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Covid-19 en Afrique

Le tourisme tunisien avant et après la Covid-19

Tunisian Tourism Before and After the Covid-19
Mohamed Hellal

Résumés

En Tunisie, l’exploitation du soleil et des rivages, depuis près de 6 décennies, a engendré un développement spectaculaire de l’hôtellerie balnéaire de masse. Cette monoactivité a été la responsable de la crise touristique actuelle ave toutes ses dimensions : économique, sociale et environnementale. L’instabilité politique, qui a suivi la révolution de 2011, ainsi que les attentats qui ont frappé la Tunisie, en 2015, on fait drastiquement chuter la fréquentation touristique dans le pays. Ces crises politiques et sécuritaires ont été rattrapées dans sa convalescence par le COVID-19. En réalité, le contexte pandémique aurait servi de révélateur et d’accélérateur de développement d’un « tourisme durable » à la place du tourisme de masse de l’avant COVID.

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Mots-clés :

tourisme, masse, durable, crise, COVID

Index géographique :

Tunisie
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Texte intégral

Introduction

1En Tunisie, le secteur touristique participe à l’équilibre de la balance de paiement, à la création d’emploi et à la polarisation des investissements. Ainsi, il contribue au PIB avec une part qui varie entre 7 et 14 %, selon les sources. Cet écart traduit les réserves des autorités publiques quant à la contribution réelle du secteur à l’économie nationale en raison des déperditions ou « hémorragies » de rentrées de devises et ses effets non durables sur les autres secteurs économiques, surtout sous l’impact des crises.

2En Tunisie, l’exploitation du soleil et des rivages, depuis près de 6 décennies, a engendré un développement spectaculaire de l’hôtellerie balnéaire de masse. Toutefois, la discordance entre la demande et l’offre touristique tunisienne explique l’actuelle crise du son système touristique (Hellal, 2020). La majorité des espaces touristiques du pays est en étape avancée du cycle de vie (Bulter, 1980). Ainsi, les différentes crises politiques, sécuritaires et sanitaires, notamment celle de COVID-19, ont fragilisé davantage la destination par la baisse de fréquentation. Les répercussions sont importantes à plusieurs niveaux : perte d’emploi significative, vieillissement des établissements hôteliers, endettement des promoteurs… Dans ce contexte, le tourisme durable est envisagé comme étant une alternative au tourisme de masse. Ceci a déjà fait l’objet de débat avant la pandémie : développer un nouveau tourisme plutôt responsable, en lien avec les préoccupations environnementales, économiques et sociales des acteurs du système touristique.

3Malgré tous les problèmes qu’elle pose, la crise actuelle, liée au Civid-19, a accéléré le changement de paradigme touristique et présent un moment important pour mettre en causes toutes les politiques passées. Comme ailleurs dans le monde, en Tunisie, les produits du tourisme durable, dont notamment l’écotourisme, évolue au grès des circonstances et des opportunités entre les politiques de mises en préservation de la nature (Dehoorne et Tafani 2011). À cet effet, on se demande quelles sont les circonstances de développement du tourisme durable en rapport à la crise, qui a commencé bien avant la pandémie coronavirus ? Puis qu’elles sont ses perspectives dans le contexte de l’après-COVID-19 ?

4En réalité, pour la Tunisie, comme pour toutes les destinations, l’hypothèse de l’éclosion d’un nouveau tourisme d’après COVID est prépondérante. Notre hypothèse s’appuie sur une logique rétroprospective d’une nécessité de comprendre l’avant pour anticiper l’après. Vu l’importance du secteur dans l’économie tunisienne et l’urgence de la situation pour l’ensemble de ses acteurs, il est nécessaire d’appréhender la réalité du secteur touristique pour construire durablement son avenir dans le contexte de l’après-COVID.

1. Le tourisme tunisien : un tourisme balnéaire de masse

5Depuis la fin des années 1950, l’État tunisien s’est impliqué lui-même, comme étant un entrepreneur et un gestionnaire de premiers projets touristiques. Sa Société Hôtelière du Tourisme Tunisien la (SHTT), créée en 1959, se chargeait de la réalisation de premiers hôtels étatiques et de la formation de premiers gestionnaires hôteliers. La SHTT devint la première opératrice dans le secteur en détenant 90 % de la capacité à l’échelle du pays, en 1962.

6Pour absorber la demande européenne en termes des lits touristiques balnéaires, l’État tunisien a créé les institutions nécessaires, au début des années 1970 : l’Office National du Tourisme Tunisien (l’ONTT) en 1971, l’Agence Foncière Touristique (l’AFT) en 1973, pour aménager des zones touristiques qui accueilleront par la suite les projets hôteliers à réaliser par les promoteurs privés. Le zonage, un concept du tourisme fordiste (Sacareau, 2007), aide à rationaliser l’espace et les dépenses des infrastructures dans des espaces dédiés à répondre à la demande des touristes de l’Europe occidentale, qui constituent à l’époque une société de consommation.

7Sous l’incitation et le financement de la banque Mondiale, la Tunisie a créé 7 zones touristiques littorales. En effet, le million et demi d’entrées et 105 000 lits ont été la cible à l’horizon de 1985. Le choix des autorités tunisiennes pour l’implantation de ces zones s’était porté sur Tunis-Nord, Tunis-Sud, Hammamet-Nabeul, Sousse-Nord, Skanes Monastir, Djerba, Zarzis. Chaque zone est dotée d’un plan d’aménagement touristique (Miossec, 1996).

8À cette époque, le succès d’une destination touristique dépend en grande partie à des motivations créées par les tour-opérateurs et par les modes du moment : le produit balnéaire familial. À cet effet, ces agences grossiste qui fonctionnaient avec des hôtels de grande capacité - parfois réalisés en matériaux préconstruits - disposent d’un pouvoir de standardisation des unités d’hébergement touristiques à l’échelle du bassin de méditerranée. C’est dans ce contexte, la destination Tunisie commence à perdre son originalité et subir l’image d’une destination banale du tourisme de masse.

9Au milieu des années 1970, la volonté de l’État tunisien de diversifier l’offre touristique balnéaire, qui reste dominée par l’hôtellerie classique, coïncide avec les tentatives des promoteurs du golfe Persique d’investir leurs rentes pétrolières dans des activités rémunératrices comme l’immobilier et le tourisme. Ce contexte a favorisé la création de la première station intégrée en Tunisie, El Kantaoui. Le Fonds d’Abou Dhabi du Développement a eu une participation de 24 % dans le capital de la Société d’Étude et de Développement de Sousse-Nord, qui a aménagé la station intégrée El Kantaoui, avant de rehausser le capital par l’implication d’autres fonds du golfe arabique (Miossec, 1996).

10La station intégrée d’El Kantaoui compte 13 600 lits touristiques et résidentiels. Elle a été voulue comme une innovation en matière d’aménagement touristique, tranchant avec la conception de chapelets d’hôtels en parallèle de la ligne de rivage de la période précédente. Organisée autour d’un port de plaisance, la station d’El Kantaoui se compose : d’unités hôtelières, d’appart-hôtels, de restaurants et de commerces, d’un parcours de golf et d’une zone résidentielle luxueuse.

11L’expérience d’El Kantaoui est suivie d’une autre station « intégrée » : Montazah-Tabarka, décidée en septembre 1981. La station de Tabarka n’est pas un « ex nihilo » comme celle d’El Kantaoui, puisqu’elle est centrée sur son port de pêche qui est rénové et converti en partie pour la plaisance, et secondairement sur un parcours de golf. Elle s’étend sur 90 ha et compte 5500 lits hôteliers et résidentiels.

12Bien que la conception des espaces touristiques évolue des zones aux stations intégrées, alors le produit balnéaire reste dominant dans la prestation de la destination Tunisie. Cette orientation de développement de tourisme de masse se confirme à travers l’évolution du nombre des lits touristiques. En 1971, la Tunisie compte 41 225 lits touristiques pour ce chiffre augmente à 75 847 lits en 1981 et à 116 534 lits en 1990. Cette évolution soutenue du secteur touristique s’explique par la rentabilité d’hôtels étant déjà réalisés. À la fin des années 1980, les promoteurs hôteliers commencent à guider l’État tunisien pour investir dans les zones touristiques les plus rentables, dont Hammamet.

13En 1990, pour la réalisation de la troisième station au sud de la zone de Hammamet, nous assistons à la promotion de la Société d’Études et de Développement de Hammamet-Sud (SEDHS). Le capital de cette société est constitué par 9 banques commerciales et l’Agence Foncière Touristique (AFT). La station est entrée en exploitation durant l’été de 1996. Elle compte 46 unités d’hébergement touristique. La plupart des hôtels sont de haut standing : quatre et cinq étoiles. L’objectif du projet, qui est nommé par la suite « Yasmine-Hammamet », est de créer une ville touristique de 25 000 lits sur 277 ha (dont 10 215 lits résidentiels), une médina de 800 lits, un parc de loisirs, et une Marina (Hellal, 2016).

14La station Yasmine-Hammamet semble participer pour au moins un tiers à l’évolution du nombre des lits touristiques, en Tunisie, entre 1996 et 2006. Entre ces deux dates, le nombre de lits hôtelier en Tunisie s’est explosé de 169 945 lits à 231 838 lits (ONTT, 1996 et 2006). À cet effet, Yasmine-Hammamet a concouru à l’essoufflement de l’offre touristique de la destination, dans un contexte de changement de la demande européenne et d’acharnement de la concurrence internationale. Donc, un déséquilibre entre l’offre touristique tunisienne et la demande s’est établi (Hellal, 2020).

15Bien qu’elle soit conçue comme étant une station intégrée, le projet « Yasmine-Hammamet » reproduit les « hôtels blocs » des zones touristiques classiques. En fait, la conception de cette nouvelle station répond ainsi, aux enjeux de ses promoteurs touristiques qui s’attachent à un modèle déjà dépassé puisqu’ils sont encore dominés par les TO.

16Entre 2007 et 2019, l’évolution du nombre des lits touristique s’est ralentie en passant de 178 176 lits à 236 015 lits. Mais, au final, on a produit un tourisme balnéaire de masse concentré sur le littoral (voir carte n° 1). D’ailleurs, le développement du tourisme saharien n’a pas rencontré le succès escompté par le pouvoir public. Les espaces touristiques de Tozeur et de Nafta, étant promus pendant les années 1990, reproduisent le même concept du zonage de tourisme balnéaire, sauf qu’ici les chapelets hôteliers s’étirent en parallèle aux oasis à la place des rivages de zones balnéaires. D’ailleurs, ils restent auxiliaires des zones balnéaires, notamment celle de Djerba, qu’y émettent ses touristes pour des circuits et courts séjours, et par la suite dépendantes aux chaînes hôtelières et aux tour-opérateurs.

Figure 1 : La répartition de la capacité hôtelière en Tunisie, en 2019

Figure 1 : La répartition de la capacité hôtelière en Tunisie, en 2019

Source : réalisé par M. Hellal à partir des statistiques de l’ONTT, Tourisme tunisien en chiffres, 2019.

  • 1 Selon le ministre de tourisme tunisien : 70 % des choix de destination des vacances et environ 60 % (...)

17Le modèle et le système touristiques en Tunisie restent inchangés. Pourtant, durant ces deux dernières décennies la demande touristique internationale se développe autrement à travers la tendance de l’e-tourisme1. Elle tend, plutôt, à se diversifier pour afficher de nouvelles exigences écologiques et culturelles. On cherche davantage de nouvelles expériences et des services personnalisés pour lesquels les touristes s’occupent eux-mêmes de la programmation de leurs séjours. L’acteur touriste est de retour pour occuper la bonne place dans le système d’action touristique et pour orienter indirectement les politiques d’aménagement. La crise du secteur touristique en Tunisie qui est en réalité de système (Hellal, 2020) s’opère, en partie, à cause de la dominance de tour-opérateur et de l’écart crée entre les gestionnaires des projets touristiques et leurs clients, touristes.

18Depuis les années 1970, à travers des crédits bonifiés, la manne touristique est confisquée par un groupe de promoteurs hôteliers associés dans une confédération qui s’apparente plutôt à un lobby d’intérêt qui oriente les politiques d’investissements touristiques. Les promoteurs mettent une grande pression sur les zones touristiques qui appuient déjà sur des villes littorales les mieux dotées d’infrastructures et de population ouvrière. Cette activité, qui fait partie de politique d’aménagement du territoire de l’État, a contribué à la littoralisation de l’urbain en Tunisie.

19Les zones touristiques sont aménagées dans les périphéries des villes littorales les mieux équipées. Ainsi, le choix de promouvoir ce secteur est accompagné par un volontarisme public en termes d’investissement dans les infrastructures aéroportuaires et routières. D’ailleurs, depuis l’indépendance, le tourisme a été assimilé à un facteur de modernisation de l’urbain et de la société. Mais en réalité, il demeure une activité saisonnière, concentrée sur les mois d’été (figure 2), et fragile sous l’effet des incidents. La première guerre de golfe en 1991 a été vécue comme la première sérieuse secousse pour la « destination Tunisie ».

Figure 2 : L’évolution des nuitées hôtelières mensuelles en Tunisie en 2019

Figure 2 : L’évolution des nuitées hôtelières mensuelles en Tunisie en 2019

Source : réalisé par M. Hellal à partir des statistiques de l’ONTT, Tourisme tunisien en chiffres, 2019.

20Au final, le produit balnéaire de masse, qui se développait sur le littoral tunisien au fil du temps, a été en réalité déséquilibré dans l’espace et dans le temps. Depuis au moins deux décennies, il connaît un déclin régulier.

2. La crise du système touristique en Tunisie depuis le début des années 2000

21La commercialisation du produit touristique tunisien s’appuie sur l’infrastructure hôtelière installée tout au long du littoral tunisien. Malgré ses richesses patrimoniales et paysagères, la Tunisie est toujours perçue comme étant une destination purement balnéaire la plus proche de l’Europe.

22En 1990, la destination Tunisie entame sa crise depuis que son offre touristique, qui est principalement hôtelière et balnéaire, ne s’adaptait pas à la demande internationale qui est en perpétuelle évolution. En fait, les zones touristiques et les stations intégrées conçues depuis le début des années 1970 ne répondaient plus à la demande des touristes européens avides à des territoires touristiques porteurs d’identité et adaptés aux principes de développement durable. D’ailleurs, dans les années 1990, les destinations du tourisme de masse, dans les pays concurrents de la Tunisie, exemple Majorque (Espagne) et Agadir (Maroc) commencent leurs phases de déclin. Quant à la Tunisie, la croissance soutenue de son offre hôtelière, a été dans le sens contraire de l’évolution de la demande.

23La fragilisation de la destination Tunisie a commencé depuis les évènements du 11 septembre 2001 et l’attentat de Djerba du 11 avril 2002, puisque c’est depuis que les tour-opérateurs commencent à brader leurs lits touristiques, ce qui influence la qualité de services et par la suite la satisfaction et la fidélisation de la clientèle.

24Suite à la révolution tunisienne, survenue à la fin de l’année 2010 et au début de l’année 2011, nous assistons à une vraie crise touristique, en Tunisie. Les tour-opérateurs européens boudaient davantage les hôtels tunisiens, en influençant les rythmes d’évolution des entrées et des nuitées vers la baisse.

25Au fil du temps et faute de diversifier son produit, la Tunisie subit l’image d’une destination touristique « bon marché », qu’on peut la substituer par n’importe quelle destination. Par ailleurs, cette représentation devient très négative en raison de certains facteurs : des actes terroristes, instabilité politique, suite à sa révolution de 14 janvier 2011.

26Le chao du tourisme tunisien a été vécu à l’occasion de deux attentats du Bardo et de Sousse en 2015 qui ont fait des dizaines de morts, dont la majorité des touristes de différentes nationalités. Les médias et les rapports consulaires des pays émetteurs ont influencé les prix d’assurance pour les TO et par la suite l’intention de ces derniers pour réserver sur la destination Tunisie. D’ailleurs, la perception de la Tunisie comme un pays du tourisme balnéaire moins sécurisé qu’avant a influencé les réservations vers la baisse.

27La vulnérabilité du secteur touristique balnéaire en Tunisie et l’ampleur de sa crise se justifient par la courbe d’évolution des entrées et des nuitées touristiques (voir figure 2) qui fléchit à l’occasion de chaque incident sécuritaire. Ainsi, la Tunisie commence à perdre ses marchés classiques, notamment français, allemands et anglais, qui sont remplacés progressivement par des marchés maghrébins (notamment libyen et algérien).

Figure 3 : L’évolution des entrées touristiques en Tunisie de 2000 à 2019

Figure 3 : L’évolution des entrées touristiques en Tunisie de 2000 à 2019

Source : réalisé par M. Hellal à partir des statistiques de l’ONTT, Tourisme tunisien en chiffres, 2019.

28Au fur et à mesure à ces évènements politiques et sécuritaires, la destination Tunisie est de moins en moins attirante. Ainsi, les TO européens ne cessent pas de bouder la destination « Tunisie », même s’il existe une demande potentielle sur une telle ou telle marque d’hôtel ou ville touristique. Ils profitent des crises sécuritaires pour renégocier les prix. Leurs partenaires tunisiens qui sont les promoteurs hôteliers ne résistent pas à leur pression pour brader davantage les prix de leurs produits. En privilégiant la course aux nuitées et en sacrifiant la qualité de service, ils ont enfoncé leur produit dans les méandres du tourisme « bon marché ».

29Dans la tentative d’élaborer une image plus attractive pour la Tunisie, en 2017, l’ONTT (l’Office Nationale du Tourisme Tunisien) a créé un nouveau portail touristique « Discover Tunisia ». Cet outil de communication initie à un « véritable voyage virtuel en Tunisie » en plusieurs langues. Ce portail virtuel, qui est aussi présent aussi sur les réseaux sociaux propose une panoplie de photos et vidéos sur la Tunisie. Il contient plusieurs rubriques qui s’organisent par thème : plages, culture, Sahara, bien-être, etc. Toutefois, aujourd’hui, l’étude du tourisme se fait davantage à travers les pratiques que par la motivation. À titre de comparaison, le Maroc, qui est le concurrent direct de la Tunisie, dispose d’un portail qui communique plutôt des régions touristiques ayant chacune sa propre image. Quant à la France, sa capitale Paris, comme étant une destination à part, propose son propre portail qui permet, outre la découverte une grande panoplie de produits, la réservation et même le paiement à distance les différents services liés au tourisme : hébergement, loisirs, culture, consommation, etc.

30Dans le cas tunisien, même si on tente de s’inscrire dans la révolution numérique du tourisme, le réflexe centralisateur, en termes de politique de commercialisation, reste toujours dominant pour que la Tunisie soit commercialisée comme étant une seule destination. Par ailleurs, la tendance mondiale veut que les niveaux territoriaux soient commercialisés aux niveaux plus bas, à travers des villes et des régions touristiques qui deviennent eux-mêmes des destinations touristiques ayant leurs propres images de marque. Cette communication par le bas permet aux destinations de devenir « identifiables par tous et se distinguer en proposant une marque et une image unique » (Marchat et Camelis, 2017).

31En Tunisie, l’essoufflement du modèle d’offre touristique monotype - se basant sur l’hôtellerie balnéaire et classique- est en partie en rapport à la nouvelle tendance d’une demande qui devient plus segmentée. D’ailleurs, nous assistons à la hiérarchie de la demande des touristes internationaux qui appartiennent déjà à de différents pays et cultures et qui ne possèdent pas nécessairement le même niveau d’exigences. À cet égard, dans les pays touristiques, comme la Tunisie, les autorités sont invitées à jouer un rôle déterminant pour adapter la prestation nationale à la nouvelle demande par l’innovation de l’offre, la régulation du système d’action, la mise en place des normes de qualité et de contrôle de services touristiques, ainsi que de l’environnement humain et naturel.

32Les programmes de rattrapage et de diversification du secteur ont eu des effets très faibles en raison de l’immobilisme des autorités et l’absence d’une vision d’ensemble. Les recommandations de différentes études réalisées pendant les années 1990 et 2000 par la banque mondiale ou par des institutions de coopération internationale restent des lettres mortes.

  • 2 www.ins.tn.

33Le secteur du tourisme n’a pu en fait s’adapter ni à l’évolution de la demande ni à la révolution numérique. La crise du système touristique en Tunisie a eu des impacts sociaux, tant que la forte saisonnalité et la fermeture des hôtels génèrent de chômage. À chaque crise conjoncturelle, le secteur perd une partie de sa main-d’œuvre qualifiée à travers un convertissement professionnel. Pourtant en 2018, le secteur crée près de 95 000 emplois directs2 et 380 000 emplois indirects.

34Outre son impact social, le tourisme de masse a engendré une crise environnementale. Les premiers hôtels construits sur le DPM et les équipements portuaires ont été les responsables de l’érosion de plusieurs plages, qui constituent la base de développement du tourisme balnéaire. Ce phénomène se reproduit dans plusieurs zones touristiques (Brahim 2020, Bourgou, 2005, Oueslati, 2004). Ainsi faute d’une bonne gouvernance environnementale, le tourisme de masse génère de la pollution qui touche directement les lieux de pratiques touristiques. À titre d’exemple, à l’île Djerba, le haut lieu du tourisme de masse en Tunisie, en 2014 « les habitants ont de grands mouvements de protestation pour dénoncer la multiplication des décharges sauvages due à la non-prise en compte du doublement du nombre d’occupants de l’île lors de la saison touristique. De rares grands complexes hôteliers ont certes mis en place des systèmes de tri des déchets. Mais le faible impact de ces initiatives – la gestion finale relevant du champ d’action des autorités tunisiennes – et le manque de sensibilisation n’ont pas poussé les acteurs du tourisme à y investir outre mesure. Un projet de coopération avec le département de l’Hérault, en France, visant à valoriser les déchets hôteliers de Djerba avait bien été lancé, mais il a été abandonné depuis »3.

35La pollution concerne également les plages qui constituent la base de tourisme balnéaire. Pourtant on trouve plusieurs acteurs qui s’impliquent dans les nettoyages des plages : l’APAL (Agence de Protection et d’aménagement de Littoral), l’ONTT, communes et la société civile lors de ses grandes campagnes. Ainsi, une police environnementale a par ailleurs été lancée le 13 juin 2017. Une partie de ses agents sont affectés à la surveillance des plages, et leur mission est notamment de verbaliser ceux qui jettent des déchets sur la voie publique. Mais jusqu’à là, cette police reste peu efficace pour lutter contre la pollution qui touche tous les espaces publics qui sont naturellement des lieux de pratiques touristiques.

36Pendant ces dernières années, grâce au soutien des maires audacieux, issus des dernières élections démocratiques de mai 2018, l’APAL devient plus dynamique et efficace pour verbaliser et sanctionner les infractions relatives à la construction sur le littoral. Ces efforts ont été accompagnés par des campagnes de nettoyage des plages impliquant citoyens et associations.

37Finalement, la crise du système touristique en Tunisie a des dimensions multiples : économique, sociale, territoriale et sociale. Par ailleurs, elle offre un temps de réflexion pour définir une politique cohérente et un positionnement efficient dans le marché international (Dehoorne et Tafani, 2011). Ainsi, compte tenu de son importance dans l’économie nationale, le tourisme tunisien est contraint de devenir plus durable sur le plan environnemental, social et spatial. Face à ce challenge, le tourisme durable se présente comme une alternative au tourisme de masse. À cet effet, la récente crise sanitaire, liée au COVID-19, contribue à ce changement.

3. Le tourisme tunisien après la COVID-19 : quelles perspectives ?

38La pandémie de COVID-19 a impacté gravement le tourisme mondial. Le secteur, pourtant habitué des crises, n’a jamais traversé une épreuve d’une telle ampleur en enregistrant une chute inédite de son histoire avec -72 % des entrées touristiques, en 2020 par rapport à l’année antérieure. L’anthropologue en tourisme, Saskia Sassin, dans un numéro spécial de la revue Espaces de janvier 2011, fait une estimation sur les conséquences de l’épidémie de Covid-19 sur le tourisme. Selon elle : « avec la pandémie, l’État et les territoires ont l’occasion de se ressaisir d’une question politique fondamentale : celle d’opter pour une meilleure répartition des flux et bénéfices des touristes sur le territoire. Elle pointe du doigt le surtourisme, qu’elle juge totalement insoutenable d’un point de vue écologique, et prône une conception du voyage, qui intègre le temps, la rencontre et les échanges » (Sassin, 2021).

39Quant à la destination Tunisie, en attendant les chiffres officiels, le ministre du Tourisme tunisien a annoncé dans la presse que le pays a enregistré pendant l’année 2020, par rapport à l’année antérieure, une baisse de recettes touristiques de -64 %, alors que les arrivées touristiques ont chuté de -78 % et plus grave pour les nuitées - 80,5 %.

40Le 2 mars 2020, les autorités tunisiennes ont annoncé le premier cas de contamination importée en Corona-Virus. Progressivement la contamination est devenue locale ou horizontale. Pour pouvoir gérer efficacement la situation épidémique, les autorités tunisiennes ont décidé de fermer les frontières. Cette décision ne peut qu’être catastrophique pour le secteur touristique, surtout à ce temps-là, pendant la moyenne saison (mois de mars), en pleine préparation pour la haute saison estivale de 2020.

  • 4 Le reste de centres sont le foyer universitaire El Mezri et celui de l’école touristique situés au (...)

41Suite à la fermeture des frontières pour arrêter la contamination locale, on a programmé seulement des vols de rapatriements des Tunisiens non-résidents à l’étranger. À partir de 8 mars 2020, les autorités tunisiennes ont décidé que les rapatriés appliquent l’autoconfinement dans leurs lieux de résidence en Tunisie, systématiquement après leur retour. Pour pouvoir gérer convenablement la situation, suite à quelques débordements et non application des règles d’autoconfinement, le 20 mars 2020, les autorités ont choisi de mettre les rapatriés dans des lieux de confinement obligatoire qu’on les appelle « les centres Covid- ». Ces centres sont répartis sur tout le territoire national, mais ils se concentrent essentiellement dans les villes balnéaires disposant des hôtels de grande capacité hôtelière en termes de lits : Hammamet, Sousse, Djerba, Monastir, etc. Cette dernière a accueilli à elle seule 10 centres de ce type, dont 8 hôtels4 de la zone touristique, qui sont à cette époque, désertés par les touristes (Hellal, 2021).

42Face à la saturation des hôpitaux, les autorités tunisiennes ont décidé de créer des centres de COVID+ qui abritent les malades contaminés et les cas suspects. Parmi les 3 centres nationaux de COVID+ préalablement décidés par le gouvernement, un au nord (à Tunis), le deuxième au centre (à Monastir) et le 3e au Sud à (Djerba), seul celui de Monastir qui a persisté. C’est l’hôtel El Mouradi situé au cœur de la zone touristique Skanès-Monastir qui est converti en centre de soin des cas contaminés. Avec la baisse de nombre des contaminés pendant cette première vague, il est devenu le seul centre national de cette spécialité, dont on parle dans la presse et dans tous les médias quotidiennement. Parfois, on diffuse des reportages directs depuis ce centre national au journal de 20 heures et dans d’autres émissions de télévision. Le centre a enregistré des performances en termes de guérison de patients. La bonne gouvernance de ce centre COVID+ a été en partie favorisée par l’existence d’un CHU et d’autres équipements médicaux inhérents : des facultés dans des spécialités médicales, des cliniques, traditions médicales, etc. Désormais, Monastir est appelé la « capitale de guérison de COVID-19 »5.

43La ville de Monastir, notamment son centre national de COVID+ ont largement aidé l’État tunisien à contrôler la propagation de l’épidémie, pendant la première vague. D’ailleurs, l’Organisation mondiale de la Santé a considéré selon son représentant en Tunisie, dans une interview du 11 mai 20206, que cette dernière a réussi sa première phase de lutte contre le Coronavirus. À cette date à l’échelle de la Tunisie, on n’a pas dépassé les 48 décès et le nombre de contaminé reste maitrisé. Dans un article qui s’intéresse intitulé : « Reconfiguration du rapport ville/tourisme de masse en contexte de crise : cas de la ville de Monastir à l’épreuve de la Covid-19 », publié dans la revue RIMEC, nous avons expliqué que cette performance et l’image acquises par la ville de Monastir auront pu servi pour y développer un cluster d’un tourisme de santé qui accueille davantage des cliniques spécialisées et même des maisons de retraite pour une clientèle occidentale. Les friches hôtelières, conséquence de la crise, peuvent être converties dans ce type de projet à travers l’assouplissement de la réglementation urbaine pour les lots H, situés au sud de la zone touristique de la ville. À cet effet, cette zone de Monastir peut s’inscrire dans une phase de « régénération » ou de « renouvellement », par la mutation du produit touristique, au lieu de s’enfoncer davantage dans la phase d’obsolescence (Bulter 1980 et Chadefaud, 1988, cité par Suchet 2015).

44Après leur réussite en matière de lutte contre la pandémie pendant la première vague et sous la pression de la Fédération des Hôteliers Tunisiens, le 27 juin 2020, au début de la saison estivale, les autorités tunisiennes ont décidé d’ouvrir les frontières nationales pour accueillir les touristes et les expatriés tunisiens afin d’amortir les impacts économiques et sociaux de COVID-19 et pour exploiter leur prouesse en matière de lutte efficace contre le virus. Mais pour limiter les risques de contamination extérieure (ou verticale), les autorités tunisiennes ont été obligées de repartir les pays de provenance d’expatriés tunisiens en 3 zones selon le niveau de propagation de virus Corona : zone rouge pour les pays de hauts risques, zone orange pour les pays à moyen risque et zone verte pour les pays à bas risque. Donc, on a décidé de mettre seulement les arrivants de la zone rouge dans le confinement obligatoire, pour une période de 7 jours, avant de réaliser un test qui lui permettra de continuer l’autoconfinement à domicile. Sinon pour la zone orange, les expatriés tunisiens sont soumis à l’autoconfinement chez eux. Ainsi pour accueillir les touristes sans risques, on a opté pour un protocole sanitaire national appliqué depuis toutes leurs trajectoires : depuis l’aéroport, en passant par le bus de transfert et jusqu’aux hôtels.

45Depuis la date d’ouverture de frontières, le 27 juin 2020, on a baissé le nombre de centres COVID en 2 seulement, tant que'on compte d’exploiter le reste d’hôtels pour l’accueil des touristes. Toutefois, les touristes n’ont pas été au rendez-vous. Ils n’ont pas refoulé les hôtels balnéaires pendant cette saison estivale de 2020, comme il a été attendu par les acteurs de tourisme en Tunisie. Faute d’une institution stratégique, de type observatoire de tourisme, la Tunisie n’a pas anticipé le comportement des touristes européens qui ont décidé de faire « le tourisme chez eux ». D’ailleurs, pendant l’année 2020, la majorité des pays européens s’est orientée pour impulser le tourisme local dans ce contexte particulier afin de réduire au moins une partie les pertes de cette crise sanitaire. À cet effet, le succès de la Tunisie, en termes de lutte efficace contre le COVID-19 n’a pas été à lui seul un argument suffisant pour convaincre les tour-opérateurs et les touristes individuels pour réserver dans des hôtels balnéaires du pays. Donc, actuellement la Tunisie vit une nouvelle crise de fréquentation qui s’ajoute à d’autres du son secteur touristique qui s’avère quant à lui très peu résiliant. Pis encore, l’ouverture des frontières en juin 2020 a été la responsable de la deuxième et de la troisième vague de la pandémie qui impactent tout le tissu économique du pays, dont le tourisme, dans le contexte actuel de rédaction de ce texte (le mois de mai 2021).

46Nous constatons que le tourisme balnéaire de masse demeure un produit fragile face aux différentes crises, dont notamment les crises sanitaires internationales comme celles de COVID-19. Pendant l’année 2020 et dans ce contexte de crise du tourisme international, le tourisme local a été particulièrement réactif. Les Tunisiens depuis la première vague de la pandémie en mars 2020 se sont réfugiés dans la nature : promenade et pratiques touristiques dans les parcs et les arrière-pays des agglomérations urbaines, visites de découverte et des campings dans des sites naturels, des petits séjours dans les maisons d’hôtes et des gîtes ruraux éparses, etc. Ceci confirme la tendance générale dans le contexte de l’après-covid, à l’échelle mondiale : « à court terme, il est manifeste que le tourisme local sera privilégié » (Martin et Ricci, 2020).

47En Tunisie, le retour à la nature à travers les pratiques touristiques et ludiques « d’arrière-pays » est une tendance qui a déjà commencé avant même le COVID. La faillite institutionnelle au niveau du ministère de tourisme, qui ses administrations restent inadaptées avec les nouvelles circonstances, n’a pourtant jamais empêché l’éclosion de quelques projets touristiques épars et écologiques portés par les acteurs territoriaux. Face à la crise de l’hôtellerie, depuis quelques années, nous assistons à la prolifération des structures alternatives du tourisme « chez l’habitant » : location meublée, chambre d’hôtes, maison d’hôtes et gîtes ruraux, dans tout le territoire national. La rigidité de la réglementation et la bureaucratie obligent ces promoteurs de commercialiser leurs offres en tant que chambres d’hôtes, dans les différentes plateformes sur le Net. En 2019, à l’échelle du territoire national on compte déjà 467 lits dans les chambres d’hôtes repartis sur 50 établissements et 282 lits, dans 16 gîtes ruraux (ONTT, 2019).

48L’évolution de la demande et l’émergence de profils de touristes plus jeunes, plus curieux et plus sportifs mettent en évidence les insuffisances de l’aménagement touristique incompatible avec les pratiques spontanées. Dans les arrière-pays de grandes agglomérations urbaines, la qualité d’infrastructure n’est pas toujours satisfaisante, ainsi les signalétiques et les espaces de repos sont lacunaires.

49Pendant la période de confinement et même avant la pandémie, de jeunes entrepreneurs proposent des initiatives locales et écologiques : des randonnées sur le mont Bougarnine à Tunis et des campings en plein air dans plusieurs sites d’intérêt écologique, dont Ain Drahem, Beni Mtir, El Faija, etc. Cette offre est véhiculée surtout par les réseaux sociaux… Les jeunes ont le désir de se ressourcer de différents terroirs de leurs pays qui a été autrefois agricole et appelé jadis : la « Tunisie verte » et « le grenier de Rome ».

50Du temps de chef de l’État déchu Ben Ali, ce genre de tourisme était peu développé. Les autorisations sécuritaires nécessaires ne s’obtenaient qu’au terme d’un processus fastidieux. La politique de l’État était plus orientée vers le tourisme balnéaire de masse pour faire plaisir aux promoteurs hôteliers qui constituent en partie les clients économiques du système du pouvoir de l’époque. Mais, dix ans après la révolution, plusieurs acteurs, dont les associations groupent de jeunes internautes et des précurseurs individuels proposant plusieurs offres touristiques.

51Dans le contexte pandémique, on privilégie les randonnées en petits groupes pour respecter les protocoles sanitaires. Faute de balisage dans la plupart des endroits qu’il choisit de faire découvrir, il procède à des repérages avec son équipe avant chaque excursion. La communauté virtuelle a été l’élément déclencheur des projets de start-up consacrés aux voyages. Elle partager ses expériences via les blogs et les réseaux sociaux7.

52Finalement, le contexte pandémique vient de confirmer la tendance de développement d’un nouveau tourisme diffus vulgarisé par le réseau de Net et qui a déjà commencé depuis les premières années de la révolution tunisienne, en 2011. À cet effet, nous assistons à un redéploiement spatial du tourisme au profit de l’arrière-pays des zones touristiques et des grandes villes littorales, ainsi qu’à l’intérieur de la Tunisie.

4. Les perspectives de développement du tourisme durable en Tunisie

53Face aux crises consécutives de tourisme de masse, les Tunisiens prennent donc conscience de la nécessité d’engager des formules alternatives et plus durables de leur tourisme. Le défi de développer un tourisme durable consiste à établir un équilibre dynamique entre le développement économique et social des territoires concernés et une durabilité des écosystèmes, tout en tenant compte des besoins des communautés d’accueil et en construisant les conditions d’une rencontre entre les populations « hôtes » et « invitées » (Smith, 1989 ; Couture, 2002 ; Dehoorne et Tafani, 2011).

54La perspective de mettre en place un tourisme durable implique la prise en compte de toutes les dimensions sociale et environnementale. Pour les destinations du tourisme balnéaire de masse, dont la Tunisie, les enjeux liés aux impacts de l’activité touristique sont tributaires à la gouvernance des ressources hydrauliques, de consommation énergétique, de gestion des déchets, d’exploitation d’une main-d’œuvre à bas salaires, etc. (Freytag et Vietze, 2010) (Chiraz Ghozzi-Nékhili, 2011).

55Le thème du développement durable est encore récent en Tunisie, donc nous ne disposons pas d’informations suffisantes quant aux pratiques des entreprises dans ce domaine. D’ailleurs, les hôtels labélisés « éco-hôtel » se font encore très rares. Pourtant, cette approche raisonnée de développement d’un tourisme durable s’est appliquée dans quelques projets épars dans les arrière-pays, comme ceux menés à Sidi Amor et à Beni Mtir, apparaissant comme des modèles d’écoconstruction à l’échelle de la Tunisie. Ils sont les aboutissements d’une volonté d’intégrer le plus respectueusement possible les constructions dans leur milieu environnemental. Un objectif poursuivi également en utilisant avec un minimum de transformation, les ressources locales et l’énergie disponible. Même aux portes du désert, à Nafta où un Français a construit un écolodge dédié au repos et à la méditation avec des stages de yoga. Ainsi, le projet touristique de luxe (hors normes tunisiennes), « Anantara Sahara Tozeur Resort & Villas » réalisé en plein désert aux marges de la ville de Tozeur par le promoteur « Qatari Diar » et inauguré en 2019, s’avère un nouvel élan pour développer un autre type de tourisme écologique et de qualité.

Photographie 1. Le projet touristique de luxe, « Anantara Sahara Tozeur Resort & Villas »

Photographie 1. Le projet touristique de luxe, « Anantara Sahara Tozeur Resort & Villas »

Source : https://www.ilboursa.com/​marches/​construit-par-le-groupe-chaabane-anantara-tozeur-resort-ouvrira-ses-portes-le-1er-decembre_19689

56Outre ces projets ponctuels qui parient sur l’écologie et la qualité, les autorités tunisiennes tentent également la mise à niveau de ses structures hôtelières, étant donné que leur majorité n’est pas encore amortie. Depuis 2009, le Ministère du Tourisme est en train de préparer de nouvelles normes de classement des hôtels tunisiens accordant plus d’importance à la qualité des services. Les anciennes normes, qui ne tiennent compte que des aspects techniques (dimensionnement, équipement), ne sont pas prises en compte dans les catalogues des TO, qui élaborent leurs propres classements de ces établissements. Il s’agit d’une « classification caduque des hôtels tunisiens -qui remonte à 1994 et son corollaire le bradage des prix- a constamment préoccupé les Tour-opérateurs étrangers qui ont toujours demandé à la réviser, conformément aux standards internationaux. Ces derniers, au nombre de 246 depuis 2009 contre 30 en 1986, sont répartis en trois chapitres : équipements, services au client, accessibilité et développement durable »8.

57Outre la tentative de mise à niveau du produit de tourisme balnéaire existant, le paradigme du tourisme durable porte également sur le développement d’un tourisme écologique dans les territoires ayant des atouts naturels. La réussite de l’écotourisme se fonde sur la responsabilisation des touristes et de l’acceptabilité des sociétés d’accueil. D’ailleurs, l’expérience touristique ne peut être envisagée qu’à travers la rencontre, avec les sociétés et les individus qui évoluent dans les environnements visités, objets de découverte. Ainsi, la rencontre concourt à l’établissement de rapports plus équitables et plus solidaires (Dehoorne 2011). Ce modèle de développement participatif permet d’envisager des processus de développement territorial à partir des revenus générés par les consommations touristiques mieux réfléchies et organisées (Blamey, 2001, cité par Dehoorne 2011).

58En Tunisie, le développement du tourisme écologique, dont le tourisme rural et saharien, impose plus d’implication des acteurs territoriaux. Théoriquement, le contexte postrévolutionnaire est favorable à ce type de processus. La nouvelle constitution validée par l’Assemblée constituante, le 26 janvier 2014, adopte le principe de décentralisation. Ainsi, le nouveau code de collectivités territoriales d’avril 2018, qui constituent les lois cadres pour concrétiser cette politique de décentralisation, fait de développement touristique une compétence partagée par les 3 échelles territoriales : district, gouvernorat et commune. Dans cette perspective, les offices de tourisme sont appelés à devenir des structures décentralisées qui œuvrent pour la mise en tourisme et le marketing des régions et des villes touristiques afin de devenir, peut-être, « des destinations touristiques ». Par ailleurs, l’organigramme actuel de ministère de tourisme, qui reste inchangé depuis les années 1970, ne s’adapte pas avec ce challenge.

59Depuis le début des années 2000, la Banque Mondiale (2002), dans son étude stratégique qui porte sur le tourisme tunisien, suggère que les orientations suivantes soient adoptées en matière d’image : communiquer sur les régions tunisiennes, plutôt que sur la Tunisie elle-même, sur les sites touristiques et sur les filières de produits. Elle conseille aussi que « l’utilisation du potentiel considérable des NTIC (commercialisation par Internet, mais aussi utilisation d’un Intranet professionnel) et par une différenciation mieux marquée des techniques utilisées selon les segments de clientèle visée et les filières de produits » Banque Mondiale, 2002 : 56).

60Ces dernières années, le tourisme en ligne se présente comme une opportunité pour la destination Tunisie pour développer d’autres créneaux touristiques que le tourisme balnéaire. Ainsi, les techniques d’e-tourisme peuvent contribuer à échapper de la dominance des TO qui sont des intermédiaires de vente, étant donné que le touriste a l’avantage d’être le confectionneur de son propre forfait et en interaction avec les acteurs locaux du système touristique. Ainsi, ils participent à la diffusion du développement touristique dans toutes les régions du pays par une meilleure répartition des flux grâce à la commercialisation de plusieurs types de produits. Les produits du terroir en particulier, patrimoine hybride à la fois naturel et culturel, constituent des repères pour les destinations à l’égard des touristes. Plusieurs plans défendent cette idée de développement de produits écoagritouristiques et promeuvent l’agriculture multifonctionnelle, dont le tourisme serait complémentaire (Dehoorne et Tafani 2011). Cette perspective de développement du tourisme rural nécessite une politique parallèle de développement du secteur agricole et des territoires ruraux.

61Le développement de l’agrotourisme mettrait en réseau plusieurs opérateurs touristiques, plusieurs artisans (agricoles et autres) afin d’offrir aux touristes une gamme de produits diversifiée, mais aussi des rencontres avec les acteurs locaux. Ceci favorise la refonte du système touristique dans la perspective d’un « développement durable » (Knafou et Pickel, 2011). Outre les dimensions environnementales, sociales, économiques et spatiales, dans le contexte de l’après-COVID, le paradigme de tourisme durable, charnière de développement durable, dégage une autre dimension sanitaire.

62Plusieurs chercheurs estiment que la crise sanitaire liée au COVID-19 est à l’origine une crise écologique. En fait, c’est « la destruction des écosystèmes depuis deux décennies, et le dérèglement climatique qui ont favorisé l’expansion géographique des maladies infectieuses » (Bourg, 2020, cité par Bourlon 2020). Ainsi, en se rappelant de la première vague de virus, en USA et en Italie, la contamination a été plus importante dans les régions urbaines les plus denses et les polluées. Pour éviter la proximité, les habitants urbains s’évadaient dans les parcs, les régions rurales et forestières d’arrière-pays. C’est depuis, une large adhésion mondiale s’est dégagée suite à la crise du COVID-19, en faveur des secteurs de l’agrotourisme et des pratiques liées à la santé et au retour au terroir. La Tunisie pourrait développer davantage ces créneaux vu ses atouts ingagnables. Elle est déjà classée 2e destination mondiale en thalassothérapie et seconde en Afrique pour le tourisme médical. La maîtrise de la gestion du COVID, surtout pendant la première vague, pourrait être mise à profit pour développer une économie de santé englobant notamment le tourisme de santé, industries pharmaceutiques, les produits de terroir et biologique. D’ailleurs, les produits agroalimentaires, gastronomiques et diététiques, dont l’huile d’olive tunisienne peine à contribuer à la différenciation et l’attractivité de la destination Tunisie. Pourtant la Tunisie a été classée par l’UNESCO parmi les 7 pays pratiquant la diète méditerranéenne. Elle pourrait développer une route à thème lié au patrimoine de l’olivier en rapport aux structures touristiques existantes (hôtels, restaurants, centres de spa) un régime alimentaire méditerranéen ainsi que les traitements cosmétiques et anti-âge (huiles essentielles, gélules de figues de barbarie et de grenades…)9.

63À travers des nouveaux types de produit : tourisme écologique, de plein air, agrotourisme, saharien, spéléologique, la Tunisie pourrait diversifier son produit. Elle dispose de 15 parcs nationaux et de 76 sites potentiels d’écotourisme. Ainsi, en termes de produit culturel, elle dispose de 30 000 sites et vestiges archéologiques, dont 8 figurent sur la liste du patrimoine mondial et 15 sur la liste indicative de l’UNESCO. La valorisation de ces atouts nécessités l’audace pour changer l’image stéréotypée sur Tunisie : une « destination balnéaire de masse ».

64Finalement, les supporteurs de l’écotourisme en Tunisie souhaitent que la crise de COVID-19 du secteur touristique soit l’occasion pour développer et promouvoir un tourisme durable et de qualité.

Conclusion

65Depuis les années 1970, le système touristique en Tunisie a produit un tourisme balnéaire de masse, concentré dans les villes littorales. L’infrastructure touristique – essentiellement balnéaire- est souvent assimilée à l’hôtellerie. Cette monoactivité, étant favorisée par une certaine politique sectorielle, a été la responsable de la crise touristique actuelle avec toutes ses dimensions : économique, sociale et environnementale. L’instabilité politique qui a suivi la révolution de 2011, ainsi que les attentats terroristes qui ont frappé la Tunisie en 2015, on fait drastiquement chuter la fréquentation touristique dans le pays. Ces crises politiques et sécuritaires ont été rattrapées dans sa convalescence par le Covid-19. La priorité des acteurs du tourisme tunisien est donc aujourd’hui de faire redémarrer ce secteur. En parallèle, une prise de conscience des enjeux environnementaux a émergé ces dernières années pour favoriser le développement d’un nouveau type de tourisme plus durable.

66La perspective de développer un tourisme durable et responsable doit s’inscrire dans une chaîne de valeurs et contribuer à l’atténuation des disparités sociales et territoriales à travers une approche inclusive. À cet effet, la pandémie aurait servi de révélateur et d’accélérateur d’une activité en pleine mutation. D’ailleurs, dans le contexte de l’après COVID-19, les candidats de voyage prônent pour un tourisme de proximité et écologique. Tout est en faveur d’un « tourisme doux » à la place du tourisme de masse de l’avant COVID. La Tunisie comme beaucoup des pays a été concernée par ce changement de paradigme.

67Le tourisme durable implique la préservation des ressources naturelles et du patrimoine culturel dans le respect des communautés locales et de leurs intérêts ainsi que de ceux des visiteurs et des générations futures10. Ainsi, sous l’effet de la pandémie la dimension sanitaire intègre ce concept de tourisme alternatif. Par ailleurs, la refondation du tourisme et de son système devrait ainsi s’inscrire dans la durée dans le cadre d’une approche globale et intégrée, qui mobilise tous les acteurs de territoires-destinations concernés.

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Bibliographie

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Notes

1 Selon le ministre de tourisme tunisien : 70 % des choix de destination des vacances et environ 60 % des réservations s’effectuent à travers le net. Par contre, les hôtels tunisiens sont peu visibles sur le net. Ceci favorise la dominance des TO classiques qui restent le client majoritaire des hôteliers tunisiens qui sont indépendants les uns des autres, en absence d’une tradition nationale d’intégration des hôtels en des chaînes volontaires.

2 www.ins.tn.

3 https://www.1538mediterranee.com/vers-un-tourisme-durable-en-tunisie/

4 Le reste de centres sont le foyer universitaire El Mezri et celui de l’école touristique situés au centre de la zone touristique de Skanès.

5 https://www.tuniscope.com/article/201336/actualites/tunisie/monastir-234816.

6 https://www.tap.info.tn/fr/Portail-%C3%A0-la-Une-FR-top/12659792-coronavirus-on-ne

7 https://www.veilleinfotourisme.fr/international/pays-de-n-a-z/tunisie/en-tunisie-l-espoir-d-un-autre-tourisme-durable

8 https://www.webmanagercenter.com/2020/12/30/461411/tourisme-une-nouvelle-classification-des-hotels-en-tunisie-dans-trois-mois/

9 https://www.leaders.com.tn/article/30117-tourisme-durable-et-inclusif-post-covid-2019-preserver-renover-et-restructurer

10 https://www.tourisme-durable.org/tourisme-durable/definitions.

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Table des illustrations

Titre Figure 1 : La répartition de la capacité hôtelière en Tunisie, en 2019
Crédits Source : réalisé par M. Hellal à partir des statistiques de l’ONTT, Tourisme tunisien en chiffres, 2019.
URL http://journals.openedition.org/etudescaribeennes/docannexe/image/21990/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 286k
Titre Figure 2 : L’évolution des nuitées hôtelières mensuelles en Tunisie en 2019
Crédits Source : réalisé par M. Hellal à partir des statistiques de l’ONTT, Tourisme tunisien en chiffres, 2019.
URL http://journals.openedition.org/etudescaribeennes/docannexe/image/21990/img-2.png
Fichier image/png, 39k
Titre Figure 3 : L’évolution des entrées touristiques en Tunisie de 2000 à 2019
Crédits Source : réalisé par M. Hellal à partir des statistiques de l’ONTT, Tourisme tunisien en chiffres, 2019.
URL http://journals.openedition.org/etudescaribeennes/docannexe/image/21990/img-3.png
Fichier image/png, 62k
Titre Photographie 1. Le projet touristique de luxe, « Anantara Sahara Tozeur Resort & Villas »
Crédits Source : https://www.ilboursa.com/​marches/​construit-par-le-groupe-chaabane-anantara-tozeur-resort-ouvrira-ses-portes-le-1er-decembre_19689
URL http://journals.openedition.org/etudescaribeennes/docannexe/image/21990/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 104k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Mohamed Hellal, « Le tourisme tunisien avant et après la Covid-19 »Études caribéennes [En ligne], 49 | Août 2021, mis en ligne le 30 août 2021, consulté le 18 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/etudescaribeennes/21990 ; DOI : https://doi.org/10.4000/etudescaribeennes.21990

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Auteur

Mohamed Hellal

Enseignant à la FLSHS (université de Sousse) & Chercheur à l’université de Tunis (Tunisie)/FSHST, Laboratoire de recherche : « Gourvernance développement territorial », mohamed.hellal2012@gmail.com

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Droits d’auteur

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