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Lectures

John Durham PETERS et Peter SIMONSON (dir.) (2004), Mass Communication and American Social Thought

Toronto, Rowman & Littlefield Publishers
Izabeau Legendre
Référence(s) :

John Durham PETERS et Peter SIMONSON (dir.) (2004), Mass Communication and American Social Thought, Toronto, Rowman & Littlefield Publishers

Texte intégral

1Avec cette anthologie, c’est une véritable histoire du développement de leur discipline que proposent les professeurs étatsuniens en communication John Durham Peters et Peter Simonson. À travers 68 textes, ils présentent un large éventail d’approches, de thématiques et de débats ayant joué un rôle structurant pour le champ d’études, alors en pleine formation.

2L’anthologie est découpée en trois parties, dont les titres laissent deviner les partis pris des éditeurs : « From hope to disillusionment: Mass communication theory coalesces, 1919-1933 » ; « The world in turmoil: Communications research, 1933-1949 » ; et « The American Dream and its discontents: Mass communication theory, 1949-1968 ». À travers ces trois sections est présentée l’émergence progressive des études sur la communication, qui aboutira, après la période couverte, à l’institutionnalisation d’une discipline universitaire telle qu’on la connaît aujourd’hui, dotée de ses nombreux programmes d’études et départements. Chacune des trois étapes dans la périodisation proposée est également mise en parallèle avec son contexte historique. Du côté des innovations technologiques et de leur popularisation d’abord, avec l’apparition de nouveaux médias de communication de masse : la radio, le cinéma, la télévision s’ajoutant aux presses quotidiennes et magazines pour former les Big Five au cours de la période. Mais également du côté des événements politiques et de leurs conséquences économiques : l’après-coup de la Première Guerre mondiale et les transformations majeures de la société étatsunienne qui en découlent, la crise économique des années 1930 et la Seconde Guerre mondiale, l’après-guerre et la consolidation de l’hégémonie étatsunienne à l’échelle mondiale, sur un plan culturel et politique cette fois, culminant avec les nouveaux mouvements sociaux qui ferment la décennie 1960. En somme, les coordinateurs de cette anthologie sont particulièrement attentifs à la fois à l’évolution du discours et de la recherche sur la communication de masse et à son effet en retour sur le développement des médias de masse, en plus de porter attention à l’évolution rapide du contexte social dans lequel ceux-ci se déploient.

3Comme pour toute anthologie, c’est le principe de sélection des textes qui attire le plus l’attention. Ici, Peters et Simonson ont fait le choix du nombre, et d’une certaine originalité. La sélection rappelle l’interdisciplinarité constitutive des études sur les médias de masse. On y trouve quelques grands sociologues de l’école de Chicago (dont l’émergence est d’ailleurs plus ou moins contemporaine de la problématique présentée dans cette anthologie), y compris Robert Ezra Park et Ernest W. Burges, ou Robert K. Merton. On y trouve également des philosophes parmi les plus influents de la tradition étatsunienne comme John Dewey ou William James, représenté quant à lui à travers la contribution de certains de ses étudiants illustres, dont le journaliste et écrivain Walter Lippmann ou l’intellectuel afro-américain Alain Locke. Aux côtés de l’Université Columbia de New York, l’Université de Chicago est d’ailleurs elle-même un personnage clé de cette anthologie, au point tel qu’une seule poignée d’auteurs et d’autrices n’est pas passée par l’une ou l’autre à titre d’étudiant, de chercheur ou de professeur. Les contributions des membres de l’école de Francfort en exil, pendant et après la Seconde Guerre mondiale, rappellent elles aussi le caractère fondamentalement interdisciplinaire des classiques de la discipline : Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, Leo Löwenthal. C’est également le cas de Paul F. Lazarsfeld, l’auteur le plus représenté avec pas moins de quatre contributions signées ou cosignées, d’ailleurs comparativement substantielles.

4Mais le réel intérêt du travail de Peters et Simonson est d’intégrer une grande diversité de textes, n’hésitant pas à ajouter, aux études universitaires et autres essais, des textes littéraires comme « The enormous radio », nouvelle de John Cheever ; des textes journalistiques comme un éditorial de David Sarnoff, « Our next frontier… transoceanic TV », publié dans le magazine Look ; ou encore des documents à usage interne comme l’acte de fondation du Rockefeller Communications Group, publié en 1940, que les anthologistes considèrent d’ailleurs comme l’acte fondateur de la recherche en communication de masse. Cette diversité de documents et de points de vue s’ajoute à celle des prises de position dans un débat qui se découvre à la fois comme celui des spécialistes et celui des personnalités de la vie publique. Nombre de contributions sont tirées de la revue Public Opinion Quarterly, produite à l’Université Princeton et rassemblant les têtes de file du moment dans la recherche sur ce qu’on appelait alors la « propagande » (désignant par là toute tentative d’agir sur l’opinion publique). Parmi elles, l’éditorial lançant la revue sous une signature collective. S’y trouvent également des extraits de documents comme le rapport de la commission Hutchins, constituée d’intellectuels, d’universitaires, d’éditeurs du magazine Time et de l’Encyclopedia Britannica, véritable témoin de l’importance qu’ont pu prendre les médias de masse dans l’imaginaire d’après-guerre et de la guerre froide qui s’y profilait. On y trouve même un texte du légendaire sondeur George H. Gallup, fondateur de la firme du même nom, qui encense les enquêtes d’opinion comme véritables représentantes de la volonté populaire.

5On peut faire mention des quelques autrices et auteurs canadiens ayant eu un rôle à jouer dans le développement du champ : la sociologue Thelma McCormack, le diplomate Saul Rae (collaborateur du sondeur Gallup) ou encore Edward Sapir, premier chef ethnologue de la section anthropologie de la Commission géologique du Canada. Bien entendu, une anthologie de textes abordant les médias et la communication — qu’importe l’aire ou la période couverte d’ailleurs— serait incomplète sans qu’y figurent les noms des théoriciens majeurs que sont Harold A. Innis et Marshall McLuhan, qui y signent un et deux textes, respectivement.

6Chaque contribution est accompagnée d’une introduction détaillée replaçant les auteurs ou autrices et leurs contributions dans leur contexte. Ces introductions accordent une importance toute particulière à la trajectoire des contributeurs et contributrices, indiquant autant que possible leur parcours universitaire, leurs réseaux de collaborations, les structures administratives — universitaires ou étatiques, l’État fédéral étatsunien ayant ouvert ses portes aux chercheurs et chercheuses intéressées par l’étude des outils de propagande pendant la guerre — et les différents instituts qui ont structuré la vie intellectuelle étatsunienne de l’époque. En parallèle des textes et des problématiques, c’est ainsi toute la dimension matérielle et institutionnelle du travail de recherche et de réflexion qui se déploie, donnant à voir l’émergence progressive de la discipline.

7Les textes sont présentés en ordre chronologique plutôt que thématique, ce qui permet de voir les problèmes et les questions évoluer et se répondre au fil du temps. D’un questionnement sur la communication comme dimension universelle de l’expérience humaine chez un Dewey, on passe à une réflexion héritée de la Progressive Era (la période précédant la Première Guerre mondiale dans l’historiographie étatsunienne) sur les risques et promesses de transformation sociale et culturelle de la grande presse. Les années 1920 marquent un tournant pour la réflexion sur la culture afro-américaine et ses moyens de diffusion — chez un W.E.B. Du Bois, par exemple, représenté dans l’anthologie — et, surtout, pour l’introduction des études sur la propagande, dont Edward L. Bernays a fait, tôt, la réputation. L’évolution de ce dernier thème est particulièrement intéressante, et illustrée à merveille par le choix des anthologistes. On voit le thème de la propagande émerger lors de la Première Guerre mondiale, permettant de développer une première interrogation systématique sur les médias de masse. Que ce soit pour en vanter les mérites chez Bernays ou, comme chez Alfred McClung et Elizabeth Briant Lee, pour enseigner à s’en prémunir, le thème gagnera en importance jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, où il deviendra de plus en plus associé aux abus perpétrés par les régimes nazis et staliniens dans la pensée étatsunienne et, ensuite, au brainwashing (lavage de cerveau) dénoncé lors de la guerre de Corée qui y fait rage dans les années 1950. Il est vrai que le thème de l’effet délétère de la communication de masse sur un public à la fois passif et manipulable, donc réactif, n’était pas nouveau. Loin de « découvrir » les effets néfastes de la manipulation de l’opinion publique, les auteurs et autrices des années 1950 ne font, en fait, que réactiver des prises de position vieilles de plusieurs décennies, et que l’on peut voir, grâce au travail des éditeurs de cette anthologie, se déployer dès le début du xxe siècle, dans un texte de 1909 de Jane Addams, qui voit dans le théâtre populaire un risque important pour la moralité de la jeunesse.

8Mass Communication and American Social Thought se conclut alors même que son sujet est en pleine effervescence. En se concluant sur un texte d’Herbert Marcuse publié en 1968, cette anthologie est, en un sens, une sorte de « préhistoire » de la discipline actuelle. Les éditeurs rappellent à cet effet que l’idée que l’on se fait des « années 1960 », que ce soit sur le plan social, culturel ou politique, ne désigne en fait que des phénomènes plus tardifs. Dans les mots des coordinateurs, « much of the decade before 1968 looks like the 1950s […] The 1960s (as popular culture perceives them) did not happen until 1968 or 1971 or maybe even later » (p. 269). Ce qui est vrai pour la perception populaire des grands événements sociaux et politiques l’est aussi pour le développement de la discipline, qui ne tirera vraiment profit du bouillonnement intellectuel de la décennie (et de tout le travail accompli dans des départements de sociologie, d’anthropologie ou de journalisme depuis le début du siècle) que lors de la période suivante, alors que se multiplieront rapidement les programmes, départements et revues lui donnant son ancrage institutionnel actuel. Malgré tout, le regard proposé par Peters et Simonson sur les décennies formatrices de la discipline éclaire de façon convaincante l’origine de certaines de ses notions, approches, méthodes et préoccupations centrales.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Izabeau Legendre, « John Durham PETERS et Peter SIMONSON (dir.) (2004), Mass Communication and American Social Thought »Communication [En ligne], vol. 39/1 | 2022, mis en ligne le 06 juillet 2022, consulté le 17 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/communication/15005 ; DOI : https://doi.org/10.4000/communication.15005

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Auteur

Izabeau Legendre

Izabeau Legendre est candidat au doctorat en cultural studies et chargé de cours au Département d’études françaises, Université Queen’s (Canada). Courriel : 18il5@queensu.ca

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