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L’économie sociale et solidaire comme écosystème territorial d’intermédiation : le cas du PTCE Sud Aquitaine

The social and solidarity economy as a territorial ecosystem of intermediation : the case of the South-Aquitaine TCEC
Die soziale und solidarische Ökonomie als territoriales Ökosystem der Vermittlung : Fallbeispiel „PTCE Sud Aquitaine“
La economía social y solidaria como ecosistema territorial de intermediación : el caso del Polo Territorial de Cooperación Económica del Sur de Aquitania
Danièle Demoustier et Xabier Itçaina
p. 27-52

Résumés

En France, les Pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) constituent des formes émergentes de coopération entre des structures d’économie sociale et solidaire (ESS), des acteurs publics et privés marchands partageant un même ancrage territorial. Le PTCE Sud Aquitaine entend ainsi intégrer l’intermédiation sur le marché du travail dans un projet global visant à donner une empreinte ESS au développement territorial. L’article aborde le processus sociohistorique de constitution de ce système d’acteurs qui conjugue des processus politiques et économiques, avant d’interroger les formes et effets de cette intermédiation sur le marché du travail territorial et sa dimension écosystémique.

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Texte intégral

Introduction

1Les organisations de l’économie sociale et solidaire (ESS) construisent leur singularité sur la traduction de valeurs et de principes en arrangements institutionnels : primauté des personnes et de l’objet social sur le capital, adhésion libre et volontaire aux projets et aux structures, lucrativité limitée, gestion démocratique et autonome vis-à-vis des pouvoirs publics. Dans cette perspective, les entreprises reliées à l’espace de l’ESS ont généralement un objectif d’insertion sociale et professionnelle sur leurs territoires d’ancrage. L’ESS a ainsi saisi à bras-le-corps l’intermédiation sur le marché du travail, d’abord par les Structures de l’insertion par l’activité économique (SIAE), avant de s’étendre à des publics et des innovations plus extensifs : Groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification (GEIQ), Coopératives d’activité et d’emploi (CAE), Sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC). Par l’ancrage territorial, les structures de l’ESS proposent une réponse adéquate et singulière aux besoins des marchés locaux du travail.

  • 1 Article 9, loi du 31 juillet 2014 relative à l’ESS.

2La dynamique des Pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) constitue une réponse à ce double défi par la coopération entre les structures ESS et hors ESS sur un même territoire (Gianfaldoni, 2017). Issus de la confluence de diverses expériences locales, les PTCE ont été inclus et définis dans la loi du 31 juillet 2014 relative à l’ESS. Ils sont constitués « par le regroupement sur un même territoire d’entreprises de l’économie sociale et solidaire (…), qui s’associent à des entreprises, en lien avec des collectivités territoriales et leurs groupements, des centres de recherche, des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, des organismes de formation ou toute autre personne physique ou morale, pour mettre en œuvre une stratégie commune et continue de mutualisation, de coopération ou de partenariat au service de projets économiques et sociaux innovants socialement ou technologiquement et porteurs d’un développement local durable1 ». En amont et en aval de sa reconnaissance législative, la figure des PTCE a fait l’objet d’un soutien étatique par le biais de deux appels à projets (AAP) interministériels en 2013 et 2015, puis d’un Appel à manifestation d’intérêt en 2021. Si certains PTCE répondent à ce défi par une stratégie sectorielle ou de filière (Bourbousson et Richez-Battesti, 2017), d’autres PTCE dits territoriaux ambitionnent, à partir d’une démarche multisectorielle, de dépasser la simple mutualisation des ressources et de générer de nouveaux registres de coopération territoriale.

3Lauréat du premier AAP interministériel en 2013, le PTCE Sud Aquitaine, dont le siège est situé à Tarnos (Landes), est une illustration emblématique de ce double travail politique et économique. Ce Pôle est la forme institutionnelle la plus récente d’une dynamique territoriale ancienne initialement motivée par des enjeux de reconversion industrielle et de maintien de l’emploi. Parmi la vingtaine de structures ou dispositifs créés depuis 1999, dont beaucoup à statuts multi-partenariaux, nombreux sont ceux qui portent l’enjeu de l’intermédiation de la relation à l’emploi à partir de la double observation du fort chômage des jeunes et d’une difficulté de recrutement des entreprises locales. L’accompagnement vers l’emploi proposé par ces structures s’appuie sur les principes de coopération : implication de différentes parties prenantes, intégration de porteurs de projets dans le sociétariat, dynamiques de groupe entre entrepreneurs, participations croisées.

  • 2 La recherche dont est issue cet article a été soutenue par le programme R&D du PTCE Sud-Aquitaine e (...)

4L’article pose l’hypothèse d’une complémentarité opérationnelle entre les deux objectifs du PTCE : peser sur la fluidification et la structuration du marché du travail territorial par des articulations innovantes entre formation et emploi ; susciter une dynamique de coopération territoriale entre ESS, entreprises et champ politico-administratif2. Cet écosystème territorial, au sens de système localisé d’acteurs reliés entre eux par un maillage fort et des valeurs partagées, intègre l’intermédiation dans une intention globale visant à donner une empreinte ESS au développement territorial. Il s’agira d’analyser les modalités d’articulation des deux objectifs, les conditions de leur émergence et de leur consolidation.

5Pour ce faire, ce texte croise deux regards disciplinaires sur les dynamiques territoriales de l’ESS. Sur le plan économique, nous mobilisons les approches proximiste et régulationniste de l’économie territoriale, vues ici comme convergentes (Gilly et Lung, 2008 ; Colletis et Pecqueur, 2018 ; Lamarche et al., 2021). La focalisation sur le rôle de l’ESS dans l’intermédiation permet de réintégrer dans l’analyse des proximités organisationnelles et institutionnelles l’une des macro-institutions du système capitaliste, le rapport salarial. Cette perspective est croisée ici avec la sociologie de l’action publique territoriale et du travail politique territorial (Smith, 2019), qui souligne le triple travail de construction des problèmes publics, de mise en place des instruments d’action publique et de légitimation territoriale de ces instruments. L'article mobilise enfin la littérature émergente sur les dynamiques territoriales des PTCE (Bourbousson et Richez-Battesti, 2017 ; Gianfaldoni, op. cit. ; Demoustier, 2018). L’étude de cas vient en particulier illustrer les travaux comparatistes soulignant la façon dont les PTCE formalisent des dynamiques anciennes de coopération territoriale avec un rôle pilote de l’ESS, et aussi la diversité des PTCE en termes d’acteurs, de secteurs, de gouvernance et d’impact sur l’emploi (Fraisse, 2017) et sa qualité (Richez-Battesti et al., 2013). Ce cadrage, en superposant les dimensions économiques et politiques, rejoint la proposition de Gianfaldoni (op. cit., p. 50), qui voit dans chaque PTCE un « écosystème productif local à rattacher à l’ESS » exprimant « la promesse d’une voie économique alternative conjuguant gouvernance territoriale et démocratique ». Ce regard croisé a informé la démarche d’enquête.

Encadré 1. Méthodologie
Six séminaires organisés sur deux ans (2015-2016), et à chaque fois sur deux journées, ont structuré la réflexion partagée des chercheurs et des équipes dirigeantes des structures membres du PTCE (Pôle territorial de coopération économique). Ces échanges ont été intégrés à la démarche Recherche et développement (R&D) à laquelle le PTCE, lauréat de l’Appel à projet PTCE en 2013, se devait de procéder. Plutôt que d'effectuer une analyse économétrique d’impact, les animateurs du PTCE ont choisi d’approfondir la notion de coopération territoriale, à l’aide d’une économiste spécialiste de l’économie sociale et solidaire (ESS) et d’un politiste travaillant sur les dynamiques de développement et les identités territoriales.
Chaque séminaire a été structuré autour d’un exposé introductif des chercheurs sur une question générale, convenue au préalable avec les acteurs, relative aux concepts et aux travaux sur la coopération territoriale, les formes de polarisation territoriale de l’ESS, le développement local, la gouvernance territoriale. Des travaux en groupes suivis de restitutions ont permis d’approfondir la discussion conceptuelle et de l’appliquer au PTCE. Quatre thématiques ont été explorées : l’histoire de la coopération territoriale, les rapports au(x) territoire(s), les enjeux de gouvernance, les perspectives de développement.
Les séminaires ont été complétés par une douzaine d’entretiens, dont certains répétés, avec les équipes dirigeantes des structures membres du PTCE (Comité du bassin d’emploi (CBE) du Seignanx, association Andere Nahia, Société coopérative et participative (SCOP) Lan Berri, Société coopérative d’intérêt collectif-Coopérative d’activité et d’emploi (SCIC-CAE Eco-Habitat, Herrikoa, Habitat-jeunes Tarnos, SCIC Pau-Pyrénées, Groupement d’employeurs pour l’insertion et la qualification (GEIQ) et Groupement d’employeurs (GE), Union régionale des SCOP (URSCOP), Aquitaine Active, le maire actuel de Tarnos et sa prédécesseure). Les entretiens semi-directifs ont porté sur l’histoire de chaque structure, son fonctionnement et ses enjeux ; l’articulation avec la dynamique collective du PTCE ; les enjeux de la coopération territoriale.

  • 3 À l’initiative de l’éditeur (La Librairie des Territoires), la « lecture apprenante » consiste à dé (...)

6Des travaux comparatifs sur les PTCE, l’ESS et sur les questions territoriales ont été mobilisés durant les séminaires collectifs et le traitement des observations et entretiens. Les analyses des chercheurs ont fait l’objet d’une première publication (Demoustier et Itçaina, 2018), de restitutions et de « lectures apprenantes »3. Ce dispositif d’enquête participatif a placé les chercheurs dans une relation de proximité aux acteurs, sans néanmoins obérer la dimension de sociologie critique de l’analyse.

7Sur cette base, le raisonnement sera conduit en deux temps. Une première partie reviendra sur le processus d’émergence et de consolidation d’un système d’acteurs entendant construire le développement territorial par l’ESS et par une approche spécifique des intermédiations entre emploi et formation. La deuxième partie interrogera plus spécifiquement les effets tangibles, à l’échelle méso, de cette approche territorialisée de l’intermédiation sur le marché du travail, en soulignant les conditions d’une dynamique partenariale prenant la forme d’un écosystème territorial d’intermédiation.

1 Structurer le territoire par l’ESS : émergence et consolidation d’un système d’acteurs

8Les institutions ont une histoire. Loin de constituer une simple accumulation de dispositifs, les outils d’intermédiation emploi-formation pensés et pratiqués sur le territoire du PTCE ne prennent sens que dans un processus diachronique de constitution d’un système d’acteurs aboutissant à un pôle de l’ESS d’échelle sud-aquitaine. Le maillage institutionnel actuel cristallisé par le PTCE ne peut se saisir qu’à l’aune du séquençage historique d’un processus long de contribution de l’ESS à la construction des problèmes publics sur ce territoire (Smith, op. cit.). Ce processus a suivi schématiquement trois étapes, qualifiées ici respectivement de sociopolitique, entrepreneuriale et socio-éco-environnementale. Chacune des phases, en se superposant à la précédente, génère pour le territoire un changement institutionnel par sédimentation, par la diffusion de nouvelles pratiques, de nouveaux services et de nouveaux instruments d’intermédiation.

1.1 Phase sociopolitique : l’intermédiation comme projet politique territorial

  • 4 Entretien, directeur du FJT (Foyer des jeunes travailleurs) de Tarnos, Tarnos, 16 juin 2016.

9La préoccupation pour l’emploi est à l’origine même d’un processus de coopération territoriale s’inscrivant dans l’histoire longue. La dynamique d’ESS sur la zone Boucau-Tarnos émerge sur un territoire d’abord marqué par un « patrimoine » (Colletis et Pecqueur, op. cit.) constitué de la mémoire des luttes sociales et de la concertation territoriale. Ancienne enclave industrielle articulée au port de Bayonne et aux Forges de l’Adour (1885-1965), le territoire se signale par une implantation ancienne de la Confédération Générale du Travail (CGT) et du communisme municipal. La centralité de l’emploi comme problème public est ancienne sur un territoire confronté, dès le milieu des années 1960, à la fermeture des Forges, puis, dans les années 1980, à la fermeture d’usines d’engrais chimiques. Dès 1982, un Comité local de l’emploi (CLE) est initié par le maire syndicaliste de Tarnos, André Maye, membre de la CGT et du Parti communiste. Regroupant l’ensemble des acteurs locaux de l’emploi, se constitue alors un « mini conseil économique et social »4, d’abord à l’échelle de Tarnos puis du Seignanx.

  • 5 En 2021 par exemple, le collège « acteur.rices de l’ESS » du CBE était composé de : la Mission loca (...)

10Le volet formation est d’emblée associé à cette construction de l’emploi comme un problème public territorial. Dans un premier temps, l’articulation formation-emploi cible la jeunesse, via le Foyer des jeunes travailleurs (FJT) de Tarnos. En 1993, le CLE devient le Comité de Bassin d’Emploi (CBE), structure de médiation agissant à l’échelle du Seignanx et cogérée par les pouvoirs publics, les entreprises conventionnelles, les syndicats et les entreprises de l’ESS. La création du CBE anticipe sur celle de la Communauté de communes du Seignanx, en 1994 (Montuzet, 2006, p. 169). Elle anticipe également, avec la présence d’un collège « acteurs locaux », sur l’institutionnalisation nationale, en 2002, du collège « acteurs de l’ESS » au sein des CBE5. C’est dans cette instance que prendra forme le projet politique du futur PTCE, à savoir la capacité à structurer de façon coopérative et associative le développement territorial.

11Dès le milieu des années 1990, le besoin de développer de nouveaux instruments en matière d’intermédiation sur le marché de l’emploi et de création d’activités se fait ressentir. Le lancement du Plan local pluriannuel pour l’insertion et l’emploi (PLIE), en 1997, constitue une étape importante dans ce processus. FJT et CBE travaillent de concert à la mise en place de ce dispositif, tout en pensant le développement de la communauté de communes. La mise en place de la Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC territoriale) relève de la même intention.

12Centrale, l’articulation aux collectivités repose sur le couple élus-techniciens entre la direction et l’équipe technique du CBE et, de façon privilégiée, les élus de commune de Tarnos, mais également l’ensemble de la communauté de communes (Montuzet, ibid) :

« C’est bien l’idée de se dire parmi les élus : nous, les élus, on a un rôle à jouer en matière de développement économique, mais nous n’avons pas la science infuse. On est plutôt des animateurs permettant à tous les acteurs de se fédérer en faveur du développement économique, de l’ESS ». Entretien, maire de Tarnos, Tarnos, 8 décembre 2016)

13La dynamique s’accélère à la fin des années 1990, avec un travail politique multiscalaire mené par les acteurs de l’ESS et en particulier par le FJT et le CBE. Par « travail politique » (Smith, op. cit.), on se réfère au rôle de l’ESS dans la construction de problèmes publics territoriaux (ici l’emploi, le devenir des jeunes, le maintien de la vocation industrielle du territoire) ; la construction et la captation d’instruments d’action publique afin d’y répondre (les dispositifs d’intermédiation ou les nouveaux statuts coopératifs) ; la légitimation enfin de ces instruments auprès des acteurs publics et privés du territoire (notamment via les espaces de médiation comme le CBE). Les acteurs de l’ESS s’érigent alors en entrepreneurs institutionnels (Dorado, 2005), capables de saisir les opportunités de changement et de fédérer autour d’un projet collectif. Tarnos devient espace de test pour le nouveau statut coopératif en gestation de Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), institué par la loi du 17 juillet 2001 et permettant d’associer l’intérêt collectif interne (des salariés et des usagers) et l’intérêt collectif externe (du territoire) (Draperi et Margado, 2016).

  • 6 Sur la genèse et les premiers développements de ce programme, voir Guitton (2000).
  • 7 Le Conseil de développement est une structure consultative mise en place au sein du CBE, avec parti (...)

14Cette première phase voit ainsi le territoire devenir un socle d’expérimentation pour de nouveaux instruments en matière de création d’activités, initialement à destination de publics jeunes. Alors que les dispositifs d’action publique, tel le programme « Nouveaux services emplois jeunes »6, cherchaient à promouvoir le développement d’activités au profit d’associations ou de collectivités, les instruments coopératifs en gestation sur le territoire s’orientent vers la création d’activités. La démarche prend une dimension sociopolitique en étant portée par le CBE et en s’articulant aux travaux du Conseil de développement du Seignanx7. Cette première phase, enfin, se signale par le travail de « mise en conviction » (entretien CBE) mené par les acteurs de l’ESS auprès des élus afin de légitimer la vision du développement territorial par l’ESS.

1.2 Phase entrepreneuriale : de nouveaux outils d’intermédiation au service d’une meilleure articulation au tissu économique

15À cette première phase sociopolitique s’agrège une phase plus économique cherchant à ancrer l’ESS dans le tissu entrepreneurial. La mise en place, en 1999, d’un pôle de services agrégeant plusieurs instruments de formation et d’intermédiation contribue à articuler proximités géographique, organisationnelle et institutionnelle en matière d’ESS. Les outils de formation se structurent et s’affinent. La mobilisation des entreprises locales franchit un cap décisif avec la mise en place des GEIQ et des Groupements d'employeurs (GE) qui, ici comme ailleurs, entendent résoudre la difficulté des entreprises à recruter dans des activités et secteurs variés (Roux, 2018 ; Zimmermann, 2011).

  • 8 Le partenariat avec l’UIMM (Adour Atlantique, puis Gironde-Landes) concerne une organisation profes (...)

16En effet, dès 1998, les acteurs des politiques de l’emploi réunis autour du CBE observent un contexte de pénurie de main-d’œuvre dans le secteur du bâtiment et un taux de chômage des jeunes en augmentation. Plusieurs GEIQ sont mis en place : GEIQ BTP (bâtiments et travaux publics) Landes-Côte basque, créé à partir du PLIE en 2000, GEIQ interprofessionnel (industrie, commerce-services, activités connexes du bâtiment) en 2010-2011, GEIQ des industries technologiques d’Aquitaine en 2016, en partenariat avec l’Union des industries minières et métallurgiques (UIMM)8. Outre les GEIQ, les GE mutualisent personnels et fonctions. Le premier d’entre eux, Genèse, émane en 2006 d’un souhait du CBE qui cherche alors à trouver des solutions pour la mise à disposition du personnel en temps partagé. Le défi consiste à faire partager cette philosophie aux entreprises afin qu’elles dépassent la perception utilitariste d’un dispositif moins coûteux qu’une agence d’intérim (Entretien, directeur et assistante commerciale de Genèse, Tarnos 19 février 2016).

17L’expérience réactive en creux le débat sur le rapport entre ESS et milieux entrepreneuriaux. Créer un GE pour du temps partagé pourrait être perçu comme venant faciliter l’externalisation, la flexibilité, voire renforcer l’insoutenabilité liée aux conditions de travail et à la relation salariale (Roux, 2018). Les promoteurs du modèle recourent alors à des contre-arguments porteurs. D’une part, loin de ne travailler qu’avec les grands groupes, le GE collabore essentiellement avec les 90 % d’entreprises de moins de dix salariés qui constituent le tissu économique local. De l’avis du directeur du CBE, ce diagnostic ouvre des opportunités pour une réponse ad hoc et ancrée, dans l’ESS, aux besoins des entreprises :

« Est-ce que l’on décide de ne pas travailler dessus parce que c’est du temps partagé, du temps partiel, de la précarité potentielle ? Acter ainsi de rater des opportunités pour les personnes que l’on accompagne ? Et avec un autre risque, que ce soit d’autres qui le fassent. Ne vaut-il pas mieux que ce soit nous qui le fassions, en mettant de vraies exigences de lutte contre la précarité, de travailler sur des CDI à temps plein, de formation, de gestion des compétences, et pour ce faire d’investir ces lieux-là ; d’être présent dans son conseil d’administration notamment – le CBE en a ainsi été membre – de façon à ce que nous puissions faire débat avec les entreprises, à ce que nous ayons des lieux de débats, de partage et d’évolution des pratiques de façon permanente (…) ? » (Entretien, directeur du CBE du Seignanx, 18 décembre 2016, Tarnos).

18Les trois GEIQ et les deux GE (devenus GE + et GE’) seront ultérieurement regroupés sous l’enseigne À lundi, afin de « créer une gouvernance mutualisée sur l’ensemble du champ économique » (Entretien, directrice GEIQ-GE, Tarnos, 12 juillet 2016). Comme cela a été souligné à partir du même GEIQ BTP, cette initiative démontre « qu’un renforcement des protections salariales contribue à la création et au développement d’emplois stables, qualifiés et de qualité » (Dif-Pradalier, 2020, p. 75), à rebours de l’argument voulant qu’à l’échelle macro, l’abaissement généralisé des protections et garanties salariales permette d’augmenter le volume d’emplois (ibid.). Ainsi et à rebours d’une conception de l’ESS cherchant à s’extraire des marchés locaux du travail par l’aménagement de niches alternatives, les acteurs de Tarnos entendent s’emparer des outils existants en matière d’intermédiation en les réinterprétant dans le sens de leurs valeurs.

1.3 Phase socio-éco-environnementale : construire des circuits courts territoriaux

19La troisième séquence renvoie à l’émergence d’initiatives constituant autant de circuits courts territoriaux qui greffent le souci environnemental à l’articulation du social et de l’économique. Quatre séries d’expériences s’y rattachent.

  • 9 Du basque trebatu : se former, se perfectionner.

20La première renvoie aux circuits cours alimentaires. Elle se traduit d’abord par une expérience, le restaurant inter-entreprises Éole, articulant Insertion par l’activité économique (IAE) et structuration de la filière. Issue d’une étude du CBE sur les besoins de restauration du territoire, Éole, structurée en SCIC, sert ses premiers repas en 2006 et associe salariés, usagers, structures sociales et structures d’appui dans sa gouvernance. Qualité, proximité et dimension sociale (clauses d’insertion) constituent autant d’atouts sur le marché de la restauration collective. Ici, la logique du circuit court s’ajuste à un début d’institutionnalisation de cette approche dans les politiques publiques, les appels d’offre de la ville voisine de Bayonne, soit 50 % du marché d’Éole, incluant un impératif de distance maximale entre producteur et consommateur. Dans un souci de complémentarités et de structuration de la filière, une SCIC de maraîchage bio est initiée par les acteurs du PTCE, destinée notamment à alimenter Éole. Enfin, l’espace test-agricole Trebatu9 pour le Pays basque et le Sud des Landes est lancé en 2017. Ces dynamiques mettent en coopération des acteurs publics, des associations environnementales, des acteurs landais et basques de l’agriculture paysanne.

21Un second type de circuit court concerne l’écohabitat, avec la SCIC-CAE Habitat Eco-Action, à partir de 2014. Ambitionnant d’extraire l’écoconstruction des seuls réseaux militants, l’initiative est accompagnée, au sein du CBE du Seignanx, par plusieurs acteurs, dont la SCIC Interstices, l’Union régionale des SCOP (URSCOP) et les GEIQ, puis par un comité de pilotage regroupant les prescripteurs sur la création d’entreprise et les acteurs du bâtiment. La coopération territoriale se reflète dans la gouvernance de la coopérative qui comporte, en 2015, cinq collèges : salariés, porteurs de projet (Contrat d’appui au projet d’entreprise – CAPE et entrepreneurs salariés), acteurs territoriaux, acteurs locaux du bâtiment, sympathisants. Ainsi et à l’encontre d’approches voyant dans les CAE des structures abritant des formes dégradées de salariat, voire des espaces de reconversion juridiquement encadrés, pour des salariés disqualifiés sur le marché de l’emploi (Darbus, 2006), Habitat-Eco Action témoigne plutôt de la façon dont les CAE peuvent constituer des fabriques d’innovation institutionnelle en élaborant de nouvelles formes de relations professionnelles et de liens entre activité individuelle et engagement collectif (Bureau et Corsani, 2015).

22Un troisième type de circuits courts renvoie à la finance de proximité. Suite à un diagnostic du CBE, un fonds pour le développement des initiatives locales vient associer une structure historique de l’économie solidaire du Pays basque (la société de capital-risque Herrikoa) et la Caisse solidaire Nord-Pas-de-Calais. Après deux ans de procédure, la Caisse solidaire obtient l’élargissement de son agrément au-delà de son territoire d’origine. Herrikoa est alors mandatée pour collecter l’épargne, instruire les dossiers et accorder les prêts. Ainsi se crée, en 2015, le fonds local qui collecte l’épargne auprès des entreprises, des organisations de l’ESS et des particuliers, au travers de comptes à terme rémunérés. La démarche illustre la dynamique de coopération entre PTCE et acteurs de l’ESS des territoires contigus, dont la monnaie locale basque Euskal moneta, qui souhaite alors réinjecter son fonds de réserve dans les projets locaux au travers de ce nouvel outil.

  • 10 Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’empl (...)

23Enfin, le PTCE développe une action articulant mobilité géographique et emploi, avec la création, en 2016, d’une plateforme Mobilité et Insertion Sud Landes avec les cinq intercommunalités du Sud des Landes, la DIRECCTE10, le Conseil départemental des Landes et le Conseil régional. À partir d’un diagnostic du PLIE sur les besoins et usages des publics en insertion, un plan d’action articulant un ou plusieurs outils a été mis en place : ateliers collectifs (aide au déplacement, repérage et orientation), appui à l’appropriation des transports collectifs, information sur les aides, sensibilisation et animation du co-voiturage, transport micro-collectif, prêt de véhicules, accompagnement à l’acquisition, partenariats avec des assurances et des banques pour favoriser l’accès. L’association aspire ainsi à renforcer les conditions de mobilité des personnes afin de favoriser leur émancipation, tant professionnelle que sociale.

24Ces expériences ont un effet sur le plan du cadrage territorial du Pôle, l’approche tarnosienne des registres d’intermédiation ayant connu une diffusion à l’échelle sud-aquitaine. Plutôt que d’essaimage, il s’agit plutôt d’alliances territoriales entre des dynamiques d’ESS initialement issues de matrices territoriales distinctes, mais confluant vers le territoire de projet « Sud-Aquitain ». Le premier rapprochement concerne la région paloise, avec la fondation, en 2013, par l’association Habitat-Jeunes Pau Pyrénées, de la SCIC-CAE Pau-Pyrénées dédiée à la création d’activité. La deuxième alliance concerne le Pays basque voisin, avec la participation au PTCE de l’association Andere Nahia, accompagnant la création d’entreprises indépendantes par les femmes, et de la SCOP Atelier Lan Berri, centrée sur la formation et la création d’activités.

  • 11 En 2015 par exemple, les porteuses de projet accompagnées par Andere Nahia sont des femmes d’un âge (...)

25L’originalité du processus se ressent également dans la palette large des profils des publics concernés. La mise en coopération d’instruments variés permet de toucher des publics différents, depuis des profils éloignés du marché de l’emploi (dimension insertion) jusqu’aux profils en reconversion professionnelle ou thématique (dimension création d’activité). Les profils ciblés varient selon les critères des organisations : l’âge (pour les instruments destinés aux jeunes actifs), le genre (pour Andere Nahia11), le secteur d’activité (Habitat Eco-Action), etc. Surtout, et en particulier pour les instruments de médiation avec les milieux entrepreneuriaux comme les GEIQ-GE, il s’agit d’éviter toute stigmatisation des publics et de normaliser leur perception par les entreprises :

« J’ai du personnel en insertion professionnelle. Alors on l’explique de façon différente. On ne dit pas : des personnes en très grande difficulté, etc. Non. Il y a des gens en difficulté, mais rappelez-vous de la définition d’insertion : difficultés à s’insérer, à l’école, au travail, partout. Tous les gens ont des difficultés à s’insérer, à différents degrés. Et nous, on les aide à s’insérer » (Entretien, directrice des GEIQ-GE, Tarnos, 12 juillet 2017).

26En 2013, l’État accordera par l’AAP interministériel une nouvelle inflexion à cette dynamique ancienne d’institutionnalisation de l’ESS, dont le tableau 1 synthétise les étapes.

Tableau 1. Séquences de constitution du PTCE Sud Aquitaine

Étapes

Structures

Activités et services

Phase de maturation territoriale

1971 : FJT de Tarnos

Emploi, création d’activité pour les jeunes

1982 : CLE

Emploi

1993 : CBE du Seignanx

Développement territorial

Phase sociopolitique 

1997 : PLIE

Insertion

1998 : entreprise d’insertion ITEMS

Insertion

1999-2000 : espace Bertin

Espace mutualisé

1999 : GEIQ BTP Landes et Côte basque

Médiation avec les entreprises du territoire

2002 : CAE-SCIC'Landes/Interstices

Accompagnement à la création d’activité

2003 : service de portage de repas à domicile

Service aux habitants

2004 : service d’aide à la mobilité des personnes âgées

Service aux habitants

2005 : GE multisectoriel Genèse

Temps partagé

2008 : GPEC territoriale (CBE)

Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences

Phase socio- entrepreneuriale

2006 : entreprise d’insertion SCIC Eole

Restauration collective

2010 : GEIQ Interprofessionnel Sud Aquitaine

Médiation avec les entreprises

2012 : SCIC Perf

Centre de formation territorial

2013 : CAE-SCIC Pau-Pyrénées

Création d’activités

2013 : PTCE Sud Aquitaine lauréat de l’AAP national PTCE

Reconnaissance politique

Phase socio-éco-environnementale

2014 : CAE-SCIC Habitat Eco-Action

Création d’activités en éco-habitat

Développement d’Éole

Circuits courts alimentaires

2015 : Fonds de finance locale

Circuits financiers de proximité

2016 : Plateforme Mobilité et insertion Sud Landes

Mobilité, développement durable

2017 : Trebatu

Espace-test agricole

2019 : entreprise coopérative jeunesse Métroloco

Restauration

Sigles : CAE : Coopérative d’activités et d’emploi ; CBE : Comité de bassin d’emploi ; CLE : Comité local pour l’emploi ; FJT : Foyer des jeunes travailleurs ; GE : Groupement d’employeurs ; GEIQ : Groupement d’employeurs pour l’insertion et la qualification ; GPEC : Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ; PLIE : Plan local pluriannuel pour l’insertion et l’emploi ; PTCE : Pôle territorial de coopération économique ; SCIC : Société coopérative d’intérêt collectif ; Perf : Pôle étude recherche formation.

Source : auteur·e·s.

27Au final, le PTCE vient consacrer une forme de coopération territoriale qui a connu une accélération en termes de créations de structures depuis la fin des années 1990. Dès lors, le défi consiste, pour les acteurs, à les faire adhérer en coopération à des règles communes, à un système commun de représentations et de valeurs (proximité institutionnelle) qui dépasse la seule complémentarité des ressources au sein d’un réseau de coopération (proximité organisationnelle) et la simple proximité géographique (Gilly et Lung, 2008, p. 165). Cette intégration forte entre les trois proximités est constitutive d’un « potentiel de territoire » sur lequel entendent peser les acteurs de l’ESS (Colletis et al., 2005). Le cadre proximiste permet ainsi de caractériser ce PTCE comme une innovation territoriale de type coopérative ou concertative (Torre, 2018) qui indique pour le territoire un « chemin de développement » (ibid.) marqué par une empreinte ESS. Cette dimension politique du projet, qui irrigue l’économie territoriale au-delà des seules organisations de l’ESS, singularise par sa vigueur l’expérience Sud Aquitaine dans le panorama des PTCE (Demoustier et Itçaina, 2022).

2 L’ancrage territorial écosystémique, une réponse adaptée à l’évolution du marché du travail local

28En mettant au cœur de son agenda la question de l’emploi, le PTCE a développé une approche spécifique des intermédiations formation-emploi, avec la mise en place d’instruments articulant valeurs de l’ESS (en particulier la solidarité, l’épanouissement et la progression de la personne, la responsabilité en matière de formation des personnes), attentes du tissu économique et territorialisation des politiques d’emploi. L’expérience témoigne d’une coordination d’acteurs sur un mode relevant davantage de l’action publique que de la politique publique au vu de « la moindre place prise par l’État central dans un domaine de compétence de plus en plus partagé » (Pillon, Remillon et Tuchszirer, 2019). Cette « attaque de proximité » des questions d’emploi présente « l’avantage de s’appuyer non seulement sur la connaissance des réalités socio-économiques mais aussi sur l’exercice de responsabilités locales » (Auvergnon, 2011). L’ESS propose ainsi une offre d’intermédiation adaptée aux défis du territoire.

  • 12 INSEE, Dossier Intercommunalité Métropole CC du Seignanx, 19 septembre 2019.
  • 13 Statut qui permet l’accès à la protection sociale des salariés et à l’indemnisation du chômage, mêm (...)

29Avec une population croissante, le Seignanx, territoire-socle du PTCE, manifeste à la fois une attractivité extérieure et des déséquilibres intérieurs : le tissu économique est diversifié avec une industrie représentant encore 28 % des emplois, les ouvriers constituant 27 % de la population active (pour 20 % en France), mais le taux de chômage y reste supérieur à la moyenne française (11,3 % en 201612, 10 % pour la France). Dans un tel contexte, le PTCE s’est investi dans la dynamisation du marché du travail et s’inscrit au cœur des relations d’emploi triangulaires où des tiers s’immiscent dans la relation entre le travailleur et son employeur/donneur d’ordre. Face au risque, identifié par Kerbouc’h et Prouet (2018), de fragilisation potentielle de la répartition des responsabilités entre le salarié et son employeur ou entre l’indépendant prestataire et son client, les tiers en question jouent plutôt, au sein du PTCE, un rôle positif en garantissant aux travailleurs continuité et qualification de l’emploi. Ces formes d’intermédiation contribuent aux nouvelles régulations du marché du travail telles qu’elles peuvent être analysées au niveau macro grâce à la théorie de la régulation (Du Tertre, 2013) et à son application « méso » à l’ESS (Demoustier, 2015). En ce sens, les structures d’ESS construisent de nouvelles formes d’intermédiation, mais initient également de nouveaux statuts du travail, à l’image du statut hybride d’entrepreneur salarié13, reconnu par la loi de 2014 et porté par les CAE. Cet ancrage territorial peut être analysé à deux échelles d’observation. La première renvoie aux dimensions territoriales de l’insertion. La deuxième concerne la dimension écosystémique à laquelle aspire l’expérience en termes d’intermédiation.

2.1. Une dynamique territoriale d’insertion à quatre dimensions

30Le PTCE permet d’abord de territorialiser de façon coordonnée les dynamiques d’insertion par quatre articulations structurant respectivement l’adaptation des qualifications par la formation, le soutien à la création d’activité, l’alternance qualifiante et la mutualisation de l’emploi, la mobilité géographique.

2.1.1 Articuler insertion et formation

31La première articulation structurante concerne le lien entre insertion et formation. Elle transite d’abord par les outils territoriaux de mise en cohérence des interventions publiques articulant orientation des demandeurs d’emploi, formation et professionnalisation de l’embauche par les entreprises.

  • 14 Extrait du rapport d’activité du CBE du Seignanx pour l’année 2019.

32Le PLIE trouve une place logique dans les processus de développement porté par le CBE du Seignanx. Il accompagne, en 2019, 205 personnes, dont 42 % de demandeurs d’emploi. 50 personnes en sont sorties, dont 74 % avec une solution positive. Le PLIE collabore avec la SCIC PERF sur les projets professionnels et les techniques de recherche d’emploi et crée un atelier-chantier d’insertion en maraîchage sur l’éco-lieu Lacoste. La Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences territoriales (GPECT) propose quant à elle des actions collectives qui, avec les entreprises et les acteurs locaux, permettent d’anticiper et de traiter les besoins en compétences (des entreprises, des salariés et des personnes en recherche d’emploi), l’attractivité du territoire et l’évolution des emplois. Ce dispositif aura mobilisé, en 2019, plus de 350 entreprises pour des offres d’emploi, des immersions, des évènements, alors que 300 personnes étaient accueillies pour des contacts avec des entreprises. La mission a assuré l’accompagnement et la facilitation des clauses d’insertion dans les marchés du territoire du Seignanx. En 2019, le nombre d’heures clausées dans les marchés a doublé, avec 10 marchés clausés représentant 30 164 heures conventionnées, contre 15 496 heures en 2018 ; 64 entreprises concernées pour 22 337 heures d’insertion réalisées par 68 personnes en parcours d’insertion14. Sur le plan des structures ESS, l’association PERF, devenue SCIC, exprime de façon emblématique l’articulation entre insertion et formation. Avec une vingtaine d’entreprises associées, dont plusieurs du PTCE et une quarantaine de salariés dont une vingtaine sont associés, PERF a accueilli, en 2019, 880 stagiaires dans le BTP et l’éco-construction, le tertiaire et le médico-social et l’orientation-insertion avec le PLIE.

  • 15 Données CBE du Seignanx, février 2021.

33La formation comme temps d’apprentissage ne saurait cependant remplacer la formation expérientielle qu’offrent les entreprises d’insertion. Issue du PLIE, l’entreprise d’insertion ITEMS est née, en 1998, de l’évolution de chantiers école animés par le FJT, afin de répondre à l’accusation de concurrence déloyale par la Fédération française du bâtiment. ITEMS se consolide en intervenant dans les marchés de la propreté, le bâtiment et les espaces verts. Entre 2017 et 2020, ITEMS accueille 91 personnes en insertion, avec 39 sorties, dont 26 « dynamiques »15. Dans le secteur de la restauration collective, L’Éole, structurée en coopérative mixte, combine, en 2020, une vingtaine de postes administratifs et ou d’encadrants, 37 emplois de production permanents et 24 postes d’insertion.

34Ainsi et en raison de ces diverses expériences, le processus de formation a été complété par un processus d’IAE, puis par la combinaison de postes en insertion et pérennes dans une logique de création de segments d’activité et de mixité des statuts et des publics. Enfin, l’offre de formation propose également des articulations avec les milieux industriels conventionnels : le Centre de formation d'apprentis, organisme de formation de l’UIMM, s’implante sur le site après avoir été hébergé par PERF, afin de répondre aux besoins de formation des sous-traitants des grandes firmes aéronautiques du territoire.

  • 16 Pour Semenowicz (2018), la double dimension économique et sociale des SIAE repose sur des compromis (...)

35Concernant le volet insertion, l’expérience tarnosienne confirme les observations de Semenowicz (2018) qui, à partir de l’économie des conventions, voit dans les SIAE qu’il étudie des tentatives d’élaboration d'un compromis « civique-connexionniste »16 via des partenariats pérennes avec les entreprises classiques. Ces instruments favorisent, par la formation, le développement de compétences facilitant une organisation du travail plus inclusive tout en cherchant à garantir la viabilité économique des structures.

2.1.2 De l’insertion à la création d’activité 

36Un deuxième registre d’intermédiation concerne l’accompagnement collectif à la création d’activité. Deux expériences emblématiques incarnent ce mouvement en ayant recours au statut SCIC-CAE.

37La SCIC Interstices associe, d’une part, des porteurs de projet, des acteurs de la formation et de l’emploi, des collectivités et des entreprises. Initiée sur cinq activités pérennisées par leur intégration dans d’autres structures du Pôle, elle aura accompagné, en 2019, 111 porteurs de projet en CAPE et 14 entrepreneurs salariés. La même année, 41 personnes sont sorties de la CAE, dont 15 % vers le statut d’entrepreneur-salarié, 45 % vers la création d’entreprises, 26 % en emploi salarié et 14 % au chômage. Plus récemment, les enjeux de l’éco-habitat mobilisent un nombre croissant de porteurs de projets accompagnés par la SCIC-CAE Habitat Eco-Action (19 en 2014, 65 en 2020). Ces différentes structures encouragent les fonctionnements collectifs. Depuis 2015, elles organisent des rencontres inter-CAE en Sud Aquitaine. En outre, neuf membres du PTCE ont participé avec le CBE au portage, en 2017, d’un incubateur territorial (Le Tube à Essai) de projets ESS en matière de patrimoine, culture, écologie, circuits courts.

2.1.3 De l’alternance qualifiante à la mutualisation de l’emploi 

38L’ajustement au plus près entre l’offre de main-d’œuvre et les difficultés de recrutement qu’éprouvent le tissu économique est particulièrement le fait des GEIQ et GE. En effet, la petite taille des établissements du territoire (75 % sans salarié, 18,5 % de 1 à 9 salariés) est non seulement un frein à la qualification, mais aussi à l’emploi lui-même, les entrepreneurs ne bénéficiant pas des ressources et compétences nécessaires au recrutement d’une main-d’œuvre qui pourrait être mutualisée. L’ensemble des trois GEIQ (BTP, interprofessionnel, industries technologiques d’Aquitaine) et deux GE (GE+, GE’) du PTCE, désormais fédérés sous l’enseigne À lundi, répond à ce besoin avec des résultats probants.

Tableau 2. Sorties positives des GEIQ et GE du PTCE Sud Aquitaine

Sorties positives

2017

2018

2019

2020

Au terme du contrat

GEIQ

89 %

85 %

85 %

73 %

GE

76 %

68 %

82 %

81 %

Après rupture de contrat

GEIQ

70 %

42 %

67 %

65 %

GE

35 %

67 %

36 %

50 %

Sigles : PTCE : Pôle territorial de coopération économique ; GEIQ : Groupement d’employeurs pour l’insertion et la qualification ; GE : groupement d’employeurs.

Source : donnés À lundi – PTCE Sud Aquitaine, janvier 2021.

39En 2020, les cinq structures ont salarié 399 personnes (320 en GEIQ et 79 en GE) soit 198 équivalents temps plein (ETP). L’analyse des 274 sorties en 2020 montre que dans les GEIQ, 73 % des salariés ayant effectué un parcours complet ont une évolution positive : 50 restent dans le GEIQ, 50 sont embauchés par les adhérents et 12 par des non-adhérents. Pour les ruptures de contrat, 7 salariés sont recrutés chez les adhérents, et 19 dans des entreprises non adhérentes. Concernant les GE, 81 % des sorties en fin de contrat et 50 % des « ruptures de contrat » sont en emploi.

40L’extension des GEIQ-GE (de 347 salariés en 2017 à 399 en 2020) révèle, comme cela a été établi pour le secteur culturel (Roux, 2019), que le traitement territorial des questions de formation et d’insertion professionnelle va au-delà des publics classiques de l’IAE pour atteindre des catégories de population et des secteurs d’activité variés. Cet ancrage territorialement et sectoriellement élargi autorise également un travail d’orientation qui introduit de la souplesse dans les choix proposés :

« La clé d’entrée, c’est le projet professionnel : est-ce que j’ai un projet, pourquoi je veux faire ça ? est-ce que je vais m’y épanouir ? Parce que les candidats que l’on reçoit s’empêchent de rêver. Leur expression se limite alors à la recherche d’un salaire. Face à eux, on a arrêté de prendre des risques, de tenter des expériences, de leur faire découvrir leurs passions et les métiers correspondants. Il faut revaloriser la notion de passion au travail. Un vrai projet de vie rend aussi service à l’entreprise. Et vous vous en rendez compte en discutant avec le salarié. Il vient pour être maçon, parce qu’on lui a dit de dire cela. Puis, en discutant un peu, il vous dit : "j’aurais rêvé d’être animateur socio-culturel", ou "j’aurais rêvé de travailler en banque". Et bien, c’est possible, cette approche permet de dialoguer tout le temps » (Entretien, directrice des GEIQ-GE, Tarnos, 12 juillet 2017).

  • 17 Entretiens, chargé de mission d’accompagnement GEIQ Pays basque ; premier président entre 2000 et 2 (...)

41Il s’agit bien alors pour les groupements de construire et d’asseoir leur légitimité économique sans pour autant renoncer à la dimension « hors emploi » de leur action. Les GEIQ-GE du Pôle se réfèrent à cette expression plutôt qu’à celle de « volet social », à l’égard de laquelle les entreprises, d’abord attirées par la simplification de l’embauche, comme les salariés, sont réticents. Les services hors emploi sont néanmoins fondamentaux pour saisir le succès des GEIQ en termes de sorties positives. Spécificité à l’échelle française17, la mutualisation des trois GEIQ et de deux GE concerne certaines fonctions essentielles, comme la gestion de la paye, des participations croisées et l’utilisation du CBE comme un pont vers les politiques publiques. Au final, l’ensemble GEIQ-GE permet le renforcement d’un pôle patronal, solidaire et organisé autour d’intérêts communs, et la constitution de collectifs de salariés, auparavant atomisés et volatils (Mouriaux, 2005, p. 3).

2.1.4 La mobilité géographique : l’association Plateforme Mobilité et Insertion

  • 18 Le référent de parcours n’est pas un nouveau métier, mais une démarche de coordination de l’accompa (...)
  • 19 « L’aventure Solutions Mobilités 2016-2020 », Document interne, p. 3.

42Une réflexion sur la mobilité vient parachever cet écosystème de l’intermédiation, les inégalités d’accès à la mobilité renforçant les inégalités d’accès à l’emploi. Créée avec les collectivités territoriales du Sud des Landes, territoire vaste et à faible densité, la plateforme Mobilité et Insertion complète le dispositif de mise à l’emploi en renforçant les conditions de mobilité des personnes. Sur prescription d’un travailleur social ou d’un référent de parcours18, elle offre trois grandes prestations offertes par des « conseillers en mobilité » : l’accompagnement individuel, les ateliers collectifs et le prêt de véhicules. Solutions Mobilité a ainsi accueilli 440 personnes en 2017 et 680 en 2020. En quatre ans, 2 234 personnes ont été accueillies, des centaines de contrats de location solidaire de véhicules ont été établis et 538 personnes ont pu être maintenues en emploi grâce à cet instrument19.

43Le PTCE agit ainsi sur les deux versants du marché de l’emploi. Le premier, axé sur la demande, concerne l’accompagnement des demandeurs d’emploi (PLIE), la formation (PERF), l’insertion (ITEMS, Éole), la création d’activité (les CAE, l’incubateur Le Tube à Essai) et la mobilité. Au-delà de la mise en emploi, ces structures reconstituent des collectifs de travail, combinent insertion et formation et, par les CAE, redéfinissent le lien salarial grâce au triple statut d’entrepreneur, de salarié et d’associé. Le deuxième volet, basé sur l’offre d’emploi, renvoie à l’aide au recrutement (GPECT), à la qualification (GEIQ), à l’emploi partagé (GE) des entreprises qui renforcent ainsi leurs liens professionnels et territoriaux.

44Ces formes d’intermédiation visent à ajuster les réponses à la variété des publics et des entreprises. Elles s'autonomisent vis-à-vis des dispositifs publics tout en s'y articulant afin de créer des dynamiques pérennes avec la perspective de statuts de salariés de droit commun, dont celui d’entrepreneur salarié.

45Ces dispositifs d’intermédiation repensent le rapport salarial sur une base territoriale. Le PTCE relèverait ainsi des formes de régulations (inter-)sectorielles et infranationales que les programmes de recherche régulationnistes non focalisés exclusivement sur l’échelle macro entendent approfondir (Laurent et Du Tertre, 2008 ; Lamarche et al., 2021). Les formes d’intermédiation pensées et mises en œuvre à Tarnos questionnent en effet « les nouvelles formes de création de la valeur et l’émergence de nouveaux dispositifs institutionnels porteurs de sortie de crise tant dans le domaine du ‘rapport salarial’ que dans celui des ‘formes de la concurrence’ » (Du Tertre, 2013, p. 24). Ce faisant, les acteurs du PTCE travaillent à une forme d’intermédiation qui se construit en alternative aux processus de dérégulation du marché du travail, mais aussi aux approches de l’économie solidaire prônant la démocratisation de l’économie par l’affranchissement du salariat (Dacheux et Goujon, 2012). Il s’agit bien plutôt de peser sur le marché local du travail en contribuant à le structurer dans un sens solidaire.

46Le cas d’étude est ainsi à relire au miroir des observations plus générales de Richez-Battesti et al. (2013) sur la qualité de l’emploi dans l’ESS. Ces auteurs en tirent globalement un bilan mitigé. L’ESS joue un rôle important dans l’accès et l’insertion sur le marché du travail, sur la formation et les relations professionnelles, la satisfaction globale au travail y apparaît plus forte. En revanche, le temps partiel est plus souvent imposé que choisi, avec pour effet de faibles niveaux de rémunération. Mais surtout pour notre propos, les auteurs soulignent l’apport potentiel des nouveaux leviers territoriaux, parmi lesquels figurent les PTCE, susceptibles d’être mobilisés pour renforcer la négociation collective et la qualité de l’emploi dans les structures d’ESS. En l’espèce, le PTCE Sud Aquitaine ambitionne de jouer ce rôle de levier en pesant sur la structuration du marché du travail et sur la qualité de l’emploi dans et hors de l’ESS.

2.2. Une dynamique partenariale en forme d’écosystème

47La proximité géographique initiale (permettant les liens interpersonnels) et la proximité institutionnelle (par les objectifs et les valeurs partagés, formalisés dans une Charte20) nécessitent également une proximité organisationnelle qui stabilise les interactions entre les structures du PTCE et avec les entreprises d’un territoire de projet en extension. L’articulation des proximités permet, sur le marché du travail, de lutter contre l’émiettement de structures de taille modeste, voire d’éviter la concurrence qui s’est exacerbée sur le champ de l’intermédiation. Elle devient un levier d’efficacité pour les parcours d’insertion et de professionnalisation qui s’inscrivent dans un réseau élargi, mais dense. Nous déclinons dès lors cette dimension écosystémique à trois échelles d’interactions : des coopérations horizontales entre structures du PTCE ; une relation stabilisée avec les entreprises du territoire ; un mode de coordination territorial de l’écosystème.

2.2.1 Des relations croisées entre structures du PTCE

48Les liens qui unissent les structures du PTCE sont multiples : mutualisation de locaux et de fonctions, développement de participations croisées pour mailler leurs relations, construction de nouvelles relations bilatérales ou multilatérales sur des activités nouvelles. La proximité géographique joue ici un rôle facilitateur. Au sein d’un pôle de service, le PTCE anime quatre bâtiments qui accueillent l’Éole, la SCIC Interstices, un ensemble de structures (CBE, PERF, URSCOP, CAE…), un bâtiment consacré aux GEIQ et GE, l’entreprise d’insertion ITEMS. 

49Si les membres hésitent à qualifier le PTCE de groupe ou de réseau, c’est que les structures sont reliées par diverses participations croisées dans la gouvernance, dans le financement (parts sociales et trésoreries), dans les échanges commerciaux et les relations professionnelles. Ce maillage induit des formes de solidarité non institutionnalisées qui permettent la pérennisation des structures. Les relations d’activité sont bi- ou multilatérales (Demoustier et Itçaina, 2018, pp. 145-7). ITEMS entretient d’étroites relations avec le GEIQ BTP ; la CAE Habitat Eco Action travaille avec le GEIQ BTP pour développer des formations à l’éco-rénovation avec PERF. La création de nouvelles activités est partenariale. En témoigne l’incubateur construit à partir des CAE, ou encore l’entreprise coopérative jeunesse Metroloco, initiée en 2019 avec la CAE Interstices et Éole, et qui est parvenue à organiser en quatre mois un restaurant de plage avec l’embauche de dix jeunes. Enfin, la plateforme Mobilité et Insertion est au service de tous les stagiaires et salariés des structures.

2.2.2 Des relations structurantes avec les entreprises

50Compte tenu de son fondement coopératif, le PTCE refuse d’établir de simples relations de prestataires avec les autres entreprises du territoire. Il s’agit bien de construire des partenariats, voire de co-produire les activités. Le choix des statuts associatif et coopératif vise à associer étroitement les entreprises et, incidemment, les collectivités, en leur proposant de participer au capital et à la gouvernance, non seulement dans les GEIQ-GE, mais également dans l’insertion et les CAE. Les liens deviennent ainsi organiques et non uniquement commerciaux.

51Ainsi en est-il des relations avec la grande entreprise aéronautique voisine, dont une partie du personnel vient se restaurer à l’Éole. Loin d’être anecdotique, ce partenariat traduit un changement de posture et l’évolution vers une forme de réciprocité. En contrepartie, l’entreprise entre au sociétariat de la SCIC et au conseil d’administration du CBE où un équilibre subtil se construit entre rapport de force et confiance. Les partenariats avec l’UIMM en matière de formation traduisent une intention du même ordre.

52Ces relations modifient les comportements des entreprises auprès des publics en formation ou embauchés, comme leur approche du territoire. Elles mettent en commun la gestion de leur surcroît d’activité et l’accompagnement des salariés et renforcent les liens interprofessionnels. Elles contribuent à diffuser une méthodologie du développement territorial pour aborder certaines problématiques, comme la réponse à des clauses d’insertion sur les marchés publics ou la gestion des déchets. Ces relations de plus en plus proches entre les structures d’intermédiation et les entreprises employeuses sont réputées gages d’efficacité (Bessy et Larquier, 2010). De fait, les taux de réussite annoncés (placement, diplômes, création d’activité) sont élevés, tout en restant difficilement comparables.

2.2.3 Un écosystème territorial coordonné

53Ces bons résultats sont à attribuer également à la forme de coordination d’ensemble, relativement souple et informelle, du PTCE, qui bénéficie de fondements solides reposant sur quatre éléments.

54Le premier concerne l’animation et l’existence d’un comité de coopération du PTCE. Si les relations interpersonnelles et inter-structures ont joué un rôle essentiel dans le fonctionnement et la dynamique du PTCE pendant dix ans, la mise en place d’instances plus formelles s’est progressivement imposée. Le CBE a servi de structure-pivot. Une réforme de ses statuts a permis de réaffirmer son rôle d’animation et de pilotage du PTCE, tout en créant une instance nouvelle : le Comité de coopération du PTCE, espace de regroupement et de prospective entre acteurs et réseaux sud aquitains. Ce Comité permet de traiter les tensions qui peuvent émerger entre logiques (associative, publique, entrepreneuriale, économique et sociale) ou entre territoires (du fait de l’extension de l’action du PTCE). Parallèlement, la fonction d’animation est de plus en plus partagée avec des groupes projets animés par des acteurs du Pôle et des salariés du CBE.

55L’écosystème territorial ainsi constitué repose donc sur une gouvernance souple. Le PTCE n’avait pas, au moment de notre enquête, institué de règles formelles d’adhésion, mais conditionnait l’élargissement de son collectif à un faisceau d’objectifs partagés : adhésion à sa Charte, participation à des projets communs sur la base de la confiance et non de la concurrence, respect des équilibres existants, participation au Comité de coopération. Adhérer a donc des conséquences en termes de formes horizontales de coopération entre membres, mais aussi de solidarité territoriale et inter-membres. Au fond, formalisation faible ne signifie pas institutionnalisation faible, au sens sociologique d’un ensemble stabilisé de règles, normes et valeurs. La complexité qui en résulte, non sans provoquer de débats en interne, en constitue une innovation. Sa pérennité reste cependant tributaire de l’absence de tensions majeures entre membres et entre territoires.

56Deuxièmement, les relations aux opérateurs des politiques nationales de l’emploi (Pôle emploi et la Mission Locale) ont évolué. Centraux à la création du PLIE et dans l’implication du territoire dans l’accès à l’emploi et l’analyse des besoins, ces opérateurs ont marqué un certain retrait dans le processus, du fait des nombreuses réformes impulsées nationalement, mais les relations interpersonnelles ont été maintenues. Ces nouvelles formes d’accès au travail ont permis de renouer la relation aux acteurs publics sur une base pragmatique et non idéologique. Les acteurs de l’ESS se saisissent et se réapproprient ainsi des instruments d’action publique, le CBE jouant un rôle d’espace de médiation. Face aux difficultés de coordination et d’animation par les acteurs des politiques d’emploi (Auvergnon, op. cit.), le PTCE joue ainsi un rôle de coordination locale en portant un registre de l’intermédiation qui ne soit ni purement administré, ni purement marchand et concurrentiel.

  • 21 Chambre régionale des entreprises d'économie sociale et solidaire.
  • 22 Ces structures constitutives du « deuxième cercle » du PTCE apportent leurs ressources spécifiques  (...)

57En troisième lieu, le PTCE est largement ouvert sur les structures régionales de l’ESS (URSCOP, CRESS,21 France Active, Uniformation22…), sur les collectivités et sur le Conseil régional de Nouvelle Aquitaine. L’articulation permet au Pôle de capter les programmes et de diffuser son modèle de développement territorial. Cette ouverture comme cette agilité à déceler les opportunités lui donnent également, à court terme, une certaine indépendance vis-à-vis de dispositifs publics volatils. Elles lui permettent, à long terme, de construire les activités, les emplois et les compétences en termes de développement pour les salariés porteurs des structures du PTCE, de projection et de consolidation pour les porteurs de projet, de qualification pour les salariés du tissu économique.

  • 23 Coordination des associations d'aides aux chômeurs pour l'emploi.
  • 24 Le Labo de l’ESS est un think tank français d’échelle nationale qui construit, par un travail colla (...)

58Enfin, ces jeux d’échelle sont complétés par la participation aux actions collectives inter-PTCE à l’échelle nationale. Sur l’enjeu de l’intermédiation, le PTCE Sud Aquitaine participe à la communauté apprenante qui se constitue, depuis 2014, sous l’égide du COORACE23, en partenariat avec le Labo de l’ESS24 sur la question de l’emploi et de la sécurisation des parcours professionnels. Regroupant 11 PTCE, cette communauté travaille, d’une part, sur la reprise et la création d’activités à l’échelle d’un territoire, sur la sécurisation des parcours et des trajectoires professionnelles, d’autre part. L’expérience sud aquitaine vient ainsi alimenter les trois questions transversales qui ressortent de ce groupe de travail (COORACE, 2018) : l’innovation organisationnelle que constituent les regroupements d’employeurs au sein des PTCE permet-elle d’améliorer la qualité des emplois au sein de l’entreprise, de l’ESS notamment ? Dans quelle mesure les PTCE sont-ils capables de construire des parcours sécurisés grâce à leurs composantes internes ? Au-delà du Pôle, quelles propositions peuvent porter les PTCE en vue de structurer de nouvelles formes d’emploi et de sécurisation des parcours socio-professionnels sur leur territoire ? L’approche écosystémique promue par le PTCE Sud Aquitaine constitue l’une des réponses, localement circonscrite et innovante, à ces interrogations.

Conclusion

59L’originalité des processus d’intermédiation entre emploi et formation présentés dans ce cas d’étude ne provient pas tant des caractéristiques individuelles de chaque structure que de leur intégration dans un pôle d’ESS visant à faire écosystème. Les outils de l’intermédiation sont saisis dans une intention globale visant à donner une empreinte coopérative au développement territorial. Cette intégration permet de sécuriser certaines structures par l’établissement, formel ou informel, de mutualisations et de solidarités, de consolider l’articulation aux politiques publiques par la médiation du CBE, d’établir des relations structurantes avec les entreprises et avec les dynamiques d’ESS propres aux territoires adjacents. Cohérent et original dans son projet politique et socioéconomique, le Pôle reste tributaire des tensions inhérentes à l’ESS, ici comme ailleurs : tensions entre les lectures économiques et sociales de l’ESS, dépendance à l’égard des conjonctures politiques locales, risque de disjonction des territoires administratifs, d’action et d’appartenance.

60Le champ de l’intermédiation observé ici prend sens dans un écosystème localisé d’acteurs reliés entre eux par un maillage ténu et des valeurs partagées autour d’un projet global de reconfiguration du développement/transition territorial au prisme de l’ESS. Cette approche de l’emploi territorial par la démultiplication de structures solidaires entre elles et orientées vers la création d’activités, conduit ces formes d’intermédiation à entretenir un rapport singulier et relativement distancié vis-à-vis des dispositifs classiques d’insertion et des politiques d’emploi. L’écosystème territorial d’intermédiation, issu d’une histoire singulière de la coopération sur ce territoire, témoigne surtout d’une capacité des acteurs à l’innovation, à la captation et la réappropriation d’instruments, et à un travail d’ajustement entre les besoins et les ressources du territoire.

  • 25 Au sens d’enjeux sociaux faisant l’objet d’une conversion en objets de préoccupation et de débat, é (...)

61Sur le plan théorique, le cas du PTCE présente ainsi deux intérêts. Il illustre, d’une part, l’intérêt d’une approche méso-économique pour saisir la territorialisation des macro-institutions constitutives du système capitaliste, et plus particulièrement le rapport salarial et le rôle de l’État. Le PTCE illustre l’hypothèse de Gilly et Lung (op. cit., p. 177) pour qui la proximité géographique entre les acteurs peut jouer un rôle décisif dans les phases de crise et d’émergence de nouveaux principes de coordination (productive et institutionnelle) et de nouveaux rapports de pouvoir. En l’espèce, la dynamique du PTCE est issue historiquement des actions de reconversion territoriale liées à la crise profonde d’un secteur et du passage d’une logique industrielle à une logique territoriale. Mais cette dynamique ne se saisit, deuxième intérêt, qu’à la lumière du travail politique effectué par les acteurs pour convertir leurs préoccupations en problèmes publics territoriaux25 et proposer les formes institutionnelles de l’ESS comme « antidotes » légitimes (Smith, op. cit.).

62Concernant les effets sur le marché du travail, il conviendrait d’affiner l’enquête avec des données sur les parcours professionnels individuels. Si la fluidité des relations entre structures est indéniable, qu’en est-il de la fluidité des parcours professionnels au-delà des passages dans les plateformes de formation ? Reste-t-on dans une logique de niche, même si le modèle influence indéniablement les comportements extérieurs du système d’acteurs ? Peut-on dire qu’au-delà d’un écosystème territorial d’intermédiation, le PTCE participe à la construction sociale d’un nouveau marché du travail, avec des entreprises territorialisées et reliées entre elles, des salariés mieux formés aux « capacités » (Zimmermann, op. cit.), mieux mobilisés et adoptant des comportements plus collectifs ? La question reste tributaire de nouvelles investigations.

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Notes

1 Article 9, loi du 31 juillet 2014 relative à l’ESS.

2 La recherche dont est issue cet article a été soutenue par le programme R&D du PTCE Sud-Aquitaine et par le programme de recherche ESSAQUI (Institutionnalisations en miroir : dynamiques territoriales de l’ESS) (Centre Émile Durkheim, Conseil régional d’Aquitaine, 2015-2019). Les auteurs remercient Claudia Colombarolli, étudiante du master ESSIS (Économie sociale et solidaire et innovation sociale) à Sciences Po Bordeaux qui a effectué des entretiens complémentaires auprès des acteurs du PTCE et Maud Carrichon et Stéphane Montuzet pour l’actualisation des données concernant le PTCE Sud Aquitaine, ainsi que les coordonnateurs du dossier et les évaluateurs.

3 À l’initiative de l’éditeur (La Librairie des Territoires), la « lecture apprenante » consiste à débuter la rencontre par la lecture individuelle de passages de l’ouvrage, extraits ensuite retravaillés en groupes puis discutés avec les auteurs. Ces lectures ont été organisées au Conseil départemental de la Gironde le 13 septembre 2018, au PTCE de Tarnos le 22 novembre 2018, au Forum de l’ESS de Niort le 8 novembre 2019. Une conférence publique a eu lieu à la mairie de Tarnos le 22 novembre 2018.

4 Entretien, directeur du FJT (Foyer des jeunes travailleurs) de Tarnos, Tarnos, 16 juin 2016.

5 En 2021 par exemple, le collège « acteur.rices de l’ESS » du CBE était composé de : la Mission locale landaise, Habitat Jeunes Sud Aquitaine, l’URSCOP Nouvelle-Aquitaine, la boutique de gestion Landes Tec-Ge-Coop, l’Office de tourisme du Seignanx (CBE du Seignanx, https://cbe-seignanx.fr/la-gouvernance/

6 Sur la genèse et les premiers développements de ce programme, voir Guitton (2000).

7 Le Conseil de développement est une structure consultative mise en place au sein du CBE, avec participation des élus de la communauté de communes et d’organisations de la société civile. Dans le cadre du Conseil, les jeunes du canton effectueront des diagnostics territoriaux. Au terme de ce processus, cinq jeunes seront embauchés sur des projets en matière de culture, environnement, taxi social, service de distribution de repas. En 1999, les Assises du développement durable du Seignanx constitueront un temps fort de cette dynamique.

8 Le partenariat avec l’UIMM (Adour Atlantique, puis Gironde-Landes) concerne une organisation professionnelle représentative des industries régionales de la métallurgie (aéronautique, automobile, électronique, informatique, mécanique, maintenance, industries des métaux...). Centré sur les métiers de la métallurgie, ce GEIQ est géré et piloté par les chefs d’entreprises et organise les parcours de qualification professionnelle sur tous types de postes et de formations. Ce rapprochement s’est également traduit par un Centre de formation partagé avec l’UIMM.

9 Du basque trebatu : se former, se perfectionner.

10 Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi.

11 En 2015 par exemple, les porteuses de projet accompagnées par Andere Nahia sont des femmes d’un âge moyen de 41,8 ans, aux situations socioprofessionnelles variées (42,3 % inscrites et indemnisées par Pôle emploi, 20,5 % inscrites à Pôle emploi, mais non indemnisées, 14,1 % salariées à temps partiel, 12,8 % entrepreneures, 6,5 % salariées à temps complet, 3,8 % retraitées) et provenant de secteurs divers (48 % de commerçantes, 26 % d’artisanes, 22 % de professions libérales, 4 % en reprise d’activités) (données Andere Nahia).

12 INSEE, Dossier Intercommunalité Métropole CC du Seignanx, 19 septembre 2019.

13 Statut qui permet l’accès à la protection sociale des salariés et à l’indemnisation du chômage, même si le salaire reste proportionnel à l’activité.

14 Extrait du rapport d’activité du CBE du Seignanx pour l’année 2019.

15 Données CBE du Seignanx, février 2021.

16 Pour Semenowicz (2018), la double dimension économique et sociale des SIAE repose sur des compromis entre différents principes supérieurs communs, au sens de Boltanski et Thévenot. Le compromis civique-marchand répond à l’impératif de décrocher des commandes. Le caractère ponctuel des contrats et la nature des activités ne favorisent pas toujours le développement des compétences des publics. Le compromis civique-industriel place les personnes en insertion dans des conditions de production formatives par leur proximité avec des emplois de droit commun. Il peut conduire à un écrémage des publics afin de répondre aux contraintes de la production. Face à ces dilemmes, les SIAE étudiées par Semenowicz élaborent un compromis civique-connexioniste via des partenariats pérennes avec les entreprises classiques. Ce type de relation améliore la viabilité financière tout en créant des conditions favorables au développement des compétences. La relative stabilité des activités ainsi obtenue autorise la conception d’une organisation du travail plus inclusive qui amoindrit la sélection des publics à l’entrée.

17 Entretiens, chargé de mission d’accompagnement GEIQ Pays basque ; premier président entre 2000 et 2013 du GEIQ BTP, Tarnos, 20 juin 2017.

18 Le référent de parcours n’est pas un nouveau métier, mais une démarche de coordination de l’accompagnement global d’une personne en grande difficulté d’insertion, effectuée par un travailleur social.

19 « L’aventure Solutions Mobilités 2016-2020 », Document interne, p. 3.

20 « Charte du PTCE Sud Aquitaine », disponible sur https://ptcesudaquitaine.coop/charte-du-ptce/

21 Chambre régionale des entreprises d'économie sociale et solidaire.

22 Ces structures constitutives du « deuxième cercle » du PTCE apportent leurs ressources spécifiques : les coopératives sous forme SCOP, SCIC et CAE pour l’URSCOP ; les réseaux régionaux de l’ESS pour la CRESS ; les réseaux de la finance solidaire avec France Active, la cohésion sociale et l’accompagnement de la personne pour Uniformation.

23 Coordination des associations d'aides aux chômeurs pour l'emploi.

24 Le Labo de l’ESS est un think tank français d’échelle nationale qui construit, par un travail collaboratif, des axes structurants de l’ESS à partir des expériences territoriales. Voir https://www.lelabo-ess.org/

25 Au sens d’enjeux sociaux faisant l’objet d’une conversion en objets de préoccupation et de débat, éventuellement d’action publique (voir Neveu, 2015).

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Pour citer cet article

Référence papier

Danièle Demoustier et Xabier Itçaina, « L’économie sociale et solidaire comme écosystème territorial d’intermédiation : le cas du PTCE Sud Aquitaine »Formation emploi, 157 | 2022, 27-52.

Référence électronique

Danièle Demoustier et Xabier Itçaina, « L’économie sociale et solidaire comme écosystème territorial d’intermédiation : le cas du PTCE Sud Aquitaine »Formation emploi [En ligne], 157 | Janvier-Mars, mis en ligne le 02 janvier 2024, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/formationemploi/10388 ; DOI : https://doi.org/10.4000/formationemploi.10388

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Auteurs

Danièle Demoustier

Économiste honoraire, Sciences Po Grenoble

Xabier Itçaina

Politiste, directeur de recherche au CNRS à Sciences Po Bordeaux, Centre Émile Durkheim (UMR5116, CNRS, Sciences Po Bordeaux, Université de Bordeaux).
Chercheur associé GEZKI, Universidad del País Vasco – Euskal Herriko Unibertsitatea

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