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Comptes rendus
Époques moderne et contemporaine

Bartolomé Yun Casalilla, Jorge Luengo (éd.), Pensar el poder. Liber amicorum de Pedro Carasa

Alexandre Dupont
Référence(s) :

Bartolomé Yun Casalilla, Jorge Luengo (éd.), Pensar el poder. Liber amicorum de Pedro Carasa, Valence, Universitat de València, 2018, 282 p.

Texte intégral

1Comme l’indique son titre, cet ouvrage est un volume d’hommages à l’historien Pedro Carasa à l’occasion de son départ en retraite. Les curateurs du volume reviennent en introduction sur la carrière et les principaux apports de Carasa, centrés sur l’histoire des pouvoirs et de leurs transformations et sur l’histoire des élites depuis une perspective prosopographique dans l’Espagne du xixe siècle, et en particulier en Vieille-Castille. La quinzaine de contributions réunies visent à prolonger, mettre en perspective et discuter les lignes de force du travail de Pedro Carasa à partir des champs de spécialités de chacun des participants. Ce louable effort pour produire un ensemble cohérent de réflexions ne préserve toutefois pas entièrement le volume d’une inévitable multiplicité thématique et d’un niveau parfois inégal des chapitres. On pardonnera donc à l’auteur de ces lignes de ne pouvoir évoquer l’ensemble des contributions. Je m’efforcerai de dégager trois grands champs qui apparaissent à la lecture de l’ouvrage et qui recoupent les intérêts de Pedro Carasa.

2Un premier groupe de chapitres se penche sur les transformations de l’État et du personnel politique entre la fin du xviiie siècle et le début du xxe siècle, et s’efforce de montrer comment ces transformations sont le résultat d’une dialectique complexe entre introduction et affirmation du libéralisme et préservation de certaines caractéristiques d’Ancien Régime jusque tard dans l’époque contemporaine. De façon générale, ces chapitres ont pour mérite de battre en brèche un certain nombre d’idées reçues sur les causes et les manifestations de ces ruptures et de ces continuités. La contribution de Bartolomé Yen Casalilla vient ainsi rappeler que la noblesse espagnole de l’ère des révolutions ne fut pas tout entière rétive à l’émergence du libéralisme et de la nation, et qu’elle put en accompagner le mouvement avec des spécificités liées à sa situation sociale ; à l’inverse, Jesús Millán et María Cruz Romeo montrent avec brio la place de plus en plus importante que prit le catholicisme chez des penseurs issus du libéralisme, au point de donner naissance après le Printemps des peuples au néo-catholicisme, qui voyait dans la religion le seul moyen de préserver l’idéal de stabilité du libéralisme conservateur.

3Un deuxième ensemble de contributions portent sur les liens entre les élites politiques et sociales et les classes populaires dans l’Espagne du xixe siècle. Chacune à leur façon, ces contributions s’efforcent de montrer que les élites, malgré l’existence d’un système non-démocratique, et traditionnellement considéré comme figé et corrompu — ce qui n’est pas faux —, ne purent faire fi de l’expression populaire et des revendications issues des classes exclues du suffrage. En général, elles défendent l’idée que les interactions sociales et la capacité d’action sur le plan politique ne se résument pas à l’insertion dans le jeu institutionnel, ce qui complexifie le portrait de l’Espagne du caciquisme. Toutefois, ces chapitres en restent pour beaucoup à une lecture top-down des processus de mobilisation et de politisation et à une vision sans doute trop monolithique des groupes sociaux et de leur agency. À l’inverse, les postulats épistémologiques et méthodologiques de Constantino Gonzalo Morell dans son étude du rôle des associations de voisins dans la contestation urbaine à Valladolid au cours du tardofranquisme et de la transition, me semblent particulièrement utiles et suggestifs, et offrent des pistes fécondes en soulignant les capacités d’auto-organisation et de mobilisation autonome des subalternes.

4Un dernier groupe de chapitres traitent quant à eux des échelles du pouvoir. Suivant la voie des travaux de Pedro Carasa sur les élites de Vieille-Castille, dont les principaux apports sont rappelés dans deux contributions, les autrices et auteurs de ces chapitres réhabilitent la pertinence de l’échelon local pour comprendre les processus politiques dans toute leur finesse, et plusieurs contributions évoquent la local history britannique comme source d’inspiration méthodologique. Indubitablement, il y a là un pari gagnant dont on peut donner deux exemples. Le travail de Joseba Agirreazkuenaga sur la question forale dans les provinces basques entre les deux guerres carlistes fait le point sur une question extrêmement complexe et souligne que les pouvoirs locaux de ces provinces au statut particulier surent manœuvrer pour préserver leur autonomie dans l’Espagne libérale en construction, même si leur stratégie échoua finalement. Dès lors, on ne saurait considérer, au moins dans le cas de l’Espagne, la naissance de l’État-nation comme un bloc. Dans le même temps, l’étude de María Sierra et María Antonia Peña sur l’Andalousie de la Restauration bat en brèche le traditionnel discours sur l’échec de la construction stato-nationale en Espagne et souligne que les études au ras du sol viennent nuancer l’impression d’échec et d’immobilité qui ressort habituellement des tableaux politiques de l’Espagne de la Restauration.

5On ne peut que souhaiter que de tels travaux à l’échelle locale s’engagent encore plus avant dans le croisement des échelles, et introduisent davantage de niveaux d’analyse, par exemple en prenant en compte l’échelle inter ou transnationale, abordée avec bonheur par plusieurs contributions, notamment celles de José Luis Rodríguez de Diego et de Jorge Luengo. Que les quelques regrets exprimés dans ce compte-rendu ne cachent pas l’intérêt de ce volume, qui présente une photographie variée de l’historiographie actuelle de l’Espagne sur le politique, le pouvoir, ses détenteurs et les échelles et les espaces sociaux où ils se déploient. Ils se veulent seulement des invitations à poursuivre et amplifier les renouvellements en cours, à proposer une histoire toujours plus complexe de l’avènement de l’État-nation libéral espagnol, dans la lignée des travaux de Pedro Carasa.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Alexandre Dupont, « Bartolomé Yun Casalilla, Jorge Luengo (éd.), Pensar el poder. Liber amicorum de Pedro Carasa »Mélanges de la Casa de Velázquez [En ligne], 49-2 | 2019, mis en ligne le 22 octobre 2019, consulté le 16 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/mcv/12080 ; DOI : https://doi.org/10.4000/mcv.12080

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Auteur

Alexandre Dupont

Université de Strasbourg

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

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