Gilles Rouffineau, Editions off-line : projet critique de publications numériques 1989-2001
Paris : B42, 2018, 181p. 18 x 12cm, (Esthétique des données)
ISBN : 9782917855713. _ 10,00 €
Préf. de Nicolas Thély
Texte intégral
1« Mais peut-être doit-on oser regarder au-delà du culte du papier et de la belle qualité d’impression et essayer d’explorer nous-même les limites d’un design interactif qui ne peut exister hors de l’écran » (p. 142). Telle est l’injonction de John Maeda, designer interactif, que transcrit Gilles Rouffineau et qui nous invite à entretenir un rapport sensible aux interfaces. Outre l’étude critique d’un pan de l’histoire numérique souvent oubliée (les éditions off-line), l’auteur propose, de nombreux exemples à l’appui, une interrogation actuelle sur l’expérience de l’utilisateur face à l’interface. C’est en effet « l’expérience esthétique » qui était au cœur de la thèse qu’il a soutenu en 2006 – Entre jeu et récit, les conditions de l’expérience esthétique dans les éditions numériques off-line – et dont les deux premiers chapitres ont conduit à l’écriture de ce livre. Les éditions off-line, publications numériques interactives consultables hors-ligne par le biais de supports physiques comme le CD ROM ou le DVD ROM, « support de mémoire informatique » (p. 13), ont été le terrain d’expérimentations d’artistes, de designers, de programmeurs dans les années 1990. Aujourd’hui, suite à l’évolution des technologies informatiques, ces supports sont devenus obsolètes, et les éditions off-line sont pour la plupart oubliées, vestiges d’une histoire numérique qui, par sa nature immatérielle, tend vers l’effacement, le palimpseste. Le livre débute d’ailleurs sur cette image du CD-ROM flottant à la branche d’un cerisier et dont le rôle est d’éloigner les oiseaux. Un objet, dont la fonction première a été oubliée, et dont l’image, désuète, est la figure d’une autre époque, qui recèle pourtant de nombreux trésors numériques. Un objet qui accueille des projets d’ampleur, singuliers et développe une expérience interactive et esthétique sensible pour l’utilisateur. Gilles Rouffineau endosse le rôle de passeur entre les limbes digitaux et notre actualité. Porteur d’une histoire pour les créateurs numériques, peuple sans mémoire. « L’obsolescence impose une sélection précieuse, tout comme l’oubli construit la mémoire » (p. 18). Le livre, publié aux éditions B42, dans la collection Esthétique des données dirigée par Nicolas Thély, est structuré autour de quatre chapitres : de la définition des fonctions de ces éditions, de leurs évolutions, des typologies, des auteurs jusqu’à des exemples précis et référencés dont l’expérience est décrite dans le détail. Le premier chapitre, « De l’objet technique à l’objet éditorial » s’interroge sur le rôle qu’ont tenu ces éditions : entre exposition, livre et film ; entre archive et édition ; vers une expériences singulière et artistique qui dépasse le modèle éditorial du livre et invente une lecture émotionnelle, sensorielle. Le deuxième chapitre, « Intentions éditoriales » précise les positionnements des éditeurs spécialisés dans le CD-ROM artistique. On y questionne la figure de l’auteur, dont le rôle ambiguë et/ou multiple alterne entre écrivain, illustrateur, programmeur, concepteur, directeur. Le troisième chapitre, « Identifier les mutations » évoque une classification et la figure de l’utilisateur, USER, celui qui « prend la main » (p. 110) : Visiteur, participant, opérateur/Observateur, acteur/WReader/Spectacteur… Le dernier chapitre, « Initier une production critique » s’appuie sur l’étude de cinq éditions off-line : une adaptation d’un classique de la littérature de bande dessinée, un jeu interactif, une œuvre artistique, un catalogue de production combiné à une œuvre virtuelle, un objet sonore sans visuel ni interface. Chaque édition fait l’objet d’une étude de la totalité de l’expérience : du coffret contenant le CD-ROM, des interactions numériques, des visuels présents jusqu’aux intentions artistiques. Le livre se conclue sur ce rôle de passeur, de conteur que Gilles Rouffineau adopte. Il exhume ces histoires numériques perdues, une mémoire utile aux designers aujourd’hui.
Pour citer cet article
Référence électronique
Sarah Bruey, « Gilles Rouffineau, Editions off-line : projet critique de publications numériques 1989-2001 », Critique d’art [En ligne], Toutes les notes de lecture en ligne, mis en ligne le 27 mai 2020, consulté le 19 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/critiquedart/47102 ; DOI : https://doi.org/10.4000/critiquedart.47102
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