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Dossier : Jean Guiart : l’ethnographie comme marathon d’une vie

Éditorial

Editorial
Rédaction du JSO
p. 5-6

Texte intégral

1L’édition d’un dossier à propos d’un·e chercheur·e peut susciter des débats. Le Journal de la Société des Océanistes a toujours veillé à maintenir une dimension critique dans chacun de ces exercices, sans passer sous silence « ce qui peut gêner ». De même, il a toujours souhaité pouvoir accorder une place à des écrits plus personnels ou à des textes plus intimes.

  • 1 Alain Saussol, contacté pour faire, dans un premier temps, un in memoriam, avait d’ailleurs répondu (...)

2Suite à la disparition de Jean Guiart, la rédaction du jso s’est rapprochée, dans le courant de l’été 2019, de Marc Tabani et Lamont Lindstrom pour leur proposer de transformer leurs appels à participation à l’Association for Social Anthropology in Oceania (asao) en un appel à dossier thématique autour de Jean Guiart, sa personnalité, ses méthodes scientifiques, afin de recontextualiser tant le personnage que l’œuvre pour les jeunes générations qui n’ont pas connu tout cela1. Le 12 août 2019, Lamont nous répondait :

« Je serais heureux, avec Marc, d’éditer un numéro-spécial sur notre ancêtre féroce, Guiart. »

3L’appel soumis par les deux éditeurs scientifiques en décembre 2019 a été validé par le CA de la SdO en 2020 et mis en ligne courant septembre 2020. Outre une partie des participations au symposium asao de 2021, la rédaction du jso reçut quelques propositions. Le tout fut mis en évaluation suivant les procédures habituelles.

4Le comité éditorial constitué en décembre 2021, donc à la fin de la préparation de ce volume du Journal de la Société des Océanistes, a longuement discuté des textes déjà évalués en peer review et révisés par leurs auteurs respectifs. Il a demandé quelques dernières modifications qui ont été faites par les auteurs. Ce court préambule livre quelques observations et réflexions qui, d’une part positionnent la démarche éditoriale et, d’autre part, articulent des questions d’ordre épistémologique susceptibles d’éclairer la publication.

5Comme l’expliquent Marc Tabani et Lamont Lindstrom dans leur introduction, l’impulsion originale des contributions dans ce numéro n’était pas celle d’un « hommage ». Ni Tabani et Lindstrom, ni le Journal de la Société des Océanistes n’ont voulu ce volume comme une publication panégyrique. Une bonne partie des contributions a d’abord eu pour cadre des sessions du congrès de l’Association for Social Anthropology in Oceania. L’intention de ces sessions consistait à esquisser

« un bilan critique sur [les] travaux anthropologiques [de Guiart]. » (Tabani et Lindstrom, introduction à ce volume, p. 7)

6Comme le précisent Tabani et Lindstrom (introduction, p. 7), cette publication fut mise en place en parallèle avec le congrès de l’Association for Social Anthropology in Oceania, le tout après le décès de Guiart). Malgré les débats autour de sa personnalité très controversée, ou peut-être en raison de ces débats, le poids scientifique de Guiart et son rôle historique en Océanie francophone donnaient du sens à une publication visant à évaluer son héritage. Ainsi, la publication de certaines communications des sessions organisées par Tabani et Lindstrom à asao auxquelles se sont ajoutées des participations spontanées suite à l’appel pour le jso, présentait une opportunité logique.

7De façon générale, en publiant autour d’une œuvre peu après le décès d’un·e auteur·e, le jso souhaite ainsi engager une véritable réflexion scientifique.

8Un problème particulièrement saillant dans le cas de Jean Guiart est sa propension aux critiques radicales, incisives et ouvertes, que certains préfèrent qualifier d’excessives et injustes, comme en témoignent de nombreuses contributions du volume. Dans les articles publiés ici, cet aspect de la personnalité de Guiart est évoqué surtout lorsque sa « verve » s’attaque à des scientifiques de renom (comme Marshall Sahlins par exemple, cf. Coiffier, ce volume, p. 190). L’impact que ses jugements tranchés ont pu avoir sur des parcours individuels de jeunes chercheur·e·s qu’il ne soutenait pas est donc trop souvent laissé dans l’ombre. Pourtant, loin d’être anecdotiques, les exclusions personnelles opérées par Jean Guiart ayant occupé des positions universitaires lui octroyant un pouvoir considérable (voir sa biographie, pp. 21 sq.), constituent un aspect fondamental de son impact scientifique. Dans des domaines scientifiques d’échelle modeste comme la recherche sur l’Océanie dans les années 1950 et 1960, un seul individu investi de responsabilités peut tenter de déterminer les obédiences scientifiques d’une génération.

9Ainsi, ce n’est pas en tant que trait de caractère que l’« intransigeance » de Jean Guiart doit nous intéresser ici, mais en tant que déterminant de développements scientifiques à une époque donnée, dans des institutions données. Estimer cet impact, évaluer quels courants ou idées il a pu juguler, et lesquelles au contraire il a permis de cultiver, nécessiterait un travail historique et épistémologique minutieux.

10Nous espérons aussi que ce volume pourra poser les bases d’une réflexion plus large permettant de replacer le rôle de Jean Guiart au sein de l’histoire des études océanistes françaises.

11En effet, plusieurs questions émergent au fil des contributions. D’une part, selon quels mécanismes intellectuels, mais aussi personnels, religieux (voir ses relations avec O’Reilly et Leenhardt) et tout simplement circonstanciels, l’apprenti ethnologue qu’était Jean Guiart dans les années 1940 et au début des années 1950 s’est-il retrouvé placé en Océanie, puis propulsé chef de file de la recherche en Océanie francophone ? D’autre part, quel impact ses travaux, sa méthode, son enseignement, sa personnalité et ses propres stratégies de soutien ou découragement de nouvelles générations ont eu sur le développement de la recherche océaniste en France ? Les articles proposés ici donnent, nous l’espérons, quelques réponses à ces questions.

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Notes

1 Alain Saussol, contacté pour faire, dans un premier temps, un in memoriam, avait d’ailleurs répondu : « Il me semble que les Océanistes ne peuvent faire moins que de lui consacrer un numéro. Hors du microcosme parisien, les gens ne comprendraient pas. Les Anglo-saxons ne manqueraient pas d’y voir un de ces petits règlements de comptes franchouillards dont nous avons le secret. Par contre, on n’a pas besoin d’en faire une flagornerie dithyrambique. Une juste appréciation de son apport de son rôle et de ses limites montrerait qu’il n’était pas parfait et que s’il avait des ennemis, il y avait des raisons. Que cela fait partie d’un personnage compliqué. C’est sain de le dire sans pour autant que cela vire au règlement de comptes. Ce numéro des Océanistes deviendrait intéressant car éclairant pour comprendre l’homme et son œuvre. Un plus donc pour la collection ! L’important est de confier ces contributions « sensibles » à des gens susceptibles de prendre un peu de hauteur, s’agissant d’expliquer sans, décès obligeant, virer au règlement de comptes. » (Email d’Alain Saussol à Isabelle Leblic du 8/08/2019).

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Pour citer cet article

Référence papier

Rédaction du JSO, « Éditorial »Journal de la Société des Océanistes, 154 | 2022, 5-6.

Référence électronique

Rédaction du JSO, « Éditorial »Journal de la Société des Océanistes [En ligne], 154 | 2022, mis en ligne le 30 juin 2022, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/jso/13970 ; DOI : https://doi.org/10.4000/jso.13970

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