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Cécile Roaux, La direction d’école à l’heure du management. Une sociologie du pouvoir

Gilles Pinte
La direction d'école à l'heure du management
Cecile Roaux, La direction d'école à l'heure du management. Une sociologie du pouvoir, Paris, PUF, coll. « Education et société », 2021, 264 p., ISBN : 978-2-13-082995-9.
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Texte intégral

  • 1 Dans son ouvrage, l’auteur utilise le masculin « directeur d’école » pour qualifier la fonction qu’ (...)

1Sur sa quatrième de couverture, Cécile Roaux indique qu’elle veut répondre à la question suivante : qui décide et qui dirige réellement à l’école ? Le contexte de sa recherche est basé sur son expérience de 14 années de direction d’école et d’un questionnement né dans le cadre d’une table ronde de l’UNESCO où elle était invitée ; ses auditeurs étrangers ne comprenant pas qu’un directeur1 d’école puisse être enseignant, mais sans enseigner et qu’il puisse diriger une équipe d’enseignant sans pouvoir hiérarchique. Ce questionnement sur le pouvoir hiérarchique est aussi celui de nombreux parents qui ont des attentes fortes en matière de direction d’école et qui pensent que le titre de directeur ou de directrice confère une autorité.

2L’auteure veut dépasser la description organisationnelle de la direction d’école pour la rendre systémique, en convoquant la sociologie des organisations et plus particulièrement l’analyse stratégique. Elle souhaite décrire « un système où coexistent un univers fortement normé et une autonomie en constante négociation, face à des réformes mal pilotées ou sans consensus, attitude qui n’est pas forcément assimilable à une résistance au changement, mais plutôt à la manière de faire changement par des alliances entre acteurs » (p. 19).

  • 2 Antoine Prost, « 2 L’apport de l’histoire », dans : Jacky Beillerot éd., Traité des sciences et des (...)

3Le livre est organisé en six chapitres dont le premier est consacré à une sociohistoire de la direction d’école avec l’idée empruntée à Antoine Prost que « remonter le temps nous amène souvent à constater que les choses n’étaient pas ce que l’on croit aujourd’hui qu’elles étaient »2. Dans le chapitre suivant, il est question des missions de cette fonction de direction et de ses ambiguïtés. Les parties qui suivent sont consacrées au travail d’un directeur d’école au quotidien (chapitre 3) à ses relations avec l’équipe enseignante (chapitre 4) et les partenaires extérieurs de l’école (chapitre 5). Le dernier chapitre s’interroge sur les possibilités d’action et les difficultés du directeur par le prisme d’entretiens avec les acteurs des différents niveaux hiérarchiques de l’école.

4La méthodologie utilisée pour cette recherche a été variée : des questionnaires avec questions ouvertes et fermées, des entretiens avec des personnels de direction, mais aussi une analyse de sa propre pratique de type observation participante. L’auteure ne cache pas la difficulté de décentrer sa recherche de sa propre expérience de directrice d’école. Il s’agit pour elle davantage de prendre en compte les relations de pouvoir dans lesquelles nous sommes impliquées plutôt de devenir membre d’un groupe. Cécile Roaux (p. 24), pour décrire ses recherches sur la direction d’école primaire alors qu’elle a été directrice d’école pendant une quinzaine d’années, parle d’« observation ethnographique intégrée », c’est-à-dire une posture permettant le recueil, dans une pratique ordinaire, de données utiles pour répondre à des questions préalablement élaborées. Ainsi, au becoming member cher aux ethnologues, elle propose de substituer un becoming foreigner pour que la mémoire institutionnelle ne parasite pas le nouveau regard du chercheur (p. 25).

5Après avoir rappelé les débuts de l’école primaire après la Révolution, l’auteure montre que les enjeux de pouvoir sur l’enseignement et les enseignants se renforcent en 1889 lorsque ceux-ci deviennent fonctionnaires d’État et que l’augmentation des effectifs d’élèves officialise la fonction de directeur d’école. C’est aussi à partir de cette période que les relations se tendent entre les directeurs, dont le pouvoir est souvent jugé arbitraire et autocrate, et les équipes enseignantes qui revendiquent une liberté pédagogique dans leur classe. Finalement, au cours des décennies, seul l’inspecteur détient un pouvoir hiérarchique et les directeurs deviennent petit à petit des managers ou des animateurs de l’équipe enseignante. Les lois de décentralisation et de déconcentrations des années quatre-vingt vont aussi donner de l’importance à un nouvel acteur du niveau local, la commune. Le directeur d’école devient alors un porteur de projet, un animateur des relations avec la commune, un manager de l’équipe enseignante au niveau local. Mais le cadre de l’Éducation nationale crée un paradoxe qui demeure présent jusqu’à aujourd’hui : « Il existe un balancement entre un ordre pyramidal descendant et une volonté affichée de placer les acteurs de l’école dans une autonomie de fonctionnement » (p. 42). Ce paradoxe entraîne un fonctionnement composite de l’école entre un pilotage de l’inspecteur de l’Éducation nationale et un pilotage fonctionnel exercé par la commune.

6L’auteure explique également, sans tomber dans la caricature, les raisons pour lesquelles le système éducatif de l’école primaire institue un relationnel empreint de méfiance. La principale tient à une organisation pyramidale dans laquelle les recteurs nommés en Conseil des ministres font « descendre » des décisions gouvernementales. Des directeurs interrogés par Cécile Roaux témoignent de la difficulté d’appliquer les consignes ministérielles sans tenir compte des contextes sur le terrain. Ils évoquent aussi leur position de tampon entre la hiérarchie et leurs collègues : « On est là pour prendre des coups » ; « On passe notre temps à ménager la chèvre et le chou ! ».

7Le quotidien des directeurs d’écoles est aussi émaillé de conflits ou de micro-conflits, de lourdeurs administratives, de prise en charge des enfants difficiles, de résolution avec la mairie de problèmes logistiques ou techniques. Tout cela nécessite une polyvalence qui donne à ces acteurs une impression de dispersion des tâches et un sentiment d’effectuer le « sale boulot » (p. 117) de l’école sans reconnaissance de l’extérieur ou des équipes pédagogiques. Paradoxalement, d’après les résultats d’une enquête quantitative nationale réalisée par Cécile Roaux, les enseignants sont défavorables au fait que les directeurs d’écoles primaires aient le même statut que les chefs d’établissement du secondaire pour des raisons variées qui tiennent au risque d’abus de pouvoir ou de manque d’impartialité, mais aussi à la peur de perdre leur liberté pédagogique ou de casser la collégialité dans la gestion de l’école. Dans cette même enquête, les directeurs souhaitent quant à eux une évolution de leur statut dans un objectif de reconnaissance de leurs responsabilités, de clarification de leur autorité et de leurs rôles auprès des parents ou des acteurs locaux. En effet, les relations partenariales avec ces derniers sont à géométrie variable. Elles peuvent être constructives ou conflictuelles pour des raisons diverses : le budget de la commune plus ou moins élevé, la maîtrise plus ou moins grande du code de l'éducation par les élus, la stratégie de la commune pour attirer ou non de jeunes couples avec enfants. Pour l’auteure, le fait que la municipalité soit le principal, voire l’unique bailleur de fonds de l’école entraîne des jeux de négociation, d’alliances ou des compromis.

8La relation avec les parents est aussi posée dans cet ouvrage, en questionnant la bonne distance que l’école doit trouver avec ceux-ci. Cécile Roaux part de l’hypothèse de la crainte que les parents de manière collective ne commandent ou ne prennent le pouvoir à l’école : « Ce comportement est induit par le fonctionnement particulièrement endogène de l’école qui tient à distance toute personne extérieure susceptible de réduire l’autonomie des enseignants sur leur territoire qu’est la classe » (p. 188). En cas de conflit avec les parents et des enseignants, c’est souvent le directeur qui va tenter de régler les problèmes en interne : « Ce que l’on attend du directeur (et qui échappe bien sûr à tout discours officiel), c’est d’empêcher aussi bien les parents d’entrer dans la classe que la hiérarchie d’en savoir plus sur l’école, bref de préserver une forme d’omerta vis-à-vis de toute intrusion de l’extérieur » (p. 198). Cécile Roaux parle de « jeu de go » ou de « kaléidoscope » pour qualifier la direction d’école où se composent, se décomposent et se recomposent des interrelations et des jeux d’acteurs multiples et complexes : « Il n'a d'autorité que ce sur que chacun veut bien lui concéder ».

9Cet ouvrage répond bien à la problématique de départ : quelle place le directeur peut-il avoir dans un processus de changement et d’amélioration du travail des écoles ? Comment peut-il aider à l’ajustement des politiques publiques sur le terrain ? Ce questionnement laisse ouverte la problématique d’un nouveau statut du directeur d’école reconnaissant davantage ces compétences. La mobilisation, comme cadre conceptuel, de la sociologie des organisations et notamment des théories des jeux d’acteurs de Crozier et Friedberg est très pertinente pour mieux comprendre le rôle de direction d’école et pour permettre de rendre visible une fonction, certes familière aux parents ou aux acteurs locaux, mais dont le quotidien n’est pas forcément connu.

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Notes

1 Dans son ouvrage, l’auteur utilise le masculin « directeur d’école » pour qualifier la fonction qu’elle soit assurée par un homme ou une femme. Nous avons gardé ce parti-pris pour ce compte rendu de lecture.

2 Antoine Prost, « 2 L’apport de l’histoire », dans : Jacky Beillerot éd., Traité des sciences et des pratiques de l’éducation. Paris, Dunod, « Psycho Sup », 2014, p. 23-30 (p.25).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Gilles Pinte, « Cécile Roaux, La direction d’école à l’heure du management. Une sociologie du pouvoir », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 20 juillet 2022, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/lectures/57299 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lectures.57299

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Rédacteur

Gilles Pinte

Maître de conférences en sciences de l’éducation et de la formation, Membre du laboratoire PREFICS, Université Bretagne Sud.

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