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2021

Claudia Baldoli, Bolscevismo bianco. Guido Miglioli fra Cremona e l’Europa (1879-1954)

Brescia, Morcelliana (Storia), 2021, 384 p., 28 €
Marie Lucas
Référence(s) :

Claudia Baldoli, Bolscevismo bianco. Guido Miglioli fra Cremona e l’Europa (1879-1954), Brescia, Morcelliana (Storia), 2021, 384 pages, 28 €

Texte intégral

1Une biographie transnationale

  • 1 Toutes les traductions sont de l’autrice.

2En proposant la première biographie complète du « catholique bolchévique » Guido Miglioli (1879-1954), Claudia Baldoli fait découvrir une figure de l’antifascisme italien et européen extraordinairement complexe et engagée dans les grands combats du XXe siècle. Les rapports de police et d’espions qui ponctuent ses pérégrinations à travers l’Europe servent à dessiner – et pourraient presque à eux seuls y suffire – le profil idéologique et spirituel de « l’un des subversifs les plus dangereux »1 pour le régime mussolinien, selon la police fasciste en 1929 (p. 5). La catégorie de « biographie transnationale » (p. 8) n’a rien d’artificielle, appliquée à un parcours aussi mouvementé que celui de Miglioli. Après un premier séjour en Union soviétique en 1925, il fuit sa Crémone natale la nuit de Noël 1926 et commence une période d’errance entre Paris, Moscou, Bruxelles, Berlin, puis, après son arrestation par la police française en 1941, en Basilicata, où il demeure en relégation jusqu’à la chute du régime pendant l’été 1943. Ce parcours l’amène à collaborer avec les grandes figures de l’antifascisme européen, de Piero Gobetti et Antonio Gramsci en Italie, à Henri Barbusse, Romain Rolland, Willi Münzenberg entre la France et l’Allemagne, pour ne citer que les plus célèbres. Parallèlement, il continue de fréquenter de près des catholiques de gauche comme Romano Cocchi, ancien séminariste qui organise l’antifascisme italien à Paris, l’ancienne gauche du Partito Popolare Italiano (PPI) réunie dans le salon parisien de Francesco Saverio Nitti, ou le groupe Jeune République de Marc Sangnier, qui lui inspirera en 1939 un titre pour une série de publications, Sillons.

3Une fidélité aux luttes paysannes de Crémone

4Ayant renié son milieu bourgeois d’origine, Miglioli renonce à la carrière académique pour un engagement syndical et politique tout entier auprès des paysans de la plaine du Pô. Une âpre concurrence oppose alors, à l’orée du XXe siècle, les socialistes menés par Bissolati et les catholiques organisés dans les ligues « blanches ». En tête des grèves et des luttes sociales, Miglioli prend résolument le parti des classes laborieuses et parvient à des avancées décisives, dont la plus éclatante sera le lodo Bianchi de 1920. Il devient ainsi aux yeux des paysans de Crémone une figure presque mythique de libérateur. L’ouvrage de Claudia Baldoli offre des développements précis et instructifs sur la nature des revendications et des conquêtes des syndicats rouges et blancs dans le Cremonese aspirant, pour les uns, à des augmentations salariales, pour les autres, à une socialisation de la gestion des exploitations agricoles. L’engagement de Miglioli cherche à concilier une profonde compréhension des rites et traditions du monde paysan avec des méthodes inconnues de la tradition catholique dans les campagnes (grèves, conseils, manifestations), réunissant parfois rite religieux et revendication sociale. Plus profondément, l’expérience des occupations et conseils de cascina restera pour Miglioli, comme celle des conseils d’usine pour Gramsci, la base économico-politique de la lutte pour l’émancipation des masses.

5Catholique bolchévique, mais pas communiste

  • 2 G. Miglioli, Con Roma e con Mosca: quarant’anni di battaglie, Milan, Garzanti, 1945.

6« Avec Rome et avec Moscou », titre de son autobiographie de 19452, résume ses allégeances apparemment contradictoires. Celles-ci semblent en réalité l’expression d’une fidélité jamais (ou presque) démentie aux travailleurs de la terre, au pacifisme, à l’internationalisme et à la lutte contre le fascisme. Ces deux villes-symboles cristallisent son espoir inextinguible d’une rédemption simultanément spirituelle et sociale des classes exploitées. Au lendemain de son élection comme député sans parti en 1913, à la question de savoir quelle serait sa place dans l’hémicycle, il répond qu’il siègera à l’extrême gauche même si, pour lui, « la place a une importance relative. Il nous faudrait à nous aussi une place extrême, et celle-ci ne peut pas être à droite » (p. 59). La cause paysanne lui fera jusqu’au bout mettre au second plan le choix du parti, même en 1948 à l’heure où ce choix n’est pas indifférent. Contrairement à d’autres élus catholiques, il juge que le vrai clivage politique n’est pas religieux, mais social et économique. Dans cet esprit, il accepte l’invitation de Moscou à participer à l’Internationale paysanne en 1925. Il résidera six mois en Union soviétique pour étudier minutieusement la paysannerie russe, régénérée selon lui par l’abolition du salariat et l’expropriation des terres. La confiance aveugle de Miglioli envers Moscou résiste même à l’épreuve du pacte germano-soviétique et des grandes purges. Jamais, cependant, au long de ses années de travail pour le Krestintern, il n’envisage d’adhérer au Parti communiste. Comme il l’écrira à son retour d’URSS en préface à son livre, il n’est « ni communiste, ni socialiste, [mais a] été formé à l’École sociale chrétienne » (p. 239).

7Loin des partis confessionnels

8L’ouvrage permet aussi d’observer une certaine continuité entre l’expérience partisane des catholiques du premier après-guerre et du PPI, et celle de la Democrazia Cristiana (DC) lors du second après-guerre. Expulsé de l’un, refusé par l’autre, Miglioli ne croit guère que ces partis officiellement chrétiens puissent servir les intérêts des travailleurs. À deux reprises, il milite donc aux marges des partis, auprès d’autres « extrémistes » catholiques ou communistes. Dans les années 1920, il collabore étroitement avec des cadres du Partito Comunista d’Italia (PCd’I) comme Ruggiero Grieco ou Antonio Gramsci. Avec Gramsci, il prépare une section de l’Internationale paysanne et aurait même, avant cela, « anticipé » ses Thèses de Lyon, suggestion de Claudia Baldoli qui pourrait donner lieu à de plus amples développements (p. 181). Dans les années 1945-1950, Miglioli septuagénaire reprend sa collaboration avec Grieco en vue d’une Constituante de la terre et d’un projet de réforme agraire, mais aussi avec le Mouvement chrétien pour la paix, qui refuse l’atlantisme de la DC. Après sa rupture avec le PCI, il crée un groupe, Avant-garde chrétienne, qui réunit des catholiques et des communistes autour du symbole de la croix ornée d’épis et d’une pioche et autour d’un hymne sur l’air de Bandiera rossa qui mêle les thèmes de la terre aux paysans, de la foi dans le Christ et de l’unité syndicale. Cette fusion des référentiels chrétien et marxiste lui vaut critiques et reproches de part et d’autre. Grieco juge que le surnom flatteur de « bolchévique blanc » est en réalité une contradiction dans les termes ; Primo Mazzolari, prêtre résistant qui estime beaucoup Miglioli, lui reproche une lecture classiste inconciliable avec le christianisme. Mais Miglioli dénonce la vanité des discours théoriques sur l’incompatibilité entre christianisme et marxisme. Comme il l’écrira en 1954 dans son testament « spirituel », « le CLN, la guerre de libération, la Constitution, nous les avons faites en collaboration avec les sociaux-communistes. Sans eux nous n’aurions pas pu les faire. Alors ne parlons pas, sur des thèmes précis, d’incompatibilité de principe seulement quand cela arrange des forces politiques particulières » (p. 336).

9Une signification religieuse ?

10Sans nier l’utilité qu’a pu avoir le concept de « religion politique », Claudia Baldoli estime qu’il n’éclaire guère les tensions à l’œuvre chez Miglioli qui importe une « vraie » religion au sein du radicalisme politique. Si la foi religieuse est restée toute sa vie au centre de sa trajectoire, Miglioli n’a jamais cherché à théoriser le rapport entre politique et religion, ni même la question de l’émancipation vis-à-vis de la hiérarchie ecclésiastique, qu’il recherche pourtant en pratique. Le christianisme restera pour lui la religion des humiliés et conditionnera en ce sens toutes ses allégeances et ses insubordinations, envers Rome comme Moscou.

11 

12En somme, l’ouvrage de Claudia Baldoli donne un accès extrêmement bien documenté aux méandres géographiques et politiques du parcours de Miglioli, sans oublier les zones d’ombre telles que les suppliques adressées dans les années 1940 en prison au hiérarque fasciste Roberto Farinacci, son ennemi acharné depuis vingt ans, pour obtenir un allègement de peine. Mais ce livre rend aussi justice à la cohérence spirituelle d’une vocation politico-religieuse née auprès des travailleurs de Crémone. Finissant sa vie pauvrement, il sera, sur sa demande, enterré aux côtés d’un paysan des ligues blanches crémonaises, tué dans sa lutte contre les fascistes et propriétaires agraires en 1920, Giuseppe Paulli.

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Notes

1 Toutes les traductions sont de l’autrice.

2 G. Miglioli, Con Roma e con Mosca: quarant’anni di battaglie, Milan, Garzanti, 1945.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Marie Lucas, « Claudia Baldoli, Bolscevismo bianco. Guido Miglioli fra Cremona e l’Europa (1879-1954) »Laboratoire italien [En ligne], Lectures, mis en ligne le 16 décembre 2021, consulté le 16 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/laboratoireitalien/7052 ; DOI : https://doi.org/10.4000/laboratoireitalien.7052

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Auteur

Marie Lucas

ENS de Lyon

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