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Le Point Sur

Le Onze de France en 1973, un sélectionneur venu des Carpates

Paul Dietschy
p. 107-108

Résumé

Joueur et entraîneur de football roumain, Stefan Kovacs prend la tête de la sélection française en 1973. Après l’Anglais George Kimpton en 1934, il est le deuxième étranger à occuper ce poste prestigieux.

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Texte intégral

1Au cours du XXe siècle, la figure culturelle de l’immigré roumain en France a souvent été associée au monde du théâtre (Eugène Ionesco, Elvire Popesco), des lettres (Tristan Tzara, Emil Cioran) ou des arts (Brancusi). La nomination en août 1973 de Stefan Kovacs au poste de sélectionneur de l’équipe de France ajoute un volet sportif dans une décennie où s’illustrent les champions roumains comme le tennisman Ilie Nastase ou la gymnaste Nadia Comaneci.

2L’arrivée de Kovacs est aussi remarquée en un temps où le rideau de fer limite les migrations entre la Roumaine et la France à celles des apparatchiks du régime de Ceausescu ou de ses dissidents, comme les écrivains Paul Goma et Virgil Tanase expulsés vers la France en 1977. Du point de vue du football, la Roumanie n’est pas aussi renommée que d’autres nations de l’Europe centrale et orientale telles que la Hongrie, la Tchécoslovaquie ou la Pologne. Après la Seconde Guerre mondiale, la sélection nationale n’a disputé qu’une phase finale de Coupe du monde en 1970 sans en franchir le premier tour. Certes, les spécialistes se souviennent de Iosif Kaucsar, un milieu de terrain d’origine roumaine, qui a joué de 1925 à 1940 pour le Stade Raphaëlois, puis le S.O. Montpellier et, une fois naturalisé, porté 15 fois le maillot de l’équipe de France. Comme lui, Kovacs appartient à la minorité magyare devenue roumaine à la suite du traité de Trianon (1920).

3Ce n’est donc pas la nationalité du technicien qui séduit Fernand Sastre, le président de la Fédération française de football, mais bien plutôt son parcours. Né en 1920 à Timisoara, fils d’un cheminot footballeur, Stefan Kovacs étudie jusqu’au baccalauréat pour partir en Belgique, à l’âge de 18 ans, embrasser, comme son frère, la carrière de footballeur professionnel à Charleroi. Revenu en Transylvanie en 1941, il est recruté par le club Universitatea Cluj avant d’y faire ses premiers pas d’entraîneur. Il coache ensuite les sélections roumaines et le Steaua Bucarest, le club de l’armée. Ses talents de polyglotte – les mauvaises langues disent qu’il baragouine entre autres l’allemand, l’anglais et le français – lui permettent de nouer des contacts avec ses homologues étrangers, notamment français, lors de stages organisés par l’Union des associations européennes de football (UEFA). Ce n’est donc pas un parfait inconnu que recrute l’Ajax d’Amsterdam en juin 1971. L’équipe du capitaine Johann Cruyff vient de remporter sa première Coupe des clubs champions. Accueilli avec suspicion, sinon avec défiance, Kovacs parvient pourtant brillamment à prendre la succession de l’entraîneur hollandais Rinus Michels en remportant, en 1972 et 1973, le championnat néerlandais et l’actuelle Ligue des champions, ainsi qu’une Coupe intercontinentale. Il a pu compter, il est vrai, sur des joueurs appartenant à l’élite mondiale du football.

4Prévenants, ces derniers ont offert à Kovacs une Renault 17 flambant neuve pour le remercier de ses services. Il ne la conduira pas en France où, installé dans les beaux quartiers parisiens, il a beaucoup à faire. Depuis 1966, les Bleus se montrent incapables de se qualifier pour une phase finale de Coupe du monde ou d’Europe. Selon Cruyff, « les Français sont de bons techniciens. Ils ont le souci du geste bien fait et de la passe précise. Leur action collective est appliquée. Mais cela ne va guère loin. » Grand prêtre du football total, où toute l’équipe attaque et défend, Kovacs doit donc mettre en place un jeu efficace et moderne. Pour y parvenir, il peut s’appuyer sur son expérience du haut niveau aux Pays-Bas, ses talents de psychologue et une formation à la soviétique ne négligeant aucune science utile au footballeur. C’est aussi un francophile convaincu qui suit depuis vingt ans le football hexagonal en lisant la presse française. Joyeux drille rondouillard, fumeur compulsif de cigarettes, le compatriote de Cioran parle un français pittoresque ponctué de néologismes empruntés au roumain, comme la « sériosité ». Il doit toutefois compter avec les divisions du football français entre partisans de Georges Boulogne, l’ancien sélectionneur devenu Directeur technique national, adepte d’un jeu physique et défensif, et Albert Batteux, l’entraîneur inventeur du « football champagne » du Stade de Reims et de l’équipe de France 1958. Soutenu par France Football et Jacques Ferran, Kovacs suscite vite l’opposition du Miroir du football de François Thébaud et d’une partie des entraîneurs français, dont Batteux qui aurait voulu se voir confier le poste de sélectionneur. Après l’Anglais George Kimpton en 1934, il est le deuxième étranger à occuper cette position sensible. Pour Fernand Sastre, un étranger doit permettre d’en finir avec la guerre des clans tout en étant plus facile à évincer en cas d’échec.

  • 1 Miroir du football, 13 novembre 1975.

5Si l’expérience Kovacs ne dure que deux saisons, son arrivée suscite l’espoir. Le Roumain sera même reçu à l’Élysée par Valéry Giscard d’Estaing après son élection et bénéficie d’un contrat très généreux. Malgré une première année très moyenne, la fédération et la diplomatie françaises doivent batailler pour qu’il reste une année de plus dans un contexte de crise diplomatique autour de l’église roumaine de Paris occupée par le père Boldeanu et un groupe d’opposants au régime communiste. Finalement, Ceausescu accepte qu’« oncle Stefan », comme on le surnomme, reste. S’il introduit davantage de rigueur dans les rassemblements de l’équipe de France, s’il essaye de renouveler l’effectif de l’équipe nationale en essayant pas moins de 33 nouveaux joueurs, dont certains sont remplaçants dans leurs clubs, s’il peut compter sur des valeurs sûres comme Marius Trésor, Jean-Pierre Adams ou Georges Bereta et sélectionne le « paria » Jean-Marc Guillou, son bilan est toutefois décevant. Sur quinze rencontres, les Bleus n’en remportent que 6, en perdent 5 et font 4 matchs nuls. Ils sont éliminés des qualifications pour le Championnat d’Europe des nations 1976 et restent abonnés aux « glorieuses défaites » et aux victoires sans lendemain. Kovacs n’a pas su s’appuyer sur l’ossature des « Verts » de Saint-Étienne qui s’affirment sur la scène européenne et est arrivé trop tôt pour pouvoir compter sur Michel Platini. Défini après son départ, par un François Thébaud peu suspect d’anticommunisme, comme « le prince des mystificateurs1 », il n’en a pas moins préparé l’arrivée au poste de sélectionneur de Michel Hidalgo, son adjoint et successeur, qui parviendra à qualifier les Bleus pour le Mundial argentin, un objectif que s’était d’ailleurs fixé l’entraîneur roumain.

Pour en savoir plus :

Jean-Claude Hallé, Football Story. Le Onze de France, Paris, Flammarion, 1978.

Stefan Kovacs, Football total, Paris, Calmann-Lévy, 1975.

Jean-Philippe Rethacker, L’équipe de France de football, Paris, éd. O.D.I.L., 1976.

Béatrice Scutaru, « La Roumanie à Paris : exil politique et lutte anti-communiste », Histoire@Politique, n° 23, 2014, pp. 154-165.

Jacques Thibert et Max Urbini, Cruyff superstar, Paris, Calmann-Lévy, 1974.

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Notes

1 Miroir du football, 13 novembre 1975.

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Pour citer cet article

Référence papier

Paul Dietschy, « Le Onze de France en 1973, un sélectionneur venu des Carpates »Hommes & migrations, 1330 | 2020, 107-108.

Référence électronique

Paul Dietschy, « Le Onze de France en 1973, un sélectionneur venu des Carpates »Hommes & migrations [En ligne], 1330 | 2020, mis en ligne le 03 janvier 2023, consulté le 16 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/hommesmigrations/11512 ; DOI : https://doi.org/10.4000/hommesmigrations.11512

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Auteur

Paul Dietschy

Professeur en d’histoire contemporaine à l’université de Bourgogne-Franche-Comté.

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