Navigation – Plan du site

AccueilLireLes comptes rendus2014Daniel Iglesias, Les mythes fonda...

Daniel Iglesias, Les mythes fondateurs du Parti Apriste Péruvien. Sociohistoire de la culture politique d’un parti latino-américain (1923-1980)

Éric David
Les mythes fondateurs du Parti Apriste péruvien
Daniel Iglesias, Les mythes fondateurs du Parti Apriste péruvien. Sociohistoire de la culture politique d'un parti latino-américain (1923-1980), Paris, IHEAL, 2013, 132 p., ISBN : 978-2-915310-71-9.
Haut de page

Texte intégral

1Dans la jungle des acronymes, il est souvent bien difficile de s’y retrouver. Nul doute en l’espèce, hormis quelques rares spécialistes, que le sigle PAP interrogera la plupart d’entre nous. Pourtant, ces trois lettres (PAP) désignent la plus importante organisation politique au Pérou et l’un des plus anciens partis latino-américains : le « Parti Apriste Péruvien ». Objet du livre de l’enseignant-chercheur Daniel Iglesias, ce travail court mais bien documenté se propose d’explorer, à travers l’analyse d’une culture d’appareil, l’histoire d’un parti incontournable dans la vie politique péruvienne depuis sa fondation à Lima en 1930.

2Avant d’en venir aux trois parties qui structurent son opus, l’auteur dresse en premier lieu un tableau général du PAP. Fondé en tant que section péruvienne de l’« Alliance Populaire Révolutionnaire Américaine » (APRA) créée en 1924 à Mexico par l’ancien leader étudiant Victor Raul Haya de la Torre (1895-1979), le PAP naît de la volonté d’appliquer des principes idéologiques anti-impérialistes au Pérou. Synthèse de plusieurs courants de pensée touchant aussi bien l’anarcho-syndicalisme, le marxisme, l’ouvriérisme, ou le nationalisme, la doctrine « apriste », dont le but était la mise en place d’une Internationale sans lutte des classes, avait pour principes directeurs, outre la lutte anti-impérialiste, la nationalisation des terres, la solidarité entre les classes opprimées, l’unité continentale, l’internationalisation du Canal de Panamá, l’indigénisme et l’agrarisme. Composé d’ouvriers, de paysans éduqués, d’intellectuels, d’étudiants et aussi par la classe moyenne, cette formation pluriclassiste à la fois internationaliste et nationaliste, avait l’objectif d’étendre l’idéal « apriste » à l’ensemble du continent latino-américain : l’histoire retiendra finalement que le PAP ne dépassa jamais la sphère péruvienne.

3S’appuyant sur des sources diversifiées (témoignages, récits, correspondances) et posant le principe que « tout discours politique ne peut s’émanciper de la réalité dans laquelle il s’insère », Iglesias estime donc que les origines du PAP ne peuvent être dissociées de l’histoire politique péruvienne. Aussi, pour « comprendre cette politisation partisane », trois temps majeurs sont distingués par l’auteur. 

4Le premier temps traite de « la construction d’une culture partisane en exil » et couvre les périodes 1932-1945 et 1948-1956. Si la naissance du PAP (1930) met en place une nouvelle dichotomie dans le système politique péruvien, elle contribue aussi à présenter sur le mode binaire une société dualiste et conflictuelle opposant les grands propriétaires fonciers au reste de la population. L’aprisme, qui se construit alors progressivement par le constat de l’existence d’un système de domination et d’une connivence entre les oligarchies locales et les investisseurs étrangers, s’élabore aussi par la critique ouverte de ses ennemis : communistes, Église, militaires, multinationales. Dans cette construction, la dimension restreinte de l’exécutif décisionnel autour d’un chef unique, Haya de la Torre, est notable. Expulsé du Pérou en 1923, Haya est amené durant son exil, avec l’historien Luis Alberto Sánchez, à fidéliser une militance autour des vecteurs de l’aprisme. Pour consolider la renommée de sa doctrine, Haya conçoit un mode d’organisation rigoriste et centralisateur teinté de moralisme pour gérer le parti depuis l’étranger : des mécanismes d’alerte sont ainsi mis en place pour lutter contre les manquements à la discipline et revaloriser l’action quotidienne des sections apristes où il convient de cultiver l’esprit de sacrifice et de virilité au détriment des impératifs individuels. Dérives caudillistes ou pas, une symbolique servant à unifier le parti se mit en place dans le but de freiner les risques de déstructuration. En 1936, Sánchez publie une « biographie édifiante » de Haya qui sert de propagande à l’aprisme en tant qu’expérience sociale et politique. Et dans la construction identitaire du parti, le choix des interlocuteurs s’oriente en priorité vers des sympathisants étrangers au fort capital culturel, notamment des intellectuels nord-américains. Mais ce travail du mythe du « parti du peuple » ne saurait être compris sans son inventeur, Haya de la Torre, ni sans le choix d’un imaginaire national porté par la figure anarchisante de Manuel Gónzales Prada, premier révolutionnaire nationaliste péruvien dont les œuvres furent rééditées en 1956. Il y avait en effet nécessité à enraciner le discours dans une temporalité plus longue et plus proche de la réalité péruvienne que ne l’étaient les précurseurs de l’APRA. Identifié à la lutte anti-civiliste et au combat pour l’intégration des Indiens dans la nation péruvienne, Prada fut la principale source d’inspiration intellectuelle de Haya.

  • 1 Par exemple, la Réforme universitaire péruvienne de 1919 ouvrait l’Université aux plus démunis, les (...)

5Le deuxième temps montre « l’émergence d’une historiographie de l’Âge d’or ». Durant les années 1960, la société péruvienne se complexifie et subit d’importantes transformations anti-oligarchiques. Depuis 1968 d’ailleurs, le PAP est contraint à la « révolution par la conscience », repensant notamment son rapport au marxisme. En 1969, les Mémoires de Sánchez reviennent sur les origines « illustres » du PAP et de l’APRA avec un récit insistant sur la singularité, la nature sociale et la légitimité de l’APRA. Dans ce contexte de restructuration interne du parti, Haya y est décrit comme jouant un rôle déterminant qui permit de véhiculer avec plus de fluidité une histoire complexe et souvent contradictoire. « Contradictoire » car, par exemple, malgré l’existence d’une tradition de rapports conflictuels entre l’Armée et le PAP, celle-ci n’hésitera pas à se réapproprier le programme apriste lors du coup d’État de 1968, utilisant largement la théorie économique de Haya de la Torre (réforme agraire radicale, nationalisations, coopérativisme rural) et sa thématique anti-impérialiste. Le choix du tiers-mondisme et le refus de s’aligner sur Moscou par les militaires permirent d’ailleurs au PAP, en pleine quête identitaire, de poser le problème de sa singularité et de son rapport au marxisme devenu l’ennemi à abattre. Cette prise de distance incita le parti à se restructurer autour d’un passé « glorieux et héroïque », mis en valeur par les luttes écoulées1 et par une croyance hégémonique partagée : Haya, clé de voute de toute la construction politique, était le Parti, le Peuple, le Pérou.

  • 2 Notamment celle obtenue par les ouvriers de Lima en 1918-1919 qui réussirent à imposer la journée d (...)
  • 3 Parmi ces mythes : la Réforme universitaire de Cordoba (1918) et la Révolution mexicaine (1910)

6Le troisième temps parcourt une période allant de 1976 à 1980 et traite de « la consolidation du discours apologétique sur les origines ». A partir de 1976, souffrant du vieillissement de ses cadres et de son idéologie, le PAP engage un débat autour de ses origines qui est d’autant plus important que le parti devient le principal partenaire de l’armée dans la démocratisation du régime depuis les élections de 1978. Accusé d’abandonner sa nature contestataire au profit d’une obsession du pouvoir, le PAP commença alors un travail de publication d’ouvrages historiographiques, destiné à asseoir définitivement sa symbolique populaire et son image sociale. Une lecture des origines, essentiellement placée sous le signe de la célébration des luttes sociales2 du chef et de mythes fondateurs3 capables de renforcer la double identité du parti (nationale et continentale), vit le jour. A ce titre, usant d’une rhétorique dont il était à la fois le héros et le narrateur, Haya se conféra un statut de chef inné et intemporel, perceptible dans ses Œuvres Complètes où le fondateur de l’APRA apparait de manière permanente comme une force motrice pour le peuple: « el jefe, Victor Raul », disait-on. Cette présentation idéalisée du guide, identifié au peuple comme un homme de la rue au parcours hors norme, eut pour effet de dessiner « une juxtaposition quasi immanente entre un homme et la politique ». Comme l’écrit Iglesias, « ce qui fonde la spécificité du cas apriste, c’est sa capacité à juxtaposer le réel et le discours historique dans une logique de politisation et repolitisation ».

7Au final, si l’on excepte un jargon sociologique un peu envahissant qui alourdit considérablement les tournures de phrases et tend à brouiller les pistes, ce travail constitue une assez bonne introduction - critique - pour qui souhaite s’informer, en langue française, d’une spécificité idéologique propre au continent sud-américain. Il n’est pas sûr que l’approche dite « sociohistorique » soit la plus adaptée, pédagogiquement parlant, pour rendre compte de cette originalité politique : la clarté n’est donc pas le point fort de cet ouvrage issu, il est vrai, d’un mémoire de maitrise. Heureusement, l’auteur a pensé à insérer une chronologie, fort utile en la circonstance.

Haut de page

Notes

1 Par exemple, la Réforme universitaire péruvienne de 1919 ouvrait l’Université aux plus démunis, les ouvriers.

2 Notamment celle obtenue par les ouvriers de Lima en 1918-1919 qui réussirent à imposer la journée de travail de huit heures.

3 Parmi ces mythes : la Réforme universitaire de Cordoba (1918) et la Révolution mexicaine (1910)

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Éric David, « Daniel Iglesias, Les mythes fondateurs du Parti Apriste Péruvien. Sociohistoire de la culture politique d’un parti latino-américain (1923-1980) », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 12 août 2014, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/15233 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.15233

Haut de page

Rédacteur

Éric David

Docteur en sociologie politique (Université Paris Ouest Nanterre), ministère de l’éducation nationale

Articles du même rédacteur

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search