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Dossier. El espacio provincial en la península ibérica

Les Hispaniae (ive-ve siècle) : redéfinitions administratives des espaces provinciaux entre Dioclétien et l’installation des Wisigoths (508)

Las Hispaniae (siglos iv-v): redefiniciones administrativas de los espacios provinciales entre Diocleciano y la instalación de los visigodos (508)
The Hispaniae (4th-5th centuries): administrative redefinition of provincial spaces between Diocletian and the installation of the Visigoths (508)
Patrick Le Roux
p. 19-40

Résumés

Une relecture factuelle des documents sur les évolutions administratives des Hispaniae au ive et au ve siècle n’offre que peu de nouveautés depuis le livre d’E. Albertini. Le renouvellement des méthodes et des concepts ordinairement utilisés pour l’histoire des territoires d’époque tardive ouvre la porte à de nouvelles questions encore sans réponses claires.

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Texte intégral

  • 1 Ce texte n’est pas un bilan factuel et exhaustif sur la période. Il s’agit d’une réflexion à carac (...)
  • 2 Le vocabulaire est essentiel car il oriente sans le dire la réflexion, même lorsqu’il paraît neutr (...)
  • 3 La tendance dominante, discutable car dépendante des discours d’aujourd’hui, tend à confondre expé (...)
  • 4 L’héritage est une donnée dont les héritiers et le temps décident et mettent ensuite ou non à prof (...)

1Le thème des « territoires » provinciaux dans l’Antiquité tardive ne peut reposer sur une documentation satisfaisante, qu’il s’agisse des faits, des tracés, des « capitales », des décisions et des évolutions administratives1. Le mot même de « territoire » n’a pas une signification immédiate et unique dans l’Antiquité, d’où une préférence, quand c’est possible, pour « ressort » ou « circonscription », moins connotés et d’ordre surtout administratif et géographique2. Ne pas reconnaître d’emblée ces limites, c’est renoncer à une démarche méthodologique indispensable à la mise en place d’une réflexion distanciée (il ne s’agit pas de « déconstruction »), qui ne peut pas prétendre à un statut scientifique de vérité rarement présent dans nos disciplines3. L’habitude, française tout particulièrement, de raisonner en termes de rupture et de continuités est trompeuse car il est difficile de parler des continuités dans le cadre de réalités, si c’est bien ainsi, mal connues ou méconnues. Il faut donc élaborer un questionnaire renouvelé et moins simple, et le soumettre à l’épreuve des faits politiques et administratifs des trois siècles concernés. Quoi qu’il en soit, la notion d’« héritage4 » ou de « transmission » semble plus pertinente que celle de « continuité », terme sans réelle charpente.

  • 5 Cette constatation est indépendante de la manière de lire l’épisode du sac de Tarraco en 262 : pou (...)
  • 6 Il n’y a guère de point d’appui documentaire pour valider l’existence d’une réforme des limites te (...)

2La guerre est redevenue une réalité redoutée en permanence depuis le milieu du iiie siècle, mais les Hispaniae n’ont guère été affectées par les raids germaniques ni par les luttes civiles5. C’est donc indirectement qu’elle joue un rôle au départ. La réorganisation de Dioclétien adaptée à un pouvoir monarchique réaffirmé et réorienté par Constantin tint compte des exigences militaires de recrutement et de ravitaillement, mais l’armée ne reçut pas pour autant un ressort territorial autonome et fut maintenue, malgré la séparation du pouvoir civil et du pouvoir militaire, sous l’autorité de l’empereur et de ses représentants attitrés. Les événements qui rythment donc l’histoire du gouvernement et de l’administration des provinces au cours de la période sont la révision de la carte par Dioclétien puis sa mutation sous l’effet des dispositions de Constantin créant les préfectures du prétoire régionales. Il convient de réfléchir à ce que pourrait lui devoir le redécoupage provincial au cours du ive siècle6.

  • 7 Pour un récit succinct et un bilan de l’historiographie relative au ve siècle et peu renouvelée ré (...)
  • 8 La mort d’Alaric II à la bataille de Vouillé (507) suivie du pillage de Toulouse marque assurément (...)
  • 9 Leovigild y mit fin en 584 : voir Jean de Biclar, Chronique, 584, 1-3.

3C’est après 409 que se pose le problème de la fin des provinces et de leur éventuelle « résistance » administrative au long du ve siècle7. L’inclusion des populations germaniques, temporairement ou durablement a, par la force des choses, déséquilibré l’ordonnancement habituel jusqu’à ce que des portions géographiques de plus en plus importantes aient été soumises à un nouveau gouvernement avec l’accord plus ou moins consenti de l’empire8. Quoi qu’il en soit, le terme de ce processus est le repli définitif et l’affirmation du pouvoir wisigothique dans la Péninsule tout au long du vie siècle, le royaume suève continuant à survivre tant bien que mal et se présentant, à l’instar des Wisigoths, comme le successeur de l’empereur9.

  • 10 Cette évolution, bien attestée pour Carthagène, fut progressive : voir n. 29.

4Un troisième élément, transversal, tient à l’inclusion officielle dans la carte administrative sous Théodose des circonscriptions ecclésiastiques, non concurrentes en principe des structures civiles et provinciales mais susceptibles de modifier les découpages régionaux et locaux voire de s’y substituer au moment de l’effondrement de l’autorité dite romaine10.

Le ive siècle : des provinces multipliées

  • 11 Le terme de nouvelle province, prélevée sur l’Hispania Citérieure, s’applique ici à un territoire (...)
  • 12 Malgré Alföldy, 2000. Voir l’Annexe et la bibliographie avec la discussion de l’interprétation pro (...)

5Le Haut-Empire avait été caractérisé par une grande stabilité de l’organisation administrative autour de trois provinces et quatorze conventus, à savoir l’Espagne Citérieure comportant sept circonscriptions judiciaires, la Lusitanie divisée en trois ressorts et la Bétique en quatre. Des comparaisons entre documents inviteraient à retenir quelques variations territoriales mal définies entre la Lusitanie et la province de Citérieure, et la Lusitanie et la province de Bétique, peut-être au iie siècle (voir la comparaison relevée par les spécialistes entre Pline et Ptolémée). C’est au iiie siècle cependant que se situa la division de l’Espagne Citérieure sous Caracalla, sans que les circonstances ni le dispositif de cette mesure soient établis et connaissables avec certitude. La durée même de la « nouvelle province11 », que rien n’autorise à appeler la province d’Hispania Superior12, n’est pas déterminée avec précision. Elle avait cessé d’exister au plus tard en 238, semble-t-il. Les événements militaires de la deuxième moitié du iiie siècle affectèrent brièvement Tarraco sous Gallien en 262. Ni la province nouvelle ni le raid germanique n’étaient de nature à modifier l’ordonnancement, et ils ne peuvent pas être considérés comme ayant influencé fortement l’évolution du regard des gouvernants.

  • 13 Le Roux, 2010, pp. 144-153 résumant les acquis de la recherche.
  • 14 Brassous, inédit, n. 1698, pp. 329-330, qui écarte, à l’image de nombreux spécialistes, la proposi (...)
  • 15 Cette idée de « rapprochement » est ambiguë et elle n’implique que la volonté accrue de contrôle d (...)

6C’est avec Dioclétien qu’est intervenue une réforme des circonscriptions provinciales portées de trois à six, principalement par la subdivision de la grande province d’Espagne Citérieure13. La date n’est pas mentionnée dans les documents et un débat existe toujours entre écoles historiques pour décider de ce qui a eu la primeur entre la création du diocèse et le morcellement des provinces. Toutefois, le Laterculum Veronense (la Liste de Vérone, copie du viie siècle) qui est le premier témoin à autoriser un terminus ante quem pour les vicariats ne date que de 314 et n’éclaire donc pas la question. En outre, il semble possible que les réorganisations provinciales n’aient pas toutes la même chronologie, certaines ayant débuté avant même 297 et d’autres se poursuivant toujours au-delà de 30514. Les fondements en étaient une meilleure efficacité et un contrôle plus étroit des ressources de l’empire voué à sa protection et à la restauration de sa prééminence. La dimension politique, récurrente depuis Auguste et renforcée après les guerres civiles et les assassinats impériaux du temps de crise, ne peut être négligée : la crainte des usurpations n’était plus seulement permanente mais obsédante. La volonté impériale de rapprocher l’administration des administrés ne paraît pas, malgré certaines affirmations15, appartenir en priorité au registre administratif et politique de l’Empire tardif.

  • 16 Voir Albertini, 1923, pp. 118-119. Laterculus Veronensis : « Diocensis hispaniarum habet provincia (...)
  • 17 En particulier Arce, 1982, pp. 48-49.
  • 18 Malgré les doutes exprimés par Le Bohec, 2004, pp. 123-132.
  • 19 Le Roux, 2010, pp. 151-152 et 244-248.

7Les contours de la réforme, s’agissant des Hispaniae, ne soulèvent guère de discussions dans le principe. Le diocèse fut étendu à la province de Tingitane ce qui signifia six provinces sachant que le témoignage de la Liste de Vérone est unanimement considéré comme erroné par suite d’une mauvaise compréhension de Mauretania Tingitan(i)a assimilée, à tort, à deux provinces16. Le nombre des circonscriptions et son évolution au ive siècle ne sont pas davantage mis en question. Il est démontré que les îles Baléares constituèrent finalement une province, peut-être vers 369-370 selon les indices disponibles, non datés et interprétés logiquement faute de certitude17. On sait également que le rang des gouverneurs, modifié en partie par la « réforme » de Gallien18, fut redéfini province par province tout en donnant lieu à une plus grande uniformité : toutes les circonscriptions dépendaient désormais directement de l’empereur et prenaient la suite des provinces dites auparavant « impériales » ou « de César ». Le titre de praeses valait pour tous les gouverneurs mais l’abaissement de l’ordre équestre par Constantin entraîna des modifications. Jusqu’en 316, la fidélité à l’esprit de l’époque précédente (Dioclétien) l’emporta. Les praesides furent des chevaliers distingués par le titre de perfectissime ou des consulares de rang clarissime19.

  • 20 Brassous, 2011, pp. 340-345 en particulier. Aussi Étienne, 2006 [1982], pp. 207-214 en faveur de M (...)
  • 21 Voir Kulikowski, 2004, p. 75 qui utilise en faveur de Mérida une argumentation contredite par la p (...)
  • 22 Ausone, Ordo urbium nobilium, 20, X-XIII : «  Hispalis/Emerita  aequoreus quam praeterlabitur amni (...)
  • 23 Le texte précise que Mérida est en Lusitanie et ne cite pas le nom des provinces pour les autres, (...)
  • 24 Brassous, 2011, pp. 346-349.
  • 25 Le rapport de cause à effet n’est pas immédiat et le changement de statut des préfets n’impliquait (...)
  • 26 Parmi les points défavorables à Cordoue, il faut rappeler qu’au début des diocèses, les proconsuls (...)

8Le tableau d’ensemble est compliqué par de nombreuses interrogations relatives au long ive siècle. En premier lieu, la résidence du vicaire du diocèse est suggérée mais non attestée et la perplexité est présente dès le xvie siècle, car au lieu de Tarraco dont la désignation paraissait conforme à l’histoire des provinces Ibériques, ce sont d’autres sièges possibles que l’on rencontre : Hispalis, Mérida et, plus récemment, du moins dans une première phase, Cordoue proposée par L. Brassous20. Les arguments textuels et documentaires en faveur de Mérida ont été critiqués et l’idée d’une situation mieux adaptée géographiquement à l’échelle du diocèse comportait une part de subjectivité, d’où la recherche d’autres solutions21. La formule même d’Ausone, qui indique en outre Hispalis selon l’un des manuscrits et Emerita selon deux autres, signifie que les villes mentionnées sont inférieures à Hispalis/Emerita par le rang des représentants de l’autorité impériale qui n’ont pas le même pouvoir sur tota Hispania22. La liste de Polemius Silvius qui mentionne pour la seule Lusitanie la ville de résidence du magistrat, Lusitania in qua est Emerita invite de toute manière à choisir Emerita entre les deux traditions manuscrites23. Mais depuis quand ? L. Brassous pense que ce ne fut pas immédiat24. Il propose un passage par Cordoue avant que ne soit fixée la résidence à Mérida, sans doute en liaison avec la réforme territoriale des préfectures du prétoire de Constantin (dont l’enchaînement n’apparaît pas clairement cependant25). Les arguments en faveur de Corduba manquent de preuves explicites et reposent sur des indices que l’on peut discuter26.

  • 27 C. Th., 3, 5, 6, à une date associée aux réformes territoriales.
  • 28 Voir l’inscription de Sagonte à M. Acilius Rufus : CIL, II2/14, 333 et aussi 334. La tendance à si (...)
  • 29 La méthodologie est ici celle, positiviste, observée chez R. Haensch quand il doute que Mérida ait (...)
  • 30 Slootjes, 2006, pp. 31-32, tablant surtout sur une moindre mobilité des gouverneurs due à la réduc (...)
  • 31 Outre les incertitudes de Arce, 1997, p. 302, force est de constater que rien n’autorise à Mérida (...)
  • 32 Kulikowski, 2004, p. 177. On oublie parfois les critères de choix d’Ausone dans l’Ordo, lequel pri (...)
  • 33 Voir Kulikowski, 2004, pp. 282-286.

9En premier lieu, c’est à Hispalis et non à Cordoue que le vicaire reçoit la loi de Constantin en 33527. En second lieu, la notion de Tarraconaise pour désigner la province remonte au moins à Pomponius Mela et le conventus Tarraconensis est également attesté dès l’époque julio-claudienne28. Douter que la Carthaginoise doive son nom à la ville de résidence du praeses, Carthago Nova l’ancienne résidence hivernale de Galba et lieu d’assises judiciaires, revient à suspendre son jugement faute de mieux29. Le lieu de séjour des destinataires des lois au Code Théodosien visait à certifier que les serviteurs de l’empire concernés avaient bien accusé réception comme destinataires et non que la ville était la résidence officielle du magistrat. Il convient de considérer que la remise en ordre des provinces entre Dioclétien et Constantin impliquait une réelle mobilité des vicaires, des comtes civils et des praesides et que les résidences habituelles n’avaient pas été modifiées car rien ne l’exigeait en raison de la stabilité préservée des Hispaniae30. Le site de « Cercadilla » est trop incertain et improbable pour justifier un choix de Cordoue dans le cas du vicaire dont, en outre, le rôle et le poids institutionnel ne doivent pas être surévalués31. Hispalis, cité ancienne et prestigieuse, apparaît dans les documents en raison de son rôle géographique pour qui abordait l’Hispania par le secteur du détroit32 et conservait un pouvoir d’attraction qui ne se démentit pas jusqu’à Isidore33. Enfin, aucun motif solide n’a pu être invoqué jusqu’à présent pour éclairer la transition par Cordoue avant Mérida.

  • 34 Suétone, Galba, 10, 1.
  • 35 Pline l’Ancien, Naturalis Historia, III, 28 dont la formule pèse exagérément sur l’histoire postér (...)
  • 36 Torres Rodríguez, 1949, pp. 367-383 et Tranoy, 1981, pp. 402-403.
  • 37 Sur Orose et ses informations (Orose, Historiae adversum paganos, VI, 68-75), voir Janvier, 1982, (...)
  • 38 Hydace, Chronique [Gallaeciae episcopi chronicon], 179 et 214a (ce paragraphe est absent du manusc (...)
  • 39 Mais en dehors de la Callaecia il n’y a aucun Hydace pour en rendre compte. Voir cependant l’Ars g (...)
  • 40 Not. Dig. Occ., XLII, 30 et 32.
  • 41 Voir pour le bilan : Le Roux, 2010, pp. 248-249.
  • 42 Ibid., p. 248.

10Le rattachement des Baléares à la Carthaginoise au départ n’est pas une vraie difficulté, à plus forte raison au regard de la géographie, et est même renforcé par le fait, rapporté par Suétone, que c’est de Carthagène que Galba entra en contact avec les exilés des îles en 6834. Le choix de Bracara Augusta pour la résidence du praeses n’est pas étonnant non plus, et le nom Callaecia de la province semblait écarter Asturica qui n’était Vrbs magnifica qu’au temps de Pline l’Ancien35. En revanche, il est parfaitement compréhensible que la création de nouvelles provinces ait entraîné des découpages et des décisions plus ou moins arbitraires à la jonction des trois nouveaux ensembles. Avec C. Torres et A. Tranoy36, on doit accepter une extension vers l’est de l’Asturie-Galice ou Callaecia, sachant que les anciens conventus n’entraient pas ici directement en ligne de compte en tant que tels et s’estompèrent avec la réduction des espaces provinciaux. Orose n’est pas toujours fiable toutefois et les limites demeurent donc discutables37. Hydace n’emploie guère le mot conventus pour les trois circonscriptions traditionnelles du Nord-Ouest38 malgré le fait qu’à la différence de la Carthaginoise, la province n’ait pas été réduite à l’une de ces circonscriptions, ce qui voudrait dire que pour la Tarraconaise, la Lusitanie et la Bétique aussi ces références aient pu disparaître39. Les déplacements d’unités militaires perceptibles dans la Notice des Dignités40 attirent l’attention sur les questions de défense et de sécurité régionale qui peuvent éclairer les modifications sans les expliquer pleinement. Reste la province énigmatique de Nova Maxima qui serait citée, d’après A. Chastagnol, sur une inscription de Siresa, Huesca41. L’explication la plus plausible pourrait être un nouveau nom pour la Tarraconaise désignée ainsi comme soumise à l’usurpateur42.

  • 43 Villela, 2014, pp. 210-259 qui montre que les « canons » sont un assemblage de textes d’origine et (...)
  • 44 Le Roux, 2010, pp. 316 et 319-320, qui indique par erreur que les presbyteri présents ne seraient (...)
  • 45 Voir entre autres Maraval, 1997, pp. 135-146.
  • 46 Il n’a jamais été avéré (voir plus haut) que toutes les cités existantes étaient devenues le siège (...)

11Un dernier point d’interrogation sur le ive siècle mérite clarification : il s’agit des structures ecclésiastiques et de leur rôle administratif provincial éventuel. Les dernières recherches montrent que le concile dit d’Elvire-Iliberris, placé ordinairement en relation avec les persécutions de Dioclétien, n’a pas produit l’ensemble des canons qui lui sont associés dans la collectio du viie siècle, compilée à Séville au temps d’Isidore43. La liste même des participants n’est sans doute pas totalement fiable et la personne et le rôle d’Osius sont loin d’être clairs44. Ce que veut dire cette observation est bien que les communautés épiscopales et les structures administratives des églises des provinces ibériques n’ont été adaptées que progressivement tout au long du ive siècle, Théodose fixant quelques principes ensuite de façon à intégrer le mieux possible les institutions ecclésiales et catholiques dans les réalités territoriales de l’empire. Les Hispaniae n’étaient pas majoritairement chrétiennes au début du ive siècle ni même à la fin du siècle. Les métropoles ou sièges des évêques des « capitales » provinciales émergeaient difficilement et non sans rivalités ni conflits. La carte ecclésiastique était susceptible d’évoluer ce qui complique la fiabilité et l’utilisation des données tardives pour l’établissement de ressorts et de limites territoriaux selon une méthode régressive ou non45. Les espaces administratifs du ive siècle traduisent, à bien y regarder, l’absence de grands bouleversements et la recherche de solutions adaptées non pas à un pouvoir devenu absolutiste (il l’avait toujours été) mais à un empire pris entre une volonté de redressement et l’impossibilité de contrôler toujours et tout le temps un espace impérial aux prises avec des difficultés militaires et politiques constantes, aggravée par l’émergence de nouvelles entités sociales et religieuses que le pouvoir cherchait aussi à endiguer. Le christianisme et le pouvoir accru de l’Église n’ont eu que peu d’incidence au ive siècle sur les redistributions spatiales, sauf peut-être à l’échelon local, celui des communautés épiscopales calquées sur l’état du réseau des cités à ce moment-là. Il en alla différemment au ve siècle46.

Le ve siècle : des pouvoirs locaux et régionaux multipliés

  • 47 Le Roux, 2010, pp. 269-292.
  • 48 Orose, Histoires, VII, 40, 3 ; Hydace, Chronique, XV, 42.

12Les événements à l’échelle de l’empire ont eu une importance indéniable pour l’histoire provinciale des terres ibériques. L’étude de leur délimitation territoriale implique que soit privilégiée la dimension « hispanique », affectée par ce que j’ai appelé « la fin des provinces »47. L’entrée en force dans la péninsule des Suèves, des Alains et des Vandales en octobre 409 en constitue le point de départ lisible48. Quoi qu’il en soit, le sort des Espagnes n’est pas comparable à celui des Gaules (ce qui avait déjà été le cas aux iiie et ive siècles), et incite donc à ne pas multiplier les comparaisons provinciales pour pallier le manque d’informations sur les provinces ibériques. Comme on verra, le maillage des circonscriptions et des gouvernements n’a pas été officiellement modifié malgré les événements du ve siècle. Le contrôle et l’autorité dits « romains » n’en ont pas moins été « grignotés » au fur et à mesure des nouveaux problèmes soulevés par la conjoncture. Un trait domine en apparence : les rois étrangers ont longtemps cherché à se mettre au service des empereurs et non à substituer brutalement leur autorité à celle de l’Auguste. Le temps provincial n’en fut pas moins perturbé et sans doute transformé.

  • 49 Hydace, Chronique, 49 principalement et Le Roux, 2010, pp. 270-272 ; Kulikowski, 2004, pp. 165-167 (...)
  • 50 Hydace, Chronique, 49.
  • 51 Le Roux, 2010, p. 272.
  • 52 Voir par ex. ibid., p. 244 et n. 3, avec les références tout en sachant que la fourchette est déso (...)
  • 53 Le Roux, Tranoy, 2012, pp. 381-387.

13Le premier problème territorial concerne le partage de 41149 entre les peuples d’origine germanique auxquels s’ajoutent peu après les Wisigoths, les derniers arrivés. Ceux-ci ne sont pas partie prenante dans le partage (sorte dividunt regiones) qui concéda la Callaecia aux Vandales Hasdings et aux Suèves pour ses régions occidentales, la Lusitanie et la Carthaginoise aux Alains et la Bétique aux Vandales Silings50. Aucun éclairage autre n’est fourni par la documentation et il faut comprendre qu’avec ou sans l’aval des représentants provinciaux de Rome (s’ils étaient bien présents ?), les nouveaux peuples occupèrent des terres, des cités et en tirèrent des revenus. Outre le climat de guerre civile chez les Romains impériaux, il faut souligner l’absence de toute mention des gouverneurs, absents définitivement de la chronique. Une installation de fait, même désignée par les provinces, ne signifiait pas un contrôle unique et permanent sur ces territoires. On peut seulement constater une paix consécutive de cinq années dans la péninsule et aussi l’intervention militaire des troupes pseudocomitatenses au service de l’empereur dont on doit penser qu’elles étaient présentes en Hispania depuis longtemps51. On peut ajouter que l’organisation administrative et territoriale de la Notice des Dignités (pars Occidentis) inclut pleinement les régions ibériques mais que le document n’est pas postérieur à 420 et est sans doute antérieur pour l’essentiel52. Enfin, il convient de ne pas considérer Maurocellus comme le dernier vicaire régional connu : il était plutôt un vicarius militaire, substitué à un officier absent en 420, lors du siège de Braga53.

  • 54 Hydace, Chronique, 89-90. Kulikowski, 2004, pp. 177 et 371.
  • 55 Le Roux, 2010, p. 281 et n. 53.
  • 56 Maraval, 1997, pp. 189-209 en particulier.
  • 57 Voir essentiellement Hydace, Chronique, 114-137 et Arce, 2005, pp. 177-187.

14L’armée romaine des limitanei n’apparaît jamais non plus après 420 dans la documentation, malgré l’intérêt d’Hydace pour la Callaecia et malgré le fait qu’à lire l’évêque de Chaves les provinces de Tarraconaise, de Carthaginoise, de Lusitanie et de Bétique continuèrent à façonner l’ossature administrative de l’Hispania romaine, à plus forte raison après le départ des Vandales et des Alains en 42954. Il est difficile de savoir si ces entités administratives répondent désormais à l’organisation de l’Église et à ses institutions conciliaires en particulier plutôt qu’à l’administration civile provinciale55. On ne saurait oublier que des assemblées conciliaires à l’échelle du diocèse prirent forme à la fin du ive siècle56, sans doute pour tenir compte du manque de traditions en la matière, particulièrement dans les nouvelles provinces de Dioclétien. C’était l’occasion de souder les églises chrétiennes encore fragiles au contact des plus anciennes et d’asseoir leur autorité sur une base élargie. Nous n’en avons toutefois pas d’exemple pour les Hispaniae de ces périodes. L’installation consolidée des Suèves à partir de 429 semble indiquer que les relations militaires l’emportent et règlent les négociations. Les populations hostiles ne sont jamais décrites et leurs moyens de lutter demeurent inconnus. Il est difficile dans ces conditions d’évaluer l’importance et la signification de la prise de Mérida par Rechila en dehors d’une phase d’expansion rapide qui tend à indiquer que les forces romaines et les structures administratives avaient volé en éclats au moins en Lusitanie et peut-être en Bétique57. Il n’y a aucun doute que des années 420 aux années 460 les Suèves, par une activité militaire incessante, aient été les responsables de l’effondrement des provinces comme support de l’autorité de Rome dans les Hispaniae. La Tarraconaise romaine se maintint sans doute mieux que les autres mais l’affaiblissement de la Cour de Ravenne allait aussi dans le sens d’un effacement. Le recul des Suèves ne laissa la place à aucune récupération impériale. Les Wisigoths en firent leur profit avant d’être contraints de s’installer définitivement dans la péninsule et de placer à Tolède la résidence du roi (508).

  • 58 Ibid., pp. 131-134.
  • 59 Il fallut attendre le Ier concile de 400 en liaison avec le Priscillianisme pour qu’elle soit ment (...)
  • 60 On ne peut que constater la discrétion des sources du ive siècle sur la cité du Tage qui n’est pas (...)
  • 61 Pour les événements et la chronologie, à nuancer parfois : FHA, IX, pp. 155-197 avec les documents (...)

15Comme le décrivent entre les lignes les événements et les divers épisodes de la chronique ibérique du ve siècle, l’activité militaire occupa de plus en plus le devant de la scène et laissa dans l’ombre les institutions civiles, les provinces et les cités. Des changements se profilaient aussi dans ces domaines, ne serait-ce qu’en raison de l’établissement d’une nouvelle autorité, le roi, qui chercha à marquer de son empreinte l’organisation de l’espace conquis et contrôlé58. Tolède acquit alors une importance nouvelle dans le prolongement de la pratique conciliaire qui avait donné à la cité municipale des bords du Tage un rôle de plus en plus central à l’échelle des Espagnes59. Il est admissible, en ce cas, de penser que la situation géographique au centre de la péninsule avait contribué à ce rôle nouveau, jamais apparu dans l’Hispania tripartie du Haut-Empire ni même dans celle du ive siècle60. C’est moins le diocèse en lui-même, car les Wisigoths occupèrent également la Gaule méridionale mais ne cherchèrent jamais à intégrer non plus la Tingitane, que la sécurité et la protection dans un environnement hostile en Gaule et en Afrique qui en décida, sans oublier la façade maritime ouverte notamment du côté de la Méditerranée. Quoi qu’il en ait été, ce n’est qu’avec Léovigild (571-586) que Tolède devint la capitale du royaume étendu à la péninsule par la disparition du pouvoir suève vaincu en 57561.

  • 62 Pour l’année 507, la Chronique de Saragosse dite de Gisalecus, rex Gotthorum.
  • 63 Sur la signification complexe des dons de terres : entre autres, Martin, 2003, pp. 31-141.
  • 64 Sur la création des pouvoirs régionaux et leur affirmation, entre autres : ibid., pp. 143-277 qui (...)

16Dans ces conditions, l’accommodement des rois avec l’organisation impériale ne pouvait être total ni continu. L’organisation des églises assura la transition ce qui ne signifie pas la continuité. Longtemps roi des Wisigoths et non d’un territoire62, le pouvoir royal effectua le contrôle des populations en s’appuyant sur des personnalités nobles, reconnues pour leurs qualités militaires, dont les secteurs d’intervention ne correspondirent plus aux découpages romains mais furent adaptés aux exigences militaires et de protection du royaume, sans oublier les largesses en terres destinées à acheter la fidélité de l’aristocratie63. Le roi se présentait comme le maître des cités dont les évêques étaient devenus des interlocuteurs essentiels. Les autonomies locales, tardivement dessinées, étaient à venir64.

Des lectures en question

  • 65 Albertini, 1923, pp. 127-129.
  • 66 Ibid., pp. 118-120.
  • 67 Brassous, 2011, pp. 337-353.
  • 68 Ibid., pp. 337-340.

17Les faits nous font défaut, les contextes précis davantage encore. E. Albertini, conformément à l’historiographie de son temps, était sensible aux questions de déclin et de morcellement qui avaient caractérisé le ive siècle marquant la fin de l’unité de la péninsule, faiblesse irrémédiable et aggravée par les « invasions barbares » du ve siècle65. Pour s’y retrouver dans ce qui était devenu illisible, il utilisait la méthode en vigueur pour d’autres provinces : les documents ecclésiastiques tardifs considérés comme le reflet des continuités avec l’Empire romain tout en prenant ses distances avec les textes jugés peu fiables tels que la « Délimitation de Wamba » (fin du viie siècle) mais non avec l’Ovetensis (document d’Oviedo) et le manuscrit de l’Escurial, porteurs des listes épiscopales66. Quelques modifications apparaissaient : par exemple Valence avait été enlevée à la Tarraconaise au profit de la Carthaginoise. Comme l’a analysé L. Brassous67, E. Albertini et ses successeurs tablaient sur une fixité géographique d’ensemble traduite par la « pérennité » des capitales tout en admettant une exception pour la capitale du diocèse. L. Brassous a signalé, après M. Kulikowski, les limites du tableau68.

  • 69 Sur le doute et la question de Carthagène, voir aussi plus haut n. 29 et l’Annexe. Dire que la coï (...)
  • 70 Ce que reconnaissent la plupart des spécialistes.

18L. Brassous propose, nous l’avons dit, le doute méthodique envers la tradition et ne souscrit pas d’emblée au statut de capitale provinciale pour Carthagène malgré la correspondance (non la coïncidence) du nom même de la province, pas plus qu’il ne voit en Mérida le siège initial du diocèse des Hispaniae69. Une attention à l’épigraphie des gouverneurs, à l’archéologie urbaine et à l’apport des Codes, en particulier Théodosien, justifie ainsi des désaccords et des révisions qui n’ont rien de déchirantes. Toutefois, la démarche ne paraît pas totalement emporter l’adhésion, ne serait-ce que parce qu’elle ne rompt pas vraiment avec la logique précédente et met en exergue surtout une question formelle : la validité ou non du nom des provinces (ce qui met en cause surtout les extensions géographiques malheureusement inconnaissables). En outre, les inscriptions, les données archéologiques, les monnaies ou les bornes milliaires (non prises en compte par L. Brassous) n’apportent pas de discours tout prêt sur les questions administratives (seulement sur la fides envers tel ou tel pouvoir) et l’exemple « paradoxal » de Carthago Nova devrait inciter à la prudence sur le secours de l’archéologie en matière de trame territoriale70. En l’absence de données globales, ce sont les cas disponibles qui sont privilégiés, bien qu’ils soient fragiles par manque d’informations précises et assurées. La toile de fond aujourd’hui modifiée n’apporte pas non plus toutes les satisfactions attendues, même s’il est loin d’être négligeable de constater, à la différence d’Albertini, que les provinces Ibériques participèrent au ive siècle au mouvement général de redressement et de résistance de l’Empire romain.

  • 71 Brassous, 2011, p. 344.
  • 72 Voir plus haut, « Le ive siècle : des provinces multipliées ».

19Les documents ne parlent que si on peut les faire parler dans le respect de ce qu’ils sont censés dire. Pour tenter de sortir des impasses multiples et des propositions sans preuves définitives, révisables à l’infini, il faut chercher d’autres voies pour au moins modifier le questionnaire et le regard que l’on porte sur ces provinces et leurs espaces. Si l’on cesse de succomber aux pièges tendus par des textes tels que celui de Lactance, déformés en outre par des interprétations « modernistes » empruntées aux époques récentes et non à l’Antiquité tardive (l’idéal de cohésion et d’unité territoriale relève de la France royale et de la nation du xixe siècle), il est possible de reprendre la lecture des dossiers de manière plus souple. En outre, à propos de Tolède71, il n’est pas tenu compte du changement politique décisif, le repli définitif des Wisigoths depuis 507, ni de l’évolution des institutions ecclésiastiques sous l’influence d’une concurrence qui n’avait apparemment rien à envier aux revendications des cités « néocoriques » d’Asie sous le Haut-Empire. Ces faits disent à eux seuls que la continuité n’est pas le fil conducteur et que l’effondrement de l’autorité administrative romaine a engendré de nouvelles normes, sachant que les centres urbains les plus importants étaient tout désignés, par la force des choses, pour prendre le relais dans une conjoncture renouvelée72.

  • 73 Haensch, 1997.
  • 74 Caput impliquait toute forme de prééminence dans une région pour une ville : Segobriga caput Celti (...)
  • 75 Malgré Slootjes, 2006 qui ne dispose pas de preuves formelles.

20Il n’est pas possible, selon moi, d’apporter des réponses à la plupart des questions posées par les divisions administratives concrètes ou effectives, sachant que certaines ne sont dues qu’à nos ignorances et relèvent donc partiellement de fausses questions. De même, il n’est pas nécessaire de vouloir modifier ce qui ne demande pas à l’être, comme dans le cas des centres provinciaux et de la capitale du diocèse. Il semble que les notions de capitale et de province soient toujours appréciées le plus souvent de façon biaisée. En effet, malgré R. Haensch73, non exempt d’ambiguïtés (en raison des choix de méthode, il est vrai), la capitale provinciale et la capitale de conventus sont regardées comme des capitales modernes de nation ou de région administrative. Pourtant, notre collègue a insisté sur le fait que ce n’était rien d’autre que la résidence ordinaire du gouverneur, lequel ne se privait pas de l’abandonner chaque fois qu’il le fallait pour vaquer aux occupations de son rang dans la province. La capitale elle-même, jamais désignée sous ce nom74, ne regroupait pas obligatoirement toute l’administration de la province et n’était pas le lieu de rassemblement constant des différentes autorités, ce qui est même vrai de Tarraco ou de Cordoue et Mérida. Elle n’était donc pas principalement un lieu administratif mais davantage un symbole politique dans lequel se reflétaient l’empire et son empereur. En outre, la province n’était pas un État mais une circonscription administrative qui n’avait pas de frontières mais des limites, modifiables au gré des événements et des difficultés. La stabilité des Hispaniae garantissait la stabilité des limites provinciales. L’incertitude sur l’avenir justifiait une remise en cause plus ou moins durable. Dioclétien rappela que la province n’avait pas d’identité sociale ou humaine et que la diviser ne revenait pas à bouleverser les pratiques et les habitudes. La refonte des services financiers modifia également le rôle des gouverneurs qui deviennent surtout des juges (iudex) et des garants de la fides envers l’empereur. Enfin, la hiérarchie administrative parfois supposée, créant des échelons verticaux de la cité jusqu’à l’empereur, n’avait jamais été traduite par une hiérarchie de circonscriptions qui évoque surtout les républiques modernes centralisées. Les conventus n’étaient pas des ressorts régionaux dotés d’institutions autonomes et pouvaient donc disparaître ou s’estomper. En revanche, les titulaires d’un pouvoir de justice supérieur, gouverneurs ou vicaires, continuaient à se déplacer et à inspecter régulièrement les espaces provinciaux de leur compétence, en tout cas au ive siècle75.

  • 76 Voir par exemple Brown, 1997.
  • 77 Kulikowski, 2004, pp. 197-255 (chap. x).
  • 78 Arce, 2009, et la contribution dans ce dossier de P. Pácha.

21L’époque dite autrefois des « royaumes barbares » n’est plus celle des destructions et de l’abolition du passé romain au nom de la supériorité militaire et de la nouvelle religion76. Les peuples germaniques avaient une conception du pouvoir et de l’autorité qui n’avait rien de primitif. Ils devaient faire une place non négligeable à la guerre cependant. Il est probable que les institutions ecclésiastiques et les cités épiscopales de plus en plus sollicitées pour contribuer à l’ordre public et au contrôle des populations aient maintenu le plus longtemps possible l’armature territoriale issue des provinces romaines sans retarder l’effondrement de l’organisation ordinaire de l’administration et du gouvernement. Au viie et au viiie siècle encore, les références demeuraient provinciales dans le cadre de la gestion ecclésiastique. Comme le soulignent les épisodes du ve siècle et les divers témoignages, les circonscriptions administratives n’avaient pas pour but de fabriquer des identités et leur durée n’était pas davantage créatrice d’identités régionales. Les cités pour une grande part n’avaient pas cessé d’exister mais nous ne savons rien des redistributions territoriales qu’elles eurent à subir sans aucun doute, y compris dans leur urbanisme tributaire de nouveaux édifices religieux77. La répartition des pouvoirs entre Suèves et Wisigoths ignora les divisions romaines des provinces78. En matière d’organisation des territoires, l’effacement impérial fit place, dans les provinces des Espagnes, à un royaume qui ne portait plus le nom d’Hispaniae mais celui de la personne du roi. Expression géographique dans l’Empire romain, l’Hispania regroupée sous l’autorité d’un roi indépendant avait changé d’identité et de configuration sans destruction d’un tissu urbain préservé au moins en partie.

  • 79 Martin, 2003 qui renouvelle la question des évolutions en mettant l’accent sur les lieux de pouvoi (...)

22La réflexion sur la trame urbaine et administrative d’époque tardive est d’autant plus difficile et complexe que les faits nous échappent. Elle contraint cependant à mieux cerner l’histoire des territoires et de leur gouvernement en relation avec l’exercice de l’autorité et les pouvoirs qui l’imposaient. C’est une histoire inversée, rarement pensée comme telle, qui se dégage. Il faut revenir à la mise en place des provinces romaines pour mieux saisir leur disparition79. La paix et la stabilité romaine qui plongèrent dans l’anonymat de nombreuses communautés ethniques, certaines seulement préservées par la mémoire très sélective de nouvelles circonscriptions administratives, firent émerger un tissu territorial nécessaire à l’enregistrement et au contrôle des populations privées d’indépendance et donc d’identité politique propre. Ce que la paix avait réussi à construire dans un contexte romain impérial, la guerre le défit en substituant à l’horizon romain, de façon contrainte il est vrai, un horizon péninsulaire plus restreint qui vouait les provinces à cesser d’exister et d’avoir une raison d’être. Cette observation ne doit pas être interprétée comme un déclin, un recul ou au contraire une réussite. Il s’agit d’une nouvelle étape de la construction toujours inachevée de territoires dont l’organisation ne se substitue pas aux organisations sociales et autres mais cherche à les asseoir et à les faire fonctionner. Les réalités humaines ne correspondaient que rarement aux espaces administratifs. Il suffit que change le pouvoir pour que changent les articulations spatiales dont les limites ne sont que commodes et provisoires car modifiables.

Annexe. — L’ars gromatica Gisemundi et les provinces ibériques d’époque tardive

  • a Toneatto, 1982, pp. 191-313, passée inaperçue de beaucoup en raison de sa publication dans une rev (...)
  • b Olesti Vila, Andreu Expósito, 2016, pp. 351-354.

23L’ars gromatica de Gisemundus, daté du ixe siècle vient d’être redécouvert après avoir déjà fait l’objet d’une édition améliorée par L. Toneatto en 1982a. Les collègues de Barcelone ont réhabilité et réédité ce texte dont l’un des manuscrits a été sauvé par hasard du désastre de l’abbaye de Ripoll en 1835, se trouvant pour étude à Barcelone même. Comme le résument les éditeursb :

En esta obra se ha conservado una descripción de la división provincial de la Hispania tardoantigua (Discriptio Hispaniae) focalizada en la Carthaginiensis, que el autor basó en diversas fuentes inéditas de época antigua, tanto de época imperial como bizantina.

24Le texte retranscrit avec apparat critique appartient au livre II, 96-98 du document et relève de la littérature des arpenteurs ou art gromatique. Il est placé dans la progression du texte entre la division de la terre (orbis terrae) et le droit du territoire (ius territorii). On signalera en outre une reproduction d’une vignette originale qui place des villes entre la Catalogne et Tarragone sur le littoral méditerranéen et entre Gadès et Brigantia (La Corogne) sur le littoral atlantique. Le contenu, après déchiffrement minutieux suivant diverses méthodes, est établi comme suit par les éditeurs :

  • c Voir aussi Andreu Expósito, 2015, pp. 122-124.

<Hi>spania universa terrarum situ trigonia est et circumsaepta a mare Oceano in duabus partibus constat, id est, a septentrione et meridie. vero a parte orientis mare Tyrrheno terminatur. huius angulus prior in Narbonensium finibus desinit. secundus angulus circium intendit ubi Brigantia civitas sita est et altissimum farum. tertius angulus eius est in Gadi<bu>s ubi est columna Herculis. et sunt in ea trigonea iterum duae <Hi>spaniae: citerior et ulterior.
Citeriore<m> <Hi>spania<m> Carthago determinat. hic Iulius Caesar Franci[s]cus Gepidicus Africanus et E<u>ropensis castellorum oppidorumque <quae> ad metropolitana[m] pertinebant iura terminos constituit e<t> [f]flumina quae mergebant in Oceano demetiuit.
A[u]tque terminus Palentinus aut Carthaginiensis aut Celtiberus super superiore provincia quae Galli<ci>a nuncupatur, hos terminos constructos reliquimus. Iber vero fluuius, qui <I>beriam certam dividit provincia<m>, currit milia CCCXXVIIII quae Numantia, Vardulia, Cantabria, ad Carthaginiense<m> metropolitanam pertine<n>t. nam omnia trifinia de Carthagine processerunt. venit usque ad ter<mi>num Baetis ubi Corduba sita est <et> Carthago nuncupatur. inde surgit Baetica quae ad Gaditanum stagnum pertinet. inde A<u>gusta E[t]merita quae et Lusitania nuncupatur. currunt termini ipsius usque ad urbem metropolitanam Bracara<m>, cui Gallicia pertinet. ipsius sunt termini et procedunt calles calciatas in miliaria quae conscripta sunt in <no>mine Caesaris et divi Constantini. nam omnia trifinia de iam dicta[m] Carthagine[m] processerunt. venit usque ad locum Tormogorum qui et Or<e>tani nuncupa<n>tur. deinde ad arcam praecipuam quae est in terminos Salamancae cui Durius vicinus commanet flumen. haec arca quattuor <quadris> constructa procedit. quae videlicet: a dextro Lusitaniam, Baeticam ad postergum; (LITTERAE SENSVS IGNOTI: H L M HT QS QS) Galliciam ad sinistrum; Asturias, Cantabria<m> nec non et Vasconia<m> ad facie<m> quae ad oriente<m> Carthagini pertinet. deinde procedunt termini, sic<ut> lapides sculptos habentes in se passos LX, qui procedunt usque congeriem petrarum. deinde in passos XXX usque ad lapidem sculptum nomenque praesenti<s> imperatori<s> aut domini[s] senatus qui non arca<m> sed trifinium dividunt. deinde <a> parte orientis incipientes Pyrenaei saltus et a parte septentrionis quod eminet iugum per Vaccaeos usque ad Cantabros Asturesque deducit.
Vlterior vero iam dicta <Hi>spania habet ab oriente Vaccaeos, Celtiberos et Oretanos, a septentrione et ab occasu Oceanum mare, a meridie Gaditanum Oceani fretum ubi mare terrae inmittiturc.

  • d Olesti Vila, Andreu Expósito, 2016, pp. 359-360.
  • e Les éditeurs y retrouvent trois provinces inchangées, mais outre la formulation peu explicite il n (...)

25La forme de l’Hispania y est celle d’un triangle et la description au départ s’inspire d’Orose. Le document repose sur une documentation originale de caractère et de chronologie divers qui reprend des éléments de l’histoire de la péninsule depuis la République jusqu’à l’époque byzantined. Le centre d’observation est fixé au trifinium de Carthagène et mentionne Constantin (« ipsius sunt termini et procedunt calles calciatas in miliaria quae conscripta sunt in <no>mine Caesaris et divi Constantini. nam omnia trifinia de iam dicta[m] Carthagine[m] processerunt ») et le document parle confusément d’un arc servant de point commun à la Lusitanie, à la Carthaginoise et à la Gallicia (« deinde ad arcam praecipuam quae est in terminos Salamancae cui Durius vicinus commanet flumen. haec arca quattuor <quadris> constructa procedit. quae videlicet: a dextro Lusitaniam, Baeticam ad postergum; H L M HT QS QS Galliciam ad sinistrum; Asturias, Cantabria<m> nec non et Vasconia<m> ad facie<m> quae ad oriente<m> Carthagini pertinet »)e.

  • f Le Roux, 2007, pp. 211-212 et n. 89. Le cours des fleuves n’est pas le critère car il ne peut serv (...)

26Le point qui nous retiendra ici est celui de la confirmation ou non, en suivant ce document, de la Callaecia comme provincia Superior : « terminus Palentinus aut Carthaginiensis aut Celtiberus super superiore provincia quae Galli<ci>a nuncupatur » selon la lecture reproduite. Les éditeurs traduisent : « S’agissant de la délimitation de Palencia ou de Carthagène ou du (territoire) Celtibère outre la province supérieure qui reçoit le nom de Callaecia ». Ils rapprochent le passage de l’étude citée de G. Alföldy (voir n. 12) pour y trouver et une confirmation de l’assimilation de la Callaecia à l’Hispania Superior et un argument chronologique sur les informations de Gisemundus associées ici à la période sévérienne. Les objections à cette lecture et interprétation ne manquent pas. Il n’est pas question d’Hispania superior ni même de Provincia superior mais de superior provincia alors qu’au départ il s’agit des Hispaniae citerior et ulterior. En deuxième lieu, il n’y a pas de recours à la formule quae et, utilisée cependant ensuite (« A<u>gusta E[t]merita quae et Lusitania nuncupatur »), ce qui exclut une assimilation obligatoire. En troisième lieu super superiore provincia avec l’ablatif n’a pas une valeur de localisation mais un sens figuré et veut dire « outre la province supérieure », c’est-à-dire la province qui est voisine ou qui vient ensuite comme le veut le comparatif superior utilisé pour les Germanies, les Pannonies, les Mésies, les Bretagnes, proche dans l’esprit de citerior, et désigne « la plus proche » ou la première abordée quand on part de Romef. Superior provincia ne correspond ici à aucun nom officiel de province et se réfère à un vocabulaire emprunté à une littérature géographique ou gromatique d’époque incertaine. Il serait imprudent de faire du texte un témoin de la réorganisation de la Callaecia au iiie siècle et plus encore d’une dénomination officielle telle que Hispania superior qui serait son équivalent et n’est jamais évoquée dans les documents du ive siècle ou du ve siècle. Le document de Lavinium qui a fondé l’hypothèse de G. Alföldy n’est pas exempt de difficultés et l’on ne saurait exclure une confusion des rédacteurs ou du lapicide par contamination avec la Mésie.

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Bibliographie

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Notes

1 Ce texte n’est pas un bilan factuel et exhaustif sur la période. Il s’agit d’une réflexion à caractère méthodologique fondée sur des recherches longues et parfois anciennes. Il est complété par la présentation générale du dossier, s’agissant notamment des sources et des éditions, et par les contributions composant l’ouvrage. La date de 508 rappelle que la bataille de Vouillé en 507 a enclenché le repli mais qu’il n’a pas été décidé pleinement avant 511.

2 Le vocabulaire est essentiel car il oriente sans le dire la réflexion, même lorsqu’il paraît neutre. Le mot « trame » utilisé dans le titre de ce dossier et emprunté au tissage, registre étranger à l’administration territoriale antique, est commode et de l’ordre de l’image mais suggère une minutie et une attention optimiste au tissu territorial de la part des coordinateurs du dossier. « Ordonnancement » ou « organisation » relèvent d’une intervention raisonnée du pouvoir ou de l’autorité et sous-entendent des choix qui ne sont jamais explicités. « Circonscription » n’est « électorale » que pour des Français d’aujourd’hui et remonte en réalité au latin circumscriptio ou étendue délimitée (voir circumscriptio terrae chez Cicéron) sans plus, en dehors d’une idée de circularité peu mise en avant.

3 La tendance dominante, discutable car dépendante des discours d’aujourd’hui, tend à confondre expérience immédiate et interprétation documentaire au détriment de la compréhension du passé, le plus souvent.

4 L’héritage est une donnée dont les héritiers et le temps décident et mettent ensuite ou non à profit.

5 Cette constatation est indépendante de la manière de lire l’épisode du sac de Tarraco en 262 : pour une proposition nouvelle qui reste à évaluer, voir Brassous, 2014, pp. 599-613.

6 Il n’y a guère de point d’appui documentaire pour valider l’existence d’une réforme des limites territoriales des provinces ibériques. La création des préfectures du prétoire géographiques n’eurent pas de répercussions avérées ni nécessaires sur les tracés provinciaux, sauf à imaginer que Constantin ait mis la réforme à profit pour étendre ou rétrécir telle ou telle province d’Hispania, ce qui n’est pas démontrable en l’absence de témoignages.

7 Pour un récit succinct et un bilan de l’historiographie relative au ve siècle et peu renouvelée récemment : Le Roux, 2010, pp. 269-292 ; voir aussi Arce, 2005, sur des aspects traités par E. A. Thompson depuis 1969. Voir ici même les réflexions méthodologiques de P. C. Díaz. La dépendance envers Hydace pèse fortement sans autoriser un tableau bien dessiné. Enfin, les références aux structures passées quand les réalités les bouleversent sont un « rideau d’Apelle » pour l’historien.

8 La mort d’Alaric II à la bataille de Vouillé (507) suivie du pillage de Toulouse marque assurément une étape décisive dans l’évolution du pouvoir territorial des Wisigoths : une période de transition 507-511 ne peut être négligée à lire la Chronique de Saragosse et le témoignage d’Isidore de Séville dans son Histoire des Goths.

9 Leovigild y mit fin en 584 : voir Jean de Biclar, Chronique, 584, 1-3.

10 Cette évolution, bien attestée pour Carthagène, fut progressive : voir n. 29.

11 Le terme de nouvelle province, prélevée sur l’Hispania Citérieure, s’applique ici à un territoire dont on ignore la composition et l’étendue. La Nova Hispania Citerior de l’inscription de Legio VII se rapporte, comme on sait, à l’ancienne Citérieure amputée de territoires du Nord-Ouest.

12 Malgré Alföldy, 2000. Voir l’Annexe et la bibliographie avec la discussion de l’interprétation proposée à partir du manuscrit de Gisemundus.

13 Le Roux, 2010, pp. 144-153 résumant les acquis de la recherche.

14 Brassous, inédit, n. 1698, pp. 329-330, qui écarte, à l’image de nombreux spécialistes, la proposition de Barnes, 1982, sur les changements antérieurs à 297, et expose un bilan complet des sources ; Id., 2011, pp. 337-338.

15 Cette idée de « rapprochement » est ambiguë et elle n’implique que la volonté accrue de contrôle des ressources et des hommes, non une attention aux populations pour leur bien. Le témoignage souvent invoqué de Lactance, De mortibus persecutorum, 23 ou autre, ne laisse aucun doute sur le caractère répressif et autoritaire du census peu favorable aux contribuables, même si la présentation comparant ces opérations à une guerre est exagérée. L’auteur chrétien est assurément sensible au recours à la force indiscutable de la monarchie en écho aux persécutions. Voir aussi Le Teuff, 2014, pp. 428-430, qui, avec d’autres, appelle à réhabiliter l’administration romaine et ses pratiques. Il n’en reste pas moins que l’esprit très hiérarchique du pouvoir tardif ne donne aucune prise à une administration plus soucieuse du citoyen, encore moins s’il s’agit de l’application de principes chrétiens absents à cette époque. L’existence d’excès et d’arbitraire suffit à expliquer les dénonciations. Le problème relève du balancier, fréquemment utilisé dans nos disciplines en réaction à des affirmations antérieures mais sans documentation nouvelle avérée.

16 Voir Albertini, 1923, pp. 118-119. Laterculus Veronensis : « Diocensis hispaniarum habet provincias numero VII : beticam, lusitaniam, kartaginiensis, gallaecia, tharraconensis, mauritania tingitania. »

17 En particulier Arce, 1982, pp. 48-49.

18 Malgré les doutes exprimés par Le Bohec, 2004, pp. 123-132.

19 Le Roux, 2010, pp. 151-152 et 244-248.

20 Brassous, 2011, pp. 340-345 en particulier. Aussi Étienne, 2006 [1982], pp. 207-214 en faveur de Mérida.

21 Voir Kulikowski, 2004, p. 75 qui utilise en faveur de Mérida une argumentation contredite par la pratique des Romains. Les problèmes naissent surtout d’un manque de preuves formelles, ce qui incite trop souvent les spécialistes quels qu’ils soient à opposer entre eux des arguments de portée non contrôlable.

22 Ausone, Ordo urbium nobilium, 20, X-XIII : « < Hispalis/Emerita > aequoreus quam praeterlabitur amnis / submittit cui tota suos Hispania fasces. / Corduba, non, non arce potens tibi Tarraco certat / Quaeque sinu pelagi iactat se Bracara dives » (« < Hispalis/Emerita >, illustre cité des Ibères, qu’un fleuve arrose en courant à la mer, et devant laquelle toute l’Espagne abaisse ses faisceaux. Corduba ne peut te disputer ton rang, ni Tarraco avec sa puissante forteresse, ni la riche Bracara qui se dresse dans un golfe de l’océan. », trad. de l’auteur). La scansion n’autorise pas à choisir. Tota Hispania dit qu’il s’agit du vicaire mais ne laisse en aucun cas supposer que le fait est récent et ne remonte pas aux origines du diocèse.

23 Le texte précise que Mérida est en Lusitanie et ne cite pas le nom des provinces pour les autres, comme pour attirer l’attention sur la prééminence de la colonie augustéenne à l’échelle du diocèse. Le vicaire n’occupait pas la résidence du gouverneur et les deux gouvernants ne se confondaient pas.

24 Brassous, 2011, pp. 346-349.

25 Le rapport de cause à effet n’est pas immédiat et le changement de statut des préfets n’impliquait aucune mobilité du vicariat, au contraire.

26 Parmi les points défavorables à Cordoue, il faut rappeler qu’au début des diocèses, les proconsuls ne sont pas soumis à l’autorité des vicaires, choisis en outre parmi les perfectissimes.

27 C. Th., 3, 5, 6, à une date associée aux réformes territoriales.

28 Voir l’inscription de Sagonte à M. Acilius Rufus : CIL, II2/14, 333 et aussi 334. La tendance à simplifier le nom des provinces en fonction de la résidence du gouverneur s’est renforcée au ive siècle de manière compréhensible.

29 La méthodologie est ici celle, positiviste, observée chez R. Haensch quand il doute que Mérida ait été le siège du légat d’Auguste au Haut-Empire parce que rien ne le dit explicitement. Surtout, on ne voit pas pourquoi, si le conventus a été le ressort choisi, Carthago Nova se serait vu préférer une autre résidence provinciale tout en préservant le nom de Carthaginiensis. Tolède, municipe, a beaucoup attendu avant de s’imposer et n’avait pas le prestige de la colonie césarienne ; en outre, on ne peut confondre les données ecclésiastiques et les critères de l’administration civile comme l’a fait E. Albertini sans recherches approfondies. La comparaison avec les Lyonnaises enfin n’a pas de raison d’être car il y avait plusieurs provinces mais aucune autre colonie ancienne comparable historiquement à Lyon sur ce territoire qui n’était pas par ailleurs fondé au même titre sur une division revendiquée en conventus désignés par une ville. Pourtant une « Sénonaise » appelée d’après la ville du gouvernement, Sens, colonie honoraire, montre que la règle est celle-là et l’on peut en dire autant de la « Viennoise » prélevée sur l’ancienne Narbonnaise. L’absence chez Ausone est explicable aussi par les questions de prosodie et par la non exhaustivité de la liste ici.

30 Slootjes, 2006, pp. 31-32, tablant surtout sur une moindre mobilité des gouverneurs due à la réduction de la taille des provinces pense surtout à l’Orient, ne cite pas les vicaires et renforce au contraire la géographie antérieure par la réaffirmation du poids de la résidence stable du iudex (sedes). Décidément, quels que soient les critères, les limites méthodologiques des tracés provinciaux tardifs sont évidentes dans ce dossier.

31 Outre les incertitudes de Arce, 1997, p. 302, force est de constater que rien n’autorise à Mérida à reconnaître architecturalement aujourd’hui une résidence de vicaire, les praetoria des gouverneurs demeurant aussi inconnus ou difficiles à identifier. L’architecture et l’agencement des monuments ne révèle rien de précis sur la fonction et l’affectation en dehors d’une dimension publique, ce qui vaut aussi pour Cercadilla. Enfin, l’inscription CIL, II2/7, 270 (épitaphe d’Aelia Vitalis) mal datée et peu bavarde n’autorise aucune conclusion sur l’antériorité de la présence d’un vicaire à Cordoue par rapport à Mérida. Nos séries documentaires sont très incomplètes pour le ive siècle, particulièrement à Mérida, et le tableau dans Brassous, 2011, p. 351 le démontre amplement.

32 Kulikowski, 2004, p. 177. On oublie parfois les critères de choix d’Ausone dans l’Ordo, lequel privilégie l’histoire, le prestige et l’ancienneté des villes sur lesquels se fonde la nobilitas.

33 Voir Kulikowski, 2004, pp. 282-286.

34 Suétone, Galba, 10, 1.

35 Pline l’Ancien, Naturalis Historia, III, 28 dont la formule pèse exagérément sur l’histoire postérieure de la ville.

36 Torres Rodríguez, 1949, pp. 367-383 et Tranoy, 1981, pp. 402-403.

37 Sur Orose et ses informations (Orose, Historiae adversum paganos, VI, 68-75), voir Janvier, 1982, pp. 48-50 et pp. 171-195.

38 Hydace, Chronique [Gallaeciae episcopi chronicon], 179 et 214a (ce paragraphe est absent du manuscrit B, jugé le plus fiable, et est présent sur le H) : « In conventus parte Bracarensis » et « In conventu Bracarense ». Cette deuxième formulation tend à accréditer le maintien durable des ressorts judiciaires, mais la prudence reste de mise ; voir en outre Kulikowski, 2004, pp. 176-196. Les références à Hydace seront par la suite celles données par l’édition d’A. Tranoy par souci de commodité car les numérotations, complexes, varient selon les éditions autres.

39 Mais en dehors de la Callaecia il n’y a aucun Hydace pour en rendre compte. Voir cependant l’Ars gromatica de Gisemundus, réhabilité, conservé par les manuscrits datés du ixe siècle : Barcelone, Archivo de la Corona de Aragón (ACA), ms Rivipullensis 106 (fos 76-89) et Paris, Bibliothèque nationale de France (BnF), ms 8812 (fos 67ro-76vo). Se reporter à l’Annexe et à la bibliographie.

40 Not. Dig. Occ., XLII, 30 et 32.

41 Voir pour le bilan : Le Roux, 2010, pp. 248-249.

42 Ibid., p. 248.

43 Villela, 2014, pp. 210-259 qui montre que les « canons » sont un assemblage de textes d’origine et de date différentes, mis au point au début du ve au plus tôt et complété jusqu’au vie siècle.

44 Le Roux, 2010, pp. 316 et 319-320, qui indique par erreur que les presbyteri présents ne seraient pas signalés dans le document. On note qu’ils sont accolés à des cités différentes de celles des sièges épiscopaux.

45 Voir entre autres Maraval, 1997, pp. 135-146.

46 Il n’a jamais été avéré (voir plus haut) que toutes les cités existantes étaient devenues le siège d’un évêque et, comme on le voit en Afrique, des communautés chrétiennes ont été regroupées sous la bannière d’un seul évêque pour des motifs propres aux circonstances locales ou régionales qui nous échappent et n’ont pas laissé de trace. Voir aussi la remarque d’Hydace sur les destructions dans sa Chronique, 49, qui montre que des cités s’étiolèrent.

47 Le Roux, 2010, pp. 269-292.

48 Orose, Histoires, VII, 40, 3 ; Hydace, Chronique, XV, 42.

49 Hydace, Chronique, 49 principalement et Le Roux, 2010, pp. 270-272 ; Kulikowski, 2004, pp. 165-167 ; Arce, 2005, pp. 62-72.

50 Hydace, Chronique, 49.

51 Le Roux, 2010, p. 272.

52 Voir par ex. ibid., p. 244 et n. 3, avec les références tout en sachant que la fourchette est désormais resserrée mais que les discussions ne sont pas achevées.

53 Le Roux, Tranoy, 2012, pp. 381-387.

54 Hydace, Chronique, 89-90. Kulikowski, 2004, pp. 177 et 371.

55 Le Roux, 2010, p. 281 et n. 53.

56 Maraval, 1997, pp. 189-209 en particulier.

57 Voir essentiellement Hydace, Chronique, 114-137 et Arce, 2005, pp. 177-187.

58 Ibid., pp. 131-134.

59 Il fallut attendre le Ier concile de 400 en liaison avec le Priscillianisme pour qu’elle soit mentionnée au premier plan : FHA, IX, pp. 20-21 et Hydace, Chronique, 32.

60 On ne peut que constater la discrétion des sources du ive siècle sur la cité du Tage qui n’est pas nommée par Ausone : elle ne figure pas dans les indices de Arce, 1982.

61 Pour les événements et la chronologie, à nuancer parfois : FHA, IX, pp. 155-197 avec les documents principaux.

62 Pour l’année 507, la Chronique de Saragosse dite de Gisalecus, rex Gotthorum.

63 Sur la signification complexe des dons de terres : entre autres, Martin, 2003, pp. 31-141.

64 Sur la création des pouvoirs régionaux et leur affirmation, entre autres : ibid., pp. 143-277 qui insiste sur la cohésion préservée du royaume malgré des aménagements.

65 Albertini, 1923, pp. 127-129.

66 Ibid., pp. 118-120.

67 Brassous, 2011, pp. 337-353.

68 Ibid., pp. 337-340.

69 Sur le doute et la question de Carthagène, voir aussi plus haut n. 29 et l’Annexe. Dire que la coïncidence des dénominations n’est pas une preuve revient à refuser une évidence ou à compliquer sans motif la question.

70 Ce que reconnaissent la plupart des spécialistes.

71 Brassous, 2011, p. 344.

72 Voir plus haut, « Le ive siècle : des provinces multipliées ».

73 Haensch, 1997.

74 Caput impliquait toute forme de prééminence dans une région pour une ville : Segobriga caput Celtiberiae chez Pline l’Ancien, Naturalis Historia, III, 24 et n’est guère utilisé pour la sedes legati ou proconsulis. Le caput par excellence est Rome tant que dure l’Empire.

75 Malgré Slootjes, 2006 qui ne dispose pas de preuves formelles.

76 Voir par exemple Brown, 1997.

77 Kulikowski, 2004, pp. 197-255 (chap. x).

78 Arce, 2009, et la contribution dans ce dossier de P. Pácha.

79 Martin, 2003 qui renouvelle la question des évolutions en mettant l’accent sur les lieux de pouvoir et pose la question des forces centrifuges et de la cohésion tout en montrant la difficulté de concilier l’émergence d’un pouvoir religieux avec une administration civile qui n’est pas la réplique exacte de Rome.

a Toneatto, 1982, pp. 191-313, passée inaperçue de beaucoup en raison de sa publication dans une revue consacrée à l’Histoire médiévale. Voir plus haut n. 38 : le texte est rapporté par les manuscrits Barcelone, ACA, ms Rivipullensis 106 (fos 76-89) et Paris, BnF, ms 8812 (fos 67ro-76vo). La datation du manuscrit pose un problème en raison de la forme Salamanca et non Salmantica en usage encore au ixe siècle. Salamanca est une évolution plus tardive, ce qui oblige aussi à être prudent dans l'utilisation du document et de sa copie.

b Olesti Vila, Andreu Expósito, 2016, pp. 351-354.

c Voir aussi Andreu Expósito, 2015, pp. 122-124.

d Olesti Vila, Andreu Expósito, 2016, pp. 359-360.

e Les éditeurs y retrouvent trois provinces inchangées, mais outre la formulation peu explicite il n’est pas possible de dire à quelle source remonte l’information qui n’a donc pas ici de valeur chronologique et peut orienter vers l’époque de Constantin donné comme inscrit sur les bornes milliaires.

f Le Roux, 2007, pp. 211-212 et n. 89. Le cours des fleuves n’est pas le critère car il ne peut servir pour les Pannonies ni même les Germanies et encore moins pour la Bretagne sévérienne.

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Pour citer cet article

Référence papier

Patrick Le Roux, « Les Hispaniae (ive-ve siècle) : redéfinitions administratives des espaces provinciaux entre Dioclétien et l’installation des Wisigoths (508) »Mélanges de la Casa de Velázquez, 49-2 | 2019, 19-40.

Référence électronique

Patrick Le Roux, « Les Hispaniae (ive-ve siècle) : redéfinitions administratives des espaces provinciaux entre Dioclétien et l’installation des Wisigoths (508) »Mélanges de la Casa de Velázquez [En ligne], 49-2 | 2019, mis en ligne le 25 novembre 2019, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/mcv/10845 ; DOI : https://doi.org/10.4000/mcv.10845

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Auteur

Patrick Le Roux

Professeur émérite, université de Paris 13-Villetaneuse

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