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Une formation sans sélection d’une élite scientifique et technique ? L’évaluation au Colegio Militar de Bogota (1848-1884)

Training a scientific and technical elite without selection? Evaluation at the Colegio Militar de Bogota (1848-1884)
Bertrand Eychenne
p. 9-46

Résumés

Cet article souhaite interroger les relations entre l’évaluation, la sélection et la formation des élites à partir de l’exemple d’une école fondée en Amérique du Sud au milieu du XIXe siècle. Le Colegio Militar de Bogota, dont l’objectif est de former des officiers de l’armée et des ingénieurs civils, offre l’opportunité de remettre en question certains liens établis par l’historiographie entre ces trois éléments. La nécessité de renforcer l’indépendance de la nouvelle République et le manque de ressources poussent le pouvoir colombien à limiter la sélection pour privilégier une forme de rentabilité de l’investissement financier consenti pour l’établissement en visant à amener le plus grand nombre d’élèves possible au terme du cursus. Par ailleurs, nous verrons que l’analyse des différents aspects de l’évaluation s’avère un outil heuristique pertinent pour l’étude d’une institution éducative. Elle apporte en effet des exemples précis de dispositifs pédagogiques et des éclairages sur l’esprit dans lequel est établi son programme d’études. Enfin, le cas de l’école d’ingénieurs colombienne montre que les procédures d’évaluation participent aux échanges transnationaux qui interviennent dans le domaine de l’éducation au XIXe siècle.

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Texte intégral

  • 1 Nous envisageons ici les élites dans un sens large d’individus ayant acquis une culture ou un stat (...)
  • 2 Pour l’enseignement et l’évaluation à l’École des Ponts et Chaussées et à l’École du Génie de Mézi (...)
  • 3 Boris Noguès, Une archéologie du corps enseignant, Paris, Belin, 2006 ; Marie-Madeleine Compère, D (...)
  • 4 Bruno Belhoste, « Anatomie d’un concours. L’organisation de l’examen d’admission à l’École polytec (...)

1En France, notamment depuis le XVIIIe siècle, la formation des élites scientifiques et techniques est largement associée à la sélection1 : une sélection fondée tout d’abord sur des critères de naissance ou de recommandation comme à l’École des Ponts et Chaussées dès 1747 ou à l’École du Génie de Mézières à partir de 17482, mais aussi sur l’émulation et la compétition entre élèves, dans la lignée d’une tradition remontant aux collèges jésuites du XVIe siècle3. Elle se développe au XIXe siècle avec la multiplication des concours et des classements qui deviennent, comme le souligne Bruno Belhoste, « le trait saillant du recrutement des élites en France », voire de leur reproduction4.

2Le cas du Colegio Militar (l’École militaire) de Bogota permet d’aborder ces questions sous un angle nouveau. La distance historique, géographique et culturelle offerte par l’étude de cet établissement fondé au milieu du XIXe siècle en Amérique du Sud permet en effet de reconsidérer des représentations bien ancrées en France comme, par exemple, le lien étroit établi par « l’élitisme républicain » entre la formation des ingénieurs et leur sélection sur concours. Le Colegio Militar, établi en 1848 après l’indépendance de la Colombie en 1819 dans le but de former des ingénieurs civils et militaires, apporte ce décentrement du regard. Il présente en effet un système d’évaluation qui, bien que destiné à former scientifiquement une élite technique, évite la sélection. En scrutant son fonctionnement et son évolution au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle, nous pourrons par ailleurs montrer comment la position centrale de l’évaluation au sein du curriculum en fait un élément heuristique pertinent pour l’étude d’institutions éducatives.

3Nous nous appuyons ici essentiellement sur des sources primaires : des documents recueillis dans les archives du Secrétariat de la Guerre ou de la Universidad Nacional concernant le Colegio Militar et l’université qui l’intègre entre 1868 et 1880, mais aussi des demandes de bourses de familles. Les textes de loi ou des décrets du gouvernement qui les complètent ont été publiés au Journal officiel (Diario Oficial) ou dans la compilation de la Codificación Nacional réalisée dans la première moitié du XXe siècle.

4Dans un premier temps, nous présenterons le contexte politique de la création du Colegio Militar et les objectifs qui lui sont assignés par le pouvoir. Ceux-ci se reflètent dans la procédure d’admission des élèves en deux temps. Ensuite, partant du constat que les processus de sélection sont étroitement liés au système d’évaluation, nous analyserons celui adopté par l’école d’ingénieurs colombienne. Enfin, nous nous pencherons plus particulièrement sur l’utilisation qui est faite de l’évaluation en vue de contrôler les parcours scolaires des élèves et d’assurer autant que possible la formation professionnelle du plus grand nombre d’entre eux.

I. La question de la sélection dans la formation des ingénieurs colombiens au XIXe siècle

  • 5 Franck Safford, El ideal de lo practico, El desafío de formar una élite técnica y empresarial en C (...)
  • 6 On peut dégager quatre périodes du Colegio Militar entre 1848 et 1884 : de 1848 à 1854 l’école s’é (...)
  • 7 Bertrand Eychenne, Le Colegio Militar de Bogota (1848-1884). La mise en place d’un enseignement su (...)

5Le Colegio Militar est fondé en 1848 comme un établissement destiné à former à la fois des officiers de toutes les armes et des ingénieurs civils devant participer au développement économique de ce que l’on appelle alors la Nouvelle Grenade. Malgré son rôle clé dans la mise en place d’un enseignement scientifique dans ce pays sud-américain, cette école est restée longtemps en marge de l’historiographie colombienne. Jusqu’à récemment, les travaux qui l’évoquaient ne l’étudiaient pas pour lui-même et n’en ont livré qu’une vision partielle, plus large du point de vue chronologique, mais plus restreinte du point de vue de l’angle considéré5. Notre contribution propose une approche intégrant à la fois une vision plus globale du Colegio Militar depuis son ouverture en 1848 jusqu’à sa division en deux établissements distincts en 18846, mais aussi les différents aspects de son fonctionnement en lien avec le pouvoir politique, l’économie et la société7.

  • 8 Voir Pierre Bourdieu, Jean-Claude Passeron, Les héritiers, Paris, Les Éditions de Minuit, 1985 ; P (...)

6Les questions liées à la formation des élites ont été abordées en France dans de nombreux travaux tant historiques que sociologiques. On a pu ainsi rechercher les mécanismes de fabrication, de reproduction ou de légitimation de ces élites et s’interroger sur le rôle joué par les institutions scolaires dans ces processus, notamment dans le cadre des écoles militaires et d’ingénieurs8. Ces travaux montrent l’importance donnée aux procédures de sélection et en particulier au concours. Le cas du Colegio Militar nous permet d’envisager ici une autre approche de la formation des élites scientifiques et techniques et de questionner le rôle qu’y jouent l’évaluation et la sélection. Est-il nécessaire d’introduire de tels mécanismes de sélection dans ces filières d’excellence ?

7Mais, avant d’aborder ces questions, et pour comprendre les missions confiées à l’établissement, commençons par examiner les contextes politique et social qui ont accompagné la création du Colegio Militar.

1. Former des « citoyens utiles »

  • 9 Préambule de la loi du 6 août 1821, sobre aplicación a la enseñanza pública de los bienes de conve (...)
  • 10 Jeremy Bentham, An introduction to the principles of morals and legislation, Londres, T. Payne, 17 (...)
  • 11 Manuel Arteaga Hernandez, Jaime Arteaga Carvajal, Historia política de Colombia, Bogota, Planeta, (...)

8Après l’émancipation de la Colombie vis-à-vis de la Couronne d’Espagne en 1819, ses dirigeants, portés par l’élan révolutionnaire, voient dans l’éducation « l’un des moyens les plus puissants et les plus sûrs pour consolider la liberté et l’indépendance »9. L’instruction publique devient ainsi l’un des domaines privilégiés de l’action du pouvoir politique. Elle concentre plusieurs objectifs : renforcer la stabilité de l’État, asseoir la légitimité du régime, former les citoyens à leurs droits comme à leurs devoirs, favoriser le développement économique et matériel du pays. Dès les années 1830, un groupe d’hommes politiques se forme autour du général Francisco Paula de Santander (1792-1840) et porte un projet progressiste influencé par l’utilitarisme de Jeremy Bentham (1748-1832) qui prône la recherche du plus grand bonheur possible pour le plus grand nombre10. Ce courant se rapproche progressivement du mouvement libéral pour donner naissance au parti du même nom en 1848. Ce dernier domine dès lors la scène politique et, sous la présidence de José Hilario López (1798-1869) de 1849 à 1853, adopte toute une série de mesures renforçant les libertés individuelles : suppression de l’esclavage et de la peine de mort, liberté de la presse, liberté de culte11.

  • 12 Sur le situation économique et financière de la Colombie après l’indépendance, voir Jorge Orlando (...)

9Le mouvement libéral est avant tout politique, mais progressivement des mesures économiques en faveur du libre-échange sont prises. Celles-ci peuvent toutefois aussi bien être interprétées comme un signe d’impuissance d’un pouvoir exécutif dont les ressources sont limitées que comme la manifestation d’une ligne idéologique. En effet, au poids de la dette extérieure s’ajoutent des difficultés structurelles liées à une économie morcelée, dépourvue d’industries, tournée essentiellement vers l’exportation des productions minières et agricoles et dont le développement est freiné par le manque de voies de communication12.

  • 13 Loi no 1776 du 1er juin 1847, sobre establecimiento de un colegio militar, Codificación Nacional, (...)
  • 14 Anales de Ingeniería, vol. 8, 1895, p. 78.

10Le Colegio Militar est créé, sur le plan institutionnel, en 1847 dans ce contexte politique et économique comme un établissement visant tout d’abord à renforcer la défense nationale afin de consolider l’indépendance. Cependant, dans les mois qui suivent, le gouvernement libéral décide de réduire l’armée au profit de milices citoyennes. Le besoin en infrastructures aidant, la formation d’ingénieurs civils devient, jusqu’aux années 1880, le principal objectif de l’établissement. Liant la question de la construction nationale aux idées utilitaristes, le pouvoir assume le financement de l’école en promettant la formation de « citoyens utiles » dont il est attendu qu’ils soutiennent les institutions et contribuent par la suite au développement matériel du pays. La loi de 1847 fondant le Colegio Militar annonce ainsi l’intention du gouvernement d’employer les élèves issus de l’école « pour les affaires propres à leur profession, dans les établissements d’enseignement public, et comme arpenteurs facultatifs »13. Toutefois, aucun corps de serviteurs de l’État n’est créé, comme c’est par exemple le cas en France, et, dans les décennies qui suivent, le gouvernement continue de privilégier le recours à des ingénieurs étrangers pour des travaux d’envergure. Par ailleurs, la profession d’ingénieur civil reste très largement méconnue et, si l’on en croit l’ingénieur Diodoro Sánchez, ceux qui voudraient s’y engager apparaissent aux yeux de leurs concitoyens comme des personnes « animées d’un désir étrange »14. Le statut ne fait donc guère l’objet d’une valorisation sociale, contrairement aux carrières de médecin, d’avocat ou d’homme politique. Avec le Colegio Militar, le principal objectif poursuivi par les dirigeants est donc de favoriser l’émergence de professions nouvelles nécessaires au développement national. Pour le reste, le développement industriel, la construction immobilière, l’établissement d’infrastructures, l’État compte sur l’esprit d’initiative des individus.

  • 15 Alejandro Osorio, Informe del secretario de gobierno de la Nueva Granada al Congreso Constituciona (...)

11Enfin, le Colegio Militar s’insère dans un système d’instruction publique qui rencontre de nombreuses difficultés, malgré l’intérêt que lui porte la classe politique. Les réformes des premières années de la République n’ayant pas porté leurs fruits, le secrétaire d’État de l’intérieur, Alejandro Osorio (1790-1863), attire ainsi l’attention des parlementaires, en 1847, en affirmant que « le temps est venu de donner une meilleure direction à l’instruction publique, de faire disparaître l’instruction fausse et apparente, de réduire les professions aux nécessités de la société, de faire en sorte que ceux qui se consacrent aux études obtiennent toute l’étendue et la profondeur des connaissances que demande leur profession ou qu’il est possible d’acquérir, d’ouvrir de nouvelles voies aux savoirs utiles et profitables en déviant la jeunesse des uniques et exclusives professions du droit et de la médecine »15.

2. Un établissement ouvert à toutes les origines sociales et géographiques

12L’un des objectifs poursuivis par l’État colombien avec la création du Colegio Militar est de doter le pays d’individus pouvant participer à l’exploitation de ses ressources naturelles et à son développement matériel. Il est nécessaire d’attirer des élèves vers les carrières méconnues d’arpenteur-géomètre, d’ingénieur civil ou d’enseignant de sciences.

13Ses fondateurs mettent pour cela en place, dès 1848, un système de bourses qui constitue un élément central du fonctionnement de l’établissement. En effet, s’il est possible de mettre la scolarité au Colegio Militar aux frais des familles comme externe ou pensionnaire, les données statistiques dont nous disposons indiquent clairement que, sur l’ensemble de la période allant de 1848 à 1884, les effectifs sont très largement constitués d’élèves boursiers. Leur nombre varie considérablement, de 27 à 200 selon les années avec une moyenne annuelle de 54 boursiers, mais il suit les effectifs de l’école dont la moyenne se situe autour d’une soixantaine d’élèves. On peut donc estimer que le nombre de non boursiers est inférieur chaque année à une dizaine d’élèves, alors que 40 places d’externes et 30 d’internes leur sont réservées par la loi fondatrice de 1847.

  • 16 Loi no 1776 du 1er juin 1847, sobre establecimiento de un colegio militar, Codificación Nacional, (...)

14Ces bourses, comme souvent au XIXe siècle, ne prennent pas la forme d’une somme d’argent remise à la famille, mais interviennent comme une prise en charge de l’élève par l’État qui lui garantit la pension complète à l’internat, la remise d’uniformes, de livres et de fournitures scolaires16.

  • 17 Valerio Barriga, Informe del secretario del despacho de Guerra de la Nueva Granada presenta al Con (...)
  • 18 La République de Nouvelle-Grenade compte 22 provinces en 1847 et ce nombre augmente progressivemen (...)
  • 19 Les États-Unis de Colombie comprennent alors huit « États souverains », puis neuf à partir de 1863 (...)
  • 20 Aucune disposition particulière n’est toutefois prise pour les disséminer. Valerio Barriga, Inform (...)

15Le système des bourses ne vise pas seulement à détourner des élèves des carrières traditionnelles du droit et de la médecine. Il doit également permettre, comme l’affirme le secrétaire de la Guerre en 1853, « que s’ouvrent les portes de l’instruction à toutes les classes de la société »17. Mais le gouvernement tient aussi à renforcer l’unité nationale en permettant à des élèves des différentes provinces du pays d’étudier au Colegio Militar. Dès 1847, la loi créant l’école prévoit à cet effet une place de boursier pour chacune des vingt-deux provinces18. Les réformes successives maintiennent cette disposition et même la renforcent après l’adoption, en 1858, par la Nouvelle Grenade d’un système fédéral qui conduit à attribuer huit bourses par État19. À partir de 1877, ce nombre dépend du nombre d’habitants de chaque État et d’éventuelles bourses supplémentaires qu’ils financent parfois. La distribution géographique des bourses vise à contrebalancer la centralisation que représente l’installation du Colegio Militar soutenue par l’État fédéral dans la capitale Bogota. Mais elle souligne également la préoccupation des dirigeants de maintenir une cohésion nationale face aux divisions régionales exacerbées par les velléités de pouvoir ou d’indépendance de chefs de guerres locaux qualifiés de caudillos. Avec le Colegio Militar, le gouvernement prévoit, comme l’indique le secrétaire de la Guerre en 1851, que lorsque « les élèves termineront leurs études, ils seront disséminés dans toutes les provinces de la République pour s’occuper, pour un certain nombre d’entre eux, de la conception des routes, pour d’autres, de la construction de bons et élégants édifices, et pour quelques-uns enfin, de la formation des ponts et chaussées »20.

  • 21 Agustin Codazzi, « Colejio Militar. Ideas sobre la perspectiva futura del Colejio militar que pres (...)

16Ce système de répartition des bourses rejoint d’ailleurs l’idée que l’investissement consenti par l’État porte sur la formation d’ingénieurs civils plutôt que sur les emplois dans la fonction publique. Une réponse au retour sur investissement que peut malgré tout espérer le gouvernement est donnée en 1849 par Agustín Codazzi, l’inspecteur de l’école en charge de la discipline. Dans un rapport qu’il adresse au gouvernement, il propose de répartir les élèves formés par le Colegio Militar sur l’ensemble du territoire pour qu’« ils puissent travailler dans leur profession et de cette manière rétribuer leur patrie des dépenses faites pour les éduquer »21.

  • 22 Ces lettres sont rassemblées pour la plupart dans les tomes 770 et 979 du fonds du Secretario de G (...)

17L’effet attractif exercé par les bourses sur les familles peut être évalué en partie au travers des demandes que les candidats et leurs parents adressent au pouvoir exécutif dans l’espoir d’être admis au Colegio Militar. L’étude de 163 lettres envoyées au gouvernement entre 1848 et 188422 pour demander une place à l’école et éventuellement une bourse permet de cerner à la fois les motivations des familles pour que leur enfant étudie au Colegio Militar et les raisons pour lesquelles elles estiment mériter une aide de l’État.

  • 23 AGN, fonds du Secretario de Guerra y Marina, t. 770, fol. 689.
  • 24 Ibid., t. 979, fol. 3.

18L’importance du système des bourses est indiscutable puisqu’elles sont presque systématiquement demandées. Le manque de ressources est évoqué en premier lieu par plus de la moitié des familles (53 %), qui insistent sur leur situation précaire et sur leur difficulté d’accès à l’enseignement. Ainsi, le père de famille Tomas Policarpo explique en 1850 qu’à cause de « son extrême pauvreté et sa grande famille, [il n’a] absolument pas les ressources pour éduquer même un seul de [ses] quatre garçons »23. Mais des parents de classes plus favorisées aspirent également à bénéficier d’une aide de l’État, comme Manuel Benitez, fils d’un héros de l’indépendance, qui estime qu’à cause des impôts son « seul travail ne peut produire suffisamment pour donner à [sa] famille le rang qu’elle doit tenir »24. Comme lui, d’autres familles (27 % des demandes) de milieux divers se fondent sur des services rendus à l’État ou sur le sacrifice d’un aïeul ou d’un proche durant la guerre d’indépendance ou l’une des nombreuses guerres civiles. On observe notamment que parmi eux, les orphelins ne sont pas rares (14 %) ainsi que les fils de militaires (10 %).

  • 25 Ibid., t. 770, fol. 756.

19Par ailleurs, les lettres restent vagues sur les projets professionnels des candidats. Ceux-ci sont peu mis en avant : 12 % des familles indiquent vouloir que leur enfant suive des études scientifiques et seulement 10 % une carrière militaire. L’aide matérielle du gouvernement semble donc souvent primer sur le choix de la carrière comme le montre la lettre d’autre père de famille qui, en 1852, demande une bourse pour que son fils étudie au Colegio Militar « et, à défaut de celui-ci, dans n’importe quel autre établissement où il pourrait être placé sous les auspices du Gouvernement »25.

3. La réception des candidatures : le respect des textes et la recherche d’un « amour de l’étude »

  • 26 À partir des années 1860, avec l’adoption du système fédéral, la décision est confiée au pouvoir e (...)

20L’admission des élèves au Colegio Militar se compose de deux phases. La première consiste dans l’approbation ou non du candidat par le secrétaire de la Guerre qui se base uniquement sur la demande écrite et ne recourt donc à aucun concours, ni classement26. Comme nous l’avons vu, l’attribution de bourses est étroitement liée à cette procédure. Les demandes sont transmises par les gouverneurs des provinces qui peuvent mettre en avant certaines d’entre elles, mais aucune présélection locale particulière ne semble mise en place. Les sources incomplètes dont nous disposons ne permettent pas d’établir les proportions d’admis et de refusés mais les refus sont rares (7 sur 163) et correspondent à des élèves trop jeunes, au fait que toutes les bourses ont déjà été attribuées ou qu’un frère en bénéficie déjà.

  • 27 C’est ce que suggèrent les documents d’archives dont nous disposons, mais il est possible que des (...)

21Le pouvoir exécutif veille tout d’abord au respect des conditions établies par les textes officiels, à savoir : être Colombien, avoir entre 14 et 20 ans et être vacciné contre la vérole. De plus, le gouvernement tient à ce que les places réservées à chaque province soient occupées par des candidats qui en sont originaires. Mais lorsque des provinces ne sont pas représentées, ces places sont malgré tout pourvues temporairement sans tenir compte du critère géographique. Il est possible que d’autres critères soient envisagés mais, jusqu’en 1854, aucun n’est clairement énoncé par le gouvernement qui semble traiter les demandes au fur et à mesure qu’elles lui parviennent sans chercher à les rassembler pour les classer27.

  • 28 Décret du 3 février 1871, que establece reglas para la admisión en la Universidad Nacional de los (...)
  • 29 Loi 69 no 3235 O, du 1er juin 1877, que crea la Escuela de Ingeniería Civil y Militar independien (...)
  • 30 Décret n°504, du 26 novembre 1879, sobre organización de la Escuela de Ingeniería Civil y Militar, (...)

22Entre 1868 et 1880, le Colegio Militar intègre la Universidad Nacional et devient la Escuela de Ingénieria (l’École d’ingénieurs). Les bourses sont alors partagées entre les élèves de l’école et ceux des facultés de sciences naturelles et des arts et métiers. Voulant par ailleurs valoriser l’investissement réalisé dans l’éducation supérieure, l’État décide de rendre plus contraignantes les conditions d’attribution des bourses, mais celles-ci apparaissent davantage comme des garanties que le candidat mènera ses études à leur terme que comme des critères de sélection. En 1871, les qualités recherchées chez les candidats apparaissent dans les textes officiels. Elles sont d’ordre moral et intellectuel : « une conduite sans tache, amour de l’étude, aptitudes notoires »28. De plus, la préférence doit être accordée aux élèves les plus avancés dans les études, puis aux plus pauvres, à ceux montrant les meilleures dispositions, et enfin aux candidats justifiant une conduite exemplaire. À partir de 1877, les élèves boursiers doivent s’engager à terminer leurs études puis « à prêter leurs services, soit dans l’Armée, soit comme instituteurs dans les établissements nationaux d’éducation ou comme ingénieurs dans les ouvrages militaires qui sont exécutés par la Nation »29. Enfin, lorsqu’en 1879 le Colegio Militar est séparé de l’université pour renforcer sa vocation martiale, des critères de santé et de constitution physique apparaissent. Tout candidat doit dès lors être examiné par deux médecins qui vérifient « s’il dispose d’une condition physique vigoureuse et ne souffre d’aucun vice, ni de défaut quelconque qui le rendrait incapable de supporter les fatigues de la carrière militaire »30.

  • 31 AGN, fonds du Secretario de Guerra y Marina, t. 770, fol. 617.
  • 32 Loi 69 no 3235 O, du 1er juin 1877, que crea la Escuela de Ingeniería Civil y Militar independient (...)
  • 33 Pour des travaux portant sur les bourses en France et leur attribution, voir : Marie-Madeleine Com (...)

23Sur l’ensemble de la période, la qualité, pour les pères des candidats, de serviteur de l’État n’est pas avancée comme un critère recherché, mais il semble qu’elle agisse parfois en faveur de certains d’entre eux. Ainsi, en 1849, le gouverneur de Bogota appuie les demandes venant de sa région en affirmant que « si quelques-uns ont droit à ce que la République fournisse à leurs enfants une éducation, ce sont ceux à qui elle doit des services utiles »31. De manière plus conjoncturelle, une loi de 1877 indique que les bourses de cette année-là reviennent de préférence à des enfants dont les parents sont morts en soutenant le gouvernement durant la guerre civile de 187632. Toutefois, le pouvoir reste discret sur l’importance accordé à ce critère et les commentaires des secrétaires de la Guerre indiquent que si les bourses du Colegio Militar ont pu servir à récompenser ponctuellement certaines familles (des militaires ou des médecins), cette préférence s’avère moins marquée qu’en France pour l’attribution des bourses des collèges royaux33.

  • 34 Juan N. Mateus, Memoria del Secretario de Guerra i Marina, Bogota, Imprenta de La Luz, 1883, p. 10

24Enfin, l’attribution des bourses doit également jouer un rôle social. Cet aspect est notamment mis en avant en 1883 par le secrétaire de la Guerre Juan Mateus, pour qui l’intention du pouvoir en créant l’école était de « donner une éducation aux jeunes pauvres qui par leurs vertus et leurs mérites et par le manque de ressources de leurs parents seraient dignes de cette faveur ». Mais en ajoutant qu’« il est naturel de supposer que ces jeunes ne possèdent qu’une éducation élémentaire »34, Mateus pose immédiatement la question du niveau d’instruction requis pour suivre un enseignement supérieur scientifique et, par suite, le problème de son évaluation.

4. Un examen d’entrée pour vérifier les prérequis

25Après l’examen des demandes écrites, la procédure d’admission au Colegio Militar comprend un deuxième volet qui porte sur les connaissances attendues pour intégrer l’école et prend la forme d’un examen d’entrée.

  • 35 Voir par exemple, pour le certificat d’études primaires, Patrick Cabanel, La République du certifi (...)
  • 36 Bruno Belhoste, « L’examen, une institution sociale », Histoire de l’éducation, n° 94, 2002, p. 6.

26On le sait, les examens constituent des temps forts du parcours scolaire et souvent de la vie des candidats35. Comme le rappelle Bruno Belhoste, ils comportent deux étapes : l’épreuve et le jugement36. Ce dernier est la finalité de l’examen et donne lieu essentiellement à des verdicts de niveau ou à des verdicts de classement. L’examen d’admission du Colegio Militar se situe dans la première catégorie. Son caractère est prédictif et son but consiste à vérifier que les candidats possèdent les notions et les capacités nécessaires pour suivre le cursus proposé par l’établissement.

  • 37 Décret n1797 du 20 juillet 1847, orgánico del colegio militar, Codificación Nacional, t. 12, op  (...)

27L’épreuve, conduite par des enseignants de l’école, est orale et dure trente minutes. Elle doit déterminer si les candidats savent lire et écrire correctement le castillan (une dictée est prévue), s’ils possèdent des notions d’arithmétique (opérations sur les nombres entiers, les fractions et les nombres composés, connaissance de la proportionnalité et du système décimal), d’algèbre (équations jusqu’au second degré, puissances et extraction de racines) et de géométrie (droites et cercles, mesure d’aires et de volumes, géométrie dans l’espace) et, enfin, s’ils peuvent traduire le français ou l’anglais (cela pour leur permettre de consulter les ouvrages étrangers de la bibliothèque de l’école)37.

28Aucun classement n’est établi entre les candidats à l’issue de cette épreuve. D’ailleurs ceux-ci sont admis ou refusés au fur et à mesure de leur passage et l’école n’attend pas d’avoir évalué tous les candidats pour remettre son avis. Celui-ci est donc purement individuel et ne prend à aucun moment en compte l’ensemble des candidats. Par ailleurs, la volonté de se limiter à une vérification du niveau sans introduire un autre moyen de sélection est marquée par la possibilité pour les candidats ayant obtenu une note « moyenne » de repasser une deuxième épreuve. Les statistiques dont nous disposons pour les premières années d’existence du Colegio Militar (1848-1854) indiquent qu’en moyenne, les deux tiers des candidats (sur un effectif annuel moyen de vint-et-un) sont admis et que près de 20 % d’entre eux se représentent à l’examen. La plupart des autres rejoignent la classe préparatoire que nous évoquerons plus loin. Toutes les dispositions sont donc prises pour que les candidats aient toutes leurs chances d’intégrer l’école.

  • 38 AGN, fonds du Secretario de Guerra y Marina, t. 968, fol. 240.
  • 39 Henry Lemly, « Informe del Director Jefe de Estudios de la Escuela Militar », in Juan N. Mateus, M (...)

29Au reste, les commentaires des examinateurs montrent bien qu’ils ne cherchent pas à établir une sélection des meilleurs, mais qu’ils se heurtent plutôt au faible niveau des candidats. Leurs rapports indiquent par exemple qu’ils sont parfois contraints de limiter leurs questions à des connaissances minimales, comme par exemple pour cet élève admis en 1867, qui « sait lire et écrire moyennement, a des notions de grammaire et comprend un peu l’arithmétique »38. Ces difficultés, qui reflètent les faiblesses du système éducatif colombien, poussent la direction de l’école à s’adapter à plusieurs reprises en réduisant les exigences. Mais ces adaptations se répercutent par la suite sur le déroulement des cours et affectent les élèves comme les enseignants. En 1880, le directeur Henry R. Lemly résume cette situation en affirmant que l’établissement a pêché par témérité en admettant « des enfants de moins de quatorze ans ou qui parviennent difficilement à écrire leur nom »39.

30Ce système d’admission en deux temps suit par conséquent un schéma et des objectifs bien différents de ceux associés à la « méritocratie ». La sélection, placée entre les mains de l’exécutif, est modérée. Le pouvoir, dans une logique utilitariste, cherche plutôt à garantir le bon fonctionnement de l’école qu’il soutient financièrement en lui permettant, notamment grâce aux bourses, d’admettre chaque année le nombre d’élèves dont l’État en fonction de ses ressources peut assurer la formation, puis en incitant ceux-ci à s’engager au terme de leurs études dans la défense ou le développement matériel du pays. L’institution doit par conséquent s’adapter au niveau des candidats, afin de s’insérer dans la réalité du système éducatif en place.

5. Une classe préparatoire pour pallier les faiblesses de l’instruction publique

  • 40 Bruno Belhoste parle de « système polytechnicien ». Bruno Belhoste, La formation d’une technocrati (...)

31Le Colegio Militar ne peut compter sur un dispositif qui comprendrait en amont un enseignement préparatoire et en aval des écoles d’application, comme c’est le cas en France avec l’École polytechnique40. La solution au faible niveau des candidats doit par conséquent être apportée par l’établissement lui-même. Dès son ouverture en 1848, une classe préparatoire est créée au sein de l’école, de manière provisoire d’abord, puis permanente à partir de 1850, grâce à l’insistance des enseignants et du directeur de l’école mais aussi, nous le verrons, pour des raisons politiques.

32Cette classe préparatoire est prévue pour accueillir les élèves sans condition particulière. Elle a pour le but de leur donner les bases nécessaires pour être admis en première année, à savoir, les prérequis attendus en castillan, mathématiques et français. Toutefois, le contexte politique donne rapidement à cet enseignement une fonction éducative et sociale plus ample.

  • 41 Jaime Jaramillo Uribe, « Las sociedad democráticas de artesanos y la coyuntura política y social c (...)

33Durant les années 1850, l’opposition entre les partis libéraux et conservateurs confère une importance électorale particulière aux classes moyennes et populaires qui s’impliquent de plus en plus dans la vie politique. Souvent désignés par le terme générique d’« artisans » (artesanos), ces citoyens ne représentent pas seulement des métiers manuels, mais les secteurs intermédiaires de la société, dotés d’un revenu régulier. Le parti libéral au pouvoir se rapproche de ce groupe en fondant des « Sociétés démocratiques » (Sociedad democraticas) dont l’objectif est d’« enseigner au peuple ses droits et ses devoirs, de moraliser les habitudes et d’éclairer les croyances religieuses »41.

  • 42 Miguel Bracho, Informe sobre las ventajas que puede reportar el Colejio Militar i la clase de arte (...)
  • 43 Décret no 1961 B bis, du 21 décembre 1849, que establece una escuela preparatoria en el colegio mi (...)

34Le professeur Miguel Bracho, en charge de la classe préparatoire du Colegio Militar, entrevoit rapidement la possibilité de rapprocher cet enseignement dispensé par l’école du mouvement initié par les Sociétés démocratiques. Dans un rapport qu’il remet au gouvernement en 1849, Bracho estime que les artisans « manquant d’éléments, n’ayant que le cercle étroit de leurs idées, et étant stationnaires dans leurs travaux traditionnels »42 ont besoin de l’aide du gouvernement. Ce dernier doit par conséquent chercher des moyens de leur apporter son soutien, sans entraîner de nouvelles dépenses, en étendant les formations dispensées dans des établissements déjà existants. La classe préparatoire du Colegio Militar entre dans cette catégorie et Bracho invite le pouvoir exécutif à augmenter sa capacité, pour donner des notions générales de mathématiques à des jeunes gens qui pourraient les mettre en pratique dans le cadre de leur métier mais ne pourraient pas les acquérir autrement. Cet argument semble convaincre le gouvernement qui, en 1850, installe de manière permanente la classe préparatoire sans fixer pour celle-ci d’effectif maximum et en la destinant aux « fils des classes artistiques, agricoles et ouvrières qui pour des circonstances particulières sont empêchés d’acquérir par la suite les connaissances utiles en relation avec leurs métiers respectifs »43.

  • 44 Carlos Martin, Secretaria de lo Interior y Relaciones Esteriores, Memoria al Congreso Nacional, Bo (...)

35Cette idée d’une éducation post-élémentaire des classes populaires relevant directement de la responsabilité de l’État ressurgit lors de la création de la Universidad Nacional en 1868. Le secrétaire de l’Intérieur Carlos Martin remarque alors que « pour la première fois, les classes laborieuses, le peuple déshérité qui travaille et qui souffre, trouvent dans le pays des enseignements qui leur permettent d’accéder gratuitement aux connaissances nécessaires pour vivre de l’effort de leurs bras »44. Pour le Colegio Militar qui intègre alors l’université, il n’est plus nécessaire d’assurer la formation préparatoire. Celle-ci est alors fournie par une autre composante de l’université, l’École de littérature et philosophie, qui apporte, dans un programme de cinq années s’adressant à des élèves d’au moins neuf ans, un enseignement basé sur les humanités.

36Le faible niveau des élèves reste cependant une préoccupation majeure du Colegio Militar, qui recherche un système d’évaluation du curriculum permettant au maximum d’élèves étudiant déjà dans l’école de mener leurs études scientifiques et techniques à leur terme.

II. L’évaluation au cœur du curriculum

  • 45 Jean-Claude Forquin, « Curriculum », in Philippe Champy, Christiane Étévé (dir.), Dictionnaire enc (...)

37L’évaluation au sein du Colegio Militar ne se réduit pas aux procédures d’admission. Elle intervient également dans les processus de transmission et d’apprentissage et, plus généralement, constitue un élément central du curriculum. Nous envisageons ce dernier comme un parcours éducatif constitué d’expériences d’apprentissage dans le cadre d’une institution scolaire. Cette notion permet en effet d’accéder à une vision de « l’ensemble des composantes de l’expérience scolaire »45, c’est-à-dire, l’acquisition de savoirs, de savoir-faire, et de comportements.

38Le programme d’études adopté par le Colegio Militar repose sur l’instruction militaire, le dessin et les mathématiques (tableaux 1 et 2). Celles-ci tiennent d’ailleurs une place prédominante dans ce cursus qui aspire à donner en premier lieu les fondements du raisonnement scientifique et des connaissances considérées comme universelles permettant aux élèves de s’adapter à des situations diverses. Pour cette raison, les exemples que nous utiliserons dans ce qui suit concernent essentiellement les mathématiques.

Tableau 1 : programme du Colegio Militar entre 1848 et 1872

Classe préparatoire Orthographe et grammaire castillane, traduction du français ou de l’anglais, arithmétique, algèbre jusqu’aux équations du second degré, géométrie élémentaire, cosmographie et géographie, dessin linéaire.
Mathématiques 1re année : arithmétique, algèbre, géométrie euclidienne et pratique, trigonométrie.
2e année : géométrie analytique, géométrie descriptive et ses applications à la perspective et à la théorie des ombres.
3e année : calcul différentiel et intégral, mécanique.
4e année : machines, cosmographie et géodésie, routes, ponts et chaussées, voûtes, application de la géométrie descriptive aux machines et à la coupe des pierres.
Dessin 1re année : dessin linéaire, lavis, tracé de coupes et de vues, réalisation de modèles.
2e année : dessin linéaire, gouache, représentation des accidents du terrain, application des principes de la géométrie descriptive.
3e et 4e année : le dessin d’architecture et construction de modèles d’architecture. Classe spéciale militaire : tracé de plans, profils, reliefs et modèles de fortifications, batteries, édifices et fabriques militaires, objets du matériel du génie et d’artillerie.
Législation militaire Instruction de la recrue, obligations des classes inférieures et supérieures, service intérieur des corps, de garnison et de campagne, mode d’assurer la fonction de procureur, de secrétaire, de défenseur et des administrateurs des conseils de guerre.
Enseignement pratique Pratique sur le terrain d’exercices militaires et de gymnastique, escrime, tir au pistolet, équitation et natation.
Classe générale militaire (carrières militaires : infanterie, cavalerie, état-major, génie) Organisation, armement, uniforme, équipement, mobilité et subsistance de la force armée en temps de paix ou de guerre, tactiques d’infanterie et de cavalerie, marches et manœuvres militaires, topographie et reconnaissances militaires, stratégie, service des états-majors, castramétation et partie politique de la science de la guerre.
Classe spéciale militaire (carrières militaires) Fortifications permanente et de campagne, mines, ponts militaires, attaque et défense des places et points fortifiés, constructions du domaine des ingénieurs et leurs matériaux, planification des travaux.
Génie civil (carrière d’ingénieur civil) Série variée de calculs, travaux, graphiques, mémoires écrits et opérations pratiques sur les machines, construction civile, arpentage, topographie, routes.

Sources : Loi 1776 du 1er juin 1847, sobre establecimiento de un colegio militar, Codificación Nacional, op. cit., t. 12, p. 111-113 ; Décret no 1797 du 20 juillet 1847, orgánico del colegio militar, Codificación Nacional, op. cit., t. 12, p. 326-336 ; Décret no 2037 V, du 28 septembre 1850, que arregla la enseñanza del colegio militar para el año venidero de 1851, Codificación Nacional, op. cit., t. 14, p. 278-279.

Tableau 2 : emploi du temps des élèves du Colegio Militar en 1851

5 h 30 Lever des élèves
5 h 45 Appel militaire dans le réfectoire
6 h à 7 h 30 Mardi, jeudi et samedi : classe pour le 4e cours, répétition du 1er cours par ceux du 3e cours et études pour les autres
Lundi, mercredi et vendredi : classe du 3e et le 4e cours, études pour les autres
7 h 30 à 8 h Toilette
8 h à 9 h Déjeuner et pause
9 h à 11 h 30 Classe spéciale militaire, classe préparatoire et du 1er cours
Études pour les 3e et 4e cours
12 h à 14 h Classe de dessin pour tous,
Lundi, mercredi et vendredi : répétition du 1er cours par ceux du 3e de 13 h à 14 h
14 h Repas
Jusqu’à 15 h Pause
15 h à 16 h 30 Classe préparatoire et répétition de tous les cours
16 h 30 à 18 h Lundi, mercredi et vendredi : classe de cosmographie et géodésie pour les 3e et 4e cours et de la classe spéciale militaire ; études pour le 1er cours et la classe préparatoire
Mardi : instruction pratique militaire
Jeudi : classe de législation militaire
Samedi : escrime
18 h Appel militaire dans le réfectoire et prière
jusqu’à 19 h 30 Collation et repos général
19 h 30 à 21 h 30 Études pour toutes les classes
21 h 30 Former les rangs
22 h Silence

Source : AGN, fonds du Secretario de Guerra y Marina, t. 1410, fol. 55.

39Le système d’évaluation mise en œuvre au Colegio Militar peut être appréhendé à différents niveaux du curriculum. D’abord, lors de l’admission, avec la sélection des candidatures par le pouvoir exécutif et l’examen de niveau qui offre aux enseignants une évaluation diagnostique de l’ensemble du groupe des entrants comme des connaissances et des capacités de chacun. Ensuite, dans le cadre des enseignements quotidiens, mais aussi à des moments particuliers instaurés par l’institution comme des rituels d’évaluation : les « examens intermédiaires » en cours d’année, ainsi que les examens de fin d’année qui décident du passage dans la classe supérieure. Enfin, avec les examens de fin de cursus, qui conduisent à l’attribution des diplômes. Nous verrons également que l’évaluation est aussi liée à des aspects plus « cachés » du curriculum comme l’acquisition de savoir-être et de valeurs.

40En nous arrêtant, dans un premier temps, sur l’évaluation en cours de scolarité, nous pouvons à nouveau nous poser la question de la sélection. En effet, il est possible de se demander si, une fois les élèves admis au Colegio Militar, une forme de sélection est instaurée par l’administration ou par les enseignants, du fait de la difficulté des notions étudiées ou encore de la perspective de l’attribution d’un diplôme d’ingénieur ou de l’affectation à un grade d’officier militaire. Plusieurs dispositions montrent au contraire que le système d’évaluation du Colegio Militar tend à éviter au maximum un verdict négatif aux examens ou l’élaboration de classements et, par conséquent, la mise en œuvre d’une sélection qui exclurait les plus faibles scolairement. En fait, pour le directeur comme pour les professeurs, deux finalités sont assignées aux évaluations. Elles doivent, d’une part, favoriser les apprentissages et permettre à un maximum d’élèves d’aller jusqu’au terme du cursus et, d’autre part, permettre de contrôler aussi bien les élèves que le fonctionnement de l’institution elle-même. C’est cette double fonction régulatrice de l’évaluation que nous souhaitons analyser dans ce qui suit.

1. Les évaluations liées à la transmission des savoirs

  • 46 Sur l’histoire de l’enseignement oral : Annie Bruter, « Le cours magistral comme objet d’histoire  (...)
  • 47 Un système d’interrogation orale similaire est pratiqué à l’École polytechnique au début du XIXe s (...)

41L’histoire de l’évaluation au Colegio Militar est avant tout une histoire d’enseignement oral46. Cette histoire commence par l’évaluation quotidienne des apprentissages, au début de chaque cours. Il s’agit de la présentation de la leçon précédente par un élève désigné par le professeur47. Cette interrogation établit une sorte de bilan à la fois de son attention en classe, de son travail à l’étude durant lequel il recopie puis revoit ses notes de cours, et enfin de sa compréhension des notions présentées.

  • 48 Miguel Triana, un ancien élève du Colegio Militar qualifie cette méthode de « stérile » et la comp (...)

42L’exposé par les élèves de la leçon précédente tend à encourager l’apprentissage par cœur, et se prête mieux aux études théoriques qu’à la mise en pratique des savoirs enseignés. Mais il convient de le replacer dans son cadre pédagogique, qui se base sur l’explication donnée en classe par l’enseignant. Pour les professeurs du Colegio Militar, le cours oral représente un progrès notable par rapport à une méthode dite « ancienne » fondée sur l’apprentissage et la récitation de passages entiers d’un manuel48.

  • 49 AGN, fonds du Secretario de Guerra y Marina, t. 793, fol. 84.
  • 50 Ibid.

43Les rapports internes des enseignants de l’école, comme par exemple Lino de Pombo (1796-1862) qui assure un cours de mathématiques de 1848 à 1854, montrent que les élèves sont interrogés avec une grande régularité (183 interrogations sur 106 jours de cours en 1849, soit une moyenne de 1,7 interrogations par cours). La restitution de chaque élève est alors qualifiée suivant une échelle de cinq notes : « excellente », « bonne », « moyenne », « mauvaise » et « très mauvaise ». Ces interrogations donnent surtout lieu pour chaque élève à un bilan intitulé « état de la marche et du progrès de l’enseignement dans ses différents domaines ». Celui-ci est présenté par chaque enseignant lors du conseil des professeurs que le directeur réunit tous les deux mois. Les commentaires de ces bilans écrits, bien que souvent laconiques, rendent compte du niveau comme de la progression des élèves. Ceux qui sont en difficulté sont immédiatement signalés : « cet élève a complètement abandonné et s’excuse en disant qu’il pense quitter le Colegio, ce qu’il ferait bien », ou encore « perd son temps et les dépenses que le trésor fait pour lui sont perdues »49. À l’inverse, on apprend que l’élève Camilo Vanegas, de la classe préparatoire, « donne des preuves d’intelligence et de progrès ; il est digne de considération »50. Il est par conséquent directement admis à suivre le cours de première année.

  • 51 Ibid., t. 748, fol. 41.
  • 52 Ibid.
  • 53 Ibid., t. 748, fol. 63 ; t. 768, fol. 382 ; t. 768, fol. 83. Le manuel de Lino de Pombo est intitu (...)

44Ces interrogations orales complétées par les observations en classe apportent également une évaluation du groupe et conduisent à des formes d’ajustements visant à favoriser les apprentissages. En 1848, après seulement quelques mois d’enseignement, Pombo indique ainsi que « les jeunes gens dont il prend en charge l’instruction scientifique sont tous, à très peu d’exceptions, de capacité notable ou moyenne, appliqués et consciencieux, et pourtant, ils ne progressent pas comme ils devraient »51. Il explique ce paradoxe en rappelant « qu’il n’y a personne pour les assister dans l’étude et la pratique des leçons qu’ils reçoivent ». Le conseil des professeurs débat alors longuement de la possibilité de recruter un répétiteur et d’imprimer les leçons afin « d’éviter la peine et la perte de temps due à la nécessité de copier les leçons »52. Ces mesures tout d’abord rejetées par le secrétaire d’État de la Guerre donnent finalement lieu, en 1849, à l’emploi d’élèves des cours supérieurs comme répétiteurs dans les autres classes et, l’année suivante, à la publication des leçons de géométrie analytique de Pombo53.

  • 54 AGN, fonds du Secretario de Guerra y Marina, t. 1410, fol. 106.

45Le conseil des professeurs sert ainsi de relais entre les évaluations et les dispositifs pédagogiques. Il permet de partager les aménagements apportés par chaque enseignant dans le cadre de son cours et de discuter de leurs effets. Ainsi, Pombo explique en 1851 que « malgré le zèle assidu qu’il déploie pour l’avancement des élèves, tant en leur expliquant plusieurs fois et avec précision les mêmes notions qu’en multipliant ses avertissements et ses conseils, très peu sont ceux qui font des progrès positifs »54. Mais le conseil exerce aussi un contrôle sur certains dispositifs pédagogiques, comme lorsque le professeur de mathématiques attribue le manque de progrès des élèves au mauvais fonctionnement des heures d’étude, dont il rappelle qu’elles ne sont pas des « passe-temps » et insiste sur la nécessité de recadrer le travail des répétiteurs et l’attitude des élèves.

  • 55 Loi no 976 du 29 avril 1836, que arregla la instrucción militar, Codificación Nacional, t. 6, op.  (...)

46Ce dispositif est complété par les examens intermédiaires qui se tiennent en juin ou juillet et dont l’objectif est de « juger de la capacité et des progrès des élèves » et d’« inciter à l’étude ceux qui seraient en retard »55. Il s’agit alors d’alerter les élèves comme les enseignants des difficultés d’apprentissage pour que, durant les cinq mois qui restent avant les examens de fin d’année, les connaissances requises soient acquises. Afin de marquer les esprits mais aussi pour susciter une émulation entre élèves, les résultats de chacun d’entre eux sont lus à l’ensemble de la classe à la reprise des cours et les meilleures réalisations en dessin sont affichées dans la bibliothèque.

  • 56 Ibid., p. 57-62
  • 57 Décret no 1797 H bis du 14 septembre 1847, que organiza las universidades, Codificación Nacional, (...)
  • 58 « Programa jeneral de materias para el Certamen publico que presentara la Clase de Matemáticas de (...)

47Ces examens intermédiaires présentent une continuité avec les interrogations quotidiennes sur les leçons. Tout d’abord, ils se font également à l’oral dans chacune des matières du programme, sauf en dessin, pour lequel ce sont les travaux graphiques réalisés durant la période qui sont évalués. De plus, chaque épreuve est conduite par le professeur de la classe qui interroge les élèves individuellement pendant une demi-heure (15 minutes à partir de 1868) sur l’une des notions étudiées tirée au sort. Selon le texte officiel de 1847, qui reprend une disposition de 1836, les professeurs-examinateurs posent aux élèves « les questions qu’ils considèrent nécessaires pour juger avec certitude de leurs lumières et de leur capacité »56. Il s’agit surtout d’évaluer leurs connaissances sur les notions essentielles de chaque discipline plus que leur capacité à résoudre des problèmes. Les instructions données aux examinateurs les invitent d’ailleurs à « se limiter à des questions et des réponses brèves et précises sur les matières sur lesquelles l’examen porte, en omettant les raisonnements diffus et étranges »57. La liste des questions reste fidèle aux programmes de chaque cours et se caractérise par l’absence d’exercices à résoudre. On demande, par exemple, la « théorie des raisons, proportions et progressions par différence et par quotient », ou celle des logarithmes58. Les attentes se concentrent donc sur les connaissances théoriques et même si certaines questions évoquent des problèmes comme « tracer une circonférence à partir des conditions qui la déterminent », il s’agit toujours d’« un problème général » abordé comme une question de cours. L’étude de l’évaluation nous apporte par conséquent des éclairages sur l’esprit dans lequel sont enseignées les sciences au Colegio Militar : le curriculum vise en premier lieu l’acquisition de connaissances théoriques et universelles.

2. L’examen de passage dans l’année supérieure

48Les examens de fin d’année représentent pour les élèves le principal enjeu de l’année scolaire au Colegio Militar. Ils établissent en effet le bilan sur l’acquisition des apprentissages et, par suite, le passage en année supérieure. Leur objectif est ainsi sommatif et leur forme souligne la cohérence du système d’évaluation de l’école car ils sont également oraux et se déroulent en public exactement comme les examens intermédiaires.

  • 59 Les exercices militaires, la gymnastique, l’escrime, la natation, l’équitation ne sont pas évalués (...)
  • 60 Lino de Pombo, Lecciones de Jeometría Analítica, Imprenta de El Día, Bogota, 1850.
  • 61 Indalecio Liévano, Tratado elemental de Aritmética, Bogota, Imprenta Ortiz i Compañía, 1856 (1re  (...)

49Ainsi, les interrogations quotidiennes analysées lors des conseils des professeurs et les examens intermédiaires peuvent être perçues comme des préparations ou des répétitions sans conséquences des examens finaux. L’ensemble de ce système tend vers la réussite des élèves aux épreuves de fin d’année et la validation de leurs acquis. Plus précisément, l’étude du système d’évaluation pratiqué au Colegio Militar fait ressortir deux objectifs poursuivis par celui-ci. Tout d’abord, ce système renforce, comme nous l’avons vu, l’accent mis sur la transmission de connaissances scientifiques et techniques essentiellement théoriques. D’ailleurs, jusqu’en 1872, aucun exercice d’application ou épreuve pratique n’est prévu, sauf pour évaluer les compétences liées au dessin59. Cette orientation du curriculum vers l’acquisition de connaissances théoriques est confirmée par les manuels publiés par Lino de Pombo où ne figurent que des exemples et des problèmes résolus présentés comme des parties du cours, mais sans aucun exercice d’application60. Même constat pour le traité d’arithmétique de l’ancien élève et professeur du Colegio Militar, Indalecio Liévano (1834-1913). Sa première édition en 1856 ne comporte pas d’exercices, ceux-ci n’étant introduits que dans la deuxième édition de 1872 qui intervient après une réforme majeure du curriculum61.

  • 62 Décret no 462 du 12 octobre 1882, por el cual se reforman los capítulos 21, 22 y 23 y sus concorda (...)

50Durant cette année 1872, le plan d’étude est en effet modifié à la demande des enseignants, afin d’introduire des matières liées aux sciences expérimentales (physique et chimie) et aux sciences naturelles (géologie et minéralogie). Des épreuves pratiques sont alors mises en place en physique expérimentale, chimie et géométrie pratique. Mais celles-ci ont la particularité de ne pas être présentées par tous les élèves. En effet, seuls quelques-uns, désignés par un tirage au sort, sont chargés de représenter la classe. La note qu’ils obtiennent (« bon », « moyen » ou « mauvais ») est alors attribuée à l’ensemble des élèves. Le même type d’évaluation collective est utilisé pour l’escrime (deux élèves tirés au sort) et les signaux militaires (quatre élèves). La note de dessin est également globale : elle se base sur l’ensemble des travaux de l’année réalisés par les élèves d’une même année d’études62.

51Par ailleurs, le système d’évaluation indique une volonté de limiter l’échec des élèves engagés dans le cursus. Cet aspect renvoie, sur un plan plus politique, à la recherche d’efficacité de l’institution en termes de nombre d’élèves formés et de rentabilité des investissements financiers réalisés par le gouvernement en faveur de l’école. Cette volonté de limitation des échecs émanant du pouvoir politique est relayée par l’administration et les enseignants du Colegio Militar qui l’intègrent aux objectifs de l’établissement en jouant sur les modalités de l’évaluation.

  • 63 Pour une approche historique de la qualification voir : Pierre Merle, Les pratiques d’évaluation s (...)

52Cette politique se retrouve dans différentes mesures adoptées pour l’examen de fin d’année63. Ainsi, l’échelle des notes adoptée montre l’intention d’établir des groupes de niveau et non un classement. À l’ouverture du Colegio Militar, ces notes s’échelonnent de 1 à 16 et sont regroupées en quatre niveaux : « mauvais » (de 1 à 4), « moyen » (de 5 à 8), « bon » (de 9 à 12) et « excellent » (de 13 à 16). Les deux dernières catégories permettent de valider l’année, mais les élèves qui ont obtenu la note « moyen » peuvent passer une épreuve de rattrapage. Finalement, seuls ceux ayant reçu la note « mauvaise » doivent redoubler leur année et sont exclus de l’école en cas de nouvel échec. On le voit, la notation sert ici davantage le jugement que la mesure fine des performances.

53Durant la période où l’école dépend de l’université de 1868 à 1880, cette dernière disposition est supprimée et la notation simplifiée afin de renforcer les critères de passage au détriment d’une sélection au mérite. Seules trois catégories d’appréciations sont maintenues pour les examens : « pleinement approuvé », « approuvé » et « réprouvé ». La dernière est la seule à pouvoir entraîner un redoublement, et désormais, même les élèves ayant obtenu des résultats très faibles peuvent se présenter à un examen de rattrapage. Par ailleurs, pour stimuler les élèves étant parvenus aux meilleurs résultats et créer une forme d’émulation dans la catégorie des « pleinement approuvés », les professeurs accordent à ceux qu’ils jugent le plus méritants les mentions supplémentaires de « notable » et d’« excellent ».

  • 64 AGN, fonds du Secretario de Guerra y Marina, t. 1232, fol. 731-737: thèse de l’élève Abel Bravo en (...)

54Après la séparation de l’école de l’université en 1880, l’augmentation des effectifs jusqu’à deux cents élèves, voire plus, conduit à des changements dans le déroulement des examens de fin d’année. En effet, en 1882, une forme de contrôle continu et des épreuves écrites appelées « thèses » sont introduites. Chaque épreuve écrite dure une heure et consiste à exposer, dans le même esprit que les périodes précédentes, une notion théorique du programme, comme par exemple, en mathématiques, les « équations binomiales »64. L’évaluation passe alors d’un régime de l’oralité à un régime mixte, où l’écrit joue le rôle principal dans les examens de fin d’année. Pour établir leur verdict, on prend en compte, en plus des résultats aux épreuves écrites, les notes remises par les professeurs au cours de l’année, et même leurs appréciations. Ainsi, le contrôle continu atténue encore davantage l’effet couperet de l’examen final, déjà émoussé par la possibilité de repasser les épreuves. De plus, la notation évolue également, puisque les résultats, publiés au Journal officiel pour chaque matière, ne donnent plus d’information sur le niveau, mais indiquent seulement si l’élève est reçu ou non.

55L’évaluation de fin d’année, malgré ses évolutions, vise toujours à inciter les élèves à aller jusqu’au terme de leurs études au Colegio Militar. Elle cherche à stimuler les meilleurs tout en laissant la possibilité à ceux qui rencontrent des difficultés de persévérer en tentant à nouveau leur chance. Finalement, seuls ceux ayant totalement baissé les bras ou ne présentant aucun espoir de progrès sont visés par une autre fonction du système d’évaluation : écarter les élèves qui risquent d’entraver le bon fonctionnement de l’institution.

56Cet aspect est une autre conséquence de la recherche par le pouvoir exécutif d’efficacité de la formation dispensée par le Colegio Militar. Elle vise les élèves démobilisés, accusés, comme on l’a vu avec les commentaires de Pombo, de ralentir la bonne marche de l´enseignement et de rendre vaines les dépenses du gouvernement. L’investissement financier que représentent les bourses renforce cette pression qui se reporte sur les examens de fin d’année. Ainsi, à partir de 1871, un décret menace les élèves ayant obtenu deux échecs consécutifs aux examens de fin d’année de supprimer leur bourse.

  • 65 Bertrand Eychenne, Le Colegio Militar de Bogota (1848-1884), op. cit., chapitre 9, p. 377-414.

57Cette recherche d’efficacité conduit l’établissement à intégrer progressivement dans l’évaluation d’autres aspects du curriculum, tels que les savoir-être. L’évaluation se rapproche alors sensiblement du régime disciplinaire qui aspire à gérer les comportements des élèves, les espaces et le temps scolaires, afin de permettre à l’institution de remplir au mieux ses objectifs de formation65.

3. L’évaluation globale du travail et du comportement

  • 66 AGN, fond du Secretario de Guerra y Marina, t. 793, fol. 112.

58Le parallèle entre le système d’évaluation et le régime disciplinaire du Colegio Militar va même au-delà d’un objectif commun d’efficacité pédagogique. Les personnels de l’école témoignent en effet régulièrement du risque que représentent à leurs yeux les élèves négligeant les études comme ceux réfractaires au régime disciplinaire qui peuvent entraîner leurs camarades et paralyser le bon fonctionnement de l’établissement. Ils lient et confondent d’ailleurs souvent les deux manquements. Ainsi, en 1850, après des dégradations causées dans l’établissement par un petit groupe d’élèves, le conseil des professeurs interprète l’incident en affirmant que ces élèves, « se trouvant entièrement abandonnés dans l’étude, jugent qu’ils seront nécessairement réprouvés aux examens et pour que cette tache ne les atteigne pas, ils souhaitent que tous subissent les conséquences de leurs excès et même qu’à la fin l’École soit détruite »66.

59Durant la période universitaire (1868-1880), cette manière de lier le travail et la discipline entraîne l’adoption d’un système d’évaluation combinant la conduite, les progrès et l’implication des élèves. Alors qu’auparavant le règlement de l’école se contentait de rappeler les règles de discipline, apparaît un décompte que l’on pourrait qualifier d’« arithmétique disciplinaire », où des points accordés aux bons ou aux mauvais comportements associés aux notes des interrogations orales conduisent à divers amalgames entre l’attitude et les performances académiques. Les absences non justifiées, les conduites répréhensibles, les mauvaises présentations orales des leçons sont assimilées à des « défaillances » (fallas) qui s’opposent aux leçons bien apprises et aux comportements méritants. Intervient alors un savant calcul de compensation et de conversion en bonnes et mauvaises notes visant à dresser un bilan de l’attitude des élèves comme de leur implication dans les études.

  • 67 « Reglamento jeneral de la Universidad », Analesde la Universidad nacional, vol. 6, 1872, p. 389.

60La réforme de 1872 reconduit ce dispositif en précisant les écarts de comportement susceptibles d´être sanctionnés, à savoir « un acte de désobéissance, d’insubordination ou de désordre notable »67. Ce décompte peut avoir d’importantes conséquences sur la scolarité de l’élève. Si ce dernier dépasse les trente défaillances (comportement et travail), il est en effet recalé pour le cours concerné et si les fautes sont moins importantes, mais dominent malgré tout, il est affublé de la mention « mauvais comportement » (mal comportamiento). Toutefois, le système prévoit aussi des récompenses. La conduite de l’élève est ainsi qualifiée de « comportement distingué » (comportamiento distinguido) si les notes positives dominent et de « bon comportement » (buen comportamiento) si leur nombre dépasse soixante.

Tableau 3 : équivalences et compensations

Équivalences
Une bonne leçon Une note de bonne conduite
Une mauvaise leçon Une note de mauvaise conduite
Une absence non justifiée Deux notes de mauvaises conduite
Deux notes de mauvaise conduite Une défaillance
Compensations
Une bonne leçon Une mauvaise leçon
Deux bonnes leçons Une défaillance
Une note de bonne conduite Une note de mauvaise conduite

Source : « Reglamento jeneral de la Universidad », Anales de la Universidad nacional, vol. 6, 1872, p. 389, art. 11 et 12.

61Cette évaluation du comportement et des travaux scolaires indique, de la part de la direction et des enseignants du Colegio Militar, une volonté de contrôler les élèves mais aussi une perception globale du curriculum. En effet, le regard qu’ils portent sur la formation dispensée par l’école ne se limite pas à la transmission de savoirs, il comprend également la part d’éducation, d’acquisition de valeurs et de savoir-être.

4. Un transfert de savoir-faire pédagogique

  • 68 El Conservador, no 22, 5 septembre 1881, p. 87.

62Entre 1880 et 1884, le Colegio Militar est séparé de l’université et son enseignement militaire se voit considérablement renforcé. Cette réforme due à un changement de gouvernement est mise en œuvre par deux instructeurs militaires recrutés aux États-Unis : Henry R. Lemly (1851-1925) et Thomas B. Nichols (1848-1902). Sous leur influence, l’école adopte, en 1881, un nouveau règlement intérieur ainsi qu’un système de notation directement inspiré de la United States Military Academy de West Point où ils ont été formés. En septembre 1881, le journal El Conservador, proche du parti politique du même nom, salue l’implication des instructeurs nord-américains dans les changements apportés à l’école d’ingénieurs et notamment les mesures adoptées en faveur de la discipline68. Le journal attire également l’attention des professeurs et des directeurs des écoles secondaires du pays sur le nouveau système de notation importé par ces officiers étrangers. Quelques mois plus tard, Lemly, devenu directeur de l’établissement, publie un article dans le Journal officiel où il répond à des lettres d’éducateurs de différentes régions du pays lui demandant de préciser le fonctionnement du système suivi par le Colegio Militar.

  • 69 « Oficio del Jefe de estudios de la Escuela de Ingenieria Civil y Militar », Diario Oficial, no 53 (...)
  • 70 Lemly donne un exemple : si un élève obtient comme note 8 pour trois leçons alors que le maximum d (...)

63Lemly indique tout d’abord que « la méthode est entièrement numérique » et que, pour cette raison, elle est supérieure aux autres systèmes de notation puisqu’elle permet toutes sortes de comparaisons. Or, de son point de vue, « une évaluation n’a pas d’autre objet »69. Ainsi pour comparer les aptitudes des élèves dans les différentes matières, le système se base comme précédemment sur l’évaluation des leçons présentées quotidiennement par les élèves. Mais elles sont cette fois quantifiées au moyen d’une note prise sur une échelle de 31 valeurs allant de 0 à 3 de dixième en dixième. Cette échelle continue indique une intention d’affiner la mesure, mais six seuils de notes sont malgré tout dégagés et associés, pour plus de clarté, à un qualificatif ; 0 : « très mauvaise » ; 1 : « mauvaise » ; 1,5 : « moyenne », 2 : « indifférente » ; 2,5 : « bonne » ; 3 : « optimale ». Le système innove surtout lors du calcul de la note hebdomadaire de chaque élève. En effet, si tous n’ont pas présenté le même nombre de leçons, on calcule cette note en appliquant une règle de proportionnalité selon laquelle « le nombre de leçons données par l’élève est au plus grand nombre de leçons données comme la somme de ses notes à la note recherchée »70. L’addition des notes hebdomadaires donne par la suite les notes mensuelles, puis la note annuelle. Selon Lemly, ce système rend inutile l’organisation d’examens qui représentent une perte de temps : la validation de chaque cours se fait lorsque la note de l’élève atteint les deux tiers de la note maximale de la classe. Finalement, ce dispositif d’évaluation continue n’introduit pas spécifiquement de compétition entre élèves, ni ne fait jouer de rôle particulier aux classements, mais ceux-ci deviennent faciles à établir et les notes sont rendues relatives au niveau des meilleurs élèves.

  • 71 Regulations for the United States Military Academy at West Point, New York, Washington, Government (...)
  • 72 Voir par exemple Bruno Belhoste, La formation d’une technocratie…, op. cit.

64Lemly n’en prévoit pas moins le cas où les examens seraient maintenus – ce qui est effectivement la décision prise par le secrétaire de la Guerre. Il propose alors d’introduire des coefficients en fonction des enseignements. Ceux-ci sont proches de ceux utilisés à l’académie de West Point mais s’avèrent plus simples71. Ces ajustements et plus généralement la présence de coefficients rendent compte de l’importance attribuée à chacune des matières composant le programme d’études72. À partir de 1881, la science et l’art de la guerre (ciencia y arte de la guerra), le génie civil et militaire, la physique, les mathématiques, la discipline sont évaluées sur 300 points, la chimie et le droit sur 200, le castillan, le français, le dessin et la tactique militaire sur 100. Si l’on relève l’importance donnée aux mathématiques, celles-ci se trouvent placées au même niveau que la physique et surtout que l’enseignement militaire et la discipline.

65Focalisé sur l’idée de pouvoir faire des comparaisons, Lemly propose d’établir un classement annuel pour chaque cours « où les élèves sont arrangés selon un ordre d’avancement qui permet de les comparer entre eux ». Il affirme ainsi disposer d’un moyen pour comparer rapidement des élèves ou des matières, des classes et même, s’il est généralisé, des écoles entre elles.

66L’adoption du système de notation de West Point s’accompagne donc d’un nouveau paradigme de l’évaluation que les instructeurs nord-américains tentent d’introduire au Colegio Militar et, au-delà dans le système éducatif colombien. Il s’agit d’utiliser l’évaluation non seulement comme un outil de mesure des performances individuelles des élèves mais aussi et surtout de comparaison à divers niveaux, entre élèves, entre matières ou entre établissements. L’introduction de ce système montre par ailleurs que les questions d’évaluation sont partie prenante des échanges transnationaux intervenant au XIXe siècle dans le domaine de l’éducation.

III. Un système d’évaluation comme moyen de contrôle

67L’évaluation conjointe du travail et de la conduite traduit, comme nous l’avons vu, une volonté d’encadrer à la fois les élèves et les processus d’apprentissage. Mais le système d’évaluation du Colegio Militar vise aussi à maintenir une forme de contrôle sur la fonction sociale de l’établissement qu’est la remise de diplômes d’ingénieur civil ou de grades d’officier ouvrant sur une carrière militaire. Il s’agit pour l’école de faire face, tout d’abord, à des velléités d’abandon qui apparaissent chez les élèves à l’approche des examens, malgré la volonté de limiter les échecs. De plus, l’administration de l’école veut également s’assurer que les diplômes remis aux élèves soient reconnus professionnellement et valorisés par la société. Cette reconnaissance s’avère alors étroitement liée à la réputation de l’établissement.

1. L’évaluation face aux échecs et aux abandons

68Les résultats aux examens de fin d’année confirment l’absence de sélection marquée. Les échecs sont en effet assez rares. Ainsi, entre 1848 et 1854, seulement cinq élèves sur 214 présentant les examens sont recalés sur l’ensemble des quatre années du cursus. Par contre, malgré ce faible taux d’échec, on compte 53 redoublements (soit 15 % des effectifs de la période) dont plus de 85 % concernent la classe préparatoire et la première année. Il s’agit essentiellement d’élèves ayant renoncé à passer l’examen de fin d’année. Par exemple, en 1851, le conseil des professeurs indique que près de 65 % des élèves de première année ont fait part de leur incapacité à passer l’épreuve finale et ont préféré par conséquent redoubler. Ces résultats, qui sont similaires pour les autres périodes, indiquent que si l’examen n’est pas sélectif, il n’empêche pas pour autant les échecs. Près de 10 % des élèves sont finalement dans l’impossibilité de passer dans la classe supérieure. Cette situation paradoxale mérite d’être observée de plus près.

69Tout d’abord, les abandons constituent un phénomène qui n’est pas uniquement lié aux examens. Nous constatons une diminution significative des effectifs du Colegio Militar au cours du cursus, qui ne peut s’expliquer entièrement par le faible nombre de recalés aux épreuves (tableaux 4a, 4b et 4c : effectifs des élèves du Colegio Militar en fonction des années d’études de 1848 à 1884). Cette déperdition pose d’ailleurs un problème au secrétaire de la Guerre comme à la direction de l’école qui restent préoccupés par l’efficacité de la formation. La question émerge même dès la première année d’existence de l’établissement, en 1848, où plus d’un tiers des élèves demandent à le quitter. Ce nombre varie selon les années mais, durant toute la période d’existence du Colegio Militar, le phénomène reste suffisamment important pour inquiéter constamment la direction de l’établissement.

Tableau 4a : effectifs des élèves du Colegio Militar, 1848-1854

1re période
1848 1849 1850 1851 1852 1853 1854
Classe prépa 30 0 11 18 38 17 24
1re année 19 23 0 20 29 19 14
2e année 12 16 0 7 8 10
3e année 10 13 0 4 4
4e année 3 3 0 2
Total 49 35 37 54 77 48 54

Tableau 4b : effectifs des élèves du Colegio Militar, 1866-1879

2e période 3e période
1866 1867 1868 1869 1870 1871 1872 1873 1874 1875 1876 1877-1878 1878-1879 1879
Classe prépa 1re 18 49
Classe prépa 2e 18 74
1re année 30 11 5 13 17 15 27 21 10 12 4 4
1re et 2e année 1 1 3 4 5 2 3 1 1
2e année 1 9 15 6 9 9 12 6 5 4 4
2e et 3e année 6 1 12 6 2 3 7
3e année 2 6 12 4 8 1 7 2 2 1 3
3e et 4e année 2 2 2 1 2 5 6 4
4e année 1 4 3 4 8 7
4e et 5e année 5 12
5e année 4 1
Total 36 123 32 28 35 39 45 41 61 55 33 24 19 16

Tableau 4c : effectifs des élèves du Colegio Militar, 1880-1884

4e période
1880 1881 1882 1883 1884
Classe élémentaire 66
Classe prépa 1re 34 18 137
Classe prépa 2e 8 68
1re année 10 8 16 77 51
2e année 6 93 49
3e année 2 40 65
4e année 2 13 39
5e année 7
5e et 6e années 9
6e et 7e années 2
Total 44 100 231 232 213

Sources principales : Informe del Secretario de Guerra 1848, 1849, 1850, 1851, 1853, 1881, 1882, 1883 ; AGN, t. 811, f. 217, t. 968 f. 80-81, t. 978, f. 748 t. 978, f. 631, t. 1234, f. 889 ; Anales de la Universidad Nacional, vol. 1, p. 342, vol. 3, p. 20, vol. 4, p. 542, vol. 5, p. 8, vol. 6 p. 532, vol. 7, p. 60, vol. 8, p. 352, vol. 9, p. 126, vol. 10, p. 32, vol. 11, p. 59, vol. 11, p. 148, vol. 11, p. 280.

  • 73 AGN, fond du Secretario de Guerra y Marina, t. 793, fol. 112.

70Le personnel de l’école laisse souvent entendre que le phénomène comporte une dimension culturelle liée notamment à l’importance accordée en Colombie aux diplômes et à l’aspect infâmant de l’échec. Ils associent ainsi à plusieurs reprises ces départs à la honte que représenterait l’éventualité d’une défaillance aux examens. Nous avons vu que les dégradations causées en 1852 par quelques élèves sont interprétées par les professeurs comme une peur d’échouer aux épreuves de fin d’année et le refus qu’« une telle tache retombent sur eux »73.

  • 74 Ibid., t. 827, fol. 683.

71Ces départs prématurés suggèrent ainsi une certaine forme de pression familiale ou sociale liée à la réussite des études. Mais il reste difficile de tirer des conclusions précises sur les raisons de ces abandons qui, lorsqu’on étudie les courriers des élèves et de leurs familles, s’avèrent multiples et sans doute pas toujours avouées. Ces lettres invoquent ainsi des prétextes divers : problèmes familiaux, maladie, projet d’entamer d’autres études, difficulté à supporter la discipline de l’établissement. Il n’est pas rare que le personnel de l’école se montre sceptique sur leur sincérité. Ainsi, lorsqu’en 1853 le juge (premier magistrado) Pedro Olarte demande à sortir son fils de l’école, son directeur, observant ses mauvais résultats, y voit plutôt un moyen d’éviter une « sortie honteuse »74.

  • 75 Ibid., t. 1230, fol. 414.
  • 76 Ibid.

72Ces abandons posent à la direction, outre un problème de perte d’effectif et de rentabilité de la formation, un problème de discipline. En effet, en prenant l’initiative de leur départ, les élèves ne permettent pas au jugement de l’examen d’intervenir et à l’institution d’exercer son contrôle. L’administration cherche par conséquent à rétablir son emprise en tentant d’imposer des limites au bon vouloir des élèves. Mais ne pouvant s’appuyer sur aucun texte réglementaire interdisant l’abandon en cours d’études, elle en vient à invoquer les examens pour retenir les élèves dans l’établissement. En 1881, le secrétaire de la Guerre rappelle ainsi au directeur du Colegio Militar que l’« un des devoirs les plus sacrés qu’ont les élèves est de présenter les examens »75. L’administration en les obligeant à passer les examens veut ainsi réserver la décision du départ de l’élève à l’établissement. Le directeur Lemly approuve d’ailleurs l’avis de son secrétaire d’État en estimant que « le Gouvernement n’aurait aucune cohérence à faire les fortes dépenses que demande le soutien de l’École Militaire et qui entraîneront des profits immédiats pour la jeunesse et pour la science, si les élèves avaient le droit, parfois pour des sentiments recommandables, d’abandonner leur carrière »76.

  • 77 Ibid., t. 1230, fol. 341.
  • 78 Ibid.
  • 79 Ibid.

73L’exclusion d’élèves représente une contradiction avec l’objectif de les maintenir jusqu’au terme du cursus. Aussi cette mesure n’est-elle envisagée que lorsque d’autres aspects du curriculum tels que le comportement, le respect de la discipline ou la bonne tenue morale sont remis en cause. Dans ces cas, une évaluation à la fois de l’attitude et du travail est invoquée pour justifier la mesure. Ainsi, en 1881, le directeur Lemly demande au secrétaire d’État de renvoyer un groupe d’élèves en arguant qu’« il a été possible de juger parfaitement les aptitudes et l’application de ces jeunes et [que] leur conduite est tellement lamentable que l’on n’hésiterait pas à les qualifier de pernicieux pour l’École »77. Il souligne alors les mesures prises pour y remédier : « tous les moyens de les stimuler ont été épuisés et aucun n’a été suffisant. S’ils continuaient dans l’École, je suis sûr que n’en résulteraient aucun bénéfice et les autres comme la bonne renommée de l’École seraient en danger d’être perdus »78. Mais le secrétaire de la Guerre rechigne à expulser des élèves dont certains reçoivent des bourses de leur région. Il préfère donc s’en remettre à l’objectivité du résultat des examens dont il affirme qu’ils « serviront à démontrer de manière plus claire et évidente les aptitudes pour la carrière militaire et la conduite de chacun d’eux qui ont été les fondamentaux invoqués pour demander l’expulsion de ces jeunes »79.

2. La certification professionnelle

74Le cursus du Colegio Militar s’achève par un examen donnant accès à un titre au terme de la dernière année d’études. Cette épreuve de fin d’études ne donne lieu ni à un classement, ni à l’attribution d’un emploi dans les services de l’État, ni même à un complément de formation pratique, mais seulement à l’attribution d’un grade d’officier (lieutenant) pour ceux qui veulent poursuivre une carrière militaire ou d’ingénieur civil pour les autres.

  • 80 Patrocinio, Cuellar Informe del secretario de estado del despacho de gobierno de la Nueva Granada (...)

75Nous avons déjà évoqué l’importance culturelle accordée aux diplômes dans la société colombienne. Cette valorisation sociale pousse la plupart de jeunes gens qui peuvent s’engager dans des études supérieures vers les carrières traditionnelles (droit, médecine, théologie) et le titre de docteur qu’elles délivrent. Mais elle entraîne des dérives que le secrétaire d’État Patrocino Cuellar dénonce, en 1853, en affirmant qu’« un jeune passe subitement de l’école primaire aux classes de Droit ou de Médecine et en peu de temps est déjà décoré d’un titre qui, depuis le début, est l’unique objet de ses aspirations »80.

  • 81 AGN, fonds du Secretario de Guerra y Marina, t. 811, fol. 261.
  • 82 Ibid., t. 827, fol. 648.

76Le pouvoir exécutif, conscient du fort capital symbolique accordé aux diplômes comme des complaisances qui ont pu accompagner leur attribution, entend préserver la valeur du diplôme d’ingénieur civil remis par le Colegio Militar en renforçant les exigences de l’examen final. L’enjeu est aussi de veiller à la réputation de l’institution et, par suite, à l’image du gouvernement qui le soutient. Cette posture l’amène à placer le diplôme d’ingénieur du Colegio Militar sur un plan politique. Ainsi, lorsqu’en 1852 les premiers élèves (trois seulement) atteignent l’examen final, le directeur de l’école vante les mérites du gouvernement et sa politique utilitariste. Il voit en effet dans cet examen une preuve « en faveur de l’utilité d’établissements tels que le Colegio Militar qui donnent à la Nation des citoyens intelligents et instruits dans des professions dont nous avons tant besoin et pour lesquelles nous avons toujours eu recours à l’aide étrangère »81. Toutefois, si l’examen final a bien lieu, l’école ne peut, jusqu’en 1868, remettre officiellement le titre d’ingénieur en raison d’une loi de 1850 qui supprime l’obligation de disposer de diplômes pour exercer les professions. L’établissement ne délivre alors qu’un certificat reconnaissant « l’aptitude des jeunes gens pour les matières étudiées »82.

77Avec ou sans diplôme à la clé, l’examen de fin d’études suit entre 1848 et 1884 une évolution inverse de l’évaluation au cours du cursus : son organisation tend à renforcer sa difficulté. Durant les premières années, cette épreuve également publique s’avère une formalité. Sa fonction semble plutôt répondre au rôle politique que veut lui faire jouer le pouvoir et servir à renforcer la réputation de l’établissement. À l’issue de l’interrogation orale du candidat, les quatre examinateurs ne peuvent attribuer que les notes « bon » ou « excellent ». Par contre, durant la période universitaire, deux « examens préparatoires » couvrant l’ensemble du cursus sont instaurés en amont de l’épreuve finale. Ils servent à faire réviser le candidat et à l’avertir en cas de défaillance. Ainsi, le contrôle est renforcé tout en limitant les possibilités d’un échec à l’examen final qui est alors calqué sur celui de fin d’année.

3. L’examen public et la bonne réputation

  • 83 Décret no 1797 H bis du 14 septembre 1847, que organiza las universidades, Codificación Nacional, (...)
  • 84 Ibid.

78L’utilisation de l’examen pour agir sur l’opinion publique se retrouve dans un autre type d’épreuves appelé certamen. Le Colegio Militar, comme la plupart des établissements d’enseignement secondaire et supérieur colombiens, les organise après les examens de fin d’année. Leur tradition remonte à l’époque coloniale, mais leur sens originaire de « concours » a depuis longtemps été détourné pour en faire une vitrine de l’école. Selon le texte législatif qui le définit au moment de la création du Colegio Militar, « le certamen est la preuve publique et solennelle que donne un établissement littéraire du progrès des élèves qui y reçoivent l’instruction »83. Le texte insiste sur sa dimension sociale : « ils sont qualifiés par l’opinion publique éclairée qui statue sur la marche et les progrès de l’établissement et rend un hommage de respect et d’admiration aux supérieurs et professeurs qui remplissent pleinement leurs devoirs »84. Le certamen est donc directement lié à la fabrication et au maintien de l’image de l’institution dans la société. Cette fonction sociale est entretenue par des rituels. L’événement annoncé par la presse donne lieu à une série de discours prononcés par le directeur puis par des professeurs et des élèves désignés, dont le but est de glorifier l’établissement, les arts et les sciences. Les meilleurs élèves sélectionnés sont ensuite interrogés devant un parterre de notables sur les matières où ils excellent.

  • 85 AGN, fonds du Secretario de Guerra y Marina, t. 768, fol. 519.

79Mais cette mise en scène des mérites de l’établissement et de ses élèves peut se révéler à double tranchant. La direction du Colegio Militar après les avoir organisés en 1848, décide de les supprimer l’année suivante à la demande des professeurs. Ces derniers expliquent que les examens de fin d’année étant publics, les certamenes feraient double emploi. Mais surtout, ils rappellent que la presse a pu se moquer de ces épreuves où les élèves ne sont pas interrogés rigoureusement, mais doivent « seulement répondre à des questions simples et isolées »85. Le pouvoir exécutif décide ainsi de les supprimer de 1849 à 1868, puis ils sont rétablis, et à nouveau jugés inutiles de 1882 à 1884.

  • 86 Ruperto Ferreira, « Las enseñanzas en la Facultad de Matemáticas », Anales de Ingeniería, vol.  (...)

80La renommée de l’école s’avère un thème sensible pour le pouvoir exécutif. Elle souligne son soutien et son implication dans l’instruction publique ; elle attire de nouveaux élèves ; elle fait connaître les études scientifiques et techniques. La bonne réputation est par conséquent surveillée et entretenue par divers moyens comme par exemple la publication dans la presse et au Journal officiel du programme des examens de fin d’année et parfois des résultats obtenus par les élèves. Cette diffusion ne contribue pas seulement à bâtir la réputation de l’école sur les talents de ses meilleurs élèves, elle permet également d’évaluer le programme d’études, son évolution et même la valeur des enseignants. L’ancien élève puis professeur du Colegio Militar Ruperto Ferreira (1845-1912) regrette ainsi la disparition de cette pratique dans les années 1870, affirmant qu’« il était possible, quand apparaissait un nouveau programme, de juger de ce qui avait été́ gagné ou perdu avec la variation et quel esprit dominait dans les innovations. Il n’était pas non plus impossible, dans beaucoup de cas, de juger de la compétence du professeur »86.

  • 87 AGN, fonds du Secretario de Guerra y Marina, t. 1232, fol. 760.
  • 88 Ibid., t. 1232, fol. 762.

81Ainsi, en symbolisant un bilan des enseignements, l’examen devient également une épreuve pour le professeur et pour l’institution qu’il sert. Ce jugement sur l’enseignement dispensé appartient à l’opinion mais aussi au pouvoir exécutif qui maintient sa supervision. On le voit en 1882, lorsque le secrétaire de la Guerre nomme des personnalités extérieures pour présider les examens et faire une évaluation de l’enseignement du Colegio Militar. Indalecio Liévano, un ancien élève et ancien enseignant du Colegio Militar, assiste ainsi aux épreuves d’algèbre. Dans son rapport au gouvernement, il reproche alors au professeur en charge de ce cours, Manuel Antonio Rueda (1858-1907), de ne pas avoir enseigné le théorème fondamental de l’algèbre supérieure. Il en déduit que l’enseignement de l’algèbre « a été un peu superficiel, bien en deçà du niveau des progrès actuels qui sont publiés avec profusion et très inférieur à celui qui fut donné les années antérieures »87. Le Colegio Militar n’échappe donc pas à la critique du « c’était mieux avant ». Mais les commentaires ne sont pas toujours négatifs. La classe d’arithmétique de Augusto Aragon est par exemple jugée par Liévano « très satisfaisante, sans sacrifier à la rigueur, ni omettre de théories ou questions importantes du domaine »88.

Conclusion : une institution éducative révélée par son système d’évaluation

82Le cas du Colegio Militar invite le lecteur français à porter un regard décentré sur la sélection liée à la formation des élites comme sur le rôle tenu par l’évaluation dans le curriculum.

83Dans le contexte postcolonial du XIXe siècle colombien, le projet de former une élite scientifique militaire et civile ne peut se construire sur la compétition et les classements. Le Colegio Militar doit en effet répondre aux attentes du pouvoir politique et tenir compte des difficultés financières comme du contexte social. De plus, il est nécessaire que l’école s’insère dans le système éducatif existant et s’adapte à ses faiblesses. La prise en compte de ces tensions dans l’organisation du curriculum conduit à mettre en avant une logique de rentabilité des investissements et d’efficacité de la formation. Ce qui signifie, dans un contexte influencé par la construction de l’État et l’utilitarisme benthamien, attirer les élèves vers un cursus scientifique et technique méconnu de la population et amener le plus grand nombre d’entre eux à son terme. Ce choix impose de limiter les processus de sélection et de mettre en œuvre un système d’évaluation qui, tout en servant la transmission de connaissances et l’acquisition de comportements, tente de limiter l’échec et les abandons.

84Les différentes formes de l’évaluation au Colegio Militar visent ces objectifs à plusieurs niveaux : lors de l’admission en limitant les prérequis, dans les enseignements de chaque matière en favorisant des ajustements pédagogiques ou en stimulant l’étude, lors des examens en facilitant la validation des acquis. L’évolution de l’école sur plusieurs décennies s’accompagne d’adaptations de ces procédures d’évaluation qui, toutefois, maintiennent la cohérence de l’ensemble et l’orientation donnée par ces objectifs.

85Mais l’évaluation possède d’autres facettes. Elle permet à l’institution de recueillir des informations sur les élèves et de les encadrer et de réguler son propre fonctionnement. Au-delà de l’établissement, elle favorise l’influence du pouvoir politique et la construction d’une image sociale de l’établissement faisant sa réputation. Les examens qui constituent des temps forts de l’évaluation des élèves permettent l’expression de ces diverses formes de contrôle. En tentant de dresser un bilan des apprentissages, ils ouvrent en effet la voie aussi bien aux jugements de l’institution sur les parcours des élèves qu’à ceux, extérieurs, de l’opinion publique ou de l’État sur l’établissement.

86Enfin, le cas du Colegio Militar souligne le rôle heuristique que peut jouer l’étude des systèmes d’évaluation dans l’histoire des institutions éducatives. Elle offre en effet un outil d’analyse permettant d’éclairer divers aspects du curriculum : la transmission des savoirs, en soulignant ici l’accent mise sur les enseignements théoriques, mais aussi des savoir-être, en montrant l’importance donnée à la discipline et aux valeurs de travail, d’ordre et d’obéissance qu’elle véhicule. En outre, l’étude de l’évaluation révèle des mécanismes de circulations de savoirs pédagogiques. Elle offre en particulier à l’analyse des exemples concrets de dispositifs pédagogiques et permet de pointer les adaptations comme l’esprit dans lequel elles sont menées. En retour, la compréhension des logiques qui accompagnent la mise en œuvre de ces dispositifs peut renouveler la perception que nous en avons et nous amener à reconsidérer certains schémas de pensée ancrés sur la sélection et l’évaluation du mérite qui influencent notre approche de diverses problématiques présentes dans l’histoire de l’éducation.

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Notes

1 Nous envisageons ici les élites dans un sens large d’individus ayant acquis une culture ou un statut leur conférant une reconnaissance symbolique ou sociale. Sur la notion d’élite en histoire, voir Frédérique Leferme-Falguières, Vanessa Van Renterghem, « Le concept d’élite. Approches historiographique et méthodologiques », Hypothèses, vol. 4, no 1, 2001, p. 55-67.

2 Pour l’enseignement et l’évaluation à l’École des Ponts et Chaussées et à l’École du Génie de Mézières, voir : Bruno Belhoste, Antoine Picon, Joël Sakarovitch, « Les exercices dans les écoles d’ingénieurs sous l’Ancien Régime et la Révolution », Histoire de l’éducation, no 46, mai 1990, p. 53-109 ; Antoine Picon, « De l’ingénieur-artiste au technologue : procédures de sélection et notation des élèves à l’École des ponts et chaussées 1747-1851 », Paedagogica Historica, vol. 30, no 1, juillet 2006, p. 411-452.

3 Boris Noguès, Une archéologie du corps enseignant, Paris, Belin, 2006 ; Marie-Madeleine Compère, Du collège au lycée (1500-1850), Paris, Gallimard, 1985.

4 Bruno Belhoste, « Anatomie d’un concours. L’organisation de l’examen d’admission à l’École polytechnique de la Révolution à nos jours », Histoire de l’éducation, no 94, mai 2002, p. 141-175.

5 Franck Safford, El ideal de lo practico, El desafío de formar una élite técnica y empresarial en Colombia, Medellin, Fondo editorial Universidad EAFIT, 2014 (2e éd.) ; Alberto Mayor, Innovación – Excelencia – Tradición, Facultad de Ingeniería 1861-2011, Bogota, Universidad Nacional de Colombia, 2011.

6 On peut dégager quatre périodes du Colegio Militar entre 1848 et 1884 : de 1848 à 1854 l’école s’établit et installe son programme d’études mais doit fermer ses portes à la suite d’un coup d’État ; de 1854 à 1868, l’établissement tente de rouvrir mais n’y parvient qu’en 1866 et ne fonctionne que partiellement ; de 1868 à 1880, il intègre la Universidad Nacional et devient la Escuela de Ingeniería, ce nouveau statut lui permettant de renforcer et d’étendre son curriculum ; de 1880 à 1884, l’école se sépare de l’université et augmente la part de son enseignement dédiée à l’instruction militaire.

7 Bertrand Eychenne, Le Colegio Militar de Bogota (1848-1884). La mise en place d’un enseignement supérieur des sciences et des techniques après l’indépendance de la Colombie, thèse de doctorat, histoire des sciences, université Paris-Saclay, 2018.

8 Voir Pierre Bourdieu, Jean-Claude Passeron, Les héritiers, Paris, Les Éditions de Minuit, 1985 ; Pierre Bourdieu, La noblesse d’État, Paris, Les Éditions de Minuit, 1989 ; Bruno Belhoste, La formation d’une technocratie. L’École polytechnique et ses élèves de la Révolution au Second Empire, Paris, Belin, 2003 ; Bruno Belhoste, « L’examen, une institution sociale », Histoire de l’éducation, no 94, mai 2002, p. 5-16 ; Bruno Belhoste, « Anatomie d’un concours », art. cit., p. 141-175 ; Annabelle Allouch, La société du concours. L’empire des classements scolaires, Paris, Seuil, 2017 ; Emmanuelle Picard, « L’histoire de l’enseignement supérieur français. Pour une approche globale », Histoire de l’éducation, n122, avril-juin 2009, p. 11-33 ; Fabien Locher, « Les sciences et les techniques dans l’enseignement supérieur français (XIXe-XXe siècles) », Histoire de l’éducation, no 122, avril-juin 2009, p. 35-52.

9 Préambule de la loi du 6 août 1821, sobre aplicación a la enseñanza pública de los bienes de conventos menores, Codificación Nacional, t. 1, Bogota, Imprenta de la Nación, 1928, p. 21.

10 Jeremy Bentham, An introduction to the principles of morals and legislation, Londres, T. Payne, 1789, p. i et suivantes.

11 Manuel Arteaga Hernandez, Jaime Arteaga Carvajal, Historia política de Colombia, Bogota, Planeta, 1999, p. 206-207 (3e éd.).

12 Sur le situation économique et financière de la Colombie après l’indépendance, voir Jorge Orlando Melo, « La evolución económica de Colombia, 1830-1900 », in Manual de Historia, Bogota, Procultura, 1992, p. 133-207 (4e éd.).

13 Loi no 1776 du 1er juin 1847, sobre establecimiento de un colegio militar, Codificación Nacional, t. 12, op. cit., p. 113.

14 Anales de Ingeniería, vol. 8, 1895, p. 78.

15 Alejandro Osorio, Informe del secretario de gobierno de la Nueva Granada al Congreso Constitucional de 1847, Bogota, Imprenta de José A. Cualla, 1847, p. 11.

16 Loi no 1776 du 1er juin 1847, sobre establecimiento de un colegio militar, Codificación Nacional, t. 12, op. cit., p. 111-113.

17 Valerio Barriga, Informe del secretario del despacho de Guerra de la Nueva Granada presenta al Congreso Constitucional de 1851, Bogota, Imprenta del Neo-Granadino, 1851, p. 19.

18 La République de Nouvelle-Grenade compte 22 provinces en 1847 et ce nombre augmente progressivement jusqu’à 36 provinces en 1853.

19 Les États-Unis de Colombie comprennent alors huit « États souverains », puis neuf à partir de 1863, réunis dans une confédération.

20 Aucune disposition particulière n’est toutefois prise pour les disséminer. Valerio Barriga, Informe del secretario del despacho de Guerra…, op. cit., p. 18.

21 Agustin Codazzi, « Colejio Militar. Ideas sobre la perspectiva futura del Colejio militar que presenta su Inspector al Excmo Sr Jeneral Tomas C. De Mosquera Presidente de la República », Gaceta Oficial, no 1028, 25 février 1849, p. 64.

22 Ces lettres sont rassemblées pour la plupart dans les tomes 770 et 979 du fonds du Secretario de Guerra y Marina de l’Archivo General de la Nación [désormais AGN] de Bogota.

23 AGN, fonds du Secretario de Guerra y Marina, t. 770, fol. 689.

24 Ibid., t. 979, fol. 3.

25 Ibid., t. 770, fol. 756.

26 À partir des années 1860, avec l’adoption du système fédéral, la décision est confiée au pouvoir exécutif de chaque État de l’Union.

27 C’est ce que suggèrent les documents d’archives dont nous disposons, mais il est possible que des demandes refusées n’aient pas été conservées.

28 Décret du 3 février 1871, que establece reglas para la admisión en la Universidad Nacional de los alumnos pensionados por la Nación, Codificación Nacional, t. 25, op. cit., p. 472-474.

29 Loi 69 no 3235 O, du 1er juin 1877, que crea la Escuela de Ingeniería Civil y Militar independiente de la Universidad Nacional, Codificación Nacional, t. 28, op. cit., p. 444.

30 Décret n°504, du 26 novembre 1879, sobre organización de la Escuela de Ingeniería Civil y Militar, Codificación Nacional, t. 29, op. cit., p. 443-449.

31 AGN, fonds du Secretario de Guerra y Marina, t. 770, fol. 617.

32 Loi 69 no 3235 O, du 1er juin 1877, que crea la Escuela de Ingeniería Civil y Militar independiente de la Universidad Nacional, Codificación Nacional, t. 28, op. cit., p. 443-445.

33 Pour des travaux portant sur les bourses en France et leur attribution, voir : Marie-Madeleine Compère, « Les boursiers nationaux. Projets politiques et réalisations, de l'Ancien régime à l'Empire », in Pierre Caspard, Jean-Noël Luc, Philippe Savoie (dir.), Lycées, lycéens, lycéennes : deux siècles d'histoire, Paris, INRP, 2005, p. 73-86 ; Jean Le Bihan, « Le recrutement des boursiers des collèges royaux sous la monarchie de Juillet : nouveau regard à partir des ordonnances de nomination », Histoire de l’éducation, n° 144, 2015, p. 55-78.

34 Juan N. Mateus, Memoria del Secretario de Guerra i Marina, Bogota, Imprenta de La Luz, 1883, p. 10.

35 Voir par exemple, pour le certificat d’études primaires, Patrick Cabanel, La République du certificat d’études, Paris, Belin, 2002.

36 Bruno Belhoste, « L’examen, une institution sociale », Histoire de l’éducation, n° 94, 2002, p. 6.

37 Décret n1797 du 20 juillet 1847, orgánico del colegio militar, Codificación Nacional, t. 12, op cit., p. 328.

38 AGN, fonds du Secretario de Guerra y Marina, t. 968, fol. 240.

39 Henry Lemly, « Informe del Director Jefe de Estudios de la Escuela Militar », in Juan N. Mateus, Memoria del Secretario de Guerra i Marina, Bogota, Imprenta de La Luz, 1883, document no 21.

40 Bruno Belhoste parle de « système polytechnicien ». Bruno Belhoste, La formation d’une technocratie…, op. cit., p. 40.

41 Jaime Jaramillo Uribe, « Las sociedad democráticas de artesanos y la coyuntura política y social colombiana de 1848 », Anuario colombiano de historia social y cultural, no 8, 1976, p. 10.

42 Miguel Bracho, Informe sobre las ventajas que puede reportar el Colejio Militar i la clase de artesanos en general con el establecimiento de una escuela preparatoria en el mismo Colejio, AGN, fonds du Secretario de Guerra y Marina, t. 761, fol. 680.

43 Décret no 1961 B bis, du 21 décembre 1849, que establece una escuela preparatoria en el colegio militar, Codificación Nacional, t. 13, op. cit., p. 584.

44 Carlos Martin, Secretaria de lo Interior y Relaciones Esteriores, Memoria al Congreso Nacional, Bogota, Imprenta de la Nación, 1868, p. 60.

45 Jean-Claude Forquin, « Curriculum », in Philippe Champy, Christiane Étévé (dir.), Dictionnaire encyclopédique de l’éducation et de la formation, Paris, Éditions Retz, 2005, p. 235 (3e éd.).

46 Sur l’histoire de l’enseignement oral : Annie Bruter, « Le cours magistral comme objet d’histoire », Histoire de l’éducation, no 120, septembre 2008, p. 5-32 ; Françoise Waquet, Parler comme un livre. L’oralité et le savoir, XVIe-XXe siècle, Paris, Albin Michel, 2003.

47 Un système d’interrogation orale similaire est pratiqué à l’École polytechnique au début du XIXe siècle, mais il est progressivement laissé aux répétiteurs : Bruno Belhoste, La formation d’une technocratie, Paris, Belin, 2003, p. 187-188.

48 Miguel Triana, un ancien élève du Colegio Militar qualifie cette méthode de « stérile » et la compare aux leçons orales dans « Estudio de la Ingenieria consideraciones sobre plan de estudios », Anales de Ingeniería, vol. 1, 1887, p. 45.

49 AGN, fonds du Secretario de Guerra y Marina, t. 793, fol. 84.

50 Ibid.

51 Ibid., t. 748, fol. 41.

52 Ibid.

53 Ibid., t. 748, fol. 63 ; t. 768, fol. 382 ; t. 768, fol. 83. Le manuel de Lino de Pombo est intitulé Lecciones de Jeometría Analítica, Imprenta de El Día, Bogota, 1850.

54 AGN, fonds du Secretario de Guerra y Marina, t. 1410, fol. 106.

55 Loi no 976 du 29 avril 1836, que arregla la instrucción militar, Codificación Nacional, t. 6, op. cit., p. 57.

56 Ibid., p. 57-62

57 Décret no 1797 H bis du 14 septembre 1847, que organiza las universidades, Codificación Nacional, t. 12, op. cit., p. 402-455.

58 « Programa jeneral de materias para el Certamen publico que presentara la Clase de Matemáticas de prime año del Colejio Militar de Bogotá », Biblioteca Nacional, fonds Pineda, no 803, fol. 402.

59 Les exercices militaires, la gymnastique, l’escrime, la natation, l’équitation ne sont pas évalués avant 1882 et les quelques questions de géométrie pratique qui apparaissent aux examens sont théoriques : la pratique de terrain n’est pas évaluée.

60 Lino de Pombo, Lecciones de Jeometría Analítica, Imprenta de El Día, Bogota, 1850.

61 Indalecio Liévano, Tratado elemental de Aritmética, Bogota, Imprenta Ortiz i Compañía, 1856 (1re éd.) et Imprenta Medardo, 1872 (2e éd.).

62 Décret no 462 du 12 octobre 1882, por el cual se reforman los capítulos 21, 22 y 23 y sus concordantes del reglamento orgánico de la Escuela de Ingeniería Civil y Militar, Codificación Nacional, t. 32, op. cit., p. 417-423.

63 Pour une approche historique de la qualification voir : Pierre Merle, Les pratiques d’évaluation scolaire. Historique, difficulté, perspective, Paris, Presses universitaires de France, 2018, p. 51-86.

64 AGN, fonds du Secretario de Guerra y Marina, t. 1232, fol. 731-737: thèse de l’élève Abel Bravo en algèbre supérieure.

65 Bertrand Eychenne, Le Colegio Militar de Bogota (1848-1884), op. cit., chapitre 9, p. 377-414.

66 AGN, fond du Secretario de Guerra y Marina, t. 793, fol. 112.

67 « Reglamento jeneral de la Universidad », Analesde la Universidad nacional, vol. 6, 1872, p. 389.

68 El Conservador, no 22, 5 septembre 1881, p. 87.

69 « Oficio del Jefe de estudios de la Escuela de Ingenieria Civil y Militar », Diario Oficial, no 5346-5347, 6 mai 1882, p. 10437.

70 Lemly donne un exemple : si un élève obtient comme note 8 pour trois leçons alors que le maximum de leçons présentées par un élève est de quatre alors sa note est (8 x 4) / 3 = 10,6.

71 Regulations for the United States Military Academy at West Point, New York, Washington, Government printing office, 1883, p. 37.

72 Voir par exemple Bruno Belhoste, La formation d’une technocratie…, op. cit.

73 AGN, fond du Secretario de Guerra y Marina, t. 793, fol. 112.

74 Ibid., t. 827, fol. 683.

75 Ibid., t. 1230, fol. 414.

76 Ibid.

77 Ibid., t. 1230, fol. 341.

78 Ibid.

79 Ibid.

80 Patrocinio, Cuellar Informe del secretario de estado del despacho de gobierno de la Nueva Granada al Congreso Constitucional de 1853, Bogota, Imprenta de Echeverria Hermanos, 1853, p. 38.

81 AGN, fonds du Secretario de Guerra y Marina, t. 811, fol. 261.

82 Ibid., t. 827, fol. 648.

83 Décret no 1797 H bis du 14 septembre 1847, que organiza las universidades, Codificación Nacional, t. 12, op. cit., p. 402-455.

84 Ibid.

85 AGN, fonds du Secretario de Guerra y Marina, t. 768, fol. 519.

86 Ruperto Ferreira, « Las enseñanzas en la Facultad de Matemáticas », Anales de Ingeniería, vol. 11, 1899, p. 111.

87 AGN, fonds du Secretario de Guerra y Marina, t. 1232, fol. 760.

88 Ibid., t. 1232, fol. 762.

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Pour citer cet article

Référence papier

Bertrand Eychenne, « Une formation sans sélection d’une élite scientifique et technique ? L’évaluation au Colegio Militar de Bogota (1848-1884) »Histoire de l’éducation, 153 | 2020, 9-46.

Référence électronique

Bertrand Eychenne, « Une formation sans sélection d’une élite scientifique et technique ? L’évaluation au Colegio Militar de Bogota (1848-1884) »Histoire de l’éducation [En ligne], 153 | 2020, mis en ligne le 01 janvier 2023, consulté le 19 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/histoire-education/5138 ; DOI : https://doi.org/10.4000/histoire-education.5138

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Auteur

Bertrand Eychenne

UR Études sur les sciences et les techniques, Groupe d’histoire et de diffusion des sciences d’Orsay (GHDSO)

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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