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Les circuits de proximité. Un levier contre la banalisation des paysages alimentaires commerciaux d’une petite ville (Clermont-l’Hérault, Occitanie) ?

Can proximity food supply chains limit the banalization of commercial foodscapes of a small town (Clermont l’Hérault, south of France)?
Orlane Rouquier et Coline Perrin
p. 7-27

Résumés

Dans la littérature, les commerces alimentaires ont souvent été abordés via l’évolution du tissu commercial et le renouvellement des liens entre producteurs et consommateurs. Dans cet article, les auteures traitent conjointement ces deux thématiques en analysant la place des circuits de proximité dans les paysages alimentaires commerciaux d’une petite ville de l’arrière-pays viticole et touristique de Montpellier. En combinant analyse cartographique et paysagère, ainsi qu’enquêtes par questionnaires et entretiens, cet article montre que la banalisation du tissu commercial peut coexister avec une diversité de circuits de proximité s’inscrivant dans le processus de relocalisation de l’alimentation. Bien que peu visibles et représentant souvent de faibles volumes, ces circuits contribuent à maintenir les liens de cette petite ville avec les espaces agricoles environnants. La majorité valorisent une proximité géographique et relationnelle, quelques-uns une proximité plus alternative, dans une démarche militante. Ils dessinent un territoire d’approvisionnement correspondant au périmètre du Pays rural, confirmant ainsi l’échelle choisie pour le projet alimentaire territorial (PAT).

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Notes de l’auteur

Cette étude a été réalisée dans le cadre du projet BâtiAlim à l’INRAE, projet financé par la fondation de France. Les auteures remercient Michaël Pouzenc pour sa relecture constructive.

Texte intégral

1Les commerces sont un vecteur fort de centralité : ils jouent un rôle dans la définition même de ce qu’est l’urbanité (Soumagne, 2013). Ce lien est toutefois aujourd’hui remis en cause par la dichotomie entre des zones commerciales périphériques en expansion et la dévitalisation commerciale des centres-villes des villes petites et moyennes. La France est un des premiers pays à avoir connu une concentration des commerces dans les périphéries (Fernandes et Chamusca, 2014), avec l’essor de la grande distribution et des enseignes franchisées (Péron, 2004). Ces entrées de ville sont critiquées pour « la faible qualité du bâti et la pauvreté du paysage » (Dugot, 2017). Parallèlement, nous constatons en France, depuis les années 1970, un déclin continu des commerces de centre-ville, notamment dans les villes petites et moyennes (Chaze, 2017 ; Madry, 2017). La vacance des locaux, la baisse du nombre et de la diversité des commerces de centre-ville sont reconnues comme un enjeu de politique publique (Munch et al., 2016). Ce déclin n’est pas spécifique à la France, on le retrouve en Belgique, au Royaume-Uni, au Japon ou aux États-Unis par exemple (Delage et al., 2020). Les paysages commerciaux influencent les regards portés sur les territoires. La vacance commerciale, l’uniformisation des enseignes et l’éclatement des centralités engendrent des représentations négatives, la perception d’une banalisation paysagère (Dugot, 2017). L’alimentation joue un rôle particulier dans ces paysages commerciaux car elle fait partie des commerces de proximité indispensables à la vie quotidienne des habitants (Navereau, 2011). Sa dimension culturelle et identitaire compte aussi dans l’image des territoires, notamment dans l’espace rural (Delfosse, 2019). Nous observons d’ailleurs depuis peu un renouveau d’intérêt scientifique pour les commerces alimentaires (Rolland, 2019 ).

2Dans ce contexte, la relocalisation de l’alimentation peut-elle être un levier pour lutter contre la banalisation des paysages commerciaux dans les petites villes de l’espace rural ? Les circuits alimentaires de proximité (Praly et al., 2014) se (re)déploient aujourd’hui en réponse aux nouvelles attentes de la société pour le local (Pouzenc, 2012). Ce processus de relocalisation reste mal défini, mobilisant selon le cas des aspects sociaux et/ou spatiaux (Frayssigne s et al., 2021). Le concept de circuit de proximité a l’intérêt de permettre d’appréhender ces initiatives par leurs proximités à la fois organisée et géographique (Praly et al., 2014). Différents circuits de distribution se revendiquent en effet de la proximité : des circuits qualifiés d’alternatifs (Deverre et Lamine, 2010), des circuits courts (un intermédiaire maximum), mais aussi des circuits longs, impliquant des supermarchés (Pouzenc, 2012 ; Essers, 2020) et d’autres intermédiaires (Delfosse, 2012 ; Baritaux et Billion, 2018). Nous pouvons distinguer ces circuits selon le nombre d’intermédiaires, leur caractère individuel et collectif, la distance géographique entre production et consommation et l’engagement du consommateur (Chaffotte et Chiffoleau, 2007).

3Nous interrogeons ici la place et la visibilité de l’ensemble de ces circuits alimentaires de proximité (CAP) dans les paysages commerciaux d’une petite ville. La question se pose en effet de manière particulière pour les bourgs-centres et petites villes de l’espace rural, dont l’attractivité est étroitement liée à l’activité commerciale (Jousseaume, 1997 ; Chaze, 2017). Nous faisons l’hypothèse que ces circuits pourraient améliorer l’image des paysages commerciaux, en activant des ressources locales et en rendant visibles la relocalisation de l’alimentation et les liens entre les commerces alimentaires et l’agriculture locale.

4Pour répondre à ces questions, nous analysons la place des circuits de proximité dans les paysages alimentaires commerciaux de Clermont-l’Hérault, une petite ville de l’arrière-pays languedocien. L’approche choisie, centrée sur les paysages alimentaires commerciaux, permet simultanément d’aborder l’évolution du tissu commercial et d’interroger la visibilité des CAP et les représentations des acteurs locaux. Après avoir présenté les recompositions commerciales des petites villes en France, le terrain et nos méthodes, nous dressons un état des lieux de la banalisation des paysages alimentaires commerciaux. Puis nous montrons la diversité mais la faible visibilité des CAP. Cette approche par les paysages permet de dégager différentes manières dont les acteurs locaux conçoivent la proximité avec l’agriculture environnante.

Les paysages alimentaires des petites villes de l’espace rural

1. Les recompositions des commerces alimentaires des petites villes

5Les petites villes de l’espace rural nous apparaissent intéressantes pour étudier cette question de l’effet de la relocalisation de l’alimentation sur les paysages commerciaux pour trois raisons : elles ont été peu étudiées, elles connaissent un fort déclin commercial et elles présentent un potentiel de relocalisation alimentaire spécifique.

6Les petites villes, celles qui comptent entre 3 000 et 20 000 habitants (Demazière, 2017), sont une strate négligée par la recherche urbaine (Bailleul et al., 2019). De même, la littérature sur la relocalisation des circuits de distribution s’est focalisée sur des métropoles et leurs espaces périurbains, rarement sur des unités urbaines plus petites (Baysse-Lainé et al., 2018). Pourtant, la petite ville a un intérêt méthodologique : elle permet une étude plus exhaustive de phénomènes de portée plus générale (Édouard, 2012). Dans la littérature, les commerces alimentaires ont été abordés principalement soit dans les travaux sur l’évolution de l’appareil commercial, soit dans ceux portant sur le renouvellement des liens entre producteurs et consommateurs (Rolland, 2019). Le traitement conjoint de ces deux thématiques a rarement été fait. La taille limitée de la petite ville permet de l’envisager.

7La petite ville présente ensuite des enjeux spécifiques concernant les commerces et le lien à l’agriculture. Les définitions fonctionnelles insistent sur le fait que la petite ville est un pôle commercial et de services pour l’espace environnant, avec au moins un hypermarché, une vaste zone commerciale d’enseignes spécialisées, un lycée d’enseignement général et un hôpital (Jousseaume et Talandier, 2016). Les petites villes apparaissent ainsi comme des espaces d’interface par excellence (Mainet, 2008). Dans la plaine du Languedoc, Dugrand (1963) considérait que les petites villes « [rayonnaient] sur de petits pays où [elles assumaient] l’essentiel de la distribution, de l’expédition des produits agricoles, de l’organisation des services » (cité par Édouard, 2012 ). Aujourd’hui encore, les petites villes valorisent la proximité (Navereau et al., 2019) et peuvent être des relais entre les métropoles et les espaces ruraux grâce à leurs liens éventuellement plus forts ou différents à l’agriculture et l’alimentation (Delfosse, 2019). Le maintien des marchés, la tenue de manifestations culturelles ou l’existence d’un patrimoine gastronomique jouent un rôle dans leur image et leur attractivité résidentielle et touristique.

8Ce sont ces relations que les petites villes ont pu conserver avec les espaces de production agricole contigus, ce rôle historique de pivot dans les relations ville/campagne (Mathieu, 1972), qui justifient notre intérêt pour les recompositions des paysages alimentaires commerciaux de cet échelon inférieur de l’armature urbaine.

  • 1  Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne.

9Les commerces alimentaires des petites villes de l’espace rural montrent actuellement des évolutions différenciées, entre déclin et renouveau. Durant les décennies 1980 et 1990, 25 à 30 % des petits commerces alimentaires ont disparu des territoires ruraux (Soumagne, 2002). Les deux tiers des achats alimentaires s’effectuent désormais dans les grandes surfaces périphériques (Pouzenc, 2012). Toutefois, depuis les années 2000, le déclin des boulangeries et boucheries a en partie été compensé dans les espaces ruraux par l’ouverture d’établissements dédiés par exemple aux plats cuisinés, aux produits bio ou équitables (González Cabañas et Pouzenc, 2014). Les initiatives mettant en relation agriculteurs et consommateurs se multiplient (Pouzenc, 2019). La diffusion d’Internet a accompagné l’essor de certains CAP, par exemple des drives fermiers (Deprez, 2017). Les produits agricoles historiquement commercialisés dans les foires des petites villes sont aujourd’hui vendus dans des magasins de producteurs, AMAP1, marchés paysans. Ces diverses formes de commercialisation répondent à l’attente de relocalisation de l’alimentation des consommateurs. De ce point de vue, les petites villes se trouvent dans une situation de proximité spatiale, sociale et culturelle avec l’agriculture environnante, dont nous faisons l’hypothèse qu’elle pourrait être favorable aux CAP.

10Pour comprendre l’effet possible de la relocalisation de l’alimentation sur l’évolution de l’appareil commercial, nous proposons d’analyser la place et la visibilité des CAP dans les paysages alimentaires commerciaux.

2. Une approche par les paysages alimentaires

11Le concept de paysages alimentaires s’inspire de travaux anglophones mobilisant le terme foodscape (Vonthron et al., 2020). Certains auteurs emploient ce terme pour décrire la répartition spatiale des points de vente et l’effet possible de cette répartition sur les comportements alimentaires (Clary et al., 2017). Ils mobilisent les statistiques et l’analyse spatiale pour caractériser différents types de paysage alimentaire et répondre à des questions de santé publique, notamment sur la prévalence de l’obésité dans des quartiers considérés comme des déserts alimentaires. D’autres auteurs définissent de manière plus large ce concept comme l’ensemble des « espaces physiques, organisationnels et socio-culturels » où les individus voient ou entendent parler d’alimentation (Mikkelsen, 2011). De telles approches ethnographiques ou de géographie radicale critique montrent comment les pratiques d’approvisionnement et les paysages alimentaires révèlent des inégalités structurelles du système alimentaire (Miewald et McCann, 2014).

12En France, les recherches sur les paysages alimentaires sont encore peu nombreuses. Elles se sont concentrées sur les paysages agriurbains, pour interroger le lien des citadins à l’agriculture (Nikolli et al., 2016 ; Toublanc et Poulot, 2017). S’intéresser aux expériences sensibles, aux perceptions d’un paysage tel qu’il est vécu par des individus, permet de compléter les informations factuelles établies par les diagnostics socio-économiques et géographiques et peut ainsi renouveler l’aménagement des territoires agriurbains (Buyck et Meyfroidt, 2020).

13Dans le cadre de cet article, nous nous focalisons sur les paysages alimentaires commerciaux, les paysages bâtis et non bâtis entourant les lieux de vente alimentaire, que ce soient des commerces, des restaurants ou des exploitations agricoles. Nous utilisons le terme de « paysage » plutôt qu’espace pour souligner qu’au-delà de leur matérialité, ces paysages sont supports de représentations et de pratiques, imprégnés par des référents culturels et sociaux (Bertrand, 1984). Ce concept permet d’aborder les questions esthétiques et normatives soulevées par la banalisation commerciale comme enjeu de politique publique.

14En nous inspirant de Toublanc et Poulot (2017) et de Vonthron et al. (2019), nous caractérisons les paysages alimentaires commerciaux en croisant plusieurs indicateurs : la densité et la diversité des commerces alimentaires (fixes et ambulants) et des restaurants, le type de bâti (emprise au sol, architecture, hauteur, époque de construction) et l’organisation du bâti (densité urbaine, positionnement du bâti par rapport aux voies de communication).

3. Clermont-l’Hérault, une petite ville dynamique mais relativement pauvre

15Clermont-l’Hérault est un chef-lieu de canton localisé à 45 kilomètres à l’ouest de Montpellier. Au centre d’une « petite aire urbaine », cette petite ville connue pour son ancienne manufacture textile (Caliste, 2016) compte aujourd’hui un petit centre hospitalier, deux lycées et deux hypermarchés. Après deux siècles de stabilité démographique (entre 5 000 et 6 000 habitants de 1800 à 1990), la commune attire de nouveaux habitants depuis l’ouverture des autoroutes A75 et A750 mettant Montpellier et Béziers à 40 mn. Cependant, les déplacements domicile-travail vers ces grandes villes sont limités, car les emplois existent à Clermont-l’Hérault, reconnue par l’INSEE comme un « pôle d’emploi de l’espace rural ». La commune présente en fait une démographie et un bassin d’emplois dynamiques, mais aussi une précarité économique et sociale forte (tableau 1).

Tableau 1. Données démographiques et économiques de Clermont-l’Hérault

Population

8 962 (+ 1,5 % par an entre 2012 et 2017)

Population de plus de 15 ans

7300

Agriculteurs exploitants 

55 (0,8 %)

Artisans, commerçants, chefs d’entreprise

280 (3,8 %)

Cadres et professions intellectuelles supérieures

370 (5,1 %)

Ouvriers

755 (10,3 %)

Professions intermédiaires 

840 (11,5 %)

Employés

1265 (17,3 %)

Autres personnes sans activité professionnelle 

1520 (20,8 %)

Retraités

2215 (30,3 %)

  • 2 Cet indicateur de concentration d’emploi (égal au nombre d’emplois dans la zone pour 100 actifs aya (...)

Indicateurs de dynamique économique

Taux de pauvreté

25 % (17 % en Occitanie)

-

Revenu disponible médian

17 870 € (20 740 € en Occitanie)

-

Emploi et activité

Nombre d’emplois dans la zone

4753

Actifs ayant un emploi résidant dans la zone

2939, soit 46 %

Indicateur de concentration d’emploi2

161,7

Logements vacants

675 en 2017

13 % des logements

231 en 1999

7 % des logements

Source : Insee (2017).

  • 3  Information tirée de la réponse de Clermont-l’Hérault à l’appel à projet « Développement et valori (...)

16La région est touristique, mais Clermont-l’Hérault apparaît plutôt comme un lieu de passage et d’approvisionnement entre des pôles proches (Saint-Guilhem-le-Désert, manufacture royale, cirque de Mourèze…). La commune compte simplement un camping municipal au bord du lac du Salagou. L’armature commerciale alimentaire est diversifiée et complétée par un marché hebdomadaire ancien qui peut atteindre une centaine d’étals en été. Toutefois, les paysages urbains de Clermont-l’Hérault apparaissent peu attractifs : le centre ancien présente des signes de dévalorisation des logements et des commerces3, et l’étalement périphérique lâche récent offre des paysages d’habitats pavillonnaires et de vastes zones d’activités commerciales (carte 1). Autour des espaces bâtis dominent des paysages de collines boisées et de vignes. Les exploitations sont petites, et les chefs d’exploitation âgés et souvent sans successeur (tableau 2).

Carte 1. L’occupation du sol de Clermont-l’Hérault montre un étalement urbain récent important sur les espaces agricoles

Carte 1. L’occupation du sol de Clermont-l’Hérault montre un étalement urbain récent important sur les espaces agricoles

Sources : BDCARTO IGN ; relevés de terrain.

Tableau 2. Données agricoles de Clermont-l’Hérault

  • 4 Secret statistique.

SAU communale

Population agricole

Types de cultures et SAU

Taille moyenne des exploitations

812 ha

139 chefs d’exploitation et coexploitants

86 % ont + de 50 ans

62 % sans successeur

Viticulture

Ovins

Fourrages

Maraîchage

Arboriculture

6,2 ha de SAU (contre 18,6 ha au niveau départemental)

426 ha

Ss4

95 ha

3 ha

3 ha

91 exploitations

Ss

3 exploitations

5 exploitations

4 exploitations

Source : Agreste, Recensement agricole (2010).

17La commune de Clermont-l’Hérault concentre ainsi emplois, commerces et services dans l’arrière-pays viticole et touristique de Montpellier. Elle nous semblait donc intéressante pour analyser les évolutions des paysages alimentaires et de la place des produits locaux en leur sein.

4. Méthode

18Notre méthode a combiné de l’analyse spatiale et paysagère (observations, cartographie, photos) ainsi que des enquêtes par questionnaires (114) et entretiens (17) en 2018.

19Après un recensement dans la base SIRENE, l’arpentage de la commune a permis de localiser et d’enquêter tous les lieux de vente alimentaire :

  • 30 commerces (2 hypermarchés, 2 drives, 6 supermarchés, 9 épiceries, 6 boulangeries, 4 boucheries, 1 primeur)

  • 27 des 29 restaurants recensés (9 fast-foods, 11 brasseries, 7 restaurants)

  • 57 vendeurs ambulants (53 sur le marché hebdomadaire, un maraîcher vendant les autres jours, 3 agriculteurs vendant en bord de route et une AMAP).

20Nous les avons questionnés sur leurs liens avec l’agriculture et sur les produits qu’ils considéraient comme locaux ou en circuit court. Ils nous ont indiqué à chaque fois les produits concernés, leur provenance et leur part en volume dans les ventes. Ces estimations dépendent de la perception et de ce que voulait bien dire l’enquêté (qui pouvait être selon les cas propriétaire, gérant ou simple vendeur).

21Nous avons également identifié onze agriculteurs qui produisent autre chose que du vin – nous les qualifierons d’agriculteurs nourriciers – et une association de jardinage familial via une plateforme participative, de proche en proche, sur les marchés et auprès de la municipalité.

22Ces données ont été intégrées dans le Système d’Information Géographique (SIG) QGIS . Cette enquête a été complétée par la prise de photographies et le repérage dans les archives départementales d’anciens annuaires, de mémoires et de cartes postales pour illustrer l’évolution des paysages.

  • 5  Schéma de cohérence territoriale.

23Pour appréhender le rôle des politiques territoriales, nous avons cherché les actions et projets portant sur l’agriculture, l’alimentation et les commerces dans les comptes rendus des conseils municipaux 2013-2018, documents d’aménagement (SCoT5) et Projet alimentaire territorial (PAT) à l’échelle du Pays Cœur d’Hérault (77 communes).

24Enfin, nous avons conduit et retranscrit intégralement 17 entretiens semi-directifs visant à recueillir différents points de vue sur la place et le potentiel de développement des CAP. Nous avons rencontré 7 agriculteurs (2 arboriculteurs, la directrice de la coopérative oléicole, un éleveur ovin viande et un maraîcher, ainsi que 2 éleveurs (porcs et chèvres) vendant au magasin des producteurs. Nous les avons questionnés sur l’histoire des exploitations, leurs pratiques de commercialisation, les difficultés rencontrées, ainsi que leurs liens avec les collectivités locales. Ces exploitations sont familiales et anciennes, bio ou en agriculture raisonnée, de petite taille (moins de 5 ha et de 4 emplois) et en vente directe.

25Nous avons également interrogé un élu municipal en charge du tourisme et du patrimoine, le directeur général des services et le placier régisseur du marché, la présidente de l’association des commerçants de la ville, trois chargés de mission du Pays, la présidente du conseil de développement du Pays, un élu et une chargée de mission de la communauté des communes.

26Le croisement de ces différentes sources éclaire l’évolution des paysages alimentaires.

La banalisation des paysages alimentaires

27À Clermont-l’Hérault, la restructuration commerciale s’est traduite depuis les années 1980 non pas par un dédoublement commercial, comme évoqué par Aragau (2009), mais par un éclatement des centralités commerciales (carte 1), et par une double crise paysagère, dans le centre ancien et les quatre Zones d’activités commerciales (ZAC) périphériques.

1. L’éclatement des centralités commerciales

  • 6  En 1994 ouvre l’hyper Intermarché, en 1995 le supermarché Superscore devient Shopi (puis Carrefour (...)

28Le nombre de commerces alimentaires a été divisé par deux en 80 ans (figure 1). Beaucoup de crèmeries-fromageries et de petites épiceries du centre-ville ont fermé entre 1939 et 1987, tandis qu’ouvraient en périphérie les supermarchés Superscore et Champion, puis l’hypermarché du groupe Sytème U. Depuis 1987, ce sont surtout les autres petits commerces spécialisés du centre-ville qui ont fermé tandis que se développaient dix grandes surfaces6. Ces grandes enseignes sont toutes situées dans des ZAC périphériques, à l’exception d’un Carrefour Contact dans un quartier résidentiel. Ces évolutions sont conformes à celles observées dans d’autres villes, avec l’uniformisation des enseignes, l’essor des hard discounts, des supermarchés bio et des drives (Desse et Lestrade, 2016).

Figure 1. Évolution des commerces alimentaires par type depuis 1939

Figure 1. Évolution des commerces alimentaires par type depuis 1939

Sources : annuaire 1939 et Rous 1988.

  • 7  Cette estimation doit être considérée avec réserve car les surfaces des petits commerces ne sont s (...)

29Parallèlement, les surfaces de vente alimentaire ont augmenté : elles sont passées de 6 057 m2 en 1977 (Rous, 1988) à plus de 12 582 m2 (CCI, 2021)7.

2. Une double crise paysagère : dévitalisation du centre, uniformisation des périphéries

30Le centre-ville a perdu une partie de son attractivité commerciale. La vacance commerciale est importante (photos 1). « Il y a une désertification due aux problèmes économiques, aux périphéries de grandes surfaces qui ont été développées sans grande concertation, à tout va », explique un commerçant du centre-ville.

Photos 1. Devantures de commerces fermés

Photos 1. Devantures de commerces fermés

Source : clichés des auteures (2018).

31Les commerces alimentaires qui résistent sont les petites épiceries (6), les boulangeries et les commerces de niche (torréfacteur-chocolatier, huilerie). En revanche, le centre n’a plus qu’une seule boucherie (chevaline) : une a fermé en 2018 et deux ont déménagé dans la ZAC.

32L’esthétique extérieure des commerces est très simple. Les devantures se distinguent simplement par la couleur de la peinture et le bandeau autocollant portant le nom de la boutique. Un tiers des restaurants sont des fast-foods, notamment autour du lycée (carte 2, photos 2). Un employé de la mairie constate : « On a un centre-ville qui se dégrade […]. On voudrait redonner de la qualité à cet espace-là, mais les bâtiments commerciaux et les logements ne sont pas à nous ». La mairie contrôle le marché, mais ne considère pas la régulation des autres commerces comme une de ses prérogatives. Les municipalités qui portent une politique commerciale proactive sont rares (Essers, 2020). La présidente de l’association des commerçants de Clermont le regrette. Dans le centre-ville, « on a quelque chose qui n’est pas assez qualitatif dans l’alimentaire. Après, c’est sûr que la place est difficile à se faire, dans le sens où il faut réhabituer les clients à se réapproprier le centre-ville. »

Carte 2. Les commerces alimentaires du centre-ville

Carte 2. Les commerces alimentaires du centre-ville

Sources : BDORTHO IGN, enquêtes de terrain (2018).

Photos 2. En centre-ville, rue commerçante étroite, supérette et fast-food proche du lycée

Photos 2. En centre-ville, rue commerçante étroite, supérette et fast-food proche du lycée

Source : clichés des auteures (2018).

33Face à la désertification commerciale du centre, les quatre ZAC périphériques sont au contraire dynamiques commercialement, mais elles présentent des paysages banalisés car uniformes : marqués par l’usage de la voiture (ronds-points, vastes parkings), le système agro-industriel mondialisé (domination de la grande distribution et des chaînes alimentaires) et une architecture standardisée (vastes hangars métalliques de faible hauteur et à forte emprise au sol).

34Les deux ZAC situées de part et d’autre de l’autoroute, dans la plaine viticole (carte 1), ne sont pas accessibles à pied depuis le centre-ville. Leurs 42 000 m2 de surfaces commerciales (en croissance) attestent toutefois du rôle maintenu de cette petite ville dans la desserte et l’organisation des services des campagnes environnantes.

35« On touche une vingtaine de communes autour de Clermont. Les gens viennent plus facilement ici [à Clermont-l’Hérault] » explique un élu.

36La ZAC de la Salamane, à l’est de l’autoroute, héberge un drive et la plateforme logistique système U. L’implantation de cet immense hangar de 63 000 m2 a fait l’objet d’une opposition citoyenne à cause de la consommation importante de terres agricoles qu’elle a engendrée (carte 1). Ce bâtiment a dû respecter des mesures d’insertion paysagère (plantation d’arbres, façade reprenant les couleurs du paysage). Pourtant, il reste très visible dans le paysage.

37Ainsi, la restructuration commerciale s’est traduite à Clermont-l’Hérault par l’éclatement des centralités et une double crise paysagère, avec un centre vétuste et dévitalisé, et des périphéries d’entrée de ville où la banalisation des paysages tient autant à l’uniformisation des enseignes qu’à la morphologie urbaine. Cette banalisation paysagère s’est-elle accompagnée d’une perte de l’ancrage local des approvisionnements ?

Des produits alimentaires de proximité inégalement visibles dans les paysages

38Nous présentons ici les différents circuits de vente directe puis ceux avec un intermédiaire avant d’interroger enfin le rôle des collectivités locales dans la structuration de ces CAP.

1. Les circuits de vente directe valorisent différentes dimensions de la proximité

39Les circuits identifiés valorisent pour certains la proximité géographique et relationnelle entre les acteurs de la filière et les consommateurs, ce que Navereau et al. (2019) appellent une « proximité traditionnelle », tandis que d’autres s’appuient plutôt sur des valeurs partagées, ce qu’ils appellent une « proximité alternative ».

Le vin et l’huile d’olive, des produits du terroir patrimonialisés

40Le vin et l’huile d’olive sont les deux produits locaux les plus visibles dans les paysages alimentaires. La vigne et les oliveraies occupent la majorité de l’espace agricole (carte 1) et des exploitations (tableau 2). Les coopératives viticole et oléicole sont deux bâtiments imposants, datant des années 1920, marquant l’entrée et la sortie du centre-ville, très accessibles en voiture.

41La coopérative viticole transforme le raisin de 111 viticulteurs (dont 48 de Clermont) mais la vente directe au caveau ne représente que 2 % du chiffre d’affaires, l’essentiel du vin est vendu en vrac via le négoce. Pour l’huilerie, en revanche, la vente directe représente la moitié du chiffre d’affaires. L’huile est commercialisée dans deux boutiques, sur un marché et via Internet. Les 1 400 coopérateurs viennent de l’Hérault et des départements voisins. Les viticulteurs s’inscrivent plutôt dans une logique de quantité, les oléiculteurs dans une logique de « proximité traditionnelle » (Navereau et al., 2019), fondée sur la proximité spatiale entre les acteurs de la filière et avec les consommateurs.

42Ces deux filières historiques sont soutenues par la municipalité qui subventionne leurs manifestations : la soirée des vins au mois d’août et l’huile de Noël. « C’est le patrimoine local », confirme l’adjoint au maire. Un employé municipal ajoute : « Quand on fait des fêtes ou des cérémonies pour la mairie, on va prendre du vin chez un vigneron du coin, on va essayer de faire tourner un petit peu pour soutenir les viticulteurs qui sont là, la cave coopérative. »

Des circuits militants moins visibles et marginalisés

43Certains circuits de vente directe de produits autres que le vin et l’huile d’olive relèvent d’une sphère plus militante. Ils sont moins visibles dans les paysages et ils sont marginalisés dans les politiques municipales.

44Les deux boutiques de producteurs sont situées en dehors des axes marchands et de circulation. La plus fréquentée est installée depuis 2005 dans le centre ancien, elle est exiguë et mal accessible en voiture. Les 31 producteurs réunis en association n’ont aucun contact avec la mairie. Cette boutique fonctionne bien. Une éleveuse décrit une clientèle d’habitués, à fort capital économique, social et culturel, venant de Clermont-l’Hérault mais aussi de communes alentour plus aisées. L’enjeu d’accessibilité apparaît donc physique, mais aussi économique et culturel. Toutefois, ce serait à confirmer par des entretiens auprès des consommateurs. Nous retrouvons ici ce que Navereau et al. (2019) appellent une proximité alternative, fondée sur des valeurs partagées autour de la qualité éthique des produits, des modes de production et de distribution : « les valeurs militantes véhiculées par les productions sont connues et partagées avec les consommateurs » (Navereau et al., 2019).

45Les exploitations qui font de la vente directe sont également peu visibles. Elles sont dispersées dans la campagne et ne sont pas signalées sur les routes. Un éleveur ovin commercialisant lui-même sa viande depuis 2017 explique : « Je pensais démarcher au début. Mais là, rien qu’avec le bouche-à-oreille et la boutique paysanne, on vend tout. » Leur problème actuel est d’obtenir un permis de construire. L’ancienne bergerie en pierre étant inadaptée, les brebis sont sous une serre tunnel verte de 300 m2. Les services d’urbanisme leur refusent toute nouvelle construction car l’exploitation est située dans le grand site classé du lac du Salagou. La ferme doit rester la plus invisible possible dans ce paysage touristique. L’exploitant perçoit ce refus comme un manque de reconnaissance des contraintes spécifiques de son activité d’élevage, une injustice par rapport à d’autres filières agricoles.

46Enfin, les acteurs enquêtés nous ont parlé de trois AMAP, dont deux avaient arrêté de fonctionner, sans que nous soyons parvenus à comprendre pourquoi. La troisième, que nous avons rencontrée, est gérée par la Croix Rouge. Elle livre une quinzaine de paniers bio par semaine. Les produits sont issus de potagers d’insertion d’autres communes. Il s’agit donc ici d’une démarche d’économie sociale et solidaire qui s’inscrit dans une proximité alternative, fondée sur des valeurs partagées.

47L’invisibilisation de ces circuits de vente directe est aussi cognitive (Coolsaet, 2016) : la diversification agricole en cours est ignorée par certains acteurs rencontrés. Un éleveur de la boutique de producteurs explique :

« Ici, on est encore sur le schéma agricole du type : viticulture / cave coopérative / des vignes partout. Alors qu’aujourd’hui, on a un type d’agriculture complètement différent qui se développe, mais qui, pour les élus, n’existe pas. » L’élu municipal rencontré ne connaît pas les maraîchers de la commune : « Il y a beaucoup d’utopistes, de doux rêveurs : ils pensent venir faire un peu de légumes et vendre après. Il n’y a pas de gens qui en vivent. Ils font un petit truc et ils achètent beaucoup au marché gare. C’est pratiquement une agriculture de montagne, on en survit. Ils n’ont pas de gros moyens ces gens-là. »

48Ce verbatim montre un positionnement politique et idéologique personnel. Même s’il parle ici en son nom propre, et non au nom de la municipalité où il n’est pas en charge de l’agriculture, les autres entretiens et le dépouillement des comptes rendus des conseils municipaux ont confirmé que la mairie apporte un soutien financier et publicitaire aux producteurs locaux de vin et d’huile d’olive, mais qu’elle ne soutient ni la diversification agricole locale ni les autres circuits courts alimentaires.

Des points de vente temporaires et ambulants

49La faible visibilité de la vente directe alimentaire est enfin liée à sa temporalité. Beaucoup de points de vente sont temporaires et ambulants.

50Dans les rues étroites du centre ancien se tient un gros marché hebdomadaire. Sur 100 étals, 52 étaient alimentaires en juillet 2018 : 30 offraient des produits en circuits courts, 18 étaient tenus par des producteurs (carte 3). Ce marché est un débouché traditionnel important de l’agriculture environnante. Toutefois, peu d’étals mettent en valeur cette proximité. Rares sont les vendeurs qui indiquent leur statut de producteur. Ceux qui le font s’inscrivent dans une démarche militante de défense d’une petite agriculture paysanne, de « proximité alternative » fondée sur des valeurs partagées.

Carte 3. Les étals du marché rassemblent de nombreux producteurs

Carte 3. Les étals du marché rassemblent de nombreux producteurs

Source : enquête auprès des forains (novembre 2018).

51Ce marché rencontre des difficultés d’après le placier municipal. Les emplacements vides se multiplient. Pour lui, cette crise s’explique en partie par la concurrence de la grande distribution. Il évoque aussi des problèmes d’accessibilité physique :

« On a un seul parking qui se remplit très vite. Les gens, une fois qu’ils sont arrivés tout en haut – ça fait quand même une sacrée montée, il y a presque un kilomètre ! »

52La carte 3 montre l’exiguïté du site et l’éloignement du parking cité, situé proche de la gare. Ces problèmes d’accès sont récurrents dans l’arrêt des marchés (Navarro, 2019) et la dévitalisation commerciale des centres-villes (Munch et al., 2016).

53Tous les matins, deux maraîchers issus de vieilles familles d’agriculteurs clermontais vendent également sur la place de l’église. Leurs étals ne précisent pas qu’il s’agit de vente directe et de produits locaux. La proximité géographique n’est pas un argument de vente auprès d’une clientèle locale d’habitués.

54Par ailleurs, nous avons repéré trois stands de vente de fruits et légumes en bord de route, sur des zones stratégiques d’intense circulation automobile. Contrairement aux points de vente précédemment évoqués, ces stands sont très visibles mais ils restent temporaires. Ils sont tenus par des agriculteurs clermontais, de manière saisonnière et souvent informelle. L’un d’eux explique :

« Le stand est ouvert du 15 mai au 10 septembre. On est là depuis cinquante ans, c’était à mes parents, on a toujours fait ça. Il n’y a pas de surplus, on vend tout. Et je travaille essentiellement avec les gens du coin, très peu avec les touristes. »

55L’argument de vente est une « agriculture raisonnée », des produits « en direct du producteur ». Il s’agit donc ici d’une proximité traditionnelle, géographique et relationnelle.

56Nous avons ainsi identifié six circuits de vente directe de produits agricoles. Quatre sont anciens et concernent une diversité de profils d’agriculteurs (marchés, coopératives, points de vente directe à la ferme et stands de bord de route). Ce sont les plus visibles et ils relèvent généralement d’une proximité traditionnelle, à la fois géographique et relationnelle. Deux circuits sont plus récents, les boutiques de producteurs et l’AMAP. Ils sont moins visibles, relèvent d’une démarche militante et d’une proximité alternative, fondée sur des valeurs partagées entre producteurs et consommateurs (l’économie sociale et solidaire, l’opposition à l’agriculture conventionnelle).

57La carte 4 des producteurs en vente directe offre un aperçu de l’acception du « local » et des flux qui relient Clermont-l’Hérault aux campagnes environnantes. La plupart des producteurs identifiés résident dans l’Hérault (55 sur 64). Une grande majorité de produits vient du Pays Cœur d’Hérault (fruits et légumes, miel et volailles), poissons et coquillages du littoral, les autres viandes et les fromages de l’Aveyron et du Gard, souvent d’élevages extensifs et/ou de filières à haute valeur ajoutée comme les AOC Pélardon, Roquefort. Cette carte confirme le rôle de cette petite ville dans la distribution des produits agricoles, ses contacts directs avec le monde agricole et la pertinence de l’échelle du Pays pour la construction d’un projet alimentaire territorial.

Carte 4. Commune de résidence des 64 producteurs vendant en direct à Clermont-l’Hérault

Carte 4. Commune de résidence des 64 producteurs vendant en direct à Clermont-l’Hérault

Source : enquêtes (2018).

2. Des circuits à un intermédiaire : commerces et restaurants

58L’enquête exhaustive conduite auprès des commerces et restaurants a montré qu’ils s’approvisionnaient peu via des CAP au-delà du vin et de l’huile. Lorsqu’ils le font, cela apparaît principalement comme une stratégie de communication.

  • 8  Le périmètre du « local » a été laissé dans ces courts entretiens à l’appréciation de l’enquêté. P (...)

59Parmi les 27 restaurants, brasseries et fast-foods enquêtés, 12 ont déclaré n’acheter aucun produit local ou en direct chez le producteur, 8 ont déclaré en utiliser moins de 5 % en cuisine, principalement des fruits et légumes achetés en dépannage au marché l’été. Seuls les 7 restaurants disent s’approvisionner entre 30 et 50 % en circuit court et/ou en local8. Ils achètent certaines viandes et fromages chez des producteurs de l’Aveyron et de Lozère. Ils mettent en avant les vins locaux. Des bouteilles d’huile d’olive locale sont mises en scène sur les tables. L’origine des coquillages et poissons venus de Sète ou de Bouzigues est utilisée comme argument de vente. En revanche, l’origine n’est pas indiquée pour les produits non spécifiques à la région, tels que les œufs, le pain ou les fruits et légumes, même lorsqu’ils sont achetés chez des producteurs.

60Dans les 15 épiceries, grandes et moyennes surfaces enquêtées, l’offre alimentaire locale ou en circuits courts déclarée est également très faible : inférieure à 2 % des volumes dans 13 cas (dont nulle pour 6 cas). Seuls les deux supermarchés bios déclarent proposer environ 30 % de produits locaux et/ou en circuits courts. Toutefois, il aurait fallu pouvoir démarcher chaque chef de rayon pour préciser ces estimations. Les produits issus des CAP le plus fréquemment repérés en rayon sont le vin, l’huile d’olive, les fruits et légumes, la viande et le fromage, ainsi que du miel.

61Même si la part de ces produits est très faible pour chaque magasin, ces canaux de distribution peuvent être essentiels pour certains producteurs. La fromagerie artisanale du Salagou vend ainsi 20 % de sa production par les marchés, petits grossistes et épiceries, et 80 % en grandes surfaces parce que, selon le gérant, « c’est là où il y a les plus gros débouchés ». La fromagerie emploie 7 salariés et travaille avec 5 éleveurs (de chèvres, brebis, vaches) implantés à moins de 30 km de la fromagerie. Il s’agit donc là d’un circuit long de proximité qui maintient le lien entre commerces alimentaires et agriculture locale.

62Dans les commerces spécialisés, enfin, la part de l’offre issue des CAP varie. Certaines boulangeries achètent de la farine à des moulins de l’Hérault et des départements voisins. La boucherie chevaline s’approvisionne en Pologne mais les deux autres bouchers déclarent 80 à 90 % d’approvisionnements dans l’Hérault, Aveyron, Gard, et 60 à 90 % en direct chez le producteur (souvent AOP, IGP, label rouge). Ils expliquent choisir certaines bêtes sur pied et mettent en avant l’origine des produits (une vitrine affiche « en direct des éleveurs »). Comme l’a montré Claire Delfosse (2012), ces artisans peuvent structurer l’amont de petites filières, les maintenir, voire les valoriser, en relançant par exemple des savoir-faire menacés.

63Les CAP apparaissent ainsi marginaux en volume dans la restauration commerciale et les magasins d’alimentation générale, alors qu’ils concernent potentiellement une grande variété de produits, via des circuits courts et longs, qui mettent en relation les commerçants avec des producteurs, des transformateurs et des coopératives, de la commune, de l’Hérault et des départements voisins. Les boulangers et bouchers mettent en avant une proximité traditionnelle, géographique ou relationnelle, comme un argument de vente et de communication.

3. Vers une structuration des circuits alimentaires de proximité ?

64Plusieurs personnes rencontrées en entretien en 2018 ont souligné la faible quantité de produits vendus par les CAP, la structuration difficile de l’offre et le manque d’articulation entre les politiques portées par les différents échelons d’action publique territoriale.

65La communauté de communes a la compétence « développement économique ». Elle s’est engagée à soutenir les commerces du centre-ville de Clermont-l’Hérault. Un élu rencontré constatait toutefois en 2018 un manque global d’intérêt :

« L’intercommunalité n’est pas très orientée sur l’agriculture durable. […] On sent que les élus ne sont pas impliqués, que les fonctionnaires n’ont pas les mêmes directives que les associations partenaires. Le tissu associatif et économique n’est pas impliqué. »

66Ce constat était partagé par les employés du Pays Cœur d’Hérault, pourtant engagé depuis 2014 dans un Projet alimentaire de territoire (PAT). Un technicien constatait le manque d’implication des élus. Une autre personne regrettait le manque de moyens humains et financiers.

67Relevant ces difficultés, le conseil de développement du Pays a porté en 2019 une démarche de concertation locale : les États généraux de l’alimentation et de l’agriculture durables (EGAAD). En enrôlant les acteurs locaux, cette démarche participative a permis de renouveler l’engagement dans le PAT des élus, des collectivités, des organisations professionnelles agricoles et des associations citoyennes. Cela a abouti à un nouveau PAT « 3D » (Démocratique-Durable-Décloisonné) porté par le Pays, lauréat régional en 2020 et retenu au niveau national pour plusieurs financements. La structuration des CAP fait partie du programme d’actions en cours.

Conclusion

  • 9  Contrat cadre bourg-centre Occitanie 2018-2021. Commune de Clermont l’Hérault – Communauté de comm (...)

68Notre étude confirme les recompositions commerciales identifiées dans la littérature : l’éclatement des centralités des petites villes (Aragau, 2009) et une double crise paysagère, avec un centre vétuste et des périphéries aux enseignes et à l’architecture uniformes (Desse et Lestrade, 2016). À Clermont-l’Hérault, le déclin des commerces alimentaires de détail se poursuit dans le centre, rejoignant les résultats de Chaze (2017) ou de Delage et al. (2020). Il n’est pas compensé par l’ouverture d’établissements haut de gamme, comme constaté dans d’autres petites villes de l’espace rural (González Cabañas et Pouzenc, 2014) ou de la périphérie parisienne (Aragau, 2009). Pourtant, la mort des petits commerces n’est pas inéluctable : des politiques volontaristes ont fait leurs preuves (Schmit, 2017). En Allemagne, la réglementation encourage la mixité des activités dans les centres-villes et assure un « niveau de services publics et privés correspondant à la taille des villes et à leur inscription dans la hiérarchie régionale » (Munch et al., 2016). À Clermont-l’Hérault, une politique de revitalisation du centre vient d’être engagée via un contrat avec la Région9, incluant un axe de soutien aux commerces (aide au loyer, signalétique). Toutefois, les perspectives de réhabilitation du bâti dégradé de centre-ville semblent plus liées au patrimoine et au tourisme estival qu’aux commerces alimentaires du quotidien, étant donné la précarité économique des habitants et la concurrence des dix grandes enseignes périphériques. Cette importance des grandes surfaces se retrouve dans d’autres espaces ruraux (Pouzenc, 2012), mais elle atteste aussi du rôle polarisateur de Clermont-l’Hérault sur les communes voisines, et ce malgré la proximité de Montpellier, à l’instar des petites villes périurbaines étudiées par Berroir et al. (2017), qui conservent une autonomie en termes de commerces et de services au nord de Paris.

69Dès lors, la relocalisation de l’alimentation peut-elle être un levier pour lutter contre la banalisation des paysages commerciaux ?

70À première vue, la place des CAP apparaît limitée, en volume comme dans les paysages. Pourtant, nous avons identifié une grande diversité de circuits participant de la relocalisation de l’alimentation : des commerces fixes et ambulants, en circuits courts et longs. Un tel éclairage constitue une plus-value par rapport à la littérature, souvent focalisée sur les circuits courts. Les plus visibles sont les plus anciens, ils relèvent d’une proximité traditionnelle, géographique et/ou relationnelle entre agriculteurs et consommateurs (marché, vente à la ferme, coopératives, stands de bord de route). Deux circuits plus récents, les boutiques de producteurs et l’AMAP, sont moins visibles et relèvent d’une proximité alternative, fondée sur des valeurs partagées. Il n’y a donc pas de « désert de circuits courts » (Nikolli et al., 2016). Mais il existe aussi des circuits longs de proximité : un nombre (minoritaire) de grandes surfaces, bouchers ou boulangers utilisent certains produits locaux dans leur stratégie de communication et de distinction. Nous avons notamment retrouvé chez certains bouchers ce que Delfosse (2012) ou Margétic et al. (2019) ont identifié plutôt pour des crémiers-fromagers : des stratégies d’approvisionnement fondées sur un réseau de producteurs avec lesquels des liens individuels sont entretenus. Ces différents CAP coexistent en ciblant différents produits ou gammes et segments de clientèle. Toutefois, une enquête auprès de la clientèle serait intéressante pour comprendre si certains CAP longs, par exemple les deux grandes surfaces spécialisées en bio qui ont ouvert récemment, ne font pas une concurrence croissante aux CAP courts, comme les boutiques de producteurs.

71Cette diversité des CAP, en particulier en vente directe, atteste du maintien de relations fonctionnelles avec l’agriculture environnante. De tels liens existent aussi dans des villes plus grandes (Baysse-Lainé et Perrin, 2017 ; Navarro, 2019). Toutefois, ils ne sont pas valorisés par la petite ville de Clermont. Cet investissement limité des collectivités locales est fréquent dans les espaces ruraux (Barataud et al., 2019). La relocalisation alimentaire n’y apparaît pas comme une priorité. Un élément d’explication cité est la difficile articulation des différents niveaux et secteurs d’intervention publique (Capt et al., 2014). Dans notre étude, c’est effectivement le Pays Cœur d’Hérault qui porte un PAT, une vision politique sur l’alimentation et des actions visant la diversification agricole et l’essor de filières nourricières de proximité. Au contraire, la petite ville de Clermont-l’Hérault ne soutient que le vin et l’huile d’olive, dans une démarche de patrimonialisation, en misant sur la clientèle touristique de passage. Elle ne mobilise que cette dimension de la reterritorialisation de l’agriculture (Rieutort, 2009). Pourtant, elle pourrait faciliter l’installation des autres circuits sur des espaces publics ou dans des locaux commerciaux bien placés via du portage foncier public, ou encore étudier les moyens de rendre ces circuits accessibles à tous. Les difficultés d’accès sont en effet tant physiques, que temporelles, économiques, voire culturelles, lorsque la petite agriculture paysanne est marginalisée par le milieu agricole local, voire par la municipalité. Comme le suggèrent Hochedez et Le Gall (2016), des facteurs psychologiques et culturels doivent également être pris en compte dans les inégalités d’accès à l’alimentation.

72Pour préciser cet enjeu d’accessibilité, il faudrait toutefois compléter nos résultats concernant l’offre par une enquête auprès des consommateurs, pour savoir qui achète dans ces circuits de proximité, et pour analyser comment les différents paysages alimentaires sont perçus, vécus et pratiqués par des habitants de différentes catégories socioéconomiques. L’approche par les paysages alimentaires pourrait ainsi contribuer à renouveler les recherches sur les commerces alimentaires et l’accès à l’alimentation dans les espaces ruraux en repensant l’articulation entre l’agriculture locale et le commerce.

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Notes

1  Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne.

2 Cet indicateur de concentration d’emploi (égal au nombre d’emplois dans la zone pour 100 actifs ayant un emploi résidant dans la zone) montre que Clermont-l’Hérault représente un bassin d’emplois significatif, dépassant la population active locale ayant un emploi.

3  Information tirée de la réponse de Clermont-l’Hérault à l’appel à projet « Développement et valorisation des bourgs-centres en Occitanie (2017-2021) ».

4 Secret statistique.

5  Schéma de cohérence territoriale.

6  En 1994 ouvre l’hyper Intermarché, en 1995 le supermarché Superscore devient Shopi (puis Carrefour contact en 2013), en 2011 ouvrent le supermarché Picard et le drive U, en 2012 le supermarché Aldi, en 2014 les supermarchés Nouribio Market et Lidl, en 2015 le drive Leclerc, et en 2017 le supermarché Marcel & fils Bio.

7  Cette estimation doit être considérée avec réserve car les surfaces des petits commerces ne sont souvent pas recensées par la CCI.

8  Le périmètre du « local » a été laissé dans ces courts entretiens à l’appréciation de l’enquêté. Pour chaque produit qu’il mentionnait comme local, son origine géographique a ensuite été demandée.

9  Contrat cadre bourg-centre Occitanie 2018-2021. Commune de Clermont l’Hérault – Communauté de communes du Clermontais – Pays Cœur d’Hérault. http://www.ville-clermont-herault.fr/IMG/pdf/-785.pdf.

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Table des illustrations

Titre Carte 1. L’occupation du sol de Clermont-l’Hérault montre un étalement urbain récent important sur les espaces agricoles
Crédits Sources : BDCARTO IGN ; relevés de terrain.
URL http://journals.openedition.org/economierurale/docannexe/image/9603/img-1.png
Fichier image/png, 256k
Titre Figure 1. Évolution des commerces alimentaires par type depuis 1939
Crédits Sources : annuaire 1939 et Rous 1988.
URL http://journals.openedition.org/economierurale/docannexe/image/9603/img-2.png
Fichier image/png, 139k
Titre Photos 1. Devantures de commerces fermés
Crédits Source : clichés des auteures (2018).
URL http://journals.openedition.org/economierurale/docannexe/image/9603/img-3.png
Fichier image/png, 255k
Titre Carte 2. Les commerces alimentaires du centre-ville
Crédits Sources : BDORTHO IGN, enquêtes de terrain (2018).
URL http://journals.openedition.org/economierurale/docannexe/image/9603/img-4.png
Fichier image/png, 564k
Titre Photos 2. En centre-ville, rue commerçante étroite, supérette et fast-food proche du lycée
Crédits Source : clichés des auteures (2018).
URL http://journals.openedition.org/economierurale/docannexe/image/9603/img-5.png
Fichier image/png, 269k
Titre Carte 3. Les étals du marché rassemblent de nombreux producteurs
Crédits Source : enquête auprès des forains (novembre 2018).
URL http://journals.openedition.org/economierurale/docannexe/image/9603/img-6.png
Fichier image/png, 238k
Titre Carte 4. Commune de résidence des 64 producteurs vendant en direct à Clermont-l’Hérault
Crédits Source : enquêtes (2018).
URL http://journals.openedition.org/economierurale/docannexe/image/9603/img-7.png
Fichier image/png, 246k
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Pour citer cet article

Référence papier

Orlane Rouquier et Coline Perrin, « Les circuits de proximité. Un levier contre la banalisation des paysages alimentaires commerciaux d’une petite ville (Clermont-l’Hérault, Occitanie) ? »Économie rurale, 379 | 2022, 7-27.

Référence électronique

Orlane Rouquier et Coline Perrin, « Les circuits de proximité. Un levier contre la banalisation des paysages alimentaires commerciaux d’une petite ville (Clermont-l’Hérault, Occitanie) ? »Économie rurale [En ligne], 379 | Janvier-mars 2022, mis en ligne le 02 janvier 2024, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/economierurale/9603 ; DOI : https://doi.org/10.4000/economierurale.9603

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Auteurs

Orlane Rouquier

LISST, Université Toulouse – Jean Jaurès, CNRS, EHESS, ENSFEA ; Innovation, Univ Montpellier, CIRAD, INRAE, Institut Agro, Montpellier : orlane.rouquier@univ-tlse2.fr

Coline Perrin

Innovation, Univ Montpellier, CIRAD, INRAE, Institut Agro, Montpellier ; coline.perrin@inrae.fr

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