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Lectures et critiques

Rouveret, Alain. 2021. Dans le labyrinthe du langage. Langage et philosophie dans les grammaires de Chomsky

Jacqueline Léon
p. 165-167
Référence(s) :

Rouveret, Alain. 2021. Dans le labyrinthe du langage. Langage et philosophie dans les grammaires de Chomsky. Paris : Honoré Champion. 274 p. ISBN 9782745355454

Texte intégral

1L’ouvrage se donne pour objectif d’expliciter les questions épistémologiques à l’œuvre dans la grammaire générative et transformationnelle (GGT) de Chomsky, des débuts (1955) jusqu’à aujourd’hui. Il interroge sa conception du langage et de la science, l’inscription de la grammaire dans les traditions rationaliste et empiriste, les tentatives d’unification de la science du langage avec les sciences cognitives, la biologie et les neurosciences.

2Ces questions sont abordées au travers de neuf chapitres. L’introduction, constituant le chapitre 1, est suivie du chapitre 2 présentant le premier modèle de GGT de Structures syntaxiques. Suivent 4 chapitres d’ordre épistémologique : le chapitre 3, « Qu’est-ce que le langage ? » ; le chapitre 4, « La question de la science à propos du langage » ; le chapitre 5, « La grammaire générative, la tradition rationaliste et la philosophie empiriste » ; et le chapitre 6, « Un programme pour la théorie linguistique ».

  • 1  Voir le compte rendu paru en 2017 dans HEL 39(1) : 188-190.

3Le chapitre 7 présente les quatre « grandes périodes de la grammaire générative » : (1) période mathématique (1955-1959) ; (2) période formelle et cognitive (1960‑1979) ; (3) période modulaire et paramétrique (1979-1993) ; (4) période minimaliste et biolinguistique (à compter de 1993). Les deux derniers chapitres sont consacrés aux aspects les plus récents de la théorie. Le chapitre 8, « Les ingrédients d’une approche internaliste du langage », probablement le plus technique, dresse un état des lieux critique des travaux récents menés dans le cadre du programme minimaliste (reprenant en partie l’ouvrage de Rouveret publié en 20151). Quant au chapitre 9, intitulé « Solitude de la biolinguistique », il expose les limites des hypothèses chomskyennes, aujourd’hui encore impossibles à vérifier.

4L’ouvrage est complété par une liste des abréviations, une bibliographie, un index nominum et un index rerum. Enfin, il comporte deux annexes : l’une, en début d’ouvrage, fournit des « repères biographiques » ; la seconde, en fin d’ouvrage, donne des éléments sur « la réception de la grammaire générative en France ».

5Alain Rouveret justifie le corpus de textes de Chomsky sur lequel il s’appuie, par le public visé, intéressé davantage par le Chomsky philosophe et historien des idées que par le Chomsky linguiste. Ainsi il se limite aux ouvrages théoriques généralistes de Chomsky et ne se réfère que très peu aux articles techniques. La littérature secondaire (gigantesque, comme on sait) est réduite à un strict minimum. Quant aux exemples, peu nombreux, ils sont réservés aux chapitres les plus techniques – notamment le chapitre 8 (que l’auteur invite d’ailleurs à « sauter » le cas échéant).

6Sur le plan épistémologique, développé au fil des chapitres, Alain Rouveret s’attache à montrer que le programme chomskyen, loin d’être terminé, est toujours en cours, et que les différentes étapes se situent en complète continuité avec le programme de départ. Chaque modification n’est pas issue d’une crise aboutissant à la construction d’une nouvelle théorie et à l’abandon de la précédente, mais est élaborée dans l’objectif de répondre à un nouveau questionnement afin de construire un modèle plus efficace. L’auteur souligne qu’une des composantes essentielles du programme chomskyen à partir des années 2000 est d’aligner la linguistique sur les sciences de la nature, et d’adopter pour ce faire un « style galiléen » : rigueur d’analyse, construction et vérification empirique des hypothèses, formalisation mathématique etc. Toutefois, Chomsky rejette l’approche falsificationniste considérant que, pour progresser, le chercheur doit ignorer les questions qu’il ne peut encore résoudre, en adoptant, à chaque étape, une posture provisoire.

7Il est à noter que le dernier chapitre (chapitre 9) est consacré aux questions soulevées par ce programme minimaliste, qui s’avèrent impossibles à trancher dans l’état actuel des connaissances. Ainsi, l’approche anti-adaptationniste de l’émergence du langage, adoptée par Chomsky et faisant l’objet de violentes controverses, selon laquelle le langage ne serait pas apparu sous l’effet de la sélection naturelle mais grâce à une mutation génétique mineure, est impossible à prouver à l’heure actuelle. On sait également qu’il est impossible de confirmer expérimentalement une relation directe entre la faculté de langage et les structures cérébrales qui la sous-tendent, autrement dit qu’il est impossible de traduire une description linguistique en termes neurologiques. De sorte qu’une perspective d’unification entre la linguistique et la biologie ou les neurosciences ne peut apparaître actuellement que comme très lointaine, et que le linguiste ne peut situer sa recherche qu’à un niveau d’abstraction bien éloigné de tout réalisme.

8Dans sa visée d’explicitation de la pensée chomskyenne, Alain Rouveret multiplie les angles d’attaque. Outre l’ordonnancement des chapitres qui constitue en soi une approche singulière, l’introduction propose sept grandes idées directrices de la GGT, qui seront discutées et justifiées dans l’ouvrage :

(i)

une meilleure compréhension de la nature du langage ouvre la voie à une meilleure connaissance de la nature de l’esprit ;

(ii)

le langage est inné ;

(iii)

le langage est biologiquement fondé ; c’est un objet du monde de la nature ;

(iv)

il n’y a qu’un langage et chaque langue particulière n’est qu’une instanciation spécifique d’un pattern général identique pour toutes les langues ;

(v)

le langage peut être modélisé comme un dispositif doté d’une architecture interne ;

(vi)

on ne peut construire la science du langage qu’en prenant en compte les facultés cognitives avec lesquelles le langage est en relation d’interface, le système de la signification et le système du son ; la syntaxe doit elle-même être conçue comme un système cognitif permettant d’établir la connexion entre la signification des énoncés linguistiques et leur forme sonore ;

(vii)

il est souhaitable, dans l’étude du langage, de faire abstraction de sa fonction de communication ; il faut le concevoir comme un système de connaissance qu’il s’agit de modéliser. (p. 20)

9Un troisième angle d’attaque est proposé à travers cinq problèmes que la théorie chomskyenne se donne pour objectif de résoudre. Exposés dans le chapitre 6, ces problèmes, chacun représenté par un ouvrage emblématique de Chomsky (colonne de droite), seront repris dans les chapitres suivants :

(i)

le problème de Humboldt : qu’est-ce qui constitue la connaissance du langage dans l’esprit du locuteur-auditeur ?

Aspects

(ii)

le problème de Platon : comment cette connaissance est-elle acquise ?

Knowledge of Language

(iii)

le problème de Wallace ou problème de Darwin : comment cette connaissance a-t-elle émergé dans l’espèce ?

Why Only Us

(iv)

le problème de Descartes : comment cette connaissance est-elle utilisée dans la parole ?

Language and Problems of Knowledge

(v)

le problème de Broca : comment cette connaissance est-elle implémentée dans le cerveau ?

Language and Problems of Knowledge

  • 2  C’est le cas notamment des chapitres 1 et 7 : alors que le premier modèle de la GGT développé dans (...)

10L’agencement de l’ouvrage, multipliant ainsi les angles d’attaque, évoque une organisation hélicoïdale (labyrinthique, comme le suggère le titre ?), assez déroutante et suscitant parfois une certaine redondance2. Ainsi, les mêmes questions (mathématisation, grammaire universelle, relation entre langage, grammaires et faculté de langage, unification de la science du langage avec la psychologie, la biologie ou les neurosciences) sont abordées au fil des chapitres successifs, faisant l’objet, chaque fois, d’un développement plus approfondi, comme s’il était impossible de trouver le fin mot des propositions chomskyennes. Sont examinés minutieusement, outre les notions utilisées par Chomsky, les critiques, les contre-arguments et les controverses. Cette redondance, et cet effort incessant d’explicitation, discussion et justification sert l’objectif affiché par Alain Rouveret de suivre pas à pas le programme chomskyen, non pour l’évaluer mais pour en montrer la cohérence interne malgré d’apparents paradoxes ou contradictions.

11On aboutit ainsi à un ouvrage dense, qui, malgré son organisation déroutante, s’avère très pédagogique, et, si l’on accepte de suivre l’auteur dans ses cheminements, constitue une excellente introduction à la pensée chomskyenne.

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Notes

1  Voir le compte rendu paru en 2017 dans HEL 39(1) : 188-190.

2  C’est le cas notamment des chapitres 1 et 7 : alors que le premier modèle de la GGT développé dans Structures syntaxiques est présenté dans le premier chapitre, il est repris dans le chapitre 7 où sont exposées les quatre grandes périodes du programme chomskyen. Outre qu’il induit une certaine redondance, ce choix séparant Structures syntaxiques du reste de l’œuvre peut sembler surprenant. Une des raisons pourrait en être que, pour Rouveret, ce premier modèle, encore ancré dans la tradition distributionaliste et marqué par une caractérisation mathématique et formelle, sera abandonné par la suite.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jacqueline Léon, « Rouveret, Alain. 2021. Dans le labyrinthe du langage. Langage et philosophie dans les grammaires de Chomsky »Histoire Épistémologie Langage, 44-2 | 2023, 165-167.

Référence électronique

Jacqueline Léon, « Rouveret, Alain. 2021. Dans le labyrinthe du langage. Langage et philosophie dans les grammaires de Chomsky »Histoire Épistémologie Langage [En ligne], 44-2 | 2023, mis en ligne le 05 janvier 2023, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/hel/2572 ; DOI : https://doi.org/10.4000/hel.2572

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Auteur

Jacqueline Léon

CNRS, Université Paris Cité, HTL

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