Navigation – Plan du site

AccueilNuméros315Affirmations identitaires à trave...Le Choix d’une déesse. Une pièce ...

Affirmations identitaires à travers le théâtre

Le Choix d’une déesse. Une pièce emblématique du théâtre romand

Olivier Robert
p. 309-314

Texte intégral

  • 1 La douzième Fête des Vignerons se déroulera dans une arène de 20’000 places du 18 juillet au 11 a (...)

1Un colloque sur l’histoire du théâtre romand justifiait une représentation théâtrale. L’envie des organisateurs était d’ailleurs d’entrecouper les communications scientifiques par un épisode plus divertissant. La difficulté résidait dans le choix d’une pièce significative et attrayante. Le statut de René Morax, figure centrale du théâtre romand, répondait aux critères. Son répertoire fait la part belle aux grandes fresques historiques et à quelques «vaudoiseries», deux genres difficiles à illustrer dans le cadre donné. Le premier réclamait trop de moyens, le second un accent vaudois naturel que des comédiens ne seraient pas tous en mesure d’adopter. Par son thème, sa forme, le nombre de personnages et la durée, Le  Choix d’une déesse s’adaptait parfaitement aux contraintes. Créée à Vevey le 23  février 1905 par des amateurs, cette pièce s’inscrivait dans le cadre de la Fête des Vignerons qui s’est déroulée en août de la même année. La rejouer quelques mois avant l’édition de 2019 semblait ainsi tout à fait opportun1.

2René Morax commence à s’illustrer dans le théâtre dès 1901 et se taille une réputation avec La Dîme créée à Mézières en 1903. Il devient le librettiste officiel de la Fête des Vignerons de 1905, avant d’inaugurer le Théâtre du Jorat en 1908. Le texte du Choix d’une déesse évoque le débat entre partisans et opposants à la Fête des Vignerons, par essence païenne et célébrant le vin. Les accusations d’alcoolisme et de paganisme sont notamment évoquées dans la presse de l’époque:

  • 2 La Revue, 16 octobre 1905, en ligne sur la plateforme Scriptorium.

La Fête est une fête d’ivrognes, une mascarade où les faux dieux usurpent l’adoration due au vrai Dieu, et il est du devoir des gens pieux et amis des convenances de s’en éloigner2.

  • 3 Voir à ce sujet R. Weibel, «Déchristianisation», in Dictionnaire historique de la Suisse, version (...)

3Il s’agit là de préoccupations qui dépassent le cadre du spectacle et mettent en lumière deux problèmes sociaux du début du XXe siècle suisse, la croissance de l’alcoolisme, engendrant un développement important des mouvements tempérants, et une perte de puissance de l’Église3.

  • 4 Voir S. Carruzzo-Frey, P. Ferrari-Dupont, Du Labeur aux Honneurs.
  • 5 R. Morax, Le Choix d’une déesse, p. 24 sq.

4Si la critique est contemporaine, l’auteur a eu l’habileté ou la prudence de situer son action en 1797, lors de la première fête des Vignerons considérée comme telle4. L’intrigue se déroule à Vevey quelques semaines avant les festivités et l’abbé-président est à la recherche d’une jeune femme de la région, belle et vertueuse, pour incarner Palès, la déesse du Printemps, qui figurera pour la première fois dans le cortège. L’action prend place dans le salon des Delajoux, une famille bourgeoise dont la maison donne sur la place du Marché où se tiendront les festivités. Mme Delajoux est très remontée contre cette fête «d’ivrognes» qui «honore les divinités du paganisme» et fait «offense à la morale, à la décence» et «à toutes les saines traditions de la vertu»5. Mais l’abbé qui vient lui rendre visite insiste:

  • 6 Ibid., p. 49.

L’abbé: Vous allez être aux premières loges pour jouir de la belle fête que prépare notre Vénérable Confrérie des vignerons.
M
me Delajoux: C’est un privilège dont nous ne jouirons guère. Nous ne resterons pas à Vevey pendant la mascarade6.

5Ces propos font échos à ceux tenus en 1905 par des membres de la bourgeoisie veveysanne. Tout l’enjeu sera pour le mari, M. Delajoux, et l’abbé-président de convaincre Mme Delajoux à la fois de rester à Vevey et de laisser sa propre fille prendre le rôle de Palès. Le Choix d’une déesse se révèle d’une étonnante modernité, chaque édition de la Fête des Vignerons engendrant son lot de polémiques. Tandis qu’en 1905 c’est le côté païen qui est condamné par certains, dans l’édition de 2019 c’est la suppression des dieux qui fera débat.

6Les acteurs qui créent la pièce au Théâtre de Vevey ne sont pas tous inconnus, à l’exemple du futur chef d’orchestre Ernest Ansermet (l’abbé-président Levade), de son ami et contemporain Paul Budry (M.  Delajoux), qui fondera avec lui et Ramuz les Cahiers vaudois, et d’Arnold Cérésole (le frère de Mme Delajoux), neveu de Paul Cérésole, président de la Confédération en 1873 et abbé-président de la Confrérie des Vignerons en 1887-1899. D’autre part, trois des actrices appartiennent à une famille en vue dans la région, les Sillig. René Morax devait entretenir des relations très amicales avec l’une d’elles, Madeleine Guex (-Sillig), puisqu’il lui dédie sa pièce. Membres de l’élite culturelle de la région, l’ensemble des acteurs sont de la même génération, ayant presque tous la vingtaine.

7En 2018, l’année du colloque, les responsables du théâtre de l’Université de Lausanne, la Grange de Dorigny, cherchaient à fonder une troupe de théâtre qui donnerait l’occasion à la communauté universitaire de se produire sur site. Le Choix d’une déesse tombait à point nommé. C’est ainsi que huit étudiants se sont trouvés réunis pour monter ce spectacle sous la direction du soussigné, qui pratique la mise en scène depuis de nombreuses années. L’absence d’équipe technique, notamment pour les décors et les costumes, les moyens financiers très limités, un casting réunissant cinq femmes et trois hommes pour quatre rôles masculins et quatre rôles féminins constituaient le cadre obligé de la mise en scène, qui allait être indiscutablement différente de celle de la création. La réalisation s’orienta vers le service du texte au moyen d’une approche farcesque et non totalement genrée. L’infrastructure technique de la Grange et la taille du plateau servaient magnifiquement ce spectacle, dont l’aire de jeu était déterminée par un cercle de sciure tracé au sol (figs 1-3). Omniprésents, les comédiens se plaçaient à l’intérieur du cercle lorsqu’ils jouaient, et à l’extérieur, à vue du public, lorsqu’ils attendaient leur entrée. Quelques accessoires et meubles apparaissaient et virevoltaient au fil des besoins, les comédiens se costumaient et se grimaient à vue. La disparité des niveaux de jeu impliquait une direction d’acteurs orientée sur les qualités spécifiques de chaque comédien.

Fig. 1 — Prise de vue de la répétition générale du spectacle du 5 octobre 2018. Photographie de Jérôme Klotz.
Distribution:
Justin Bolomey, frère de Mme Delajoux: Suzanne Balharry
Constant Delajoux, mari de Mme Delajoux: Marek Chojecki
Louis Levade, abbé de la Confrérie des Vignerons: Cécile Fasel  
Charles-Isaac, son fils: Florian
Gumy
M
me Herminie Delajoux: Antoine Klotz
Sylvie, sa fille: Mayumi
Hamada  
M
lle Andréane du Rosay, amie des Delajoux: Sophie Desbiolles
Nanette, domestique: Valentine Cuenot

Fig. 2 — Prise de vue de la répétition générale du spectacle du 5 octobre 2018. Photographie de Jérôme Klotz.

Fig. 3 — Prise de vue de la répétition générale du spectacle du 5 octobre 2018. Photographie de Jérôme Klotz.

8Créé le 5 octobre 2018 devant une salle comble, ce spectacle n’a connu qu’une seule représentation, les membres de la troupe n’ayant pu se réunir à nouveau en raison des contraintes du calendrier académique.

Haut de page

Bibliographie

Morax, René, Le Choix d’une déesse, Vevey, Klausfelder, 1905.

Carruzzo-Frey Sabine, Ferrari-Dupont, Patricia, Du Labeur aux Honneurs. Quatre siècles d’histoire de la Confrérie des Vignerons et de ses Fêtes, Vevey, Confrérie des Vignerons de Vevey, 1998.

Haut de page

Notes

1 La douzième Fête des Vignerons se déroulera dans une arène de 20’000 places du 18 juillet au 11 août 2019.

2 La Revue, 16 octobre 1905, en ligne sur la plateforme Scriptorium.

3 Voir à ce sujet R. Weibel, «Déchristianisation», in Dictionnaire historique de la Suisse, version du 06.01.2012.

4 Voir S. Carruzzo-Frey, P. Ferrari-Dupont, Du Labeur aux Honneurs.

5 R. Morax, Le Choix d’une déesse, p. 24 sq.

6 Ibid., p. 49.

Haut de page

Table des illustrations

Crédits Fig. 1 — Prise de vue de la répétition générale du spectacle du 5 octobre 2018. Photographie de Jérôme Klotz.Distribution: Justin Bolomey, frère de Mme Delajoux: Suzanne BalharryConstant Delajoux, mari de Mme Delajoux: Marek ChojeckiLouis Levade, abbé de la Confrérie des Vignerons: Cécile Fasel  Charles-Isaac, son fils: Florian Gumy Mme Herminie Delajoux: Antoine Klotz Sylvie, sa fille: Mayumi Hamada  Mlle Andréane du Rosay, amie des Delajoux: Sophie DesbiollesNanette, domestique: Valentine Cuenot
URL http://journals.openedition.org/edl/docannexe/image/3618/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 134k
Crédits Fig. 2 — Prise de vue de la répétition générale du spectacle du 5 octobre 2018. Photographie de Jérôme Klotz.
URL http://journals.openedition.org/edl/docannexe/image/3618/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 182k
Crédits Fig. 3 — Prise de vue de la répétition générale du spectacle du 5 octobre 2018. Photographie de Jérôme Klotz.
URL http://journals.openedition.org/edl/docannexe/image/3618/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 124k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Olivier Robert, « Le Choix d’une déesse. Une pièce emblématique du théâtre romand »Études de lettres, 315 | 2021, 309-314.

Référence électronique

Olivier Robert, « Le Choix d’une déesse. Une pièce emblématique du théâtre romand »Études de lettres [En ligne], 315 | 2021, mis en ligne le 15 mai 2022, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/edl/3618 ; DOI : https://doi.org/10.4000/edl.3618

Haut de page

Auteur

Olivier Robert

Université de Lausanne

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search