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La réception d’une proposition d’objet géographique enseigné chez des professeurs des écoles : l’exemple de la géographie de l’éducation

The reception of a proposal for the definition of geography as taught by primary school teachers: the example of the geography of education
Xavier Leroux
p. 101-117

Résumés

Notre propos est d’interroger l’intérêt d’une possible thématisation des contenus enseignés en géographie scolaire à partir des questionnements d’une branche de la géographie scientifique qu’est la géographie de l’éducation. Nous postulons que cette entrée thématique, transposée, pourrait répondre efficacement aux finalités et aux modalités d’enseignement de la discipline, car elle peut constituer un point de questionnement partagé a priori légitime entre l’enseignant et ses élèves. Une enquête dans 13 classes en école élémentaire bâtie autour de tests de séances de géographie et d’une discussion avec les enseignantes concernées cherche à démontrer le bien-fondé de cette idée.

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Notes de la rédaction

Article reçu le 08/01/2020 et accepté le 09/07/2020

Texte intégral

Introduction

1En 2011, T. Philippot et G. Baillat déploraient que les recherches en didactique de la géographie de la décennie précédente considéraient le maître comme un « enseignant générique » (Philippot & Baillat, 2011). Dans le cadre de l’école élémentaire qui nous intéressera ici, trois thèses en didactique (Pache, 2012 ; Charpentier, 2014 ; Glaudel, 2016) et une privilégiant une approche ethnographique des savoirs (Baudinault, 2017), sont venues depuis combler ce manque en tenant compte du parcours des enseignants et de leur rapport à la discipline. Les conclusions de ces travaux se rejoignent autour d’un intérêt affiché pour la géographie et ses enjeux mais d’un difficile rapport à la prescription, à la préparation et au choix des activités mêmes proposées en classe, conséquences d’une carence en formation et d’une forte inertie dans l’image que se font les enseignants de la discipline alors que la science de référence évoluait fortement.

2Nous souhaitons, pour notre part, laisser de côté les aspects relatifs aux dispositifs de classe et à la préparation pour isoler la question du thème de l’objet afin de voir si ce thème a une influence sur l’intérêt que peuvent porter les enseignants et les élèves à un moment d’enseignement-apprentissage en géographie. Pourquoi tel sujet fonctionnerait mieux que tel autre ? C’est en questionnant les rapports aux savoirs des enseignants et des élèves que nous pourrons tenter d’apporter une réponse.

3Nous pensons plus précisément à la question de l’école et de l’éducation qui, prise spatialement, pourrait thématiser un cours de géographie en suscitant l’intérêt tant des élèves que des enseignants tout simplement parce qu’ils habitent et pratiquent (Stock, 2004 ; Lazzarotti, 2006) ces espaces de l’éducation de manière simultanée. Nous pensons également que les enseignants peuvent être sensibles à certaines entrées relatives à ce que des géographes (R. Hérin, P. Caro, R. Rouault…) nomment « géographie de l’éducation » : il s’agit, entre autres choses, de l’étude de l’affectation dans les structures d’enseignements, de la territorialisation de l’éducation prioritaire, des mobilités engendrées par le parcours scolaire des individus.

4Le cadre temporel de notre étude se veut favorable à un tel test puisque cette thématique peut tout à fait correspondre aux finalités et aux modalités actuellement prescrites de l’enseignement de la discipline (interpréter les façons dont l’homme organise ses espaces de vie et ce, en le montrant de manière thématisée).

5Pour donc tenter de voir en quoi une thématisation par la « géographie de l’éducation » pourrait trouver sa place dans la mise en œuvre par les enseignants de séances de géographie, nous retenons le plan suivant : nous exposerons tout d’abord les éléments qui peuvent amener des enseignants à considérer un contenu géographique légitime pour l’enseigner ; nous présenterons ensuite les grands questionnements de cette « géographie de l’éducation » et sa possible transposition dans les classes pour tâcher de voir en quoi de possibles didactisations de ces contenus permettraient à des enseignants de s’approprier les finalités de l’enseignement de la géographie telles qu’elles sont aujourd’hui formulées, en rupture à la fois avec celles des programmes antérieurs et les finalités réelles des professeurs enquêtés ; nous présenterons enfin le protocole et les résultats d’une expérimentation visant à thématiser ainsi cet enseignement de la discipline.

6La recherche s’est effectuée dans le premier degré où 13 enseignantes de classe de CE2, CM1 et CM2 ont été amenées à mener des séances de géographie illustrées par la thématique de la géographie de l’éducation pour voir si ce thème influe sur l’intérêt porté par les professeurs à l’enseignement-apprentissage des contenus mobilisés. C’est en tant que praticien-chercheur, professeur des écoles, docteur en géographie, que nous avons conçu et fourni les séances à mettre en œuvre.

Cadre théorique

Des déterminants d’un objet géographique enseigné

7La question de savoir ce que l’on enseigne dans le cadre d’une discipline scolaire nous invite à interroger un certain nombre de termes qui varient selon les auteurs et les contextes dans lesquels ils ont produit leurs définitions. Nous nous plaçons dans le cadre de la didactique de la géographie à l’école élémentaire. Nous aimerions travailler la question du thème de l’objet enseigné pour voir si ce thème a une influence sur la façon dont les enseignants mettent en œuvre et vivent leur enseignement de géographie et sur la façon dont les élèves les reçoivent et se l’approprient, c’est là notre hypothèse.

8Si la notion de thème apparaît sporadiquement pour évoquer le sujet sur lequel porte une réflexion, la coloration que peut prendre un enseignement, elle n’est en revanche pas vraiment définie, ce qui nous amène à faire un détour par d’autres termes notamment celui « d’objet d’enseignement » ou « d’objet géographique enseigné ». Le premier est issu de la thèse de T. Philippot (2008) qui voit dans l’objet d’enseignement « le contenu particulier, identifiable dans la géographie scolaire, travaillé par les enseignants et que les élèves doivent s’approprier ». Le second provient de la thèse de A. Glaudel (2016) qui, elle, voit dans l’objet géographique enseigné, un ensemble « d’opérations de connaissance géographique (suscitées et mises en œuvre par l’enseignant), des questions relatives au « réel » géographique (explicites ou sous-jacentes à des notions géographiques utilisées), des représentations objectales de l’espace (discours, carte, image…) ».

9Ces deux concepts, sur lesquels nous pourrons poser une variation du thème par la suite, nous semblent opératoires pour le bon ancrage théorique de notre expérimentation. Nous choisissons de garder le vocable du second pour la suite de notre propos et interrogeons également le rapport au savoir que peuvent avoir enseignants et élèves face à tel ou tel « objet géographique enseigné » et plus précisément à la façon dont il est thématisé. La notion de rapport au savoir peut être définie comme « une relation de sens, et donc de valeur, entre un individu et les processus ou produits du savoir » (Charlot et al., 1992). Retravaillée par B. Charlot, la notion s’organise autour « de la compréhension de la « connexion entre un sujet et un savoir », « à l’appropriation du savoir en le faisant sien », notamment si le savoir « éveille chez le sujet certains échos, s’il fait sens pour lui » (Charlot, 2001).

10Face à ces éléments généraux, il apparaît nécessaire d’avancer dans un cadre didactique puisque les savoirs scolaires sont spécifiques à leur dimension disciplinaire, aux conditions de leur transmission par les enseignants et que les sujets, enseignants et élèves, ne sont pas génériques et entretiennent des rapports personnels aux savoirs. S’agissant de géographie et donc d’espace, il est nécessaire d’envisager un rapport aux savoirs de nature spatiale, « un rapport géographique au monde » (Thémines, 2004) qui articule la logique de la « discipline scolaire » (Chervel, 1988) ou du « modèle disciplinaire » (Audigier, 1993) et la logique de l’expérience personnelle de l’espace basée sur la « géographicité » (Dardel, 1952) qui se définit comme « une interrogation sur l’origine et la nature de la connaissance géographique, en ce qu’elle a d’universel, liée à la condition de tout être humain confronté à un monde dans lequel il apprend à vivre en société » (Thémines, 2006). Cette géographicité peut prendre corps dans « divers contextes propices à des spatialisations (vie quotidienne, géographie scolaire, formation professionnelle dans le cas des enseignants, etc.) » (Glaudel, 2016), ce qui peut nous amener à réfléchir à de nombreuses variations de thèmes pour illustrer des objets géographiques enseignés. Le contexte de « vie quotidienne » apparaît intéressant à investiguer puisqu’il peut tout à fait correspondre au cadre personnel mais également au cadre professionnel, la frontière entre les deux pouvant être poreuse.

11Outre le rapport direct et personnel de l’enseignant « à la géographie à enseigner, sa géographie et sa spatialité » récemment rappelé (Philippot et al., 2016), les objets géographiques enseignés et les thèmes qui les illustrent dépendent également de facteurs comme « les manuels scolaires, les goûts personnels de l’enseignant, parfois des souvenirs lointains » (Philippot, 2008) mais également de la dimension socialement vive de la question (Pache, 2012). Les élèves engagent, eux aussi, « non seulement des connaissances personnelles et les savoirs scolaires qu’ils associent à de la géographie, mais aussi une connaissance, une expérience, des savoirs associés au thème que l’on étudie » (Thémines, 2016).

12Quant à la quête de sens, il est souvent dit et conseillé pour qui enseigne de « donner du sens » aux activités et aux apprentissages. En géographie, peut-on le faire en donnant des « problèmes à résoudre » (Le Roux, 1997) ? En mobilisant des connaissances qui « s’intègrent dans un projet visant à comprendre une « facette » du monde » (Considère, 2005) ? En mobilisant un thème qui suscite l’intérêt autour d’un exemple tiré du réel, qui répond au qualificatif « d’authentique, de social » (Glaudel, 2016) ? Ou en proposant toute combinaison de certains de ces éléments comme une approche problématisée autour d’un exemple réaliste et authentique ?

13Peut-il donc y avoir « rencontre » lors d’un moment d’enseignement de la géographie, entre l’élève et l’enseignant dans l’intérêt égal, ou du moins relativement proche, porté au thème ? Dans l’appropriation de savoirs autour d’un objet enseigné jugé légitime et faisant sens pour les deux parties ?

À la réception d’un objet géographique enseignable proposé par un praticien-chercheur

14Si nous avons référé aux rapports aux savoirs scolaires et enseignants, nous ne pouvons faire l’impasse sur les rapports aux savoirs à enseigner dans le cadre de la population que nous analyserons, des enseignants du premier degré et leur rapport à la géographie en interrogeant la professionnalité enseignante.

15La professionnalité enseignante a fait l’objet de quatre thèses ayant pour prisme la géographie à l’école élémentaire (Philippot, 2008 ; Pache, 2012 ; Charpentier, 2014 ; Glaudel, 2016). Ces recherches s’intéressent à l’activité enseignante et prennent en compte les divers moments du processus d’enseignement : de la préparation en amont à l’analyse réflexive post séances en passant bien entendu par les pratiques effectives de classes en situations.

16Les travaux de ces chercheurs, rejoints par d’autres, nous renseignent sur des aspects de cette professionnalité pouvant être considérés comme des obstacles : la « polyvalence imparfaite » (Philippot & Baillat, 2011) de ces enseignants du premier degré se mêle à des rapports complexes aux finalités attribuées à la discipline, aux évolutions épistémologiques et aux incessants changements de programmes (Chevalier, 2003) pour lesquels ils ne sont pas guidés, ne permettant qu’une difficile et très lente « infusion des savoirs géographiques » (Baudinault, 2017), généralement au prix d’un « long cheminement intellectuel et pratique » (Charpentier, 2018).

17Il est par ailleurs avancé que la géographie constitue pourtant un moment de « respiration » (Philippot, 2008) dans l’emploi du temps et que la responsabilité attribuée par les enseignants à la discipline, moindre qu’en français ou en mathématiques (Philippot et al., 2016), laisse du champ pour traiter les choses de manière pragmatique et innovante, avec d’autant moins de pression qu’un examen terminal n’est pas attendu contrairement au second degré.

18C’est par l’intermédiaire de ce terrain favorable que nous souhaitons proposer le test d’un objet géographique enseignable en déchargeant les enseignants de la préparation prenante d’une séance pour ne leur en laisser que la mise en œuvre et l’interprétation a posteriori.

19À l’image des savoirs enseignants et des savoirs enseignés, les savoirs à enseigner sont pluriels. Les prescriptions peuvent relever de deux catégories que l’on peut nommer « officielles » et « officieuses » (Philippot, 2008) ou « exogènes » et « endogènes » (Glaudel, 2016). La lecture du programme proposé par l’institution s’accompagne nécessairement d’une interprétation de celui-ci qui amène à l’adapter et à le transformer pour en rendre les contenus enseignables.

20En rappelant que les savoirs scientifiques ne sont pas les seuls à participer à la transposition didactique (Chevallard, 1991) puisque les concepteurs des programmes élaborent les savoirs à enseigner à partir de deux « sources » que sont les « savoirs savants » et les « pratiques sociales de référence » (Martinand, 1986), nous nous chargeons, en tant que praticien-chercheur, de bâtir l’objet géographique enseignable et le rendre opérationnel afin de le soumettre aux enseignants choisis pour le dispenser dans les classes.

21Cette réception des enseignants à des contenus qu’ils n’ont pas pensés et préparés par eux-mêmes devra nécessairement s’accompagner de précautions dans l’analyse qui en sera faite puisque celle-ci sera influencée par le statut et la posture du prescripteur. Nous pouvons préciser à ce stade notre statut de « praticien-chercheur » : praticien (professeur des écoles en activité) et chercheur (docteur en géographie, auteur d’ouvrages scolaires et d’articles scientifiques, membre associé d’un laboratoire de recherche) ayant ou ayant eu une proximité professionnelle, relationnelle, amicale avec les personnes enquêtées puisque travaillant ou ayant travaillé dans les écoles concernées par l’expérimentation.

22Le « praticien-chercheur » peut être défini comme « un acteur engagé à la fois dans une pratique socio-professionnelle de terrain et dans une pratique de recherche ayant pour objet et pour cadre son propre terrain et sa propre pratique » (Albarello, 2004) en affinant le fait que la recherche ne porte pas forcément sur « sa propre pratique » mais sur « son champ de pratique » (ce qui est le cas ici). Les définitions relatives à ce statut et à cette posture ont été abondamment développées dans la thèse de S. Gaujal qui constatait que « rarement contextualisée ou rattachée à un cadre théorique, la posture de praticien-chercheur est par conséquent paradoxalement difficile à utiliser par les praticiens qui mènent une recherche sur leur champ de pratique » (Gaujal, 2016) et notait, pour la didactique de la géographie, que seuls un mémoire de master (Staub, 2014) et une thèse (Briand, 2014) pouvaient correspondre à ce genre de pratiques (en précisant que seul le travail de J. Staub consacrait des pages à ce statut qu’il définissait comme « inexistant » alors que la thèse de M. Briand s’inscrivait dans cet esprit mais sans revendiquer le terme).

Le thème de l’objet géographique enseigné

Une géographie thématique : la géographie de l’éducation

23Le thème que nous nous proposons de mobiliser dans le cadre de cette expérimentation concerne l’école et l’éducation prises sous l’angle spatial. Nous définissons, dans cette section, les contours de la géographie de l’éducation au travers de son existence comme un champ de recherche établi mais également comme une possible thématique pouvant constituer le matériau d’un enseignement de géographie.

24La prise en compte de la dimension spatiale des phénomènes scolaires et éducatifs intéresse divers géographes qui produisent sur le sujet autour d’entrées variées mais dont les contours et dénominations afférentes ne sont toutefois pas simples à énoncer. Avec des formulations étiquettes du type « géographie de l’école, géographie de l’éducation », « territoire(s) éducatif(s) ou scolaire(s) » ou encore « espace(s) scolaire(s), espace(s) de l’école », on peut légitimement se demander de quoi on parle et si tout cela forme un ensemble unifié.

25On parle souvent de « géographie de l’école » en concevant le mot école dans son sens le plus élargi, à savoir concernant tous les niveaux d’enseignement, mais l’éducation dépasse la seule école. L’éducation se prolonge hors structures scolaires et bénéficie du concours des crèches, des structures périscolaires et parascolaires, des associations culturelles, des clubs sportifs… Aussi la dénomination de « géographie de l’éducation » apparaît plus englobante parce qu’elle combine les « mondes » (espaces, acteurs, phases temporelles) que regroupe cette géographie (la scolarisation mais également la formation et l’insertion professionnelle), parce qu’elle regroupe les différents acteurs concernés (élèves/étudiants, enseignants, parents, corps d’inspection, élus, aménageurs) et parce qu’elle ne se limite pas à un niveau scolaire donné (primaire, secondaire, supérieur). La géographie de l’école, avec un grand « E », constitue un sous-ensemble de la géographie de l’éducation. Cette géographie lit les inégalités spatiales éducatives comme résultantes des politiques publiques de l’aménagement du territoire avec des variantes de cadrages d’échelles, de chronologies, d’acteurs.

26Derrière les appellations « espace(s) » et « territoire(s) », la lecture semble moins aisée (surtout lorsque s’invitent les variations de singulier et pluriel) puisque certains auteurs (R. Hérin, R. Rouault, P. Caro…) mobilisent ces termes dans l’esprit de cette « géographie de l’école/de l’éducation » qui vise justement à étudier la production spatialisée des inégalités éducatives alors que d’autres approches visent plutôt l’aménagement et l’architecture de ces espaces, l’usage que l’on peut faire des différentes composantes des bâtiments (salles de classe, couloirs, cours de récréation, toilettes…). Dans ce second cas, l’espace est celui qui est « géré par l’établissement scolaire » et qui peut amener, par la pratique et l’appropriation, à la construction d’un « territoire scolaire » (Sgard & Hoyaux, 2006).

27La géographie de l’éducation, dont l’école n’est qu’une partie, se base sur l’analyse des espaces et territoires mais au travers de l’étude d’inégalités spatiales (échelle macro, méso). C’est cette entrée que nous retenons et non celle de l’architecture et l’aménagement des structures (échelle micro).

28Il est possible d’attribuer l’animation initiale de ce champ de recherche à Robert Hérin, professeur émérite à l’université de Caen, qui a commencé à travailler sur ces questions à partir des années 1980. Si on se réfère à la façon traditionnelle de classifier les thématiques d’études en vigueur chez les géographes, cette géographie de l’éducation s’inscrit initialement dans le champ de la géographie sociale, une branche de la géographie également formalisée à cette période et dont Robert Hérin a été l’un des instigateurs aux côtés d’autres chercheurs de l’Ouest français comme Armand Frémont, Jacques Chevalier et Jean Renard. C’est en rupture avec les thèmes ruralistes et les habitudes méthodologiques de la géographie classique que ces géographes ont souhaité développer l’étude des « rapports sociaux au sein des systèmes spatialisés » définissant en cela des « espaces sociaux à différentes échelles ». C’est de ce pôle caennais que les études sur la géographie de l’éducation ont émergé et se sont diffusées. Deux autres géographes, Rémi Rouault et Patrice Caro, ont œuvré exclusivement sur ces thématiques. Deux ouvrages de synthèses, sous la forme d’atlas, résument les grandes problématiques rencontrées sur ces questions, « l’Atlas de la France scolaire, de la maternelle au lycée » (Hérin & Rouault, 1994) et « l’Atlas des fractures scolaires » (Caro & Rouault, 2010) dont une réactualisation est désormais proposée en ligne1. D’autres chercheurs travaillent aussi sur ces questions dont il apparaît délicat de figer l’effectif à un instant T pour plusieurs raisons : certains ont œuvré sur le sujet par le passé mais plus maintenant (retraités, titulaires ayant changé d’axes de recherche, docteurs n’ayant pas poursuivi) ; d’autres n’ont pas ce thème de recherche comme champ de travail exclusif ; mais surtout certains travaillent explicitement sur des approches spatialisées de l’éducation sans être académiquement géographes.

29Nous postulons que ce thème semble avoir une certaine légitimité pour intéresser des enseignants chargés d’enseigner la géographie, en supposant qu’ils doivent se sentir précisément concernés par la question des lieux et territoires d’exercice où ils officient.

30Cette hypothèse a été inspirée par notre parcours personnel. Chronologiquement docteur en géographie, devenu ensuite professeur des écoles, nous avons été confrontés, comme tout un chacun, aux manifestations spatiales du contexte professionnel (territorialisation de l’éducation prioritaire, système d’affectations et de mutations, mesures de carte scolaire visant à l’ouverture/fermeture de classes…) mais, du fait de notre spécialité disciplinaire, nous en avons relevé l’intérêt d’enseignabilité.

31Cette conviction s’accompagne du fait que la géographie d’aujourd’hui, en tant que science résolument sociale, plus générale et moins particulière, combinant plusieurs manières complémentaires de penser le monde (nomothétique, idiographique, herméneutique) (Hertig, 2012), au bagage conceptuel renforcé et aux outils méthodologiques diversifiés, se prête volontiers à une approche par thème. Aux quelques exceptions près des entrées liées au paysage et à la nature (environnement, ressources, risques), un travail sur la géographie de l’éducation ouvre largement la compréhension générale de la discipline.

32Bâtir un enseignement de géographie ayant pour thématique l’éducation et mobilisant les concepts essentiels de l’analyse de l’espace ainsi qu’un outillage approprié apparaît donc tout à fait envisageable. Pour appréhender le bien-fondé de cette proposition, nous présentons, dans le tableau 1, quelques grands concepts de l’analyse de l’espace mis en regard de thèmes liés à l’éducation pour les illustrer et leur donner corps. L’exposition hiérarchisée des concepts s’appuie sur le dictionnaire d’analyse spatiale de Jean-Jacques Bavoux et Laurent Chapelon (2014) et les thèmes issus de l’atlas des fractures scolaires de Patrice Caro et Rémi Rouault (2010).

Tableau 1. Des thèmes de géographie de l’éducation pour conceptualiser l’espace

Quelques concepts clés de l’analyse de l’espace…

mobilisés dans l’atlas sur des thèmes…

…permettant de comprendre :

Formes et structures

Lignes

Limites

Discontinuités

« Modèles » de dérogation dans l’Essonne (p. 51)

Que les limites administratives créent de véritables barrières lorsqu’il s’agit de « fuir un mauvais collège »

Réseaux

Stellaire, radial, hiérarchie…

L’offre scolaire en milieu rural : les RPI (p. 17)

Que la faible démographie rurale oblige à des regroupements d’établissements structurés en réseaux

Surfaces

Maillages

Découpage

L’éducation prioritaire en Essonne (p. 19)

Qu’il y a des critères bien spécifiques qui déterminent qu’un établissement est classé en éducation prioritaire ou non

Échelle/niveau

Les terres de l’enseignement privé (en France) / le privé en Vendée et dans la Creuse : le choc des contrastes (p. 33)

Qu’un phénomène visible à une échelle nationale se lit plus finement à une échelle départementale

Dynamiques

Mouvement

Mobilité

Migration

L’aire de recrutement d’un lycée de Lille (p. 27)

Qu’une majorité d’élèves réside à proximité de l’établissement mais que la mobilité (ou l’internat) est de mise lorsque l’on réside plus loin.

Rassemblement

Polarisation

Attraction/répulsion

Âge et statut des enseignants du second degré (p. 21)

Qu’il est difficile d’exercer dans des zones prisées et que l’âge est un facteur déterminant

Espace/temps

Dimension


temporelle

Prospective

Construire l’école au rythme des lotissements (p. 9)

Que de jeunes ménages avec enfants s’installent, faute de revenus assez élevés pour habiter en centre-ville, en périphérie d’où la nécessité d’y avoir suffisamment d’établissements scolaires.

33S’il ne s’agit que de quelques extraits de l’atlas, ce genre de tableau permet d’apprécier le potentiel d’une telle approche en postulant que les exemples thématiques ici retenus, a priori proches des intéressés qui les vivent au quotidien, aideraient à l’appropriation de concepts suffisamment généraux pour être rencontrés dans des programmes scolaires de géographie, ce que nous évoquons dans la section suivante.

L’insertion de ce thème dans les programmes actuels

34En la mobilisant ponctuellement comme illustratrice de formes et dynamiques permettant de comprendre l’organisation des espaces habités, cette thématique de la géographie de l’éducation insérée dans la géographie scolaire pourrait jouer son rôle de participation à la production, l’échange et à la circulation des savoirs dans le « champ des savoirs géographiques » (Chevalier, 1997).

35C’est en nous appuyant sur cette vision ouverte du rapport entre la discipline de référence et la géographie scolaire que nous souhaitons tester cette thématisation d’un enseignement en géographie par le biais de la géographie de l’éducation pour voir si et comment ces contenus peuvent être « intégrés, assimilés, contenus dans le périmètre de l’expérimentation ou rejetés » (Thémines, 2016).

36Deux éléments de contexte, favorables, semblent pouvoir légitimer une telle thématisation. Le premier c’est qu’à l’image de la discipline de référence, les programmes scolaires ont été renouvelés dans l’optique d’une approche thématique et conceptuelle, ici autour de l’habiter (Biaggi, 2015) et que l’entrée par la géographie de l’éducation pourrait tout à fait constituer l’une des sous thématiques d’illustration des multiples facettes du concept d’habiter. Même si nous avons précédemment rappelé qu’une discipline scolaire n’est pas la traduction simplifiée de sa discipline de référence, il est à signaler que la présence de Michel Lussault, géographe ayant beaucoup produit sur l’habiter, à la tête du CSP (Conseil Supérieur des Programmes) de 2014 à 2017 a fortement inspiré ces programmes.

37Le second élément tient au fait que le programme, souple dans sa forme, organise les « repères annuels de programmation » autour de thèmes suggérés et structurés autour de verbes d’action (se loger, travailler, se déplacer, consommer…) laissant donc une grande marge de manœuvre aux « démarches et contenus d’enseignement pour illustrer les « façons dont les humains organisent et pratiquent leurs espaces de vie » ». Nous sommes loin des approches des précédentes instructions officielles (2002, 2008) qui organisaient les contenus autour d’entrées scalaires en « sablier » ou « demi-sablier » (Audigier, 1999) et qui mettaient fortement l’accent sur les connaissances au détriment de la compréhension de l’organisation des espaces comme le texte de 2008.

38La figure 2 présente la structure des programmes des trois années de la fin de l’école élémentaire, CE2, CM1 et CM2. Le CE2 appartient au cycle 2 et organise l’analyse de l’espace autour d’un volet nommé « questionner le monde » tandis que le terme « géographie » apparaît en CM1, en cycle 3. Nous ajoutons le chapeau introductif qui présente et défini le concept de prospective territoriale qui nous apparaît également intéressant à convoquer.

39Précisons enfin que nous ne considérons pas le terme « thème » de la même manière que le font ces programmes. Ici, il s’agit d’une entrée extrêmement englobante puisque seuls deux ou trois sont requis pour couvrir une année complète du cycle. Le niveau de généralité est donc extrême à ce niveau, ce qui n’est pas sans poser le problème du « lien souvent ténu entre thème des séances et texte du programme » (Philippot, 2008). Pour notre expérimentation, nous voyons le « thème » à une échelle beaucoup plus fine, non pas comme un « sous-thème » mais comme une coloration des savoirs qui peut d’ailleurs se rencontrer à plusieurs endroits du programme. Ainsi, nous soulignons les entrées pouvant, à notre sens, particulièrement accueillir cette thématisation liée à la géographie de l’éducation et qui reprennent, sans forcément tous les nommer, quelques concepts du tableau 1 (prospective, échelle, mobilité…).

Tableau 2. Attendus de fin de cycle (CE2) en « questionner le monde » et repères annuels de programmation (CM1 et CM2) en « géographie »

CE2

CM1

CM2

Thème 1 : Se situer dans l’espace


Se repérer dans l’espace et le représenter


Situer un lieu sur une carte ou un globe ou un écran informatique

Thème 1 : Découvrir le(s) lieu(x) où j’habite


Identifier les caractéristiques de mon(mes) lieu(x) de vie.


Localiser mon (mes) lieu(x) de vie et le(s) situer à différentes échelles

Thème 1 : Se déplacer


Se déplacer au quotidien en France


Se déplacer au quotidien dans un autre lieu du monde.


Se déplacer de ville en ville, en France, en Europe et dans le monde.

Thème 2 : Explorer les organisations du monde


Comparer des modes de vie


Comprendre qu’un espace est organisé


Identifier des paysages

Thème 2 : Se loger, travailler, se cultiver, avoir des loisirs en France


Dans des espaces urbains


Dans un espace touristique

Thème 2 : Communiquer d’un bout à l’autre du monde grâce à l’Internet


Un monde de réseaux


Un habitant connecté au monde


Des habitants inégalement connectés dans le monde

Thème 3 : Consommer en France


Satisfaire les besoins en énergie, en eau


Satisfaire les besoins alimentaires

Thème 3 : Mieux habiter


Favoriser la place de la « nature » en ville


Recycler


Habiter un écoquartier

Extrait du chapeau introductif des programmes de géographie de cycle 3


La nécessité de faire comprendre aux élèves l’impératif d’un développement durable et équitable de l’habitation humaine de la Terre et les enjeux liés structure l’enseignement de géographie des cycles 3 et 4. Ils introduisent un nouveau rapport au futur et permettent aux élèves d’apprendre à inscrire leur réflexion dans un temps long et à imaginer des alternatives à ce que l’on pense comme un futur inéluctable. C’est notamment l’occasion d’une sensibilisation des élèves à la prospective territoriale. En effet, l’introduction d’une dimension prospective dans l’enseignement de la géographie permet aux élèves de mieux s’approprier les dynamiques des territoires et de réfléchir aux scénarios d’avenir possibles. En classe de sixième, c’est l’occasion pour le(s) professeur(s) de mener un projet de son (leur) choix, qui peut reprendre des thématiques abordées en première partie du cycle.

Précautions sur l’aspect socialement vif du thème

40Avant d’exposer le protocole de l’enquête, nous pensons utile de préciser que la quête de savoirs qui font sens (qui peuvent avoir cette caractéristique d’être teinté de « social », d’« authentique » pour reprendre les termes de A. Glaudel), qui permettent de dépasser le cadre premier de l’activité proposée et apparaître ainsi légitimes, peut se heurter à l’obstacle de leur nature sensible et aux conséquences didactiques (Alpe & Barthes, 2013) qui l’accompagnent.

41La géographie de l’éducation n’est-elle pas de l’ordre de la « question socialement vive » ? Les fondateurs du concept (Legardez & Simmoneaux, 2006) voient trois niveaux de lecture (la recherche, la société, la classe) pour qu’un thème puisse répondre à cette définition, ce qui n’est pas concrètement le cas ici. Mais sur un sujet qui est reçu négativement par la sphère sociétale et/car relayé de la sorte par les médias et sur lequel enquêtes et recherches sont produites2, nous pouvons nous demander si son introduction en tant que contenu d’enseignement ne mettrait pas les professeurs en tension : à savoir en situation d’aborder « des thèmes sensibles, c’est-à-dire dont les finalités de leur transmission scolaire offrent une gamme étendue d’interprétations » (Thémines, 2016). L’histoire de la didactique de la géographie a pu montrer que les savoirs scolaires, identifiés dans les pratiques dominantes, apparaissent « réalistes, consensuels et refusent l’introduction du politique » (Audigier, 1995). Si la géographie dans sa globalité, aux yeux de la professionnalité enseignante du premier degré et à ceux des concepteurs de programme, n’apparait sans doute pas comme une discipline « chaude », la mobilisation ponctuelle de ce genre de savoirs peut créer le malaise en raison de la faible désincarnation des sujets qui illustrent les contenus proposés à l’étude (Alpe & Barthes, 2013), qui plus est dans le cadre spatial d’une échelle locale, inévitablement vécue, réputée complexe à traiter en géographie (Glaudel, 2016 ; Vergnolle-Mainar et al., 2017).

42Il est possible de s’interroger sur la question de l’accès aux ressources pour produire résultats de recherche et situations d’enseignement : les géographes œuvrant sur le sujet témoignent d’une difficulté croissante à avoir accès aux sources pour constituer leurs analyses. Dans leur Atlas des fractures scolaires déjà cité, P. Caro et R. Rouault consacrent une partie de leur conclusion à la question « Comment l’État communique-t-il sur l’école ? » et soulignent les irrégularités sur le temps long dans la diffusion des indicateurs sur le système éducatif par le Ministère de l’éducation nationale mais également dans l’espace puisque certaines académies sont plutôt ouvertes à la diffusion des données mais pas d’autres. Lors de la réalisation d’une enquête sur les logiques d’affectation des professeurs des écoles néo-titulaires dans le Nord (Leroux, 2010), nous avions également essuyé un refus du Rectorat à nous fournir les données relatives au traitement cartographique que nous comptions en faire, données finalement obtenues par un syndicat. De manière évidente pour des analyses géographiques amenant à être cartographiées, ces disparités dans l’accès aux sources empêchent toute constitution d’un portrait national et n’autorisent que des regards régionaux. Comme le disent P. Caro et R. Rouault, c’est un moyen pour l’État de rendre public un bilan, plus ou moins flatteur, qui ne pourra pas être contredit puisque seules des enquêtes régionales pourraient avoir été réalisées par d’autres acteurs. Didactiquement, ces contraintes d’accès pourraient également peser sur des enseignants qui voudraient se lancer dans l’élaboration de séances bâties sur ce genre de contenus.

43Enfin, s’il ne s’agit, dans le cadre de cet article, que d’une proposition que nous formulons en tant que praticien-chercheur, il n’est pas inutile de s’interroger, de manière plus générale, sur les facteurs qui déterminent l’introduction d’un contenu dans la sphère scolaire : l’actualité qui sert à motiver, la demande sociale et l’institution scolaire elle-même lorsqu’elle décide de modifier les programmes. Pour l’heure, la demande sociale (Lefort, 2010) en matière de travail sur la dimension spatiale de l’éducation en géographie enseignée n’est pas là mais certains précisent que « Pourtant la demande d’éducation reste très forte et conduit souvent à intégrer telle ou telle préoccupation dans le champ scolaire, en réponse à des pressions sociales d’origine diverse : le thème « violence et incivilité », celui de la lutte contre les toxicomanies, ou plus généralement tous les contenus se rapportant à la question de la citoyenneté, qui a retrouvé ces dernières années une « vivacité » indéniable, en sont des exemples flagrants » (Alpe & Barthes, 2013). Là encore, ce thème des inégalités éducatives territoriales peut-il constituer un « besoin d’éducation » réel s’il est légitimé par une sphère sociale fortement en demande ?

44Notre hypothèse, ici précisée, est que la géographie de l’éducation serait une thématisation de l’enseignement de la géographie qui favoriserait de manière pertinente la rencontre de l’intérêt des enseignants et des élèves et ainsi aider à la construction de la compréhension de la discipline.

Protocole : séances à tester et discussion

45Nous avons choisi une méthodologie d’ingénierie didactique, entendue comme « un schéma expérimental basé sur des réalisations didactiques en classe, c’est-à-dire sur la conception, la réalisation et l’analyse de séquences d’enseignement » (Artigue, 1988), parce que cette thématisation de l’enseignement de géographie par la géographie de l’éducation n’est pas suggérée par les programmes même si, en CE2, le terme école apparaît expressément comme un espace d’illustration du volet « Découvrir le quartier, le village, la ville : ses principaux espaces et ses principales fonctions » dans la partie qui vise à « comprendre qu’un espace est organisé » pour « explorer les organisations du monde ». Pour le CM1-CM2, le mot « école » n’apparaît pas malgré la référence à la « caractérisation/localisation du/des lieu(x) de vie » (Thème 1 CM1) et « se déplacer au quotidien » (Thème 1 CM2). Cette thématisation par la géographie de l’éducation ne fait donc pas partie non plus des manuels, blogs et autres forums dans lesquels les enseignants puisent leurs ressources, d’autant plus qu’il nécessite une personnalisation des données et des documents.

46Nous avons choisi de sonder la réaction d’enseignants à cette thématisation dans des classes de CE2, CM1 et CM2 de deux écoles situées à Tourcoing, en réseau REP +, l’école Brossolette et l’école Jaurès. Nous avons fait le choix de garder des classes de CE2 dans cette enquête car leur intégration au cycle 2 ne date que de ces derniers programmes de 2015, car ce niveau comporte encore des mentions du terme « géographie » et car les professeurs y officiant ont eu l’habitude d’enseigner la géographie en tant que discipline autonome, repérée sous cette appellation.

47Nous précisons qu’à l’exception d’une EMF (Enseignant Maître Formateur), il s’agit là « d’enseignants ordinaires » à savoir « non maîtres formateurs, non engagés dans un dispositif de recherche » (Philippot & Baillat, 2011).

48L’enquête s’est déroulée en février et mars 2019 selon les phases du protocole suivant :

  • d’abord le test d’une séance de classe d’une heure environ élaborée et proposée par le chercheur, insérée dans un ou plusieurs pans du programme pouvant accueillir cette thématique,

  • puis un retour individuel écrit par e-mail au chercheur sur le ressenti de la séance testée,

  • enfin une discussion collective d’environ 30 minutes entre les enseignantes et le chercheur, par école, enregistrée, pour confronter les points de vue après lecture et comparaison des séances des autres collègues.

49Ce choix pédagogique et didactique se justifie par plusieurs raisons : tout d’abord, se situer à l’échelle méso (Philippot et Baillat, 2011) et ne proposer qu’une seule séance est lié à une volonté de ne pas bouleverser outre mesure la programmation et les habitudes des enseignantes dont la géographie n’est pas la priorité afin de permettre à l’expérimentation de pas leur apparaître comme une contrainte ; ensuite, jouer sur le thème sans toucher à la construction même des différentes parties de la séance est l’occasion d’appuyer l’idée que l’enseignement de la géographie, particulièrement dans ce nouveau programme, a évolué et que les contenus ne sont pas forcément si importants que les démarches et les outils ; enfin, le recours à un minimum de conceptualisation est aussi prétexte à essayer de prendre un peu de hauteur pour ne pas se rendre dépendant de la recherche des « bons » documents, surtout à cette échelle locale où ceux-ci ne sont pas toujours aisés à trouver ou à produire.

Tableau 3. Répartition des séances données à tester aux enseignantes (les prénoms ont été modifiés)

École

École Brossolette

École Jaurès

Niveau/objectif(s)

CE2 : localiser des repères spatiaux grâce à la lecture de cartes

Enseignante

Christine

Anne

Carine

Manelle

Nadège (EMF)

Premier thème

L’école

L’école

L’école

L’école

L’école

Deuxième thème

Les drapeaux

Les monuments

Les plats typiques

Les clubs de football

Les personnages historiques

Niveau/objectif(s)

CM1 : comprendre que la répartition des activités dans l’espace est fonction de leur importance et de leur attractivité (thème 2 : se loger, travailler, avoir des loisirs [dans les espaces urbains])

Enseignante

Laure

Déborah

Cécile

Isabelle

Premier thème

Le cinéma

Le cinéma

Le cinéma

Le cinéma

Deuxième thème

Le commerce


L’école


La santé

Travail de groupe

Le commerce


L’école


La santé


(un au choix)

Le commerce


L’école


La santé

Travail de groupe

Le commerce


L’école


La santé


(un au choix)

Niveau/objectif(s)

CM2 : appréhender le point de vue des acteurs dans le cadre de projets d’aménagements (thème 1 : se déplacer et thème 3 : mieux habiter)

Enseignante

Cathy

Sonia

Aurore

Solène

Thème

L’école

La rénovation du centre-ville

L’école

La rénovation du centre-ville

50Le tableau 3 regroupe les informations relatives au contenu des séances :

  • Les classes de CE2 ont eu à travailler sur un objectif de repérage dans l’espace à partir de lecture de cartes. À chaque fois, l’école, ici au travers de l’identification et la localisation de cinq enfants présentés dans un documentaire vidéo évoquant les inégalités (distance, durée, difficulté…) de leur trajet domicile-école à l’aide des zones climatiques et des reliefs, a été le premier thème de la séance. Il a été question d’associer une photographie à sa description puis de placer l’image légendée sur un planisphère. S’en est suivi un second thème, variable selon les cinq classes, visant à localiser cinq autres repères (soit 1-des drapeaux, 2-des monuments, 3-des plats typiques, 4-des clubs de football ou 5-des personnages historiques) sur une carte d’Europe, cette fois grâce aux points cardinaux et ce, à l’aide du même mode de construction de ces repères qu’était l’association d’une photographie à sa description.

  • Les classes de CM1 ont eu à travailler sur l’inégale distribution des activités dans l’espace pour comprendre que celle-ci est fonction de leur importance et leur attractivité. À un premier thème sur le cinéma, a répondu un ensemble de trois thèmes (le commerce, l’école, la santé) qui a été alternativement proposé soit comme une phase de travail de groupe, soit comme une phase individuelle résultant du choix de l’enseignante de prendre l’un de ces trois thèmes (pour voir si celui sur l’école allait ou non être choisi). Nous avons choisi de légitimer la place de cette thématique dans le thème 2 du CM1 intitulé « Se loger, travailler et avoir des loisirs (dans les espaces urbains) » pour appréhender les fonctions de l’espace (la fonction « travail » pour l’école, la fonction « loisir » pour le cinéma, la fonction « service » liée à des impératifs pour la santé et le commerce) (voir tableau 2). Les élèves ont d’abord eu à associer une photographie à sa description puis ont dû compléter un schéma cartographique montrant que la rareté de la distribution dans l’espace des activités est liée à leur degré de spécialisation.

  • Les classes de CM2 ont eu à travailler sur la nouveauté du programme de 2015 que concerne le rôle des acteurs dans l’organisation et l’aménagement de l’espace habité. Cette fois, seule une enseignante sur les deux a reçu une séance thématisée autour de l’école où il était question de s’interroger sur les conséquences positives et négatives de l’ouverture d’une école dans le centre-ville de Tourcoing (ouverte à la rentrée 2019) autour de trois catégories d’acteurs que sont les élèves, les familles et les équipes enseignantes. Afin de voir les implications en termes de mobilité et d’amélioration du cadre de vie, d’exercice, nous avons légitimé la place de cette séance dans le thème 1 sur « Se déplacer » et du thème 3 sur « Mieux habiter » (voir tableau 2). L’autre classe a reçu une séance évoquant les travaux de rénovation du centre-ville pour appréhender les problèmes (et pistes de solutions) auxquels sont confrontées trois catégories d’acteurs : les élus de la municipalité qui s’inquiètent de la gêne occasionnée chez les riverains et les commerçants, les commerçants et leur manque à gagner pendant cette phase de travaux, un sculpteur qui voit son œuvre menacée par la nouvelle configuration de la place où elle se trouve. Ici, les élèves ont travaillé sur des coupures issues de la presse locale complétées, pour la séance sur le thème de l’école, par une carte de la sectorisation de la nouvelle école exposant ainsi les concepts de découpage spatial et de limite.

51Nous soulignons à nouveau la relation professionnelle et amicale que nous entretenons, parfois de longue date, avec les enquêtées. Cette ancienneté de la relation et ce regard envers notre statut/posture de spécialiste aidant volontiers à l’enseignement de la discipline dans le cadre d’une « formation continue informelle », de conseils donnés çà et là, apparaît gage de sincérité dans le test de la séance et le ressenti qui en sera fourni. Sur une dimension purement formelle, il est notable de constater qu’aucune des 13 enseignantes n’a manifesté son refus de tester la séance ni de participer à la discussion croisée qui s’est ensuivie. Personne n’a émis non plus de demande de précision, de modification en amont de la tenue de la séance ni n’a relevé, a posteriori, de souci majeur dans la mise en œuvre.

Principaux résultats

52Après leur avoir présenté, en diaporama, l’ensemble des séances mises en forme telles que les élèves les ont reçues, les enseignantes ont d’abord été invitées à énoncer leur préférence, de manière fermée dans un premier temps, autour du choix qu’elles auraient effectué si elles avaient dû mener la séance dans un autre niveau que le leur. Concrètement, la question que nous leur avons posée était la suivante : « Si tu avais dû mener la séance dans un autre niveau que le tien, quelle thématique aurais-tu choisi ? ». Le tableau 4 présente ces résultats, complétés ensuite par une amorce de la discussion orale.

Tableau 4. Les thématiques qu’auraient préféré les enseignantes si elles avaient dû mener la séance d’un autre niveau

Tableau 4. Les thématiques qu’auraient préféré les enseignantes si elles avaient dû mener la séance d’un autre niveau

53Le positionnement déclaré de la thématique de l’école pour la séance de CM1 est très faible chez les enseignantes : seules 4 (dont Déborah qui l’avait choisi au départ) sur les 11. Cela s’explique par le choix « raisonnable », décentré, fait en faveur des élèves sur une autre thématique, en l’occurrence le commerce (4 enseignantes), qui serait susceptible de les intéresser davantage, ce que Carine justifie : « les commerces parce que c’est un truc, enfin tu sais, question d’attirance pour les élèves, tu vois ». Le choix de la santé (3 enseignantes dont Isabelle qui l’a choisi au départ), très faible, est argumenté autour du côté potentiellement porteur de nouvelles connaissances du sujet et correcteur de représentations erronées. D’après Isabelle « je l’ai choisi parce qu’on n’en parle jamais… et ça ne les dérange pas de dire que, dans le coin, il y a 18 hôpitaux contre 1 seul médecin généraliste » (le schéma cartographique s’attachait à montrer, dans le cadre d’une grossesse, la répartition spatiale des médecins généralistes, sages-femmes, hôpitaux généralistes, hôpitaux spécialisés).

54Le positionnement des enseignantes sur la thématique de l’école pour la séance de CM2 est en revanche bien plus net : 7 sur les 11 dont Cathy qui, malgré tout, aurait préféré avoir eu à mener la séance sur les travaux du centre-ville pour des questions de gestion des interrogations des élèves : « ça m’a semblé très simple au démarrage… mais les points positifs et négatifs dépendent de où se trouve la personne dans la zone bleue (à savoir le secteur de recrutement de cette nouvelle école) et donc tout est très relatif tandis que l’activité de l’autre CM2 (les travaux du centre-ville) aboutissait à des choses un petit peu plus tranchées ». Le concept géographique de la limite spatiale amène ici l’enseignante dans une situation d’inconfort malgré l’intérêt avoué envers la séance. Aurore, qui avait en charge cette thématique de l’école au départ, a également relevé l’intérêt chez ses élèves autour du côté affectif amenant à l’éclatement de la cohorte d’élèves, donc de copains ou, de manière plus éloignée pour eux, à l’éclatement d’une équipe enseignante ayant des habitudes de travail en commun.

55Suite à ce démarrage de l’entretien post-séance de groupe mais qui n’avait pas encore fait intervenir toutes les enseignantes, nous avons émis une vaste et unique relance qui avait pour but de cerner plus précisément le ressenti sur l’aisance ou l’inconfort à manipuler tel ou tel sujet, sur la possible reproductibilité de la séance ou d’une séance ressemblante avec les contraintes de constitution ou de mise à jour des documents et d’adaptation au groupe classe. Pour ce faire, après le premier tour de table ayant permis d’établir le tableau 4, nous avons poursuivi de la manière suivante : « Avez-vous d’autres remarques ? Sur la faisabilité de la séance, sur son adaptation à votre façon d’enseigner habituellement la discipline, sur la réceptivité des élèves face au sujet… ». Nous avons, à partir de ce stade, gardé une attitude distante afin de laisser la discussion s’établir entre les différentes enseignantes et ne pas l’influencer.

56C’est autour de trois directions, apparaissant dans le croisement des échanges entre les enseignantes, qu’ont émergé les éléments suivants.

Avant tout, une « autre géographie »

57Le premier tourne avant tout autour de l’idée d’enseigner une « autre géographie », comme le dit Sonia « Mais c’est une autre géographie que tu nous proposes, effectivement « mieux habiter » c’est dans les textes, mais les enfants sont très très loin de réalités de terrain, travaillent la carte de France ou du département, et là ils sont entrés dans la séance parce qu’ils ont été confrontés à une question qu’ils ne se seraient peut-être pas posée et ils ont eu envie de réfléchir ». Notons que Sonia, jeune enseignante en termes d’ancienneté (6 ans), a eu une première carrière dans un autre domaine professionnel et a peut-être encore l’image d’une géographie nomenclaturale que ce genre de séance vient bouleverser. Cette « autre géographie » a surtout été appréciée par son côté local, personnalisé, basé sur le vécu, la géographicité. Pour les deux enseignantes de CM2 ayant eu à travailler sur l’école, Cathy énonce que « ce qui leur a plu, c’est que c’était proche et que c’était Tourcoing » et Aurore relève que « ça les a intéressés, en plus on passe devant quand on va à la piscine… quand on est passé vendredi, hein madame, c’est bien là l’école ? Ils m’ont reposé des questions ». Le thème de l’école n’est donc pas discriminant ici car Sonia, ayant travaillé sur les travaux du centre-ville précise que « c’était super important de leur parler du lieu où ils sont ». Isabelle, qui n’a pas choisi l’école dans sa séance de CM1, élargit le propos sur la thématique du football présente dans un des CE2 : « tu ne nous as pas demandé pour le CE2 (car l’école était présente dans tous les cas) mais moi, j’aurais pris le foot, on se dit que ce n’est pas sérieux mais ça n’est pas juste taper dans un ballon, ça peut nous apprendre des choses, vous en faîtes, servez-vous de vos connaissances pour observer le monde », traduisant en cela l’une des finalités de la géographie. Pointant davantage l’aspect novateur que local, Nadège apprécie le côté différent de cette appréhension de l’école par l’espace « l’école c’est intéressant parce que sous cet angle-là j’ai jamais vu, j’ai jamais vu présenté comme ça avec la sectorisation et des mouvements de populations et « mieux habiter », je pense toujours à « écoquartiers », du coup, je trouve que c’est chouette comme séance ». La limite perçue est celle de la nécessité de personnaliser et renouveler les documents comme le souligne Isabelle, rejointe par les autres enseignantes : « tout est vraiment proche d’eux et d’actualité alors s’il faut changer tous les ans pour être en adéquation avec ce qui se passe dans la ville : merci ! ». Ce rapport au temps (changer les données tous les ans) et à l’espace (s’agissant d’une question locale) dans la constitution des sources nous rappelle la contrainte de préparation des séances, ici neutralisée par le chercheur.

Une décentration de l’enseignant en direction de l’élève

58Un second point assez net qui, là non plus, ne fait pas spécifiquement ressortir le thème de l’école tient à l’analyse des écarts potentiels entre ce que l’enseignant va apprécier, ce que l’élève va apprécier et ce que l’élève est censé faire/censé apprendre. Déborah, qui explique à ses élèves, en fin de séance, qu’elle a eu le choix pour le second thème « j’ai choisi le thème de la scolarité parce que je me suis dit que c’était un thème qui allait vous intéresser, c’était des lieux connus, j’avais deux autres choix, commerce et santé, et en fait, madame, vous avez choisi le thème qui nous intéresse le moins ! Je me suis dit : mes choix d’enseignants ne correspondent pas forcément à leur intérêt » est rejointe par Christine qui énonce ensuite que « leur intérêt ne correspond pas forcément à ce qu’ils doivent savoir », propos que nuance Déborah en disant que « oui, mais c’était juste un thème ». L’arbitrage est également à mener entre l’accroche facile, sécurisante et le test de la nouveauté, davantage porteur de risques. Cécile note « qu’il faut un juste milieu entre ce qui les accroche et quelque chose qu’ils ne connaissent pas et qu’ils ont peut-être envie de découvrir », ce qu’appuie Nadège, qui avait déjà travaillé sur les chemins de l’école et qui remarque « qu’ils étaient partagés entre le connu et l’inconnu ». Nous sommes ici confrontés aux tensions entre les différentes formes de curriculum, prescrit et réel et même caché et à la légitimité des savoirs aux yeux de chacun.

Un apport de contenu utile sur un thème sensible pour les élèves en difficulté

59Le dernier élément à souligner tient à la satisfaction de voir l’apport de contenu qu’ont permis ces séances sur l’école à l’image de celle de CM1. De manière assez nette, la séance a permis de mettre les choses au clair sur la chronologie du processus de scolarisation qui fait se succéder l’école, le collège, le lycée et le supérieur. Dans son retour individuel, Cécile relève que ses élèves pensaient qu’après l’école, entre le collège, le lycée et les établissements d’enseignement supérieur, le collège était l’établissement le plus grand. D’après elle, une photographie aérienne des établissements (comme c’était le cas pour le complexe cinématographique) aurait peut-être permis d’éviter cet écueil. Dans les discussions, Christine relève, au sujet de la séance de Déborah, que « tu avais eu le constat qu’ils ne savaient pas du tout dans quel ordre on faisait notre scolarité », ce que confirme Déborah qui, à l’appui d’une séance de l’ouvrage « Géographie à Vivre. CM1 » (Accès éditions) exposant précisément cette chronologie du cursus scolaire et la distribution dans l’espace des structures scolaires associées, remarque qu’« après l’école, c’est le collège, le brevet des collèges, mais le lycée, c’était totalement flou pour eux, seconde, première, terminale, l’université, en fait c’était une aberration, par contre ils connaissaient très bien Pôle Emploi, on parlait des métiers, pourquoi on va à l’école, ce qu’il y a c’est qu’ici, le thème scolaire, ça les… ». Cette phrase inachevée doublée par ce « ici » qui réfère clairement à l’inclusion en « éducation prioritaire » du secteur dans lequel se trouve l’école est partagée par les enseignantes amenant à la conclusion ambivalente que la thématique de l’école ne serait pas la plus adéquate pour séduire les élèves mais serait pourtant utile pour les éclairer sur son fonctionnement. L’idée d’élèves « en difficulté » est revenue plusieurs fois. Dès l’introduction des échanges, Cathy, en choisissant le thème qu’elle aurait aimé sur la séance de CM1 note que « le thème de la scolarité aurait parlé davantage aux élèves en difficulté parce que c’est du vécu » en excluant ainsi le commerce et la santé pour des questions de moindre vécu et de vocabulaire plus complexe. Laure va dans ce sens et relate que « pour le groupe ayant travaillé sur l’école, ça a été très simple, très fluide, ils sont su réinvestir le premier thème sur le cinéma alors que, sur la santé c’était compliqué, ils ont besoin d’abord de comprendre facilement, avec un thème facile ». Un peu plus loin dans les échanges, Déborah et Laure comparent leur CM1 en notant que celui de Déborah est plus facile, plus « scolaire » alors que celui de Laure est plus compliqué, avec davantage d’élèves en difficultés et justifient, de manière croisée, cette adhésion du thème de l’école dans la classe dite « faible » et ce rejet dans la « bonne » classe. Laure fait remarquer qu’une possibilité aurait été de « constituer les groupes en fonction du niveau » appuyant encore cette idée que des thèmes seraient plus abordables que d’autres.

Conclusion

60La réalisation de cette expérimentation nous amène à conclure que notre hypothèse est globalement invalidée, en tout cas sur l’ensemble du protocole, et amène davantage de résultats « en creux ».

61À des questions de forme (ordre de l’exposition des thèmes dans la séance, choix des types de documents selon leur longueur, attrait visuel des supports…) répondent des questions de fond qui montrent que les séances de CE2 et de CM1, bien qu’ayant permis l’apport de nouvelles connaissances, apparaissent trop lisses, moins percutantes dans les questionnements potentiels que celle de CM2 consacrée à l’ouverture d’une nouvelle école dans la commune. Des aménagements à la marge peuvent être imaginés comme, par exemple, tester la problématique de l’école exposée dans la séance de CM1 plutôt dans des classes de CM2 parce que les élèves sont en dernière année de primaire et partent ensuite au collège. Mais les résultats nous invitent plutôt à investir dans des situations où les débats et les questionnements pourraient être plus riches car moins tranchés, mobilisant les inégalités spatiales au travers des mobilités, des limites de territoires, des coûts (financiers, personnels) mais cela au prix d’un certain inconfort des enseignants tant sur le fond (comment gérer des questionnements très personnels du type « pourquoi puis-je/ne puis-je pas m’inscrire dans cet établissement ? », « pourquoi ce lieu d’enseignement est-il si loin de mon domicile ? », « le système d’affectation/de dérogation est-il juste ? ») que sur la forme (produire, du moins utiliser, des documents personnalisés et/car locaux en tous cas pour certains et qu’il sera nécessaire réactualiser de temps en temps).

  • 3 Sous l’expression « carte scolaire », on trouve la logique d’affectation des élèves dans un établi (...)

62Aussi, un indispensable guidage en formation est à convoquer, cadre qu’il serait possible d’investir aussi dans d’autres recherches pour mobiliser d’autres thématiques, potentiellement plus vives comme une investigation plus fine de la carte scolaire3, une étude du système d’affectation des professeurs, un regard sur les déterminants du classement d’un territoire en éducation prioritaire… questions qui touchent profondément les enseignants dans leur quotidien et qui peuvent être des révélateurs de l’analyse de l’espace.

63Mais peut-être finalement que le thème n’est pas le plus efficace pour viser un intérêt équilibré entre enseignants et élèves ? Peut-être qu’il pourrait toucher davantage les enseignants, encore une fois fortement préoccupés par ces questions, sans vouloir nécessairement le transposer dans les classes. C’est-à-dire qu’il pourrait servir de catalyseur pour faire saisir aux enseignants les grandes formes et dynamiques de l’espace appuyées par quelques concepts essentiels et générer chez eux une transposabilité à d’autres thématiques, plus en adéquation avec le vécu des élèves à leurs yeux. Il y aurait là de la matière à d’autres recherches, peut-être avec d’autres protocoles comme dans le cadre de situations forcées (Orange, 2010) ou des recherches collaboratives (Desgagné, 1997) où l’enseignant pourrait s’impliquer aux côtés des chercheurs, peut-être dans d’autres contextes professionnels (en formation continue ou en formation initiale dans les filières de sciences de l’éducation ou les master MEEF).

64Quoi qu’il en soit, il apparaît possible de justifier la poursuite d’un tel investissement par deux éléments : la matière première existe déjà grâce à la production scientifique qui abonde sur ce thème de la géographie de l’éducation (et dont il est dommage de ne pas se servir pour des enseignants ou futurs enseignants dont l’école est/sera le quotidien) ; celle-ci peut tout à fait correspondre, dans son outillage conceptuel et méthodologique, à l’esprit et aux finalités générales de la discipline de référence et aux programmes scolaires actuels. De quoi interroger la « transposition didactique voulue » (Roumegous, 2002) qui vise à « décrire et analyser les rares occurrences de transfert d’objet de savoir scientifique vers l’enseignement pour mettre en lumière la logique spécifique de la production scolaire de savoirs » (Audigier, 1997) et la « responsabilité à l’égard des contenus éducatifs » des chercheurs didacticiens (Lebeaume et al., 2007).

65Enfin, au vu des résultats plus généraux de cette enquête (séances ayant suscité l’intérêt via les dimensions locale, vécue, amenant le questionnement…) et donc indépendamment de la question de la thématisation, il nous paraît indispensable de continuer à investir dans des recherches déjà établies portant sur la conceptualisation, le raisonnement et la problématisation.

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Bibliographie

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Annexe

Annexes

Sigles

CE2 : cours élémentaire 2e année

CM1 : cours moyen 1re année

CM2 : cours moyen 2e année

DEPP : direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance

EMF : enseignant maître formateur

ENS : école normale supérieure

ESPE : école supérieure du professorat et de l’éducation

IFE : institut français d’éducation

REP : réseau d’éducation prioritaire (les secteurs REP+ concernent des secteurs encore plus défavorisés que les secteurs REP)

RPI : regroupement pédagogique intercommunal

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Notes

1 https://fracturesscolaires.fr/.

2 Voir par exemple l’enquête TALIS 2013, https://pmb.cereq.fr/doc_num.php?explnum_id=2062.

3 Sous l’expression « carte scolaire », on trouve la logique d’affectation des élèves dans un établissement d’enseignement au sein d’un secteur géographique où résident ces élèves.

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Table des illustrations

Titre Tableau 4. Les thématiques qu’auraient préféré les enseignantes si elles avaient dû mener la séance d’un autre niveau
URL http://journals.openedition.org/educationdidactique/docannexe/image/8353/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 216k
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Pour citer cet article

Référence papier

Xavier Leroux, « La réception d’une proposition d’objet géographique enseigné chez des professeurs des écoles : l’exemple de la géographie de l’éducation »Éducation et didactique, 15-1 | 2021, 101-117.

Référence électronique

Xavier Leroux, « La réception d’une proposition d’objet géographique enseigné chez des professeurs des écoles : l’exemple de la géographie de l’éducation »Éducation et didactique [En ligne], 15-1 | 2021, mis en ligne le 01 janvier 2023, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/educationdidactique/8353 ; DOI : https://doi.org/10.4000/educationdidactique.8353

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Auteur

Xavier Leroux

Docteur, professeur des écoles, chercheur associé au laboratoire de Géographie « Discontinuités » de l’Université d’Artois. Identifiant ORCID : 0000-0001-9979-4856

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Droits d’auteur

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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