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Ce que le numérique fait à la bande dessinée

  • 1 Cette réflexion a été développée dans le cadre du projet Sinergia « Reconfiguring Comics in our Dig (...)

« Thématique » dirigée par Gaëlle Kovaliv et Olivier Stucky1

Argumentaire

En tant que forme d’expression dont l’une des propriétés essentielles est de déployer une séquence temporelle dans un espace graphique, la bande dessinée est sensible aux supports de publication pour lesquels elle est conçue. Avec l’évolution du paysage médiatique, la diversification des supports conduit la bande dessinée à se réinventer sans cesse et à se redéployer vers de nouvelles formes (Robert 2018). Depuis la fin des années 1990, la progression des productions numériques, les options formelles prises par ces productions et les réseaux professionnels et économiques qu’elles engagent (cf. Baudry 2018) relancent la réflexion sur l’identité du médium. Par ailleurs, les études sur la bande dessinée se voient elles-mêmes bouleversées par l’influence de plus en plus marquée des pratiques issues des humanités numériques. Comme objet culturel, la bande dessinée, dans ses formes de production comme de réception, est ainsi travaillée par l’épistémè numérique de notre XXIe siècle.

Cette thématique est liée au colloque « Transferts, reconfigurations et transitions numérique de la bande dessinée », qui s’est tenu à Lausanne du 21 au 23 octobre 2021. Elle pose la question de l’identité culturelle sans cesse renégociée d’un médium qui ne cesse d’évoluer et propose d’interroger spécifiquement les apports et les influences des technologies numériques, tout en étudiant comment celles-ci ont modifié en profondeur les modes de production, de diffusion et de consommation des récits graphiques. Il s’agit notamment de questionner la manière dont les outils numériques permettent de réenvisager le rapport aux albums, que ce soit sous l’angle de la lecture, de la diffusion ou de la sauvegarde des œuvres (axe 1). Il est aussi possible de se pencher sur l’étude des formes contemporaines de bande dessinée nativement numérique, en s’intéressant particulièrement à la manière dont elles interagissent (ou non) avec ce nouveau type de support matériel (axe 2). Enfin, une dernière perspective est consacrée à la manière dont les outils numériques permettent de réinterroger l’identité médiatique de la bande dessinée en considérant des œuvres qui s’écartent des formes jusque-là considérées comme prototypiques (axe 3).

Ces axes complémentaires et non exhaustifs concernent, à priori, des œuvres qui s’inscrivent dans des temporalités différentes (proto bande dessinée, âge d’or de l’album, productions numériques contemporaines) mais ces bornes temporelles, lâches et volontairement floues, sont appelées à être dépassées. De la même manière, les chercheuses et les chercheuses intéressé·es par la thématique ont également la possibilité de proposer des articles qui concernent la thématique en général des effets des technologies numériques sur le médium de la bande dessinée, sans s’inscrire résolument dans l’un de ces trois axes.

Axe 1 : Éclairages et apports des technologies numériques sur la bande dessinée papier

La bande dessinée est ici envisagée face au numérique. Autrement dit, il s’agit dans cet axe d’étudier ce que les outils informatiques apportent à la bande dessinée imprimée, du point de vue de sa diffusion, de sa conservation et de sa lecture, qu’elle soit envisagée comme une activité récréative ou savante. Les outils de photo-numérisation permettent ainsi la constitution de vastes corpus diversement exploitables. Dans une démarche commerciale, les outils informatiques peuvent être employés dans la perspective d’une diffusion associée à de nouvelles modalités de lecture (re)pensées pour l’écran. On pensera, par exemple, aux plateformes de diffusion d’albums numérisés (Izneo, BDBuzz, ComiXology, etc.) dont le modèle économique, le positionnement historique ou la logique de leurs logiciels de lecture offrent différentes pistes de réflexion concernant le statut qu’occupe la bande dessinée imprimée dans le paradigme de la numérisation des objets culturels. L’exploitation de tels corpus peut être mise au service d’une grande diversité d’activités de recherche, participant ainsi à modifier la connaissance de la bande dessinée imprimée. À titre d’exemple, on évoquera le croisement de ces corpus numérisés avec d’autres outillages informatiques, afin de renouveler notre compréhension des mécanismes optiques et cognitifs impliqués dans la lecture de planches imprimées (eye-tracking) ou de permettre l’interprétation de phénomènes éditoriaux par le traitement statistiques de données (distant viewing). Enfin, du point de vue patrimonial, la photo-numérisation peut permettre de conserver et de rendre accessible une mémoire numérisée de la bande dessinée imprimée, permettant ainsi la sauvegarde et la patrimonialisation de bandes dessinées publiées sur des supports imprimés, ce qui soulève de nouveaux enjeux dans la constitution de l’histoire et la compréhension du médium. Différentes pistes de recherche mêlant dispositifs numériques et bande dessinée sont possibles et elles vont probablement encore se diversifier dans les années à venir.

Axe 2 : Supports de publication numériques et évolution des formes narratives

Le deuxième axe envisage la manière dont l’apparition des formats numériques a transformé la nature des récits graphiques. Cet axe peut inclure l’analyse de bandes dessinées expérimentales, produites exclusivement pour une lecture sur écran, ce qui entraîne l’apparition de nouvelles caractéristiques jusqu’alors externes à la définition du médium : interactivité, animation, piste sonore, effets de réalité augmentée, etc. Ces œuvres peuvent aussi entraîner la disparition d’autres traits jugés autrefois essentiels : articulation tabulaire entre les cases, spatio-topie du multicadre, etc. Les analyses pourront aussi porter sur des formats plus standardisés, tels que les blogs, le « TurboMedia » et les récits diffusés sur Instagram, en incluant éventuellement des formats propres à différentes aires culturelles (digital comics, webtoons, etc.). On pourra également se demander dans quelle mesure l’interdépendance entre ces formats numériques (qui permettent de faire connaître une œuvre) et la publication ultérieure des œuvres en format analogique (qui permettent de rentabiliser la production et de la légitimer culturellement) conduit à un formatage des bandes dessinées. Les analyses pourront porter autant sur les nouvelles formes narratives liées aux caractéristiques des supports numériques qu’à la manière dont ces récits graphiques redéfinissent le métier des auteurs et des éditeurs de bande dessinée, l’expérience esthétique des lecteurs, ainsi que l’identité évolutive du médium.

Axe 3 : Archéologie des formes de la bande dessinée aux marges du livre imprimé

Les supports de publication numérique de la bande dessinée et les formes qui en découlent invitent enfin à réinterroger les fondements théoriques et historiques sur lesquels repose l’identité du médium. Cette identité médiatique se fonde en effet sur l’idée, longtemps admise, que la bande dessinée entretiendrait une relation quasi naturelle avec les supports de la presse et du livre imprimé. le support du livre imprimé. Dès lors, les manifestations numériques contemporaine du médium semblent entrer en contradiction avec certains des critères de définition les plus profondément ancrés dans le discours savant, de la désolidarisation spatiale des cases à l’ajout de matières de l’expression dépassant l’image fixe et le texte écrit (son, images animées, etc.). Plutôt que de remettre en cause l’appartenance de tels objets au territoire de la bande dessinée, cet axe « archéologique » vise plutôt à reconstruire une généalogie permettant d’expliquer la résurgence de formes jugées a priori étrangères au langage de la bande dessinée, et à interroger les dispositifs de médiation situés en dehors du domaine du livre imprimé : lanterne magique, diapositives, périodiques illustrés, magazines, etc.

Modalités de soumission

Le présent appel à communication est ouvert à tou·te·s les chercheuses et chercheurs, quel que soit leur statut et leur origine. Nous les invitons à nous répondre en nous soumettant deux documents :

  • Une courte notice bio-bibliographique.

  • Un texte anonyme de maximum 3000 caractères, espaces compris. Ce résumé présentera le positionnement théorique et le corpus retenus, ainsi que les principales conclusions attendues.

Les propositions seront évaluées de façon anonyme par le comité éditorial de la revue : son acceptation vaudra encouragement et suggestions quant à un article d’une taille comprise entre 25 000 et 50 000 signes, espaces compris. Elle devra nous parvenir avant le 1er mai 2022 aux adresses électroniques suivantes : gaelle.kovaliv@unil.ch / olivier.stucky@unil.ch

Les articles complets seront à rendre pour le 1er octobre 2022.

Les propositions ainsi que les articles complets peuvent être rédigés en français ou en anglais.

Bibliographie indicative

BAUDRY Julien. Cases·Pixels, Une histoire de la bande dessinée en France, Tours : Presses Universitaires François Rabelais, 2018.

BARONI, Raphaël, GUNTI, Claus. Introduction à l’étude des cultures numériques : la transition numérique des médias. Paris : Armand Colin, 2020.

BARONI, Raphaël, KOVALIV, Gaëlle, STUCKY, Olivier. « La transition numérique de la bande dessinée franco-belge, une mutation impossible ? », Belphégor [en ligne], volume 19-1, 2021 [consulté le 21 novembre 2021]. Disponible sur le Web. URL <https://journals.openedition.org/belphegor/3948> DOI <10.4000/belphegor.3948>

BERTHOU, Benoît. Éditer la bande dessinée. Pratiques éditoriales. Paris : Éditions du Cercle de la librairie, 2016.

BOLTANSKI, Luc. « La constitution du champ de la bande dessinée ». Actes de la recherche en sciences sociales 1, no 1 (1975): 37‑59. DOI <10.3406/arss.1975.2448>

BOLTER, J. David, et GRUISIN Richard A.. Remediation: understanding new media. Cambridge, Mass: MIT Press, 1999.

BONACCORSI, Julia. « La Bande Dessinée Aux Prises Avec La « machinerie Éditoriale » Du Smartphone ». Communication & Langages 2011, no 167 (mars 2011): 87‑105. DOI </10.4074/S0336150011011070>.

ESCANDE-GAUQUIÉ, Pauline, SOUCHIER Emmanuël. « Matières et Supports, La Bande Dessinée Dans Tous Ses États ». Communication & Langages 2011, no 167 (mars 2011) : 17. https://doi.org/10.4074/S0336150011011021.

KASHTAN, Aaron. Between pen and pixel: comics, materiality, and the book of the future. Studies in comics and cartoons. Columbus: The Ohio State University Press, 2018.

LESAGE, Sylvain. L’Effet livre: métamorphose de la bande dessinée. Iconotextes. Tours: Presses universitaires François Rabelais, 2019.

LESAGE, Publier la bande dessinée: les éditeurs franco-belges et l’album, 1950-1990. Collection Papiers. Villeurbanne: Presses de l’ENSSIB, 2018.

MAIGRET, Eric, STEFANELLI Matteo, (éd.). La bande dessinée : une médiaculture. Hors Collection. Paris: Armand Colin, 2012.

MCCLOUD, Scott. Reinventing Comics: How Imagination and Technology Are Revolutionizing an Art Form. New York: Perennial, 2000.

PAOLUCCI, Philippe. « La bande dessinée numérique : le triomphe du linéaire sur le tabulaire ». Alternative Francophone 2, no 7 (25 mars 2020): 10‑31. https://doi.org/10.29173/af29405.

PEETERS, Benoît, SCHUITEN François. L’aventure des images. De la bande dessinée au multimédia. Mutations 155/156. Paris: Ed. Autrement, 1997.

ROBERT, Pascal. « Critique de la dématérialisation ». Communication et langages 140, no 1 (2004): 55‑68. https://doi.org/10.3406/colan.2004.3268.

ROBERT, Pascal, éd. Bande dessinée et numérique. Paris: CNRS Éditions, 2016.

ROBERT, Pascal, La bande dessinée, une intelligence subversive. Papiers. Villeurbanne: Presses de l’Enssib, 2018.

SMOLDEREN, Thierry. Naissances de la bande dessinée : de William Hogarth à Winsor McCay. Bruxelles: les Impressions nouvelles, 2009.

THON, Jan-Noël, WILDE Lukas R. A.. « Mediality and materiality of contemporary comics ». Journal of Graphic Novels and Comics 7, no 3 (2 juillet 2016): 233‑41. https://doi.org/10.1080/21504857.2016.1199468.

Notes

1 Cette réflexion a été développée dans le cadre du projet Sinergia « Reconfiguring Comics in our Digital Era », financé par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS : CRSII5_180359).

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