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Lectures

Alexandre DELARGE (dir.), assisté d’Isabelle ROUSSEL (2018), Le musée participatif. L’ambition des écomusées

Paris, La Documentation française, Coll. « Musées-Monde »
Gaëlle Crenn
Référence(s) :

Alexandre DELARGE (dir.), assisté d’Isabelle ROUSSEL (2018), Le musée participatif. L’ambition des écomusées, Paris, La Documentation française, Coll. « Musées-Monde »

Texte intégral

1Dans l’utile collection « Musées-Mondes » de La Documentation française est paru en 2018 l’ouvrage collectif Le musée participatif. L’ambition des écomusées, sous la direction d’Alexandre Delarge. Il réunit 17 contributions inspirées des travaux des XIIe Rencontres professionnelles de la Fédération des écomusées et des musées de société (FEMS). Selon Delarge, cet ouvrage, le « premier […] traitant exclusivement de la participation », vient « combler une lacune » (p. 7). En effet, si la notion de participation s’est développée dès les années 1960 et s’est renforcée dans les années 1990 avec le développement de la « démocratie participative », la démarche est restée timide dans les musées. Alors que la participation se trouve aujourd’hui réactivée dans un nouveau contexte (en conjonction avec l’interactivité des moyens numériques, d’Internet, de la mobilité et des réseaux sociaux), il importe de redonner un élan à une recherche sur la participation muséale. L’ouvrage, dans ce but, « décrit les aspects historiques de la participation, divers champs d’application, les mécanismes de mise en œuvre et les enjeux, ainsi que des approches extérieures au monde des musées » (p. 11).

2À partir des années 1960, dans le monde muséal — et notamment en France —, le « modèle utopique [de] l’écomusée […] va innerver l’ensemble des musées » (p. 8). Dès lors, « dans le milieu des musées, la participation se définit comme l’implication des habitants ou des citoyens. Cependant, l’implication s’exprime à différents niveaux et s’appuie sur diverses missions des musées » (p. 9). Il est temps de « faire le point » (p. 11), entre chercheurs et praticiens, sur l’état des réflexions et des pratiques dans le milieu muséal français, afin également de se situer par rapport aux transformations sociales plus larges de la participation et à ces usages tant dans les politiques publiques que dans les disciplines des sciences et société. L’objectif est en effet louable si l’on pense, comme John Kinard, fondateur de l’Anacostia Neighborhood Museum de Washington — un des premiers musées communautaires aux États-Unis —, que « si nous voulons que les musées survivent et qu’ils soient les vecteurs de nouvelles valeurs culturelles, alors l’impératif majeur est la participation » (Kinard, 1985, cité p. 13).

3L’ouvrage propose une confrontation de discours de différents acteurs — responsables d’institutions, administrateurs de la culture, médiateurs, figures du milieu et universitaires —, structurée en trois parties : la première (« Histoire et actualité de la participation ») « étudie le concept », la deuxième (« Participation et missions scientifiques ») et la troisième (« Participation et médiation ») « développent divers questionnements sur les démarches participatives, principalement en présentant et en analysant des expériences » (p. 11).

4Suivant le titre et le sous-titre de l’ouvrage, la première partie s’emploie à montrer comment le modèle — né en France — de l’écomusée va progressivement infuser les démarches participatives dans l’ensemble des musées — notamment de société. Après des définitions initiales délivrées dans l’avant-propos, les contributions d’acteurs de référence (tels Jean-Claude Duclos et Hugues de Varine) précisent l’histoire et les modes d’application de la notion. Cependant, les raccourcis historiques ne permettent pas toujours d’approfondir les filiations historiques, géographiques et idéologiques entre plusieurs notions, qu’il importerait de mieux définir et distinguer. Par exemple, la focale française qui est privilégiée laisse dans l’ombre l’important courant réformateur et critique de la new museology qui, dans les écrits anglo-saxons, conduit également à repenser les relations entre le musée et ses communautés. Les modalités des rapports concrètement établis entre musées et communautés de référence restent par ailleurs imprécises. Quelles sont les différences entre, par exemple, participation, collaboration, inclusion, coopération ou encore consultation ?

5Par contraste, le texte proposé par Joëlle Le Marec (« La participation. Pour un retour au politique en muséologie et dans le domaine “sciences et société” ») se démarque par l’ampleur et la profondeur de sa théorisation. L’auteure resitue la participation dans le champ de la muséologie des sciences, à la fois comme composante intrinsèque du projet et comme reflet de la montée en puissance de la communication dans la société. Elle propose alors une critique de la participation qui peut conduire tout autant à l’émancipation qu’à un contrôle accru : dans ce cas, « il s’agi[ra] d’organiser l’implication plus que de repenser les modalités de la décision » (p. 28). Domine alors une volonté régulatrice, qui « technicise et dépolitise la participation » (ibid.). Cette analyse permet d’introduire une réflexion bienvenue, d’ordre politique, sur les tensions entre « émancipation » et « inclusion » (p. 161) qui traversent la participation.

6Dans les deux parties suivantes, les lecteurs trouveront un large spectre de cas, muséaux et extra-muséaux, d’expériences de participation. On peut néanmoins déplorer que la façon de présenter ces contributions ne favorise qu’imparfaitement la théorisation à partir des expériences ou le regard critique face aux limites de celles-ci. On note tout d’abord une certaine redondance entre les deux parties. Par exemple, Julie Guyot-Corteville (« Médiation et participation : une évidence et une gageure ») propose un cadre de conceptualisation intéressant, en indexant la participation à la médiation, démarches qui toutes deux « obligent les professionnels à se livrer à un travail réflexif sur leurs pratiques et à revoir leur position d’autorité au sein de l’institution » (p. 127). Mais elle appuie ses propos en citant quatre intervenants d’une table ronde, intervenants dont les propos sont repris en troisième partie, retranscrits (peut-on supposer) sous forme de contribution.

7Par ailleurs, certains des cas présentés s’avèrent peu convaincants : ne s’agit-il pas parfois de simple médiation plus que réelle participation ? Dans les activités « collaboratives » du Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MUCEM) (mise en place temporaire d’un comité d’usagers ; résidences artistiques), on peine à voir quelle place est réellement laissée à un investissement et à des choix effectués par les publics participants (Cécile Dumoulin, « Du terrain aux publics, quelques démarches collaboratives du jeune MUCEM »). Sont mentionnées des formes très modestes de participation (par exemple, dons d’objets). Quand il y a « possibilité d’assister à la genèse de l’exposition et [d’]y participer » (p. 157), s’agit-il de la co-concevoir ou simplement de valider des propositions ? Quelles sont les conditions de validation du choix d’une artiste en résidence pour créer des installations sur la mémoire d’un quartier (ibid.) : les habitants restent-ils simples fournisseurs de données, ce qui constituerait plutôt une nouvelle forme d’instrumentalisation ?

8On voit mal ce qui distingue les expériences menées des nombreux dispositifs de médiation culturelle réalisés dans le domaine social et socioculturel, dispositifs auxquels les musées, sortant enfin de leurs murs, semblent ici s’ouvrir. Certains paradoxes dans les décisions du musée remettent en question la capacité de l’institution à prendre véritablement la mesure des enjeux. Le fait que des usagers rassemblés dans un comité « acquièrent un vocabulaire et des références, connaissent de l’intérieur le projet muséal et ses acteurs » est la cause de l’interruption de l’expérience au motif que « c’est précisément un autre regard qu’on [les responsables du musée] attend, un regard qui ne soit pas expert, même s’il n’est pas forcément naïf » (p. 155). Or l’acquisition de compétences et de connaissances par les publics n’est-elle pas un des buts mêmes de la participation ? L’autre raison avancée pour stopper l’expérience est le manque de temps à consacrer à ce dispositif. Il nous semble que ce cas témoigne dans l’ensemble d’une mésestimation des enjeux et des moyens (humains, techniques et en temps) nécessaires à la mise en œuvre de réelles démarches participatives.

9Dans l’ensemble, les analyses réflexives pointant les limites ou les obstacles des expériences sont peu présentes. Rapidement évoquées par Guyot-Corteville, elles sont pourtant intéressantes quand elles permettent de mieux comprendre le rôle des acteurs intermédiaires, des différents types de communautés, des « formes de coopération concurrentielle [qui] se créent entre des porteurs de projets » (p. 23). Par exemple, Morane Chavanon (« Les habitants, nouveaux acteurs du patrimoine ? ») montre la compétition entre associations pour s’assurer la légitimité de représenter et d’exprimer la « vraie » mémoire des habitants, en affirmant qu’ils « ont quelque chose à voir avec ce qui s’est passé avant et qui ont quelque chose à voir avec ce qui se passera plus tard, parce que ce sont eux qui vont le faire, et qui seront un élément de cette histoire » (p. 21).

10Par la confrontation des regards, l’ouvrage souhaite amorcer une réflexion collective pour repenser la participation aujourd’hui. Au bout du compte, on peut regretter que l’ensemble, centré sur une tradition française et nourri des héritages de ses grandes figures, n’ouvre pas plus largement ce dialogue à des expériences autres que françaises. Seule la contribution de Michel Colardelle et Colette Foissey (« Quelle(s) participation(s) des communautés ultra-marines dans un nouveau projet de musée ? Mis en perspective de deux cas : Mayotte et la Guyane ») aborde avec rigueur la nature à la fois attentive aux procédures et respectueuse des sensibilités des démarches participatives en contexte interculturel. Pour Alexandre Delarge, le « cas […] des communautés autochtones, qui souhaitent emprunter au musée, pour leur propre usage, des objets issus de leur groupe culturel » est « intéressant », mais « extrême » (p. 162). Il nous semble au contraire que la muséologie collaborative, réalisée en lien avec des communautés autochtones, telle qu’elle est explorée dans une abondante littérature (principalement anglo-saxonne), constitue un laboratoire particulièrement riche qui gagnerait à être pris en compte pour dresser un état des lieux contemporain de la participation en milieu muséal.

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Bibliographie

KINARD, John (1985), « Le musée de voisinage, catalyseur de l’évolution sociale », dans Marie-Odile de BARY, André DESVALLÉES et Françoise WASSERMAN (dir.), Vagues. Une anthologie de la nouvelle muséologie, Mâcon, W-Editions MNES, p. 109-118.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Gaëlle Crenn, « Alexandre DELARGE (dir.), assisté d’Isabelle ROUSSEL (2018), Le musée participatif. L’ambition des écomusées »Communication [En ligne], vol. 36/1 | 2019, mis en ligne le 16 avril 2019, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/communication/9213 ; DOI : https://doi.org/10.4000/communication.9213

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Auteur

Gaëlle Crenn

Gaëlle Crenn est membre du Centre de recherche sur les médiations (CREM), Université de Lorraine. Courriel : gaelle.crenn@univ-lorraine.fr

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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