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Ce que les ravages écologiques font aux disciplines scientifiques. Pour une histoire impliquée

Introduction au dossier : « Ce que les ravages écologiques font aux disciplines scientifiques.
Pour une histoire impliquée »

Adeline Grand-Clément, Steve Hagimont, Jean-Michel Hupé et Laure Teulières

Texte intégral

  • 1 François Gemenne, Aleksandar Rankovic, Thomas Ansart, Benoît Martin, Patrice Mitrano, Antoine Rio, (...)
  • 2 Ce terme désigne les agencements historiquement et géographiquement situés entre les organisations (...)

1Le désastre environnemental global invite autant à relire l’histoire des démarcations disciplinaires qu’à mesurer si des recompositions sont en cours au sein de l’enseignement supérieur et de la recherche français. En effet, comme le soulignent les auteurs de l’Atlas de l’Anthropocène, un tel contexte écologique rend les sciences naturelles et les sciences sociales « indissociables, parce qu’il marque la collision de l’histoire de la planète avec celle de l’humanité qui l’occupe1 ». Appréhender les socio-écosystèmes2 dans leur complexité nécessite donc de croiser les approches. Plus largement, la prise de conscience de la catastrophe et le besoin de donner du sens et d’agir engendrent depuis quelques années doutes, contestations, explorations ou réinventions, au sein du monde scientifique.

  • 3 La formule figure dans un entretien avec Fritz J. Raddatz paru dans Die Zeit, n° 13 du 22 mars 1985 (...)

2Quels types d’échanges disciplinaires envisager pour comprendre les trajectoires de nos sociétés en prenant en compte à la fois leurs impacts environnementaux et les contraintes des limites planétaires ? Et dans quels cadres les construire ? Ce numéro de la revue E-Storia vise précisément à déterminer si les bouleversements écologiques en cours font sauter des verrous disciplinaires mais aussi, lorsque c’est le cas, à comprendre de quelle manière les chercheuses et les chercheurs réinventent les sujets, revoient leurs objectifs, voire redéfinissent leurs méthodes scientifiques. Un autre aspect qu’entend questionner ce numéro concerne l’utilité des savoirs et de la recherche face aux nécessités du présent. Voit-on se dessiner une hiérarchisation des savoirs (dans le monde académique ou dans le champ politique) face aux ravages écologiques ? Alors que l’alerte écologique est ancienne et de longue date étayée par les publications scientifiques, ne faut-il pas à présent privilégier l’action ? Est-ce-que le fait de comprendre et de mesurer de plus en plus précisément aide forcément à agir mieux ? Compte tenu de l’urgence, n’est-ce pas, parfois, déserter « vers le domaine de l’irresponsabilité » que de continuer, « en universitaires, à peaufiner [nos] contributions à l’étude de tel ou tel sujet, compte tenu de tel ou tel aspect particulier », comme s’interrogeait Günther Anders, dans un tout autre contexte, celui de la montée du nazisme3 ?

  • 4 Ces questions ont été explorées par exemple par Guillaume Carnino, L’invention de la science. La no (...)

3Le présent dossier rejoint ainsi des interrogations plus larges, qui concernent les conditions de production et d’usage des savoirs : quelles responsabilités les sciences (naturelles et expérimentales, comme humaines et sociales) et les techniques ont-elles dans les ravages en cours ? Quels cadrages politiques passés et présents ont pu contribuer à les orienter vers une exploitation accrue de l’environnement, vers des applications renforçant l’extractivisme, l’industrialisme et le consumérisme ? Quelles sont et quelles ont été les relations des sciences avec la sphère productive en général et avec le secteur privé en particulier4 ? Quels rôles et quelles visées ont pu se donner les scientifiques face à de tels enjeux ? En quoi les exemples d’hier pourraient-ils contribuer aux réflexions actuelles ?

  • 5 Pour un bilan, voir par exemple Rémi Beau, Catherine Larrère (coords.), Penser l’Anthropocène, Pari (...)

4L’appel lancé pour ce numéro thématique s’adressait autant à des historiens et historiennes qu’à des chercheurs et chercheuses de tous horizons s’interrogeant sur l’évolution historique de leur discipline, au prisme du désastre écologique en cours. Encourageant une forte dimension exploratoire, il invitait les scientifiques à s’aventurer hors des sentiers balisés de leur propre recherche. Tout au long du processus de composition du dossier, nous avons pu mesurer à quel point l’exercice auquel nous appelions était effectivement périlleux, car il les obligeait – y compris les nombreux collègues sollicités pour l’évaluation – à sortir de leur champ disciplinaire pour faire vivre ce dialogue. Certains ont d’ailleurs préféré décliner l’évaluation de textes qui les aurait engagés hors d’un strict cadre de spécialité ; d’autres ont finalement renoncé à écrire leur proposition de contribution. Des interrogations ont également porté sur le cadrage initial que nous proposions et qui plaçait la réflexion sous l’égide de l’« anthropocène » – un terme qui a en effet déjà suscité de nombreuses discussions et critiques5.

  • 6 Mentionnons par exemple les réflexions du groupe de scientifiques « Survivre… et Vivre », au début (...)
  • 7 Guillaume Blanc, Élise Demeulenaere et Wolf Feuerhahn (coords), Humanités environnementales. Enquêt (...)

5En lançant cet appel, nous avions conscience du fait que les questions posées n’étaient pas nouvelles6 et méritaient d’être abordées dans une perspective historique. Or il se trouve – et c’est sans doute ce qui nous a le plus étonnés – que le dossier final ménage une place relativement discrète à l’histoire : les réponses sont surtout venues de chercheuses et chercheurs issus d’autres horizons. Il nous semblait pourtant utile de questionner l’apport possible – et spécifique – de la communauté historienne aux recherches en intersciences qui intègrent les humanités et les sciences sociales pour informer les enjeux écologiques et s’inscrivent, de la sorte, dans la démarche de l’écologie politique ou des humanités environnementales7. Nous aurions voulu savoir en outre ce que la fréquentation de chercheuses et chercheurs venant de traditions scientifiques bien différentes pouvait faire, en retour, aux historiennes et historiens et à leur façon d’appréhender le sujet. Il nous faut admettre que le dossier réuni a laissé en partie ces questions en suspens. Voilà pourquoi nous avons décidé de proposer, dans cette introduction, une contribution à la réflexion, en tentant de préciser les contours possibles d’une « histoire impliquée ». Après avoir présenté les articles qui composent ce numéro, nous examinerons donc la façon dont les bouleversements écologiques interrogent les manières de faire de l’histoire et peuvent concourir à transformer le champ de la discipline historienne. Cela permettra d’alimenter le débat, ouvert depuis longtemps, sur « ce que peut l’histoire », en l’adaptant au contexte de l’anthropocène.

1. Une pluralité de regards disciplinaires et des sciences inégalement impliquées ?

  • 8 Bernard Davasse propose par exemple une géographie impliquée qui vise à « construire collectivement (...)

6Nous proposions, dans le titre du numéro, de tenter une histoire « impliquée ». Déjà utilisée en sociologie ou en géographie8, la notion de « science impliquée » a notamment été théorisée par Léo Coutellec, dans sa réflexion sur l’épistémologie et l’éthique des sciences contemporaines. Il la conçoit non pas comme une nouvelle manière de faire de la science, mais comme une façon de rappeler qu’une science n’existe pas hors sol, qu’elle est nécessairement liée à un contexte politique, institutionnel, culturel et même écologique. Une « science impliquée » pourrait être définie comme suit :

  • 9 Léo Coutellec, « Pour une philosophie politique des sciences impliquées », Écologie politique, 2015 (...)

une science qui prend pleinement acte de sa responsabilité, qui prend conscience de la nécessité d’une attention aux conséquences, qui ouvre la possibilité d’un questionnement sur ses finalités, une science qui ne revendique plus sa neutralité axiologique pour affirmer son objectivité, une science qui fait de l’engagement (sur un territoire, pour une visée particulière, dans un contexte) une valeur épistémique centrale, une science qui organise le partage des savoirs et des pouvoirs liés à ces savoirs9.

  • 10 Léo Coutellec, art. cit., p. 19.
  • 11 Sur cette évolution, voir Christophe Bonneuil, « De la République des savants à la démocratie techn (...)

7Léo Coutellec voit dans cette implication « avant tout une posture de réflexion et d’action qui peut s’incarner de multiples façons », et surtout une manière d’échapper aux injonctions productivistes « tout en maintenant l’exigence propre aux sciences d’une recherche de la vérité dans la confrontation au réel »10. La notion de « science impliquée » renvoie ainsi à un engagement scientifique conscient de lui-même, qui se manifeste sous une forme nouvelle, après le temps des « intellectuels » qui prenaient position au nom de la rationalité scientifique et de valeurs philosophiques, allant de l’ancrage républicain au conservatisme, puis celui des intellectuels « spécifiques » qui entendaient lutter en se faisant les porte-voix de causes politiques et compagnons de mouvements sociaux. Les sciences « impliquées », elles, sont nées dans le contexte de la démocratisation des savoirs scientifiques et relèvent du questionnement critique des sciences elles-mêmes sur leur engendrement techno-industriel11.

8C’est dans cette perspective que nous avons pensé la constitution du dossier : confronter une pluralité de façons d’approcher « ce que les ravages écologiques font aux disciplines scientifiques », en croisant les champs disciplinaires. Outre un article qui relève d’une réflexion sur les sciences en général, les autres contributions présentent un domaine précis dans lequel mettre à l’épreuve ce questionnement : sociologie, sciences technologies et société (STS), histoire de l’architecture et de la conservation, études cinématographiques, histoire ancienne. Toutes les disciplines ne pouvaient évidemment pas être représentées dans le numéro. La variété de l’échantillon que nous proposons démontre cependant que le questionnement écologique traverse effectivement le champ académique – constat renforcé par le fait que des chercheuses et chercheurs d’autres disciplines avaient également manifesté leur intention de contribuer, par exemple en anthropologie ou géographie. Outre la variété disciplinaire, qui occasionne parfois des modes d’écriture et d’exposition des données assez inhabituels dans une revue d’histoire, les articles rassemblés ici présentent des façons distinctes de se saisir des enjeux du dossier, ouvrant autant de voies futures à explorer.

9Éric Macé propose une réappropriation de la notion d’anthropocène par la sociologie, ce qui l’amène à questionner l’objet même de l’analyse sociologique. Alors que l’anthropocène est définie comme une nouvelle ère géologique caractérisée par l’influence des activités humaines sur les grands équilibres géobiophysiques du système Terre, elle peut également être considérée « comme la fin d’une période historique bien plus courte et dont elle est la conséquence : la modernité elle-même », car la croissance exponentielle constitutive de la modernité vient buter sur les limites planétaires. Cette fin annoncée de la modernité affecte directement la sociologie, discipline née au xixe siècle sur l’un des grands partages de la modernité, celui entre nature et culture. Désormais, il semble impératif que la sociologie intègre dans ses analyses, explicitement, le non-humain : il n’est plus possible, ou du moins pertinent, de considérer un monde purement humain, séparé d’un « extérieur ». Pour Éric Macé, la sociologie a par ailleurs pour objet principal la dynamique des rapports sociaux propre à une époque et une société données. Dans le cadre de la modernité, la conflictualité centrale tourne autour des questions de partage et d’injustice dans un monde en croissance. En revanche, avec la fin de la modernité, la conflictualité des rapports sociaux propre à ce « moment anthropocène » s’articule, selon Éric Macé, « aux enjeux de la pression anthropique et aux dimensions sociales de ces enjeux ». Ainsi, la sociologie de l’anthropocène devrait déterminer, d’une part, si les logiques d’action privilégient ou non le statu quo (« dépendance au sentier ») et, d’autre part, si les enjeux de justice sociale et démocratique sont pris en compte dans les actions de transition environnementale. Il est particulièrement clair dans cet article que la sociologie ne peut qu’être « impliquée » dans son objet d’étude. Éric Macé suggère en effet qu’une sociologie qui continuerait à analyser les rapports sociaux uniquement sous l’angle de la répartition des richesses et des pouvoirs parmi les humains ne ferait qu’entretenir l’imaginaire suicidaire de la modernité. Un tel questionnement quant à l’engagement des sociologues traverse sans doute, ou devrait traverser, l’ensemble des sciences humaines et sociales, non seulement parce que leurs objets d’étude sont également amenés à disparaître ou à évoluer fortement, mais surtout parce que ces disciplines possèdent une responsabilité réelle : elles participent à construire le regard réflexif de l’humanité sur elle-même, regard crucial pour le futur. Un tel questionnement est en tout cas partagé au sein de la communauté historienne, comme nous le verrons plus loin.

  • 12 Alexandre Monnin, Diego Landivar et Emmanuel Bonnet, Héritage et fermeture : une écologie du démant (...)
  • 13 La métaphore, utilisée par les auteurs cités pour les produits de la technologie moderne, est basée (...)

10Antoine Lalande et Joëlle Le Marec s’intéressent pour leur part aux savoirs « vivants », c’est-à-dire fondamentalement ouverts aux rencontres et apports extérieurs, en prise avec les enjeux écologiques et parvenant à se déprendre des rapports de domination qui accompagnent leur institutionnalisation. Quelles peuvent être les conditions de production de tels savoirs ? Les auteurs, appliquant au monde de la recherche les propositions théoriques d’Alexandre Monnin, de Diego Landivar et d’Emmanuel Bonnet12, définissent les « savoirs vivants » comme des savoirs en interrelation avec le reste de la société, qui sortent du monde clos des spécialistes, qui prennent le risque du réemploi, de l’altérité et de la relation. Face à ces « savoirs vivants », plane le risque de la « zombification13 », entendue comme un processus de mutation des savoirs et de leurs lieux de production et de diffusion en autant d’héritages négatifs qui tentent « de se soustraire à ce qui les dérange et les transforme » et deviennent alors un obstacle à la transformation écologique et sociale. Antoine Lalande et Joëlle Le Marec montrent que le champ des STS, fondé dans les années 1970 en France, dans le cadre de théories critiques des sciences articulées à des pratiques contestataires, a été un terrain propice de réflexion et d’expérimentation, mais que cette tendance a pu s’étioler avec l’institutionnalisation du champ. Ils montrent que l’interrelation nouée à l’occasion de recherches est précieuse et que l’implication des sciences suppose de sortir de l’idée de transmission ou d’information à sens unique. Ils rappellent, grâce aux terrains qu’ils ont effectués – dans une bibliothèque ou dans un espace associatif militant – que le savoir n’est pas une abstraction culturelle, mais qu’il se vit, se fait, s’éprouve, s’incarne dans des espaces sociaux concrets. L’article donne finalement à s’interroger sur la façon dont des savoirs libérateurs, « vivants », peuvent être produits et échangés dans le cadre d’institutions potentiellement sclérosantes (universités, associations, syndicats, entreprises…). Les savoirs, pour agir en société, ont besoin d’espaces qui restent ouverts et évitent leur « autonomisation ». L’article peut être lu comme une invitation à questionner les espaces de production et de partage des sciences. Nous envisagerons plus loin quelques pistes pour éviter la « zombification » potentielle de l’histoire, c’est-à-dire pour réactualiser son implication et préserver sa vitalité, afin de faire face à l’héritage techno-industriel qui a dégradé la planète.

  • 14 Un soin particulier a été mis au nettoyage du marbre, matériau jugé noble : voir Brigitte Bourgeois (...)

11La place accordée au vivant, justement, dans l’application des savoirs et des pratiques scientifiques, est questionnée par Bruno Phalip. Le milieu du patrimoine et de la restauration des bâtiments se trouve en effet soumis à une injonction dominante de stérilisation des monuments historiques, par des traitements niant ou visant à détruire la couverture organique (appelée « biofilm ») qui les recouvre, alors que de nouvelles options demanderaient au contraire à émerger et à être soutenues, dans le sens d’une meilleure appréhension de la dialectique entre biodégradation et bioprotection. Les questions soulevées dans l’article invitent ainsi à s’interroger sur la responsabilité des chercheuses et chercheurs dans le recours à des traitements chimiques parfois agressifs, mais aussi sur la permanence d’un imaginaire occidental hygiénique, qui considère les matières organiques sur du minéral comme des salissures, dont il faudrait se débarrasser à tout prix. L’origine de telles pratiques trouve sa source dans l’histoire même de l’archéologie européenne : au xixe siècle, les artistes, archéologues et conservateurs de musée avaient le souci de nettoyer scrupuleusement artefacts et monuments en pierre, pour restaurer ce qu’ils estimaient être leur état d’origine, vierge de toute altération temporelle14. Or Bruno Phalip souligne la nécessité de repenser, dans le contexte des changements climatiques et écologiques, des pratiques invasives qui n’ont rien de « soutenables ». Dans la restauration comme dans d’autres sciences et techniques, on retrouve la pesanteur de pratiques, d’institutions, de cadres de pensées, dont il demeure difficile de s’extraire, alors qu’il serait nécessaire – voire urgent – de le faire.

12Eric Tannier, Vincent Daubin et Sophie Quinton semblent répondre à l’invitation d’Antoine Lalande et Joëlle Le Marec de rendre vivants les savoirs des STS, en se les appropriant (en tant que non spécialistes) et en les expérimentant dans des ateliers de réflexion collective au sein de l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria). Ces scientifiques en biologie et informatique reconnaissent en effet le manque de pratique épistémologique ou réflexive dans leurs disciplines. De plus, ces dernières ne semblent pas autant concernées par les ravages écologiques que les sciences du climat, l’écologie ou l’ensemble des sciences humaines et sociales, toutes confrontées à la « crise » majeure dans laquelle l’humanité est engagée. Et pourtant, Eric Tannier, Vincent Daubin et Sophie Quinton nous livrent le témoignage de ce que les ravages écologiques leur font en tant que membres de la grande famille des sciences. Ils s’interrogent sur leur propre contribution en tant que chercheurs et chercheuse, ainsi que sur la responsabilité des sciences en général dans les bouleversements écologiques, par les développements technologiques et la croissance économique qu’elles ont permis. Reconnaissant par ailleurs le rôle des scientifiques dans la mise en lumière des ravages et la prise de conscience, ils comparent leur situation au destin tragique d’Œdipe :

Mener l’enquête pour finalement se découvrir coupable, c’est ce qu’on peut ressentir en tant que scientifique lorsqu’on cherche à comprendre les causes profondes des ravages écologiques du monde contemporain.

13Les ravages en question font clairement sortir ces scientifiques de leur champ académique et les poussent à l’action. Les réflexions proposées dans l’article sur la responsabilité probable des sciences dans les catastrophes en cours conduisent Eric Tannier, Vincent Daubin et Sophie Quinton à produire un manifeste davantage qu’une analyse distanciée, tant il leur semble moralement impossible de rester neutres face « aux coupables ». Leur prise de conscience les pousse à la partager avec leurs collègues, ce qu’ils expérimentent dans les ateliers mis en place, dont le format offre un exemple intéressant de dissémination et d’appropriation possible par l’ensemble des disciplines scientifiques.

14La question de la transmission revient également dans un autre article qui s’interroge sur les pratiques pédagogiques à même de « relayer l’urgence » écologique. Maylis Asté et Matilda Holloway en font l’analyse à travers ce que les études cinématographiques apportent au master « Expérimentation en Arts Politiques » (SPEAP), fondé à Sciences Po Paris par Bruno Latour. De quelles manières peuvent-elles contribuer à sensibiliser aux bouleversements environnementaux ? Si le cinéma ne reflète pas la société, il aide à « faire penser » le monde contemporain : d’où le choix d’introduire l’exercice de l’analyse filmique dans la formation des étudiants, afin d’aiguiser l’attention et de dessiller le regard. Si aujourd’hui l’urgence écologique est surtout véhiculée sur un mode spectaculaire, associée aux images de destruction ou d’effondrement (avec les films catastrophe), force est de constater que ce modèle narratif dominant produit surtout un effet de sidération. Les autrices insistent au contraire sur le potentiel émotionnel et politique d’œuvres qui « lézardent nos a priori, ébranlent nos modèles perceptifs et donnent à éprouver notre implication dans le monde plus-qu’humain ». Elles détaillent pour cela l’exemple du film Léviathan (2012), de Castaing-Taylor et Paravel du Sensory Ethnography Lab (SEL) de Harvard, qui embarque les spectateurs dans une plongée immersive sur un chalutier, appréhendant ainsi l’industrie contemporaine de la pêche à travers « un portrait désanthropocentré et monstrueux ». De cette façon, la première qualité du cinéma est peut-être de « porter le trouble » en déjouant les attentes comme les représentations convenues, pour renouveler les formes d’expression et de narration. La réflexion menée à propos des études cinématographiques et de leur potentiel pédagogique vaut sans doute pour toutes les disciplines : relayer l’urgence écologique auprès du public demande de varier les points de vue et d’ébranler les sensibilités.

  • 15 Les engagements d’hellénistes comme Jean-Pierre Vernant ou de Pierre Vidal-Naquet confirment le fai (...)
  • 16 Nicole Loraux, « Éloge de l'anachronisme en histoire », Espaces Temps, 2005, n° 87-88 (numéro théma (...)
  • 17 C’est ainsi que Paul Veyne définit le travail historien : L’inventaire des différences, Paris, Seui (...)
  • 18 On signalera que jusqu’ici les débats ont surtout porté sur des questions politiques - tel celui, t (...)

15Finalement, on ne trouvera dans le dossier qu’un seul article qui s’intéresse à ce que l’histoire pourrait apporter pour penser la crise écologique actuelle. Il nous semble intéressant de souligner que cette contribution provient d’une spécialiste de l’Antiquité, et non d’une historienne du monde moderne ou contemporain : cela prouve que l’éloignement temporel de l’objet d’étude ne signifie nullement une atténuation de l’implication des chercheuses et chercheurs dans le temps présent15. Marguerite Ronin invite en effet à réfléchir aux apports possibles des études sur l’empire romain quant à la gestion des ressources naturelles, en particulier du point de vue juridique. Elle constate que, chez les spécialistes des mondes anciens, l’histoire environnementale ne constitue pas encore un champ structuré et clairement identifié comme tel, à l’instar de ce que l’on observe désormais en histoire moderne et contemporaine. Cela ne signifie nullement l’absence de travaux en la matière : on soulignera l’importance de l’archéologie environnementale, active depuis bien longtemps. Mais il faut admettre que les recherches demeurent encore dispersées. En prenant l’exemple du monde romain, Marguerite Ronin montre ce que peut avoir de fructueux le fait de dépayser les questionnements dans un contexte aussi éloigné dans le temps : lorsqu’elle est assumée et contrôlée, la pratique de l’anachronisme possède des vertus heuristiques indéniables, comme le soulignait l’helléniste Nicole Loraux16. C’est en effet par la pratique de la comparaison raisonnée et contrastive, et en procédant à un « inventaire des différences17 » que les historiennes et les historiens peuvent prendre la mesure des permanences et effets de continuité, mais aussi et surtout identifier la singularité de chaque contexte dans lequel ils s’actualisent. Marguerite Ronin attire également notre attention sur le fait que les questions actuelles autour de l’anthropocène contribuent de plus en plus à renouveler les méthodes de recherche, les sujets d’enquête et les façons d’écrire l’histoire des sociétés de l’Antiquité : le champ de l’archéologie et de l’histoire ancienne se trouve ainsi largement fertilisé par les débats contemporains. Ce dialogue vivant, qui se noue entre l’histoire ancienne et les enjeux du temps présent, n’est pas neuf18 ; il prend néanmoins une tournure différente, en raison des bouleversements écologiques majeurs. Il esquisse ainsi, à sa manière, les contours de l’« histoire impliquée » que nous souhaitions placer au cœur du dossier.

2. Autopsie d’une « histoire impliquée »

2.a. Le récit historien au service du « progrès »

  • 19 Jules Michelet, Introduction à l’histoire universelle, Paris, Hachette, 1834, p. 9-41. Cet écrit de (...)
  • 20 Caroline Elkins, Legacy of violence. A history of the British Empire, New York, Alfred A. Knopf, 20 (...)
  • 21 Hélène Blais, Voyages au grand océan. Géographies du Pacifique et colonisation, 1815-1845, Paris, C (...)
  • 22 Jean-Baptiste Fressoz et François Jarrige, « L'histoire et l'idéologie productiviste : les récits d (...)
  • 23 C’est ce que soulignent François Jarrige et Thomas Le Roux dans La contamination du monde : une his (...)
  • 24 On lira par exemple le tome consacré au xixe siècle de George Duby, Armand Wallon Armand (coords.), (...)

16Les sciences expérimentales ne sont pas seules impliquées dans la trajectoire contemporaine de l’anthropocène. En effet, depuis le xixe siècle et la fondation de leur discipline, les historiennes et historiens n’ont cessé d’être perméables aux enjeux qui leur étaient contemporains, et ont ainsi contribué bon gré mal gré à accompagner, voire à légitimer les processus de domination du vivant et des matières terrestres. Ainsi, la croyance en une certaine idée du progrès a longtemps fait partie du bagage historien, comme en témoigne l’histoire de l’humanité proposée par Michelet en 1834, qui fait de l’arrachement à la nature et de sa domination les moteurs principaux du processus de civilisation19. Les impérialismes britannique, allemand et français se sont nourris des grands récits progressistes formulés par les historiens. Caroline Elkins rappelle que, de façon emblématique, John Robert Seeley, fondateur de l’histoire britannique impériale, s’inspire des méthodes empiriques de Leopold von Ranke (« détachement neutre pour un récit vrai des faits ») et affirme ainsi la scientificité de la discipline pour écrire une histoire linéaire de la liberté et du progrès – légitimant in fine l’impérialisme colonial20. En France, un champ d’histoire coloniale s’est bien constitué, alimentant une culture impériale véhiculée par la presse ou les programmes scolaires – bien qu’il faille se garder d’une vision trop monolithique et caricaturale, car cette histoire a pu se faire aussi en marge de l’académie, tandis que cette dernière a également abrité des perspectives critiques, dès avant les indépendances21. Plus largement, les sciences humaines et sociales ont été partie prenante d’un universalisme libéral (au sens politique du terme) pour lequel elles ont autant servi d’outil d’émancipation et d’inclusion que de répression et d’occultation de phénomènes de violence et d’inégalités. Par exemple, il est établi que la colonisation a eu un rôle moteur dans l’amplification d’une empreinte écologique ravageuse et se trouve ainsi au fondement de bien des problèmes actuels ; or la communauté historienne a pu contribuer à avaliser cette appropriation des ressources terrestres au nom du progrès. Après 1945, certains de ses membres se sont trouvés enrôlés dans une célébration de la croissance engendrée par la « révolution industrielle22 ». Les historiennes et les historiens, même critiques, s’intéressèrent alors aux conséquences sociales de l’industrialisation, à ses rythmes économiques, à l’inégale répartition de ses productions, mais pas ou peu aux implications écologiques et énergétiques. L’histoire de la modernisation des techniques a, pour sa part, été longtemps écrite en éludant la question des pollutions, pourtant vécues de plein fouet par les populations23. Les études sur l’agriculture ont présenté l’augmentation contemporaine des rendements et l’émancipation vis-à-vis des contraintes naturelles comme des avancées majeures, sans davantage questionner, là non plus, les transformations socio-écologiques afférentes24.

17Il est clair qu’aujourd’hui, un tel cadre de représentations a reflué. Les études coloniales et postcoloniales ont fait place aux questionnements sur les dispositions culturelles, politiques, économiques ayant rendu possible et accompagné la colonisation, sur les multiples contestations et formes d’accommodement, ou encore sur les survivances postcoloniales des rapports de domination passés. Le changement de paradigme a été secondé par le développement d’une histoire « environnementale », qui offre une nouvelle manière d’appréhender le fonctionnement des sociétés.

2.b. Le développement de l’histoire environnementale : une affaire d’engagement ?

  • 25 William Cronon, « The uses of environmental history », Environmental History Review, 1993, t. 17, p (...)
  • 26 Roderick Nash, Wilderness and the American mind, Yale University Press, 1967 ; Alfred W. Jr Crosby, (...)
  • 27 Ramachandra Guha, « Radical american environmentalism and wilderness preservation: a third world cr (...)
  • 28 Karl Jacoby, Crimes contre la nature, Toulouse, Anacharsis, 2021 (2014) ; Marc D. Spence, Disposses (...)
  • 29 Malcom Ferdinand, Une Écologie décoloniale. Penser l’écologie depuis le monde caribéen, Paris, Seui (...)

18Comme l’histoire du genre ou les études post-coloniales, l’histoire environnementale est née à la fin des années 1960, lorsque certains scientifiques étatsuniens ont voulu contribuer aux combats écologistes qui se multipliaient, dans le contexte d’indignation face à la guerre du Vietnam et l’ampleur des destructions infligées à l’environnement par l’armée américaine25. S’inscrivent dans ce contexte militant les travaux d’Alfred W. Crosby, sur l’«  échange colombien » (en particulier le choc bactériologique provoqué par l’arrivée des Européens en Amérique) et l’européanisation écologique du monde, ceux de Donald Worster sur les conséquences sociales et écologiques de la modernisation agricole aux États-Unis, ceux de Roderick Nash sur l’importance de la notion de wilderness dans la culture étatsunienne, ou encore ceux de Carolyn Merchant sur la dimension sexiste et genrée des savoirs sur la nature26. D’autres recherches ont décentré les regards de l’Amérique du Nord et montré les colonies britanniques et françaises comme des laboratoires de l’imposition des catégories occidentales de la nature aux populations autochtones et comme des instruments de domination sociale par la dépossession discursive et pratique de leurs milieux27. Ce courant historiographique a été prolongé par de nombreuses recherches sur les effets de coercition qui ont accompagné et accompagnent encore la protection de la nature28. L’ensemble de ces travaux procède finalement d’une critique de la modernité et de ses ramifications afin de s’en détacher – afin de « décoloniser » le monde et l’écologie, pourrait-on dire avec d’autres auteurs29.

  • 30 William Cronon, « The trouble with wilderness », Environmental History, 1996, t. 1, p. 7-28.
  • 31 Richard White, « Environmental history, ecology and meaning », The Journal of American History, 199 (...)
  • 32 Richard White, « American environmental history: the development of a new historical field », Pacif (...)
  • 33 On soulignera le développement récent des travaux sur l’anthropologie historique de la nature en Fr (...)

19Cependant, le tournant des années 1990 a aussi vu émerger des retours critiques sur l’engagement et les présupposés qui guidaient l’interprétation de l’évolution des écosystèmes. William Cronon a par exemple montré que la wilderness, au nom de laquelle se sont accomplies bien des mobilisations environnementalistes, était une construction culturelle occidentale de la nature, articulée à la conquête de l’ouest et à la fabrique du sentiment national étatsunien30. Richard White avait auparavant dénoncé le fait que les travaux historiens s’appuyaient sur le mythe d’une nature vierge qui aurait préexisté à l’humain et qu’un tel présupposé avait tendance non seulement à diaboliser l’action humaine, mais surtout à neutraliser ou invisibiliser celle des peuples autochtones31. Une telle critique rappelle l’importance de la contextualisation : historiennes et historiens, qu’elles et ils travaillent sur des périodes très anciennes ou plus contemporaines, doivent se placer dans l’horizon de connaissances et d’attentes des acteurs étudiés afin d’éviter de leur prêter des sentiments et des idées qui ne pouvaient être les leurs. C’est la seule manière de comprendre les imaginaires et les discours qui sous-tendent les pratiques et, partant, de mettre en avant l’historicité des rapports à l’environnement et du concept de nature32. L’histoire environnementale gagne ainsi à se montrer réceptive aux apports de l’anthropologie et des cultural studies33.

  • 34 François Jarrige, « L’historien et la question écologique », Histoire@Politique, 2017, t. 31, p. 75 (...)
  • 35 William Cronon, « The uses … », art. cit, p. 6-10.

20Les critiques émises ont conduit la deuxième génération d’historiennes et historiens de l’environnement étatsuniens à s’écarter des politiques de protection et à s’en tenir « à un certain relativisme environnemental », qui a eu pour conséquence « un éloignement croissant à l’égard du militantisme politique34 ». William Cronon a en outre montré que, si l’histoire est un outil d’empowerment pour les mouvements écologistes, il existe un risque d’incompréhension entre la communauté historienne et les groupes militants. La première reste profondément attachée aux méthodes d’analyse critique des sources qui fondent le travail scientifique, tandis que les seconds recherchent des mises en récit aisément réutilisables, même si elles courent le risque d’être simplificatrices ou de reposer sur des visions manichéennes35. On peut penser aux récits qui opposeraient de façon monolithique une nature vierge et immuable, originelle, ou paisiblement jardinée par des peuples vertueux, à des sociétés occidentales qui seraient forcément prédatrices et corruptrices.

  • 36 Une histoire de l’environnement, foisonnante, a bien été entreprise dès les années 1980, autour de (...)

21En France, l’histoire environnementale a mis plus de temps à s’imposer dans le champ académique : il a fallu attendre les années 2000 pour qu’elle puisse bénéficier d’une véritable visibilité institutionnelle36. Aujourd’hui en plein essor, les recherches en histoire environnementale permettent de réintégrer dans la compréhension de ce que furent les sociétés passées, les mondes qu’elles composaient avec tout ce qui les entourait et interagissait avec elles. Christophe Bonneuil souligne qu’il s’agit moins d’étudier un domaine précis (comme le politique, le religieux, l’économique, etc.) que de considérer ensemble humains et non humains, dans leurs interactions incessantes et dans leurs agentivités, parce que celles-ci relèvent de phénomènes sociaux :

  • 37 Christophe Bonneuil, « L’historien et la planète. Penser les régimes de planétarité à la croisée de (...)

Nous sommes invités à repenser les entités et processus dits ‘‘naturels’’ comme traversés de social et à repenser les sociétés comme traversées de nature. Loin d’environner le social, l’environnement le traverse, et l’histoire des sociétés, des cultures et des régimes socio-politiques ne peut se désintéresser des flux de microbes, plantes et animaux, de matière et d’énergie qui les trament37.

  • 38 Stéphane Frioux et Vincent Lemire, « Pour une histoire politique de l'environnement au xxe siècle » (...)
  • 39 François Jarrige, art. cit.

22Ne voyant plus l’environnement (ou le « milieu » vidalien et braudélien) comme une toile de fond sur laquelle se déploierait l’activité humaine, l’histoire environnementale intègre les « problématiques environnementales au sein des différents champs de recherche en histoire politique, sociale, culturelle ou économique38 ». L’écologie vient, en somme, interpeller tous les récits historiens39. Ce renouvellement des questionnements historiques permet alors de relire les phénomènes économiques et leur interprétation historiographique traditionnelle. Le xixe siècle constitue de ce point de vue-là un bon laboratoire d’analyse : François Jarrige et Emmanuel Fureix y voient une période charnière, en tant que « moment de bifurcation et origine de la crise environnementale actuelle ». Désormais, le mythe de la glorieuse « révolution industrielle » a laissé place à l’étude des phénomènes de dégradations environnementales et des crises sociales et environnementales :

  • 40 Emmanuel Fureix, François Jarrige, La Modernité désenchantée. Relire l'histoire du xixe siècle fran (...)

À l’ancien récit progressiste, qui voyait le xixe siècle comme celui de la conquête de la liberté, de la démocratie, de l’émancipation à l’égard des pesanteurs de la nature, a succédé une lecture tragique où la démesure, l’exacerbation de la puissance et la prédation sont les sources de nouvelles inégalités et de catastrophes incessantes40.

  • 41 Marc Bloch, L’étrange défaite. Témoignage écrit en 1940, Paris, Société des Éditions franc-tireur, (...)
  • 42 Sur l’écologie politique et son histoire, on consultera par exemple Alexis Vrignon, La naissance de (...)
  • 43 Antoine Prost, « Comment l’histoire fait-elle l'historien ? », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, (...)
  • 44 William Cronon, « The uses … », art. cit., p. 2.

23L’histoire environnementale permet donc de mettre en lumière des aspects jusque-là négligés, des angles morts du récit historique, et invite à un décentrement du regard, vers les subalternes et les non humains. Doit-on alors considérer qu’il s’agit d’une « science impliquée », qui tente de répondre aux bouleversements écologiques ? Est-ce que les préventions vis-à-vis de l’engagement, qui se sont manifestées aux États-Unis, trouvent des échos en France ? On sait qu’il existe dans l’hexagone, depuis l’affaire Dreyfus jusqu’à l’affaire Audin et aux décolonisations, une solide tradition d’engagement des historiennes et historiens41. Néanmoins, sur la question écologique, que l’on peut considérer comme la question majeure de ces dernières décennies, en cela qu’elle conditionne désormais l’équilibre politique et géopolitique mondial (du dérèglement climatique à l’épuisement des sols, en passant par les stress hydrique et énergétique), force est de constater que les historiens et historiennes francophones sont restés plutôt à l’écart de l’écologie politique, alors que celle-ci a émergé sur la scène publique dans les années 197042. Le retrait de l’histoire académique par rapport à ces questions a sans doute tenu d’abord à des raisons tant institutionnelles (partage disciplinaire avec la géographie, absence de champ structuré et donc de postes et de programmes de recherche) que politiques (méfiance envers le militantisme écologiste par un relativisme inspiré des crises passées) et culturelles (absence d’intérêt des historiens et historiennes pour ces thématiques qui ne paraissaient pas socialement vives). S’ajoutent sans doute aujourd’hui, pour ce qui est de l’engagement, des précautions et préventions liées à une anticipation du discrédit qu’il pourrait engendrer, aux yeux du public et des institutions – comme une perte de cette « neutralité axiologique » mentionnée par Leo Coutellec. Néanmoins, on pourrait considérer que l’histoire environnementale, par les objets d’étude qu’elle choisit, est résolument en prise avec l’actualité écologique et qu’elle est donc, à ce titre, largement « impliquée ». Mais est-ce suffisant ? Nous estimons, et c’était l’objet de l’appel, que l’immensité des enjeux actuels invite à inventer des formes d’implication et d’engagement adaptées au contexte, sans avoir à renoncer aux exigences de la science historique. En soulignant que « l’histoire est indispensable à l’homme engagé », comme l’engagement est indispensable à l’historienne ou à l’historien, Antoine Prost a explicité cette relation dialectique entre implication et distanciation43. Les savoirs historiques peuvent servir de matériau pour les mouvements écologistes, tandis que l’écologie peut jouer un rôle transformateur pour nos métiers : voilà l’hypothèse que nous allons à présent explorer, en gardant bien à l’esprit que l’histoire n’est pas libératrice en soi. Certains et certaines d’entre nous ont pu partager cette triste expérience racontée par William Cronon qui, au terme de son premier cours d’histoire environnementale, avait constaté auprès de ses étudiants que son enseignement, au contraire de ce qu’il espérait, s’était mué en une « disempowering lesson44 ».

3. L’historienne et l’historien face aux bouleversements écologiques : retrouver une place dans la cité

  • 45 On trouvera les réponses stimulantes émanant d’une quarantaine d’historiens et historiennes  tout (...)

24Il n’est pas question de décliner toutes les réponses possibles à cette interrogation lancinante : « à quoi sert et que peut l’histoire ? »45, mais de l’envisager dans un contexte bien précis et devant une réalité impérieuse à laquelle nul ne peut désormais se soustraire : le désastre écologique, documenté par les rapports successifs du GIEC et de l’IPBES, et l’aggravation continue de la situation. On sait que l’humanité devra composer avec un monde qu’une (petite) partie d’entre elle a totalement bouleversé et qui se caractérisera par des conditions de vie jamais connues par l’espèce sapiens.

  • 46 Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz, L’événement anthropocène. La Terre, l’histoire et nou (...)
  • 47 « Une contre-histoire de l’anthropocène ? », La grande table des idées, France culture, 31 octobre (...)
  • 48 Ce qui n’est d’ailleurs correct qu’au niveau du pays entier, et non lorsqu’on ramène la proportion (...)
  • 49 Sur la notion de « présentisme », nous renvoyons aux travaux de François Hartog, Régimes d’historic (...)

25Si ce monde est incontestablement un héritage de trajectoires que l’histoire peut documenter, est-ce que la connaissance des événements et phénomènes passés peut servir de levier pour agir ? La question est débattue. En 2013, lorsque Christophe Bonneuil présentait sur France Culture L’événement anthropocène, synthèse marquante dans l’historiographie française46, il avait été confronté aux réactions véhémentes du physicien Sébastien Balibar47. Ce dernier ne voyait pas l’utilité, pour agir au présent, d’intenter à l’Occident ce qu’il percevait comme un procès rétrospectif. Il insistait sur le fait que le passé était derrière nous et que, désormais, c’était la Chine qui polluait le plus48. Dans sa réaction agacée, il exprimait aussi une certaine vision de la hiérarchie des sciences : selon lui, il revenait aux disciplines expérimentales, les seules sciences « véritables », de donner à comprendre les bouleversements actuels et de fournir de solides solutions aux décideurs. Quant aux sciences humaines et sociales, jugées secondaires, elles se trouvaient reléguées à un rôle instrumental d’aide à la décision et à l’acceptabilité sociale. Un tel discours, encore présent dans le monde académique, est caractéristique d’une forme de présentisme49 qui nie la force de l’histoire et le poids des imaginaires dans les actions présentes. C’est aussi une posture scientiste qui ne peut qu’être dérangée par la politisation des questions écologiques, à laquelle procède l’ouvrage de Bonneuil et Fressoz lorsqu’ils récusent la séparation supposée entre sciences et politique. Pour notre part, convaincus de l’importance de l’histoire dans le contexte actuel, nous profitons de cette introduction pour envisager quelques pistes de transformation des pratiques historiennes face aux bouleversements écologiques.

3.a. L’histoire comme forme d’intelligibilité

  • 50 François Hartog, L’histoire d’Homère à Augustin, Paris, Seuil, 1999.

26L’histoire vise à comprendre, à traquer les causes, en menant une enquête, en récoltant les témoignages, pour en rendre compte de façon intelligible : c’est ainsi que les premiers historiens, Hérodote et surtout Thucydide, fondent la spécificité d’une nouvelle façon d’écrire, en Grèce ancienne. Leur mise en récit, suggraphè, se distingue ainsi des productions des poètes, des mythographes ou des logographes50. Appliquée à la catastrophe écologique actuelle, cette inlassable recherche des causes implique pour les historiennes et historiens de mettre en lumière les trajectoires, mais surtout d’être en mesure d’en restituer la complexité, tout en la rendant intelligible par une mise en récit qui soit appropriable par le public.

  • 51 Voir à ce sujet l’analyse critique de Jean-Michel Hupé et Vanessa Lea, « Nature humaine. L'être hum (...)
  • 52 Jared Diamond, Collapse. How societies chose to fail or succeed, New York, Viking, 2004.
  • 53 Fabien Scheidler, La Fin de la mégamachine. Sur les traces d'une civilisation en voie d'effondremen (...)

27Il serait alors tentant de se lancer dans l’écriture de « grands récits », des manières de raconter le passé de l’humanité (ou de ses époques et/ou foyers dominants) à travers une série d’enchaînements causaux obéissant à une logique bien identifiée, sur le temps long. Puisque la lutte des classes n’est plus considérée comme le moteur d’une histoire, dont l’aboutissement est désormais le désastre écologique, on serait tentés de chercher des racines aux destructions de la planète. Mais personne n’arrive à se mettre d’accord : sont tour à tour invoqués la « nature humaine »51, la maîtrise du feu, l’agriculture et la sédentarisation, la monétarisation puis la dette, le fait guerrier, la disponibilité de certaines ressources (animales, végétales, énergétiques), les communs ou leur privatisation, la colonisation, la quête individuelle du plaisir, la définition moderne de la liberté... D’autres grands récits comparent les menaces présentes aux effondrements de civilisation identifiés dans le passé, en surestimant parfois la part des facteurs environnementaux et la soudaineté des effondrements, à l’exemple du modèle construit par Jared Diamond52. Le dialogue avec Fabian Scheidler53 illustre le grand potentiel heuristique de certains de ces récits, fort stimulants pour la recherche et la réflexion collective. Mais ils sont aussi chacun traversés de visions politiques spécifiques qui, parmi le foisonnement infini des événements du passé, orientent la sélection d’indices susceptibles d’alimenter leur narration. Le résultat est donc inégal ; le risque est grand d’introduire des biais d’interprétation, des raccourcis ou des approximations, ou de sous-estimer la complexité et la particularité des situations concrètes. De plus, ce type de récit historique tend parfois à idéaliser certaines sociétés reculées dans le temps et pour lesquelles on manque de documentation : ainsi en va-t-il des groupes de chasseurs-cueilleurs nomades, jugés plus « proches de la nature ». En procédant de la sorte, on peut facilement omettre les rapports de pouvoir structurels et plaquer nos propres conceptions modernes sur les systèmes de représentation des sociétés passées, bien différentes des nôtres.

  • 54 Jo Guldi, David Armitage, The History Manifesto, Cambridge, Cambridge University Press, 2014.
  • 55 Voir la discussion que propose un numéro spécial des Annales. HSS : « La longue durée en débat », 2 (...)

28C’est précisément pour tenter de dépasser certains travers de la mise en récit que les historiens David Armitage et Jo Guldi ont proposé de se servir des humanités numériques et des big data : ils jugent de tels outils appropriés pour permettre à l’histoire de rivaliser avec la discipline économique auprès du grand public et des milieux politiques, en fournissant des données et tendances qui dépassent les perspectives monographiques54. Ils y voient une manière de renouveler l’engagement de l’histoire et sa contribution à la réflexion sur les grands enjeux du temps présent, au premier rang desquels figure le changement climatique. L’inféodation au calendrier politique, l’externalisation du travail sur archives et les biais inhérents au recueil de données sur les sociétés passées ont cependant fait l’objet de nombreuses critiques, qui ont rapproché la proposition de David Armitage et Jo Guldi des « grands récits » susmentionnés55.

  • 56 Parmi les nombreuses études à ce sujet, citons Antonin Pottier, Comment les économistes réchauffent (...)
  • 57 Christophe Bonneuil, Céline Pessis, Sezin Topçu (coords.), Une autre histoire des « Trente Glorieus (...)
  • 58 Nous faisons ici référence au phénomène de “dépendance au sentier” théorisé par Paul Pierson, qui m (...)
  • 59 François Jarrige, art. cit.

29Le débat sur l’intérêt des big data et d’une vision sur la longue durée n’est sans doute pas clos, car la performativité de l’économie, discipline à la responsabilité particulièrement importante dans la trajectoire écologique contemporaine56, demeure un défi central pour les autres sciences sociales. Il n’en demeure pas moins que la puissance d’intelligibilité de l’histoire ne vient pas que – et peut-être pas essentiellement – des grands récits. Elle provient aussi des « chantiers de contre-histoire » qui ne sont pas la production d’un contre-récit écologique, mais l’ouverture à des dimensions jusque-là peu abordées, comme s’y essaye Une autre histoire des Trente glorieuses57. Les explorations historiennes peuvent ainsi se focaliser sur des aspects précis qui perturbent nos croyances communes (très occidentalo-centrées) et donnent à penser le présent autrement : histoire des systèmes, des transitions énergétiques et des multiples dépendances instituées avec les énergies fossiles, histoire de la déforestation, histoire de la gestion des espaces protégés, histoire de la marchandisation de la nature, histoire des modalités de connaissance et d’exploitation des territoires et de leurs ressources, histoire des rapports au reste du vivant, histoire de l’avènement et de l’abandon des techniques agricoles, extractives et productives, histoire des mobilités, histoire des risques, histoire de l’urbanisme et du métabolisme urbain, etc. Ces récits thématiquement et géographiquement situés éclairent une partie des problèmes actuels, soit qu’ils mettent en lumière des interactions socio-écologiques très différentes des nôtres, soit qu’ils montrent la manière dont ont été pris les sentiers dont nous sommes aujourd’hui dépendants58. Nombre de travaux aident désormais à comprendre comment s’est construit un monde reposant sur des mobilités très rapides et confortables, alimenté par des énergies fossiles abondantes et accompagné d’une quantité croissante de produits artificiels aux composants venus du monde entier, générateurs de déchets innombrables. Chacun de ces travaux donne à saisir les héritages négatifs qu’il faudrait clore et tous les obstacles économiques, politiques, culturels, sociaux et écologiques, qui empêchent de le faire. Ainsi que le résume François Jarrige : « Comme discipline critique, l’histoire offre en définitive un formidable instrument de démystification et de compréhension du monde59 ».

3.b. L’histoire pour agir au présent

  • 60 Déjà, Charles Seignobos attribuait un rôle transformateur à l’enseignement historique : « Ainsi l'é (...)
  • 61 Naomie Oreskes et Eric Conway, Les marchands de doute, Paris, Le Pommier, 2012 ; Christophe Bonneui (...)
  • 62 Odette Hardy-Henery, « Éternit et les dangers de l'amiante-ciment, 1922-2006 », Revue d’histoire mo (...)
  • 63 David Rosner et Gerald Markowitz, « L’histoire au prétoire. Deux historiens dans les procès des mal (...)

30En montrant qu’il n’y a pas de ligne directrice transcendant l’histoire des civilisations qui irait de la soumission à la nature à sa domination destructrice, en faisant la part des choix politiques et des rapports de force, des agencements culturels et techniques liant diversement les sociétés au reste de la nature, de la contingence, des effets-retours non anticipés dans les trajectoires socio-écosystémiques, cette histoire environnementale peut aussi être une incitation lucide à l’action60. Certes, en établissant la profondeur historique des processus de transformation, l’histoire peut donner un sentiment d’impuissance. Pourtant, l’histoire aide aussi à identifier clairement des responsabilités. On peut penser à l’histoire de la fabrique de l’ignorance (agnotologie), qui a obtenu des résultats particulièrement stimulants. Après le tabac, qui concerne un problème de santé publique, les manipulations de l’industrie du pétrole, et des plus grandes entreprises du secteur comme Exxon ou Total, ont fait l’objet de travaux remarqués61. L’histoire de l’amiante ressort des mêmes logiques de fabrique du doute et de contrôle des normes sanitaires62. Bien entendu, les entreprises ou organisations mises en cause se sont défendues à chaque fois, en niant avoir eu ces pratiques ou en arguant les avoir abandonnées. Voilà pourquoi il est d’autant plus utile de diffuser les résultats des travaux historiens pour informer les citoyennes et citoyens sur ce que de telles entreprises ont été capables de faire, pour mettre en garde au présent en rappelant ce qu’elles sont fondamentalement : des structures capitalistes soucieuses de défendre leur attractivité sur les marchés financiers plutôt que d’assurer le bien commun ou la préservation de l’environnement. Bon gré, mal gré, des historiennes et historiens ont aussi été impliqués dans l’arène judiciaire. Aux États-Unis, la responsabilité des expositions aux toxiques se juge devant les tribunaux, pour savoir à quel moment les entreprises ont eu connaissance de la nocivité de leurs produits. Des historiens et historiennes ont ainsi pu intervenir dans les procès intentés par des ouvriers ou des consommateurs – quand ce ne sont pas leurs ouvrages qui ont été attaqués par les industriels pour diffamation. Deux universitaires retracent ainsi leur expérience dans des affaires d’exposition à des polluants : ils analysent le rôle des historiens et historiennes au prétoire et s’interrogent sur la manière de préserver leur ethos professionnel dans un tel dispositif63.

  • 64 Christophe Bouton, « L’histoire maîtresse de vie ? La question de l’expérience du passé chez Marx, (...)
  • 65 Quentin Deluermoz, Pierre Singaravélou, « Explorer le champ des possibles. Approches contrefactuell (...)
  • 66 Voir par exemple Jean-Baptiste Fressoz, « Eugène Huzar et la genèse de la société du risque », préf (...)
  • 67 Patrick Boucheron, « Ce que peut l’histoire », Leçon inaugurale au collège de France, 17 décembre 2 (...)

31On ajoutera que l’histoire offre un réservoir d’exemples pour des mobilisations et luttes à venir : l’idée est formulée en 1940 par Walter Benjamin dans ses thèses « sur le concept d’histoire ». Il appelle à réactualiser les possibilités oubliées du passé, à raviver ce qui aurait pu être accompli et qui a été empêché, détruit. Les figures à se remémorer ne sont pas les grands hommes, mais les vaincus. La mobilisation des événements et figures passées peut donc servir à la transformation politique : l’idée a été reprise, en France, par Michèle Riot-Sarcey et d’autres64. Le récit historien défatalise ainsi le passé et rétablit la possibilité d’une intervention des individus sur le cours des événements. Dans la continuité, les chantiers d’histoire contre-factuelle, encore peu répandus en France, sont une manière de réfléchir à la contingence de l’histoire en imaginant ce que la modification d’un paramètre aurait pu changer, ou non, à son cours65. L’histoire invite à repolitiser – au sens fort, c’est-à-dire à remettre au centre de la cité – ce qui semble aller de soi ou ce qui a été oublié, comme les réflexivités environnementales passées66, et la manière dont cet oubli s’est opéré. Il s’agit aussi, par l’ouverture des possibles historiques, de « convaincre les plus jeunes qu’ils n’arrivent jamais trop tard67 » – pour éviter le découragement perçu par William Cronon chez ses étudiantes et étudiants.

3.c. Les chantiers d’une histoire impliquée : des ouvertures possibles

32Dans tout ce que nous avons évoqué (donner de l’intelligibilité, démythifier, éveiller l’esprit critique, favoriser l’envie d’agir…), il est clair qu’une partie échappe au contrôle de l’historienne ou de l’historien : la réception qui est faite de son travail. Celle-ci est largement façonnée par l’horizon d’attente du public. Il reste néanmoins à la communauté historienne des marges de manœuvre. Le caractère inédit de la situation écologique, sa globalité, impliquant ensemble chacun de nos gestes, chacune de nos activités et de nos relations, amènent à repenser nos manières de faire, et ce dans les différentes facettes de la profession.

  • 68 Collectif Labo 1.5, « Réduire l'empreinte de nos activités de recherche sur l'environnement » [En l (...)

33Dans le domaine de la recherche, d’abord. Nous pouvons mettre en acte, dans nos métiers, où les rapports de force sont déjà puissants, ce qu’implique l’état des écosystèmes et de l’atmosphère en réduisant nos consommations d’énergie, de matériaux, de surfaces terrestres et nos mobilités. Les outils lancés par Labo 1.5 offrent ainsi une aide précieuse pour donner des bases à une discussion collective, amenant chacun et chacune à comprendre les fondements matériels de nos activités et à prendre position68. De plus, dans nos propres sujets et méthodes de recherche, nous pouvons aussi tenter de trouver des terrains propices à la participation. Bernard Davasse, pour mener une recherche impliquée, a par exemple pris l’entrée paysagère, objet hybride par excellence, car il est une interprétation personnelle, culturellement située, de ce qui nous entoure. Il voit dans la « médiation paysagère »

  • 69 Bernard Davasse, op. cit., p. 7-8.

un moyen pour agir dans un monde complexe et incertain, en permettant à une société dans son environnement d’énoncer des projets de territoire à l’échelle locale et de régénérer la pensée, [une manière d’] éclairer une prise de décisions [en présentant] plusieurs trajectoires souhaitées et soutenables des rapports milieux/sociétés dans un contexte de haute complexité et de grande incertitude69.

  • 70 Serge Briffaud, Le paysage, le regard et le temps. Enquête historique et géographique sur l’empaysa (...)
  • 71 Lancée en 2019, l’initiative entend « contrer l’accaparement et le saccage des terres par le produc (...)
  • 72 Virginie Albe, « L’enseignement de controverses socioscientifiques », Éducation et didactique, 2009 (...)
  • 73 Nous renvoyons ici vers la revue Éducation relative à l’environnement, publiée depuis 1999 [En lign (...)

34Aux historiens et historiennes de trouver leur ou plutôt leurs paysages, l’un de ces « objets intermédiaires70 » permettant aux sociétés de se penser au sein de leur environnement. Ces terrains d’une histoire partagée ne peuvent qu’être multiples, des bancs des universités jusqu’aux chantiers participatifs menés dans le cadre de Reprise de terres, par exemple71. Si certains appellent à déserter l’ESR, si d’autres, comme Jérôme Baschet, tentent de construire cette histoire impliquée du sein même d’expériences collectives alternatives, d’autres encore, dont nous faisons partie, appellent à se saisir de l’appareil universitaire pour y combattre les tendances qui semblent menacer la survie de la Terre, et pour faire advenir d’autres possibles. Cours, ateliers réflexifs, méthode des controverses72, débats, jeux, représentations théâtrales, exercices d’écriture historique ou contrefactuelle sont autant de chantiers possibles à mener dans les universités pour amener les étudiantes et les étudiants – et pourquoi pas nos collègues – à se saisir des questions relatives à l’écologie. Car il s’agit aussi de faire évoluer nos enseignements. Les sciences de l’éducation et les expériences d’éducation populaire ont pu montrer les limites du « Deficit model » qui stipule que l’inaction vient d’un manque de connaissances et donne aux scientifiques un devoir d’approfondissement et de diffusion des savoirs. Cet effort est certes indispensable, mais il ne suffit pas toujours à faire ressentir ni à faire agir. Pour cela, l’enseignement de l’histoire peut profiter de plusieurs décennies d’expériences en éducation à l’environnement, qui mobilise les sorties de terrain et les diverses perceptions sensorielles pour renouer avec le reste du vivant et avec le fonctionnement de la Terre73.

  • 74 À titre d’exemples, à Toulouse, en juillet 2022, se tiennent les Assises de la recherche en ingénie (...)

35Le contexte est également propice aux croisements interdisciplinaires, dans la recherche et l’enseignement. Autour de la question écologique, les demandes d’interventions d’historiens et d’historiennes dans des cursus de sciences expérimentales ou en écoles d’ingénieurs sont la preuve que cette mise en perspective intéresse au-delà des familiers de l’histoire74. L’histoire est sans doute indispensable aussi pour les sciences expérimentales, liées d’une manière ou d’une autre aux bouleversements écologiques, et qui ont à dénouer ces liens et à comprendre ce qu’ils engagent du présent et de l’avenir, ainsi que nous y invite l’expérience racontée dans ce numéro par Tannier, Daubin et Quinton.

36Enfin, une histoire impliquée impose d’ouvrir les échanges, de multiplier les événements et les supports, de faire émerger l’histoire là où elle ne semble pas importante, en sortant de sa zone de confort et du milieu académique. Cela rejoint les réflexions déjà anciennes menées outre-Atlantique sur la public history, qui soulignent l’importance d’investir cette tâche de « vulgarisation » et de dialogue, en la rendant pleinement légitime dans nos propres métiers. Ces moments d’échanges permettent de prêter attention, aussi, à ce qui peut se dire hors des universités sur ce qui nous a conduits là. Le monde actuel est inédit et l’histoire ne permet pas d’anticiper le futur, mais elle donne des armes pour faire face aux défis. S’il n’était qu’une puissance de l’histoire, celle de permettre de s’extraire des angoisses du présent, par le partage de vies, de trajectoires, de savoirs, de savoir-faire et de réflexivités oubliées, serait déjà belle. L’histoire a en tout cas le formidable pouvoir, partagé avec d’autres sciences humaines et sociales, d’approcher les imaginaires passés ou minorés et, dans le travail de recherche et d’écriture ainsi que dans la lecture, d’en faire émerger de nouveaux.

37Conclusion : rendre les savoirs agissants

38En lançant l’appel « Ce que les ravages écologiques font aux disciplines scientifiques », nous avons souhaité ouvrir clairement le débat sur le rôle de l’histoire, et plus généralement des productions scientifiques, dans un contexte d’urgence environnementale qui rend impérieuse l’action collective.

  • 75 Résister au désastre, Wildproject, 2019, p. 26. Isabelle Stengers reprend cette idée à Donna Harawa (...)

39Il apparaît qu’une collaboration étroite entre les différentes branches scientifiques est désormais indispensable et passe par le respect et la compréhension de leurs différences heuristiques. Il faut aller à l’encontre de la spécialisation des tâches et du morcellement des savoirs qui ont été jusqu’ici des facteurs de hausse de rendement, de croissance et donc de consommation du monde. De plus, l’imperméabilité des discours scientifiques et le cloisonnement des disciplines gênent leur appropriation par les autres chercheurs et chercheuses et par le public en général, condition nécessaire pour un changement des imaginaires et des pratiques. La conceptualisation, qui est un outil de scientificité des SHS, conjuguée à leur hyperspécialisation, devient parfois un frein au partage des savoirs. Or il est clair que, pour être mobilisables, les sciences doivent se montrer accessibles, apprendre à développer un langage commun, ce en dépit de leurs différences. Il faut qu’elles apprennent à se parler, pour constituer une forme de compost, comme le suggère Isabelle Stengers75. L’histoire, par exemple, doit se nourrir des autres domaines de savoir, et réciproquement, dans un contexte de remise en cause de

  • 76 « Actualité d’un sous-titre : histoire, sciences sociales », Annales. Histoire, Sciences Sociales, (...)

l’évidence d’un espace intellectuel propre aux sciences sociales et ontologiquement différent des sciences expérimentales. […] Parce qu’elles affrontent la question de l’historicité sur le temps long – et même à l’échelle géologique –, les sciences de la nature invitent les sciences sociales à penser différemment ce qui fait « société » et à y intégrer notamment les non humains, voire les non-vivants […]. L’horizon [de ces nouvelles formes d’échange inter-disciplinaires] pourrait être l’élaboration d’une épistémologie non-dualiste – par-delà nature et culture76.

  • 77 Ils existent à Toulouse depuis 2018 et désormais à Paris, Montpellier, Rennes, Dijon, Marseille…

40L’existence de collectifs comme les Ateliers d’écologie politique, qui rassemblent en leur sein sciences de la nature et sciences sociales, ouvre de ce point de vue-là des expériences d’hybridation et de fertilisation croisée intéressantes77. Tout en posant franchement la nécessité d’une désescalade de « l’excellence » quantitative ou jugée sur des critères académiques étroits, il faudrait pousser au développement de telles perspectives interdisciplinaires – et indisciplinées ?

  • 78 On se contentera de mentionner le dit « Appel de Menton » : « SOS environnement. 2 200 savants s’ad (...)
  • 79 À l’exemple de la méta-étude d’Isak Stoddard, Kevin Anderson et al., « Three decades of climate mit (...)
  • 80 Aurélien Berlan, Guillaume Carbou et Laure Teulières (coords.), op. cit.

41Sans doute faut-il aussi que le monde académique tire le bilan des alertes scientifiques émises depuis plus d’un demi-siècle78 afin de mettre désormais l’accent sur ce qui les a rendues inaudibles et sans effet. Bien des études, venues de tous les domaines de savoir, identifient clairement les verrous d’inertie, récurrents malgré cinq décennies de mobilisations environnementales79. Si rien ne change, si l’humanité a émis en trente ans la moitié du CO2 historique, si même les pays bénéficiant de la plus grande aisance matérielle n’ont pas réduit leur empreinte écologique, c’est que les spécialistes qui documentent tout cela ne sont pas pris au sérieux et surtout qu’il faut envisager autrement ce qui doit être affronté. De ce fait, les scientifiques ne doivent-ils pas, désormais d’urgence, avoir le courage de s’attaquer frontalement aux mécanismes structurés de déni, de domination et d’obstruction qui permettent de poursuivre as usual des fonctionnements insoutenables et/ou de les reconditionner par des effets de greenwashing80 ? Ne doivent-ils pas se dresser ouvertement face aux mensonges et au cynisme, y compris et peut-être avant tout quand ils émanent de bastions de pouvoir – grandes entreprises, technostructure, institutions diverses, gouvernements, organisations internationales ? Et parce que nous travaillons sur les trajectoires, l’inertie temporelle, les effets d’engrenages dans le temps... nous, historiennes et historiens, n’avons-nous pas particulièrement à porter cela ? Si l’histoire est bien la science du changement, elle doit aussi dévoiler les verrouillages pour participer à réouvrir l’invention des possibles.

  • 81 Voir à ce sujet l’initiative Horizon TERRE (Tou.te.s Ensemble pour une Recherche Responsable et Eng (...)

42Un chantier complémentaire, non moins essentiel, concerne la mise en relation du monde scientifique avec les attentes de la société, en identifiant les priorités, en démocratisant des approches en complexité pour construire le cadre d’une société collectivement impliquée81. Il s’agit donc là sans doute moins de diffusion que d’appropriation et d’interconnexion de domaines de compréhension déjà là, mais parcellisés et impuissants. Ainsi, face aux enjeux écologiques, rien n’est plus urgent que de mettre en commun et d’œuvrer à rendre les savoirs agissants. Dans ce dossier, nous l’espérons en tout cas, se dessinent certaines de ces amorces de décloisonnements, avec les involutions et les glissements épistémologiques qui les accompagnent. Nous y voyons là autant de nouvelles manières d’impliquer les sciences dans la construction de mondes soutenables.

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Notes

1 François Gemenne, Aleksandar Rankovic, Thomas Ansart, Benoît Martin, Patrice Mitrano, Antoine Rio, Atlas de l’Anthropocène, Paris, Presses de Sciences Po, 2019, p. 11.

2 Ce terme désigne les agencements historiquement et géographiquement situés entre les organisations sociales et des dynamiques écosystémiques.

3 La formule figure dans un entretien avec Fritz J. Raddatz paru dans Die Zeit, n° 13 du 22 mars 1985, et traduit par Catherine Weinzorn (« Brecht ne pouvait pas me sentir », Austriaca, n° 35, 1992). Le parallèle que nous suggérons avec la montée du nazisme nous semble justifié dans la mesure où des menaces très réelles pèsent sur le maintien de conditions de vie décentes pour l’humanité, à court terme.

4 Ces questions ont été explorées par exemple par Guillaume Carnino, L’invention de la science. La nouvelle religion de l’âge industriel, Paris, Seuil, 2015 ; Sylvain Laurens, Militer pour la science. Les mouvements rationalistes en France (1930-2005), Paris, EHESS, 2019.

5 Pour un bilan, voir par exemple Rémi Beau, Catherine Larrère (coords.), Penser l’Anthropocène, Paris, Presses de Sciences Po, 2018 ; Dictionnaire critique de l’Anthropocène, Paris, CNRS Éditions, 2020.

6 Mentionnons par exemple les réflexions du groupe de scientifiques « Survivre… et Vivre », au début des années 1970 : Céline Pessis (coord.), Survivre… et vivre. Critique de la science, naissance de l’écologie, Paris, L’Échappée, 2014.

7 Guillaume Blanc, Élise Demeulenaere et Wolf Feuerhahn (coords), Humanités environnementales. Enquêtes et contre-enquêtes, Paris, Publications de la Sorbonne, 2017.

8 Bernard Davasse propose par exemple une géographie impliquée qui vise à « construire collectivement une compréhension des évolutions complexes à l’origine des environnements actuels et de la partager pour envisager les trajectoires concevables dans le futur ». La trace des temps. Les complexes socio-écologiques au prisme du paysage. Pour une géographie de l’environnement impliquée, Mémoire inédit de HDR, Université de Toulouse-Jean Jaurès, 2015, p. 3.

9 Léo Coutellec, « Pour une philosophie politique des sciences impliquées », Écologie politique, 2015, t. 51, p. 15-25.

10 Léo Coutellec, art. cit., p. 19.

11 Sur cette évolution, voir Christophe Bonneuil, « De la République des savants à la démocratie technique : conditions et transformations de l’engagement public des chercheurs », Natures Sciences Sociétés, 2006, t. 14, p. 235-238.

12 Alexandre Monnin, Diego Landivar et Emmanuel Bonnet, Héritage et fermeture : une écologie du démantèlement, Paris, Divergences, 2021.

13 La métaphore, utilisée par les auteurs cités pour les produits de la technologie moderne, est basée sur l’observation que ces objets ne sont fonctionnels (en vie) que dans un temps limité mais passent la très grande majorité de leur existence en tant que déchet (apparence à peu près similaire mais dont le mécanisme fonctionnel est brisé, tout comme un zombie), contrairement aux êtres vivants qui disparaissent entièrement quand ils meurent, tout en restant intégrés au cycle du vivant.

14 Un soin particulier a été mis au nettoyage du marbre, matériau jugé noble : voir Brigitte Bourgeois, « Marbre blanc, taches de couleur. Polychromie et restauration de la sculpture grecque », dans P.-Y. Kairis, B. Sarrazin, F. Trémolières (coords.), La restauration des peintures et des sculptures. Connaissance et reconnaissance de l’oeuvre, Paris, Armand Colin, 2012, p. 25-42.

15 Les engagements d’hellénistes comme Jean-Pierre Vernant ou de Pierre Vidal-Naquet confirment le fait que les Antiquisants ne restent nullement insensibles aux combats de leur temps (Résistance pendant la seconde guerre mondiale, dénonciation de la torture pendant la guerre d’Algérie,…). Voir à ce propos le regard rétrospectif qu’ils ont porté sur leur travail : Jean-Pierre Vernant, La traversée des frontières, entre mythe et politique, Paris, Seuil, 1996 ; Pierre Vidal-Naquet, L’histoire est mon combat, Paris, Albin Michel, 2006.

16 Nicole Loraux, « Éloge de l'anachronisme en histoire », Espaces Temps, 2005, n° 87-88 (numéro thématique « Les voies traversières de Nicole Loraux. Une helléniste à la croisée des sciences sociales »), p. 127-139.

17 C’est ainsi que Paul Veyne définit le travail historien : L’inventaire des différences, Paris, Seuil, 1976.

18 On signalera que jusqu’ici les débats ont surtout porté sur des questions politiques - tel celui, toujours vivace, qui concerne la crise de la démocratie. Pascal Payen a souligné l’importance d’une réflexion autour de la notion de citoyenneté, dans un contexte de montée de l’extrême-droite en France : Pascal Payen, « Intégration, exclusion et identité : quelques problèmes grecs de la citoyenneté moderne », dans Antiquité et citoyenneté. Actes du colloque international de Besançon (3-5 novembre 1999), Besançon, Institut des Sciences et Techniques de l'Antiquité, 2002, p. 249-270. Voir aussi la présentation donnée par Violaine Sebillotte-Cuchet dans la réédition qui a été faite en 2022 (Violaine Sebillotte Cuchet, « Un historien dans la cité », Anabases, 2022, t. 35, p. 247-252).

19 Jules Michelet, Introduction à l’histoire universelle, Paris, Hachette, 1834, p. 9-41. Cet écrit de jeunesse est largement contredit par ses écrits ultérieurs, où Michelet se montre sensible et inquiet face aux bouleversements de la nature par le progrès, l’industrie, la colonisation.

20 Caroline Elkins, Legacy of violence. A history of the British Empire, New York, Alfred A. Knopf, 2022. Par exemple, p. 81 : « Seeley and the emerging historical profession played an important role in how the nation and the world understood Britain’s imperial project. […] Seeley concluded, “about the general fact that the ruling race in British India has a higher and more vigorous civilisation than the native races” ».

21 Hélène Blais, Voyages au grand océan. Géographies du Pacifique et colonisation, 1815-1845, Paris, CTHS, 2005 ; Id., Mirages de la carte. L’invention de l’Algérie coloniale, Paris, Fayard, 2014 ; Emmanuelle Sibeud, Une Science impériale pour l’Afrique ? La construction des savoirs africanistes en France 1878-1930, Paris, Éd. de l’EHESS, 2002 ; Sophie Dulucq et Colette Zytnicki, « Une histoire en marge : l’histoire coloniale en France (années 1880-années 1930) », Genèses, 2003, t. 51, p. 114-127 ; Pierre Singaravélou, Professer l’Empire. L’enseignement des « sciences coloniales » en France sous la IIIe République, thèse d’histoire, Université Paris 1, 2007.

22 Jean-Baptiste Fressoz et François Jarrige, « L'histoire et l'idéologie productiviste : les récits de la "révolution industrielle" après 1945 », dans Christophe Bonneuil, Céline Pessis et Sezin Topçu (coords.), Une autre histoire des « Trente glorieuses ». Modernisation, contestations et pollutions dans la France d'après-guerre, Paris, La Découverte, 2013, p. 61-79.

23 C’est ce que soulignent François Jarrige et Thomas Le Roux dans La contamination du monde : une histoire des pollutions à l’âge industriel, Paris, Seuil, 2017 ; voir aussi Geneviève Massard-Guilbaud, « Pour une histoire environnementale de l’urbain », Histoire urbaine, 2007, t. 18, p. 14-15.

24 On lira par exemple le tome consacré au xixe siècle de George Duby, Armand Wallon Armand (coords.), Histoire de la France rurale. 3. De 1789 à 1914. Apogée et crise de la civilisation paysanne, Paris, Seuil, 1982.

25 William Cronon, « The uses of environmental history », Environmental History Review, 1993, t. 17, p. 1-22 ; Jean-Baptiste Fressoz, Frédéric Graber, Fabien Locher et Grégory Quenet, Introduction à l’histoire environnementale, Paris, la Découverte, 2014, p. 94-95.

26 Roderick Nash, Wilderness and the American mind, Yale University Press, 1967 ; Alfred W. Jr Crosby, The Columbian exchange: biological and cultural consequences of 1492, Greenwood Publishing Group, 1972 ; Donald Worster, Dust Bowl: the Southern Plains in the 1930s, New-York, Oxford University Press, 1979 ; Carolyn Merchant, The death of Nature: women, ecology and the scientific revolution, San-Francisco, Harper & Row, 1980.

27 Ramachandra Guha, « Radical american environmentalism and wilderness preservation: a third world critic », Environmental Ethics, 1989, t. 11, p. 71-83; Richard Grove, Green imperialism, colonial expansion, tropical island edens and the origins of environmentalism, 1600-1860, Cambridge, Cambridge University Press, 1995.

28 Karl Jacoby, Crimes contre la nature, Toulouse, Anacharsis, 2021 (2014) ; Marc D. Spence, Dispossessing the wilderness, New-York, Oxford University Press, 1999.

29 Malcom Ferdinand, Une Écologie décoloniale. Penser l’écologie depuis le monde caribéen, Paris, Seuil, 2019.

30 William Cronon, « The trouble with wilderness », Environmental History, 1996, t. 1, p. 7-28.

31 Richard White, « Environmental history, ecology and meaning », The Journal of American History, 1990, t. 76, p. 1114.

32 Richard White, « American environmental history: the development of a new historical field », Pacific Historical Review, 1985, t. 54, p. 297-335.

33 On soulignera le développement récent des travaux sur l’anthropologie historique de la nature en France : voir par exemple les études rassemblées dans Jérôme Lamy et Romain Roy (coords.), Pour une anthropologie historique de la nature, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2019 (en particulier la contribution de Claude Calame, « Ce que la phúsis grecque fait à l’opposition nature vs culture : une perspective anthropologique et politique », p. 43-55).

34 François Jarrige, « L’historien et la question écologique », Histoire@Politique, 2017, t. 31, p. 75-83.

35 William Cronon, « The uses … », art. cit, p. 6-10.

36 Une histoire de l’environnement, foisonnante, a bien été entreprise dès les années 1980, autour de Corinne Beck, André Guillerme, Andrée Corvol, Robert Delort, Christian Fruhauf, François Walter, Serge Briffaud, etc., mais en marge de l’histoire académique. Les propositions les plus fortes, prônant le décloisonnement des savoirs, sont venues de la géographie. Georges Bertrand, par exemple, a appelé de ses vœux une « science diagonale », résolument engagée, mêlant science écologique et géographie avec une dimension diachronique pour comprendre l’évolution des paysages au croisement des dynamiques physiques et biologiques de l'espace et de l’évolution des organisations sociales, économiques et politiques (voir « La ‘‘science du paysage’’, une ‘‘science diagonale’’ », Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, 1972, t. 43, p. 127-134). En écho aux préoccupations présidant aux travaux menés alors aux États-Unis, George Bertrand souhaitait en effet étudier « l'action humaine à la fois constructive et destructive, qui [était] en train de modifier, souvent irréversiblement, la face de la terre » (p. 133). Il en appelait donc à une « écologie historique » apte à dépasser l’approche naturalisante des sociétés, pour socialiser et historiciser la nature (Georges Bertrand, « Pour une histoire écologique de la France rurale », dans Georges Duby, Armand Wallon, Histoire de la France rurale, Paris, Le Seuil, 1975, vol. 1, p. 35-116).

37 Christophe Bonneuil, « L’historien et la planète. Penser les régimes de planétarité à la croisée des écologies-monde, des réflexivités environnementales et des géopouvoirs » - traduit de « Der Historiker und der Planet. Planetaritätsregimes an der Schnittstelle von Welt-Ökologien, ökologischen Reflexivitäten und Geo-Mächten », in Frank Adloff, Sighard Neckel (dir.), Gesellschaftstheorie im Anthropozän, Frankfurt, Campus, 2020, p. 55-92.

38 Stéphane Frioux et Vincent Lemire, « Pour une histoire politique de l'environnement au xxe siècle », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, dossier « L'invention politique de l'environnement », 2012, n° 113, p. 3-14.

39 François Jarrige, art. cit.

40 Emmanuel Fureix, François Jarrige, La Modernité désenchantée. Relire l'histoire du xixe siècle français, Paris, La Découverte, 2015, p. 47-48.

41 Marc Bloch, L’étrange défaite. Témoignage écrit en 1940, Paris, Société des Éditions franc-tireur, 1946, p. 186-190 ; Pierre Vidal-Naquet, L’Affaire Audin, Paris, Les Éditions de Minuit, 1958 ; Vincent Duclert, « L’engagement scientifique et l’intellectuel démocratique. Le sens de l’affaire Dreyfus », Politix. Revue des sciences sociales du politique, 1999, 12.48, p. 71–94 ; Jean-Louis Robert, « Un historien engagé », Revue d'histoire moderne et contemporaine, 2006, n° 53, p. 77-79 ; Christophe Charle, Homo Historicus. Réflexions sur l’histoire, les historiens et les sciences sociales, Paris, Armand Colin, 2013, p. 169-239 ; Howard Zinn, Se révolter si nécessaire. Textes & discours (1962-2009), Marseille, Agone, 2014.

42 Sur l’écologie politique et son histoire, on consultera par exemple Alexis Vrignon, La naissance de l’écologie politique en France. Une nébuleuse au cœur des années 68, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2022 ; Dominique Bourg et Kerry Whiteside, « Écologies politiques : essai de typologie », La Pensée écologique [En ligne], 2017, t. 1. URL : https://doi.org/10.3917/lpe.001.0001

43 Antoine Prost, « Comment l’histoire fait-elle l'historien ? », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, 2000, n° 65, p. 3-12.

44 William Cronon, « The uses … », art. cit., p. 2.

45 On trouvera les réponses stimulantes émanant d’une quarantaine d’historiens et historiennes  tout en constatant la quasi absence de référence à l’enjeu écologique – dans Emmanuel Laurentin (coord.), À quoi sert l’histoire aujourd’hui ?, Paris, Bayard, 2010. La question a également été examinée par François Hartog principalement à la lumière du changement de régime d’historicité, avec le triomphe du présentisme qui caractérise la post-modernité : Croire en l’histoire, Paris, Flammarion, 2013.

46 Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz, L’événement anthropocène. La Terre, l’histoire et nous, Paris, Éditions du Seuil, 2013.

47 « Une contre-histoire de l’anthropocène ? », La grande table des idées, France culture, 31 octobre 2013 (en réécoute). URL : www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-grande-table-2eme-partie/une-contre-histoire-de-l-anthropocene-7569216.

48 Ce qui n’est d’ailleurs correct qu’au niveau du pays entier, et non lorsqu’on ramène la proportion au nombre d’habitants. Les émissions de CO2 par habitant sont par exemple, aujourd’hui encore, bien plus importantes dans nombre de pays occidentaux qu’en Chine.

49 Sur la notion de « présentisme », nous renvoyons aux travaux de François Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expérience du temps, Paris, Le Seuil, 2003.

50 François Hartog, L’histoire d’Homère à Augustin, Paris, Seuil, 1999.

51 Voir à ce sujet l’analyse critique de Jean-Michel Hupé et Vanessa Lea, « Nature humaine. L'être humain est-il écocidaire par nature ? », dans Greenwashing : manuel pour dépolluer le débat public, Aurélien Berlan, Guillaume Carbou et Laure Teulières (coords.), Paris, Le Seuil, 2022, p. 150-156.

52 Jared Diamond, Collapse. How societies chose to fail or succeed, New York, Viking, 2004.

53 Fabien Scheidler, La Fin de la mégamachine. Sur les traces d'une civilisation en voie d'effondrement, Paris, Seuil, 2020.

54 Jo Guldi, David Armitage, The History Manifesto, Cambridge, Cambridge University Press, 2014.

55 Voir la discussion que propose un numéro spécial des Annales. HSS : « La longue durée en débat », 2015, t. 70.

56 Parmi les nombreuses études à ce sujet, citons Antonin Pottier, Comment les économistes réchauffent la planète, Paris, Seuil, 2016 ; Antoine Missemer, Les Économistes et la fin des énergies fossiles (1865-1931), Paris, Classiques Garnier, 2017.

57 Christophe Bonneuil, Céline Pessis, Sezin Topçu (coords.), Une autre histoire des « Trente Glorieuses ». Modernisation, contestations, pollutions dans la France d'après-guerre, Paris, La Découverte, 2013.

58 Nous faisons ici référence au phénomène de “dépendance au sentier” théorisé par Paul Pierson, qui montre la pesanteur des décisions passées dans les possibilités présentes : « Increasing returns, path dependence, and the study of politics », American Political Science Review, 2000, t. 94, p. 251-267.

59 François Jarrige, art. cit.

60 Déjà, Charles Seignobos attribuait un rôle transformateur à l’enseignement historique : « Ainsi l'étude des transformations nous affranchit de deux sentiments inverses, mais également dangereux pour l'activité. L'un est l'impression qu'un individu est impuissant à remuer cette masse énorme d'hommes qui forment une société : c'est un sentiment d'impuissance qui mène au découragement et à l'inaction. L'autre est l'impression que la masse humaine évolue toute seule, que le progrès est inévitable : d'où sort la conclusion que l'individu n'a pas besoin de s'en occuper ; le résultat est le quiétisme social et l'inaction » (« L'enseignement de l'histoire comme instrument d'éducation politique », dans Conférences du Musée pédagogique, Paris, Imprimerie nationale, 1907, p. 1-24).

61 Naomie Oreskes et Eric Conway, Les marchands de doute, Paris, Le Pommier, 2012 ; Christophe Bonneuil, Pierre-Louis Choquet et Benjamin Franta, « Early warnings and emerging accountability: Total’s responses to global warming, 1971–2021 », Global Environmental Change [En ligne], 2021, vol.  71, article 102386. URL : https://doi.org/10.1016/j.gloenvcha.2021.102386. Sur les préventions méthodologiques de l’agnotologie, voir Mathias Girel, « Agnotologie : mode d'emploi », Critique, 2013, n° 799, p. 964-977.

62 Odette Hardy-Henery, « Éternit et les dangers de l'amiante-ciment, 1922-2006 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2009, t. 56, p. 197-226.

63 David Rosner et Gerald Markowitz, « L’histoire au prétoire. Deux historiens dans les procès des maladies professionnelles et environnementales », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2009, t. 56, p. 227-253.

64 Christophe Bouton, « L’histoire maîtresse de vie ? La question de l’expérience du passé chez Marx, Nietzsche et Benjamin », dans L’expérience du passé. Histoire, philosophie, politique, Christophe Bouton, Barbara Stiegler et al. (dirs.), Paris, Éditions de l’Éclat, 2018, p. 124-149.

65 Quentin Deluermoz, Pierre Singaravélou, « Explorer le champ des possibles. Approches contrefactuelles et futurs non advenus en histoire », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2012, t. 59, p. 70-95.

66 Voir par exemple Jean-Baptiste Fressoz, « Eugène Huzar et la genèse de la société du risque », préface de Eugène Huzar, La fin du monde par la science, Alfortville, Ere, 2008. On signalera la parution, au moment de la COP 21 à Paris, de l’essai de l’helléniste Claude Calame : Avenir de la planète & urgence climatique : au-delà de l’opposition nature/culture, Paris, éditions Lignes, 2015.

67 Patrick Boucheron, « Ce que peut l’histoire », Leçon inaugurale au collège de France, 17 décembre 2015 [En ligne]. URL : www.college-de-france.fr/site/patrick-boucheron/inaugural-lecture-2015-12-17-18h00.htm.

68 Collectif Labo 1.5, « Réduire l'empreinte de nos activités de recherche sur l'environnement » [En ligne]. URL : https://labos1point5.org/

69 Bernard Davasse, op. cit., p. 7-8.

70 Serge Briffaud, Le paysage, le regard et le temps. Enquête historique et géographique sur l’empaysagement des espaces et des sociétés, HDR, Université de Bordeaux-Montaigne, 2013, p. 150.

71 Lancée en 2019, l’initiative entend « contrer l’accaparement et le saccage des terres par le productivisme » tout en donnant l’occasion, lors de chantiers participatifs menés à partir de 2022, de trouver des moments de partage des savoirs. Voir la présentation rédigée en 2021 [En ligne]. URL : https://www.terrestres.org/2021/07/29/reprise-de-terres-une-presentation

72 Virginie Albe, « L’enseignement de controverses socioscientifiques », Éducation et didactique, 2009, t. 3, p. 45-76.

73 Nous renvoyons ici vers la revue Éducation relative à l’environnement, publiée depuis 1999 [En ligne]. URL : https://journals.openedition.org/ere. Nous pensons aussi aux « conférences marchées » organisées dans le cadre du Printemps de l’histoire environnementale en juin 2022.

74 À titre d’exemples, à Toulouse, en juillet 2022, se tiennent les Assises de la recherche en ingénierie qui visent notamment à mieux développer l’articulation aux sciences sociales ; de même qu’au sein de l’université Paris Saclay, un projet de formation et de recherche intitulé AllCan inscrira l’histoire au cœur de la formation prodiguée dans le diplôme universitaire à des étudiants de niveau master.

75 Résister au désastre, Wildproject, 2019, p. 26. Isabelle Stengers reprend cette idée à Donna Haraway et souligne que les sciences doivent « involuer » : évoluer ensemble, faire sauter les verrous, se défaire des évidences – se désintoxiquer. L'image du compost permet de rappeler que « ce qui compte, ce sont les transformations mutuelles, pas la reproduction de lignées ou d'identités spécifiques ».

76 « Actualité d’un sous-titre : histoire, sciences sociales », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2020, t. 75.3, p. 422-423.

77 Ils existent à Toulouse depuis 2018 et désormais à Paris, Montpellier, Rennes, Dijon, Marseille…

78 On se contentera de mentionner le dit « Appel de Menton » : « SOS environnement. 2 200 savants s’adressent aux 3 milliards et demi de Terriens », Le Courrier de l’Unesco, juillet 1971, p. 4-5.

79 À l’exemple de la méta-étude d’Isak Stoddard, Kevin Anderson et al., « Three decades of climate mitigation: why haven’t we bent the global emissions curve? », The Annual Review of Environment and Resources, 2021, t. 46, p. 1201-1237.

80 Aurélien Berlan, Guillaume Carbou et Laure Teulières (coords.), op. cit.

81 Voir à ce sujet l’initiative Horizon TERRE (Tou.te.s Ensemble pour une Recherche Responsable et Engagée) [En ligne]. URL : https://decidim.sciencescitoyennes.ovh.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Adeline Grand-Clément, Steve Hagimont, Jean-Michel Hupé et Laure Teulières, « Introduction au dossier : « Ce que les ravages écologiques font aux disciplines scientifiques.
Pour une histoire impliquée » »
Les Cahiers de Framespa [En ligne], 40 | 2022, mis en ligne le 30 juin 2022, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/framespa/13269 ; DOI : https://doi.org/10.4000/framespa.13269

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Auteurs

Adeline Grand-Clément

Adeline Grand-Clément est maîtresse de conférences en histoire grecque à l’Université Toulouse Jean Jaurès, rattachée au laboratoire PLH (EA 4601), en particulier l’équipe ERASME qui travaille sur la réception de l’Antiquité. Ses recherches s’inscrivent dans le champ de l’histoire culturelle et des sensibilités. Depuis son enquête sur l’anthropologie des couleurs et la sensorialité des rituels en Grèce ancienne, elle oriente désormais son travail vers l’écologie des Anciens et l’anthropologie historique de la nature. Elle a notamment codirigé, avec Evelyne Ugaglia, Rituels grecs. Une expérience sensible (Toulouse, Musée Saint-Raymond, 2017) et, plus récemment, avec Charlotte Ribeyrol, The Smells and Senses of Antiquity in the modern Imagination (Londres, Bloomsbury, 2022). Elle est membre d’un collectif multidisciplinaire, l’Atelier d’écologie politique (Atécopol), plateforme d’expertise de la Maison des Sciences de l’Homme et de la Société de Toulouse (CNRS & Université fédérale Toulouse Midi-Pyrénées), dont l’objectif, face à l’ampleur des ravages écologiques, est de partager les savoirs et de les rendre opérants. adeline.grand-clement@univ-tlse2.fr

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Steve Hagimont

Steve Hagimont est maître de conférences en histoire contemporaine au sein de l’Université Paris Saclay, UVSQ, CHCSC. Ses travaux portent sur l’histoire de l’économie et de l’aménagement touristiques, appréhendée dans ses relations avec la patrimonialisation et les imaginaires de la nature. Il a récemment publié Pyrénées. Une histoire environnementale du tourisme (Ceyzérieu, Champ Vallon, 2022), et, avec Anne-Claude Ambroise-Rendu, Charles-François Mathis et Alexis Vrignon, Une histoire des luttes pour l’environnement, Paris, Textuel, 2021. Il est membre de l’Ecopolien (https://ecopolien.hypotheses.org/), collectif jumeau de l’Atécopol en région parisienne. Il est membre d’un collectif multidisciplinaire, l’Atelier d’écologie politique (Atécopol), plateforme d’expertise de la Maison des Sciences de l’Homme et de la Société de Toulouse (CNRS & Université fédérale Toulouse Midi-Pyrénées), dont l’objectif, face à l’ampleur des ravages écologiques, est de partager les savoirs et de les rendre opérants. steve.hagimont@uvsq.fr

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Jean-Michel Hupé

Jean-Michel Hupé est chercheur au CNRS. Il a travaillé pendant 25 ans en neurosciences sur la perception visuelle et les synesthésies. Il se consacre depuis 2020 à l’écologie politique au sein du laboratoire FRAMESPA de l’Université de Toulouse Jean Jaurès. Dernièrement, il a dirigé l’ouvrage collectif de l’Atécopol Débrancher la 5G ? Enquête sur une technologie imposée (Écosociété, 2022). Il est membre d’un collectif multidisciplinaire, l’Atelier d’écologie politique (Atécopol), plateforme d’expertise de la Maison des Sciences de l’Homme et de la Société de Toulouse (CNRS & Université fédérale Toulouse Midi-Pyrénées), dont l’objectif, face à l’ampleur des ravages écologiques, est de partager les savoirs et de les rendre opérants. jean-michel.hupe@cnrs.fr

Laure Teulières

Laure Teulières est maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’Université Toulouse Jean Jaurès, rattachée au laboratoire FRAMESPA (UMR CNRS 5136). Après des recherches inscrites dans le champ de l’histoire culturelle et des migrations, elle se consacre désormais à la question écologique, en travaillant sur la contribution historienne en inter-sciences et l’interface recherche/société. Elle a récemment codirigé, avec Aurélien Berlan et Guillaume Carbou, Greenwashing. Manuel pour dépolluer le débat public (Seuil, 2022). Elle est membre d’un collectif multidisciplinaire, l’Atelier d’écologie politique (Atécopol), plateforme d’expertise de la Maison des Sciences de l’Homme et de la Société de Toulouse (CNRS & Université fédérale Toulouse Midi-Pyrénées), dont l’objectif, face à l’ampleur des ravages écologiques, est de partager les savoirs et de les rendre opérants. laure.teulieres@univ-tlse2.fr

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