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« Comment roys et princes doivent diligamment entendre a la conduite et gouvernement de leurs finances ». Portrait du prince en maître des comptes à la fin du Moyen Âge.

Jean-Baptiste Santamaria

Résumés

Le développement d’une administration financière considérable à la fin du Moyen Âge semble avoir éloigné les princes de la gestion des finances. En réalité, ce désintérêt parfois affiché est un calcul politique, destiné à protéger le prince d’une réputation d’avare et de cupide, notamment du fait de l’essor d’une fiscalité très mal perçue. La question du rapport personnel du prince à l’argent est à la croisée de l’histoire culturelle et administrative et passe par l’analyse des sources littéraires comme financières, des miroirs des princes et des règlements administratifs. Les princes continuent de recevoir une éducation à l’argent : les miroirs des princes les alertent en particulier sur la mesure qu’ils doivent avoir face à une puissance destructrice capable de les mener sur les voies de l’avarice. Le sujet gagne en importance entre le xiiie et le xve siècle, dénonçant aussi bien la cupidité que la « folle largesse » dont les effets sont désastreux car ils entraînent la hausse des impôts. Le prince dédaigneux de ses comptes est donc un mauvais prince, et certains traités comme l’Instruction d’un jeune prince entendent former un véritable spécialiste des finances tout en conservant le socle moral ancien. Dès lors, la perte d’intérêt parfois affichée par les princes est un trompe-l’œil : certes, une partie du travail le plus fastidieux échappe désormais à leur attention, notamment l’examen des comptes, du moins des plus secondaires. Le temps des institutions et des chambres des comptes semble les dessaisir et les princes jouent de cette idée pour protéger leur réputation lorsqu’on leur demande des comptes. Mais le prince refuse d’abandonner le contrôle sur cet élément essentiel de son pouvoir. La maîtrise des enjeux financiers est d’ailleurs patente si l’on suit la formation empirique reçue par les princes, et les lettres de Charles V comme de Louis XI témoignent de leur connaissance, de leur intérêt, voire de leur goût pour la question. Paradoxalement, le xve siècle si marqué par l’essor bureaucratique voit surgir la figure du prince expert : Charles VII se retrouve ainsi représenté au temps de Louis XII au milieu de sa Chambre des comptes, tandis que Louis XI cache de moins en moins son intérêt pour l’argent. Une tendance similaire se rencontre chez les ducs de Bourgogne, et la rupture semble évidente entre un Philippe le Bon présenté comme dispendieux et Charles le Téméraire, que Georges Chastellain ou Olivier de la Marche nous montrent au fait de toutes les questions financières et effectuant lui-même le compte de ses richesses, non par avarice mais afin d’éviter de pressurer ses sujets. Loin d’être isolées, ces figures apparaissent en fait assez banales : l’œuvre poétique de Charles d’Orléans est ainsi truffée d’allusions financières, et le prince poète se vante d’examiner lui-même ses comptes durant sa captivité anglaise. Même Philippe le Bon est présenté par Olivier de la Marche comme celui qui fait rendre compte de l’honneur des chevaliers de la Toison d’Or lors de la tenue du chapitre de Gand en 1445. Ce faisant, il reprend la métaphore assez classique de la « grand chambre des comptes » qui attend chacun dans le ciel, lorsqu’il devra rendre compte de ses actes devant Dieu.

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Texte intégral

Introduction

  • 1 Petitot, Claude-Bernard (éd.), Mémoires de Messire Olivier de La Marche, volume 2, Paris, 1820, p.  (...)
  • 2 Par exemple sur les miniatures accompagnant les ordonnances de réforme des finances de Charles VI, (...)
  • 3 Le Goff, Jacques, Le Moyen Âge et l’argent. Essai d’anthropologie historique, Paris, Perrin, 2010, (...)
  • 4 On trouve exprimée cette opposition insistant sur les « excès » de la dépense nobiliaire dans Basch (...)

1Pour qui s’intéresse à la mise en scène du pouvoir princier dans ses rapports à l’argent, la fin du Moyen Âge offre deux fortes images : celle du duc de Bourgogne Charles le Téméraire comptant avec ses jetons d’or les dépenses de son hôtel1, celle du roi de France Charles VII présidant au contrôle des officiers au sein de sa Chambre des comptes2. Quand on sait le statut problématique de l’argent, tout particulièrement aux yeux de l’Église3, et en des temps de développement de l’imposition, ces portraits semblent manifester un état d’esprit nouveau voire décomplexé dans le rapport du prince à ses finances : on n’hésiterait plus à peindre le roi ou le duc sous les traits d’un grand argentier. Assiste-t-on à une rupture profonde, ou bien, comme c’est parfois le cas chez l’historien, ce qui est vu comme neuf n’est-il pas le fait d’une ignorance ? Ces représentations traduisent-elles un intérêt personnel réel des princes pour leurs propres affaires financières, à mille lieues d’une « largesse » trop souvent présentée comme contraire à un esprit d’économie « bourgeois »4 ? Pour le comprendre, il faut suivre le cheminement du rapport des princes à l’argent, en particulier au leur.

  • 5 Lameere, Eugène, Le grand conseil des ducs de Bourgogne de la maison de Valois, 2 vol. , Bruxelles, (...)
  • 6 Contamine, Philippe « Réformer l’État, rationaliser l’administration : à propos du contrôle des fin (...)
  • 7 Autrand, Françoise, « La guerre des gens de finance en 1406 d’après le Songe véritable », dans Kerh (...)
  • 8 Bériou, Nicole, « L’esprit de lucre entre vice et vertu : variations sur l’amour de l’argent dans l (...)
  • 9 Heers, Jacques, Naissance du capitalisme au Moyen Âge. Changeurs, usuriers et grands financiers, Pa (...)
  • 10 Paravicini, Werner, « Administrateurs professionnels et princes dilettantes. Remarques sur un probl (...)

2L’administration financière constitue l’un des points forts de la progression des Etats princiers à la fin du Moyen Âge, qui voit l’émergence d’un « État de finances ». À ce titre, la bibliographie fort abondante sur le personnel et les institutions permet de mieux connaître la mise en place de ce « monstre froid ». Mais la place du prince dans le dispositif n’a que peu intéressé les historiens, sensibles d’abord au développement d’institutions autonomes, selon le processus bien connu de démantèlement de la Curia Regis5, s’intéressant ensuite aux pratiques administratives et au soubassement sociologique de l’État que constitue le monde des officiers6. Dans ce schéma, le prince semble s’éloigner de la gestion des finances au fur et à mesure qu’émergent ces intermédiaires bien commodes pour concentrer la colère antifiscale7. Les sources ne sont pas promptes à mettre en scène les princes dans leur rapport à l’argent, tant le sujet est risqué : la progression des finances s’est faite par un impôt difficile à assumer pour le pouvoir. Le statut si complexe et sulfureux de l’argent, malgré une progressive réhabilitation8, impose des précautions. Les métiers qui en sont proches font l’objet de virulentes critiques dont les princes veulent être exempts, bien qu’ils entretiennent des liens étroits avec financiers, monnayeurs, changeurs et usuriers9. Par ailleurs, le rôle d’un prince n’est pas de maîtriser les processus techniques. D’où le tentant modèle établi par Max Weber distinguant « prince dilettante » et « administrateur professionnel », dont l’origine serait justement financière : « Par le problème des finances commença l’expropriation du prince qui, dans ce domaine d’abord, est devenu politiquement non-spécialiste, c’est-à-dire dilettante10. »

  • 11 Scordia, Lydwine, « Le roi, l’or et le sang des pauvres dans Le livre de l’information des princes, (...)

3Pourtant, rois, ducs et comtes semblent manifester un intérêt personnel pour ces questions, qui point particulièrement au xve siècle : le prince n’entend nullement abandonner la main sur cet enjeu crucial, d’ailleurs encouragé par une partie de ses conseillers évoquant un devoir moral. La littérature politique, en particulier les miroirs des princes et traités définissant un idéal de comportement, constituent un terrain de choix. A la confluence d’une approche culturelle et d’un regard politique, le rapport complexe entretenu par les rois de France à l’argent commence à intéresser la recherche11. Mais les témoignages relatifs à l’implication personnelle de princes dans le maniement de l’argent, quoique plus rares, sont indispensables pour cerner la réalité de leur implication et de leur connaissance : la place d’un prince est-elle aussi au comptoir ? L’enquête partira de la littérature politique et de la place qu’y occupent, notamment dans les miroirs des princes, les questions d’argent, entre expression d’un idéal et souci d’un enseignement précis. Nous mesurerons ensuite les ressorts ayant donné l’impression d’une forme d’éloignement du prince, pour terminer sur les signes visibles de résistance voire de réhabilitation des pratiques comptables chez les princes de la fin du Moyen Âge.

Le miroir d’argent : éduquer aux finances ?

Les miroirs des princes et le pouvoir destructeur de l’argent

  • 12 Krynen, Jacques, Idéal du prince et pouvoir royal en France à la fin du Moyen Âge.1380-1440, Paris, (...)
  • 13 Id., L’empire du roi. Idées et croyances politiques en France. xiiie-xve siècle, Paris, 1993, p. 16 (...)
  • 14 Les Fraticelles savent ce qu’il en coûte d’affirmer la « pauvreté absolue » du Christ !
  • 15 Rigaudière, Albert, « L’argent au Moyen Âge » dans Penser et construire l’État dans la France du Mo (...)

4Les portraits de princes fournis par les auteurs médiévaux sont très discrets sur les compétences comptables et financières, à la différence des capacités écrites, ce qui n’est pas sans incidence sur les biographes modernes. Les miroirs du prince placent en tête de leurs préoccupations la foi et les vertus chrétiennes12. Le roi doit regere, régir le monde marqué par la Chute, sa fonction est de nature éthico-religieuse. Le rapport du prince à l’argent est donc posé dans un cadre moral, ce qui entraîne de lourdes conséquences car l’argent peut le conduire au vice et engendrer ce vice autour de lui. Jean de Salisbury insiste sur les dangers de l’argent et de la convoitise pour le prince13. Si l’idéal de pauvreté absolue n’est plus vraiment à l’ordre du jour14, l’Église développe une condamnation violente de l’enrichissement douteux. Dès le début du xiiie siècle, les figures de l’usurier et de l’avare deviennent une cible majeure des prédicateurs, qui y ajoutent les marchands et les officiers royaux. Leur enrichissement grâce à un impôt trop lourd est condamné : le prince doit s’en désolidariser15.

  • 16 Krynen, L’empire.., op. cit., p. 170-178.
  • 17 Citant saint Jérôme, l’auteur rappelle que « ceux qui veulent s’enrichir tombent dans le piège et l (...)
  • 18 « Faits du grand Alexandre », dans Régnier-Bohler, Danielle (éd.), Splendeurs de la cour de Bourgog (...)
  • 19 Qui reste très théorique ! Rigaudière, Albert, « L’essor de la fiscalité royale », dans Rigaudière (...)
  • 20 Santamaria, Jean-Baptiste, La Chambre des comptes..., op. cit., p. 282-294.

5La seconde génération des miroirs, plus sensible aux transformations bureaucratiques, particulièrement sous Saint Louis, développe davantage les enjeux financiers16. Vincent de Beauvais en témoigne, mais il n’en insiste que plus sur le péché d’avaritia17. Encore au xvsiècle, Vasque de Lucène reproche à Alexandre son avarice, parce qu’il est avide de collecter des tributs18. L’impact de telles réflexions semble évident. L’idée que l’argent du prince serait un argent « public » et aurait un statut à part ne pénètre que très difficilement la réflexion morale, probablement jusque chez les princes. Si les juristes peuvent développer, en s’appuyant sur le droit romain, l’idée d’une spécificité du fisc et du domaine royal, voire de l’impôt19, l’idée ne progresse pas nécessairement aussi vite partout : encore au xve siècle, l’idéal d’un domaine inaliénable dont le statut serait différent des propriétés foncières de la noblesse n’est que faiblement enracinée dans l’État bourguignon20.

  • 21 Baldwin, John, Philippe-Auguste, Paris, Fayard 1991, p. 82-83.
  • 22 Autrand, Françoise, Charles V, Paris, Fayard, 1994, p. 847. Au même moment, Charles V remboursait s (...)
  • 23 Autrand, Françoise, « La guerre des gens... », art. cit.
  • 24 Vincent de Beauvais, De l’institution du prince, op. cit., p. 201-203.
  • 25  Viollet, Paul, « Notes sur le véritable texte des instructions de Saint Louis à sa fille Isabelle (...)
  • 26 « Si tu tiens riens de l’autrui ou par toy ou par tes devanciers, se c’est chose certaine, rens le (...)
  • 27 « Fay trop bien prendre garde des despens de ton hostel que ilz soient raisonnables et amesurés ». (...)

6On sait les difficultés que Philippe Auguste avait rencontrées pour lever l’exorbitante « dîme de Saladin » en 1188-1189, qui le conduisirent en 1190 à en arrêter la collecte par crainte que la Croisade ne soit condamnée d’avance par Dieu en raison de cette injustice frappant les pauvres21. Deux siècles plus tard, le geste apparemment incompréhensible de Charles V abolissant les fouages sur son lit de mort, s’inscrit dans cette continuité, et témoigne bel et bien du maintien d’un « interdit moral » sur l’impôt, en particulier à une époque où la situation militaire s’est nettement améliorée. Rappelons cependant - signe de l’évolution - que seuls les fouages étaient concernés, et non tous les impôts22. Il en va de l’âme, mais aussi de l’honneur du roi. Car le développement de la fiscalité, lent au xiiie siècle puis brutal au xive siècle, va peser sur l’image du prince. Le discours antifiscal, la haine suscitée par les gens de finances ne se démentent pas : receveurs, généraux des aides sont les cibles d’une violence verbale maximale au sein de la littérature politique23. Le sujet est déjà parfaitement clair au temps de Saint Louis. Vincent de Beauvais rappelle au jeune prince qu’il ne doit « rien acquérir injustement », invoquant les Saintes écritures mais aussi Cicéron. Il assimile le patrimoine du prince à des « biens domestiques ». Dès lors, toute confiscation à son profit est assimilée à l’avarice, et condamnée fermement. Prendre les biens de ses sujets, c’est agir en loup, en pillard, et se vouer à l’Enfer24. La question est si essentielle que les Enseignements de Saint Louis rapportés par Joinville, abordent le sujet. Ce texte circulant encore largement sous Charles V pose d’ailleurs problème sur ce point : « Ne convoite pas sus ton pouple, ne le charge pas de toutes ne de tailles. » La citation semble un ajout de Joinville, nullement présente dans les versions les plus authentiques. Il est clair que le basculement qui s’opère sous le règne de Philippe IV conduit Joinville, ainsi que les auteurs des Grandes chroniques, à dénoncer les tailles par la bouche de Saint Louis25 ! En revanche, toutes les versions insistent bien sur l’interdiction formelle de s’emparer de biens mal acquis26, et la nécessité de limiter les dépenses de l’hôtel. Veiller à ses finances est donc loin d’être, aux yeux de Saint Louis, une activité indigne27. Dans la version longue de ses enseignements, il précise :

  • 28 Viallet, Paul, « Note... », op. cit.

7« Chier filz, je t’enseigne que tu metes grant entente a ce que li denier que tu despendras soient en bon usage despendu et que il soient pris droiturierement. Et c’est un sens que je voudroie moult que tu eusses, et est à dire que tu gardasses de foles mises et de mauveses prises et que tes deniers feussent biens pris et bien mis28. »

8Prise et mise, recette et dépense : voilà rappelée la bonne structure d’un livre de compte ! S’appuyant sur une gestion de bon seigneur devant vivre du sien, le roi se doit d’être très vigilant. Vincent de Beauvais l’avait déjà expliqué : c’est une condition de la justice.

  • 29 Krynen, Jacques, L’empire du roi.., op. cit., p. 168.
  • 30 En particulier à partir du Liber de informatione principum probablement adressé à Louis X. Krynen, (...)
  • 31 Krynen, Jacques, L’empire du roi..., op. cit., p. 186.
  • 32  Deux exemplaires sont conservés à la bibliothèque royale de Bruxelles (Ms. 9468 et 9475). Scordia, (...)

9Réagissant à l’évolution de l’État29, les miroirs des derniers capétiens et des Valois développent le thème de la complexité des tâches du souverain, multipliant les exemples précis30. S’y greffe une réflexion sur le développement d’un idéal de bien commun articulé à la conception d’un prince maître de la raison, largement diffusée par le De regimine principum de Gilles de Rome31. Le Livre de l’information des princes dédié à Louis X aborde frontalement la question, dans des proportions inédites. Rappelant la nécessité de « vivre du sien », dénonçant l’avarice, il s’oppose à l’impôt permanent, manifestation de la tyrannie et conséquence des péchés du roi et de sa cour. Il dénonce en creux le règne de Philippe le Bel et l’influence d’Enguerrand de Marigny, des curiaux et mauvais conseillers, insistant sur la traditionnelle réforme morale du roi. Cependant, il souligne le lien entre puissance et richesse : « il est expedient au roy avoir richesces, assembler tresors. » La richesse constitue un moyen de susciter la crainte. Richesse et sagesse sont associées sous la figure de Salomon, un lien qui sera ensuite repris par Jean Golein au sujet de « Charles cinquiesme de ce nom, surnommé le riche. » Le manuscrit circule largement chez les Valois, auprès de Charles V, Jean de Berry, Louis d’Orléans, et des ducs de Bourgogne32.

  • 33 Boudet, Jean-Patrice et Sené, Elsa, « L’Avis à Yolande d’Aragon : un miroir au prince du temps de C (...)

10Signe de l’importance accrue des enjeux financiers dans les miroirs du xve siècle, l’avis à Yolande d’Aragon rédigé vers 1425, probablement destiné à Charles VII, mentionne 23 fois le terme finance(s), soit davantage que justice, conseil, gouvernement, ou guerre. Reste que le ton demeure conservateur, invitant à diminuer le nombre d’officiers et à modérer les dépenses pour pouvoir réduire le déficit ; encore que l’auteur ne soit pas ignorant des pratiques du temps, conseillant même de recourir à l’emprunt forcé pour les guerres33 !

Une connaissance nécessaire au « bon prince».

  • 34 Krynen, Jacques, L’empire du roi..., op. cit., p. 210-211.
  • 35 Genet, Jean-Philippe, « Une révolution culturelle au Moyen Âge ? », Le débat, n° 14, 1981, p. 158-1 (...)
  • 36 Weisheipl, J, « The Place of the Liber Arts in the University Curriculum during the XIVth and XVth (...)
  • 37 Krynen, Jacques, L’empire du roi..., op. cit., p. 213.
  • 38 BN, fr. 1197, f° 3-4.
  • 39 Et ne suscite guère non plus l’intérêt des modernes. Ibid., p. 216-223.

11L’intérêt des miroirs pour l’instruction du prince ne va guère jusqu’à recommander le calcul. Vincent de Beauvais insiste sur l’importance des lettres (la peritia litterarum). Le De regimine principum insiste sur le latin et les arts libéraux, sans grande précision cependant, préférant mettre en avant les sciences plus nobles, théologie et héritage aristotélicien en tête (éthique, économie, politique34). Si « les vertus technocratiques ont une longue histoire derrière elles35 », force est de reconnaître que leur dimension mathématique est négligée. Cela peut être interprété comme le signe de son caractère secondaire, par rapport à la grammaire et à la rhétorique, au sein des arts libéraux36. J’y verrais une certaine méfiance quant au risque de présenter le prince comme trop intéressé par ses finances. Ce n’est pas un hasard si la science mathématique mise en avant est celle la plus éloignée de ce monde : l’astronomie. Charlemagne peut être « grant astronomien », comme Abraham et Moïse ; on peut à la rigueur convoquer la géométrie. Mais guère plus. Gerson est un des rares à aborder l’économie37. Christine de Pizan exalte certes le « droit artiste » que doit être le roi, maître des arts libéraux, mais n’en dit pas plus. Son Livre du Corps de policie n’est pas plus loquace38. De toute façon, la hiérarchie est nette chez tous, plus particulièrement chez Juvénal des Ursins, entre les sciences nobles de la philosophie et d’Aristote et les arts libéraux, et à l’intérieur de ces derniers ce qui relève des mathématiques reste secondaire39.

  • 40 Vincent de Beauvais, De l’institution..., op. cit., p. 201.
  • 41 Ibid., p. 202.
  • 42 BN, fr. 1197, f° 7.
  • 43 Ibid., f° 12 r. « et par ces voies les sages varles si bien les deffendent et gardent que bon compt (...)
  • 44 Ibid., f° 24.
  • 45 Ibid., f° 16 r.

12Sans l’avouer, ces miroirs attendent pourtant un prince calculateur. Vincent de Beauvais souligne dans De l’institution morale du prince une exigence : « il doit être sage dans l’administration et la gestion des biens temporels40. » Recommandant de s’appuyer sur des hommes d’Église, il invite le prince à distinguer usage personnel de l’argent, dicté par la nécessité, et usage public, fondé sur la libéralité. Or cette dernière n’est pas une largesse infinie : la bonne libéralité est à la fois calculée et juste : elle « ne dépasse pas nos ressources» et « donne à chacun selon ses mérites. » Par l’image de la bourse qui ne doit être ni trop ouverte ni trop fermée, l’auteur en appelle à ce principe fondamental hérité des Antiques, « la règle d’un juste milieu41. » Christine de Pizan impose elle aussi au prince une exigence comptable, à la fois métaphorique et pratique : il « aura à rendre compte42 » et ses gens lui doivent des comptes43. Manifestant sa « franche liberalité44 », il ne doit cependant vivre que de ses revenus licites, « sans trop prez rongnier son poure commun ne jusques au sanc », tondant ses brebis sans les écorcher45.

  • 46 Guery, Alain, « Le roi dépensier. Le don, la contrainte et l’origine du système financier de la mon (...)
  • 47 Guenée, Bernard, « Le prince en sa cour. Des vertus aux usages (Guillaume de Tyr, Gilles de Rome, M (...)
  • 48 Bordiere, Henri-Léonard, Philippe de Rémi, sire de Beaumanoir, juriste et poète national du Beauvai (...)
  • 49  « Par ce conte poés savoir/ Que fox larghes pert son avoir ». Philippe de Beaumanoir, Le dit de fo (...)
  • 50 Guenée, Bernard, « Le prince en sa cour... », art. cit.
  • 51 Krynen, Jacques, L’empire du roi..., op. cit., p. 197
  • 52 Jean Juvénal des Ursins, Histoire de Charles VI, dans Choix de chroniques et mémoires sur l’histoir (...)
  • 53 Christine de Pizan, Le livre des fais et bonnes meurs du sage roy Charles V, éd. S. Solente, Paris, (...)

13Assurément, le don est une dimension fondamentale du pouvoir monarchique en France jusqu’à la Révolution, touchant à son honneur et sa position dominante. Donner, c’est ordonner46. En ce sens, la libéralité est la vertu propre au prince chez Gilles de Rome, mais aussi Michel Pintoin47. Mais être libéral ne signifie pas « dépenser sans compter ». Philippe de Beaumanoir, qui n’est pas un moine à mille lieues du pouvoir, mais un chevalier et légiste du roi, dénonce dans son « dit de folle largesse48 » le risque de « perdre son avoir » si l’on ne distribue pas à proportion de ses revenus et des mérites49. Même équilibre chez Gilles de Rome qui se place dans les pas d’Aristote : entre prodigalitas et avaritia, l’idéal est la vertu moyenne, liberalitas ou largitas50. La folle largesse reste un thème très présent, associé à l’impôt, particulièrement sous Charles VI, âge d’or des dépenses curiales. Philippe de Mézières met en garde contre « les foles et superfleuses despences qui se font par orgueil entre les Crestiens, les grans tyrannies et oppressions des peuples et des eglises51. » Dénonçant aux côtés des gens de justice les receveurs et trésoriers, Mézières fait un portrait terrible du corps administratif. Mais le roi peut être directement mis en cause : Jean Juvenal des Ursins dépeint Charles VI comme « large et abandonné à l’argent distribuer et donner les finances ». Aussi commet-il des « exactions sur les gens d’église » sous d’autres prétextes : face à lui, les gens de la Chambre des comptes incarnent la justice : « tres mal contens », ils s’opposent aux « dons excessifs52 ». Christine de Pizan va dans le même sens, insistant sur les effets d’un tel comportement : « folle largesse est un vice […] ; un vice déplaisant à Dieu, qui ne veut pas qu’on prodigue des faveurs non méritées [...] Une telle largesse nécessite de fréquentes et d’injustes extorsions53. » En cas de libéralité inconsidérée, c’est le peuple qui en pâtira. L’idée d’une réflexion sur la limite des dépenses est donc bien présente dès le Moyen Âge.

  • 54 BNF, Fr. 1485, f. 130-132.

14Le prince dédaigneux de ses comptes peut être une réalité du xive siècle, mais pas un idéal. Un curieux épisode du Roman de Mélusine rédigé à l’intention de Jean de Berry en atteste, avec quelques variantes manuscrites. Le comte de Lusignan Geoffroy s’y révèle mauvais gestionnaire : « tellement que en ces dix ans on ne rendist aulcuns comptes, ne il ne lui en challoit54. » On l’avertit alors : « Monseigneur, oyez vos comptes, si sçaurez comment vous vivez. » Mais il invoque les arguments traditionnels de la noblesse prodigue : « et quelx comptes voullez-vous que je oye, quant vous et moy sommes tous aises ; et que mes forteresses sont bien soustenues et ordonnees, et en bon point, et que que vous me baillez de l’argent quant je en comande et me faictes finances de ce que je vueil avoir ?... Cuidiez-vous que je vueille faire une maison d’or ? Celles (sic) de pierre que mon seigneur mon père et madame ma mère me ont laissée me souffisent bien. » Vivre sans compter, ne pas convoiter d’or inutile et conserver son héritage lui semblent en adéquation avec son statut.

  • 55 Jehan d’Arras, Mélusine, Charles Brunet (éd.), Paris, 1854, p. 411. Il s’agit d’une édition fondée (...)
  • 56 Le manuscrit Français 1485 indique qu’il fut entamé en 1387 et achevé le 8 août 1393. BN Fr. 1485, (...)
  • 57 Moulins en 1374, Bourges en 1379, Dijon et Lille en 1386, Blois en 1388.
  • 58 BN Fr 1485 f. 130.

15Mais les receveurs ne s’en laissent pas conter, lui évoquant son devoir : le manuscrit utilisé par Charles Brunet en fait même une exigence princière : « monseigneur, ne peut ung prince faire moins que de ouyr ses comptes unes fois chascun an55. » Le rythme annuel correspondait à la procédure des Chambres des comptes princières. Or le texte, rédigé entre 1387 et 139356, date justement du grand moment de floraison des Chambres des comptes57. Le comte s’y résout : le manuscrit Français 1485 expose que « tant parlerent a Geuffroy qu’il se consenty de ouir ses comptes, et fut le jour mis et ordonné. Lors vindrent les receveurs de toutes ses terres, et entrerent en une chambre58. » Là encore, le manuscrit utilisé par Brunet est plus explicite : « et fut jour assigné. Adonques vindent tous ses recepveurs de toutes ses terres, et entrèrent en une bonne chambre fermée. Là fut Geuffroy et ceulx qu’il avoit commis pour les ouyr. » Le prince est donc présent en personne en un lieu fermé correspondant au secret exigé dans toute Chambre des comptes. Geoffroy apprend alors qu’il paie une rente de 10 sous sans savoir à qui ni pourquoi : ses receveurs lui expliquent alors que, depuis que sa mère avait dû quitter son père Raymondin, une main gigantesque abattait tous les ans une tour, jusqu’à ce qu’un homme conseillât au comte de déposer une bourse de 120 deniers sur la pièce de bois soutenant les combles. Geoffroy décide d’attendre la venue du percepteur : arrive un grand chevalier, qu’il affronte. Voyant sa vaillance, le chevalier lui explique que le paiement est une pénitence imposée par le pape à son père « pour le parjurement de sa foy qu’il avoit faulsé envers ta mère. » Il recommande à Geoffroy de fonder un hôpital ou une chapelle pour l’âme de son père et lui abandonne la rente ! Même dans cet univers chevaleresque et légendaire, se pose la question de la valeur de l’argent, de ce qui est dû, justement ou non. Mesurer ce dû ne peut passer que par la tenue des comptes, où les dettes du père sont portées au débit du fils.

16Un prince ne peut donc se cacher derrière l’ignorance pour commettre l’injustice. Aux yeux des Parisiens, Charles VI doit s’enquérir de l’état exact de ses finances, pour sauver son peuple de ses agents :

  • 59 Enguerrand de Monstrelet, Chroniques, éd. L. Douët-d’Arcq, t. 2, Paris, 1858, p. 317.
  • 60 Le songe véritable. Pamphlet politique d’un parisien du xve siècle, éd. H. Moranvillé, Paris, 1891, (...)
  • 61 Il faut évidemment voir ce « bel exemple » comme une antiphrase. Commynes, Mémoires, édité par B. d (...)
  • 62 « Les princes et mesmement le roy Louys XI, soy confians de l’argent qu’ils levoient sur le peuple, (...)

17« Item, il est necessité que vous sachiez où est l’argent de votre royaume de deux ou trois ans en ça, pardessus et oultre le domaine et les aides, onquel temps ont esté levées plusieurs tailles, dixiesmes, demy dixiesmes, imposicions, maletoltes, réformacions et plusieurs autres manières d’avoir finances. Desquelles choses le prévost de Paris s’est entremis, comme il est notoire59. » Même reproche formulé dans le Songe Véritable : Jean de Berry a pillé le trésor car il ne rend pas compte au roi : « Il doit bien estre mis en compte,/Car sans mesure et sans compte/En a il pris par grant oultrage60. » Commynes estime que c’était la faiblesse de Charles VIII que de trop s’en remettre à ceux qui « manyoient ses finances, comme ledit cardinal [de Saint-Malo]. » « Et est bel exemple pour les princes, car il faut qu’ilz preignent la payne eulx mesmes de conduyre leurs affaires61. » Claude de Seyssel y voit une faute de l’ensemble des princes du temps, en particulier de Louis XI62.

  • 63 Thomas Bazin, Histoire des règnes de Charles VII et Louis XII, éd. Quicherat, t. I, Paris, 1855, p. (...)

18L’ignorance du roi est certes une manière de ne pas tenir ce dernier comme un coupable intentionnel. Les institutions et les agents jouent bien ce rôle de paravent, voire de paratonnerre. Mais l’ignorance et la faiblesse sont coupables. Dénonçant les détournements de l’argent de l’Église et les prévarications commises par les officiers de Charles VII et notamment Jacques Cœur, Thomas Bazin en attribue la responsabilité directe à Charles VII, poussé par la vanité, par son amour adultère pour Agnès Sorel, par sa faiblesse envers ses créatures63.

Vers le prince expert ? L’instruction d’un jeune prince et l’argent.

  • 64 Un doute demeure sur l’auteur, soit Ghillebert soit son frère Hugues. Sterchi, Bernhard, « Hugues d (...)

19La cour de Bourgogne est particulièrement propice au rappel de la nécessité d’un prince bien informé et compétent en matière financière, dans un État où la levée de l’impôt est fragile et suppose une adhésion des états. Le thème acquit une importance nouvelle sous Philippe le Bon grâce aux écrits attribués à Ghillebert de Lannoy. Déjà aux environs de 1439, un « avis baillié à monseigneur le duc de Bourgongne64 » abordait le sujet :

  • 65 Potvin, Charles, Oeuvres de Ghilebert de Lannoy, Louvain, 1878, p. 295-296.

« que mondit seigneur voulsist entendre au fait de ses finances et de sa despense, mieulx et plus sagement qu’il n’a fait jusques à présent, et se pourveoir de trésor, afin que se guerre ou aucun grant affaire touchant son honneur ou la deffense de ses subgès luy survient, qu’il y puist notablement et hastivement résister comme il appartient65. »

  • 66  Sur Ghillebert de Lannoy, voir notamment Paviot, Jacques, « Ghillebert de Lannoy », dans Desmedt, (...)
  • 67 La version B se montrait plus prudente et attendait du prince qu’il fasse voir ses recettes et en f (...)

20Si le lien entre guerre et finance se trouvait déjà chez Vincent de Beauvais, aux yeux de Lannoy, la posture désinvolte du prince n’était pas acceptable ; le prestige, l’expérience et l’appui sans faille de cet homme cumulant les talents de chevalier, de croisé, d’ambassadeur et de conseiller lui permettaient certainement d’exprimer ces pensées sévères66. Lannoy incitait d’ailleurs le prince à se plonger lui-même dans les comptes : « l’encommencement de ceste besoigne seroit que mondit seigneur veist, de prime face, tout du long, les charges qui sont sur les receptes de tous ses pays67. »

  • 68 Paviot, Jacques « Ghillebert de Lannoy », art. cit.
  • 69 Arsenal, n° 5104, f° 41 r.
  • 70 BN, Arsenal n° 5104

21L’auteur de l’avis alla plus loin en rédigeant un miroir du prince, l’Instruction d’un jeune prince68. Le septième chapitre y détaille « Comment roys et princes doivent diligamment entendre a la conduite et gouvernement de leurs finances69. » Remarquable par son degré de précision, le texte entre plus avant que ses prédécesseurs dans l’exposé de cette matière, signe de l’importance accordée aux enjeux financiers à la cour de Bourgogne70. L’argent y vient juste après le service de Dieu et la justice ! Le ton reste conservateur : les princes doivent « vivre du leur » et limiter les dépenses, « plaisances et legieres entreprises ou somptueux estatz, fols dons ou enrichiers mignons. » L’inaliénabilité du domaine y est défendue contre ceux qui « vendent, donnent ou engaigent leurs tenemens, rentes et revenues » ; enfin, on rejette les immorales « tailles, aydes ou exactions sur le poure poeuple que Dieu leur a baillié en garde. »

22Le prince se doit de pratiquer l’épargne, ce qui suppose de limiter la guerre. L’auteur préconise même de n’engager le conflit que « par l’acviz des estatz de ses pays » : la revendication n’est pas anodine dans les Pays-Bas bourguignons, où ces instances jouent un grand rôle. La guerre « est un gouffre qui destruit et consumme toute finance ». Le trésor ne peut être rempli par les moyens « malicieux » : tailles, aides, tonlieux, « empirances de monnoies et toutes aultres nouvelletez », toutes « voies tiranniques » contraires à la compassion. Le recours aux saintes Écritures est un emprunt à Philippe de Beaumanoir : « ja la tierce ligne ne joyra des biens mal acquestz ». De même, le prince ne saurait financer ses folles entreprises en manquant aux « bonnes » dépenses : charité, paiement des soldats, forteresses et châteaux, gages des serviteurs et domestiques, et paiements de ses dettes aux marchands. On passe en revue l’ensemble du budget.

23Vient ensuite un tableau des effets du bon gouvernement des finances, qui n’est pas sans rappeler la fresque de Lorenzetti. « Considerons d’une part les biens qui s’ensievent quant ung prince gouverne bien ses finances et est garny de tresor » : les ennemis le craignent, les gens sont prêts à le servir, il trouve aisément des financiers et des marchands. Cet aspect bien pratique semble assez neuf chez l’auteur, qui rappelle simplement qu’on ne prête qu’aux riches ! A l’inverse les princes qui « se gouvernent mal en leurs finances » ne suscitent nulle crainte chez les princes étrangers, chez leurs barons et leurs bonnes villes. Cette mention n’est pas anodine dans le contexte bourguignon. Les mauvais gestionnaires se retrouvent désertés par la marchandise et la finance, devant ainsi « taillier, fourmener et exactionner leur poeuple. » Conséquence double de cette œuvre de « tirant » : « ilz sont hays de Dieu et du poeuple ». Qui plus est, l’auteur met en garde contre les repentirs (visiblement communs) « en la fin de leurs jours » : il est alors trop tard pour réparer ses torts et ces princes finissent « en ceste douloureuse tribulacion ». Cette angoisse du salut rappelle celle que l’on trouve dans les testaments d’usuriers comme celui du fameux Gandoulfe d’Arcelles…

24Enfin, Lannoy propose un véritable budget type qu’il veut inculquer à son auditoire : « je fay mon compte par manière d’exemple. » Très en avance, l’auteur dénonce la pratique consistant à définir les dépenses avant les recettes : « c’est tout gasté quant on met l’estat devant la recepte. » Il propose un revenu annuel « de nette revenue » de 100 000 écus. Sur cette somme, 1/5e sera mis au trésor. Le reste servira à « ordonner son estat » en s’appuyant sur des conseillers « en ce cognoissans » : habillements, chevaux et harnois de corps, dons de charité et d’aumônes, dons libéraux, ambassades et messages, réfections de forteresses et hôtels, déduit de chiens et d’oiseaux. Des postes correspondant aux chapitres des receveurs généraux des finances : le cas d’école en est visiblement inspiré.

  • 71 Brown, Peter, A travers un trou d’aiguille : la richesse, la chute de Rome et la formation du chris (...)

25Reste un péril, celui d’être trop bon gestionnaire, avare et cupide, de « devenir convoiteur ne appliquier vo cœur a finances. » L’argent ne doit être qu’un outil, comme les « artilleries ou habillemens de guerre ». Ainsi armé, le prince sera riche et plus encore pourra « espargnier » ses sujets. Jouant sur les mots, l’auteur rappelle que le peuple est le plus riche trésor, la plus riche épargne lorsqu’il est riche et aimant : « il n’est plus noble tresor a prince que d’avoir riches subgetz et de s’en faire amer. » Habile utilisation de la métaphore du trésor, qui laïcise et place sur terre un équivalent du « trésor dans le ciel » que l’Église définit en relation avec la réversibilité des mérites71. Car un prince haï n’est pas un sire et l’affection qu’on lui porte n’est que mensonge. Cet enseignement sera contesté par les orgueilleux et les flatteurs, et l’auteur met en garde contre les formules qui circulent à la cour : « c’est tout rien de prince s’il ne tient grant estat et donne largement, et que oncques filz de rooy n’eut poureté. » Être bien entouré n’est pas affaire de dépenses : un prince aimé est toujours accompagné de sujets « appareilliéz de le servir et obéir ».

  • 72 Le Fur, Didier, Charles VIII, Paris, Perrin, 2006, p. 34.

26Les quelques nuances novatrices du propos ne remettent pas fondamentalement en cause l’héritage des miroirs, mais le degré de précision, l’insistance sur les détails montrent que cette connaissance pratique est attendue du jeune prince qui doit au moins maîtriser un budget. L’auteur ne s’est pas contenté de recopier les propos antérieurs : il dispose d’une expérience personnelle concrète. Le traité fut largement diffusé auprès de princes, notamment dans la bibliothèque de Charlotte de Savoie où il servit probablement à l’éducation du futur Charles VIII72.

  • 73 Rey, Maurice, Les finances royales sous Charles VI. Les causes du déficit, 1388-1413, Paris, 1965 p (...)
  • 74 Encore sous Charles VII dans les années 1440, les grandes ordonnances comme celle du 25 septembre 1 (...)

27D’ailleurs, quand on connaît la diffusion et la constance des traités à dénoncer l’impôt injuste, il est difficile de croire qu’ils n’avaient aucun impact sur les conceptions des princes. Le geste d’un Charles V sur son lit de mort relevait clairement de l’inquiétude de sa conscience davantage que du sens politique73 : il est temps de mettre sa comptabilité en ordre avant de comparaître en la « grand chambre des comptes ». L’acharnement avec lequel la monarchie distingue artificiellement administration « ordinaire » et extraordinaire, alors que les revenus du domaine sont anecdotiques74, nous renseigne également sur la nécessité politique et symbolique pour le roi d’affirmer que l’impôt ne sert pas au train de vie de la cour et d’un État pourtant en plein essor.

Un retrait du prince en trompe-l’œil

Un éloignement des comptes

  • 75 Le Goff, Jacques (éd.), La ville en France au Moyen Âge, Paris, 1998, p. 537.
  • 76 Jassemin Henri, « Le contrôle financier en Bourgogne sous les derniers ducs capétiens (1274-1353) » (...)
  • 77 Demotz, Bernard, « La Chambre des comptes de Savoie », dans Contamine Philippe et Mattéoni, Olivier (...)
  • 78 Kerhervé, Jean, « La Chambre des comptes de Bretagne », Ibid., p. 127-180.
  • 79  En 1289, « rex audivit apud Credolium compotos suos : sont présents Charles de Valois, le duc de B (...)

28La culture numérique se diffuse à travers toute la société médiévale éduquée depuis le xiiie siècle, dictée par la nécessité autant que l’intérêt intellectuel pour une connaissance raisonnée75. Pouvait-il en aller autrement de la haute aristocratie et des princes ? Nullement. En résonnance avec les exigences des miroirs, les princes du xiiie siècle se chargent personnellement d’assister aux auditions des comptes. Dans le duché de Bourgogne, en 1274-1282, la présence effective du duc y est fréquente et active. En 1341 encore, le duc Eudes est très assidu, entendant en une journée, un dimanche qui plus est, les comptes de 3 ou 4 receveurs. Le duc « oyait » le compte, entendait le comptable en faire la lecture tout en suivant sur le compte précédent ; il vérifiait aussi les pièces justificatives. Les assistants vérifiaient les montants et « jetaient » les sommes76. C’est l’image que l’on retrouve dans les représentations de Charles VII. Les comtes de Savoie du xiiie siècle sont encore plus mobilisés. Amédée V (1285-1323) exprime ainsi personnellement ses refus d’opérations douteuses : un compte de 1317-1319 mentionne vidit dominus et non placet77. En Bretagne, les « acomptes » attestés dès les années 1260 sont parfois présidés par le duc en personne, notamment lors de fêtes religieuses et pour le paiement des rentes78. En France, en 1289, les comptes peuvent encore être entendus en présence du roi, mais aussi de princes comme Charles de Valois ou le duc de Bourgogne79.

  • 80 Demotz, Bernard, « La Chambre… », art. cit.
  • 81 Kerhervé, Jean, « La Chambre... », art. cit.
  • 82 Ordonnances des rois de France de la 3e race, 1er vol. , p 704 et suivantes ; Lalou, Elisabeth, « L (...)
  • 83 Jassemin, Henri, La chambre des comptes de Paris au xvème siècle, Paris, 1933, p. XXXIX.
  • 84 Richard, Jean, Les ducs de Bourgogne et la formation du duché du xie au xive siècle, Paris, Les Bel (...)
  • 85 À Lille, c’est le 7 février 1389 que le duc de Bourgogne interdit la présence, jugée encombrante, d (...)
  • 86 Lemonde, Anne, Le temps des libertés en Dauphiné. L’intégration d’une principauté à la Couronne de (...)
  • 87 L’ordonnance de Brignolles en 1297 en atteste. Coulet, Noël, « La Chambre des comptes de Provence » (...)
  • 88 Le roi que fait parler Gerson dans le sermon Adorabunt eum pour l’Epiphanie 1391 évoque ainsi son r (...)
  • 89 Contamine, Philippe, « An officiarii reis sint multiplicandi », Les Chambres..., op. cit., p. 19-28

29Le xive siècle voit cependant un recul massif du prince. Le démembrement du Conseil en institutions spécialisées, en particulier en Chambre des comptes, n’impliquait pourtant pas nécessairement que le prince n’y mît plus les pieds. Et pourtant : l’ordonnance de 1351 relative à la Chambre de Chambéry ne mentionne plus la présence du comte80. En Bretagne, le développement des impôts, la crise du domaine et la guerre vont mettre en retrait le duc au profit d’agents et, dans les années 1380, d’une institution stable81. L’ordonnance du Viviers-en-Brie n’évoque même plus l’hypothèse que le roi assiste à l’audition de ses comptes. La Chambre des comptes y est présentée comme une institution totalement séparée, l’objectif de l’ordonnance étant d’en écarter l’entourage du roi, prélats, barons et conseillers pour laisser travailler en paix les maîtres des comptes82. En 1340 Philippe VI reconnaît que « en teles besoignes nous ne nous cognoissons pas si bien comme vous devez faire et si sommes assez chargiez d’autres besoignes83. » La spécialisation du contrôle des comptes en Bourgogne date des années 1316-1361 et particulièrement des années 1349-135084. Le mouvement de séparation s’accroît à la fin du xive s. dans l’État bourguignon où de nouveau, l’entourage proche du duc n’est plus admis dans les Chambres des comptes de Lille et Dijon. L’affaire doit être entre les mains de spécialistes85. De fait, je n’ai pas trouvé de mention de la présence des ducs au sein de leurs Chambres. Cet éloignement est également invoqué pour la refondation de la Chambre des comptes du dauphin à Grenoble86. Il était déjà acté à la fin du xiiie siècle pour la Chambre de Provence, sous l’autorité d’un prince absent87. Ailleurs, le besoin de distance en cette période du début de la guerre de Cent ans va se généraliser. Et il n’y aura jamais d’équivalent du lit de justice en matière de comptes88. Notons que certains exprimèrent nettement l’idée qu’un tel éloignement était une protection pour le prince. Un avis du règne de Louis XI explique que si le roi gouvernait seul, la libéralité royale serait trop sollicitée : « Il apert tant parce qu’il porroit souvent estre deceu plus que son conseil et aussy qu’il ne porroit pas si bonnement resister a prieres importunes comme son conseil quar communement la liberalité royal est si grande que peu s’en vont escondiz et pour ce entent le roy que tous ses dons, soient offices ou autres choses, soient modéré(e)s par son conseil89. » On peut cependant penser que ce retrait opportun des princes témoignait davantage de leur désir de se protéger ou de se décharger, plutôt que d’une incapacité foncière : rien n’indique que les grands du xive siècle aient reçu une éducation moins poussée que leurs prédécesseurs, au contraire.

Une éducation comptable méconnue

  • 90 « Histoire du bon roi Alexandre adapté en prose par Jean Wauquelin », dans Splendeurs de la cour de (...)
  • 91 Autrand, Françoise, Charles VI. La folie du roi, Paris, 1986, p. 27-28 ; La Selle, Xavier de, Le se (...)
  • 92 La Selle, Xavier de, Le service..., op. cit., p. 319
  • 93 Thomas, Antoine, Jean de Gerson et l’éducation des dauphins de France. Étude critique suivie de deu (...)
  • 94 Schnerb, Bertrand, Jean sans Peur. Le prince meurtrier, Paris, Payot, 2005, p. 29-31.
  • 95  Santamaria, Jean-Baptiste « Les ecclésiastiques et la comptabilité des princes : Bourgogne, Pays-B (...)

30En principe, l’accès aux sciences mathématiques passait par l’apprentissage des arts libéraux. Les auteurs médiévaux traitant de l’éducation insistent généralement sur la nécessité de maîtriser ces arts, notamment sur le modèle d’Alexandre, éduqué dès 5 ou 6 ans par Aristote en ce sens90. Mais le degré précis d’éducation mathématique est difficile à cerner. Les précepteurs, maîtres dans les arts libéraux, sont surtout des grammairiens : Michel de Creney qui se charge de l’instruction scolaire de Charles VI, est certes maître ès arts, mais il est choisi par Philippe de Mézières pour inculquer la grammaire au jeune prince - encore qu’il ait des amis au sein de l’administration des finances91. Le précepteur de Louis de Guyenne, Jean d’Arsonval est également maître ès arts. Les talents de latiniste de ce secrétaire du roi sont encore sa meilleure carte de visite92. Jean Majoris, précepteur de Louis XI, est maître ès arts, licencié en droit et théologien, ami de Gerson qui lui adresse ses recommandations « pédagogiques93. » Côté bourguignon, même domination des artiens. La formation intellectuelle assurée par Baudouin de la Nieppe auprès de Jean sans Peur est celle d’un maître ès arts et d’un juriste. Là encore, les mentions concernent surtout les lettres : le maître ès arts retenu en 1400 pour enseigner à Philippe le Bon, Pierre Taquelin, doit lui enseigner à lire, écrire et parler le flamand94. Il serait de fait tentant de voir dans ces enseignants de simples grammairiens, d’autant que la place dominante de la dialectique et de la grammaire dans les arts libéraux est bien connue. Néanmoins, les compétences financières et comptables de maints hommes d’Église ne sont nullement à balayer d’un revers de main : le précepteur de Charles le Téméraire, Antoine Haneron, était certes maître ès arts, mais se révéla un précieux conseiller financier auprès de son disciple, qui lui doit également sans doute beaucoup quant à sa maîtrise du sujet95.

  • 96 Sur ce vaste dossier : Schärlig, Alain, Compter avec des jetons : tables à calculer et tables de co (...)
  • 97 Kuchenbuch, Ludolf, « Les baguettes de taille au Moyen Âge : un moyen de calcul sans écriture ? », (...)
  • 98 Heers, Jacques, Louis XI. Le métier de roi, Paris, Perrin, 1999, p. 143-146.
  • 99 Santamaria Jean-Baptiste, La Chambre des comptes..., op. cit., p. 40-46, 52, 67-68, 111, 150.
  • 100  Contamine, Philippe, « L’audition des comptes seigneuriaux : l’exemple de la maison de La Trémoill (...)

31Par ailleurs, en dehors de quelques opérations délicates, l’essentiel du travail comptable relève de l’usage des additions, et des fractions. Une solide expérience du calcul mental n’a guère besoin d’un enseignement théorique poussé. En outre, on n’apprenait guère à lire sans apprendre à compter96 ! La maîtrise des savoirs comptables n’était pas limitée aux milieux alphabétisés, et encore moins savants97. Une éducation pratique pouvait y pourvoir. Or on sait qu’elle faisait partie de l’apprentissage des futurs princes : Louis XI travailla ainsi aux côtés de son père sur plusieurs dossiers, notamment des négociations de subsides avec les états en Auvergne et Languedoc, où chaque écu était négocié pied à pied98. Enfin, la maîtrise des finances, des comptabilités, n’était pas qu’affaire de mathématique : la dimension juridique, diplomatique, le sens politique, la connaissance du pays, du quotidien, des comportements humains, le simple bon sens étaient autant d’éléments mobilisés dans les affaires comptables99. L’absence des princes de leurs auditions de comptes est à mon sens un leurre, et témoigne davantage de la position trop technique des Chambres, limitées à des examens sans portée politique majeure, que d’un désintérêt généralisé du prince pour les finances. Tout indique au contraire une appétence des princes pour leur argent. Le caractère également sulfureux des ressources fiscales a pu jouer. Car à l’inverse les seigneurs, dont les revenus ne sont pas autant liés à cette source, et qui sont peut-être moins exposés, se montrent toujours intéressés par l’état de leurs comptes ou y députent des nobles, prouvant que le niveau de compétence comptable de la noblesse n’est pas aussi lamentable qu’on pourrait le penser100.

Des principes à la pratique : le prince au comptoir

  • 101 Rigaudière, Albert, « L’argent... », op. cit., p. 674.

32Le lien entre essor des usages de l’argent dans la société du xiiie siècle et développement de l’éducation, en particulier de la maîtrise du calcul, a déjà été souligné101. Ce constat a surtout été appliqué aux marchands et bourgeois ; il doit, à mon sens, être étendu aux nobles et aux princes, car à la lecture des chroniques et des textes issus des princes, que ce soit en termes de représentation ou de pratiques, le prince au comptoir se révèle un thème discret mais bien constant.

Les rois de France et leur argent : un intérêt qui ne faiblit pas

  • 102 Contamine, Philippe, Guerre, État et société à la fin du Moyen Âge. Études sur les armées des rois (...)
  • 103  Jeay, Claude, « Naissance de la signature » dans Zimmermann, Michel (dir.), Auctor et auctoritas : (...)
  • 104  De La Borde, Léon, Musée des archives de l’empire. Actes importants de l’histoire de France et aut (...)

33À l’époque même où Philippe VI se déclare trop occupé pour ses comptes, certains chroniqueurs démentent ce retrait orchestré. Jean le Bel fait de ce roi le portrait d’un homme sans cesse entouré de ses trésoriers et maîtres des comptes, ignorant les clercs102. Assurément, la charge est morale mais nuance l’image que le roi veut donner de lui-même. Les textes autographes permettent d’ailleurs de confirmer cet intérêt des princes en matière mathématique et financière103. Si Charles V est surtout présenté comme un avocat, notamment par les Anglais, il est parfaitement au fait des questions d’argent, ce que Christine de Pizan se garde de dire. Les lettres non seulement signées mais écrites de sa main en offrent un bel échantillon104. La lettre datée du 7 décembre 1367 adressée à son trésorier Pierre Scatisse montre son degré d’information et de précision : il exige pour Noël 22 500 francs pour lui, ordonne d’en compter 12 000 au duc d’Anjou pour l’achat du Forez, et lui annonce qu’il doit préparer 30 000 doublons d’Espagne pour payer la rançon de Du Guesclin. Précisant la nature des documents à produire il mentionne quittances, mandements, obligations et assignations.

  • 105 Mimois, Georges, Charles VII, Paris, 2005, p. 634.
  • 106 Georges Chastellain, Œuvres, éd. J. Kervyn de Lettenhove, Bruxelles, 1863-1866, 8 vol. , t. 2, p. 1 (...)
  • 107 Henri Baude, Éloge de Charles VII, dans Chronique de Charles VII par Jean Chartier, éd. Vallet de V (...)

34Les témoignages sont encore plus nombreux à souligner l’intérêt de Charles VII pour ses finances : il apprécie ce sujet, et y consacre avec ses conseillers les séances du vendredi et du samedi105. Si Chastelain n’est pas tendre avec lui et nous explique qu’il « tailloit fort son royaume, tenoit maigre ses hommes », il reconnaît avec admiration qu’il « cognoissoit tout son estat ; savoit ses finances en gouvernement106. » Chez Henri Baude, le roi écoute traditionnellement les requêtes, agit par conseil, récompense chacun selon ses mérites. Mais au chapitre des finances, Charles VII apparaît en grand argentier : « Le roy véoit chacun an et plus souvent tout le fait de ses finances et le faisoit calculer en sa présence, car il l’entendoit bien. Il signoit de sa main les rooles des receveurs généraulx, les estats et acquis d’icelles finances107. »

  • 108 Le texte relève parfois de l’obsession comptable et fourmille de données chiffrées apparemment préc (...)
  • 109 Mattéoni, Olivier, « La Chambre des comptes du roi de France et l’affirmation de l’État au milieu d (...)
  • 110 BN, fr. 4312, fol. 1. et 56 v. La dernière ordonnance, datant de 1488, est introduite par la mentio (...)
  • 111 BN, Latin 6222 C, fol. 42 v.

35On doit prendre avec précaution ce témoignage, suivi d’affirmations douteuses sur le fait que Charles VII « vivoit de son propre domaine », et ne levait l’impôt que par nécessité et avec l’accord des trois états. Mais une telle insistance sur le métier de roi « calculateur » nous paraît témoigner d’un climat nouveau, sans pour autant parler d’une révolution108. Ce n’est de fait pas un hasard si Charles VII est le seul roi représenté au sein de la Chambre des comptes. Olivier Mattéoni a insisté sur la force solennelle des quatre miniatures mettant en scène le roi aux côtés de ses gens des comptes, qui revendiquent ainsi leur statut de cour judiciaire face au Parlement109. D’autres représentations similaires peuvent en être rapprochées, pas nécessairement issues du milieu de la Chambre des comptes : la lettre O de l’Ordonnance royale sur les finances, sur un manuscrit datant probablement de Louis XII110, sert de cadre à une scène similaire. Le roi couronné siège en tenant sceptre et main de justice et observe les gens des comptes : face à lui un homme note sur une feuille, tandis qu’à sa droite un autre lit un registre de compte. À sa gauche enfin, un officier dispose en plusieurs bandes des jetons dorés pour effectuer le compte, le tout sur un tapis vert caractéristique de la Chambre des comptes. L’ordonnance recopiée en dessous étant celle du 25 septembre 1443 sur l’organisation des finances, on peut supposer qu’il s’agit encore de Charles VII. Enfin, une scène similaire illustrait la biographie de Charles VII par Henri Baude111. Le roi, assis sur son trône, surplombé d’un dais fleurdelisé et orné d’un soleil, se trouve dans une salle. Tenant dans sa main gauche un rouleau de compte, il tend l’index de sa main droite vers ce rouleau et observe les gens des comptes au travail. Ces derniers sont quatre autour d’un bureau, recouvert d’une bure verte. L’un a déroulé un rouleau et observe le roi en tendant son majeur gauche vers lui. À sa gauche un autre officier tenant un stylet ou une plume travaille sur un parchemin. Un troisième personnage debout tenant un rouleau regarde également en direction du roi. De l’autre côté de la table, un homme assis, portant une bourse au côté, utilise des jetons dorés sur la table, effectuant les comptes. Enfin un chien observe fixement les officiers, rappelant le devoir de fidélité de ces derniers, et sans doute la vigilance du roi. Tout est d’ailleurs fait pour maintenir le roi à l’écart de l’argent : il observe des agents qui eux-mêmes ne manient pas de deniers mais vérifient des comptes.

  • 112 Le Fur, Didier, Charles VIII, Paris, Perrin, 2006, p. 37.
  • 113 Heers, Jacques, Louis XI, Paris, Perrin, 1999, p. 89-93.
  • 114 Favier, Jean, Louis XI, Paris, Fayard, 2001, p. 254-255. Voir les témoignages de Comynes et des amb (...)
  • 115 Les montants élevés, en dizaines de milliers de livres, comme les petits paiements y foisonnent. Ib (...)
  • 116  En 1476, Louis XI estime ses revenus à trois fois ceux du duché de Milan, estimation d’ailleurs vr (...)
  • 117 Godefroy (éd.), Mémoires de messire Philippe de Comines, vol. 2, Londres et Paris, 1747, p. 400, pr (...)

36Les princes ont visiblement modifié leur rapport à l’argent, et s’en cachent de moins en moins : dans son Rosier des guerres, Louis XI, qui n’hésite pas à puiser dans les lieux communs ordinaires et en particulier dans l’Instruction d’un jeune prince quand il s’agit d’évoquer la crainte de Dieu, la bonne justice et la morale, s’en distingue en n’évoquant pas la nécessité de baisser les impôts. On n’en attendait pas moins du célèbre « enchanteur » des finances112. Sans reprendre ici l’image du roi avare ou bourgeois, reconnaissons que Louis XI, qui appréciait aussi le luxe, « savait compter », comme en atteste son souci de faire évaluer strictement les réparations par crainte d’être trompé par les artisans « quant ils ont à faire à gens qu’ils cuident qui ayent bonne bourse comme moy. » Lorsqu’il s’agit d’organiser la garde de René d’Alençon en 1481, il reproche de ne pas savoir combien d’hommes seront mobilisés ni leur coût : « ainsi on ne saurait combien appointer sur cela car, puisqu’il n’y a point de nombre de gens pour le garder, on n’en saurait faire la somme113. » Dans sa pratique du pouvoir, son souci d’être informé de tous les dossiers devait le conduire à prendre part aux questions financières, bien qu’elles ne soient cependant pas forcément soulignées par les sources, ni par les historiens114 ; sa correspondance révèle un grand intérêt pour les questions financières et atteste d’une maîtrise globale des calculs et des nombres en matière financière115. Le roi sait évaluer l’ensemble de ses revenus par rapport à ses rivaux, notamment italiens116. Une lettre d’Etienne Chevalier relative à l’achat des villes de la Somme en 1463 atteste du niveau de précision attendu par le roi de la part de ses agents : le trésorier rapporte un entretien très précis qu’il eut avec Louis XI, au cours duquel il dut expliquer dans le détail la manière dont l’opération pourrait être financée117.

Les ducs de Bourgogne et l’argent

  • 118 Jean Juvénal des Ursins, Histoire de Charles VI, roi de France, Buchon, Jean-Alexandre (éd.), Choix (...)
  • 119 Rey, Maurice, Les finances royales…, op. cit., p. 600.

37Les ducs Valois de Bourgogne se sont eux aussi investis personnellement dans la gestion de leurs finances, y voyant une des clés de leur avenir politique. Si on ne trouve pas de traces d’autographes de Philippe le Hardi, son intérêt pour les questions d’argent et son implication sont patents, en particulier à la cour du roi. Jean Juvénal des Ursins nous le montre vorace et exigeant constamment des sommes précises : interpellant un conseiller du roi au palais royal Philippe le Hardi aurait déclaré : « Seigneur de Noujant, il m’est survenu une nécessité, pour laquelle me faut avoir presentement trente mille escus, faites me les bailler du tresor de monseigneur le roy, je les restitueray une autre fois. » Noujant tenta alors d’expliquer qu’il n’était pas en son pouvoir de disposer des caisses royales, ce qui déplut au duc : « Vous ne me voulez pas faire ce plaisir, je vous asseure que en bref je vous destruiray118. » Si le propos est invérifiable, il était en tout cas jugé suffisamment crédible par Juvénal des Ursins, fin connaisseur des arcanes du pouvoir, et correspond à l’usage par le duc des caisses royales119.

  • 120 Schnerb, Bertrand, Jean sans Peur, op. cit., p. 29 et 720, n. 15.
  • 121 Lettre reproduite dans Vaughan, Richard, John the Fearless, Londres, (1966) 2002, illustration n° 3 (...)
  • 122 Ainsi pour un office de jeu de brelan d’Arras délivré à Jean de Moutonviller dit Mouton Barbier, co (...)
  • 123 Mandement daté d’Hesdin, le 2 novembre 1416. ADN B 1601, f° 133 r.
  • 124 Cauchies, Jean-Marie « Droit édictal, gestion et domaine : la Flandre sous le duc de Bourgogne Jean (...)

38Jean sans Peur offre des indications plus certaines. Initiant la pratique des lettres autographes chez les ducs Valois, il y recourt généralement sous forme de simple signature, très souvent pour des questions financières120. C’est le cas également des quelques mots autographes ajoutés de sa main à un mandement exigeant un prêt de 500 écus pour avoir « argent comptant » afin de payer des hommes d’armes partant pour Liège en 1408. Il entendait impressionner le bailli de Bruges : « ou si non je vous monstrerai qu’il m’en despleust121. » Il est parfaitement admis par le duc comme par ses interlocuteurs que le prince se mêle personnellement de ses finances, parfois pour quelques dizaines d’écus122. En 1416 le duc ordonna même de n’accepter les dons que s’ils étaient signés de sa main123 ! D’ailleurs, on connaît le nombre et l’importance des mesures prises par ce prince dans la gestion et la défense de ses revenus124.

  • 125 Encore que Philippe le Bon puisse déclarer qu’il a renvoyé un tiers de ses gens lors de la bataille (...)
  • 126 Chastelain, Georges, Oeuvres, éd. J. Kervyn de Lettenhove, Bruxelles, 1863-1866, 8 vol. , t. 3-4, p (...)
  • 127 Chastelain, Georges, Oeuvres, op. cit.., p. 223.
  • 128 Sur ce point, on attend la publication de plusieurs mises au point : Dumont, Jonathan, Marchandisse (...)

39Les rares lettres entièrement autographes de Philippe le Bon à être connues sont peu bavardes sur le sujet, ce qui semble confirmer ce que l’on sait du personnage ; mais il faut rester prudent125. Les portraits littéraires de Philippe sont en partie construits en opposition à ceux de Charles, en particulier par Georges Chastellain. L’image de Philippe le Bon doit beaucoup à ce contraste mais Lannoy mentionnait déjà cette tendance 30 ans auparavant. Le trait devient extrême chez Chastellain, qui revient à plusieurs reprises sur cette pente qui pousse le duc Philippe à céder à la « folle largesse » : c’est le cas lorsqu’il menace de distribuer ses terres, pour nuire à son fils : les partisans de Charles l’avertirent alors « car doutoit-on que le père en son despit ne fist folle largesse, sans accompter à propre dommage126. » Dans son éloge de Philippe, Chastellain montre également une attitude ambivalente. Au rang de ses vertus, il évoque sa largesse : « avoit trésor, mais ne le congnoissoit ; de son amas ne voulut oncques riens voir, ne argent manier n’en sçavoir le nombre... réputoit basse chose et vile or et argent. » Mais évoquant ses vices, il affirme que ce comportement est aussi affaire de nonchalance. Philippe faisait trop confiance à ses conseillers, ce qui n’était qu’une pauvre excuse : « ceste fiance n’excuse point : car prince doit entendre luy mesme, et congnoistre ses affaires127. » Or Philippe avait forcément à s’impliquer dans les questions financières : ainsi, la gestion de la caisse de l’Épargne donnait lieu à signature systématique de lettres par le duc lui-même, dans des quantités importantes128.

  • 129 Paravicini, Werner, « Ordre et règle. Charles le Téméraire en ses ordonnances de l’hôtel », Comptes (...)
  • 130 Chastelain, Georges, Oeuvres, op. cit., t. 5, p. 360-365

40La personnalité de Charles le Téméraire est rapidement apparue comme singulière129. L’une des facettes moins connues de Charles « le travaillant » a donné lieu à un long commentaire sous forme de justification de la part de Georges Chastellain : son goût pour l’étude des comptabilités. La description du véritable audit auquel se livre le Téméraire correspond aux premières années du principat : « pour ce qu’il avoit des autres grans affaires, après ceste guerre expédiée [contre les Liégeois], il voulut tourner son entente à y besongner130. » N’ayant pu s’en occuper avant, en raison des tribulations de ses ennemis extérieurs comme intérieurs, il s’y consacre après Noël 1468. Son caractère joue un rôle majeur dans cet épisode, selon Chastelain : il est un homme et prince « qui pouvoit de labeur beaucoup ». Il est poussé par la nécessité de savoir personnellement, de « cognoistre son cas », et d’agir directement « pour tout bien conduire ». Son goût du détail le pousse à tout observer (« n’y avoit riens que de tout il ne presist cognoissance »), à faire travailler à « grant travail » ses gens de finances, et à œuvrer « jour et nuit ».

41Jamais la description de l’implication du prince n’a été aussi précise. Le duc « veilla et estudia » pour connaître sa recette domaniale, « tout ce qu’il avoit de rentes et de demaine par ses divers pays » et en réparer les atteintes et aliénations, « toutes les plaies, romptures et vendages ». Il observa personnellement l’étendue des richesses sonnantes et trébuchantes héritées de plusieurs générations : il « fit tout visiter (et même les visita) les trésors de son père et de ses grands-pères. » Surtout, il voulut voir les comptes avec ses « gens de finances », comme l’un des leurs. Le prince est alors véritablement le grand argentier, faisant lui-même les calculs et les comptes, « séant avecques eulx, comptant et rabattant et calculant et ordonnant de fil en aiguille », afin de connaître au plus juste l’état de ses finances pour pouvoir y fonder son train de vie, son rang, son état : « sur cela édifia-t-il son estat. »

42Les motivations sont d’ordre politique : il s’agit de connaître et maîtriser la « puissance de chevance ». La puissance de l’argent est mise au service du pouvoir. Il s’agit aussi de régler les dettes de son père, action louable à la mémoire et au soulagement de l’âme de Philippe le Bon. La défense du domaine relève de la vision traditionnelle : Charles veut vivre du sien (ce qui est évidemment en contradiction avec sa politique fiscale), et sauver son État comme un capitaine étoupant un navire prenant l’eau (« qu’il n’avisast aux trous et angles par quoi tout porroit estre estouppé et sauvé »). Il opère une séparation destinée à faire de l’extraordinaire un trésor de guerre, tandis qu’il limite le train de vie de la cour et de l’État aux recettes ordinaires. Une belle séparation qui est évidemment trop parfaite et trop conforme aux principes du temps pour être vraie.

  • 131 Paravicini Werner. « Ordre et règle. Charles le Téméraire en ses ordonnances de l’hôtel », dans Com (...)

43Pourtant, ce bel ordre suscite des inquiétudes, des rumeurs et des reproches qui pourraient nuire à l’honneur de Charles. Un tel travail est indigne d’un prince, lequel doit songer à des occupations plus distinguées131 : « il se fist blasmer et murmurer contre ly de tant de peine et de soing. Et disoit l’on que à ung tel prince ne séoit point à tant soy envelopper de labeurs domestiques. » Chastelain rétorque que Charles fait au contraire preuve de sagesse, et développe une théorie de la souveraineté royale comme dépendant de l’art de régler la dépense sur la recette, reprenant les principes de Lannoy : « la souveraine et la première félicité des roys et des royaulmes si est et si pend en savoir dépenser les deniers par règle et par mesure à l’advenant de la recepte », ce qui met à l’abri son état du dérèglement et est « à loer de voloir cognoistre son fait par peine et par labeur. »

44Chastelain la distingue de l’avarice, qui reste le pire vice pour un jeune prince : elle corrompt le cœur, entraîne de grands maux, au détriment de l’honneur et des amis. Or « aulcuns lui imputoient » de se délecter de « grans monceaux d’or ». C’est la pratique de la thésaurisation qui est en cause. Mais si l’amour de l’argent pour lui-même est un grave péché, le prince se doit de l’aimer comme moyen d’accomplir sa mission : « bien fait à prisier l’homme qui aime avoir pour faire devoir. » Chastelain rappelle alors que la conduite de Charles répond à une libéralité mesurée : le bon prince « scet amesurer sa libéralité à la grandeur de son pooir. » Le prince adapte sa dépense, sait « tenir court et eslargir » selon les circonstances. Quant à la thésaurisation, elle est sage et relève de la « provision », de la prévoyance qui exige de « amer amas par provision contre les estranges aventures. » Gouverner ses finances, c’est prévoir les temps d’austérité en amassant en temps de prospérité.

  • 132 Chastelain, Georges, Oeuvres, op. cit.., t. 7, p. 230.
  • 133 Ibid., p. 234.

45L’éloge de Charles reprenait la défense de celui qu’on accusait « d’avarice et d’aymer l’argent », tout en reconnaissant ailleurs qu’il aimait l’argent plus que les pierreries encore132. Charles lui-même affirmait, selon Chastelain, voir l’argent comme un moyen de pouvoir contre ses ennemis, notamment français, le « soverain moyen par lequel on se peut munir et garantir contre telles doubtes ». La réputation de richesse était également un instrument de pouvoir : « un denier en coffre vaut droict, si se dit trois en bouche d’autruy. » Chastelain reconnaissait que Charles aimait l’argent, mais comme un instrument légitime : « son aymer argent est de vertu et de prix », « claire et ouverte prudence pour le temps futur. » Car le duc, déjà jeune, aimait distribuer « à double main et se délectoit en pouvoir donner133. »

  • 134 Cauchies, Jean-Marie, « Que disent les chroniqueurs bourguignons de la gestion politique et des ins (...)

46Ce portrait politique s’inspire bien des miroirs mais montre un niveau de détail peu envisageable auparavant, d’autant que les chroniques négligent souvent le travail réel du prince134. Le trait coïncide avec celui d’un autre chroniqueur, Olivier de la Marche, bon connaisseur de l’hôtel et de la cour de Charles. Ce dernier dresse un tableau saisissant de l’ordre établi par Charles dans son hôtel en insistant sur le contrôle financier établi personnellement par le prince :

  • 135 Olivier de la Marche, Mémoires, éd. H. Beaune et J. d’Arbaumont, Paris, 1883-1888, 4 vol. , t. 4, p (...)

47« Le duc a en son ostel la chambre des finances, en laquelle se rapportent tous les deniers de ses pays, ordinaires et extraordinaires. Là viennent tous les deniers et les receptes, et d’illec sont distribuez les appointemens aux officiers, selon ce qu’ilz ont de charge... Là vient le duc bien souvent, et ne se cloent nulz comptes sans luy et sans son sceu. Il signe de sa main tous appointemens de tous dons ; il signe tous comptes et tous rolles ; il scet bien ce qu’il a vaillant et ce qu’il despend ; tout chiet en sa main, et tout en vuide, et luy mesme siet au bureau à ung bout, jecte et calcule comme les autres ; et n’y a difference en eulx en icelluy exercite sinon que le duc jecte de jectoirs d’or, et les autres de jectoirs d’argent135. »

  • 136  Lievois, Daniel, Haemers, Jelle, « Maria van Bourgondië in Hof ten Walle”, Handelingen van de Maat (...)
  • 137 Arnould, Maurice-Aurélien, « Le premier budget du duc Charles de Bourgogne (1467-1468) », Bulletin (...)
  • 138 Paravicini, Werner, « Ordre et règle... », art. cit., p. 311-359.
  • 139 Bautier, Robert-Henri et Sornay, Jeannine, Les sources de l’histoire économique et sociale du moyen (...)
  • 140 Gachard, Louis-Prosper, Collection de documens inédits concernant l’histoire de la Belgique, vol. 1 (...)

48Prince calculateur, Charles est à la fois grand argentier et grand maître de ses comptes : ordonnancement et contrôle l’impliquent personnellement. Tout se fait « en sa main », et on le voit « jetant » ses jetons d’or sur le bureau, calculant personnellement les comptes de ses officiers. Certes, les centaines de comptes et les dizaines de milliers de rôles, mandements et assignations devant être signés par an dépassaient ses capacités. Mais les propos du chroniqueur sont appuyés par les archives : dès 1465, Charles avait fait mettre dans ses appartements, à Gand, « ung lettrin pour compte dessus136. » Durant l’hiver 1467-1468, à Bruxelles, Charles travailla effectivement d’arrache-pied, se procurant personnellement des documents de travail137. C’est probablement l’époque où il gagna le surnom de « Charles le travaillant138 ». Par la suite, il continua de s’y impliquer : l’état abrégé de la recette générale des finances pour l’année 1470, réalisé le 1er janvier 1471, porte en note la mention « Monseigneur en a le double139. » Ses propos « de bouche » devant les députés flamands venus négocier le paiement des aides en 1470 démontrent également sa maitrise des proportions et des divisions : « Ce n’est que bien peu de choses de VIXX M escus, trois ans durans, par chascun an, sur tous mais ; de M lances ce ne sont que VM combattans ; ce n’est pas le tierch qu’il me coustera, et qu’il me fauldra payer de mon demaine, ou il fauldra qu’ilz junassent les aultres VIII mois140. »

49Charles était un cas extrême, sans doute. Mais nullement un individu isolé au sein de l’aristocratie.

L’arbre qui cache la forêt. Des compétences très répandues

  • 141 Rouyer, Jules, Hucher, Eugène, Histoire du jeton au Moyen Âge. Première partie, Paris, 1858, p. 17- (...)
  • 142 C’est ce qui a été affirmé, sans précision sur les sources, par Viton de Saint-Allais, Nicolas, L’a (...)
  • 143 En 1498, la ville de Tours lui en offre 60. Rouyer, Jules, Hucher, Eugène, Histoire du jeton…, op.  (...)
  • 144 De Courcillon de Dangeau, Philippe, Abrégé des mémoires ou journal du marquis de Dangeau, publié pa (...)

50Rappelons d’abord que l’usage de jetons, particulièrement de jetons précieux par un prince, n’était pas unique. Les inventaires et testaments en mentionnent en grand nombre dès le xive siècle. En 1373, 83 « gettouers d’argent » se retrouvent dans le compte du testament de la veuve de Charles IV le Bel, Jeanne d’Evreux, ce qui semble indiquer que les femmes de l’aristocratie les employaient aussi. Les jetons comportent fréquemment des mentions indiquant la propriété personnelle d’un prince : « ce sont les getoirs le conte de Saint Pol », « getoirs de madame la duchiesse d’Orliens141 », qu’il faut à mon sens distinguer de ceux de leurs officiers. Le premier à posséder personnellement des jetons d’or aurait été Charles VII, ce qui ne doit pas nous surprendre, comme nous l’avons vu142. Louis XII reçoit même des « gettoirs » lors de certaines entrées solennelles143. L’habitude en demeure tardivement ; en janvier 1698, le trésor royal distribuait 300 bourses de jetons d’argent aux officiers, et 9 bourses de jetons d’or à Louis XIV, au dauphin, au duc de Bourgogne et son épouse, au duc d’Anjou, au duc de Berry144 ; l’usage était devenu symbolique (et rémunérateur...), mais témoignait de la dignité de l’objet.

  • 145 Son argent est « une des grandes pensées en quoy je fu onques, qui m’a duré plus d’un an ». Le text (...)
  • 146 Chastelain, Georges, Oeuvres, op. cit., t. 4, p. 203.

51Les sources écrites confirment d’autres implications. Selon son biographe, le duc Louis de Bourbon manifeste son intérêt pour les finances, qui l’obsèdent continuellement145 : de retour en Bourbonnais, il s’enquiert en premier de « scavoir toutes ses debtes » et de « scavoir combien pouvoient monter tous ses domaines » pour pouvoir « regler et tenir estat de moy et de ma femme et fils », afin également d’assurer son salut. Il obtient un montant précis et se fait expliquer comment répartir cette somme tout en veillant à « mettre en espargne ». Le duc délègue, mais se fait tout rapporter : il tient ainsi la bonne distance. Les femmes ne sont pas en reste : la mère de Charles le Téméraire, Isabelle du Portugal, n’hésitait pas à se mêler de finances. Chastelain rapporte comment elle vint trouver celui qui était son principal officier de finances, Roland Pippe, afin d’obtenir une somme qu’il devait, Isabelle s’estimant en charge de veiller aux affaires de son fils, démarche qui précéda le suicide de l’officier146...

  • 147 Jean Froissart, Chroniques, éd. Kervyn de Letttenhove, t. 2, p. 448
  • 148 Du moins la scène est-elle rapportée par l’un des manuscrits (la version 4 de Lettenhove). Ibid., t (...)

52Gérer soi-même ses finances est d’ailleurs le propre des princes, qui ne rendent pas de compte. Froissart ne dit rien d’autre lorsqu’il veut montrer la puissance de Jacques Van Artevelde, chef de la révolte flamande entre 1337 et 1345, qui usurpe les prérogatives du prince : il tient le pays « à se vollenté », et accapare les revenus du domaine et les taxes « sans rendre nul compte147. » Au contraire, il examine les comptes des receveurs : « toutes estoient tournées à la voulenté Jaquemon Dartevelle, poursieuvites et recheues par recheveurs qui en rendoient compte audit Dartevelle et as aultres hommes députés à ce oïr et ordonner, bourgois de Gant, de Bruges, d’Ippre, et de Courtrai148. »

53Le second passage est bien plus ambigu que le premier, consacré à l’orgueil et l’avarice de d’Artevelde. Ici, le fait d’entendre les comptes manifeste l’exercice d’une souveraineté, mais temporaire, puisqu’il prévoit de « tenir estat » des dépenses dans la perspective de rendre l’argent au comte ; par ailleurs, Froissart présente Artevelde comme prévoyant et utilisant le subside à constituer des réserves « afin, se li païs avoit à faire, que on trouvast cet argent apparilliet ». Ce faisant, il répond directement aux exigences des miroirs des princes !

54Charles le travaillant est peut-être un peu extrême dans son rapport aux finances, mais sa pratique de l’argent n’est pas celle d’un « loup solitaire ». Un dernier exemple, celui d’un prince davantage connu pour sa poésie, en atteste.

Une poétique de la finance : l’étrange cas de Charles d’Orléans

  • 149 Champollion-Figeac, Aimé (éd.), Les poésies du duc Charles d’Orléans, Paris, 1842, p. 416-418.
  • 150  Ibid., p. 421
  • 151 Rondel CXLVIII. Ibid, p. 321.

55Une lettre rédigée par le duc Charles, le 3 septembre 1419, depuis sa prison, achèvera de montrer cet intérêt personnel des princes. Ce courrier « escript de ma main en bon point et santé de ma personne149 » est destiné à obtenir des fonds. Le duc d’Orléans évoque l’argent qu’il doit au duc de Clarence pour la délivrance du duc d’Angoulême, manifestant une maîtrise des instruments financiers et des fractions. Justifiant ses demandes, le jeune duc précise qu’il sait comment son argent est employé et en vérifie les comptes, faute d’officiers pour le faire : « soiés seur qu’il a esté emploié par mon sceu et commandement et en ay receu le conte, duquel je sauray bien faner quand il sera besoing ! » Voilà qui éclaire les diverses allusions au monde de l’argent dans ses poésies, où la finance voire le commerce sont des métaphores de l’amour. « Patron vous fais de ma galée » est ainsi une chanson dont le titre mêle influence marchande et courtoise : l’espérance est une marchandise à décharger, et l’amour une finance servant à rembourser la joie que l’on se fait de retrouver l’être aimé : « Et m’aportez quelque finance/Pour payer ma joye empruntée...150 » La relation entre plaisance et espoir est une relation financière. Le malheureux s’estime détenteur d’une dette sur le bonheur, plaisance, et espère un jour en être enfin remboursé et « recouvrer prestement finance/des arrérages de plaisance151. »

Conclusion

  • 152 Olivier de La Marche, Mémoires..., op. cit., p. 414.

56Serait-il dès lors excessif de représenter le prince en grand maître de ses comptes ? Le parallèle déjà esquissé par l’iconographie n’est nullement exagéré : c’est en une circonstance pour le moins incongrue, la tenue de l’ordre de la Toison d’or à Gand en 1445, qu’Olivier de la Marche ébauche le rapprochement, et ce au sujet de celui des princes qui semble le plus éloigné de l’argent : Philippe le Bon. Le duc rassemble les chevaliers au château comtal, le gravesteen, plus précisément en la chambre du conseil « qui pour eux estoit préparée de sièges et de bureau à rendre compte, non pas d’argent ou de despense avoir, ou de richesse, mais de leur honneur ». La Chambre des comptes devenait une métaphore du prince, la boucle était bouclée152. Parce que le maître des comptes est éloigné du contact de l’argent, il est par nature plus noble qu’un receveur, mais nullement ignorant des réalités et des actes de ceux qui administrent en son nom. Dans cette juste distance est atteint l’équilibre entre avarice et désinvolture. Ni technocrate ni dilettante, le prince doit désormais se situer dans un rapport juste à l’argent. Il ne peut plus l’ignorer, s’il l’a jamais fait.

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Notes

1 Petitot, Claude-Bernard (éd.), Mémoires de Messire Olivier de La Marche, volume 2, Paris, 1820, p. 487.

2 Par exemple sur les miniatures accompagnant les ordonnances de réforme des finances de Charles VI, dans le riche manuscrit KK 889 des Archives Nationales.

3 Le Goff, Jacques, Le Moyen Âge et l’argent. Essai d’anthropologie historique, Paris, Perrin, 2010, p. 9-21.

4 On trouve exprimée cette opposition insistant sur les « excès » de la dépense nobiliaire dans Baschet, Jérôme, La civilisation féodale : de l’an mil à la colonisation de l’Amérique, Paris, Aubier, 2004, p. 105.

5 Lameere, Eugène, Le grand conseil des ducs de Bourgogne de la maison de Valois, 2 vol. , Bruxelles, 1900 ; Jassemin, Henri, La chambre des comptes de Paris au xve siècle, Paris, 1933.

6 Contamine, Philippe « Réformer l’État, rationaliser l’administration : à propos du contrôle des finances publiques, 1456-1461 » dans Kerhervé, Jean, Rigaudière, Albert (dir.), Finances, pouvoirs et mémoire, hommages à Jean Favier, Paris, Fayard, 1999, p. 388-396 ; Lassalmonie, Jean-François, La boîte à l’enchanteur. Politique financière de Louis XI, Paris, Comité pour l’Histoire économique et financière de la France, 2002 ; Mattéoni, Olivier, Institutions et pouvoirs en France. xive-xve siècles, Paris, 2010 ; Sassu-Normand, David, "Pro defensione et tuitione regni". La fiscalité des rois de France en Languedoc au xive s. (sénéchaussée de Carcassonne et confins), thèse soutenue en 2013 à Lyon 2. Concernant l’État bourguignon : Rauzier, Jean, Finances et gestion d’une principauté au xive siècle. Le duché de Bourgogne de Philippe le Hardi (1364-1384), Paris, 1996 ; Dumolyn, Jan, Staatsvorming en vorstelijke ambtenaren in het graafschap Vlaanderen (1419-1477), Anvers-Apeldoorn, 2003 ; Santamaria Jean-Baptiste, La Chambre des comptes de Lille de 1386 à 1419. Essor, organisation et fonctionnement d’une institution princière, Turnhout, Brepols, Burgundica, 2012 ; Haemers, Jelle, « Faire son prouffit. Die Finanzpolitik Maximilians I. und die städtischen Aufstände in den Niederlanden (1477-1488) », dans Rauschert Jeannette, Teuscher Simon, Zotz Thomas (Eds.), Habsburger Herrschaft vor Ort-weltweit (1300-1600), Ostfildern, Jan Thorbecke Verlag, 2013, p. 187-209.

7 Autrand, Françoise, « La guerre des gens de finance en 1406 d’après le Songe véritable », dans Kerhervé, Jean et Rigaudière, Albert (dir.), Finances, pouvoirs et mémoire, hommages à Jean Favier, Paris, Fayard, 1999, p. 292-301.

8 Bériou, Nicole, « L’esprit de lucre entre vice et vertu : variations sur l’amour de l’argent dans la prédication du xiiie siècle », dans L’argent au Moyen Age / XXVIIIe congrès de la S.H.M.E.S. (Clermont-Ferrand, 30 mai-1er juin 1997). Paris, 1998, p. 267-287 ; Todeschini, Giacomo, Richesse franciscaine, De la pauvreté volontaire à la société de marché, Paris, Verdier, 2008 ; Bériou, Nicole, Chiffoleau, Jacques (dir.), Économie et religion. L’expérience des ordres mendiants (xive-xve siècles), Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2009.

9 Heers, Jacques, Naissance du capitalisme au Moyen Âge. Changeurs, usuriers et grands financiers, Paris, Perrin, 2012, notamment p. 249-315.

10 Paravicini, Werner, « Administrateurs professionnels et princes dilettantes. Remarques sur un problème de sociologie administrative à la fin du moyen âge », dans Paravicini, Werner, Werner, Karl-Ferdinand (éd.), Histoire comparée de l’administration (ive-xviiie siècles), Beihefte der Francia, vol. 9, Ostfildern, Thorbecke Verlag, 1980, p. 168-181.

11 Scordia, Lydwine, « Le roi, l’or et le sang des pauvres dans Le livre de l’information des princes, miroir anonyme dédié à Louis X », Revue historique 3/ 2004 (n° 631), p. 507-532.

12 Krynen, Jacques, Idéal du prince et pouvoir royal en France à la fin du Moyen Âge.1380-1440, Paris, 1981, p. 75-106.

13 Id., L’empire du roi. Idées et croyances politiques en France. xiiie-xve siècle, Paris, 1993, p. 167-168.

14 Les Fraticelles savent ce qu’il en coûte d’affirmer la « pauvreté absolue » du Christ !

15 Rigaudière, Albert, « L’argent au Moyen Âge » dans Penser et construire l’État dans la France du Moyen Âge, Paris, CHEFF, 2003, p. 661-680.

16 Krynen, L’empire.., op. cit., p. 170-178.

17 Citant saint Jérôme, l’auteur rappelle que « ceux qui veulent s’enrichir tombent dans le piège et la tentation du démon ». Vincent de Beauvais, De l’institution du prince, édité par Charles Munier, Paris, Cerf, 2010, p. 201-203.

18 « Faits du grand Alexandre », dans Régnier-Bohler, Danielle (éd.), Splendeurs de la cour de Bourgogne. Récits et chroniques, Paris, 1995, p. 547.

19 Qui reste très théorique ! Rigaudière, Albert, « L’essor de la fiscalité royale », dans Rigaudière Albert, Penser et construire..., op. cit., p. 523-590.

20 Santamaria, Jean-Baptiste, La Chambre des comptes..., op. cit., p. 282-294.

21 Baldwin, John, Philippe-Auguste, Paris, Fayard 1991, p. 82-83.

22 Autrand, Françoise, Charles V, Paris, Fayard, 1994, p. 847. Au même moment, Charles V remboursait ses créanciers, autre acte indispensable à son salut.

23 Autrand, Françoise, « La guerre des gens... », art. cit.

24 Vincent de Beauvais, De l’institution du prince, op. cit., p. 201-203.

25  Viollet, Paul, « Notes sur le véritable texte des instructions de Saint Louis à sa fille Isabelle et à son fils Philippe-le-Hardi », Bibliothèque de l’école des Chartes, t. 5 (6e série), 1869, p. 129-148 ; De Wailly, Natalis, « Joinville et les enseignements de Saint Louis à son fils », Bibliothèque de l’école des chartes, 1872, vol. 33, p. 386-442 ; Delaborde, Bénigne-Marie-Henri-François, « Le texte primitif des Enseignements de Saint Louis à son fils », Bibliothèque de l’école des chartes, 1912, vol. 73, p. 73-100.

26 « Si tu tiens riens de l’autrui ou par toy ou par tes devanciers, se c’est chose certaine, rens le sans aucune demourance ». BN Fr. 22921, f° 213 v.

27 « Fay trop bien prendre garde des despens de ton hostel que ilz soient raisonnables et amesurés ». BN Fr. 22921, f° 213 v.

28 Viallet, Paul, « Note... », op. cit.

29 Krynen, Jacques, L’empire du roi.., op. cit., p. 168.

30 En particulier à partir du Liber de informatione principum probablement adressé à Louis X. Krynen, Jacques, L’empire du roi..., op. cit., p. 188.

31 Krynen, Jacques, L’empire du roi..., op. cit., p. 186.

32  Deux exemplaires sont conservés à la bibliothèque royale de Bruxelles (Ms. 9468 et 9475). Scordia, Lydwine, « Le roi, l’or et le sang des pauvres dans Le livre de l’information des princes, miroir anonyme dédié à Louis X », Revue historique 3/ 2004 (n° 631), p. 507-532.

33 Boudet, Jean-Patrice et Sené, Elsa, « L’Avis à Yolande d’Aragon : un miroir au prince du temps de Charles VII », Cahiers de recherches médiévales et humanistes, n° 24, 2012, 51-84.

34 Krynen, Jacques, L’empire du roi..., op. cit., p. 210-211.

35 Genet, Jean-Philippe, « Une révolution culturelle au Moyen Âge ? », Le débat, n° 14, 1981, p. 158-165, p. 160-161

36 Weisheipl, J, « The Place of the Liber Arts in the University Curriculum during the XIVth and XVth centuries », dans Arts libéraux et philosophie au Moyen Age, Montréal-Paris, 1969, p. 205-265 ; Verger, Jacques, « Pour une histoire de la maîtrise ès-arts au Moyen Âge : quelques jalons », Médiévales, 1987, vol. 6, n. 13, p. 117-130.

37 Krynen, Jacques, L’empire du roi..., op. cit., p. 213.

38 BN, fr. 1197, f° 3-4.

39 Et ne suscite guère non plus l’intérêt des modernes. Ibid., p. 216-223.

40 Vincent de Beauvais, De l’institution..., op. cit., p. 201.

41 Ibid., p. 202.

42 BN, fr. 1197, f° 7.

43 Ibid., f° 12 r. « et par ces voies les sages varles si bien les deffendent et gardent que bon compte en rendent au souverain pastour qui de pres s’en prent garde ».

44 Ibid., f° 24.

45 Ibid., f° 16 r.

46 Guery, Alain, « Le roi dépensier. Le don, la contrainte et l’origine du système financier de la monarchie française d’Ancien Régime », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 39e année, N. 6, 1984. p. 1241-1269.

47 Guenée, Bernard, « Le prince en sa cour. Des vertus aux usages (Guillaume de Tyr, Gilles de Rome, Michel Pintoin) », Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 142e année, N. 3, 1998. p. 633-646.

48 Bordiere, Henri-Léonard, Philippe de Rémi, sire de Beaumanoir, juriste et poète national du Beauvaisis, 1246-1296, Paris, 1869, p. 302 et suivantes.

49  « Par ce conte poés savoir/ Que fox larghes pert son avoir ». Philippe de Beaumanoir, Le dit de folle largesse, Bordière, Philippe de Rémi..., op. cit., p. 302.

50 Guenée, Bernard, « Le prince en sa cour... », art. cit.

51 Krynen, Jacques, L’empire du roi..., op. cit., p. 197

52 Jean Juvénal des Ursins, Histoire de Charles VI, dans Choix de chroniques et mémoires sur l’histoire, Paris, 1838, vol. 4, p. 367.

53 Christine de Pizan, Le livre des fais et bonnes meurs du sage roy Charles V, éd. S. Solente, Paris, 2 vol. 1936-1940, chapitre XXV.

54 BNF, Fr. 1485, f. 130-132.

55 Jehan d’Arras, Mélusine, Charles Brunet (éd.), Paris, 1854, p. 411. Il s’agit d’une édition fondée sur la première publication, en 1478, due à Steinschaber. Le manuscrit BNF Fr. 1485 exige cette pratique de chaque seigneur (f° 130 v.)

56 Le manuscrit Français 1485 indique qu’il fut entamé en 1387 et achevé le 8 août 1393. BN Fr. 1485, f° 1 et 136 v.

57 Moulins en 1374, Bourges en 1379, Dijon et Lille en 1386, Blois en 1388.

58 BN Fr 1485 f. 130.

59 Enguerrand de Monstrelet, Chroniques, éd. L. Douët-d’Arcq, t. 2, Paris, 1858, p. 317.

60 Le songe véritable. Pamphlet politique d’un parisien du xve siècle, éd. H. Moranvillé, Paris, 1891, p. 58.

61 Il faut évidemment voir ce « bel exemple » comme une antiphrase. Commynes, Mémoires, édité par B. de Mandrot, t. 2, Paris, 1903, p. 338.

62 « Les princes et mesmement le roy Louys XI, soy confians de l’argent qu’ils levoient sur le peuple, à leur volonté, ne tenoient pas grand compte de leurdit domaine, et par ce moyen les fermiers, et autres qui en avoient charge, faisoient beaucoup de tromperies. » Histoire singuliere du roy Louis XII, Paris, 1587, p. 49.

63 Thomas Bazin, Histoire des règnes de Charles VII et Louis XII, éd. Quicherat, t. I, Paris, 1855, p. 312-326.

64 Un doute demeure sur l’auteur, soit Ghillebert soit son frère Hugues. Sterchi, Bernhard, « Hugues de Lannoy, auteur de l’Enseignement de vraie noblesse, de l’Instruction d’un jeune prince et des Enseignements paternels », Le Moyen Âge, t. 110, n° 1, 2004, p. 79-117.

65 Potvin, Charles, Oeuvres de Ghilebert de Lannoy, Louvain, 1878, p. 295-296.

66  Sur Ghillebert de Lannoy, voir notamment Paviot, Jacques, « Ghillebert de Lannoy », dans Desmedt, Raphaël (dir.), Les chevaliers de l’Ordre de la Toison d’Or au xve siècle. Notices bio-bibliographiques, Francfort, 1994, p. 26-29. Lequel conserve l’attribution à Ghillebert.

67 La version B se montrait plus prudente et attendait du prince qu’il fasse voir ses recettes et en fasse faire un extrait des charges, « et icelles veues et regardees par conseil de preudhommes » en fasse ôter le superflu.

68 Paviot, Jacques « Ghillebert de Lannoy », art. cit.

69 Arsenal, n° 5104, f° 41 r.

70 BN, Arsenal n° 5104

71 Brown, Peter, A travers un trou d’aiguille : la richesse, la chute de Rome et la formation du christianisme¸ Paris, Les Belles Lettres, 2016 ; Le prix du salut. Les Chrétiens, l’argent et l’au-delà en Occident (iiie-viie siècle), Paris, Belin, 2016.

72 Le Fur, Didier, Charles VIII, Paris, Perrin, 2006, p. 34.

73 Rey, Maurice, Les finances royales sous Charles VI. Les causes du déficit, 1388-1413, Paris, 1965 p. 615.

74 Encore sous Charles VII dans les années 1440, les grandes ordonnances comme celle du 25 septembre 1443, ou celle du 10 février 1445 sont destinées à garantir l’indépendance du domaine. Lassalmonie, Jean-François, La boîte à l’enchanteur. Politique financière de Louis XI, Paris, 2002, p. 27-30.

75 Le Goff, Jacques (éd.), La ville en France au Moyen Âge, Paris, 1998, p. 537.

76 Jassemin Henri, « Le contrôle financier en Bourgogne sous les derniers ducs capétiens (1274-1353) », Bibliothèque de l’Ecole des Chartes, t. LXXIX, 1918, p. 102-141, p. 111-123.

77 Demotz, Bernard, « La Chambre des comptes de Savoie », dans Contamine Philippe et Mattéoni, Olivier (éds.), Les Chambres des comptes en France aux XIVe et XVe siècles, textes et documents, Paris, 1995, p. 181-198.

78 Kerhervé, Jean, « La Chambre des comptes de Bretagne », Ibid., p. 127-180.

79  En 1289, « rex audivit apud Credolium compotos suos : sont présents Charles de Valois, le duc de Bourgogne, le Bouteiller, le seigneur de Nesle, le seigneur d’Harcourt, l’évêque d’Orléans, le doyen de Tours, le seigneur de Montmorency, fr. Arnoul de Wisemale, G. d’Harcourt, Renier Barbou, Pierre de Chambly, Oudard de Chambly et Huges de Bouville ». BN, Latin 9018 f. 25-26, Rouen Bib. mun., Menant, Liber n° 5870 t VIII f 1-19. Lalou, Elisabeth, « La Chambre des comptes de Paris : mise en place et fonctionnement (fin xiiie-xive siècle), dans Contamine, Philippe et Mattéoni, Olivier (dir.), La France des principautés. Les Chambres des comptes xivème et xvème siècles, Paris, CHEFF, 1996, p. 3-15.

80 Demotz, Bernard, « La Chambre… », art. cit.

81 Kerhervé, Jean, « La Chambre... », art. cit.

82 Ordonnances des rois de France de la 3e race, 1er vol. , p 704 et suivantes ; Lalou, Elisabeth, « La Chambre des comptes du roi de France », Les chambres des comptes, op. cit., p. 3-8.

83 Jassemin, Henri, La chambre des comptes de Paris au xvème siècle, Paris, 1933, p. XXXIX.

84 Richard, Jean, Les ducs de Bourgogne et la formation du duché du xie au xive siècle, Paris, Les Belles-Lettres, 1954, p. 441-447.

85 À Lille, c’est le 7 février 1389 que le duc de Bourgogne interdit la présence, jugée encombrante, des gens du Conseil. ADN B 883, n° 11808.

86 Lemonde, Anne, Le temps des libertés en Dauphiné. L’intégration d’une principauté à la Couronne de France (1349-1408), Grenoble, 2002, p. 89.

87 L’ordonnance de Brignolles en 1297 en atteste. Coulet, Noël, « La Chambre des comptes de Provence », dans Contamine, Philippe et Mattéoni, Olivier (dir.), Les Chambres des comptes en France aux xive et xve siècles, Paris, 1998, p. 199-232.

88 Le roi que fait parler Gerson dans le sermon Adorabunt eum pour l’Epiphanie 1391 évoque ainsi son rapport à Dieu : « Je ne suis que son serviteur et sa volenté commis et ordonné pour gouverner son peuple deuement et justement et en rendray compte jusques au derrain denier en sa Chambre des comptes, en on parlement hault luy seant sur le lit de justice ». Krynen, Jacques, Idéal du prince..., op. cit., p. 110-111.

89 Contamine, Philippe, « An officiarii reis sint multiplicandi », Les Chambres..., op. cit., p. 19-28.

90 « Histoire du bon roi Alexandre adapté en prose par Jean Wauquelin », dans Splendeurs de la cour de Bourgogne..., op. cit., p. 493.

91 Autrand, Françoise, Charles VI. La folie du roi, Paris, 1986, p. 27-28 ; La Selle, Xavier de, Le service des âmes à la cour : confesseurs et aumôniers des rois de France du xiiie au xve siècle, Paris, 1995, p. 155 et 273-274. Il est ainsi proche du contrôleur de la chambre aux deniers Jean d’Aigny.

92 La Selle, Xavier de, Le service..., op. cit., p. 319

93 Thomas, Antoine, Jean de Gerson et l’éducation des dauphins de France. Étude critique suivie de deux de ses opuscules et de documents sur Jean Majoris, précepteur de Louis XI, Paris, Droz, 1930.

94 Schnerb, Bertrand, Jean sans Peur. Le prince meurtrier, Paris, Payot, 2005, p. 29-31.

95  Santamaria, Jean-Baptiste « Les ecclésiastiques et la comptabilité des princes : Bourgogne, Pays-Bas méridionaux, xive-xve siècles », Pécout, Thierry (dir.), De l’autel à l’écritoire : aux origines des comptabilités princières en Occident, à paraître.

96 Sur ce vaste dossier : Schärlig, Alain, Compter avec des jetons : tables à calculer et tables de compte du Moyen Âge à la Révolution, Lausanne, 2003.

97 Kuchenbuch, Ludolf, « Les baguettes de taille au Moyen Âge : un moyen de calcul sans écriture ? », dans Coquery, Natacha, Menant, François et Weber, Florence, dir., Écrire, compter, mesurer. Vers une histoire des rationalités pratiques, Paris, 2006, p. 113-142.

98 Heers, Jacques, Louis XI. Le métier de roi, Paris, Perrin, 1999, p. 143-146.

99 Santamaria Jean-Baptiste, La Chambre des comptes..., op. cit., p. 40-46, 52, 67-68, 111, 150.

100  Contamine, Philippe, « L’audition des comptes seigneuriaux : l’exemple de la maison de La Trémoille », dans Contamine et Mattéoni (dir.), La France des principautés..., op. cit., p. 259-266.

101 Rigaudière, Albert, « L’argent... », op. cit., p. 674.

102 Contamine, Philippe, Guerre, État et société à la fin du Moyen Âge. Études sur les armées des rois de France (1337-1494), Paris et La Haye, Mouton, 1972, p. 111.

103  Jeay, Claude, « Naissance de la signature » dans Zimmermann, Michel (dir.), Auctor et auctoritas : invention et conformisme dans l’écriture médiévale, Paris, Publications de la Sorbonne, 2011, p. 457-476.

104  De La Borde, Léon, Musée des archives de l’empire. Actes importants de l’histoire de France et autographes des hommes célèbres exposés dans l’hôtel Soubise, Paris 1867, p. 219-220.

105 Mimois, Georges, Charles VII, Paris, 2005, p. 634.

106 Georges Chastellain, Œuvres, éd. J. Kervyn de Lettenhove, Bruxelles, 1863-1866, 8 vol. , t. 2, p. 186.

107 Henri Baude, Éloge de Charles VII, dans Chronique de Charles VII par Jean Chartier, éd. Vallet de Viriville, Paris, 1858, 3 vol. , t. 3, p. 156.

108 Le texte relève parfois de l’obsession comptable et fourmille de données chiffrées apparemment précises, sur les effectifs « modérés » de l’armée, le coût du mariage de Madeleine de France promise au roi de Hongrie, la rançon de Guillaume Cousinot, les gages des trésoriers...

109 Mattéoni, Olivier, « La Chambre des comptes du roi de France et l’affirmation de l’État au milieu du xve siècle », dans Id., Institutions et pouvoirs en France. xive-xve siècles, Paris, 2010, p. 153-169.

110 BN, fr. 4312, fol. 1. et 56 v. La dernière ordonnance, datant de 1488, est introduite par la mention « ordonnance du feu roy Charles VIIIe ».

111 BN, Latin 6222 C, fol. 42 v.

112 Le Fur, Didier, Charles VIII, Paris, Perrin, 2006, p. 37.

113 Heers, Jacques, Louis XI, Paris, Perrin, 1999, p. 89-93.

114 Favier, Jean, Louis XI, Paris, Fayard, 2001, p. 254-255. Voir les témoignages de Comynes et des ambassadeurs italiens.

115 Les montants élevés, en dizaines de milliers de livres, comme les petits paiements y foisonnent. Ibid., p. 384-388.

116  En 1476, Louis XI estime ses revenus à trois fois ceux du duché de Milan, estimation d’ailleurs vraisemblable. Ibid. p. 390-391.

117 Godefroy (éd.), Mémoires de messire Philippe de Comines, vol. 2, Londres et Paris, 1747, p. 400, preuves des mémoires.

118 Jean Juvénal des Ursins, Histoire de Charles VI, roi de France, Buchon, Jean-Alexandre (éd.), Choix de chroniques et mémoires sur l’histoire de France, 1838, p. 378.

119 Rey, Maurice, Les finances royales…, op. cit., p. 600.

120 Schnerb, Bertrand, Jean sans Peur, op. cit., p. 29 et 720, n. 15.

121 Lettre reproduite dans Vaughan, Richard, John the Fearless, Londres, (1966) 2002, illustration n° 3, p. 181.

122 Ainsi pour un office de jeu de brelan d’Arras délivré à Jean de Moutonviller dit Mouton Barbier, contre la somme de 30 écus par an. Lettre du 25 juin 1409. ADN B 17611.

123 Mandement daté d’Hesdin, le 2 novembre 1416. ADN B 1601, f° 133 r.

124 Cauchies, Jean-Marie « Droit édictal, gestion et domaine : la Flandre sous le duc de Bourgogne Jean Sans Peur (1405-1419) » dans Pouvoir et Gestion. Cinquièmes rencontres (29-30 novembre 1996), Toulouse, Presses de l’Université des Sciences Sociales, 1997, p. 87-96.

125 Encore que Philippe le Bon puisse déclarer qu’il a renvoyé un tiers de ses gens lors de la bataille de Gavre : « j’en ay renvoyé plus de la tierce part de mes gens » : chiffres et proportions ne lui étaient pas totalement étrangers… Grunzweig, Armand, « Quatre lettres autographes de Philippe le Bon », Revue belge de philologie et d’histoire, 1925, vol. 4, p 431-437.

126 Chastelain, Georges, Oeuvres, éd. J. Kervyn de Lettenhove, Bruxelles, 1863-1866, 8 vol. , t. 3-4, p. 410.

127 Chastelain, Georges, Oeuvres, op. cit.., p. 223.

128 Sur ce point, on attend la publication de plusieurs mises au point : Dumont, Jonathan, Marchandisse, Alain, « Les mentions autographes dans les missives du duc de Bourgogne Philippe le Bon », Colloque international, Épistolaire politique I. Authentiques et autographes (ivexvie siècles), à paraître ; Marchandisse, Alain, Schnerb, Bertrand, « La lettre autographe chez les ducs de Bourgogne de la Maison de Valois », Manu propria. Vom eigenhändigen Schreiben der Mächtigen, 18-19 septembre 2014, à paraître.

129 Paravicini, Werner, « Ordre et règle. Charles le Téméraire en ses ordonnances de l’hôtel », Comptes rendus. Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1999, p. 311-359.

130 Chastelain, Georges, Oeuvres, op. cit., t. 5, p. 360-365

131 Paravicini Werner. « Ordre et règle. Charles le Téméraire en ses ordonnances de l’hôtel », dans Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 143e année, n° 1, 1999. p. 311-359, p. 348.

132 Chastelain, Georges, Oeuvres, op. cit.., t. 7, p. 230.

133 Ibid., p. 234.

134 Cauchies, Jean-Marie, « Que disent les chroniqueurs bourguignons de la gestion politique et des institutions de leur prince ? », dans Gestion et Media. VIe rencontre, 27 et 28 novembre 1997, Toulouse, 1998, p. 29-35.

135 Olivier de la Marche, Mémoires, éd. H. Beaune et J. d’Arbaumont, Paris, 1883-1888, 4 vol. , t. 4, p. 9.

136  Lievois, Daniel, Haemers, Jelle, « Maria van Bourgondië in Hof ten Walle”, Handelingen van de Maatschappij voor Geschiedenis en Oudheidkunde te Gent, 68, 2014 p. 141-163.

137 Arnould, Maurice-Aurélien, « Le premier budget du duc Charles de Bourgogne (1467-1468) », Bulletin de la Commission Royale d’Histoire, 150, 1984, p. 226-271.

138 Paravicini, Werner, « Ordre et règle... », art. cit., p. 311-359.

139 Bautier, Robert-Henri et Sornay, Jeannine, Les sources de l’histoire économique et sociale du moyen âge, II, Les Etats de la maison de Bourgogne. Archives des principautés territoriales, 2 volumes, Paris, éditions du CNRS, 1984 et 2001, vol. 2, p. 60-68.

140 Gachard, Louis-Prosper, Collection de documens inédits concernant l’histoire de la Belgique, vol. 1, Bruxelles, 1833, p. 219.

141 Rouyer, Jules, Hucher, Eugène, Histoire du jeton au Moyen Âge. Première partie, Paris, 1858, p. 17-19.

142 C’est ce qui a été affirmé, sans précision sur les sources, par Viton de Saint-Allais, Nicolas, L’art de vérifier les dates…, Paris, 1818, t. 6, p. 100.

143 En 1498, la ville de Tours lui en offre 60. Rouyer, Jules, Hucher, Eugène, Histoire du jeton…, op. cit., p. 18.

144 De Courcillon de Dangeau, Philippe, Abrégé des mémoires ou journal du marquis de Dangeau, publié par M. Feuillet de Conches, Paris, 1858, t. 6, p. 269.

145 Son argent est « une des grandes pensées en quoy je fu onques, qui m’a duré plus d’un an ». Le texte date de 1429. Cabaret d’Oronville, « Vie de Louis de Bourbon », dans Choix de chroniques..., op. cit., p. 194. Reste que seuls 3 chapitres sur 98 traitent d’administration et de finances. O. Mattéoni, « Portrait du prince idéal et idéologie nobiliaire dans « la Chronique du bon duc Loys de Bourbon » (1429) », Studi Francesi, 39, 1995, n° 115.

146 Chastelain, Georges, Oeuvres, op. cit., t. 4, p. 203.

147 Jean Froissart, Chroniques, éd. Kervyn de Letttenhove, t. 2, p. 448

148 Du moins la scène est-elle rapportée par l’un des manuscrits (la version 4 de Lettenhove). Ibid., t. 3, p. 117

149 Champollion-Figeac, Aimé (éd.), Les poésies du duc Charles d’Orléans, Paris, 1842, p. 416-418.

150  Ibid., p. 421

151 Rondel CXLVIII. Ibid, p. 321.

152 Olivier de La Marche, Mémoires..., op. cit., p. 414.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Jean-Baptiste Santamaria, « « Comment roys et princes doivent diligamment entendre a la conduite et gouvernement de leurs finances ». Portrait du prince en maître des comptes à la fin du Moyen Âge. »Comptabilités [En ligne], 11 | 2019, mis en ligne le 11 juin 2019, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/comptabilites/2259

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Auteur

Jean-Baptiste Santamaria

Université de Lille, laboratoire IRHIS UMR 8529
jean-baptiste.santamaria@univ-lille.fr

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