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AccueilNuméros1339Au MuséePédagogieAdam et Amar (16 min, 2022)

Au Musée
Pédagogie

Adam et Amar (16 min, 2022)

Christiane Audran-Delhez
p. 168-174

Résumé

Ce court-métrage scolaire qui déconstruit les stigmates est l’œuvre d’élèves du lycée Condorcet de Limay. Retour d’expérience sur un projet qui mobilise la résidence de cinéma du Musée, Frontières/Horizon(s), des ateliers itinérants de cinéma, Les ateliers Djemel Barek, et le corps enseignant.

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Texte intégral

1La mission du Musée national de l’histoire de l’immigration (MNHI) est de changer le regard sur l’immigration au sein de la société française en faisant connaître l’histoire de l’immigration, en faisant rentrer les cultures de l’immigration dans le patrimoine national, puisqu’il s’agit bien du dernier musée national créé en France. Organiser une exposition sur Picasso l’étranger s’inscrit pleinement dans cette mission : alors qu’il est un mythe national pleinement intégré au patrimoine national, peu de personnes savent qu’il a été un immigré auquel la nationalité française a été refusée. Mais d’autres étrangers ne deviennent pas des héros célébrés et restent largement invisibles dans le récit national. Paraissant pour toujours être marginalisés dans le patrimoine, ils ne peuvent être facilement mobilisés dans le musée imaginaire à disposition de tous, et en particulier des élèves. Et nombre d’élèves présents sur le territoire, scolarisés dans les établissements de la République dans des départements ruraux, mais aussi dans des espaces du périurbain ou des banlieues, voire au cœur des villes, ont bien du mal à leur tour à s’approprier les figures de ce musée que l’École doit contribuer à construire, en particulier dans le champ de l’éducation artistique et culturelle.

2Le Musée national de l’histoire de l’immigration est l’un des rares musées dont l’une des tutelles est l’Éducation nationale. Son département de la pédagogie au sein du service Ressources a une mission de fond à remplir dans cette perspective. Le court-métrage Adam et Amar est une pépite de création cinématographique scolaire qui rend visible des trajectoires d’immigrés, leur rend hommage en même temps qu’il met en lumière le Musée et, singulièrement, la Médiathèque Abdelmalek Sayad, l’un des lieux de tournage. Ce film a été projeté dans l’auditorium P. Dewitte avec un autre court-métrage le vendredi 27 mai 2022.

3Ce projet s’inscrit dans le cadre d’un enseignement spécifique mais participe aussi de la généralisation de l’éducation artistique et culturelle et parie sur l’expérience vitale de la création. Cette expérience se frotte ici à l’histoire contemporaine, à l’histoire de l’immigration issue de l’ancien empire colonial et rencontre aussi des questions sensibles : que faire face au mépris de classe, à la banalité du racisme le plus quotidien ? Ce projet interdisciplinaire et citoyen s’articule à la découverte d’un lieu de patrimoine, le Palais de la Porte dorée, à la fois chef-d’œuvre artistique et summum de la propagande coloniale, et à la découverte des ressources d’un musée national.

4J’ai mené une visite guidée visant à décrypter le monument et son riche décor signifiant pour cette classe en projet, dans le cadre de ma mission d’accompagnement des initiatives scolaires artistiques, mission définie par la DAAC et l’Éducation nationale. Le Palais et la médiathèque deviennent concrètement des lieux de tournage, tout comme l’environnement proche des lycéens, la gare de Limay : le film les donne à voir, leur confère une autre dimension.

5Cette création a ainsi une force performative à ne pas négliger pour des adolescents encore soucieux de lutter concrètement contre les injustices sociales : Adam, le héros « porte-parole » de la jeune génération lycéenne, veut comprendre le parcours d’un ancien, un chibani anonyme mort dans l’indifférence. Le Musée national de l’histoire de l’immigration est doublement dans son rôle : faire évoluer le regard sur les immigrés et être un des partenaires de la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah).

6Connaître et comprendre un parcours de vie était déjà au cœur du projet muséographique de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration avec la singulière Galerie des dons qui proposait des portraits individuels et familiaux s’articulant avec la « grande histoire ». L’entrée dans l’histoire par le sensible a des vertus pédagogiques : Adam et Amar peuvent être rapprochés des héros d’Alice Zéniter (Jusque dans nos bras, premier lauréat du Prix littéraire de la Porte dorée), du père d’Omar Benlaâla (Tu n’habiteras jamais Paris), et de bien d’autres. Extraits de l’anonymat, ils incarnent à leur manière le récit national, peuplant le musée imaginaire des spectateurs et des créateurs.

« Cette année expérimentale a été un ouragan d’énergies positives »

7Entretien avec Lucile Humbert Wozniak, chargée de l’audiovisuel, Musée national de l’histoire de l’immigration, réalisé par Christiane Audran-Delhez, ancienne professeure relais au Musée pour l’académie de Versailles.

Hommes & Migrations : Quelle est la place du cinéma et plus précisément de la création cinématographique au Musée ?

Lucile Humbert Wozniak : Depuis 2013, le Musée coproduit avec le Groupe de recherches et d’essais cinématographiques (Grec) une résidence de cinéma, Frontières/Horizon(s), sur les thématiques du Musée. Cette approche empirique et participative du cinéma est l’un des grands atouts de l’institution dont elle fait aussi l’originalité  aucun autre musée n’accueille de résidence cinéma. Chaque année, une personnalité du cinéma préside le jury composé de professionnels : Alice Diop, Hassen Ferhani, Olivier Babinet, Diana Gaye, Stéphane Ly-Cuong, Jean-Pascal Zadi ont ainsi apporté leurs parrainages aux lauréats. Aujourd’hui, huit films sont visibles soit sur les plateformes, soit, pour certains plus récents, en festival à travers le monde. Le dernier, Amira, film de Hee-jin Kim, est en cours de montage chez notre partenaire Périphérie 93 à Montreuil.

Le musée propose également un cycle annuel de cinéma permettant de découvrir des premiers films ou de redécouvrir des chefs-d’œuvre, aujourd’hui invisibles et parfois invisibilisés. Nous sommes souvent sollicités comme prescripteurs pour de nombreuses actions autour du cinéma lorsqu’il s’agit d’évoquer les migrations et les sujets brûlants d’identités.

H&M : Le Musée est-il au cœur d’un réseau de partenaires favorisant la création filmée en lien avec l’histoire de l’immigration ? Est-il un lieu « ressources » ?

L. H. W. : Le Musée est doté d’un centre de ressources, dirigé par Stéphanie Bartolo, qui veille, collecte et valorise les films qui questionnent les thématiques chères au MNHI. On y trouve donc des films de cinéastes désireux de se réapproprier l’histoire, d’amender le récit national européocentré, de rendre compte des effets du passé dans le présent, d’un monde néocolonial, aux dysfonctionnements et aux disparités exagérés.

Nous avons noué des collaborations avec Périphéries 93, le Grec, Le Fresnoy, La Fémis, les Ateliers Varan, Cinéma 93, Aflam, et collectons ainsi les films d’écoles avec le filtre « immigration », qui sont visionnables sur rendez-vous.

Le Musée est également dépositaire d’une collection d’émissions sur l’immigration couvrant la période 1976 à 1990 en partenariat avec l’Institut national de l’audiovisuel (Ina). En 1976, encouragé par son ami Abdelmalek Sayad, Tewfik Farès réussit à convaincre Paul Dijoud, le tout nouveau secrétaire d’État à l’immigration, de créer une émission pour répondre aux besoins de reconnaissance, d’existence d’une population vouée jusqu’alors au silence, porté par les associations d’immigrés. Pensée comme une émission sur et pour les immigrés, Mosaïque est devenue au fil des années une porte ouverte sur les cultures de l’immigration. Invitant notamment via « Monsieur Cinéma », AKA Mouloud Mimoun, des cinéastes incontournables tels que Med Hondo, Sarah Maldoror, Mehdi Charef, etc.

Nous avons aussi récemment reçu en donation une riche collection d’affiches déposées par Hubert Cavaniol, collectionneur, qui depuis plus de vingt ans s’intéresse à l’immigration au cinéma.

Nous sommes donc un acteur et un lieu de ressources essentiel aujourd’hui sur les questions de cinéma et de diversité. Ce n’est pas un hasard si Pap Ndiaye, notre ancien directeur général, était président de la commission images de la diversité au Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC).

H&M : Grâce à quel dispositif avez-vous vu contribuer à faire surgir cet ambitieux projet ?

L. H. W. : Ancien parrain de la résidence de cinéma Frontières/Horizon(s) au Musée national de l’histoire de l’immigration, l’acteur Slimane Dazi a créé, avec l’aide de Frédéric Callens, directeur des Ressources, et l’accord enthousiaste de Pap Ndiaye, Les ateliers Djemel Barek, des ateliers itinérants dédiés aux métiers du cinéma, en hommage à son grand ami, Djemel Barek, un homme qui, lui aussi, a toujours refusé d’interpréter les caricatures et les stéréotypes de « l’Arabe de service ».

Au travers de ce dispositif, l’ambition du MNHI est d’offrir un accès privilégié à l’histoire de l’immigration et au monde du cinéma aux élèves de l’éducation prioritaire et, plus largement, à ceux qui sont éloignés de la culture. Il s’agit, pour le MNHI, de renforcer sa mission et d’utiliser l’image au service de la lutte contre les discriminations.

Ce dispositif implique une équipe pédagogique, comprenant les professeurs de la classe, désireuse de travailler sur la question des migrations avec le MNHI, le personnel du département Ressources du MNHI et les personnels techniques et artistiques du cinéma de l’association Gens debout.

H&M : Quel a été votre rôle pour accompagner concrètement ce projet ?

L. H. W. : J’ai rencontré Pablo Malek en septembre 2021 lors d’une soirée de projection de courts-métrages que j’organisais en plein air sur la terrasse éphémère du Musée. Nous avons tout de suite commencé à élaborer le projet de travailler ensemble sur l’année scolaire. J’ai coordonné le dispositif pour le MNHI en lien étroit avec Slimane Dazi, Pablo Malek et Christiane Audran-Delhez.

Tout s’est joué très vite, il a fallu trouver des financements, l’Association Cinémas de recherche d’Île-de-France (Acrif) a décidé de soutenir le projet de Pablo Malek qui devait aboutir à un film collectif, avec comme sujet l’immigration, l’exil, le vivre-ensemble et un rôle pour le parrain des Ateliers. La gageure a été relevée avec brio, le film Adam et Amar est d’une grande qualité, autant sur le fond que sur la forme.

Après avoir bénéficié d’une visite guidée personnalisée par la meilleure guide qui soit, Christiane Audran-Delhez, le groupe d’élèves de Pablo Malek a travaillé sur un panel de courts-métrages récents : La K-Z d’Enricka MH, Dubliné(e) d’Isham Aboulkacim. J’ai accompagné Pablo dans ces démarches tout au long du projet : projections de films, mises en relation, recherches documentaires, sélection d’archives des années 1970 et des luttes des travailleurs immigrés, transport, casting, faciliter le tournage au Musée, organisation de la séance de restitution qui, malgré une date très ingrate, a été un grand succès. Enfin, j’ai activé mes réseaux afin de tourner et réaliser des vidéos présentant les coulisses du dispositif visibles en ligne ici : https://www.youtube.com/​watch?v=Z8mCr-FWS4A&t=279s.

Cette année expérimentale a été un ouragan d’énergies positives, malgré la pandémie de Covid-19. J’ai été bluffée par la densité et l’ambition du projet, l’implication, la concentration, le professionnalisme des élèves de Pablo Malek, pour qui je garde aujourd’hui une grande affection et que je ne manquerai pas d’aider dans leurs démarches professionnelles. Pablo Malek est également un jeune réalisateur de talent, il a donné une énergie incroyable pour porter ces élèves vers une production dont ils sont aujourd’hui très fiers et qui a toute sa place en festival.

« Ce projet constitue le point culminant de la formation des élèves en cinéma »

8Entretien avec Pablo Malek, professeur au lycée Condorcet à Limay, porteur du projet, réalisé par Christiane Audran-Delhez, ancienne professeure relais au Musée pour l’académie de Versailles.

Hommes & Migrations : Pouvez-vous présenter votre établissement et la classe/la spécialité dans lesquelles vous avez développé ce projet ?

Pablo Malek : Le lycée Condorcet de Limay dans l’académie de Versailles dispense l’option cinéma-audiovisuel aux classes de seconde, de première et de terminale. La classe de terminale ayant choisi l’option cinéma-audiovisuel (CIAV) cette année était composée de 11 élèves aux profils très riches et variés, à l’image de la diversité de notre territoire et de notre public. Ces 11 élèves méritants et investis n’avaient pas pu, jusqu’alors, en raison de la situation sanitaire, participer à des activités et à des tournages de ce type depuis leur entrée au lycée en classe de seconde.

H&M : L’appui d’un musée national vous a-t-il paru indispensable ? Le Musée national de l’histoire de l’immigration vous semble-t-il un partenaire à privilégier ?

P. M. : Le MNHI a été un partenaire essentiel pour appuyer, sur un travail documentaire solide, la thématique de fond du court-métrage. Nous avons pu bénéficier de ses ressources photographiques inestimables et de son cadre comme l’un des décors principaux du film. C’est un partenaire actif de ce projet, au même titre que l’Acrif, l’association Gens Debout et le Centre culturel Le Chaplin de Mantes-la-Jolie.

H&M : Pourquoi la création d’un court-métrage aussi ambitieux vous a-t-elle paru essentielle ?

P. M. : Ce projet constitue le point culminant de la formation des élèves en cinéma, l’idée étant de les placer en conditions semi-professionnelles aux postes d’auteurs-réalisateurs. Ils ont été chargés de la direction d’acteurs et des choix esthétiques de cadre et de lumière, ainsi que de la post-production entourés et accompagnés par des techniciens professionnels.

H&M : Quel est le cheminement qui a conduit la classe à construire ce scénario et ces personnages ?

P. M. : Les élèves se sont inspirés de la réalité de leur territoire et de l’histoire de l’immigration dans la banlieue ouest parisienne, ainsi que d’expériences transmises par leurs proches. Ils ont ainsi écrit un rôle sur mesure pour le comédien Slimane Dazi, parrain du projet, suite à une première rencontre avec lui. Ce personnage d’Amar s’est nourri des recherches des élèves au MNHI sur l’histoire des chibanis. L’autre rôle principal, celui d’Adam, est plus inspiré de leur vécu et nourri par leur identification à un jeune qui découvre cette histoire et fait des recherches sur ce sujet. En partant d’une anecdote vécue par l’un d’entre eux, les élèves ont rédigé de manière collective le scénario et les dialogues de ce récit qu’ils ont ensuite porté ensemble à l’écran.

H&M : Envisagez-vous une suite au film ? Une pérennisation de ce travail pour que d’autres enseignants se lancent dans cette expérience ?

P. M. : Nous envisageons de présenter ce film dans des festivals de court-métrage et nous l’accompagnerons dans ces démarches de postulation, en espérant que le travail des élèves soit valorisé au-delà du cadre institutionnel et académique et qu’il puisse servir leurs futures carrières dans le cinéma, comme trace de leur talent précoce. Si les conditions le permettent, nous reproduirons l’expérience des ateliers de cinéma itinérants Djamel Barek avec une autre classe dès l’an prochain.

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Pour citer cet article

Référence papier

Christiane Audran-Delhez, « Adam et Amar (16 min, 2022) »Hommes & migrations, 1339 | 2022, 168-174.

Référence électronique

Christiane Audran-Delhez, « Adam et Amar (16 min, 2022) »Hommes & migrations [En ligne], 1339 | 2022, mis en ligne le 01 janvier 2024, consulté le 19 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/hommesmigrations/14613 ; DOI : https://doi.org/10.4000/hommesmigrations.14613

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Auteur

Christiane Audran-Delhez

Ancienne professeure relais au Musée pour l’académie de Versailles.

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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