans le projet d’Émile Muller, ingénieur centralien sélectionné pour réaliser la première cité. Les quelques trois cents maisons prévues dans son plan initial — dont seules environ deux cents seront réalisées — se répartissent en trois types. Parmi eux, c’est le modèle dit du « carré mulhousien » qui remporte le plus de succès auprès des familles ouvrières11, et qui constitue la majeure partie du parc d’habitat de la deuxième cité — réalisée dans sa quasi-totalité entre 1856 et 1870 et comportant plus de huit cents logements. Un « carré » est composé d’un groupe de quatre maisons mitoyennes, placées au centre d’une parcelle de terrain divisée en quatre jardins privatifs. Muller affirme avoir accordé des « soins tout particuliers » à la définition de leurs dimensions, afin que la surface puisse « facilement être cultivée »12.

  • 13 Penot, Achille, « Les cités ouvrières du Haut-Rhin », B.S.I.M., vol. 35, 1865, p. 400.
  • 14 Murard, Lion, Zylberman, Patrick, op. cit., p. 171.

7Comme le souligne plus tard Penot, le potager doit en effet contribuer à l’entretien de la famille ouvrière, qui « y récolte une partie du jardinage qu'exige sa table »13. Outre son rôle d’anti-cabaret, il contribue ainsi à maintenir les ouvriers et ouvrières dans une logique de production au sein même de leur espace domestique, et à occuper « cet entre-deux, ce temps mort entre la fosse et le sommeil », « entre le travail et le hors-travail »14.

  • 15 Guerrand, Roger-Henri, op. cit., p. 56.
  • 16 Penot, Achille, « Projet d’habitations pour les classes ouvrières », op. cit., p. 140.
  • 17 Penot, Achille, « Des institutions de prévoyance fondées par les industriels du Haut-Rhin en faveur (...)

8L’accent mis sur le lien qui doit être maintenu entre l’ouvrier et la terre contraste pourtant avec le franc rejet des conditions de vie des habitant·e·s des campagnes dans les quelques travaux menés, durant la première moitié du XIXe siècle, sur les classes paysannes15. Celui-ci est perceptible dans le rapport de 1852, où le comité d’économie sociale de la S.I.M. déplore la « mauvaise distribution » et le « défaut de propreté, de lumière et d’air salubre »16 des logements ruraux. Loin de prôner un retour vers l’état de paysan, la S.O.M.C.O. ambitionne plutôt la construction d’un modèle de société industrielle empruntant à un imaginaire rural délibérément idéalisé — Penot décrit ainsi la première cité comme un « charmant village »17.

  • 18 Archives départementales du Haut-Rhin, cote 6M377.
  • 19 Chevalier, Louis, Classes laborieuses et classes dangereuses à Paris pendant la première moitié du (...)

9Le choix de ces références se justifie notamment par l’origine sociale d’une partie de la population des cités. L’enquête sur l’exode rural commandée au préfet du Haut-Rhin par le ministère de l’Agriculture en 185718 révèle en effet qu’entre 1851 et 1856, la population mulhousienne bondit de près de soixante pour cent. Dans les tableaux récapitulant les résultats de l’enquête au sein du département, on constate que le mot « Mulhouse » est très régulièrement inscrit en face du nom de petites communes rurales devant justifier en quelques lignes du départ d’une partie — souvent significative — de leur population. Les cités mulhousiennes sont donc en grande partie conçues pour des habitants d’origine rurale, qu’elles contribuent elles-mêmes à attirer en ville. Cette population semble moins considérée comme une « classe dangereuse »19 que comme un corps social en construction, que le patronat entend organiser et moraliser.

Le modèle du « petit domaine » pour valoriser la famille

10La fabrication de cet ordre social passe par un principe dont l’encouragement du travail au jardin est une manifestation flagrante : celui du repli de l’ouvrier sur sa cellule familiale. C’est la raison qui explique le choix de l’habitat individuel au détriment de modèles de logements collectifs, arbitrage ayant fait l’objet de discussions au sein du comité d’économie sociale de la S.I.M. avant même la création de la S.O.M.C.O. :

  • 20 Penot, Achille, « Projet d’habitations pour les classes ouvrières », op. cit., p. 136.

Les logements isolés sont bien préférables : chaque famille y vit seule, ou à peu près seule. Les occasions de mal faire y sont moins fréquentes ; la surveillance des jeunes gens y devient plus facile ; les disputes y sont à peu près inconnues ; la propreté y est mieux maintenue, parce que la responsabilité de chacun y est plus directe et plus complète.20

  • 21 Penot, Achille, « Les cités ouvrières du Haut-Rhin », op. cit., p. 406.

11Pourtant, si le patronat mulhousien souhaite individualiser les habitations, il n’en mène pas moins un projet de regroupement des classes laborieuses dans un secteur spécifique de la ville — plus particulièrement dans le cas de la deuxième cité ouvrière, qui se développe vers l’extérieur. La S.O.M.C.O. conçoit même des équipements — bains, lavoirs — spécifiquement dédiés aux habitant·e·s des cités. Toutefois, l’usage du restaurant collectif, détenu en propre par son président, Jean Dollfus, est déconseillé aux hommes mariés, car « le pot-au-feu est en définitive une des pierres angulaires de la famille, et il serait très fâcheux de voir des ouvriers y renoncer pour se donner les vaines distractions d’une table commune »21.

  • 22 Le Play, Frédéric, La Méthode sociale, Tours, Alfred Mame et fils, 1879, p. 324.

12L’action privée des industriels mulhousiens est ici à rapprocher de la vision portée par l’un des conseillers de Napoléon III, l’ingénieur Frédéric Le Play. À l’aune de ses nombreuses enquêtes empiriques sur les classes ouvrières, il définit en effet les concepts de « famille-souche » et de « petit domaine »22, et défend publiquement l’idée selon laquelle la première doit être restaurée grâce à l’attachement des ouvriers au second.

13Au-delà de cette proximité idéologique, l’action de la S.O.M.C.O. n’est, de plus, pas entièrement indépendante de la puissance publique. Hormis les liens étroits qui l’unissent à la municipalité mulhousienne, elle bénéficie, à ses débuts, d’un financement du gouvernement français. Ce dernier avait en effet tout intérêt à investir dans de telles initiatives, apportant une réponse à la volonté d’encadrement de la population par le logement — accrue depuis la loi du 13 avril 1850 sur les logements insalubres — et une visibilité à l’Empire sur le plan international.

Sédentariser par l’accès de la propriété

  • 23 Van Praet, Carmen, « The Opposite of Dante’s Hell ? The Transfer of Ideas for Social Housing at Int (...)

14Car si les cités ouvrières de la S.O.M.C.O. sont loin d’être les premières à voir le jour en France, elles introduisent un nouveau système qui circule par la suite en Europe23 : la location-vente, donnant aux habitant·e·s qui le souhaitent l’occasion de devenir propriétaires de leur logement. Ce dispositif économique est l’outil par excellence d’un contrôle des finances et de la mobilité des familles. Pensé sur le temps long, il représente un réel avantage économique pour les entreprises mulhousiennes.

  • 24 Ce qui renvoie à l’idée d’une coproduction asymétrique de la structure urbaine par le patronat et l (...)

15Toutefois, cette position particulière et jusqu’ici inhabituelle accordée aux familles ouvrières — desquelles dépendent la réussite de la Société — contribue à leur donner une place dans la conception des cités qui amène à nuancer, quoique légèrement, l’idée de normes imposées de façon unilatérale par le patronat24.

  • 25 « Comité d’utilité publique », B.S.I.M., vol. 46, 1876, p. 90.

16D’une part, leur avis est entendu lors de l’édification, par Muller, de quatre maisons « à titre d’essai »25 à Dornach en 1852, sous l’impulsion de Jean Dollfus. Des locataires s’y installent et font part de leurs observations, qui sont prises en compte pour la construction ultérieure des habitations de la S.O.M.C.O. Il s’agit en effet de choisir les modèles les plus susceptibles de plaire aux futurs acheteurs, car même si les profits des actionnaires sont limités à quatre pour cent, la Société n’aspire pas à être déficitaire.

  • 26 Eleb, Monique, Debarre, Anne, « Architecture domestique et mentalités. Les traités et les pratiques (...)

17D’autre part, plusieurs types d’habitations sont proposés à la vente. On en dénombre quatre différents dans les première et deuxième cités, dont certains sont abandonnés car ne rencontrant pas assez de succès — c’est notamment le cas des « maisons en bande entre cour et jardin », trop onéreuses. Des sous-types sont également établis en fonction de l’orientation des maisons et de leur distribution intérieure. Si l’espace intrafamilial demeure agencé selon des normes dictées par les concepteurs26, les acheteurs disposent donc d’une gamme relativement étendue de choix.

Mécanismes

Sélection

  • 27 Penot, Achille, « Les cités ouvrières du Haut-Rhin », op. cit., p. 411.
  • 28 Penot, Achille, « Des institutions de prévoyance », op. cit., p. 412.

18Du côté de la S.O.M.C.O., la notion de choix intervient, de façon répétée, dans la sélection des habitant·e·s pouvant prétendre résider dans les cités. En effet, il ne s’agit pas seulement de contrôler les ouvriers et ouvrières au sein de leur espace domestique, mais également par le biais de celui-ci, afin que les conséquences s’en ressentent dans l’ensemble de la société. L’objectif annoncé est le suivant : « Mulhouse devra à sa Cité des ouvriers plus intelligents, plus rangés, plus moraux, s’attachant au pays »27. Penot insiste donc sur « le soin prudent qu’on met à en choisir les habitants »28, afin d’assurer le succès de cette entreprise globale.

  • 29 Archives municipales de Mulhouse, fonds 8, cote A1422.

19Acquéreurs et locataires doivent ainsi prendre des engagements préalables — comme celui d’envoyer leurs enfants à l’école — et sont même parfois recrutés sur concours. En 1874, M. Salathé, ancien notaire, fonde en effet un prix récompensant un ouvrier marié, de moins de trente-cinq ans, ayant « fait preuve d’ordre dans son ménage »29. Le gagnant doit s’engager à employer sa prime de quatre cents francs à l’acquisition ou à la construction d’une maison, « choisie de préférence aux cités ouvrières ».

  • 30 Jonas, Stéphane, Mulhouse et ses cités ouvrières. Perspective historique, Strasbourg, Oberlin, 2003 (...)

20Notons qu’il faut toutefois relativiser l’idée selon laquelle seules des familles ouvrières habitaient les cités mulhousiennes. Si les industriels mulhousiens utilisent majoritairement des dérivés du terme » ouvrier » pour qualifier les cités et leurs habitant·e·s, les travaux de Stéphane Jonas montrent pourtant que des contremaîtres, employés et artisans acquéraient également des maisons de la S.O.M.C.O. — dans une proportion en constante progression au cours du Second Empire. De plus, si la valorisation du rôle — stéréotypiquement genré au masculin — de chef de famille occupe une place considérable dans le discours des industriels, l’accession à la propriété est également ouverte, fait rare à cette époque, aux ouvrières et aux veuves30.

Règlementation

  • 31 Penot, Achille, « Rapport du comité d’économie sociale sur la construction d’une cité ouvrière à Mu (...)

21Le règlement des cités ouvrières comporte trois éléments principaux31 : l’interdiction décennale de sous-location ou de revente des maisons sans l’approbation du conseil d’administration de la Société, afin d’éviter qu’elles ne tombent « entre les mains de spéculateurs » ; l’interdiction de cohabitation entre deux familles au sein d’un même logement, « dans l'intérêt de l'ordre et des mœurs » ; et enfin l’obligation d’uniformité.

22C’est cette dernière qui nous intéresse plus particulièrement, car elle témoigne des liens étroits unissant considérations esthétiques et projet de contrôle :

  • 32 Ibid.

Enfin, le contrat de vente contient encore quelques conditions dont l’objet est d’obliger chaque acheteur à des soins nécessaires d’entretien ou d’uniformité, pour conserver à toutes les parties de la cité leur valeur entière et leur coup-d’œil ensemble. Ainsi on exige de maintenir dans un bon état d’entretien, de culture et de clôture les maisons, les jardins, les palissades ; de conserver l’uniformité adoptée pour la peinture extérieure des maisons, etc.32

  • 33 Muller, Émile, op. cit., p. 16.

23De l’aspect des palissades — « en bois de chêne, peintes en couleur verte » — à la nature des végétaux, toutes les caractéristiques extérieures ont été définies par Muller33, avec des objectifs précis. Si ce sont des haies de troènes et non de groseillers qui sont majoritairement plantées, c’est que celles-ci, en plus d’être « moins fournies et moins belles que les autres », auraient « l’inconvénient d'exciter les enfants à prendre les fruits du voisin, trop à portée ». Mais l’adéquation entre justification morale et préférence esthétique de l’architecte ne se vérifie pas toujours, notamment dans le cas de l’aspect extérieur des maisons, pour lequel prime l’impératif d’homogénéité :

  • 34 Ibid.

Le badigeon adopté est blanc. L’aspect général serait plus joli certes, en admettant un briquetage, soit même simulé, ou une autre couleur ; le motif qui a guidé dans ce choix est de maintenir toujours l’uniformité de ton.34

24Un autre élément ne fait pas directement partie du règlement mais questionne le caractère privé de l’espace domestique des familles ouvrières : la présence de tilleuls placés à l’intérieur des jardins, « sans pour cela appartenir au propriétaire de la maison ». L’aspect pittoresque des cités, mis en valeur dès les premières compositions paysagères de Muller, est ici pensé sans le concours des habitant·e·s.

  • 35 Penot, Achille, « Les cités ouvrières du Haut-Rhin », op. cit., p. 429.

25À la même époque, ces interdictions n’ont pourtant pas cours partout, comme le remarque Penot en présentant les cités Japy de Beaucourt, où les ouvriers sont libres d’apporter tout changement désiré à leur habitation — en faisant notamment élever des écuries ou des remises dans leur jardin. Ce modèle est loin d’être décrié, « car on remarque que toutes les habitations sont très bien tenues ».35

26Dans le cas mulhousien, cette obligation d’uniformité peut s’expliquer par le fait que les cités ouvrières sont envisagées comme un ensemble dont l’homogénéité doit garantir l’ordre, bien plus que comme un agrégat composé de foyers singuliers. La norme est ainsi imposée par le haut : loin de constituer une possibilité d’autonomisation pour les familles ouvrières, la maison individuelle et son jardin deviennent, à Mulhouse, des lieux et outils d’apprentissage de la conformité.

Incitation

  • 36 Archives municipales de Mulhouse, fonds 8, cote B296.

27Cet apprentissage ne passe pas uniquement par la conformation à des obligations règlementaires, car le patronat mulhousien utilise également des incitations extrinsèques afin de faire régner l’ordre dans les cités. Il organise notamment des concours annuels entre les familles y résidant, instaurant ainsi un contrôle diffus par le biais d’une mise en concurrence des habitant·e·s. Comme l’indiquent les prospectus bilingues distribués aux familles36, des primes financières et des mentions honorables sont ainsi attribuées à celles qui se distinguent par « l’aspect intérieur et extérieur de l’habitation et du jardin » et » l’état du mobilier », mais aussi plus largement par « l’ordre et l’économie dans le ménage » et « la tenue des enfants et l’effet de leur fréquentation des écoles ».

  • 37 Penot, Achille, « Les institutions privées du Haut-Rhin, notes remises au comité départemental de l (...)

28Dans un rapport remis à l’occasion de l’Exposition universelle de 1867, c’est justement à la « louable émulation entre les divers habitants » que Penot attribue « l’élégant aspect » des cités mulhousiennes37.

Effets et évolutions

La perception difficilement évaluable du contrôle

29Si les écrits et archives de la S.I.M. et de la S.O.M.C.O. permettent d’identifier les dispositifs et mécanismes de contrôle, il est plus délicat d’apprécier leur réception par la population logée. À notre connaissance, il n’existe en effet pas de témoignages émanant de cette dernière au sujet des conditions de logement au sein des cités mulhousiennes — si ce n’est ceux rapportés par Penot, qui n’ont d’autre vocation que de dresser les louanges du projet.

  • 38 Perrot, Michelle, « Les ouvriers, l’habitat et la ville au XIXe siècle », in La question du logemen (...)
  • 39 Comme l’exprime Engels, farouche opposant des cités mulhousiennes : Engels, Friedrich, La question (...)

30Des militants ouvriers logent bien dans les cités, mais la question du logement ne fait pas partie des revendications soulevées lors des grandes grèves de 1869 et 1870 — ce qui n’a, du reste, rien de surprenant, cette absence ayant déjà été relevée par Michelle Perrot concernant les mouvements de grève des ouvriers parisiens au XIXe siècle38. Rappelons que pour beaucoup, l’abolition du mode de production capitaliste constitue un préalable nécessaire à la résolution des problèmes liés à l’habitat39.

  • 40 Royer, Clémence, « Moyens d’améliorer le sort des classes ouvrières », Journal des Économistes, vol (...)

31Faute d’avoir accès à la parole libre des habitant·e·s, des sources externes à l’écosystème mulhousien peuvent être mobilisées. On retrouve ainsi dans certains articles de journaux des analyses critiques des cités de la S.O.M.C.O., notamment par l’intellectuelle Clémence Royer. En 1869, dans le Journal des Économistes40, elle raconte les avoir visitées « avec tristesse et épouvante », et accuse les fondateurs de tromper les travailleurs en faisant « miroiter devant leurs ambitions mal dirigées le plaisir de posséder un jardin suffisant à y faire venir une douzaine de choux et autant de salades » alors même que les maisons risquent, selon elle, de se retrouver « sans acquéreur le jour où les fabriques voisines cesseraient de fonctionner régulièrement ». Arguant que les habitations ouvrières, bien qu’individuelles, « permettent d'épier tout ce qui se passe », elle estime ainsi que « le Parisien est bien mieux chez lui dans son appartement bien clos et unique sur son palier ».

  • 41 Engel-Dollfus, Frédéric, « Mémoire sur l’épargne et la prévoyance dans leurs manifestations à Mulho (...)

32Si certains points soulevés par Royer sont ouvertement contestés par la S.I.M. des années plus tard41, son article illustre bien la défiance, sinon des ouvrières et ouvriers du moins d’une partie de l’opinion, vis-à-vis du modèle des cités de Mulhouse — vu comme un moyen d’enchaîner les travailleurs, en contrôlant jusqu’à leurs aspirations personnelles.

L’efficacité limitée des mesures

33Nous ne pouvons prétendre analyser ici l’impact du contrôle mis en place dans les cités sur l’intériorisation, par la population logée, de normes ayant trait à l’organisation intime de leur foyer. Toutefois il apparaît que les dispositifs et mécanismes précédemment exposés n’avaient, pour certains, qu’une efficacité limitée.

34Tout d’abord, la surveillance de la population au sein des cités semble peu étroite. Si le plan publié par Muller, dans son ouvrage Les habitations ouvrières et agricoles, comporte un « logement du surveillant de la cité », le rôle de ce dernier n’est spécifié dans aucun des textes — car il n’est mentionné nulle part.

35Mais surtout, des manquements au règlement sont mentionnés dans plusieurs sources — notamment dans le Bulletin, qui est pourtant le principal organe de communication de la S.I.M. La façon dont ceux-ci sont perçus et gérés connaît néanmoins des évolutions importantes. Ainsi en 1859, un document émanant de l’administration circule dans les cités, déplorant le fait que « la plupart [des personnes ayant acquis des maisons] enfreignent les conditions de jouissance qui leur sont imposées » — en sous-louant leur logement. Afin d’effrayer les réfractaires, un cas de contentieux est évoqué :

  • 42 Archives municipales de Mulhouse. Document consultable en ligne sur la base numérique du patrimoine (...)

Déjà la société des Cités a cru devoir faire assigner de cette manière l’acquéreur de la maison N° 11, rue du Travail, et par-devant M. le juge de paix il a été conclu que ledit renverrait ses locataires ; faute de quoi l’affaire eut été portée au tribunal civil.42

  • 43 Penot, Achille, « Les cités ouvrières du Haut-Rhin », op. cit., p. 393.

36En 1865, Penot constate une nouvelle fois, en dépit d’une « surveillance constamment exercée »43 — dont il ne définit d’ailleurs pas les modalités concrètes — des abus de la part de propriétaires souhaitant s’acquitter plus rapidement du prix de leur maison. Mais les sous-locations sont, cette fois, présentées comme tolérées « lorsqu'il semble qu'il n'en peut résulter aucun inconvénient pour la famille » et, s’ils sont qualifiés de « regrettables », les abus déplorés ne semblent pas inquiéter outre-mesure la S.O.M.C.O. :

  • 44 Ibid.

On remarque en effet que cet abus va en diminuant peu à peu, à mesure que les propriétaires approchent du terme de leur libération. Si, à cause de ce motif, le comité des cités ferme un peu les yeux sur cette infraction à ses règlements, on peut être assuré qu'il ne la tolérerait pas dans le cas où il y verrait quelque danger pour l'ordre ou les mœurs.44

  • 45 « Prix Salathé », B.S.I.M., vol. 61, 1891, pp. 53-54.

37Il en va autrement lorsque, au début des années 1890, des visiteurs extérieurs constatent le même type d’infractions — les propriétaires ajoutent même annexes et étages à leurs habitations, si bien que certaines « menacent de tourner caserne, par nombre de personnes qu'elles abritent »45. La nouvelle génération d’industriels mulhousiens se présente alors comme largement dépassée, et n’émet que des « vœux » d’amélioration, renvoyant à la puissance publique la responsabilité de faire régner l’ordre :

  • 46 Ibid.

La direction de Société des Cités déplore la première cet état de choses regrettable et fait depuis vingt ans d'incessants efforts pour arrêter le mal. Le pouvoir du comité expire une fois qu'une maison été complètement payée par l'acquéreur, et c'est la police des bâtiments, ainsi que le conseil d'hygiène, qui devraient intervenir pour couper court aux abus.46

La transition vers de nouveaux modèles

  • 47 Jonas, Stéphane, op. cit., p. 265.
  • 48 « Note du comité d’utilité publique », B.S.I.M., vol. 71, 1901, p. 447.

38Cette déclaration a de quoi surprendre, car « l’état des choses » déploré est une conséquence directe de l’évolution des orientations de la S.O.M.C.O. sous le Reichsland, période souvent associée à la naissance d’une troisième cité. Ce qualificatif concerne plus particulièrement les habitations construites à partir de 1887, d’après deux nouveaux types agrandis, destinés à satisfaire les « ouvriers-bailleurs »47 plus aisés, souhaitant faire de leur maison un « instrument de gain »48.

39Si ce virage n’est pas immédiatement assumé par les industriels mulhousiens — qui apparaissent plutôt contraints par des raisons économiques — ceux-ci remettent progressivement en question des principes initialement fondamentaux du projet des cités. En témoigne l’intervention d’Alfred Engel devant le Congrès des habitations à bon marché, tenu en 1900 à Paris :

  • 49 Ibid., p. 450.

Après 46 ans d’expérience, si nous devions continuer ou si nous avions à recommencer : 1° Nous éviterions l’uniformité des constructions et les trop grandes agglomérations ; 2° Nous hésiterions à adopter le système de ventes par annuités, pour donner, peut-être, la préférence à de simples locations ou, mieux encore, à des avances de fonds permettant aux ouvriers de choisir le genre de construction et la localité leur convenant.49

40Près d’un demi-siècle après la fondation de la S.O.M.C.O., l’idéal d’une classe ouvrière homogène prôné à ses débuts a donc largement évolué, et avec lui les velléités d’encadrement de la population des cités. Notre contribution aura en outre montré que si la notion de contrôle se trouve bien au cœur du projet des industriels mulhousiens, la réalité vécue tend à nuancer son effectivité. À Mulhouse, l’importance semble en effet être donnée moins à l’instauration d’une surveillance étroite au sein des cités qu’à la conception des logements en amont, qui souligne en cela le rôle capital des dispositifs spatiaux, architecturaux et urbains dans la mise en place d’un projet de contrôle social.

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Notes

1 Penot, Achille, « Projet d’habitations pour les classes ouvrières. Rapport présenté au nom du comité d’économie sociale », Bulletin de la Société industrielle de Mulhouse (B.S.I.M.), vol. 24, n° 117, 1852, p. 140.

2 Jonas, Stéphane (dir.), La Cité de Mulhouse (1853-1870) : un modèle d’habitat économique et social du XIXe siècle [rapport de recherche], Strasbourg, A.R.I.A.S., novembre 1981.

3 Ott, Florence, La S.I.M., 1826-1876. Ses membres, son action, ses réseaux, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 1999.

4 Guerrand, Roger-Henri, Les origines du logement social en France, Paris, Les Éditions ouvrières, 1967.

5 Foucault, Michel (dir.), Politiques de l’habitat, Paris, C.O.R.D.A., 1977.

6 Murard, Lion, Zylberman, Patrick, « Le petit travailleur infatigable ou le prolétaire régénéré : villes usines, habitat et intimités au XIXe siècle », Recherches, n° 25, décembre 1976.

7 Eleb, Monique, L'apprentissage du “chez-soi” : Le Groupe des maisons ouvrières, Paris, avenue Daumesnil, 1908, Marseille, Parenthèses, 1994.

8 Rousseaux, Xavier, « Contrôle social. Un concept pertinent pour la recherche historique ? », Hypothèses, vol. 20, 2017, pp. 237-247.

9 Bouquet, Brigitte, « Analyse critique du concept de contrôle social. Intérêts, limites et risques », Vie sociale, n° 1, 2012, pp. 15-28.

10 Villermé, Louis-René, Tableau de l'état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie, tome 1, 1840, pp. 58-59.

11 C’est également celui qui est exposé lors de l’Exposition universelle de 1867 : Detain, C., « Exposition universelle. Habitations ouvrières. Cités du Champ de Mars », Revue générale de l’architecture et des travaux publics, vol. 25, 1867, p. 234.

12 Muller, Émile, Habitations ouvrières et agricoles, Paris, Delacroix-Comon, 1856, p. 16.

13 Penot, Achille, « Les cités ouvrières du Haut-Rhin », B.S.I.M., vol. 35, 1865, p. 400.

14 Murard, Lion, Zylberman, Patrick, op. cit., p. 171.

15 Guerrand, Roger-Henri, op. cit., p. 56.

16 Penot, Achille, « Projet d’habitations pour les classes ouvrières », op. cit., p. 140.

17 Penot, Achille, « Des institutions de prévoyance fondées par les industriels du Haut-Rhin en faveur de leurs ouvriers », B.S.I.M., vol. 26, n° 131, 1854, pp. 412-413.

18 Archives départementales du Haut-Rhin, cote 6M377.

19 Chevalier, Louis, Classes laborieuses et classes dangereuses à Paris pendant la première moitié du XIXe siècle, Paris, Perrin, 1958.

20 Penot, Achille, « Projet d’habitations pour les classes ouvrières », op. cit., p. 136.

21 Penot, Achille, « Les cités ouvrières du Haut-Rhin », op. cit., p. 406.

22 Le Play, Frédéric, La Méthode sociale, Tours, Alfred Mame et fils, 1879, p. 324.

23 Van Praet, Carmen, « The Opposite of Dante’s Hell ? The Transfer of Ideas for Social Housing at International Congresses in the 1850s-1860s », Transnational Social Review. A Social Work Journal, 2016, vol. 6, n° 3, pp. 242-261.

24 Ce qui renvoie à l’idée d’une coproduction asymétrique de la structure urbaine par le patronat et la classe ouvrière, développée dans l’étude suivante : Devillers, Christian, Huet, Bernard, Le Creusot. Naissance et développement d’une ville industrielle (1782-1914), Seyssel, Champ Vallon, 1981, p. 84.

25 « Comité d’utilité publique », B.S.I.M., vol. 46, 1876, p. 90.

26 Eleb, Monique, Debarre, Anne, « Architecture domestique et mentalités. Les traités et les pratiques au XIXe siècle », In Extenso, n° 5, 1984-1985, p. 125.

27 Penot, Achille, « Les cités ouvrières du Haut-Rhin », op. cit., p. 411.

28 Penot, Achille, « Des institutions de prévoyance », op. cit., p. 412.

29 Archives municipales de Mulhouse, fonds 8, cote A1422.

30 Jonas, Stéphane, Mulhouse et ses cités ouvrières. Perspective historique, Strasbourg, Oberlin, 2003, p. 144.

31 Penot, Achille, « Rapport du comité d’économie sociale sur la construction d’une cité ouvrière à Mulhouse », B.S.I.M., vol. 25, n° 124, 1853, pp. 312-313.

32 Ibid.

33 Muller, Émile, op. cit., p. 16.

34 Ibid.

35 Penot, Achille, « Les cités ouvrières du Haut-Rhin », op. cit., p. 429.

36 Archives municipales de Mulhouse, fonds 8, cote B296.

37 Penot, Achille, « Les institutions privées du Haut-Rhin, notes remises au comité départemental de l’Exposition universelle de 1867 », B.S.I.M., vol. 37, 1867, p. 83.

38 Perrot, Michelle, « Les ouvriers, l’habitat et la ville au XIXe siècle », in La question du logement et le mouvement ouvrier français, Flamand, Jean-Paul (dir.), Paris, Éditions de la Villette, 1982.

39 Comme l’exprime Engels, farouche opposant des cités mulhousiennes : Engels, Friedrich, La question du logement [traduit de l’allemand par Gilberte Lenoir], Paris, Éditions sociales, 1957.

40 Royer, Clémence, « Moyens d’améliorer le sort des classes ouvrières », Journal des Économistes, vol. 13, janvier-mars 1869, pp. 404-429.

41 Engel-Dollfus, Frédéric, « Mémoire sur l’épargne et la prévoyance dans leurs manifestations à Mulhouse », B.S.I.M., vol. 46, 1876, pp. 209-264.

42 Archives municipales de Mulhouse. Document consultable en ligne sur la base numérique du patrimoine d’Alsace : http://www.crdp-strasbourg.fr/data/albums/cite_ouvriere/

43 Penot, Achille, « Les cités ouvrières du Haut-Rhin », op. cit., p. 393.

44 Ibid.

45 « Prix Salathé », B.S.I.M., vol. 61, 1891, pp. 53-54.

46 Ibid.

47 Jonas, Stéphane, op. cit., p. 265.

48 « Note du comité d’utilité publique », B.S.I.M., vol. 71, 1901, p. 447.

49 Ibid., p. 450.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Lucie Prohin, « Concevoir l’espace domestique pour contrôler la main-d’œuvre : l’action de la Société mulhousienne des cités ouvrières durant la seconde moitié du XIXe siècle »Amnis [En ligne], 20 | 2021, mis en ligne le 15 octobre 2021, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/amnis/6595 ; DOI : https://doi.org/10.4000/amnis.6595

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Auteur

Lucie Prohin

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Institut national d’histoire de l’art, France, prohinlucie@gmail.com

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