Navigation – Plan du site

AccueilNuméros27-1Utiliser l’analyse harmonique pou...

Utiliser l’analyse harmonique pour « classer les races humaines ». Le programme de recherche de Fernand Ozil au Centre de recherches scientifiques, industrielles et maritimes de Marseille (1941-1948)

Using Harmonic Analysis to “Classify Human Races”. Fernand Ozil’s Research at the “Centre de Recherches Scientifiques, Industrielles et Maritimes” in Marseille (1941-1948)
Laurent Mazliak et Loïc Petitgirard
p. 33-57

Résumés

Le géologue Charles Jacob est nommé en aout 1940 à la tête du CNRS, finalement maintenu par Vichy, et même renforcé, mais avec une évolution importante de son fonctionnement. Jacob impose à tous les niveaux un fonctionnement pyramidal, autoritaire et transpose à son échelle le culte du chef. À l’échelle locale, on peut suivre les acteurs, les déterminants et les décisions qui ont conduit à la création du laboratoire CRSIM (Centre de recherches scientifiques, industrielles et maritimes) à Marseille en 1941, le premier laboratoire propre du CNRS en province. Issu de la réorganisation du laboratoire de la Marine de Toulon, dissous par les conventions de l’armistice, sa création est due au physicien François Canac, proche de l’amiral Darlan. Nous montrons que ce moment est une opportunité saisie par un proche de Canac, Fernand Ozil, pour développer ses recherches sur « un procédé d’indentification de profils humains », un cas d’étude qui interroge les réseaux et les formes de la collaboration au sein du CNRS sous le régime de Vichy.

Haut de page

Texte intégral

1 Introduction

  • 1 Le cas le plus célèbre est naturellement celui de la génétique, étudié en détail dans [Krementsov (...)
  • 2 Ce cas est traité dans [Prévost 2009].
  • 3 Pour le cas de Göttingen, voir [Schappacher 1998] et pour les rapports plus généraux entre les sci (...)

1La réaction des scientifiques confrontés aux exigences d’un régime autoritaire est une question complexe. Les contraintes imposées par le pouvoir peuvent se traduire de façon assez directe par une limitation du champ d’action de certains acteurs, l’exemple le plus évident étant celui de personnes traquées par la politique répressive du moment ou celles dont les thématiques de recherche les mettent en opposition avec la doxa imposée par le pouvoir. C’est ainsi que sous le Troisième Reich les savants juifs ou les opposants notoires, de même que dans l’URSS stalinienne des spécialistes de théories condamnées par le régime, voient leur travaux brutalement interrompus1. Inversement, l’habileté de certains membres de la communauté scientifique à saisir des opportunités offertes par les circonstances est également une question qui a été étudiée. Dans le cas des sciences dites dures, dont les disciplines particulières paraissent moins en prise directe avec des directives imposées par le pouvoir, on pourrait dans un premier temps penser qu’il s’agit essentiellement d’opportunités pour occuper des positions libérées par l’exclusion ou le départ de collègues. On sait néanmoins que ce point de vue doit être fortement nuancé : même dans ces domaines théoriques, des thématiques ont pu se trouver encouragées par le régime (le cas de la physique nucléaire est emblématique de cette orientation) et le désir de certains scientifiques de s’investir dans ces directions a servi de tremplin à leurs carrières. On en trouve différents exemples de grande ampleur : par exemple celui du mathématicien Corrado Gini en Italie qui réussit, grâce au soutien de Mussolini, à imposer son institut de statistique comme le principal lieu d’analyse de politique économique au détriment des économistes2 ; ou encore l’exemple de l’Institut de mathématiques à Göttingen, et plus généralement celui de la politisation des mathématiques sous le Troisième Reich3.

2Mais le phénomène a aussi pu concerner des situations bien moins en vue. La coercition imposée par le régime a en effet pu, à l’occasion, inciter des acteurs à utiliser avec perspicacité une certaine marge de manœuvre locale pour développer leurs travaux. La vie scientifique française dans la zone dite libre après la débâcle de 1940 paraît avoir été un terrain fertile pour ce type de comportement favorisé par la concomitance complexe entre des changements drastiques imposés par les conditions dictées par l’armistice de juin 1940 et une latitude d’action concédée par un régime de Vichy dont la possibilité réelle de contrôle de nombreuses initiatives d’acteurs sur le terrain restait souvent théorique.

  • 4 Elles se traduisaient concrètement, par exemple, par le soutien aux travaux de Carrel dans le cadr (...)

3L’étude de cas que nous présentons dans cet article, qui concerne l’héritage mouvementé d’un des principaux laboratoires scientifiques militaires français, le Centre d’expérimentation technique de Toulon (CET), semble bien correspondre à ce cadre. Au lendemain de l’armistice qui anéantit en grande partie le champ d’action de l’armée française, le centre – devenu en 1939 le Centre de recherches pour la Marine – se trouve dans l’impossibilité de continuer son activité et son devenir est en question. L’ancien directeur scientifique du CET, le physicien François Canac saisit alors la balle au bond et réussit à fonder, à Marseille, une institution entièrement nouvelle, le Centre de recherches scientifiques, industrielles et maritimes (CRSIM), échappant plus ou moins à l’emprise des militaires. Le soutien du CNRS, dont le CRSIM devient le premier laboratoire en province, joue un rôle capital dans cette manœuvre. Blay [2012] a bien montré comment le géologue Charles Jacob, nouveau directeur du CNRS nommé par Pétain dès l’été 1940, désire prendre le contre-pied du projet initial de Jean Perrin en transformant le centre en un agrégat de structures locales dirigées par des chefs tout puissants, projet bien en conformité avec la théorie politique du nouveau régime. À l’intérieur de son laboratoire, Canac se trouve ainsi quasiment libre de ses mouvements, liberté qu’il peut utiliser pour promouvoir des recherches de styles variés, parfois très éloignées de celles qui étaient menées à Toulon dans le cadre des travaux pour la Marine. Une initiative très originale, qu’il soutient, lui a été proposée par une de ses anciennes relations toulonnaises, dont il est resté très proche, l’emblématique professeur de mathématiques de la classe de Navale du lycée de Toulon, Fernand Ozil. Ozil se propose d’utiliser des techniques mathématiques d’analyse harmonique du tracé du profil d’un visage pour déterminer l’appartenance raciale d’une personne. Sans que l’adéquation d’une telle recherche avec les tentations racialistes et eugénistes du régime4 ne soit parfaitement explicite, il semble peu vraisemblable qu’elle ait pu en être entièrement indépendante. Difficile de ne voir qu’une simple coïncidence de dates à ce que la première version du projet soit formulée entre octobre 1939 et septembre 1941.

4Le présent travail présente la façon dont Canac et Ozil, chacun à leur place, ont profité des circonstances pour mettre en route ce projet. L’article est divisé en deux parties. La première s’intéresse à l’institution par Canac du CRSIM à Marseille comme héritier du centre de Toulon: après avoir rappelé quelques éléments de l’histoire de ce centre et le rôle joué par Canac, qui en fut directeur scientifique dès l’origine, nous montrons comment il a utilisé opportunément la crise de l’été 1940 pour construire un laboratoire en phase avec ses conceptions de la recherche scientifique. Dans une deuxième partie, nous examinons le cas de Fernand Ozil et le contexte de sa proposition d’étude des profils humains, celui du CRSIM sous l’Occupation. Enfin, une conclusion sous forme d’ouverture donne des éléments sur les rebonds des projets d’Ozil, qui traversent la Libération et se terminent en 1950 dans le cadre du laboratoire. Nous nous focaliserons tout particulièrement sur la façon dont le mathématicien Maurice Fréchet, quoiqu’il n’ait jamais été proche du régime de Vichy, fournit tardivement et brièvement à Ozil un nouveau débouché pour ses travaux.

2 De Toulon à Marseille: le parcours volontariste de François Canac

2.1 La création du Centre d’études de la Marine de Toulon

  • 5 La plupart de nos informations sur le CET proviennent de [Saffroy 2019]. Sur la présence de Langev (...)

5L’investissement massif dans la recherche scientifique et technique pendant la Première Guerre mondiale a conduit à la création de plusieurs institutions qui ont joué un rôle important sur la scène académique française dans l’entre-deux-guerres. Ainsi le CNRS, fondé en 1939 sous l’impulsion de Jean Perrin (1870-1942), est lui-même un lointain descendant de la Direction des inventions intéressant la défense nationale mise en place par Paul Painlevé (1863-1933) en 1915 et dirigée par Émile Borel (1871-1956), direction qui eut un rôle décisif dans la mobilisation scientifique en France pendant le conflit, voir [Guthleben 2009], [Anizan 2012], [Mazliak & Tazzioli 2009], [Pinault 2017]. Ces institutions plus spécialisées sont aussi organisées pour affronter des problèmes spécifiques. Au moment où l’Allemagne se lançait dans une offensive sous-marine sans précédent en 1917, le physicien Paul Langevin (1872-1946) prenait la tête à Toulon d’un Centre d’expérimentation et d’études maritimes et de TSF, où il développe des recherches importantes sur des émetteurs ultrasonores pour le repérage acoustique des sous-marins5 (technologie des « sonars »). Ces travaux semblant prometteurs, ce centre est transformé en mars 1918 en Laboratoire de Guerre sous-marine et placé sous la tutelle de la Marine nationale. En 1920, le gouvernement décide de pérenniser le laboratoire en rassemblant dans le Centre d’études de Toulon (CET), toujours placé sous la responsabilité de la Marine et dirigé par le capitaine de vaisseau Émile Moysan (1869-1946), les différentes initiatives de recherche nées pendant le conflit autour de la flotte de guerre. Derrière cette décision se trouve sans aucun doute la volonté de prolonger la fructueuse collaboration qui s’était mise en place entre le laboratoire toulonnais et un certain nombre d’industries intéressées par des innovations issues des études menées : Saffroy [2019, 206–208] énumère plusieurs sociétés de premier plan impliquées dans ce lien avec le CET. Si la spécialité primordiale du laboratoire du CET est l’acoustique, il se préoccupe rapidement d’autres domaines intervenant dans les questions d’armement marin tels l’optique (jumelles et projecteurs), la mécanique (télémécanique, notamment pour élaborer des cibles mobiles) et de nombreux autres sous la conduite vigoureuse de son directeur scientifique, le physicien François Canac (1886-1969).

6Entré à l’École normale supérieure en 1908, Canac s’est d’abord spécialisé en physique des cristaux et a préparé en 1912 son diplôme d’études supérieures grâce à une bourse d’études dans le laboratoire de Marie Curie (1867-1934). Il y commence une thèse, interrompue par la mobilisation en 1914. En 1916, Canac est appelé par Borel pour travailler à la Direction des inventions et, sur les conseils de Perrin, il est envoyé en 1917 à Toulon pour travailler avec Langevin sur les problèmes d’acoustique sous-marine. En 1919, il termine sa thèse, soutenue en 1921, sous le titre « Procédés d’étude des cristaux par les rayons X », au sujet de laquelle Marie Curie écrit un rapport très laudatif :

  • 6 Rapport de Marie Curie, sur la thèse de François Canac – 1920 Calames-20147101674279187 : [AIR LC. (...)

Boursier dans mon laboratoire, après y avoir fait un petit travail pour l’obtention du diplôme d’études supérieures, Mr Canac oriente aussitôt ses recherches du côté des phénomènes de symétrie, qui lui inspiraient un intérêt tout particulier. Une voie nouvelle se trouvait alors ouverte par la découverte de la diffraction des rayons X par les cristaux. Mr Canac s’engagea dans cette voie et y apporta aussitôt une contribution personnelle6.

Canac reste par la suite en contact avec Marie Curie à laquelle il demande conseil sur différents sujets comme en témoignent les nombreuses lettres conservées au musée Curie, qui montrent d’ailleurs une proximité amicale et déférente entre lui, la physicienne et sa famille.

7En 1920, Canac est nommé, à trente-quatre ans, directeur scientifique des laboratoires du CET à la création de l’institution. Il sait alors mobiliser efficacement les relations personnelles qu’il a développées précédemment dans différents réseaux : les anciens élèves de l’ENS, des personnalités issues de la période du conflit notamment à la direction des inventions, et les militaires de la Marine, ces réseaux pouvant d’ailleurs se recouper. C’est ainsi que la présence, bien que brève, de Borel au ministère de la Marine en 1925 est pour Canac une occasion rêvée de mettre en avant les travaux de son centre de recherches. C’est d’ailleurs symboliquement à ce moment-là que Borel le fait nommer officier de la Légion d’honneur : Borel écrit dans son rapport que Canac:

  • 7 Dossier François Canac. Archives de la Légion d’honneur.

[...] est un savant de très grande valeur qui s’est consacré avec un dévouement absolu à la direction des laboratoires du Centre d’études scientifiques [sic] de Toulon. Sous son impulsion, ces laboratoires sont devenus un foyer de recherches dont les résultats, déjà importants, promettent de le devenir encore davantage, donnant ainsi à notre Marine une avance considérable sur beaucoup de questions, par rapport aux marines étrangères7.

À l’été 1925, profitant de la tournée d’inspection ministérielle en Méditerranée, Canac propose à Borel de visiter le CET en compagnie de Jean Perrin et Marie Curie. Avant de quitter le ministère au mois de novembre 1925, Borel, probablement à la demande de Canac, signe un décret réorganisant le Centre de Toulon, en donnant au directeur scientifique un rôle prédominant en interne dans les choix thématiques. À partir de la fin des années 1920 cependant, le CET est menacé aussi bien par des attaques parlementaires pour des raisons budgétaires, que par des tensions intestines entre civils et militaires, décrites en détail dans [Saffroy 2019, 209 sqq.]. Ces discussions autour de l’organisation du laboratoire fournissent à Canac l’occasion d’une réflexion d’ampleur sur l’organisation de la recherche qu’il exprime dans différentes publications. Dans [Canac 1928], prenant exemple sur la situation en Allemagne et aux États-Unis dans les recherches intéressant la défense nationale, il plaide en filigrane pour une plus grande autonomie laissée aux scientifiques. Néanmoins, avec la montée des périls dans les années 1930, la reprise en main par les militaires se fait de plus en plus manifeste, jusqu’à la transformation à l’automne 1939, au début du deuxième conflit mondial, du CET en Centre de recherches de la Marine (CRM).

2.2 La crise de l’été 1940

8La débâcle de juin 1940 offre un dénouement imprévu à la situation. Le 22 juin 1940, le jour même de la signature de l’armistice, les personnels et matériels du CRM sont embarqués sur le paquebot Mariette Pacha des Messageries maritimes à destination d’Oran. Début juillet, le CRM s’installe à Alger. Les clauses de l’armistice entravant de fait la poursuite d’une activité importante de recherche dans un cadre militaire, Canac saisit opportunément cette occasion pour interroger le devenir du laboratoire. Dans un rapport écrit le 2 juillet, il fait habilement une jonction entre les conceptions qu’il avait élaborées pendant la décennie précédente et la situation présente. Il écrit :

  • 8 Archives LMA, Note sur le rôle actuellement dévolu aux laboratoires de recherche de la Défense nat (...)

Dans un article récent, le maréchal PÉTAIN a indiqué tout le prix qu’il attachait à la Recherche scientifique pour la rénovation de la Patrie. Malheureusement, les laboratoires de Recherche peuvent apparaître comme un luxe dans la misère qui nous accable, alors qu’ils sont au contraire un facteur indispensable de relèvement et qu’ils offrent le seul moyen national de rattraper ce terrible retard matériel et technique qui nous a handicapés dans tous les modes de notre activité [...]. Il faut bien comprendre que ces laboratoires, sans changer en rien leur organisation sont prêts à s’adapter immédiatement aux problèmes actuels, industriels, maritimes ou agricoles, dont dépend aujourd’hui le potentiel de vie du Pays et qu’en les maintenant dans ce rôle purement « civil » on conserve en même temps la possibilité précieuse de les utiliser en partie pour les fins militaires qui subsistent encore8.

Dans l’esprit de Canac, les laboratoires (et d’ailleurs pas seulement le laboratoire du CET) doivent en priorité se tourner vers les problèmes que posent les nouvelles conditions. Il concevait un tel engagement comme une autre forme de Défense nationale. Avec un certain élan patriotique, Canac insiste sur « le retard à rattraper » dans tous les domaines de la technique. Ceci se conjugue pour lui avec son attachement à « un organisme qui a coûté vingt ans d’efforts et de mise au point » qui se résume par cette phrase lapidaire :

L’ennemi d’ailleurs a suffisamment démoli pour que nous ne nous amusions pas à démolir à notre tour des centres de travail et de progrès. [ibid.]

  • 9 Voir [Blay 2012], notamment les rapports écrits par Jacob à l’intention de Pétain pendant l’été 19 (...)

9En août 1940, dans un nouveau rapport, Canac fait plusieurs suggestions pour régler l’héritage du CRM. Celle qui a de loin sa préférence est la création d’un nouveau laboratoire entièrement civil, placé sous la houlette de l’Instruction publique et dédié à ces nouveaux problèmes qu’il avait évoqués le mois précédent. Bien décidé à faire avancer ce projet, il revient à Toulon à la fin du mois d’août pour s’enquérir d’un site possible pour ce nouveau laboratoire et pour organiser des négociations, qu’il pressentait houleuses, avec lucidité, entre la Marine et l’Instruction publique pour discuter de la répartition des moyens. Il a la chance de trouver un interlocuteur attentif en la personne de Charles Jacob qui vient alors d’être nommé à la tête du CNRS. Après avoir eu l’intention de liquider purement et simplement le CNRS créé par Perrin (dont il détestait les idées politiques), Jacob a effectué un virage à 180 degrés9.

  • 10 Archives techniques de l’armée. Châtellerault. Centre d’études de Toulon (306 4F3 100-104).

10Jacob effectue sa première tournée en zone libre du 28 septembre au 5 octobre 1940, et rencontre Canac à cette occasion. Ses notes personnelles traduisent son intérêt pour faire évoluer l’organisation de l’ancien laboratoire de la Marine. Il doit cependant aussi arbitrer avec d’autres initiatives, comme celle du physicien Louis Néel qui souhaite la création d’un grand laboratoire de physique appliquée à Grenoble. Dès ce moment, le projet de laboratoire de Canac est sur les rails, associant le ministère de l’Instruction publique et le ministère de la Marine selon un accord stipulant que l’Instruction publique récupère une partie du matériel du LCET, « dûment inventorié » et portant « une marque caractéristique ». Il ne reste alors qu’à trouver un emplacement et des locaux et après avoir envisagé différents scénarios, le 1er janvier 1941, six mois après l’armistice, le CRSIM, premier laboratoire autonome du CNRS créé hors de l’Île-de-France, s’ouvre officiellement à Marseille avec François Canac à sa tête [voir notamment Gazanhes 2000]. Il est équipé, comme prévu, par du matériel qui provient essentiellement des fonds de l’ancien CRM. Les archives10 montrent que le partage ne s’est pas fait sans discussions serrées : l’administration militaire à Toulon s’est vue dépouillée avec indignation d’une partie importante de ses ressources en un temps dont on pouvait facilement imaginer qu’il ne serait pas marqué par l’abondance et alors que les militaires cherchaient à maintenir une industrie navale aussi puissante que possible.

11Le nom du nouveau laboratoire indique clairement que ses activités se déploient largement en direction de la science dite appliquée, en lien avec l’industrie locale et la Marine. Si l’acoustique reste le thème phare du centre, d’autres axes de recherche sont mis en place en lien avec les besoins du moment. En ces temps de pénurie, le laboratoire de chimie s’oriente vers des recherches sur les corps gras et le laboratoire de radiométallurgie (rayons X), quant à lui, s’intéresse à différents problèmes industriels. On voit ainsi en quoi le projet correspond aux vues édictées par Canac, tant sur l’organisation que sur le type de recherches à effectuer.

  • 11 Archives de l’Académie des sciences, Papiers Charles Jacob, CNRS III D 26 – document 712 (note de (...)

12Si Canac est en apparence seul maître à bord, il est cependant sous l’autorité de Jacob, mais doit aussi composer avec la Marine, qui est une des autorités de tutelle. Jacob donne parfois des directives un peu à l’opposé des idées de Canac, qui aurait souhaité un spectre d’activité aussi large que possible, alors que Jacob le contraint à orienter l’activité sur quelques axes précis. Par ailleurs, bien que discrète, la Marine garde un regard attentif, voire gourmand, sur un laboratoire (et un matériel) dont elle se considère propriétaire de jure, si ce n’est de facto. Une chance pour Canac, homme de réseau comme on l’a vu, fut sans doute sa proximité personnelle avec l’amiral Darlan, président du Conseil en décembre 1940, quelques jours avant la création officielle du CRSIM. Si nous n’avons pas réussi à déterminer quand les deux hommes se sont rapprochés, certains indices existent qui montrent leur présence dans des cercles proches : ainsi Turbiaux [2019] les montre tous les deux impliqués dans les questions techniques de recrutement dans la Marine, à un moment où Darlan est par ailleurs chef de cabinet du ministre Georges Leygues. Il est en fait fort possible que Darlan soit intervenu pour faciliter l’installation marseillaise. Si la Marine a accepté de se décharger sur l’Instruction publique, c’est afin de préserver au mieux l’héritage du CRM et son potentiel de recherche. Le militaire fait place au civil du fait des circonstances et les idées de Canac sont plutôt en harmonie avec la ligne technocratique du gouvernement de Darlan. Néel, dont l’hostilité au projet de Canac est manifeste depuis que Jacob a arbitré en faveur de ce dernier, ne cache pas le regard dédaigneux qu’il porte sur la ventilation des tâches qui a eu lieu au moment du partage entre Toulon et Marseille : pour ce bon connaisseur du milieu de la Marine, avec qui il a travaillé notamment en urgence pour protéger les navires des mines magnétiques en 1940, cette passation est en fait l’occasion d’un sérieux dépoussiérage des travaux qui sont réalisés au CRM. Selon Néel : « la Marine s’est délestée de ce qu’elle ne voulait pas garder11 ». Si ce jugement est sans doute en partie vrai, il reste que la Marine veille constamment, notamment sur des équipements qu’elle considère toujours comme un prêt.

13C’est donc dans cet équilibre instable et sous le contrôle du régime de Vichy que le CRSIM commence son existence sous la houlette de Canac (il en restera directeur jusqu’à sa retraite en 1958). Ce dernier utilise au mieux les circonstances pour développer ses idées et son laboratoire avec le plus d’autonomie possible, notamment vis-à-vis de ses deux tutelles. La question cruciale des publications est à ce titre remarquable. La difficulté croissante en cette période pour publier des articles dans des revues nationales ou internationales conduit Canac à trouver une solution de remplacement. En attendant des jours meilleurs, des notes internes sont rédigées, ronéotypées et enregistrées dans un cahier d’inventaire. Ces notes, dont un certain nombre sont conservées, permettent de suivre d’assez près l’activité du CRSIM, en particulier un aspect singulier que nous allons maintenant examiner : les travaux de Fernand Ozil, ami et collaborateur scientifique de Canac, qui propose d’élaborer « un procédé pour caractériser un profil humain » (titre de plusieurs notes répertoriées au CRSIM) grâce au « développement en série de Fourier du profil humain pour en tirer des conclusions sur le plan racial, ethnique et médical » (note d’avril 1942).

3 Les travaux de Fernand Ozil

  • 12 Notice F. Ozil dans [Brasseur 2021].

14L’auteur de la note en question, contresignée par Canac, est Fernand Jules Ozil, né à Nîmes le 14 avril 1875, mort à Nice le 19 septembre 195012. Après la classe de spéciales au lycée de Nîmes, Ozil a été admis à l’École normale supérieure en 1893. Des problèmes de santé dès son jeune âge handicaperont sa progression durant toute sa carrière : il ne passera jamais l’agrégation de mathématiques (malgré plusieurs tentatives d’inscription), mais il est nommé professeur de mathématiques au collège de Bône (Algérie) en 1897. Le climat algérien ne résolvant pas ses problèmes pulmonaires, il demande un rattachement en métropole. Il est nommé chargé de cours (suppléant, puis titulaire en 1902) au lycée de Toulon, dans lequel il fera tout le reste de sa carrière. C’est comme professeur en classe de Navale, qu’il est reconnu comme un enseignant remarquable, attesté par les résultats de ses élèves aux concours de l’École navale. Son état de santé et son ancienneté concourent à sa demande de mise en retraite en avril 1937. Mais Ozil n’est pas resté « seulement » professeur de mathématiques et sa retraite est active : il déploie une activité mathématique pour le Laboratoire du Centre d’études de Toulon dès 1931, et il reviendra ponctuellement enseignant en mathématique au lycée en 1940 et 1941.

3.1 Ozil, « collaborateur extérieur » et ami de Canac

15Canac, résume ainsi l’activité de son ami Ozil dans la nécrologie qu’il lui consacre dans l’annuaire des anciens normaliens.

[...] il fut nommé collaborateur extérieur au Centre d’études de la Marine où il s’occupait de questions mathématiques. Chaque semaine il venait chercher les « problèmes » à résoudre et la semaine suivante il était rare qu’il n’apportât pas une solution ingénieuse, un point de vue intéressant.

Il participa ainsi à nos recherches sur la diffusion lumineuse des surfaces et il entreprit tout un travail sur l’analyse des courbes en série de Fourier, puis sur leur analyse selon la méthode de Labrouste. Il eut alors l’idée originale de voir dans quelle mesure ces méthodes pouvaient servir à caractériser par des chiffres les profils des têtes des races humaines et conduire ainsi à des applications anthropologiques intéressantes. D’où toute une série de recherches curieuses, pleines de promesses, mais très longues et que la mort devait, hélas, interrompre avant leur conclusion définitive.

16Ce texte dit la relative faiblesse de l’activité en mathématiques au Laboratoire de Toulon, tout en indiquant la longue collaboration scientifique qui se met en place entre Canac et Ozil au sujet de l’analyse harmonique.

17On ne sait pas précisément dater la rencontre entre Canac et Ozil, mais elle s’est faite à Toulon avant 1927. En effet en 1927, Canac présente Ozil pour la Légion d’honneur attribuée sur les listes du ministère de la Marine. En 1925, Ozil avait été titularisé à son poste d’enseignant de Navale à Toulon. Il se dessine en arrière-plan un cercle d’amitiés, scientifiques et marines, très influent, dont Canac est un élément de premier plan. Ces éléments cadrent les développements des recherches conduites au LCET, puis au CRSIM et constituent le bain dans lequel Ozil, professeur au lycée de Toulon, reçoit toute l’attention du laboratoire.

  • 13 Pour tous ces aspects de « traitement du signal » et de leur histoire, nous renvoyons à [Escudié, (...)
  • 14 La méthode permet de trouver les périodes, phases et amplitudes de sinusoïdes composant une courbe (...)
  • 15 Les notes de Canac (2 pages) et Ozil (4 pages) datées du 1er septembre 1941 font un bilan des trav (...)

18Parmi les faits d’armes mathématiques, dans les années 1931-1932, Ozil a participé à l’analyse par décomposition en série de Fourier des courbes d’enregistrement de bruits d’avion. Ozil s’inscrit à ce moment-là comme un acteur, certes mineur, de la longue histoire de l’analyse harmonique et du traitement du signal13. Ce sujet l’occupera sur le long terme. Lorsque les méthodes dites « de Labrouste14 » sont rendues publiques, il sera chargé d’évaluer la pertinence de leur utilisation dans l’étude des bruits d’avions, pour le ministère de l’Armement. Par une entrée mathématique, Ozil se retrouve embarqué dans des recherches typiques du LCET en acoustique et systèmes de repérages de différentes natures15.

19Le projet qu’il va porter, au sujet des profils humains, dans le cadre du CRSIM à Marseille, commence par une réutilisation de la méthode Labrouste, mais prend une tournure plus simplement et directement calculatoire. La nécessité d’automatiser les calculs pour analyser un grand nombre de profils l’oriente en effet vers des méthodes plus classiques et surtout l’utilisation d’un analyseur harmonique Coradi justement disponible au laboratoire: il fait partie du matériel qui a transité de Toulon à Marseille à la demande de Canac. Cet objet est suffisamment rare pour être convoité et synonyme de batailles entre le laboratoire, le CNRS, la Marine pour conserver l’instrument tant dans la phase de transition vers Marseille que dans l’après-guerre.

Figure 1: Analyseur harmonique Coradi à trois intégrateurs de base 360 mm.

Figure 1: Analyseur harmonique Coradi à trois intégrateurs de base 360 mm.

©Lebée Inventaire général /École polytechnique

20L’analyseur Coradi est une machine analogique mécanique de calcul de coefficients de Fourier du tracé d’une courbe (par exemple, enregistrements de marégraphes, sismographes, diagrammes de machines à vapeur, tracés d’oscillations électriques, de vibrations acoustiques, etc.). Le calcul des coefficients de Fourier repose sur une double opération : un produit de la fonction à étudier par les fonctions cosinus ou sinus, puis une intégration. La machine imaginée par Olaus Henrici (1840-1918) au début du xx siècle, fabriquée par le constructeur suisse Coradi, utilise des principes mécaniques et géométriques pour réaliser ces deux opérations. À l’aide de combinaisons de boules, cylindres, câbles et poulies, une telle machine permet d’estimer les coefficients par des mesures physiques: l’opérateur doit suivre le tracé de la courbe avec le pointeur de la machine et lire les résultats sur des roue-compteurs. Ce sont les méthodes les plus courantes en la matière avant l’arrivée des ordinateurs dans les années 1960.

21Les travaux d’Ozil sur le sujet s’étendent de 1941 à 1948 au moins et font l’objet d’une série de notes: « Sur un procédé d’identification présenté au Centre de recherches scientifiques de Marseille » (Note particulière n°1) datée du 1er septembre 1941, suivie par cinq textes tous intitulés « Sur un procédé pour caractériser un profil humain » (notes particulières n°7 – 30 avril 1942 ; n°21 – 25 août 1943 ; n°38 – 2 janvier 1945 ; n°44 – 14 février 1946 ; n°52 – 4 juillet 1947), puis par « Premiers résultats de l’analyse harmonique appliquée à la différenciation des crânes » (Note particulière n°55 – 19 mai 1948 ). Cet imposant groupe de notes internes au CRSIM est complété par une « Note sur l’étude algébrique du profil humain », présentée comme communication au Congrès pour l’avancement des sciences tenu à Nice en septembre 1946. Dans ces notes, Ozil rappelle les éléments de mathématiques à propos de la décomposition en série de Fourier – qu’il appelle aussi « analyse harmonique » ou développement harmonique – puis en vient aux recherches effectuées sur la base de 82 profils. Il développe l’idée suivante: deux individus différents ont des profils de visage différents, et leur tracé puis décomposition en série de Fourier ont des caractéristiques différentes.

22De telles courbes, redimensionnées, retravaillées et tracées dans le plan (x,y) représentent des fonctions mathématiques y = f(x). Ozil suggère de chercher la décomposition en série de Fourier de cette fonction; en effet, mathématiquement, et moyennant quelques conditions, f peut s’exprimer sous forme d’une somme infinie de termes trigonométriques du type:

f(x)=a1⋅sin(x - ϕ1 )+a2⋅sin(2x-ϕ2)+ ⋯ +an⋅sin(nx - ϕn )+⋯

où an et ϕn sont des constantes.

  • 16 Note 21 de 1943, puis note 38 de 1945 (p. 2).

23Il s’agit donc de déterminer les séries harmoniques de chaque courbe des profils pris entre le menton et le front, en calculant les coefficients de Fourier avec l’analyseur Coradi. Après un ensemble de calculs et de comparaisons, Ozil précise que les trois premiers harmoniques sont probablement suffisants pour caractériser un individu16. Ozil choisit en outre la représentation en amplitudes/ phases (équation 1), car ce mode de représentation lui paraît plus fécond et plus propre à élaborer ses classifications. Un individu est donc caractérisé par six nombres: a1, a2, a3, ϕ1, ϕ2, ϕ3.

Figure 2 : Courbe de profil humain d’après photographie. F. Ozil. Note particulière n°21 (25 août 1943)

Figure 2 : Courbe de profil humain d’après photographie. F. Ozil. Note particulière n°21 (25 août 1943)

24Ozil annonce dans la note 21 (du 25 août 1943) que « le développement en série trigonométrique de la courbe représentant un profil humain pourrait, sans doute, permettre d’attacher à chaque profil une suite de nombres caractérisant l’individu » (p. 1). De façon quelque peu significative quant aux perspectives policières de son travail, il ajoute (p. 7) que « les possibilités de truquage, au point de vue de l’identification, sont assez faibles ».

25Au fil de ses notes, Ozil prétend avoir trouvé une conclusion satisfaisante à son étude en dégageant les « propriétés communes à une race » à partir des coefficients de Fourier calculés. Donnons un exemple de « loi » à laquelle il aboutit. En reprenant les notations de l’équation (1), il établit le résultat suivant, à propos des trois premiers termes de Fourier a1, a2, a3 :

Pour les blancs on a : a1 > a2 > a3

Pour les noirs a1 > a2 > a3

Les moyennes sont

a1 a2 a3
Blancs 235 46 100
Noirs 201 98 59

J’ai formé le rapport Image et pu établir la loi: « Tout individu pour lequel on a, à la fois, Image est de race noire ». [F. Ozil. Note particulière n°44. 14 février 1943. p.  2]

  • 17 Note 55, 1948.

Les élucubrations d’Ozil ne s’arrêtent pas là. Il entreprend l’étude des « races jaunes » et ses analyses se concrétisent en 194817, dans une note du même acabit que la précédente. Il étend les résultats précédents sur « les races chinoises [qui] se classent toujours entre les races noires et les races blanches ». Des calculs sur des sujets asiatiques en général « ne feront sans doute que confirmer les résultats obtenus et classeront, d’une manière générale, les races jaunes entre les races noires et les races blanches ». Il faut noter que, pour la première fois, Ozil prend une précaution :

Sans qu’il puisse, bien entendu, être question d’une hiérarchie entre les races, les caractères étudiés n’impliquent en aucune façon une idée de ce genre. [F. Ozil. Note particulière n°55. 19 mai 1948. p. 1]

Toutefois, le sujet principal de cette dernière note est d’élargir le champ d’application de sa méthode à la différenciation des crânes, dans une perspective qu’il qualifie d’anthropologie préhistorique. Dans son esprit, cette expression désigne « l’histoire de l’origine de l’humanité ». Ozil entre d’ailleurs en contact avec le Musée d’anthropologie préhistorique de Monaco après-guerre, pour recueillir des données pour ses recherches.

3.2 Le rôle de Canac

  • 18 Archives LMA. Deux lettres de M. Locard à F. Canac du 6 novembre 1943 et 14 décembre 1943. Locard, (...)
  • 19 Archives LMA. « Nous serons tous très heureux de vous aider dans vos intéressantes recherches », L (...)
  • 20 Archives LMA. Lettre de M. Sannié à F. Canac, 23 novembre 1943.
  • 21 Archives LMA. Lettre de M. Pales à F. Canac, du 18 novembre 1943. Canac a obtenu ce contact par l’ (...)
  • 22 Note n°52 de 1947 (p. 2).

26Canac participe au projet, non pas dans ses détails de calculs, mais pour satisfaire toutes les conditions nécessaires au bon déroulement des recherches (comme pour tout autre projet de recherche), en prenant à la charge du laboratoire les frais pour obtenir les photographies de profils, les agrandissements réalisés par son service photographique, les instruments de calcul. Canac intéresse des responsables pouvant fournir des clichés et eux-mêmes tirer parti des recherches. À la fin de l’année 1943, quelques contacts pris par Canac, en tant que directeur du CRSIM, s’engagent à participer à la démarche: M. Locard directeur du Laboratoire de police technique de Lyon18, le médecin général Peltier, directeur du Service de santé (Secrétariat d’État à la Marine et aux Colonies19), M. Sannié, directeur de l’Identité judiciaire (Préfecture de police de Paris20), M. Pales sous-directeur du musée de l’Homme à Paris21. La correspondance de Canac sur cette question se poursuit jusqu’en 1945 au moins. Ozil indique en 1947 que ces mêmes contacts lui permettent « d’opérer sur trente-six Chinois et environ trente-cinq autres asiatiques divers22 ».

  • 23 Archives LMA. Lettre de F. Canac à Pales, M. Sannié, Locard du 19 avril 1945.

27En outre, c’est Canac qui se charge d’expliquer l’utilité du projet à ces mêmes personnes. Il dégage deux points de vue : l’identification d’individus d’une part, les études raciales et ethnographiques d’autre part23. S’il ne convainc pas tous ses interlocuteurs de l’utilité de la procédure, son démarchage est fructueux au vu de la grande variété de clichés qu’il réunit. Indéniablement, Canac s’occupe du projet, de manière très efficace. Il s’intéresse au projet, personnellement et en tant qu’ami de l’instigateur. Il ne fait pas de doute qu’il croit en ce projet. Par ailleurs, sa volonté d’orienter les travaux scientifiques, dans la mesure du possible, vers des choses « utiles » se lit dans l’activité déployée pour vendre le projet auprès d’utilisateurs potentiels.

3.3 Un projet trouble

  • 24 Note n°44, 14 février 1946 (p. 3) : « Il est encore à remarquer que ce dernier noir est américain. (...)

28Que penser d’un tel projet? On ne peut manquer de souligner à quel point il est lourd de présupposés. Le travail d’Ozil donne un exemple d’application de notions mathématiques sur un sujet délicat. Le procédé mathématique est, en lui-même, assez neutre: il n’y a rien de suspect ou d’incorrect, mathématiquement, à décomposer une courbe, fût-elle un profil, en série de Fourier. Mais si décomposer une courbe avec l’analyseur harmonique n’est pas questionnable, le choix d’Ozil d’obtenir ces tracés à partir de photographies de profils humains semble orienté par une conviction de fond qui n’a rien d’inoffensif: le profil du visage d’un individu caractérise les origines ethniques de cet individu, conviction raciste qu’il introduit subrepticement dans son étude. Ozil paraît défendre l’idée que ses calculs offrent une rationalité à sa théorie. La neutralité sert son propos et permet une injection massive de doctrine à base de « races ». Notons qu’Ozil juge très probants ses premiers résultats et ils renforcent ses convictions. Il est extrêmement confiant dans sa méthode et les résultats qu’il serait possible de tirer de ses analyses. Le glissement dans ses interprétations est flagrant lorsqu’un « noir » et « Américain » s’invite hors de sa classification24. Dans ce cas ce ne sont pas les « lois » qu’il remet en cause. Pour sauver ses résultats, Ozil suggère deux hypothèses ad hoc: un « mélange de races » ou bien un effet de l’« habitat ». Visiblement, il ne s’est jamais interrogé sur le sens de la notion de race, ni sur la pertinence et le bien-fondé de son interprétation.

29En outre, il faut convoquer le contexte dans lequel le projet débute, période durant laquelle des recherches facilitant l’identification des individus et de leur « race » reçoivent à coup sûr une écoute favorable. L’adhésion de Canac aux intentions du régime de Vichy en matière d’organisation de la science interroge d’autant plus qu’il est porteur du projet: faut-il voir dans sa complaisance l’opportunisme d’un scientifique attaché à son laboratoire, son « œuvre », et prêt à toutes les compromissions pour le sauver, ou bien une collaboration volontaire et sincère avec le régime ? Les traces dans les archives sont maigres, et au détour d’une note d’Ozil on peut cependant lire en 1942:

  • 25 Note n°7, avril 1942 (p. 6).

Si, quoique ce soit tout à fait improbable, ces questions conservaient dans l’avenir leur importance actuelle, il ne serait pas indifférent de voir surgir dans l’analyse d’un individu tel ou tel harmonique, à l’amplitude puissante, caractéristique de telle race ou de telle contrée25.

30Notre enquête renseigne sur des aspects originaux de la vie scientifique pendant la Seconde Guerre mondiale, en illustrant la manière dont un laboratoire de province a pu se réorienter à la faveur des bouleversements entraînés par l’effondrement de juin 1940. À l’heure actuelle, les archives ne suffisent pas pour répondre complètement et définitivement sur les motivations qui sous-tendaient les recherches menées par Ozil. De même, il est impossible d’évaluer l’extension réelle que le projet a prise au sein du laboratoire. Néanmoins, des facteurs, nombreux et troublants, se combinent pour créer un terrain propice au développement d’une recherche qui se poursuivra en fait au-delà de la période de l’Occupation.

  • 26 La discussion « Sur le volume et la forme du cerveau suivant les individus et suivant les races » (...)

31Un autre point significatif concerne la démarche même de Fernand Ozil, qui montre la permanence d’une conviction dans le fait que l’approche scientifique doit s’appuyer sur des faits et que les mathématiques sont le formalisme qui permet de tenir l’échafaudage théorique, notamment dans l’approche des questions biologiques. Pour Ozil, la rationalité de son discours provient de ce recours aux mathématiques, qui incarnent logique et désintéressement. La philosophie générale de ce projet de classification de races est d’aboutir à des « lois » biologiques, anthropologiques qu’il entend énoncer et démontrer à la façon de théorèmes. On peut d’ailleurs relier les idées d’Ozil à une certaine culture française de l’anthropologie physique incarnée par Paul Broca (1824-1880)26 qui affirmait pouvoir relier les caractéristiques du cerveau et du crâne (poids, volume, forme...) d’un être humain à son intelligence ou à sa race. Par ailleurs, il est clair qu’Ozil, né en 1875, adhérait au racialisme que l’enseignement scolaire des sciences naturelles du moment de ses études présentait sans nuance. Ainsi, le classique Manuel d’histoire naturelle d’Edmond Langlebert, qui connut d’innombrables rééditions de 1852 à 1904, énonce:

On observe parmi les individus de [l’espèce humaine] des différences remarquables de couleur et de conformation extérieure qui ont porté les naturalistes à admettre quatre races ou variétés humaines, qu’ils ont désignées sous les noms : 1° de race blanche ou caucasique, 2° de race jaune ou mongolique, 3° de race noire ou africaine; 4° de race rouge ou américaine. [Langlebert 1874, 133]

  • 27 Sur les conflits à l’intérieur du champ de l’anthropologie en France, et notamment au musée de l’H (...)

Et de préciser, pour chacune de ces classes, des caractéristiques morphologiques comprenant des critères biométriques. On lit ainsi pour la « race jaune ou mongolique » que les peuples qui la composent ont « le visage aplati, le front bas et oblique, les pommettes saillantes ; leurs yeux sont longs et dirigés obliquement de haut en bas et de dehors en dedans; leur nez est épaté, à narines découvertes; leur menton est légèrement proéminent. Leur angle facial n’est que de 75 à 80 degrés ». Dans une certaine mesure, le nouveau musée de l’Homme ouvert en 1937 au Trocadéro par Paul Rivet et Georges Henri Rivière s’opposait à cette approche racialiste, mais cette dernière était encore très largement dominante comme le montre la publication en 1944 de l’ouvrage Les Races humaines dans la collection Que Sais-Je?27 par l’adversaire direct de Rivet, Henri-Victor Vallois (1889-1981).

4 En guise de conclusion: un rebond inattendu. Maurice Fréchet et l’étude des courbes aléatoires

32Initié en 1941, développé sur la période de l’Occupation sous couvert de Canac, continué après la Libération, c’est en 1948 que le projet sort de l’« acceptable », au moins sous la forme proposée par Ozil. Le 11 août 1948, Canac lui écrit pour signaler que la Marine exige l’arrêt du projet de recherche sur les profils humains. Nous n’avons pas trouvé d’élément justifiant cette demande. On notera également au passage que, avant même 1948 et cette suspension par la Marine, Ozil s’était (de lui-même ou contraint, impossible de le dire) dérouté vers l’anthropologie préhistorique, sujet sur lequel ses opinions sont moins sensibles, moins polémiques et plus raisonnables.

  • 28 Les archives du CRSIM (conservées au LMA, Marseille) contiennent d’ailleurs des relevés de paye de (...)

33Seuls le pouvoir et la volonté de Canac, directeur et patron incontesté de son laboratoire, ont pu décider de maintenir cette étude si longtemps – visiblement, Canac ne reçoit d’ordres de personne en dehors de la Marine, intéressée au premier chef par les travaux du CRSIM, ordres d’ailleurs auxquels il obtempère avec plus ou moins d’empressement. Ozil collaborera jusqu’en 1950 au laboratoire28 : il y est utile, par son expérience, pour réaliser les calculs numériques encore très fastidieux (sur des machines assez rudimentaires) dans le domaine de l’acoustique. Les compétences d’Ozil sont mises hors de doute par l’intérêt constant de la Marine à son égard, mais le projet est vraisemblablement devenu inutile ou moralement inacceptable pour la Marine. On notera aussi que ni Canac, ni Ozil n’ont été, à notre connaissance, inquiétés à la Libération: nul dossier d’épuration ne semble avoir été ouvert à leur endroit. S’agissant de Canac, une lettre à Rivière de l’automne 1944 montre qu’il suit de près la Libération de Marseille en 1944 et, tragédie personnelle, perd son fils dans la bataille.

34À côté de sa réorientation vers l’anthropologie préhistorique, les travaux d’Ozil connaissent un autre rebond, entre les mains du mathématicien Maurice Fréchet. Les analyses d’Ozil lui parviennent au terme d’un long cheminement dans les réseaux scientifiques de cette période troublée.

  • 29 Sur la biographie mouvementée de Borel pendant ces années noires, on peut consulter [Mazliak & Sha (...)
  • 30 Sur la mission de Fréchet en Espagne et au Portugal, voir [Barbut 2006]. Sur Julia pendant l’Occup (...)

35Pendant l’Occupation, bien que peu séduit par le nouveau régime et encore moins par la mise au pas allemande, Maurice Fréchet est un des mathématiciens français qui a gardé l’activité la plus continue, donnant ses cours à la Sorbonne où il remplace Borel à la chaire de calcul des probabilités et physique mathématique en 194129 et poursuivant une activité de recherche et de publication intense. Il est d’ailleurs, à notre connaissance, le seul mathématicien français d’envergure, avec Gaston Julia, à effectuer une mission à l’étranger pendant la période en se rendant pendant quelques semaines en Espagne et au Portugal30. Il faut cependant noter qu’à la différence de Julia, convié par Harald Geppert, membre fort actif du parti nazi [voir Eckes 2018], Fréchet est invité au Portugal par son ancien étudiant Antonio Monteiro et en Espagne par Tomas Bachiller, deux mathématiciens peu suspects de collusion avec les régimes respectifs de Salazar et de Franco. L’activité de Fréchet pendant l’Occupation a été étudiée dans différents travaux d’où il ressort en particulier qu’il joue un rôle très important de relais des recherches de différents mathématiciens frappés par les mesures antisémites de Vichy, et notamment Paul Lévy [voir notamment Barbut, Locker et al. 2014, Mazliak 2018b].

36Dans la période, Fréchet est aussi à la tête du laboratoire de statistiques de l’Institut Henri Poincaré (IHP), et est du coup confronté à l’organisation compliquée du travail en temps de pénurie. Il est en liaison avec d’autres centres de calcul pour organiser des partages et échanges de travaux. Charles Jacob a en effet mis en place à la fin 1943 un service d’échanges universitaires sous l’égide du CNRS, afin que laboratoires et chercheurs puissent faire connaître à leurs collègues leurs besoins spécifiques et le matériel qu’ils peuvent mettre à disposition. Fréchet sait ainsi qu’à Rennes se trouve le physicien Pierre-Michel Duffieux (1891-1976), un spécialiste d’optique et de spectroscopie qui, pendant la Première Guerre mondiale, a appliqué des techniques d’analyse de Fourier pour l’étude de la conductivité thermique et qui possède lui aussi un analyseur harmonique [voir Duffieux 1997].

  • 31 Voir [Armatte 2001], [Catellier & Mazliak 2012], [Cléry 2020] et le commentaire dans [Fréchet & Ha (...)

37Depuis son passage à Strasbourg dans les années 1920, Fréchet a consacré beaucoup d’énergie à des travaux de statistiques31, mettant au centre de ses préoccupations le fait d’identifier un modèle théorique permettant de décrire une situation expérimentale donnée. Depuis ses débuts comme mathématicien professionnel, et notamment depuis sa thèse en calcul fonctionnel soutenue en 1906, dans laquelle il a introduit les bases fondamentales de la topologie des espaces métriques, il a toujours eu comme approche des mathématiques le fait de développer des structures abstraites dans le but de simplifier l’étude de problèmes spécifiques, dans un premier temps strictement mathématiques, puis inspirés par des situations de la vie « concrète » (rappelons que Fréchet publia en 1955 un livre au titre évocateur: Les Mathématiques et le Concret [Fréchet 1955b]). Fréchet devint ainsi friand de données numériques provenant de toute sorte de sources fournissant des tables de données quantifiées à analyser comme l’illustre bien son livre de 1924, co-écrit avec le sociologue Maurice Halbwachs, et comme en témoignent les innombrables relevés de statistiques concernant différents domaines (mesures biométriques, mesures physiques, données économiques...) conservés dans ses archives personnelles à l’Académie des sciences.

  • 32 Archives Académie des sciences, Paris. Fonds Fréchet, F16.

38C’est dans cet esprit que Fréchet entreprend l’étude de courbes aléatoires, à partir de 1943, en partant d’une expérience statistique destinée à obtenir la description probabiliste de la forme d’une boucle de fil jetée au hasard sur une table. Son idée est de chercher la loi de probabilités de la forme à travers les lois des coefficients de Fourier obtenus par décomposition de la courbe polaire ρ = f(ω) représentant la forme du fil, f étant une fonction 2π périodique. Fréchet fait envoyer à Duffieux une série de graphes de fonctions f déduites de contours obtenus expérimentalement, tracés sur papier graphique et lui demande d’en réaliser l’analyse harmonique. Une longue lettre de Duffieux datée du 12 mai 194332 montre que celui-ci prend au sérieux le travail demandé, mais en souligne l’extrême difficulté pour des questions d’échelle et de précision. Fréchet de ce fait cherche à obtenir des contours beaucoup plus calibrés que ceux fournis par l’expérience du fil et en 1946 trouve deux sources possibles. L’une est une série de contours de têtes fournie par la maison Sools, une grande maison de chapellerie de Paris, l’autre une série de contours de crânes mélanésiens obtenue par diagraphie, qui pouvait être mise à sa disposition par Paul Lester (1891-1948), sous-directeur du Laboratoire d’anthropologie du musée de l’Homme. Ce dernier lui écrit cependant le 20 avril 1946, que si la réalisation du projet est techniquement aisée, le manque de personnel pour effectuer le travail risque d’allonger les délais.

  • 33 Académie des sciences. Fonds Fréchet, F16. Lettre de M.-J. Duhamel à Fréchet, 11/07/1946.
  • 34 Voir [Piazza 2004]. Le Service national des statistiques de René Carmille, créé en 1941 a mobilisé (...)

39Quelques semaines plus tard, la statisticienne Marie-Jeanne Duhamel (1916-2003), ancienne étudiante en statistiques avec Darmois à l’IHP, parle à Fréchet des travaux d’Ozil que lui avait signalés le chimiste Charles Sannié (1896-1957), directeur du service de l’identité judiciaire de la Préfecture de police de Paris depuis 193033. Si nous n’avons pas réussi à documenter comment le lien s’est fait très précisément entre tous les protagonistes, le pivot de ces rencontres paraît bien être Sannié. Canac et Ozil sont en contact avec lui depuis 1943 pour obtenir des photos nécessaires au projet d’Ozil. Par ailleurs la mise en place par le régime de Vichy d’une carte d’identité34 a nécessité de faire appel à de nombreux spécialistes de statistiques. Il est possible que Marie-Jeanne Duhamel ait côtoyé Sannié à cette occasion.

  • 35 Académie des sciences. Fonds Fréchet, F16. Lettre du 04/07/1946 de Canac à Fréchet.

40Fréchet entre alors en contact avec Canac qui lui envoie35 les différentes notes d’Ozil, puis avec Ozil lui-même afin de prolonger les études de ce dernier en tentant d’obtenir des lois statistiques pour les coefficients de Fourier qu’il avait calculés à partir des profils. Un premier travail est réalisé pendant l’été par Marie-Jeanne Duhamel et ne donne pas de résultats très probants. Dans une lettre du 5 août 1946, elle écrit à Fréchet que

la séparation des courbes en nègres et non-nègres ne semble pas donner des courbes normales sauf peut-être (?) pour φ2 (nègres), mais les données sont assez groupées et devant partir demain, je n’ai pas le temps de tester l’ajustement de ces courbes à une loi de répartition donnée. Je vous les communique cependant sans en connaître la valeur exacte quant aux conclusions à en tirer.

En fait, les recherches de Fréchet dans cette direction semblent avoir calé assez rapidement. Quelques articles paraissent en 1947 et 1948 où Fréchet faisait allusion à ces travaux. C’est surtout dans [Fréchet 1948] qu’il mentionne avoir demandé à M.-J. Duhamel de réaliser l’analyse statistique de tableaux de coefficients de Fourier « aimablement fournis par M. Ozil ». Fréchet précisait que ce dernier, « guidé par de tout autres motifs que notre étude des éléments aléatoires de nature quelconque a, dès 1938, émis l’idée qu’on pourrait aider à la classification des races au moyen de l’analyse harmonique des profils humains ». Fréchet désirait-il se couvrir avec cette allusion aux « tout autres motifs » ayant guidé Ozil dans une étude dont les effluves racistes lui semblaient sujettes à caution ? De toute façon, Fréchet, peut-être devant la complexité du sujet, s’est visiblement assez rapidement détourné de ces questions. En juin-juillet 1948, le grand colloque international sur les probabilités qui se tient à Lyon à son initiative, grâce aux fonds offerts par la Rockefeller Foundation au CNRS pour l’organisation de réunions scientifiques, ne fait aucune allusion aux questions d’analyse harmonique statistique des formes aléatoires. En 1953, Marie-Jeanne Laurent-Duhamel publie dans les Publications de l’Institut de statistique de l’Université de Paris l’article [Laurent-Duhamel 1953] étudiant un certain nombre de contours crâniens et exposant les lois statistiques des calculs d’une douzaine de coefficients harmoniques. Le dernier sursaut sur le sujet pour Fréchet eut lieu en 1955 quand il fit paraître l’article laconique [Fréchet 1955a] dans les Publications de l’ISUP où il offrait à qui serait intéressé 22 courbes avec les valeurs des coordonnées des tirages aléatoires de « fils noués » jetés au hasard sur le plan.

Sources d’archives consultées

Archives nationales

41Dossier de carrière F. Ozil (F/17/24625) Fonds CRSIM (19800284/233-235)

Archives de la Légion d’honneur

42Dossier Fernand Ozil. Dossier François Canac.

Archives Académie des Sciences, Paris

43Fonds Fréchet (en particulier carton F16). Fonds Charles Jacob.

Archives Laboratoire d’Acoustique et Mécanique, Marseille

Archives de l’Armement, Châtellerault

44Fonds CEM Toulon (3064F3/100)

Haut de page

Bibliographie

Anizan, Anne-Laure [2012], Paul Painlevé. Science et politique de la Belle Époque aux années trente, Rennes: Presses universitaires de Rennes.

Armatte, Michel [2001], Maurice Fréchet statisticien, enquêteur et agitateur public, Revue d’histoire des mathématiques, 7(1), 5–63, http://www.numdam.org/item/RHM_2001__7_1_7_0/.

Barbut, Marc [2006], Un épisode insolite des relations scientifiques franco-ibériques: le séjour au Portugal et en Espagne de Maurice Fréchet, en janvier et février 1942, dans Historia de la probabilidad y la estadística (III), édité par J. Santos del Cerro & M. García Secades, Madrid: Delta, 209–219.

Barbut, Marc, Locker, Bernard et al. [2014], Paul Lévy and Maurice Fréchet. 50 Years of Mathematical Correspondence, Londres: Springer, doi : https://doi.org/10.1007/978-1-4471-5619-2.

Blay, Michel [2012], Les Ordres du chef. Culte de l’autorité et ambitions technocratiques: le CNRS sous Vichy, Paris: Armand Colin.

Brasseur, Roland [2021], Dictionnaire des professeurs de mathématiques ayant commencé d’enseigner en classe de mathématiques spéciales (ou assimilée) entre 1914 et 1939, https://sites.google.com/site/rolandbrasseur/5-dictionnaire-des-professeurs-de-mathématiques-spéciales.

Brisset, Nicolas & Fèvre, Raphaël [2021], Les économistes face à l’État français – François Perroux et la reconfiguration de la discipline économique sous Vichy, Politix, 133(1), 29–54, doi : https://doi.org/10.3917/pox.133.0029.

Canac, François [1928], La science et la défense nationale, Revue des Deux Mondes, 47(2), 434–442, https://www.jstor.org/stable/44848050.

Catellier, Rémi & Mazliak, Laurent [2012], The emergence of French probabilistic statistics. Borel and the Institut Henri-Poincaré around the 1920s, Revue d’histoire des mathématiques, 18(2), 271–335.

Cléry, Matthias [2020], La Théorie des probabilités et l’Institut Henri Poincaré (1918-1939): construction d’un champ probabiliste parisien et pratique d’un transfert culturel, Thèse de doctorat, université Paris-Saclay.

Conklin, Alice L. [2015], Exposer l’humaniteé: race, ethnologie et empire en France, 1850-1950, Paris: Publications scientifiques du Muséum national d’Histoire naturelle, trad. fr. par Todorov, T. et Larcher-Goscha, A.

Drouard, Alain [1992], Une inconnue en sciences sociales. La Fondation Alexis Carrel (1941-1945), Paris: Ined.

Duffieux, Pierre-Michel [1997], A Symposium in Honour of Pierre-Michel Duffieux. Annexe I: Comment j’ai pris contact avec la transformation de Fourier, Microscopy, Microanalysis, Microstructures, 8(1), XI–XIII, doi : https://doi.org/10.1051/mmm:01997008010R900, publication originale, 1970.

Eckes, Christophe [2018], Organiser le recrutement de recenseurs français pour le Zentralblatt à l’automne 1940: une étude sur les premiers liens entre Harald Geppert, Helmut Hasse et Gaston Julia sous l’Occupation, Revue d’histoire des mathématiques, 24(2), 259–329.

Eckes, Christophe [2021], Recenser des articles mathématiques pour l’occupant: une étude sur les comportements de mathématiciens français sollicités par les autorités d’occupation allemandes, Revue d’histoire des mathématiques, 27, 1–94.

Escudié, Bernard, Gazanhes, Claude et al. [2001], Des cordes aux ondelettes, Aix-en-Provence: Publications de l’Université de Provence.

Fréchet, Maurice [1948], Les éléments aléatoires de nature quelconque dans un espace distancié, Annales de l’Institut Henri Poincaré, 10(4), 215–310, http://www.numdam.org/item/AIHP_1948__10_4_215_0/.

Fréchet, Maurice [1955], Courbes aléatoires, Publications de l’Institut de statistique de l’Université de Paris, 4, 11–20.

Fréchet, Maurice [1955], Les Mathématiques et le Concret, Paris: Presses universitaires de France.

Fréchet, Maurice & Halbwachs, Maurice [2019], Le Calcul des probabilités à la portée de tous, Strasbourg: Presses universitaires de Strasbourg, édition critique commentée par E. Brian, H. Lavenant et L. Mazliak.

Gazanhes, Claude [2000], Du laboratoire de la guerre sous-marine de Toulon au laboratoire de mécanique et d’acoustique de Marseille, La Revue pour l’histoire du CNRS, 2, [en ligne], doi : https://doi.org/10.4000/histoire-cnrs.2772.

Guthleben, Denis [2009], Histoire du CNRS de 1939 à nos jours. Une ambition nationale pour la science, Paris: Armand Colin.

Knobel, Marc [1988], L’ethnologue à la dérive. George Montandon et l’ethnoracisme, Ethnologie et racismes, 18(2), 107–113, https://www.jstor.org/stable/40989035.

Krementsov, Nikolai [1997], Stalinist Science, Princeton: Princeton University Press.

Labrouste, Henri & Labrouste, Yvonne [1930], Analyse des graphiques résultant de la superposition de sinusoïdes: tables numériques précédées d’un exposé de la méthode d’analyse par combinaisons linéaires d’ordonnées, Paris: PUF, 1943.

Langlebert, J. [1874], Manuel d’histoire naturelle, Paris: J. Delalain, 27 éd.

Laurent-Duhamel, Marie-Jeanne [1953], Étude statistique de contours crâniens considérés commes courbes aléatoires, Publications de l’Institut de statistique de l’Université de Paris, 2(3), 27–54.

Laurière, Christine [2019], Le jeune musée de l’Homme à l’épreuve de la guerre et de l’Occupation (1938-1949), Bérose – Encyclopédie internationale des histoires de l’anthropologie, 1–32, https://www.berose.fr/article1681.html.

Mazliak, Laurent [2018], The beginnings of the Soviet encyclopedia. The utopia and misery of mathematics in the political turmoil of the 1920s, Centaurus, 60(1–2), 25–51, doi : https://doi.org/10.1111/1600-0498.12174.

Mazliak, Laurent [2018], The difficulties of scientific life in occupied France: the examples of Émile Borel, Paul Lévy and others, dans Mathematical sciences and 20th century dictatorships : Western Europe, Portugal, and its Atlantic connections, édité par L. Saraiva, Lisbonne: Sociedade Portuguesa de Matemática.

Mazliak, Laurent & Shafer, Glenn [2011], What does the arrest and release of Émile Borel and his colleagues in 1941 tell us about the German Occupation of France?, Science in Context, 24(4), 587–623, doi : https://doi.org/10.1017/S0269889711000238.

Mazliak, Laurent & Tazzioli, Rossana [2009], Mathematicians at War. Volterra and His French Colleagues in World War I, Berlin: Springer.

Olff-Nathan, Josiane (éd.) [1993], La Science sous le Troisième Reich, Paris: Éd. du Seuil.

Piazza, Pierre [2004], Histoire de la carte nationale d’identité, Paris: Odile Jacob.

Pinault, Michel [2017], Émile Borel. Une carrière intellectuelle sous la III République, Paris: L’Harmattan.

Prévost, Jean-Guy [2009], A Total Science: Statistics in liberal and Fascist Italy, Montréal: Mc-Gill-Queen’s University Press.

Saffroy, Frédéric [2019], Le Centre d’études de Toulon (1920-1940). Une interface originale entre science, marine et industries au sein de la base navale, dans Défendre la mer, édité par N. Meynen & É. d’Orgeix, Toulouse: Presses universitaires du Midi, 189–221.

Schappacher, Norbert [1998], Das mathematische Institut der Universität Göttingen 1929-1950, dans Die Universität Göttingen unter dem Nationalsozialismus, édité par H. Becker, H.-J. Dahms & C. Wegeler, Munich: Éditions K. G. Saur, 523–551.

Schiller, Francis [1990], Paul Broca: explorateur du cerveau, Paris: O. Jacob.

Turbiaux, Marcel [2019], Psychologie et pompons rouges: de la psychotechnique à l’aide au recrutement dans la Marine française, Bulletin de psychologie, 564, 455–477, doi : https://doi.org/10.3917/bupsy.564.0455.

Vucinich, Alexander [2000], Soviet mathematics and dialectics in the Stalin era, Historia Mathematica, 27(1), 54–76, doi : https://doi.org/10.1006/hmat.1999.2261.

Haut de page

Notes

1 Le cas le plus célèbre est naturellement celui de la génétique, étudié en détail dans [Krementsov 1997]. Il ne faut pas penser cependant que des disciplines plus abstraites, comme les mathématiques, ont été épargnées comme le montre [Vucinich 2000]. Dans [Mazliak 2018a], on voit aussi comment une économiste idéologue détourne un concept scientifique (la loi des grands nombres) pour en faire un agenda politique.

2 Ce cas est traité dans [Prévost 2009].

3 Pour le cas de Göttingen, voir [Schappacher 1998] et pour les rapports plus généraux entre les sciences et le régime politique hitlérien [voir Olff-Nathan 1993].

4 Elles se traduisaient concrètement, par exemple, par le soutien aux travaux de Carrel dans le cadre de l’Institut pour l’étude des problèmes humains et à ceux de Montandon avec l’Institut d’études des questions juives et ethnoraciales. Voir [Drouard 1992], [Knobel 1988], [Conklin 2015] et [Brisset & Fèvre 2021].

5 La plupart de nos informations sur le CET proviennent de [Saffroy 2019]. Sur la présence de Langevin à Toulon, voir aussi [Mazliak & Tazzioli 2009, 109, note 217].

6 Rapport de Marie Curie, sur la thèse de François Canac – 1920 Calames-20147101674279187 : [AIR LC.MC /Pièce 866].

7 Dossier François Canac. Archives de la Légion d’honneur.

8 Archives LMA, Note sur le rôle actuellement dévolu aux laboratoires de recherche de la Défense nationale, par F. Canac, 2-7-1940.

9 Voir [Blay 2012], notamment les rapports écrits par Jacob à l’intention de Pétain pendant l’été 1940: il se fait désormais le chantre d’une puissante organisation de concentration de la recherche scientifique, très hiérarchisée, et supervisant une série de laboratoires stratégiques placés sous l’autorité d’un patron scientifique ne dépendant que du centre et surtout pas de structures universitaires

10 Archives techniques de l’armée. Châtellerault. Centre d’études de Toulon (306 4F3 100-104).

11 Archives de l’Académie des sciences, Papiers Charles Jacob, CNRS III D 26 – document 712 (note de Charles Jacob lors de son voyage en zone libre, en juin-juillet 1941).

12 Notice F. Ozil dans [Brasseur 2021].

13 Pour tous ces aspects de « traitement du signal » et de leur histoire, nous renvoyons à [Escudié, Gazanhes et al. 2001].

14 La méthode permet de trouver les périodes, phases et amplitudes de sinusoïdes composant une courbe dans certaines conditions. Le procédé d’analyse très puissant est inventé dans les années 1930 et utilisé d’abord par les Labrouste (physicien et physicienne à l’Institut de physique du globe, Paris) dans le cadre de recherches séismologiques pour interpréter les enregistrements des sismographes. Voir [Labrouste & Labrouste 1930].

15 Les notes de Canac (2 pages) et Ozil (4 pages) datées du 1er septembre 1941 font un bilan des travaux mathématiques correspondants entamés en 1931, et poursuivis jusqu’en 1939 au CET. Note d’Ozil n°15, « Analyse d’une courbe d’enregistrement par la méthode Labrouste – Position de la question – Cas d’une composante amortie ». Archives nationales, Dossier CRSIM.

16 Note 21 de 1943, puis note 38 de 1945 (p. 2).

17 Note 55, 1948.

18 Archives LMA. Deux lettres de M. Locard à F. Canac du 6 novembre 1943 et 14 décembre 1943. Locard, après réception de la note d’Ozil, répond à Canac que l’étude « serait fort intéressante pour le service que je dirige ».

19 Archives LMA. « Nous serons tous très heureux de vous aider dans vos intéressantes recherches », Lettre de M. Peltier à F. Canac, 12 novembre 1943. Ce contact au sein de la Marine est certainement le plus proche de Canac.

20 Archives LMA. Lettre de M. Sannié à F. Canac, 23 novembre 1943.

21 Archives LMA. Lettre de M. Pales à F. Canac, du 18 novembre 1943. Canac a obtenu ce contact par l’intermédiaire de Peltier.

22 Note n°52 de 1947 (p. 2).

23 Archives LMA. Lettre de F. Canac à Pales, M. Sannié, Locard du 19 avril 1945.

24 Note n°44, 14 février 1946 (p. 3) : « Il est encore à remarquer que ce dernier noir est américain. N’y aurait-il pas là quelque mélange de races ou même quelques modifications apportées depuis trois siècles par l’habitat ? »

25 Note n°7, avril 1942 (p. 6).

26 La discussion « Sur le volume et la forme du cerveau suivant les individus et suivant les races » en 1861 est un morceau d’anthologie (Contribution de Broca dans Bulletin de la société d’Anthropologie de Paris, 1re série, 1861, Tome 2, p. 301–322). Pour une biographie de Paul Broca, nous renvoyons à [Schiller 1990].

27 Sur les conflits à l’intérieur du champ de l’anthropologie en France, et notamment au musée de l’Homme pendant la période de l’Occupation, on pourra consulter [Laurière 2019]. Voir aussi [Conklin 2015].

28 Les archives du CRSIM (conservées au LMA, Marseille) contiennent d’ailleurs des relevés de paye des vacataires embauchés en 1950 et Ozil en fait partie.

29 Sur la biographie mouvementée de Borel pendant ces années noires, on peut consulter [Mazliak & Shafer 2011].

30 Sur la mission de Fréchet en Espagne et au Portugal, voir [Barbut 2006]. Sur Julia pendant l’Occupation, voir [Eckes 2021].

31 Voir [Armatte 2001], [Catellier & Mazliak 2012], [Cléry 2020] et le commentaire dans [Fréchet & Halbwachs 2019].

32 Archives Académie des sciences, Paris. Fonds Fréchet, F16.

33 Académie des sciences. Fonds Fréchet, F16. Lettre de M.-J. Duhamel à Fréchet, 11/07/1946.

34 Voir [Piazza 2004]. Le Service national des statistiques de René Carmille, créé en 1941 a mobilisé de très nombreux statisticiens.

35 Académie des sciences. Fonds Fréchet, F16. Lettre du 04/07/1946 de Canac à Fréchet.

Haut de page

Table des illustrations

Titre Figure 1: Analyseur harmonique Coradi à trois intégrateurs de base 360 mm.
Crédits ©Lebée Inventaire général /École polytechnique
URL http://journals.openedition.org/philosophiascientiae/docannexe/image/3794/img-1.png
Fichier image/png, 880k
Titre Figure 2 : Courbe de profil humain d’après photographie. F. Ozil. Note particulière n°21 (25 août 1943)
URL http://journals.openedition.org/philosophiascientiae/docannexe/image/3794/img-2.png
Fichier image/png, 1,0M
Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Laurent Mazliak et Loïc Petitgirard, « Utiliser l’analyse harmonique pour « classer les races humaines ». Le programme de recherche de Fernand Ozil au Centre de recherches scientifiques, industrielles et maritimes de Marseille (1941-1948) »Philosophia Scientiæ, 27-1 | 2023, 33-57.

Référence électronique

Laurent Mazliak et Loïc Petitgirard, « Utiliser l’analyse harmonique pour « classer les races humaines ». Le programme de recherche de Fernand Ozil au Centre de recherches scientifiques, industrielles et maritimes de Marseille (1941-1948) »Philosophia Scientiæ [En ligne], 27-1 | 2023, mis en ligne le 01 mars 2023, consulté le 19 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/philosophiascientiae/3794 ; DOI : https://doi.org/10.4000/philosophiascientiae.3794

Haut de page

Auteurs

Laurent Mazliak

LPSM, Sorbonne Université, Paris (France)

Articles du même auteur

Loïc Petitgirard

HT2S – Cnam, Paris (France)

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search