1À compter de la seconde moitié du XIXe siècle, le Québec voit une partie de sa population émigrer vers les États de la Nouvelle-Angleterre à la recherche de travail pour subvenir aux besoins de la famille. Au même moment, se créent au Québec des sociétés de colonisation qui ont pour but de garder et de rapatrier les Québécois au pays et de favoriser l’immigration européenne, principalement francophone, en provenance de la Belgique, de la France et de la Suisse. À partir des années 1870, plusieurs tentatives sont entreprises pour favoriser l’immigration française dans l’Ouest canadien et dans certaines régions du Québec. Des agents d’immigration sillonnent les régions françaises et incitent les habitants des régions rurales à venir s’établir au Canada malgré une vive opposition des autorités françaises.
2Dans le troisième quart du XIXe siècle, trois projets structurés sont mis de l’avant pour favoriser l’immigration française dans les cantons du Québec. Il s’agit de celui de la Beauce, initié en 1873 par la Compagnie franco-canadienne l’instigation de Victor Vannier (MONTPETIT 1874) ; celui de la Société de colonisation du lac Témiscamingue en 1887 (LA SOCIÉTÉ 1891) ; celui du lac Mégantic, initié par la Compagnie de colonisation et de crédits des Cantons-de-l’Est, fondée à Nantes en 1881 à l’initiative du père Eugène-Marie Peigné et de Jérôme-Adolphe Chicoyne (CAUCHON 1936). Puisque le projet du canton de Metgermette dans la Beauce et celui du lac Témiscamingue furent des échecs, nous nous attarderons à l’immigration française dans la région du lac Mégantic et plus spécifiquement sur le projet de la Compagnie Nantaise qui a permis à une quinzaine de familles françaises de s’établir sur des terres nouvellement ouvertes à la colonisation au sud du lac Mégantic.
3La Compagnie Nantaise s’était donné comme objectif de développer l’industrie forestière dans la région du lac Mégantic et de favoriser l’implantation dans le canton de Woburn (situé à une quinzaine de kilomètres du lac Mégantic) de colons originaires de la région de Nantes, en France. En plus de construire un moulin à scie sur les bords du lac Mégantic, la compagnie réussit à établir plusieurs familles sur des terres que le gouvernement lui avait concédées. Cependant, en raison d’une situation financière difficile – les capitaux requis pour la scierie étant exclusivement français – les actionnaires durent se résigner à vendre leurs actifs à une société américaine qui prit la relève de l’exploitation forestière dans la région (LITTLE 1978).
4Bien que l’un des objectifs de la Compagnie Nantaise n’ait pas été atteint – celui de développer l’industrie forestière – celui d’établir des colons français dans cette région du Québec fut plus réussi puisqu’encore aujourd’hui, la région compte de nombreux descendants de ces colons du XIXe siècle.
- 1 Nous avons inclus dans notre corpus deux familles belges et une famille suisse en raison de la nais (...)
5La présente étude s’attache à identifier les pionniers originaires de France, à mieux connaître leur origine familiale et les conditions de leur établissement au Québec, à analyser leur implication dans leur nouveau milieu de vie et à suivre leur destinée jusqu’à nos jours. Pour les besoins de cette étude, nous avons retenu 45 familles1 – 42 familles françaises, deux familles belges et une famille suisse – totalisant 165 individus (91 hommes et 74 femmes) originaires d’Europe et arrivés au Canada entre 1870 et 1910. Quant à elle, la Compagnie Nantaise amène au pays 67 personnes dont 38 sont originaires de la région de Nantes en Loire-Atlantique. Des 165 migrants, 48 ont épousé des Canadiennes. Du groupe initial, 124 migrants se sont établis dans la région du lac Mégantic. De ce nombre, une cinquantaine seulement sont décédés dans la région, les autres s’étant dirigés vers Montréal, l’Ouest canadien et les États-Unis quelques années après leur installation. À ces 165 personnes, il faut ajouter 112 enfants nés au Canada ou aux États-Unis pour un corpus total de 277 individus.
6Les étapes ayant mené à la rédaction de cet article ont été plutôt ardues en raison de l’absence de sources imprimées permettant d’identifier les immigrants français de la région du lac Mégantic au début de son histoire, bien que quelques pistes nous aient été fournies par les historiens locaux (CAUCHON 1936 ; GRAVEL 1931 ; KESTERMAN 1985). Il fallait également identifier ceux qui sont venus à l’initiative de la Compagnie de colonisation et de crédit des Cantons-de-l’Est pour déterminer l’apport de cette entreprise franco-canadienne à la colonisation de la région. Les recensements nominatifs réalisés entre 1871 et 1911 ont été des sources primaires précieuses pour identifier ces Français établis dans la région du lac Mégantic. Compte tenu de l’ampleur de cette étude, les centres d’archives de Sherbrooke, Saint-Hyacinthe, Québec et Montréal se sont révélés inestimables pour recueillir les sources documentaires nécessaires à la rédaction de cet article. En outre, de nombreuses visites sur place ont été nécessaires entre 2009 et 2011 afin de fouiller les archives locales et de faire connaissance avec la géographie et l’histoire locale. Enfin, deux séjours de recherche à Nantes, en 2009 et 2010, ont permis de remonter aux source de la Compagnie de colonisation et de crédit des Cantons-de-l’Est.
7En 2011, les descendants des Baron, Durand, Galbrand, Gaignard, Joly, Périnet, Rattelade, Socquet et Valence habitent toujours dans la région du lac Mégantic. Les descendants de plusieurs autres familles sont dispersés partout en Amérique. Les Bécigneul résident à Saint-Bruno-de-Montarville et à Montréal ; les Guinois, à Sainte-Clothilde de Châteauguay ; les Armeneau, à Calgary ; les Joly, en Abitibi ; les Gardel, au Vermont et les Gentilhomme, en Floride.
8La première phase de la colonisation de la région du lac Mégantic débute dans les années 1850-1860 avec l’arrivée de familles écossaises originaires de la région de Lewis et de Dundee. Ces nouveaux migrants se sont établis le plus souvent comme « squatters » à proximité du lac Mégantic dans les cantons de Whitton et de Marston dans les lieux-dits de Ness Hill et de Marsboro. Les autres cantons, sauf celui de Spaulding où se situera le hameau de La Chaudière, ne sont pas encore officiellement ouverts au peuplement.
9La période qui débute en 1870 est sans doute la plus importante au point de vue historique et démographique, puisqu’elle est marquée par l’ouverture de la région à la colonisation francophone, suite aux efforts des sociétés de colonisation et à la volonté du gouvernement d’ouvrir de nouveaux territoires à la colonisation. Le peuplement des cantons de Ditchfield et de Chesham est d’origine distincte. La colonisation du premier canton se fait principalement par la Beauce et Whitton tandis que pour Chesham, les colons viennent davantage du comté de Compton et plus particulièrement de la paroisse de La Patrie.
10Au cours des premières années de colonisation, dix-huit chefs de familles françaises s’établissent dans la région entre 1872 et 1880. On les retrouve dans les cantons de Chesham et Ditchfield. Parmi celles-ci, six sont de confession protestante. Ces derniers s’établissent surtout dans le canton de Ditchfield. Parmi les familles catholiques, six ont été à l’origine de la demande de l’érection d’une église dans le village d’Agnès en 1875.
11Eugène Bécigneul, originaire de Nantes, a été le premier à s’établir dans le canton de Woburn à titre de directeur de la Compagnie Nantaise en 1880. Il avait la responsabilité de protéger les intérêts des actionnaires français et d’œuvrer à l’établissement des colons dans ce canton. Parmi ces dix-huit chefs de famille identifiés dans le tableau ci-dessous, seulement sept sont décédés dans la région. Les autres l’ont quittée avec leur famille pour s’établir aux États-Unis et dans l’ouest canadien. Seulement deux ou trois chefs de famille sont rentrés en France.
Tableau 1 : Établissement et migration des Français, Belges et Suisses dans la région du lac Mégantic 1872-1880
Nom du chef de famille
|
Année d’arrivée au Canada
|
Année d’arrivée en région
|
Canton d’établissement
|
Année de départ
|
Région de départ
|
Danze, Louis-Charles (1)
|
1872
|
1872
|
Ditchfield
|
|
|
Fournier, François
|
1872
|
1872
|
Ditchfield
|
1888
|
France
|
Gérard, Léopold (1)
|
1873
|
1873
|
Ditchfield
|
|
|
Terroy, Hippolyte
|
1873
|
1873
|
Ditchfield
|
1895
|
États-Unis
|
Résilda, Antoine
|
1873
|
1873
|
Ditchfield
|
1890
|
France ?
|
Armeneau, Julien
|
1874
|
1874
|
Ditchfield
|
1901
|
Alberta
|
Chiquet, François
|
1874
|
1874
|
Ditchfield
|
1890
|
France
|
Chapelain, François
|
1874
|
1874
|
Ditchfield
|
|
|
Guyot, Louis
|
1875
|
1875
|
Chesham
|
1888
|
États-Unis
|
Grillot, Arsène
|
1876
|
1876
|
Ditchfield
|
1900
|
États-Unis
|
Michelot, Pierre
|
1873
|
1877
|
Chesham
|
1900
|
Alberta
|
Charvin, Jean
|
1873
|
1878
|
Chesham
|
|
|
Valence, Marc
|
1873
|
1878
|
Chesham
|
|
|
Barbe, François (2)
|
1878
|
1878
|
Ditchfield
|
|
|
Daguin, Théodore
|
1879
|
1880
|
Chesham
|
1888
|
États-Unis
|
Gardel, Joseph-Félix
|
1874
|
1880
|
Ditchfield
|
|
|
Mertrud, Hippolyte
|
1874
|
1880
|
Ditchfield
|
|
|
Bécigneul, Eugène
|
1880
|
1880
|
Woburn
|
1892
|
Ontario
|
(1) Immigrants belges, (2) Immigrant suisse
12La décennie 1881-1890 est marquée par l’ouverture des cantons de Clinton et de Woburn. Dans le canton de Woburn, les efforts entrepris par la Société de colonisation des Cantons-de-l’Est et par la Compagnie de colonisation et de crédit des Cantons-de-l’Est, mieux connue sous le nom de la Compagnie Nantaise, ont permis l’établissement de la mission de Channay dans le sixième rang du canton.
13Pour peupler cette région de francophones, des colons de France, de Belgique et de Suisse sont sollicités lors de quatre voyages de recrutement de l’avocat Jérôme-Adolphe Chicoyne, voyages effectués en France entre 1880 et 1885. Par la suite, c’est le curé Jean-Baptiste-Adrien Cousineau de la paroisse de Sainte-Agnès de Mégantic qui se rend en France en 1887 pour solliciter la venue de colons, surtout des bûcherons utiles pour le défrichement et l’exploitation forestière. Voici un texte anonyme concernant l’immigration savoyarde au Canada :
En attendant que la voie ferrée du Canadien Pacifique sillonne ce bled et que les Indiens soient parqués (sic) dans leurs réserves, les émigrés savoyards cherchaient dans les vieilles provinces, un travail correspondant, à leurs activités passées. Vers 1886-1887, les journaux locaux font mention du départ d’un fort contingent de Mégevans pour le Canada, où ils vont se livrer à l’exploitation forestière. Un certain nombre fut embauché à la « Compagnie de colonisation et de crédit foncier des Cantons de l’Est » fondée par des capitalistes nantais. La coupe du bois se faisait à Channay, nom de France, donné par le fondateur, mais devenu Saint-Augustin-de-Woburn. La grande scierie se trouvait à Mégantic, près de la frontière américaine du Maine. L’entreprise, mal conduite par des jeunes sans expérience, dut fermer ses portes.
14Ces renseignements ont été tirés d’un mémoire inédit, rédigé par le chef de l’établissement. À cette époque déjà lointaine, les Cantons-de-l’Est étaient couverts de grosses exploitations forestières, qui parmi leurs employés ont dû compter quelques Savoyards. La plupart ont dû faire souche au pays comme les bûcherons de la région de Nantes (en France).
15Les campagnes de recrutement en France sont positives puisqu’entre 1881 et en 1888, plusieurs familles bretonnes et savoyardes acceptent de venir s’établir dans la nouvelle colonie, qui deviendra quelques années plus tard, Saint-Augustin-de-Woburn. D’autres familles françaises s’établissement à Piopolis et à Saint-Léon-de-Val-Racine dans le canton de Marston, mais elles quitteront ces paroisses quelques années plus tard.
16Pour attirer des colons français dans les Cantons-de-l’Est, Élisée Noël, agent de colonisation à Sherbrooke, fait paraître en décembre 1881 le texte suivant dans le journal Le Pionnier. Ce texte a dû paraître dans un journal français mais nous ne l’avons pas retracé :
Les agriculteurs européens pourraient trouver facilement une terre en partie défrichée, avec un nombre suffisant de bâtiments, pour une somme variant de cinq cents à mille piastres (de 2 500 francs à 5 000 francs). On pourrait, pour environ six cents piastres (3 000 francs) acheter une terre de cinquante acres, dont dix acres en culture ; et avec du travail et de l’économie, une famille pourrait y vivre à l’aise avant longtemps. Les terres du gouvernement se donnent presque gratuitement, mais les travaux de défrichement en pleine forêt sont souvent trop durs pour les cultivateurs européens. En revanche, ceux-ci, en apportant au Canada un système amélioré de culture, pourraient y acquérir considération et fortune à l’avantage de leurs familles comme à celui de leur pays d’adoption.
Tableau 2 : Établissement et migration des Français dans la région du lac Mégantic 1881-1890
Nom du chef de famille
|
Année d’arrivée au Canada
|
Année d’arrivée en région
|
Canton d’établissement
|
Année de départ
|
Région de départ
|
Baron, Eugène
|
1881
|
1881
|
Woburn
|
|
|
Durand, Pierre-Marie
|
1881
|
1881
|
Woburn
|
|
|
Mathias, André
|
1874
|
1881
|
Marston
|
1883
|
Montréal
|
Petifourt, Maximilien
|
1880
|
1881
|
Marston
|
1891
|
?
|
Bécigneul, Louis-Marie
|
1883
|
1883
|
Woburn
|
|
|
Bécigneul, Adolphe
|
1885
|
1885
|
Woburn
|
1910
|
Ontario
|
Périnet, Édouard
|
1887
|
1887
|
Woburn
|
|
|
Joly, Ambroise
|
1887
|
1887
|
Woburn
|
|
|
Socquet, Aimé
|
1887
|
1887
|
Woburn
|
|
|
Socquet, Jean
|
1887
|
1887
|
Woburn
|
1907
|
États-Unis
|
Gentilhomme, Pierre
|
1887
|
1887
|
Woburn
|
1895
|
États-Unis
|
Galbrand, Jean-François
|
1888
|
1888
|
Woburn
|
1900
|
Montréal
|
Gaignard, René
|
1888
|
1888
|
Woburn
|
|
|
Guinois, Jean-Marie
|
1889
|
1889
|
Woburn
|
1903
|
Montréal
|
Oisel, François
|
1873
|
1890
|
Marston
|
1901
|
Montréal
|
17Entre 1881 et 1890, six des douze familles françaises quittent le canton de Woburn pour d’autres contrées au cours des années qui suivent, en raison des difficultés d’adaptation à la région et des lourds travaux de défrichement des terres. Malgré ces difficultés, plusieurs familles persistent et demeurent sur leur terre toute leur vie. Les descendants des pionniers Baron, Durand, Périnet, Socquet, Galbrand et Gaignard sont encore présents dans la région du lac Mégantic.
18La décennie 1891-1900 est marquée par une stabilisation de l’immigration française dans la région du lac Mégantic, puisque seulement onze familles s’établissent surtout dans le canton de Ditchfield. La région ne semble plus attirer de nouvelles recrues en provenance d’Europe. Par ailleurs, l’émigration des Canadiens français et des Français vers les États de la Nouvelle-Angleterre réduit considérablement la présence francophone dans la région.
19Au cours de cette décennie, onze chefs de famille, dont une femme, viennent s’établir dans la région mais seulement quatre y demeurent toute leur vie. Pour trois chefs de famille, il n’a pas été possible de retracer leur région de départ, bien que nous croyions qu’ils soient retournés en France.
Tableau 3 : Établissement et migration des Français dans la région du lac Mégantic 1891-1900
Nom du chef de famille
|
Année d’arrivée au Canada
|
Année d’arrivée en région
|
Canton d’établissement
|
Année de départ
|
Région de départ
|
Crevier, Louis
|
1876
|
1891
|
Woburn
|
1900
|
?
|
Longuet, Paul
|
1876
|
1891
|
Marston
|
1893
|
États-Unis
|
Simon, Joseph
|
1888
|
1891
|
Ditchfield
|
1992
|
?
|
Legaud, Jean-Baptiste
|
1893
|
1893
|
Woburn
|
1903
|
Montréal
|
Villeret, Benoît
|
1891
|
1895
|
Ditchfield
|
1919
|
France
|
Rattelade, Jean-Baptiste
|
1886
|
1895
|
Ditchfield
|
|
|
Rattelade, Vincent
|
1886
|
1895
|
Whitton
|
|
|
Bédoiseau, J-Baptiste
|
1897
|
1897
|
Ditchfield
|
1908
|
Montréal
|
Rey, Jean-Stanislas
|
1892
|
1900
|
Whitton
|
1903
|
Montréal
|
Coutreil, Auguste
|
1891
|
1900
|
Marston
|
1902
|
?
|
Durand, M-Catherine
|
1874
|
1900
|
Chesham
|
|
|
20Les recherches sur l’implantation française dans la région du lac Mégantic entre 1870 et 1911 résultent de la compilation d’une base de données à partir de généalogies familiales, des recensements et d’autres sources. Ces informations précises ont permis de réaliser plusieurs analyses, qu’elles soient démographiques (ou qu’elles aient trait au comportement matrimonial des migrants provenant de France), et de les comparer avec les migrants venus à l’initiative de la Compagnie Nantaise.
21Bien que nous soyons devant une micro-analyse, compte tenu du nombre très restreint d’immigrants établis dans la région du lac Mégantic par rapport aux quelque 35 000 Français établis au Canada entre 1870 et 1914, nous pouvons tout de même tirer un portrait socio-démographique de ces migrants sans toutefois pouvoir les comparer, pour le moment du moins, avec les autres établissements français au Canada.
22Les tableaux ci-dessous présentent quelques caractéristiques de cette migration du XIXe siècle, de ces hommes et femmes venus tenter l’aventure de l’Amérique, à une période où la France sortait à peine de la guerre de 1870 et que l’Amérique ouvrait largement ses frontières à l’immigration européenne.
Tableau 4 : Les migrants de nationalité française établis au Canada, au Québec et au lac Mégantic selon les recensements de 1861 à 1911
Année
|
Canada
|
Québec
|
Région du lac Mégantic
|
1861
|
1007
|
359
|
0
|
1871
|
2899
|
723
|
13
|
1881
|
4389
|
2239
|
64
|
1891
|
5381
|
2882
|
94
|
1901
|
7944
|
3183
|
71
|
1911
|
17 619
|
5829
|
43
|
23Dans le tableau 4, les données pour le Québec et le Canada proviennent des recensements canadiens de 1861 à 1911. Les données concernant la région du lac Mégantic proviennent des mêmes recensements appliqués pour les huit cantons étudiés. Les données de ce tableau permettent de constater un déclin de la présence française dans la région du lac Mégantic, phénomène qui est encore plus accentué en 1911. En 1881 et en 1891, l’influence de la Compagne Nantaise dans le recrutement de colons, a pour effet d’augmenter le nombre de Français dans la région.
24Dans les tableaux suivants, nous avons tenté d’établir certaines données sociodémographiques à partir des 165 immigrants français, belges et suisses de notre corpus. Ces données résultent d’un ensemble de sources consultées. Les recherches généalogiques entreprises en Europe et en Amérique sur ces migrants ont permis de connaître, pour chaque individu, leur origine, leur migration et leur établissement au Canada. Les recensements canadiens réalisés entre 1871 et 1911 ont permis de confirmer leur présence au pays à une certaine période de leur vie.
Tableau 5 : Lieux d’origine des 165 migrants dans la région du lac Mégantic en comparaison des migrants venus avec la Compagnie Nantaise
Pays et régions
|
Chefs de famille
|
Nombre total
de migrants
|
%
|
Compagnie Nantaise
|
%
|
Belgique
|
2
|
10
|
6,1
|
0
|
0
|
Suisse
|
1
|
7
|
4,2
|
0
|
0
|
France indéterminée
|
9
|
37
|
22,5
|
5
|
7.5
|
Pays de la Loire
|
12
|
49
|
29,7
|
49
|
73,2
|
Rhône-Alpes
|
5
|
11
|
6,6
|
10
|
14,8
|
Bretagne
|
3
|
6
|
3,6
|
0
|
0
|
Lorraine
|
3
|
14
|
8,5
|
0
|
0
|
Autres régions françaises
|
10
|
31
|
18,8
|
3
|
4,5
|
Total
|
45
|
165
|
100
|
67
|
100
|
25Dans le tableau 5, nous avons recensé 91 hommes et 74 femmes. Trente-six migrants proviennent du département de la Loire-Atlantique dans les Pays-de-la-Loire. Dix des onze migrants de la région Rhône-Alpes sont originaires de la ville de Megève en Haute-Savoie. Malgré des recherches exhaustives en France et au Canada, nous n’avons pu identifier l’origine précise de 21 % des migrants présents dans la région du lac Mégantic. Les migrants venus à l’initiative de la Compagnie Nantaise sont au nombre de 67. Ils représentent 40 % de tous les migrants français présents dans cette région avec 25 % des chefs de famille.
26À l’aide de notre corpus généalogique, nous pouvons préciser l’arrivée au pays et en région des migrants en jumelant les données des recensements canadiens, celles des ports d’arrivée et des registres de l’état civil.
Tableau 6 : Arrivée au Canada et dans la région du lac Mégantic des 165 migrants en comparaison avec les migrants venus avec la Compagnie Nantaise
Périodes
|
Arrivé au Canada
|
%
|
Arrivé en région
|
%
|
Compagnie
Nantaise
|
%
|
1870 - 1874
|
64
|
38,8
|
13
|
8,0
|
0
|
0
|
1875 - 1879
|
16
|
9,7
|
21
|
12,8
|
0
|
0
|
1880 – 1884
|
18
|
10,9
|
48
|
28,3
|
14
|
20,9
|
1885 - 1889
|
55
|
33,3
|
52
|
31,7
|
49
|
73,1
|
1890 - 1894
|
9
|
5,5
|
19
|
11,5
|
4
|
6,0
|
1895 - 1899
|
3
|
1,8
|
12
|
7,6
|
0
|
0
|
Total
|
165
|
100
|
165
|
100
|
67
|
100
|
27Le tableau 6 indique que les migrants français, belges et suisses qui arrivent au Canada avant 1884 ne s’établissent pas directement dans la région du lac Mégantic. Plusieurs migrants ont séjourné ailleurs au Québec avant d’être attirés par la région. Par contre, les migrants venus à l’initiative de la Compagnie Nantaise entre 1885 et 1889 se sont dirigés directement dans la région du lac Mégantic, plus particulièrement dans le canton de Woburn.
Tableau 7 : Ports d’arrivée des 165 migrants ayant séjourné dans la région du lac Mégantic en comparaison avec les immigrants venus avec la Compagnie Nantaise
Port d’arrivée
|
Nombre total
de migrants
|
%
|
Compagnie Nantaise
|
%
|
Québec
|
83
|
50,3
|
17
|
25,4
|
New York
|
47
|
28,4
|
30
|
44,8
|
Montréal
|
4
|
2,5
|
4
|
6.0
|
Inconnu
|
31
|
18,8
|
16
|
23,8
|
Total
|
165
|
100
|
67
|
100
|
28Les données tableau 7 concernant les ports d’arrivée sont similaires, que ce soit des migrants venus sous ou sans l’initiative de la Compagnie Nantaise. Le nombre relativement élevé d’immigrants arrivés dans des ports inconnus est dû aux difficultés d’identification de ceux-ci dans les registres portuaires. Toutefois, nous croyons qu’ils sont probablement arrivés par un port américain. Les migrants arrivés par New York se sont embarqués au Havre en France tandis que ceux qui arrivent par Québec se sont embarqués à Liverpool. Dans cette dernière éventualité, les migrants se sont rendus à Dieppe pour prendre un navire vers New Haven. De la, ils ont pris un train vers Liverpool puis, ils se sont embarqués sur un navire de la Allan Lines à destination du Canada. Ce n’est qu’en 1886 qu’une liaison maritime directe a été établie entre Le Havre et Montréal.
Tableau 8 : Présence des migrants français, belges et suisses dans la région du lac Mégantic selon les recensements canadiens
Cantons
|
1881
|
1891
|
1901
|
1911
|
Chesham
|
16
|
7
|
11
|
8
|
Clinton
|
0
|
0
|
0
|
0
|
Ditchfield
|
35
|
34
|
19
|
5
|
Marston
|
4
|
8
|
0
|
0
|
Louise
|
0
|
0
|
0
|
0
|
Spaulding
|
0
|
0
|
0
|
0
|
Whitton (1)
|
0
|
0
|
10
|
14
|
Woburn
|
11
|
39
|
31
|
16
|
Total
|
66
|
88
|
71
|
43
|
(1) Ville de Mégantic à compter du recensement de 1901
29Dans le tableau 8, on constate que les migrants français sont présents, dans une plus grande proportion, dans les cantons de Ditchfield et de Woburn en raison des activités de la Compagnie Nantaise. C’est au recensement de 1891 que l’on compte le plus grand nombre de migrants dans la région du lac Mégantic. Dans les années suivantes, on observe une importante diminution de ceux-ci en raison de l’exode des populations vers les grandes villes du Québec, l’ouest canadien et les États de la Nouvelle-Angleterre.
Tableau 9 : Mariage des migrants ayant séjourné dans la région du lac Mégantic en comparaison avec les immigrants venus avec la Compagnie Nantaise
Région du mariage
|
Nombre total de migrants
|
%
|
Compagnie Nantaise
|
%
|
Québec
|
72
|
51,5
|
34
|
57,6
|
Ontario
|
1
|
0,7
|
1
|
1,7
|
France
|
54
|
38,2
|
20
|
33,9
|
Belgique
|
4
|
2,7
|
0
|
0
|
États-Unis
|
8
|
5,5
|
4
|
6.8
|
Suisse
|
2
|
1,4
|
0
|
0
|
Total
|
141
|
100
|
59
|
100
|
30Parmi les 165 immigrants recensés dans le tableau 9, 141 sont mariés tandis que 24 sont demeurés célibataires ou sont décédés en bas âge. De ce nombre, 60 migrants étaient déjà mariés avant leur venue au Canada tandis que quatre migrants se sont mariés au pays avec des compatriotes et six autres ont contracté mariage avec des Canadiennes. Il est aussi possible d’établir que 42 Européens se sont mariés dans la région du lac Mégantic. L’origine des conjoints est la suivante : France 82 ; Canada 49 ; Belgique 5 ; États-Unis 3 ; Suisse 2. Les immigrants se sont mariés au Québec dans une proportion de 51 % avec 48 Canadiens ou Canadiennes. Aucun migrant n’est entré en religion à son arrivée au Canada. Les migrants venus avec la Compagnie Nantaise ont sensiblement le même profil matrimonial que l’ensemble des immigrants recensés au cours de la même période.
31Le tableau précédent et le tableau suivant montrent que l’immigration française, belge et suisse vers la région du lac Mégantic est une immigration familiale puisque les migrants arrivent mariés dans une proportion de 40 % et qu’ils amènent avec eux 104 enfants.
Tableau 10 : Nombre d’enfants des 165 migrants ayant séjourné dans la région du lac Mégantic en comparaison avec les migrants venus à l’initiative de la Compagnie Nantaise
Région de la naissance
|
Nombre total d’enfants
|
%
|
Enfants de la Compagnie Nantaise
|
%
|
France
|
98
|
45,6
|
52
|
49,4
|
Suisse
|
2
|
0,9
|
0
|
0
|
Belgique
|
4
|
1,8
|
0
|
0
|
Québec
|
103
|
47,8
|
49
|
46,1
|
Canada (Hors Québec)
|
4
|
1,8
|
3
|
2,7
|
États-Unis
|
5
|
2,1
|
2
|
1,8
|
Total
|
216
|
100
|
106
|
100
|
32Dans le tableau 10, le nombre d’enfants issus des 45 chefs de famille est de 216, soit une moyenne de 4,8 enfants par famille. Ce tableau permet de constater que la grande majorité des enfants des migrants sont nés au Québec dans les années suivant leur arrivée au pays. Des 112 enfants nés au Canada, 87 sont nés dans la région du lac Mégantic. Les migrants arrivés à l’initiative de la Compagnie Nantaise ont sensiblement le même comportement que l’ensemble des autres migrants.
Tableau 11 : Décès des 165 migrants ayant séjourné dans la région du lac Mégantic en comparaison avec les migrants venus à l’initiative de la Compagnie Nantaise
Région du décès
|
Nombre total
de migrants
|
%
|
Compagnie Nantaise
|
%
|
Québec
|
95
|
57,7
|
41
|
61,2
|
Ontario
|
6
|
3,6
|
6
|
8,9
|
Alberta
|
5
|
3,0
|
0
|
0
|
Saskatchewan
|
1
|
0,6
|
1
|
1,5
|
Colombie-Britannique
|
1
|
0,6
|
0
|
0
|
France
|
9
|
5,5
|
4
|
6.0
|
États-Unis
|
42
|
25,4
|
15
|
22,4
|
Inconnu
|
6
|
3,6
|
0
|
0
|
Total
|
165
|
100
|
67
|
100
|
33Le tableau 11 indique que près de 58 % des migrants sont décédés au Québec. De ce nombre, 54 sont décédés dans la région du lac Mégantic entre 1875 et 1967. Parmi ceux arrivés à l’initiative de la Compagnie Nantaise, 58 % sont décédés dans la région comparativement à 33 % pour l’ensemble des migrants. Ce tableau ne tient pas compte des 112 enfants nés au Canada. Toutefois, leur lieu de décès au Canada est assez similaire aux enfants nés en France et décédés au Canada.
Tableau 12 : Exode des 165 migrants ayant séjourné dans la région du lac Mégantic vers les autres régions en comparaison avec les migrants venus à l’initiative de la Compagnie Nantaise
Région d’exode
|
Nombre total de migrants
|
%
|
Compagnie Nantaise
|
%
|
France
|
6
|
11,3
|
2
|
8,7
|
Ouest canadien
|
2
|
3,7
|
1
|
4,3
|
Ontario
|
5
|
9,5
|
6
|
26.0
|
États-Unis
|
38
|
71,8
|
14
|
60.1
|
Inconnue
|
2
|
3,7
|
0
|
0
|
Total
|
53
|
100
|
23
|
100
|
34Le tableau 12 indique la migration des Franco-européens vers d’autres contrées nord-américaines se situe principalement entre les années 1888 et 1922. Pour les États-Unis, 20 migrants ont quitté la région pour s’établir dans l’État du Massachussetts. Par ailleurs, on constate aussi que très peu d’entre eux sont retournés en France. Les raisons de l’exode de plusieurs migrants vers les États de la Nouvelle-Angleterre ont pour cause la pauvreté des sols à cultiver dans la région du lac Mégantic, les difficultés de s’adapter à une région en voie de développement et l’attrait indéniable pour les États-Unis. Les migrants français, qu’ils soient de la région du lac Mégantic ou d’autres régions du Québec, suivent les mêmes voies migratoires que les Canadiens français qui migrent massivement vers le Sud.
35Au cours de la période de 1870 à 1900, seulement 45 familles françaises totalisant 165 individus originaires surtout de France mais aussi de Belgique et de Suisse se sont établis dans la région du lac Mégantic à une période difficile de l’histoire de la région. Ce premier mouvement migratoire n’a pas été suivi par une phase subséquente de migration, puisqu’aucune nouvelle famille française n’est venue s’y établir entre 1901 et 1911. Seize familles s’établissent dans le canton de Woburn, quinze dans le canton de Ditchfield, six dans Chesham, cinq dans Marston et trois dans Whitton avant le début du 20e siècle.
36Notre analyse sommaire d’un groupe spécifique de migrants a permis de constater que seulement dix-huit chefs de familles sont décédés dans la région du lac Mégantic tandis que les autres ont décidé de la quitter en raison des difficultés d’adaptation ou de la pauvreté des terres à cultiver. On doit conclure à un exode assez massif des immigrants français de la région pour s’établir ailleurs en Amérique.
37Malgré cet exode, il demeure que la présence des descendants de ces migrants dans la région du lac Mégantic est encore significative aujourd’hui. Ainsi leur apport à la collectivité s’est-il manifesté dans plusieurs secteurs de l’activité régionale. En 2011, des Baron, Durand, Galbrand, Gaignard, Joly, Périnet, Rattelade, Socquet et Valence habitent toujours dans la région.
38La colonisation française dans la région lac Mégantic au 19e siècle est un exemple concret des efforts soutenus par l’une des compagnies françaises pour établir un noyau de colons français au Québec à une période charnière de l’histoire du Québec. Bien que le nombre de migrants dans la région du lac Mégantic soit modeste, il s’agit d’une des rares réussites d’une implantation française au Québec.