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Pour une valorisation des savoirs d’usage face aux risques côtiers dans un contexte de changement climatique. Application au territoire du Parc Naturel Régional d’Armorique (Finistère, France)

For a valorization of the knowlege of use to face coastal risk in the context of climate change. The case of the Armorique Regional Park (Finistère, Brittany, France)
Lucille Ritschard, Annaig Oiry et Nicole Roux
p. 55-69

Résumés

Cet article vise à interroger les « savoirs d’usage » des risques côtiers dans un contexte de changement climatique. Prenant le contre-pied d’une définition institutionnelle et normative de la culture du risque, nous cherchons à identifier quelles formes et contenus peuvent recouvrir les savoirs des habitants et élus des territoires côtiers au sein du Parc Naturel Régional d’Armorique (PNRA) dans le Finistère. Par le biais d’ateliers participatifs organisés dans cinq communes, nous identifions quatre catégories de savoirs d’usage : les savoirs descriptifs qui témoignent du fonctionnement habituel du territoire, les savoirs sentinelles construits autour d’observations de changements autour d’enjeux territoriaux, les savoirs de l’agir mobilisés en cas de crises qui peuvent soit être auto-construits et individuels, soit plus formalisés et collectifs. Nous discutons enfin de l’intérêt d’une prise en compte de ces savoirs dans les politiques locales et dans les documents réglementaires de gestion des risques côtiers de type Plan de Prévention des Risques Littoraux. En dernier lieu, nous verrons comment cette expérimentation autour des ateliers et de la cartographie participative peut contribuer à des réflexions critiques sur la culture du risque.

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Notes de la rédaction

Article reçu le 15 novembre 2019 ; définitivement accepté le 22 février 2020 • Suivi éditorial : Laure Cormier

Texte intégral

Introduction

  • 1 Le projet RESSAC (Représentations Sociales, Sensibilisation et Adaptation au Changement Climatique) (...)

1La tempête Xynthia, survenue en février 2010 en Vendée, a contribué à intégrer la question des changements climatiques dans la gestion des risques de submersion marine et d’érosion littorale. Plusieurs évolutions réglementaires sont notables. La circulaire du 27 juillet 2011 relative à la prise en compte du risque de submersion marine dans les plans de prévention des risques naturels littoraux (PPRL) a permis de prendre en compte les conséquences liées au changement climatique dans l’aléa « submersion marine » de référence au sein des PPRL. Ces derniers doivent désormais intégrer un aléa calculé sur la base de l’hypothèse pessimiste d’augmentation du niveau de la mer à l’horizon 2100. La circulaire du 2 août 2011 relative à la mise en œuvre des PPRL a quant à elle identifié 303 communes prioritaires sur l’ensemble du littoral métropolitain français. Dans ce contexte, le Parc Naturel Régional d’Armorique (PNRA) a mis en place le programme de recherche-action RESSAC1. L’hypothèse centrale du PNRA est que son territoire est directement concerné par une hausse des risques côtiers, sans pour autant que les élus et acteurs du territoire n’en prennent réellement conscience, ce qui freine la mise en œuvre d’actions d’adaptation. Afin d’engager des réflexions locales à ce sujet, un des axes du programme porté par le PNRA a été dédié à la « culture du risque ». Le parc souhaitait alors saisir le contenu et les limites de la « culture du risque locale » afin, dans un second temps, de l’entretenir voire de la construire.

2De ce point de vue, le projet RESSAC se positionne dans la lignée du discours dominant porté par les services de l’État. Après la tempête Xynthia, ces derniers ont dénoncé à plusieurs reprises le manque de culture du risque des habitants, notamment par le biais de deux rapports sénatoriaux : le premier dénonce « une culture du risque quasi-inexistante » (Anziani, 2010) et le second est intitulé Xynthia 5 ans après : pour une véritable culture du risque dans les territoires (Calvet et Manable, 2015). Le rapport Anziani définit la culture du risque comme un « ensemble de connaissances et de pratiques qui permettent aux individus d’agir efficacement vis-à-vis des aléas de la nature et d’en limiter les dégâts » : la définition est opérationnelle, elle recherche une efficacité des comportements et reste floue dans ses modalités pratiques de mise en place.

3Certains scientifiques reprennent à leur compte la définition institutionnelle et dénoncent également un manque de culture du risque (Anselme et al., 2008 ; Durand, 2018 ; Chionne, 2018) pour expliquer a posteriori les dégâts provoqués par une « catastrophe naturelle » (Chauveau et al., 2011 ; Hellequin et al., 2014). En parallèle, certains arguent qu’une perte de culture maritime est observée en métropole (Acerra et Sauzeau, 2012). Si la connaissance du fonctionnement des littoraux est plus fine grâce aux progrès de l’ingénierie, elle s’accompagne d’une perte de la mémoire locale. Le désir de rivage et la hausse de son urbanisation qui l’accompagne ont brisé un modèle territorial qui reposait sur des savoirs coutumiers et une mémoire locale des risques côtiers (Meur-Ferec, 2006). Ainsi, la société aurait perdu conscience de sa vulnérabilité.

4La prévention des risques en France oscille entre deux approches : une approche institutionnelle et normative, qui pose comme essentielle l’acquisition d’une culture du risque par les habitants, et une approche locale, qui repose sur une compréhension et une perception empirique du territoire concerné par les risques et sur une mémoire des expériences passées. Tricot (2008) et Gentric et Langumier (2009) montrent que l’approche institutionnelle menée par les services de l’État est fortement dominante en France et qu’elle se fait sans coordination avec les formes locales de culture du risque, renvoyées à une forme d’immaturité voire d’irresponsabilité. Le discours institutionnel révèle la position surplombante des gestionnaires de risques par rapport à des habitants jugés peu avertis et peu rationnels (Gentric et Langumier, 2009). Goutx (2012) montre que la culture du risque est une norme culpabilisante qui n’explicite pas son contenu. En outre, l’outil réglementaire du Plan de Prévention des Risques Littoraux (PPRL) est peu approprié par les acteurs locaux. En effet, les études d’aléas sont issues de connaissances expertes et non de connaissances territoriales. Or, Gentric et Langumier (2009) ont démontré que les habitants peuvent construire des savoirs pratiques qui s’apparentent à une culture du risque auto-organisée et qui permettent une certaine anticipation du risque. Ils s’inscrivent dans le temps long, l’habitant développant une relation de proximité avec le territoire qu’il habite et qu’il voit évoluer. Les travaux de Rocle et al. (2016) mettent en avant le fait que les habitants disposent de connaissances scientifiques spécifiques aux risques côtiers auxquels ils sont exposés. Enfin, lors d’une précédente enquête sur un des territoires du PNRA (l’île de Sein), nous avons mis en évidence que les îliens possèdent de nombreux savoirs face aux risques côtiers, sans que ceux-ci soient nécessairement formalisés (vigilance face à l’état de la mer, connaissances sur l’état des digues et sur les espaces à risques de l’île) et que les aléas marins ont fortement conditionné les modes de construire, d’habiter, de réagir face aux risques de submersion et d’érosion (Oiry, 2011). Partir du constat formulé par les services de l’État (à l’échelle nationale) et par le PNRA (à l’échelle locale) – d’un manque de culture du risque – paraît alors réducteur, puisque cette dernière est avant tout envisagée comme surplombante et uniforme. Nous nous sommes alors appuyées sur l’hypothèse inverse : il existe de nombreux savoirs relatifs aux risques côtiers, individuels ou collectifs, formalisés ou non, qu’il peut être intéressant de (re)mobiliser dans un contexte d’intensification des risques côtiers.

5Pour cela, nous avons recours à la notion de savoirs d’usage qui permet de prendre en considération la dimension polymorphique et l’hybridité des savoirs liés aux risques côtiers. Qu’ils soient qualifiés de « savoirs d’usage », « savoirs citoyens », ou « savoirs ordinaires », ils sont devenus centraux dans un contexte où la participation est au cœur de la mise en œuvre des politiques publiques (Blondiaux et Sintomer, 2002). Les habitants sont des dépositaires de savoirs, construits grâce à leurs usages et à leurs pratiques des territoires. Ces savoirs d’usage font référence « à la connaissance qu’a un individu ou un collectif de son environnement immédiat et quotidien, en s’appuyant sur l’expérience et la proximité » (Nez, 2013). Ils se construisent sur le temps long, s’appuient sur la mémoire des lieux et participent à la construction du territoire (Ripoll et Veschambre, 2006). Trois types de savoirs d’usage peuvent être distingués : la raison ordinaire (en opposition à la figure de l’expert), l’expertise citoyenne (qui peut prendre la forme d’un savoir professionnel diffus, d’une expertise par délégation ou d’une contre-expertise) et enfin les savoirs politiques (issus d’une expérience participative plus radicale qui permet de s’émanciper de la tutelle des élus et des techniciens). Pour Nez (2011), il est important de distinguer les savoirs selon qu’ils sont individuels ou construits collectivement. En outre, elle identifie trois types de savoirs : les savoirs d’usage (basés sur l’expérience et la proximité engendrant une connaissance fine du fonctionnement permanent du territoire), les savoirs professionnels (au sein desquels les compétences techniques des pratiques professionnelles sont réinvesties) et les savoirs militants (acquis au sein d’un collectif). Elle met aussi en évidence que les savoirs militants collectifs sont généralement le fruit d’une hybridation entre savoirs d’usage, professionnels et militants. Crémin et al. (2018) ont démontré que les savoirs d’usage dans la gestion des territoires de l’eau sont souvent fondés sur différentes sources : des savoirs historiques transmis collectivement, des expériences familiales, des expériences personnelles et sensibles du paysage et des sentiments d’attachement qu’un expert, au regard distancié, ne pourrait saisir. S’appuyer sur des savoirs d’usage doit participer à dépasser les frontières entre « experts » et « profanes » , alors que les savoirs techniques sont généralement survalorisés dans la gestion des risques (Veyret et Reghezza, 2006). Combiner différents types de savoirs par la participation permettrait en outre d’améliorer l’acceptabilité sociale des mesures mises en œuvre (Barbier et Larrue, 2011).

6Cet article vise donc à identifier et catégoriser les différents types de savoirs d’usage présents au sein du territoire du parc : quels sont-ils ? Sur quoi s’appuient-ils ? Existe-t-il des savoirs d’usage liés aux différents enjeux territoriaux ? Dans quelles mesures, les savoirs d’usage sont-ils partagés collectivement ? Ce recensement doit permettre d’identifier d’éventuelles distinctions selon les territoires, selon les types d’acteurs et de fournir des pistes pour mettre en valeur certains savoirs peu valorisés. Pour les recenser, cinq ateliers participatifs ont été organisés, avec des habitants et des élus, dans cinq communes du Parc naturel régional d’Armorique (Daoulas, Landévennec, Morgat, Camaret, Molène) en mai et juin 2018. Dans un premier temps, les choix méthodologiques opérés pour collecter et analyser les savoirs d’usage face aux risques côtiers seront présentés. Dans une seconde partie, une typologie de ces savoirs sera développée. Enfin, nous discuterons de l’intérêt d’une prise en compte de ces savoirs dans les politiques locales et documents réglementaires de gestion des risques côtiers. En dernier lieu, nous verrons comment cette expérimentation peut contribuer à des réflexions critiques sur la culture du risque.

Des ateliers participatifs pour collecter les savoirs d’usage

Choix des terrains d’études

7Le territoire du PNRA présente une forte variété de configurations géographiques littorales (îles, côtes à falaises, côtes basses, présence d’une rade qui abrite certaines communes, etc.). Néanmoins, cette diversité ne témoigne pas pour autant de risques côtiers très avérés (figure 1). Si une partie du PNRA est littorale (13 communes sur 44), la majorité des communes sont situées en rade de Brest et sont donc protégées des houles et des vents océaniques. En outre, la majorité d’entre elles ne sont pas situées sur des zones basses. Seules les communes de Camaret et Crozon sont sujettes aux submersions en zone urbanisée. À Lanvéoc, ce sont des campings et centre nautique qui sont concernés, le bourg étant situé en zone haute. L’érosion est marquée à Crozon (côte Sud), mais on observe aussi dans cette commune un important phénomène d’accrétion (côte Ouest). Les enjeux y sont donc faibles. L’île de Sein, île basse fortement exposée à la houle est certes emblématique des risques côtiers, mais seule la commune de Camaret dispose d’un Plan de Prévention des Risques Littoraux. Enfin, ces constats concordent avec les travaux scientifiques réalisés au sein du laboratoire de géographie littorale (LETG-géomer), situé à proximité immédiate du territoire du PNRA, qui est spécialisé sur les risques côtiers : les seuls suivis réalisés par ces chercheurs basés dans le PNRA sont réalisés à l’île de Sein.

Figure 1 : Les risques côtiers au sein du PNRA / Coastal risks within the ARNP

Figure 1 : Les risques côtiers au sein du PNRA / Coastal risks within the ARNP

8Les territoires finistériens où les risques sont avérés sont situés en dehors du périmètre du PNRA (par exemple Guisseny ou l’Île Tudy). Des entretiens informels avec des chercheurs du LETG-Géomer ont confirmé que le territoire du PNRA n’était pas particulièrement sujet aux risques côtiers. S’ils existent et ne doivent pas être minimisés, les enjeux sur le territoire du parc sont relativement faibles.

9Nous avons souhaité tenir compte de cette spécificité. Plutôt que de choisir uniquement des communes au sein desquels les risques sont avérés, cinq communes représentatives de la diversité des configurations territoriales ont été retenues pour recenser les savoirs d’usage :

  • une île (Molène) ;

    • 2 Les sillons sont des plages qui ont la particularité de ne pas être adossées à la côte. Ces formes (...)

    deux communes du fond de la rade de Brest : Daoulas, sujette aux inondations et disposant d’un Plan de Prévention des Risques d’Inondation (PPRI) et Landévennec qui n’est ni particulièrement sujette aux inondations, ni aux submersions. Seuls quelques sillons2 sont sujets à l’érosion, sans enjeux humains derrière ;

  • deux communes situées sur la façade atlantique : le bourg de Morgat, situé sur la commune de Crozon, sujet aux submersions marines et à l’érosion de sa plage balnéaire et Camaret qui connaît elle aussi des épisodes de submersion et qui dispose d’un Plan de Prévention des Risques Littoraux (PPRL).

Des ateliers participatifs pour collecter des savoirs d’usage

10Ensuite, la méthodologie a été mise en place. Elle s’inscrit dans le prolongement d’une première phase d’enquête qui a permis d’identifier les représentations sociales du changement climatique au sein du territoire par le biais d’une cinquantaine d’entretiens semi-directifs (axe 1). Ceux-ci ont révélé l’importance des connaissances directes (le vu et le vécu) dans les représentations sociales du changement climatique (Ritschard et al., 2018).

11Pour questionner les savoirs d’usage des risques côtiers, le format des ateliers participatifs a été retenu (Crémin et al., 2018). Les participants ont été invités à identifier puis décrire ce qu’ils perçoivent comme espaces à enjeux. La question n’a pas été posée frontalement, nous avons préféré leur demander quels sont les lieux ou les espaces situés sur la bande côtière, qu’ils jugent significatifs et importants afin que le vocabulaire employé ne prête pas à confusion (Kaufmann, 2011). Ensuite, ils devaient décrire les évolutions passées, présentes et futures de ces espaces au regard de la présence de la mer, puis qualifier ces changements (qu’ils soient d’origines anthropiques ou naturels, sociaux et culturels ou physiques…) en relatant comment ils influencent leurs territoires et les pratiques et usages qui en découlent.

12Pour aider les participants dans cet exercice, plusieurs supports ont été mobilisés. Une carte par commune (format A0) a été utilisée. Les informations qu’elle contenait ont été choisies pour traduire les différentes composantes des risques côtiers. La photo aérienne comme fond de carte devait permettre de visualiser certaines activités (portuaires, agricoles) et certains enjeux (voies de communication, économie…). Les enjeux environnementaux étaient représentés à travers les zones Natura 2000 et les espaces naturels remarquables. L’influence de l’urbanisation sur les risques côtiers était représentée grâce à l’évolution de la tâche urbaine entre 1960 et 2015. Enfin, les zones basses étaient matérialisées pour témoigner des zones de submersion. Les données d’érosion n’ont pas été intégrées pour deux raisons : elles ne sont pas disponibles en rade de Brest et elles ne sont pas très fines au regard des échelles auxquelles nous travaillions. En plus de cette carte, et afin de faciliter l’identification des enjeux territoriaux, des photos historiques (datant pour la plupart des années 1950-1960) étaient diffusées en continu par le biais d’un vidéoprojecteur.

13Ces ateliers étaient ouverts au grand public et aux élus. Ils ont été organisés par le PNRA en mai et juin 2018 (tableau 1). Des informations étaient diffusées dans la presse, la radio locale, sur les réseaux sociaux du PNRA et dans chaque mairie pour inciter les habitants à participer. Malgré l’usage de l’ensemble de moyens de communication habituels du PNRA, les ateliers ont été peu fréquentés (22 participants au total). Le public était majoritairement âgé (retraités). Parfois, des techniciens du Parc ont pris part aux ateliers. Dans une seule commune, le public était « mixte », rassemblant des élus, technicien et des habitants (Landévennec). Il faut noter qu’à Molène, seule une élue a participé. L’atelier a donc davantage ressemblé à un entretien semi-directif.

Tableau 1 : Nombre et types de participants aux ateliers par communes / Number and types of workshop participants per municipality

  • 3 Directeur Général des Services.

Communes

Nombre d’élus

Nombre d’habitants

Techniciens du Parc

Total participants

Scientifiques-animatrices

Landévennec

2 hommes

4 femmes,


2 hommes

1 homme (DGS3)

9

2 femmes

Daoulas

3 hommes et 1 femme

 

1 femme

5

1 femme

Morgat

 

2 femmes et 1 homme

1 homme (DGS)

4

1 femme

Camaret

 

2 femmes et 1 homme

 

3

3 femmes

Molène

1 femme

1

3 femmes

Total

6

12

3

22

14Chaque atelier a été mené de façon similaire, en prenant appui sur une consigne inaugurale identique. Ils ont ensuite été intégralement retranscrits puis analysés thématiquement. Dans un premier temps, les enjeux ont été répertoriés puis classifiés. Ensuite, nous avons identifié les différents savoirs d’usage énoncés par les participants, puis nous les avons analysés au regard des enjeux auxquels ils faisaient référence, et de leur contenu (types de sources). Sur cette base, une typologie a été produite.

Résultats

Ce qui fait sens pour les participants : les enjeux des territoires

15Si la consigne inaugurale proposait aux participants de désigner dans un premier temps des lieux emblématiques, les principales réponses apportées par les participants peuvent être différenciées selon les communes et le niveau d’exposition individuel au risque des participants.

16Lorsque les participants vivent dans des communes où les risques sont faibles et/ou qu’ils ne sont pas directement concernés par ceux-ci, les éléments qui font sens pour eux sont avant tout patrimoniaux : ils s’interrogent sur ce qui pourrait disparaître ou qu’ils voient d’ores et déjà changer. Ces enjeux sont liés à ce qu’ils jugent être des patrimoines locaux. Ils sont de différentes natures. Ils peuvent être environnementaux (des espèces locales comme des landes, des oiseaux qui ne peuvent plus nicher à cause de l’érosion), touristiques (sentier côtier qui est coupé par endroits) ou historiques (comme une église qui aura probablement les pieds dans l’eau dans quelques années). Ces participants ont une capacité à se projeter dans le futur, à questionner ce qui doit être sauvegardé. À Landévennec, ils débattent sur ce qui fait « le charme » de la commune, tout en se demandant comment les habitants vivant près de l’eau pourront s’adapter : « la bonne question, à se poser c’est : qu’est-ce qu’on veut conserver ? […]. On a de la marge encore. Mais dans 50 ans, le port sera sûrement couvert ». À Morgat, une partie de la discussion a été polarisée sur une maison individuelle de bord de mer qui est menacée. Une des participantes qui ne vit pas en zone à risque, invite cet habitant à se préparer à « quitter un jour ou un autre » sa maison, opposant à nouveau les intérêts privés aux intérêts de patrimoine commun. Bien qu’étant non confrontés individuellement aux risques, ils en ont conscience et ils se projettent dans le futur, questionnant les choix politiques que ces changements pourraient engendrer.

17Lorsque les participants vivent dans des communes où les risques sont plus avérés ou qu’ils y sont directement concernés, ils sont avant tout préoccupés par des enjeux de gestion. Les espaces emblématiques qu’ils désignent sont des espaces gérés ou à (mieux) gérer. À Daoulas par exemple, les participants (3 élus) désignent une presqu’île sujette à l’érosion pour expliquer les préoccupations que cela génère. Ils se demandent comment la protéger alors que les enrochements leur sont interdits depuis quelques années. Ensuite, ils décrivent les espaces qui sont sujets aux risques d’inondation et comment ils sont amenés à les gérer. À Molène, l’élue désigne rapidement les quelques maisons sujettes aux submersions. Elle s’attarde ensuite davantage sur les espaces qui nécessitent une intervention publique (une digue, un enrochement à renforcer, etc.). À Morgat, un des participants habite dans une maison du bord de mer, qui est directement exposé aux risques côtiers. Il se questionne sur les effets d’une digue et sur le recul du trait de côte qui menace sa maison. Pour ce public confronté aux risques, les espaces emblématiques du territoire sont des espaces qui doivent être gérés au temps présent. Il leur est plus difficile de se projeter dans le futur car leurs préoccupations sont actuelles.

18Ainsi, selon les participants et leurs expériences des risques, les discours sont orientés :

  • vers le temps futur, lorsque l’on n’est pas confronté personnellement au risque, en questionnant ce qui est ou devrait être un enjeu patrimonial (identitaire, symbolique…) ;

  • vers le temps présent pour les participants qui sont directement confrontés au risque, en relatant des espaces qui exigent une gestion.

Typologie des savoirs d’usage

19Quatre catégories principales de savoirs d’usage ont été identifiées par le biais des ateliers (tableau 2).

20Les savoirs descriptifs permettent d’expliquer le fonctionnement jugé habituel du territoire. Ils sont construits sur les observations et l’expérience. Par exemple, tant à Camaret qu’à Molène, les participants ont relaté l’alternance érosion/engraissement de certaines plages. Ce sont donc des phénomènes qu’ils jugent habituels pour les avoir observés à de nombreuses reprises, et pour avoir lu ou entendu des informations d’origines expertes à ce sujet. Ces savoirs semblent se transmettre entre habitants. Par exemple, une participante qui a récemment emménagé dans la presqu’île de Crozon dit qu’elle a été informée que par grand coefficient de marée, il ne faut pas utiliser certaines routes car elles peuvent être submergées. À Camaret, les enquêtés, bien que n’habitant pas en zone à risque, savent par exemple où se situe une pompe qui permet de vidanger une zone humide par grand coefficient. Ils connaissent aussi les procédures mises en place en prévision d’une tempête ou d’une grande marée : fermeture d’un sillon et de certaines routes, présence de galets sur la jetée en cas de tempête…

21Les savoirs sentinelles témoignent quant à eux de changements que les participants jugent inhabituels. Ils reflètent donc la vigilance des habitants, qui observent leur territoire et identifient des modifications dans leur environnement. Les repères mobilisés sont la plupart du temps physiques et donc visibles, palpables : « maintenant, il n’y a plus de sentier littoral au-dessus du Trez Rouz » (Camaret) ; « le sillon du Loch qui est accessible en voiture, a pratiquement disparu aujourd’hui » (Landévennec). Ces savoirs sentinelles sont majoritairement utilisés pour parler des phénomènes d’érosion, ce qui s’explique par le fait que leurs effets sont perceptibles et marquent le paysage, contrairement aux submersions qui sont épisodiques et éphémères. Ces savoirs sentinelles sont liés à des enjeux : ils sont généralement construits autour d’espaces que les habitants affectionnent, de ce qui fait « patrimoine » à leurs yeux. Ainsi, ceux qui parlent le plus de l’érosion à Camaret, sont aussi ceux qui pensent que le sentier littoral est le « minerai touristique » de la presqu’île de Crozon. À Landévennec, les participants posent la question de la sauvegarde des sillons, parce qu’ils font partie selon eux du patrimoine communal.

22Les savoirs de l’agir sont de deux types. Ils sont liés à la gestion du risque ou de la crise. Il est possible de distinguer les savoirs individuels de savoirs plus formalisés.

23Les savoirs individuels de l’agir s’appuient sur des repères ou des pratiques auto-construites. À Molène, les habitants ont pris des habitudes : les prises électriques sont toutes situées à plus d’un mètre du sol, les objets de valeurs sont surélevés dès qu’une tempête approche, des barricades en bois sont apposées le long des maisons. À Daoulas, le maire qui habite proche d’une zone à risque dit observer le niveau de l’étang : s’il dépasse un certain seuil, il sait qu’il va falloir ouvrir une vanne pour accélérer le débit de vidange. En cela, ces savoirs ressemblent aux savoirs décrits par Gentric et Langumier (2009).

24Les savoirs collectifs de l’agir témoignent de savoirs opérationnels acquis par les élus. En cas de crise, ils s’appuient sur un protocole qu’ils mettent en œuvre pour la gérer au mieux (prévenir les populations, distribuer des barricades, etc.). Ces savoirs sont souvent formalisés dans les documents de gestion et semblent partagés par les élus, cependant il n’a pas été observé, lors des ateliers, qu’ils sont aussi intégrés par les habitants. Ainsi, si seuls ces savoirs semblent formalisés et partagés, ils ne le sont que pour une partie de la population.

25Néanmoins, nous avons observé que certains habitants savent « globalement » comment s’organise la gestion de crise sur leur commune. À Camaret par exemple, ils savent où se trouve la pompe qui permet de réguler les niveaux d’eaux d’une zone humide, ils savent qu’il ne faut pas pratiquer le sillon et qu’être à proximité d’une cale en haut de plage est dangereux lorsqu’il y a de fortes vagues.

Tableau 2 : Typologie des savoirs d’usage / Typology of knowledge of use

Savoirs d’usage

Objet

Sources

Acteurs les mobilisant

Savoirs descriptifs

Fonctionnement jugé habituel du territoire

Hybrides (vu, vécu, experts, transmis collectivement)

Habitants, élus

Savoirs sentinelles

Fonctionnement jugé inhabituel du territoire, basé sur un enjeu

Basés sur du « vu » liés aux enjeux

Habitants, élus

Savoir de l’agir individuels

Des espaces à risques ou gestion de la crise

Repères auto-construits

Habitants concernés par le risque, élus

Savoir de l’agir collectifs

La gestion de la crise

Opérationnelles

Élus, habitants concernés par le risque

26Les résultats témoignent donc que les enjeux vulnérables aux risques côtiers sont bien identifiés par les habitants et par les élus. Des savoirs d’usage sont développés par les participants, que ce soit à partir de leurs observations ou de leurs pratiques concrètes de la gestion des risques. Cependant, ces savoirs restent peu intégrés aux documents réglementaires de gestion.

Comment mobiliser les savoirs d’usage pour la gestion des risques côtiers, dans un contexte de changement climatique ?

Valoriser et construire les savoirs d’usage dans un contexte de changement climatique

27L’idée d’intégrer les savoirs d’usage aux politiques locales de gestion des risques côtiers pose un certain nombre de questions et nous renvoie aux limites des ateliers organisés sur le territoire du PNRA. Ce travail de collecte des savoirs d’usage par les ateliers est une étape de mise en valeur de ces derniers, mais qui n’est justement qu’une première étape. Comment s’appuyer sur les savoirs récoltés lors des ateliers et les intégrer aux politiques locales ? Comment passer des savoirs individuels à leur formalisation en savoirs collectifs ? Notre travail s’est arrêté à l’organisation d’un atelier par commune. Une restitution globale du programme RESSAC a été organisée en septembre 2019 par le PNRA. Une cinquantaine de personnes y a assisté – des élus, des acteurs institutionnels et quelques habitants. Seuls quelques-uns avaient participé aux ateliers. Lors de cette restitution, les responsables des trois axes ont présenté les conclusions scientifiques des travaux. Celles-ci ont ensuite été reprises par d’autres vecteurs de communication : le dessin, avec l’intervention d’une illustratrice pédagogique4 qui a mis en dessin en direct le discours scientifique des responsables des axes, et le théâtre, avec un spectacle d’improvisation de la compagnie Impro Infini5. Ces deux vecteurs ont permis d’amorcer des discussions collectives avec les participants, sans doute de façon moins formelle qu’à partir du seul discours scientifique. Ont par exemple été abordés plus en profondeur les ressentis face aux risques (peur, fatalisme) ou les facteurs qui poussent les habitants à rester habiter dans des zones à risques. La discussion a également permis de revenir sur des malentendus de vocabulaire entre les scientifiques et le public, par exemple sur le concept de « risque ». Le rôle de la vigilance des habitants, de leur observation de la mer, ont particulièrement été mis en valeur par les élus. Ce moment de restitution ne peut-il pas dès lors être pris comme une amorce de co-construction des savoirs d’usages ? Ces expériences utilisant des supports non scientifiques seraient à mener avec des publics variés et dans toutes les communes choisies comme sites d’études par le programme. Néanmoins, nous avons pu observer qu’elles ne paraissent pas toujours « assez opérationnelles » pour certains élus et techniciens, qui attendent plutôt des « actions clés en main ». Un travail de déconstruction pourrait être engagé pour initier ces publics à une autre « culture du risque » que celle portée par les pouvoirs publics, basée sur le « faire » (simulation et exercices d’évacuation par exemple) et sur la communication et l’information.

28Ensuite, le nombre de participants aux ateliers est resté trop limité. Pour parvenir à une mise en valeur de savoirs d’usages représentatifs de la population locale, il faudrait un public plus nombreux et plus diversifié. Nos 22 participants ne nous permettent pas de tirer des conclusions généralisables à l’échelle des territoires littoraux français. En outre, sur nos terrains d’enquête, la possibilité du biais générationnel n’est pas à écarter. À Molène, une forte proportion de personnes âgées est constatée : 55 % des Molénais (soit 78 habitants sur 141) ont plus de 60 ans. Les nouvelles générations ont-elles des savoirs locaux similaires ? Toucher un plus jeune public nous semble important, parce qu’ils possèdent souvent une connaissance scientifique plus affirmée du changement climatique, mais des savoirs locaux moins forts. Dans un article sur la perception des risques côtiers et des changements environnementaux liés au climat sur les côtes de Rangiroa et de Tikehauatolls en Polynésie française, Lydie Goeldner-Gianella et al. montrent en effet que l’amélioration des connaissances scientifiques sur le changement climatique mondial s’oppose parfois à une relation plus sensible des hommes à leur environnement d’origine (Goeldner-Gianella et al., 2019). Mener des ateliers participatifs en ciblant plus précisément les jeunes générations, par exemple en organisant les ateliers au sein des établissements scolaires (Moatty et al., 2020), permettrait d’enrichir les résultats et de discuter de leur biais générationnel. Plusieurs autres pistes peuvent être esquissées, comme recueillir les témoignages et récits de vie des plus anciens ou réaliser des ateliers de cartographie participative lors d’évènements organisés par le PNRA, etc.

29Il a été observé à travers cette démarche que le recueil des savoirs d’usage entrainait des débats sur le patrimoine communal. Alors que le changement climatique va modifier les territoires littoraux, mettre en discussion les critères qui conduisent à désigner collectivement ce qui fait « patrimoine » sur la commune semble intéressant. L’idée n’est pas de parvenir à dégager un consensus sur les espaces, les bâtiments, les activités sur lesquels il va falloir agir pour se protéger de la mer. Même si nos ateliers ont accueilli un nombre réduit de participants, ils nous ont permis de mesurer combien les délimitations des zones à risque et la mise en évidence d’enjeux patrimoniaux font l’objet de discussions qui témoignent de représentations plurielles, voire conflictuelles. Il paraît important de garder à l’esprit que toutes les négociations ne peuvent aboutir à un consensus. En effet, la négociation peut avoir pour but d’« anéantir la violence des contradictions par un processus d’accumulation des compromis qui semble souvent plus catastrophique que la confrontation directe » (Jeudy, 1996). Les territoires sont construits par des choix politiques qui ne peuvent parvenir à synthétiser l’ensemble des représentations individuelles qui entrent en conflit. L’idée est de parvenir à valoriser les savoirs existants, pour engager des réflexions sur un futur « souhaitable » sans se borner à une culture du risque normative et formalisée. Les savoirs de « l’agir » (parce qu’ils témoignent d’une mise en pratique de savoirs face aux risques) et les savoirs sentinelles (parce qu’ils rendent compte d’observations de changement qui n’ont peut-être pas été détectées par les pouvoirs publics ou les bureaux d’études) semblent importants à valoriser, notamment au sein des PPRL.

Intégrer les savoirs d’usages dans les outils de gestion des risques côtiers ?

30L’élaboration des PPRL passe tout d’abord par l’identification de communes qui nécessitent de tels plans. Cette identification se réfère notamment à la circulaire du 2 août 2011 qui identifie 303 communes prioritaires sur l’ensemble du littoral métropolitain français. L’objectif des PPRL, réalisés par les services déconcentrés de l’État, est de délimiter les zones exposées aux risques, en tenant compte de la nature et de l’intensité du risque encouru, d’y interdire tout type de construction, d’ouvrage et d’aménagement, afin d’empêcher l’aggravation des risques existants pour les populations locales à la suite d’une poursuite de l’urbanisation en zone inondable (MEDDTL, 2014). La réflexion conduite tient compte des enjeux du territoire, des outils de protection existants, des ouvrages de défense contre la mer. Le guide méthodologique des PPRL (MEDDTL, 2014) stipule qu’un processus de concertation doit accompagner les grandes étapes d’élaboration (lancement de la réflexion, analyse du fonctionnement du littoral, présentation des études d’aléas et des enjeux exposés, présentation du projet de zonage réglementaire et du règlement). Cependant, le Code de l’environnement ne définit pas de modalités précises de concertation des populations locales, elles peuvent prendre différentes formes : réunions publiques, site Internet, etc.

31Lors de l’élaboration du PPRL de la commune de Camaret, approuvé en juin 2017, un processus de concertation s’est mis en place, avec des réunions régulières, entre les représentants de l’État (DDTM, DREAL, CEREMA), le Conseil départemental du Finistère, le bureau d’études EGIS EAU qui a rédigé le PPRL et la mairie de Camaret. Des réunions d’informations du public se sont également tenues : une première pour la présentation de la démarche d’élaboration d’un PPRL, notamment sur la caractérisation des aléas, une seconde pour la présentation du dossier soumis à l’enquête publique. Ces réunions d’informations, permettent aux habitants de donner leur avis sur les cartographies des aléas mais aussi de les contester. Cependant, ce ne sont pas pour autant des lieux de collecte des savoirs d’usages des populations locales : aucun inventaire de ces savoirs n’est prévu par les outils réglementaires de prévention et de protection face aux risques.

32Qu’est-ce que les outils réglementaires pourraient gagner à intégrer davantage les savoirs d’usages des populations locales ? Lorsque l’on superpose sur une carte le zonage du PPRL de Camaret et la localisation des savoirs d’usages recueillis lors des ateliers, on s’aperçoit que le zonage PPRL ne prend pas en compte tous les savoirs exprimés par les populations locales. Le zonage réglementaire du PPRL comporte une zone concernée par le risque d’érosion littorale, essentiellement au niveau d’un sillon, et une zone rouge pour le risque de submersion (zone urbanisée où l’aléa est fort), qui doit être préservée de tout projet d’aménagement ; une zone bleue pour le risque de submersion (zone urbanisée où l’aléa est moyen ou faible), où de nouvelles constructions ne sont admises que sous réserve de prescriptions. Certains des savoirs d’usage corroborent les prescriptions du PPRL dans les discours des participants : ils savent où se situent les zones de submersion, quelle est la procédure généralement mise en place (fermeture du sillon, mise en route d’une pompe, etc.). Cependant, nous avons aussi pu observer que les participants identifient des lieux qui en cas de crise sont généralement impactés (une cale et une plage de centre-bourg qui s’avèrent dangereuses en cas de submersion), alors qu’ils ne sont pas répertoriés dans le PPRL. Tel que l’a décrit Perherin (2017), les PPRL ne sont que peu appropriés par les acteurs locaux, puisque leur élaboration repose sur des connaissances expertes, avec une forte complexité technique. Ils ne font pas sens pour les habitants. Le rapport personnel aux lieux des acteurs locaux n’est pas intégré dans les outils réglementaires. Or, celui-ci permettrait d’affiner les PPRL, par une meilleure implication des populations dans la rédaction du document. Réaliser, lors de l’élaboration du PPRL, des ateliers de collecte des savoirs d’usages, et pas seulement des réunions d’informations avec des cartes construites en amont par des bureaux d’études conjointement avec les mairies, permettrait donc d’intégrer ce qui fait sens pour les populations locales, ce qui fonde l’identité des communes, ce que les participants estiment important d’être protégé.

Figure 2 : Confrontation du zonage PPRL et de la localisation des savoirs d’usages à Camaret (Finistère, France) : concordances et dissonances / Confrontation of LPPR zoning and the location of knowledge of uses in Camaret (Finistère, France): concordances and dissonances

Figure 2 : Confrontation du zonage PPRL et de la localisation des savoirs d’usages à Camaret (Finistère, France) : concordances et dissonances / Confrontation of LPPR zoning and the location of knowledge of uses in Camaret (Finistère, France): concordances and dissonances

33L’organisation d’un seul atelier par commune semble quoiqu’il en soit insuffisant. Il serait notamment intéressant que le travail cartographique de confrontation entre les savoirs d’usages des populations locales et le zonage réglementaire des PPRL (figure 2) soit réalisé par les populations locales elles-mêmes, par exemple lors d’un second atelier. Il pourrait être demandé aux participants de délimiter des zones de risques au regard de leurs connaissances et ensuite de réaliser un exercice comparatif critique avec la cartographie d’aléa du PPRL. Cela pourrait être réalisé dans le cadre des concertations prévues par le guide méthodologique d’élaboration des PPRL (MEDDTL, 2014), qui pour l’instant concernent surtout les mairies mais pas directement les habitants. Cet exercice rejoint les expérimentations menées, en géographie, à partir des cartes mentales. Plusieurs publications ont mis en valeur cette méthode pour travailler sur les représentations des risques (Bonnet et al., 2011 ; Gueben-Venière, 2011 ; Lamarre et al., 2016). Dans l’étude de Lamarre et al. (2016) sur les risques côtiers aux Sables d’Olonne, la consigne délivrée aux enquêtés est la suivante : « dessiner en bleu les zones qui, selon vous, sont à risque de submersion, en vert les zones qui selon vous sont à risque d’érosion et en rouge votre lieu d’habitation ». Notre démarche est similaire, mise à part que les ateliers insistent sur les savoirs plus que sur les représentations, c’est-à-dire sur la matérialité des façons d’agir face aux risques.

34Il est important de tenir compte des potentielles dérives et effets pervers à la prise en compte de savoirs d’usage qui sont majoritairement individuels, non formalisés collectivement. Si tel habitant souhaite protéger son bien immobilier, les enjeux soulevés lors des ateliers seront liés à la sauvegarde des propriétés privées, ce qui vient en contradiction avec les politiques locales censées incarner l’intérêt général et la sauvegarde des vies humaines. Par exemple, les PPRL possèdent en effet un intérêt en matière d’équité, le même seuil d’aléa s’appliquant à toutes les habitations et infrastructures d’une même commune. La valorisation des savoirs locaux doit donc se faire sans naïveté face aux savoirs individuels. Certains participants des ateliers ont toutefois souligné ce risque de mise en avant des enjeux privés, comme ce participant de l’atelier de Camaret : « il faut qu’on arrête de considérer l’intérêt privé comme un intérêt général […]. Il y a eu un investissement considérable pour construire au bord de la falaise et les gens du coin, il se disent “mais pourquoi ce serait à la collectivité de payer le renforcement d’une falaise pour trois maisons […] ?” Donc à un moment donné où est l’intérêt général ? ». Le risque de mise en avant des enjeux privés est donc réel mais souvent conscientisé par les participants. D’autres participants parviennent à « manipuler » cette frontière entre intérêts privés et intérêt général, en montrant que les maisons privées peuvent représenter « l’intérêt général d’un village qui vit et ne meurt pas », preuve que la frontière entre le général et le particulier reste ténue.

Conclusion

35Quel bilan peut-on tirer de l’organisation de ces cinq ateliers participatifs en rade de Brest, presqu’île de Crozon et sur l’île de Molène ? La pratique exploratoire de ces quelques ateliers a montré que des réflexions sur les enjeux à protéger émergent d’ores et déjà au sein des populations locales. Ainsi, les participants, par eux-mêmes et sans qu’une question dirigée ne soit posée par les organisateurs de l’atelier, se demandent quels sont les enjeux patrimoniaux à protéger en priorité dans leur commune. Il paraît alors pertinent de s’appuyer sur ces savoirs pour engager un débat de façon à anticiper localement le changement climatique. Enfin, cet article a permis de mettre en évidence que ces savoirs pourraient venir renforcer la portée des documents réglementaires en prenant en compte des informations plus fines. Nous avons ainsi observé que sur la commune de Camaret qui dispose d’un PPRL, les habitants ont signalé des espaces impactés par les submersions qui ne sont pourtant pas répertoriés dans ce document de gestion. Nous supposons qu’une prise en compte de ces savoirs d’usage, qui semblent passer sous le radar des PPRL, améliorerait l’appropriation de ce type de document par les populations locales.

36L’introduction de l’article montrait que la sphère scientifique apparaissait comme divisée sur le constat du manque de culture du risque des populations locales et sur la définition même de la notion de culture du risque, entre certains qui reprennent la définition institutionnelle énoncée dans les rapports sénatoriaux post-Xynthia et d’autres qui se montrent plus critiques, en dénonçant notamment la position surplombante et culpabilisante des gestionnaires de risques. Les conclusions de nos ateliers nous amènent à nous positionner plutôt auprès des seconds, qui font état de l’existence de savoirs face aux risques (Gentric et Langumier, 2009 ; Rocle et al., 2016). En effet, par le biais des ateliers participatifs exploratoires, nous avons pu mettre évidence que les habitants disposent d’une pluralité de savoirs d’usage. Dans la typologie proposée, quatre types de savoirs d’usages sont identifiés. Les savoirs descriptifs sont liés au fonctionnement jugé « habituel » du territoire, les savoirs sentinelles témoignent des changements inhabituels observés par les habitants, alors que les savoirs de l’agir individuels et collectifs sont mobilisés en cas de crise. Le rôle de sentinelles de certains habitants nous paraît important à souligner, tout comme la nécessité de voir s’exprimer des savoirs hétérogènes fondés sur une observation quotidienne des milieux et de leur évolution. On a souligné le rôle important des élus et de leurs savoirs opérationnels mais, lorsqu’un élu se retire de la vie politique, comment faire en sorte que ses savoirs ne disparaissent pas avec lui ? Quels sont les moyens de passation des savoirs possibles ? Donner une légitimité à la vigilance exercée par les habitants et élus et aux savoirs liés à l’exercice de cette vigilance peut s’effectuer dans le cadre des concertations lors de l’élaboration des PPRL. Valoriser l’expression des savoirs d’usage face aux risques côtiers permet également d’entretenir la mémoire des risques sur les territoires communaux. Le philosophe et sociologue Henri-Pierre Jeudy dans son ouvrage Le Désir de catastrophes rappelle que « les gestionnaires de risques préfèrent exclure radicalement de leurs investigations ces fragments culturels tenus pour des archaïsmes qui ne sauraient se mélanger à la rationalité technologique sans perturber tout le sens des opérations choisies » (Jeudy, 1990). Le statut de sentinelle des populations locales peut paraître anachronique et trop ponctuel face aux stratégies de gestion déployées au sein des PPR, mais il semble pourtant essentiel à la prévention des risques sur les territoires littoraux. Il nous semble en tout cas impossible d’affirmer que les populations locales de tel ou tel territoire manquent de « culture du risque » si un travail préalable de collecte des savoirs d’usages face aux risques côtiers n’a pas été mené. Si travailler sur la « culture du risque » paraît être une source de financements non négligeable, il apparaît opportun de s’en saisir, sans toutefois se limiter à travailler à partir de la position institutionnelle.

Nous tenons à remercier l’ADEME qui a financé ce projet, le Parc Naturel Régional d’Armorique et l’ensemble des personnes qui ont accepté de répondre à nos questions.

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Notes

1 Le projet RESSAC (Représentations Sociales, Sensibilisation et Adaptation au Changement Climatique), est financé par l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, aujourd’hui appelée Agence de la transition écologique) dans le cadre d’un appel à projet du GICC (Gestion et impact du changement climatique, un programme de recherche lancé par le Ministère de la Transition écologique). Les objectifs du projet RESSAC sont triples. Il s’agit de : 1) recueillir et analyser les représentations sociales du changement climatique sur le territoire du PNRA, 2) identifier des leviers de compréhension mutuelle entre chercheurs et acteurs locaux en s’appuyant sur les sciences participatives, 3) intégrer les apports de cette recherche par la co-construction d’actions adaptatives, entre chercheurs et acteurs locaux.

2 Les sillons sont des plages qui ont la particularité de ne pas être adossées à la côte. Ces formes géomorphologiques spécifiques sont très nombreuses en rade de Brest et abritent généralement des marais littoraux d’une grande richesse écologique (Stéphan et al., 2012).

3 Directeur Général des Services.

4 [https://www.pic-et-pic.fr/].

5 [https://www.impro-infini.fr/].

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Table des illustrations

Titre Figure 1 : Les risques côtiers au sein du PNRA / Coastal risks within the ARNP
URL http://journals.openedition.org/norois/docannexe/image/10564/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 1,0M
Titre Figure 2 : Confrontation du zonage PPRL et de la localisation des savoirs d’usages à Camaret (Finistère, France) : concordances et dissonances / Confrontation of LPPR zoning and the location of knowledge of uses in Camaret (Finistère, France): concordances and dissonances
URL http://journals.openedition.org/norois/docannexe/image/10564/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 2,1M
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Pour citer cet article

Référence papier

Lucille Ritschard, Annaig Oiry et Nicole Roux, « Pour une valorisation des savoirs d’usage face aux risques côtiers dans un contexte de changement climatique. Application au territoire du Parc Naturel Régional d’Armorique (Finistère, France) »Norois, 257 | 2020, 55-69.

Référence électronique

Lucille Ritschard, Annaig Oiry et Nicole Roux, « Pour une valorisation des savoirs d’usage face aux risques côtiers dans un contexte de changement climatique. Application au territoire du Parc Naturel Régional d’Armorique (Finistère, France) »Norois [En ligne], 257 | 2020, mis en ligne le 02 janvier 2024, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/norois/10564 ; DOI : https://doi.org/10.4000/norois.10564

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Auteurs

Lucille Ritschard

ESO-Rennes, UMR 6590 ESO, Agrocampus Ouest, Centre de Rennes, 65 rue de Saint-Brieuc, CS 84215, 35042 Rennes Cedex (lucille.ritschard@gmail.com)

Annaig Oiry

Université Gustave Eiffel, Laboratoire Analyse Comparée des Pouvoirs (ACP), Cité Descartes, 5 boulevard Descartes, Champs-sur-Marne, 77454 Marne-la-Vallée Cedex 2 (annaig.oiry@gmail.com)

Nicole Roux

Université de Bretagne Occidentale, LABERS (Laboratoire d’Etudes et de Recherches en Sociologie), 3 rue des Archives, 29238 Brest (nicole.roux@univ-brest.fr)

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Droits d’auteur

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