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Travaux soutenus

Julie Rossello-Rochet, Des autrices dramatiques parisiennes dans l’espace public du XIXᵉ siècle (1789-1914)

Thèse de doctorat en études théâtrales, Université Louis Lumière Lyon 2, sous la direction de Bérénice Hamidi-Kim, soutenue le 25 novembre 2020

Le XIXᵉ siècle correspond en France au temps de l’avènement républicain, de l’affirmation d’une démocratie libérale et laïque, appuyée sur deux piliers principaux : le suffrage universel masculin et l’affirmation des libertés rendant possible l’exercice démocratique. La République exclut pourtant, à la fin du siècle, les populations nouvellement intégrées à l’Empire colonial et toutes les femmes. Dans cette « démocratie exclusive » et cette « république masculine » (Geneviève Fraisse), le théâtre, comme le journal, le livre, les dessins ou les chansons, participe, en particulier à Paris, à l’édification d’une culture commune. Jean-Claude Yon qualifie ce pouvoir d’influence du théâtre sur l’opinion publique à Paris entre 1791 et 1914 de « dramatocratie ». Ce régime théâtral est inégalement sexué, au détriment de la création des femmes par une série de lois, de mœurs et dans son organisation.

Sauf exception, les femmes n’ont pas le droit de diriger un théâtre, de fréquenter les parterres des salles ; les comités de lecture sont rarement mixtes et l’écriture dramatique est considérée comme un genre littéraire viril. Il y a dans les théâtres des fonctions occupées par les hommes (directeur de théâtre, ouvrier-machiniste, régisseur, administrateur, musicien) et d’autres par les femmes (ouvreuse, figurante, danseuse, comédienne). Les travaux de Charles Beaumont Wicks, Cecilia Beach, Odile Krakovitch ou, plus récemment, ceux d’Aurore Évain ont cependant montré que des femmes ont fait carrière au XIXᵉ siècle en tant qu’autrice dramatique. Alors qu’elles étaient privées de citoyenneté politique, de quelle façon la scène de théâtre a pu conférer à ces femmes un pouvoir discursif alternatif à celui agissant dans l’arène politique officielle, notamment au sein du parlement souverain ? De quelle manière ces femmes ont participé, par l’art de la représentation théâtrale, d’une reconfiguration de « l’espace public », au sens habermasien du terme, tel qu’il a été revu et corrigé par les travaux de Nancy Fraser, Carole Pateman et Geneviève Fraisse ? Quel rôle a eu la scène de théâtre comparativement à d’autres espaces d’expression publique des femmes au XIXᵉ siècle dans la publicité de leurs personnes et de leurs discours ?

Pour éclairer ces différents enjeux, la thèse propose une enquête à partir de l’examen des parcours et des œuvres de vingt-deux autrices dramatiques : Olympe de Gouges, Julie Candeille, Constance de Salm, Germaine de Staël, Sophie de Bawr, Sophie Gay, Virginie Ancelot, Delphine de Girardin, George Sand, Louise Colet, Céleste de Chabrillan, Maria Deraismes, Juliette Adam, Louise Michel, Gyp, Marya Chéliga, Véra Starkoff, Nelly Roussel, Marie Lenéru, Judith Gautier, Rachilde et Valentine de Saint-Point. Cette étude « par cas » (Jean-Claude Passeron et Jacques Revel) dresse, en s’appuyant sur leurs écrits théâtraux, politiques, autobiographiques et sur des ouvrages biographiques et critiques consacrés à leur œuvre, un portrait de groupe des usages féministes du théâtre en France, au fil du long XIXᵉ siècle.

À travers cinq parties chronologiques et thématiques sont abordées, en particulier par le biais du concept d’« agentivité » (agency), les ambitions, les idées politiques et théâtrales de ces femmes, leurs mises en pratiques et les conséquences de celles-ci sur l’espace public.

La première partie aborde le théâtre d’Olympe de Gouges sous la Révolution française envisagé comme un « cas extrême », en ce qu’il rassemble, aux prémices de l’ère démocratique, trois dimensions : un contenu féministe, un déploiement de stratégies pour qu’il soit rendu public et les conséquences de ces stratégies et des représentations devant des publics, suivies ou non, à plus ou moins long terme, d’un changement dans la société civile.

Par l’approche de réécritures théâtrales du mythe de Sapho, sous la première République et l’Empire, la deuxième partie apporte un éclairage sur la figure de la femme exceptionnelle telle qu’elle est avancée par trois autrices (Julie Candeille, Constance de Salm, Germaine de Staël). Elles cherchent ainsi à s’auto-promouvoir afin de s’assurer une autonomie grâce à leurs talents, servir leurs carrières et/ou peser par leurs idées au sein de l’opinion en se plaçant en modèle pour toutes les femmes.

Dans un troisième temps, l’analyse porte sur les stratégies de reconnaissance de quatre autrices (Sophie de Bawr, Sophie Gay, Virginie Ancelot et Delphine de Girardin) ayant fait carrière sur les grandes scènes parisiennes sous la censure et le règne des privilèges. Sont examinés les stratégies de sélection de protecteurs/protectrices, leur quête d’une véritable auctorialité, la nécessité de l’anonymat, les éventuelles postures d’obéissances, leur participation à « la comédie hétérosexuelle du pouvoir » (Judith Butler), ou encore leur revendication d’une séparation entre la femme et l’artiste.

Puis, la quatrième partie pose la question d’un théâtre républicain inclusif autours du « moment 1848 » (Michèle Riot-Sarcey) et sous le Second Empire de cinq autrices se revendiquant républicaines (George Sand, Louise Colet, Céleste de Chabrillan, Maria Deraismes, et Juliette Adam) et pour certaines, porteur d’un female gaze (réponse féministe au male gaze théorisé par Laura Mulvey).

Enfin, la cinquième et dernière partie distingue, sous la première moitié de la Troisième République, des scènes militantes et des scènes d’avant-garde de femmes. La forme dramatique est mise au service de combats militants anarchiste (Louise Michel), boulangiste (Gyp) et féministes (Marya Chéliga, Véra Starkoff, Nelly Roussel et Marie Lenéru). Les expérimentations scéniques de certaines artistes (Judith Gautier, Rachilde, Valentine de Saint-Point) participent de la démocratisation, au tournant des siècles, de la représentation de la figure de l’artiste intégrale et de la performeuse.

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