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Nourrir les morts – les poteries associées aux défunts dans le cimetière néolithique KDK23 (ve millénaire av. J.-C., Soudan)

Feeding the dead: pottery associated with the deceased in the Neolithic cemetery KDK23 (5th millennium BC, Sudan)
Philippe Chambon, Pascal Sellier, Aline Emery-Barbier et Olivier Langlois

Résumés

Le secteur de Kadruka, en Nubie soudanaise, recèle près de deux douzaines de cimetières néolithiques, datés du Ve millénaire av. J.-C. L’exploration en cours du site KDK 23 a d’ores et déjà livré plus de 130 sépultures, individuelles hors deux doubles. Parmi le matériel souvent abondant associé aux défunts, neuf voire élaboré pour les funérailles, les vases en céramique tiennent une place singulière. Objets issus du quotidien, leur valeur est celle de contenants ; l’inclusion d’éléments complémentaires, cuillers, petits bols ou « biberons » dans les vases associés aux nourrissons indique que c’est bien une nourriture destinée au mort que ces récipients contenaient, viatique pour son installation dans le monde des morts.

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Nubie
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Texte intégral

1Pour les deux premiers signataires de ce texte, « l’équipe de Bahuchet » (un certain nombre d’équipes successives, en fait) a longtemps fait figure de légende, en raison de la diversité des champs disciplinaires qu’elle couvrait et de la personnalité de son directeur ; une personnalité que l’on croisait de temps à autre quand ses locaux hébergeaient les membres ou le conseil de la Société d’anthropologie de Paris ; et une diversité qui s’est depuis matérialisée à nos yeux… puisque nous avons tous deux rejoint l’équipe, il y a quatre ans, contribuant ainsi à élargir encore son champ disciplinaire. En effet, en 2016, nous avons contacté Serge et la directrice adjointe, Évelyne Heyer pour proposer d’adjoindre une dimension archéo-anthropologique à l’UMR 7206, revivifiant ainsi la tradition d’anthropologie biologique du Musée de l’Homme. L’accueil enthousiaste de Serge et d’Évelyne, puis de tou(te)s, a créé un écosystème vraiment favorable, dont nous nous félicitons depuis lors, et a abouti à la création de l’équipe ABBA (Anthropologie Biologique et Bio-Archéologie) au sein de l’UMR. Pour ce recueil, nous avons souhaité nous rapprocher des terrains et des thématiques de Serge, nous amenant logiquement à nous diriger vers l’Afrique… — mais en nous arrêtant au beau milieu du désert, bien loin de la forêt — et l’alimentation, un thème (presque) obligé, que nous avons abordé par un chemin détourné, en examinant sa place dans les pratiques funéraires d’une communauté néolithique du Soudan, issue de la fouille d’un cimetière que nous menons depuis cinq ans (Figure 1).

Figure 1 : Carte de situation

Figure 1 : Carte de situation

2Les squelettes portent témoignage de l’alimentation dont les individus ont bénéficié de leur vivant : leurs dents et leurs ossements en conservent les stigmates, qu’il s’agisse de signes de carence ou de pathologies spécifiques, d’une abrasion particulière des couronnes dentaires ou d’une teneur caractéristique en éléments traces ou en isotopes stables ; mais les défunts entretiennent également une relation privilégiée avec la nourriture et la boisson, en particulier lorsqu’ils font route vers l’au-delà avec un viatique alimentaire ou lors de certains banquets ou fêtes de funérailles et même aussi en tant qu’élément consommable, comme nous le rappelle le célèbre article de Peter Metcalf sur le « vin des morts » (Metcalf 1987). Voici, pour Serge, une petite fenêtre sur l’anthropologie de l’alimentation (au passé) à travers notre expérience archéologique du cimetière néolithique de Kadruka23, en Haute-Nubie soudanaise, où les défunts sont presque tous accompagnés de récipients qui ont dû contenir boisson et nourriture.

La concession de Kadruka

3Le cimetière KDK23 est l’une des buttes funéraires néolithiques repérées par Jacques Reinold sur la concession archéologique de Kadruka, un espace situé sur la rive droite du Nil, à une quarantaine de kilomètres au sud de la 3e cataracte, une section du fleuve connue sous le nom de Northern Dongola Reach (Reinold 2001). Cette zone a pour caractéristique essentielle d’être traversée par le Wadi el-Khowi, un ancien bras du Nil situé à une dizaine de kilomètres à l’est du cours actuel, qui fut un pôle d’attraction majeur pour les populations néolithiques. Le déplacement ultérieur du fleuve et l’assèchement du wadi ont ainsi conféré à cette zone un potentiel archéologique exceptionnel pour la connaissance des sociétés agro-pastorales régionales des Ve et IVe millénaires, c’est-à-dire les phases moyenne et récente du Néolithique de Haute-Nubie (Usai 2016).

4Dans les années 1980, Jacques Reinold, alors titulaire de la concession, y mena une prospection qui a notamment révélé une quinzaine de cimetières néolithiques (dont KDK23), avant d’entreprendre la fouille exhaustive ou partielle de certains d’entre eux : KDK1, KDK2, KDK13, KDK18, KDK21, KDK22 (Reinold 2001, Maines et al. 2018). Depuis 2014, de nouveaux travaux sont menés sur cet espace dans le cadre d’une mission archéologique de la Section Française de la Direction des Antiquités du Soudan (SFDAS), financée par le Qatar-Sudan Archaeological Project (QSAP). Ces travaux ont confirmé la distribution des gisements le long des anciens chenaux du Wadi el-Khowi, les habitats étant directement implantés sur les rives, voire dans le lit même des chenaux, tandis que les cimetières occupent de petites buttes (qui à l’époque pouvaient former des îlots), terrasses alluviales résiduelles qui ne dominent la plaine que d’un à deux mètres.

Le cimetière KDK23

5Comme les autres cimetières de la concession, KDK 23 (pour Kadruka, site 23) fut repéré par Jacques Reinold grâce à la présence de matériel épars sur le sol, ossements érodés et tessons de céramiques essentiellement. Un sondage confirma la présence de sépultures. Cette butte, ou « kôm » selon une dénomination erronée, est une éminence circulaire, d’environ 40 m de diamètre, pour seulement 1,5 m de hauteur. La fouille a débuté par la partie la plus haute et s’est ensuite étendue sur les flancs. Le nombre de sépultures mis au jour s’accroît campagne après campagne (six ont été menées depuis 2014). Ayant initialement estimé le nombre d’inhumés à une centaine, par comparaison avec les autres cimetières explorés, nous envisageons désormais un nombre total supérieur à 200. La fouille s’est révélée particulièrement chronophage, en raison du type de sol et de l’état des vestiges. Résidu d’une ancienne terrasse alluviale du Nil, le limon qui compose la butte est composé presque uniquement d’argile. Faute d’humidité, celle-ci est extrêmement compacte et particulièrement difficile à entamer. Le sédiment a permis une conservation de tous les ossements, mais uniquement de la fraction minérale de la matière osseuse. Il en résulte des squelettes complets, mais très friables (et sans possibilité d’analyse sur collagène). En outre, le retrait des argiles a provoqué des fissures et des cisaillements qui ont fragmenté les vestiges. Enfin, la présence systématique, et parfois abondante, de mobilier incite à multiplier les précautions, lors de la fouille et du prélèvement des témoins archéologiques (singulièrement des objets en os ou en ivoire).

6La surface ouverte par la fouille, principalement localisée au sommet et complétée par des sondages conduits sur les flancs, s’étend maintenant sur plus de 200 m². Le cimetière n’est concerné que par 100 m², mais ses limites ne sont atteintes qu’à l’est et au sud (Figure 2). De fait, le cimetière n’occupe qu’une petite partie de la butte et se trouve ainsi décentré sur son flanc nord. Plus de 130 sujets ont été mis au jour, témoignant de la densité des implantations qui dépasse un sujet par m², alors même que la base des niveaux archéologiques n’est toujours pas atteinte. Alors que les sépultures les plus superficielles avaient subi l’érosion (éolienne), les plus profondes apparaissent à près de 70 cm sous la surface. Il n’y aucune transition entre la densité maximale et l’absence de tombes, ce qui laisse envisager qu’il existait à l’origine une limite matérielle du cimetière. En dépit de cette accumulation, des espaces sans tombes restent visibles en plan, avec par endroits des « rangées » de sépultures séparées par des travées vides, possibles espaces de circulation (Sellier et al. 2018). Les sépultures sont implantées à des profondeurs variables. Cette forte densité s’accompagne de recoupements assez fréquents, que toutefois nous n’interprétons pas comme la conséquence d’une localisation aléatoire des sépultures, mais plutôt comme une volonté d’associer certains individus. Outre les rangées de sépultures, on note en effet des regroupements de sujets au sein d’un même creusement, déblayé avant l’installation d’un nouvel inhumé, les ossements du (ou des) sujet(s) précédent(s) étant replacés dans le comblement (Sellier et al. 2018).

Figure 2 : Plan schématique général du cimetière à l’issue de la campagne 2018. Les vases, en jaune, tiennent presque autant de place que les squelettes

Figure 2 : Plan schématique général du cimetière à l’issue de la campagne 2018. Les vases, en jaune, tiennent presque autant de place que les squelettes

7Les dispositifs sépulcraux n’ont pas fait l’objet d’un investissement important : pour les adultes, les creusements sont aux dimensions du corps fléchi sur le côté, formant ainsi une fosse ovale dont le plus grand diamètre dépasse rarement 1 m. Les fosses ne sont pas aménagées. Pour autant, les conditions de décomposition du cadavre indiquent que les corps n’étaient pas directement au contact du sédiment : une couverture (natte, peau ?) devait recouvrir le sujet ; les indices sont insuffisants pour attester ou au contraire exclure un agencement identique sous le corps. Pour les enfants les plus jeunes, une inclusion du sujet dans un contenant (natte, panier…) ou un « paquet » pourrait expliquer la diversité des positions, comme les bilans taphonomiques contrastés (Maines et al. 2017, Sellier et al. 2017). Tous les corps ont été installés en position fléchie sur le côté, bien souvent fortement contractés, les genoux en avant de l’abdomen. Le côté gauche est adopté en majorité : 67 occurrences, contre 40 pour le côté droit. Si les orientations couvrent toute la rose des vents, l’axe est-ouest (au sens large) est largement préféré, avec la tête à l’ouest.

Le matériel funéraire

8Pratiquement toutes les tombes sont accompagnées d’objets, avant tout des vases en céramique, mais aussi de l’outillage en pierre (haches polies ou faucilles, palettes, broyeurs et broyons), des objets manufacturés en os, simples ébauches ou supports bruts pour l’industrie osseuse, de la parure en pierre ou en ivoire, des coquillages divers et des massacres de bovidé… Parmi les questions soulevées par le mobilier associé au mort, dans tout contexte archéologique, la principale porte sur la signification des dépôts. Dans le cadre de cet article, notre réflexion a porté sur la possible présence de nourriture. Les objets retrouvés peuvent-ils avoir un lien avec une forme d’alimentation des morts ou bien avec un repas funéraire ?

9En dehors de la céramique, les objets retrouvés sont d’abord des témoignages d’activités, vraisemblablement agricoles (haches, faucilles) ou autres, sans doute domestiques pour certains (comme les broyons et les petites meules). La parure peut apparaître comme un marqueur identitaire ou de statut. Les vestiges osseux animaux, relativement abondants, ne témoignent pas de dépôt alimentaire carné. Aucune partie de squelette animal en connexion, même réduite à une simple articulation, n’accompagne les défunts. Les ossements, qu’il s’agisse de fragments de côtes ou d’os longs sont ou bien travaillés, ou bien associés dans un amas d’objets suggérant fortement une fonction de réserve de matière première : les tombes comprennent ainsi supports bruts, ébauches et outils. Les massacres de bovidé (un cas de capriné) n’ont aucune utilité pratique. Considérés comme une partie symbolisant le tout, ils peuvent témoigner des possessions du défunt. Il faut toutefois noter qu’aucune sépulture n’en a livré plus de deux, suggérant que tous les biens du sujet ne lui sont pas rendus dans la mort. Les massacres peuvent aussi renvoyer au déroulement des funérailles, ultime vestige d’un banquet dont le mort reçoit la partie la plus emblématique. En dernière analyse, les massacres font-ils office de substitut symbolique des troupeaux comme ce sera le cas deux millénaires plus tard dans les tombes de la nécropole de Kerma ? (Chaix 1987). Tisser un lien par-delà le temps entre les pratiques funéraires est tentant, mais purement spéculatif. Aucun dépôt carné ne peut donc être relié aux sépultures de Kadruka 23.

10Le bilan est différent en ce qui concerne les végétaux. Si les conditions climatiques n’ont pas permis une conservation directe des fibres végétales et qu’aucune graine n’a été retrouvée, les prélèvements de sédiment ont révélé, en laboratoire, phytolithes et autres pallinomorphes non polliniques. C’est avant tout au sein du sédiment recueillis dans les vases que de tels vestiges ont été identifiés. Au sein des premiers échantillons étudiés, il faut mentionner l’identification de deux plantes alimentaires, le souchet (Cyperus esculentus), dans le vase associé à la sépulture 87 et une Fabaceae (Vigna luteola) dans celui de la sépulture 96. Les résultats de l’étude paléobotanique alimentent l’interrogation sur le rôle des vases dans le contexte du cimetière : objets valorisés en eux-mêmes ou essentiellement des contenants ?

Le mobilier céramique comme contenant alimentaire

11Les vases posent des questions spécifiques, notamment en raison de leur encombrement et de leur situation dans la tombe. Souvent la taille des creusements ne permet pas d’associer directement au cadavre des vases dont le diamètre dépasse régulièrement 20 cm, a fortiori lorsque deux exemplaires sont liés à la tombe. Pour les sépultures des plus jeunes sujets (mort-nés, nouveau-nés, nourrissons), le diamètre des vases est parfois identique à la surface occupée par le cadavre. La base du vase est le plus souvent située au-dessus du niveau sur lequel repose le squelette. Le cas extrême concerne à nouveau les sujets les plus jeunes, avec des cas où le vase surmonte directement le cadavre, quelques centimètres de sédiment séparant la base du récipient du point haut du squelette (Maines et al. 2017). La sépulture 126 illustre parfaitement cette situation, avec un squelette non visible avant le prélèvement du vase.

12Bien que les poteries se situent souvent à une altitude plus élevée que celle du cadavre, elles n’ont probablement pas servi à signaliser la tombe ni n’ont été le vecteur d’échanges entre les vivants et le mort. En effet, l’écart d’altitude entre le vase et le sujet ne varie pas avec la profondeur de la tombe. Pour les sépultures les plus basses, le vase est donc loin de la surface, si bien qu’il ne saurait indiquer la présence d’un sujet que lors d’un éventuel recreusement lié à l’installation d’une nouvelle sépulture sur le même emplacement. En dépit de leur fond rond, les vases sont retrouvés en situation fonctionnelle, l’ouverture vers le haut. Existait-il un système périssable permettant d’éviter une pénétration du sédiment à l’intérieur du récipient, lors du comblement de la sépulture à l’issue des funérailles ? Dans le cas des très jeunes sujets, si nous avons jusqu’à présent échoué à mettre en évidence un quelconque contenu les concernant (tests négatifs pour les pollens et les phytolithes), les vases contiennent souvent le témoignage d’une consommation alimentaire. Ainsi, en 16 occurrences, nous avons retrouvé en leur sein un contenant de très petite dimension : coupelle, cuillère, petit godet à bec ou large coquille d’huître (Figure 3). L’inclusion de cet instrument dans le vase principal déposé dans la tombe suggère un double rôle de puisoir et d’ustensile permettant d’alimenter le nourrisson. De tels objets laissent supposer que le vase contenait une nourriture probablement liquide ou fluide (une bouillie ?), adaptée à cette catégorie de défunt. Si le cas des nourrissons est emblématique par la présence de cette « dînette », les vases sont un constituant essentiel des dépôts mobiliers pour tous les sujets. Leur récurrence conduit à voir dans leur absence l’indice d’une perturbation d’ordre taphonomique ou anthropique : vase emporté par l’érosion pour les tombes superficielles, vase repris ou détruit lors d’un recoupement pour les sépultures plus profondes.

Figure 3 : Plan de la sépulture 83. Le vase, dans lequel se trouve la petite coupelle, repose au-dessus des membres inférieurs du nourrisson

Figure 3 : Plan de la sépulture 83. Le vase, dans lequel se trouve la petite coupelle, repose au-dessus des membres inférieurs du nourrisson

13La faible diversité des formes et des décors à une période donnée (le cimetière a été utilisé pendant plusieurs siècles au cours desquels formes et décors ont changé), le caractère usagé de la plupart des poteries (quelquefois même réparées), le fait que l’on rencontre souvent dans une même tombe des poteries de diamètres variables, mais aux formes et aux décors semblables (qui pourraient évoquer l’équipement du mort nécessaire à son alimentation), de même que l’absence de lien entre le vase et la qualité du reste du dépôt associé, sont autant d’éléments qui incitent, là aussi, à privilégier leur rôle de contenant (et donc le contenu) sur l’objet lui-même (Figure 4). Il faut encore ajouter que le nombre de vases ne varie pas en lien avec l’importance du reste du mobilier. Même dans l’hypothèse d’une vaisselle « personnelle », un ou deux vases suffisent au mort dans la tombe. En revanche, ces vases « banals », régulièrement associés à la tombe, n’excluent pas un autre type de poterie, bien particulier, retrouvé dans plusieurs tombes, cette fois-ci en association directe avec les défunts. Ces poteries en forme de calice, dites « caliciformes », portent des décors très soignés qui contrastent avec ceux qui ornent le reste de la céramique. Parfois considérées comme des vases typiquement funéraires, ces poteries ont pourtant été observées à la surface de différents habitats sous la forme de tessons tout à fait reconnaissables. Les qualités particulières des caliciformes, comme leur usage peut-être cérémoniel, incitent à leur conférer une valeur propre. Autre différence, ces vases élancés à fond rond ne sont pas installés en position fonctionnelle (sauf dans la tombe 89, hors norme à bien des égards).

Figure 4 : Vue de la sépulture d’adulte 154 avec son vase de très gros diamètre

Figure 4 : Vue de la sépulture d’adulte 154 avec son vase de très gros diamètre

14Les vases déposés au-dessus des défunts ont pu être manipulés lors des funérailles par les participants ou avoir servi à un repas partagé par l’assistance. Cependant, on remarquera que le dépôt final des vases, intacts et enfouis, est destiné à l’inhumé. À ce stade on ne peut qu’envisager la présence d’un contenu, comme l’indique leur position fonctionnelle et les détails spécifiques associés aux plus jeunes sujets. En l’absence de résidu archéologique, il ne peut s’agir que d’un contenu totalement organique. Quelle que soit la conception de l’après-mort des Néolithiques de Nubie, il devait leur sembler essentiel de fournir aux morts un viatique alimentaire.

Conclusion

15Dans notre hypothèse, faute de dépôts organiques conservés, les vases sont finalement les seuls éléments qui évoquent la nourriture ou la boisson du mort. Celle-ci est déposée en quantité limitée lors de l’inhumation et n’est pas renouvelée ensuite.

16Au vu des dispositifs sépulcraux sommaires, et des recoupements fréquents lors de l’installation de nouveaux inhumés, il semble exclu de considérer la tombe comme la demeure d’éternité. Faut-il alors, en suivant la pensée de Robert Hertz (1907) sur la transformation du cadavre, mais en l’appliquant à un tout autre contexte, interpréter le dépôt alimentaire comme la nourriture nécessaire à la transformation du mort-cadavre en mort-stabilisé dans son statut définitif ?

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Bibliographie

Chaix L. 1987 – Les troupeaux et les morts à Kerma (Soudan) (3000 à 1500 avant J.C.). In : Duday H. & Masset C. (Ed.), Anthropologie physique et archéologie. Méthodes d'étude des sépultures. Paris, CNRS : 297-304.

Hertz R. 1907 – Contribution à une étude sur la représentation collective de la mort. In : Durkheim É. (Ed.), L’Année sociologique, dixième année (1905-1906) : 48-137. Paris : Félix Alcan (Bibliothèque de philosophie contemporaine). Repris dans le volume posthume : Hertz R., 1928, Mélanges de sociologie religieuse et folklore. Paris, Librairie Félix Alcan : 1-98 ; rééd. (sous le titre Sociologie religieuse et folklore), 1985, Paris : PUF.

Maines E., Sellier P., Chambon P. & Langlois O. 2017 – Burying Children and Infants at Kadruka 23: New Insights into Juvenile Identity and Disposal of the Dead in the Nubian Neolithic. In : Murphy E. & Le Roy M. (Ed.), Archaeological Approaches to the Burials of Children. Oxford (UK), Oxbow Books : 43-55. (SSCIP Society for the Study of Childhood in the Past Monograph Series).

Maines E., Sellier P. & Langlois O. 2018 – Revisiter un ensemble funéraire du Néolithique soudanais : le cimetière Kadruka 18 (fouilles J. Reinold). In : Choimet G. & Maillot M. (Ed.), Actualités archéologiques françaises au Soudan, Hors-série 3 de la revue Routes de l’Orient : 16-30.

Metcalf P. 1987 – Wine of the Corpse: Endocannibalism and the Great Feast of the Dead in Borneo. Representations 17 : 96-109.

Reinold J. 2001 – Kadruka and the Neolithic in the Northern Dongola Reach. Sudan & Nubia 5 : 2-10 + Plate I-XV.

Sellier P., Aoudia L., Gilon A., Langlois O., Lebrun A., Maines E. & Chambon P. 2017 – Pratiques pré- et post-dépositionnelles du Néolithique de Haute-Nubie : enveloppement et transport des corps dans le cimetière Kadruka 23 (Soudan) (Résumé). Bulletins et Mémoires de la Société d'Anthropologie de Paris 29, suppl. 1 : S31.

Sellier P., Aoudia L., Maines E., Langlois O. & Chambon P. 2018 – Funerary practices of the Upper Nubian Neolithic revisited in light of a multidisciplinary approach to the Kadruka-23 site. Communication orale à 14th International Conference for Nubian Studies (Paris, 10-15 septembre 2018).

Usai D. 2016 – A Picture of Prehistoric Sudan: The Mesolithic and Neolithic Periods. In : Oxford Handbook Online. DOI 10.1093/oxfordhb/9780199935413.013.56, accès le 22.01.2018. Oxford : Oxford University Press. 34 p.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Philippe Chambon, Pascal Sellier, Aline Emery-Barbier et Olivier Langlois, « Nourrir les morts – les poteries associées aux défunts dans le cimetière néolithique KDK23 (ve millénaire av. J.-C., Soudan) »Revue d’ethnoécologie [En ligne], 19 | 2021, mis en ligne le 30 juin 2021, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/ethnoecologie/6500 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ethnoecologie.6500

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Auteurs

Philippe Chambon

CNRS, UMR 7206 Éco-Anthropologie, équipe ABBA (CNRS, MNHN, Paris-Diderot). Musée de l’Homme, 17 place du Trocadéro 75116 Paris
philippe.chambon@mnhn.fr

Pascal Sellier

CNRS, UMR 7206 Éco-Anthropologie, équipe ABBA (CNRS, MNHN, Paris-Diderot). Musée de l’Homme, 17 place du Trocadéro 75116 Paris

Aline Emery-Barbier

UMR 7041, ArScAn, équipe Ethnologie préhistorique. Maison Archéologie & Ethnologie, 21, allée de l’Université 92023 Nanterre Cedex

Olivier Langlois

CNRS, UMR 7264, CEPAM, Pôle universitaire Saint-Jean-d’Angély SJA3. 24, avenue des Diables bleus 06357 Nice Cedex 4

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