Navigation – Plan du site

AccueilNuméros37Notes de rechercheDes dispositifs de captation de l...

Notes de recherche

Des dispositifs de captation de la colère ?

Le cas des fury rooms à l’heure de la marchandisation des émotions
Anger-Catching Devices? Fury rooms in Emotional Merchandising
Pauline Hachette
p. 253-273

Résumés

Les fury rooms offrent au client un lieu pour détruire divers objets afin d’évacuer ses frustrations ou son stress. L’étude analyse ce dispositif et le discours qui l’accompagne pour interroger, dans un contexte de marchandisation des affects, la spécificité de cet îlot d’expérience et affects négatifs ici captés. À partir de là, il s’agit de questionner, en termes sémiotiques, la dialectique entre programmation et ajustement potentiellement à l’œuvre dans ce dispositif, afin de comprendre comment l’expérience mise en avant dans ce cadre peut tendre vers diverses formes d’aliénation. En effet, tant la scénarisation émotionnelle que le dispositif de traitement ex situ d’affects perturbateurs et la modélisation du rapport à l’environnement auxquels invitent les fury rooms semblent contredire l’expérience promue, conduisant à redéfinir les promesses de subjectivisation liées à celle-ci et à interroger la normalisation émotionnelle et comportementale du geste de destruction.

Haut de page

Texte intégral

1Les fury rooms sont un produit relativement récent de l’industrie du loisir et du divertissement. Généralement, on date leur apparition à 2008, simultanément aux États-Unis et au Japon. On en trouve désormais dans de très nombreux pays européens, nord et sud-américains ou asiatiques. Leurs noms déclinent, souvent en anglais, l’idée de colère (« Anger Room », « Fury Room », « Rage Room », « Rage Spaces », etc.) ou de destruction (« Le Dégommoir », « Le Défouloir », « Carnage Room », « Breaking Room », etc). Par commodité, dans cet article, nous utiliserons le terme fury room de façon générique pour les désigner. Tous ces lieux reposent sur le même principe : un espace consacré à la destruction avec pour objectif principal de se débarrasser d’émotions négatives. Aux États-Unis, on attribue l’idée de la première « anger room » à une jeune femme, Donna Alexander, qui a ouvert en 2011 à Dallas un entrepôt rempli d’objets à casser, concept qu’elle avait expérimenté dans son garage les années précédentes. Elle présentait cet espace comme l’ouverture d’un autre voie possible que celle de la violence sociale et plus particulièrement domestique dont elle allait dramatiquement mourir en 20181. L’entreprise connut un certain succès et essaima en Amérique du Nord. Quant au Japon, The Venting Place (« le lieu d’évacuation ») a ouvert à Tokyo en 2008, se présentant comme une thérapie pour les hommes d’affaire affectés par la crise2 et invités à venir soulager là leur stress en brisant de la vaisselle contre les murs. Rapporté par le gérant de l’un de ces lieux, un storytelling un peu plus développé évoque, dans ce « pays où les travailleurs sont souvent stressés », l’initiative d’un patron nippon qui aurait offert à ses employés, à la suite du licenciement d’un grand nombre d’entre eux, une pièce aux murs couverts de photographies de lui avec des objets à détruire et des instruments fournis à cette fin. Violence sociale interpersonnelle ou violence de l’économie de marché sont donc invoquées à l’orée de ce concept cependant rapidement intégré à l’industrie du loisir.

2Les différents espaces de destruction que nous avons mentionnés au début de cet article fournissent à peu près tous le même dispositif : une pièce dite « toute aménagée » dans laquelle les objets – bouteilles et vaisselle, écran et imprimante, éventuellement petit meuble – sont destinés à être cassés à l’aide de battes de baseball, pieds de biche ou marteaux, dans le cadre d’une transaction définissant la durée et la quantité approximative d’objets à casser. Les décors des pièces sont plus ou moins sophistiqués et intègrent des éléments thématiques permettant d’initier un récit. Certaines fury rooms proposent une expérience immersive à partir d’un décor de bureau ou d’un salon vieillot3, voire envisagent des simulacres plus précis comme un « salon des beaux-parents » ou une « cuisine de la grand-mère » pour l’une des dernières nées à Lausanne4. Mais ces décors évoquant des lieux fortement contraints socialement ou où peuvent aisément s’accumuler les frustrations ne sont pas les plus fréquents. Dans la plupart des fury rooms, la mise en scène est des plus élémentaires, tant pour les costumes de protection que pour les pièces nues – hangar, cave en pierre ou béton – aux murs bruts ou évoquant un vague environnement urbain5. Le storytelling n’est pas développé dans ces lieux comme dans une escape room6. Une fois les éléments de protection revêtus et une éventuelle playlist musicale lancée, on entre dans la pièce consacrée et l’action se résume à la destruction sans règles ni contraintes particulières des objets réservés à cette fin.

3À partir de l’analyse de ce dispositif et des discours qui l’accompagnent, notre étude s’intéresse à la place qu’occupe une offre de loisir de ce type dans un contexte de marchandisation des affects qui fait l’objet de réflexions fournies depuis une vingtaine d’années (Hardt et Negri, 2000 ; Illouz, 2006, 2019 ; Martin-Juchat, 2015 ; Martin-Juchat et Ménissier, 2018). En effet, par leur dénomination et le scénario émotionnel inclus dans le discours les accompagnant, les fury rooms s’inscrivent avec une certaine évidence dans le cadre du capitalisme affectif et de ses « marchandises émotionnelles » (Illouz, 2019). Néanmoins, par la spécificité des affects hostiles qu’elle convoque et des comportements destructifs qu’elle met en jeu, cette offre de divertissement fait apparaître des aspects particuliers de la normalisation des identités sociopolitiques par le capitalisme affectif et de son impact sur la motivation et la construction des valeurs. La marchandisation de pulsions potentiellement subversives pour la société s’y joue plus discrètement que dans la commercialisation du kitsch révolutionnaire sous l’espèce des t-shirts et casquettes à l’effigie de Che Guevara et consorts. Elle met en œuvre une agressivité dont la dimension simulée ou euphémisée est sujette à questionnement.

  • 7 On notera que dans cette dystopie post-atomique, « les ordinateurs domestiques sont équipés d’une u (...)
  • 8 P. Sloterdijk qualifie de « thymotiques » les affects ardents (fierté, colère) par lesquels l’indiv (...)

4La prise en charge de l’agressivité sociale a été imaginée à plusieurs reprises dans des fictions. Ainsi un épisode de la classique bande dessinée d’anticipation britannique 2000 AD (Grant et Gosnell, 1980) montre-t-il Judge Dredd conduit à intervenir dans l’Aggro Dome, un espace conçu pour que les citoyens de la surpeuplée et ultra violente Mega City puissent travailler sur leur agressivité, notamment en détruisant des robots7. Censée s’y déployer de façon canalisée, la violence déborde bien vite son cadre et tourne à l’émeute « réelle », interrogeant l’ambiguïté de ces lieux censés apaiser une agressivité ambiante venant docilement s’y déverser. Cette captation des affects hostiles, dans ses échecs comme dans ses réussites, et la relation au corps et à l’action qui s’y joue interrogent particulièrement dans un contexte social comme le nôtre, marqué par une forte revendication de la colère, par des discours évoluant vers une prise en considération de cette nébuleuse affective thymotique8 (Sloterdijk, 2010) ainsi que des interrogations devenues récurrentes sur la place de la violence dans l’action sociopolitique.

Une offre sur le marché de l’agressivité ludique

5Le loisir que constituent les fury rooms s’inscrit dans le cadre de l’agressivité ludique (Fromm, 2001), autrement dit une agressivité coupée d’intérêts extérieurs – politiques, crapuleux ou simplement interpersonnels – et censée être pure pourvoyeuse de sensations. Ainsi Erich Fromm désigne-t-il dans sa typologie les formes d’agressivité sportives (escrime, boxe, arts martiaux), pour la plupart dérivées de véritables techniques de combat et devenues avec le temps des « arts ». De ce point de vue, les fury rooms présentent quelques caractéristiques notables, même s’il n’est pas évident de trouver des critères pour les distinguer de pratiques sportives dans ce qui se donne comme un continuum plutôt que des catégories bien distinctes. Dans tous les cas, il s’agit de loisirs où la dépense physique est animée par une certaine forme d’agressivité, au moins apparente. Les sports répertoriés comme tels s’inscrivent dans le cadre d’une pratique régulière, permettant une progression, en général attestée par des grades, dans l’acquisition de techniques et de savoir-faire. La dimension réglée et normée de la pratique (fédération, compétitions) ainsi que son inscription dans un cadre traditionnel varient selon les sports. Par exemple, si les arts martiaux sont pleinement reconnus comme des activités sportives traditionnelles, les arts martiaux mixtes (MMA), bien qu’ils se présentent comme hybrides, sont encore largement perçus comme du free fight (ou combat libre). Il en est de même pour les techniques de combat et de self defense (auto-défense), supposément inspirées de services secrets étrangers (systema, krav maga). On pourrait ajouter aux sports de combat classiques les clubs de tir au pistolet voire à l’arc. Dans tous ces cas, la pratique elle-même est coupée de ses fins originelles, mais les motivations des usagers peuvent évidemment aller de la pure concentration à l’apprentissage de techniques de défense, voire d’attaques à des fins personnelles.

6Les fury rooms se distinguent donc d’un sport en ce qu’elles se ramènent plus encore à l’expérience ludique. La pratique y est avant tout non réglée, aucun savoir préalable n’est requis et aucun apprentissage n’est promis, seule vaut la pure sensation provenant de la destruction des objets. La différence principale avec les sports de combats réside dans cette occurrence ponctuelle qui peut être répétée mais dont l’intérêt avancé est le caractère disruptif : repousser une forme d’interdit social, briser la répétition routinière du même et donc ne pas intégrer à ce quotidien une nouvelle dimension comme le voudrait la pratique d’un sport. D’ailleurs, le lieu est largement promu comme idéal pour un enterrement de vie de célibataire, une expérience insolite pour un couple ou un séminaire de team building (renforcement d’équipe). D’autres loisirs récents comme le lancer de haches pourraient relever de la même catégorie d’agressivité hyperludique, mais on peut voir, pour celui-ci par exemple, une oscillation entre le pur ludique événementiel, associé aux mêmes types d’occasions professionnelles ou personnelles que les fury rooms et une perspective de progression envisagée. Si la fury room se propose exactement pour les mêmes fins, il ne lui est pas possible de jouer sur ce tableau dans la mesure où aucun élément ne permet d’y mesurer une quelconque amélioration ou performance.

  • 9 À ce sujet, voir L. Fournier (2019).
  • 10 On peut penser aux batailles de polochons géants analysées par G. Chartier (2019).

7Dans un autre domaine ludique, on pourrait comparer les fury rooms aux loisirs de combats euphémisés type laser game ou paintball. Dans ces pratiques généralement collectives, la violence physique est soit atténuée, soit virtualisée et la dimension de simulation est importante. Elles intègrent dans une certaine mesure les « combats figurés » analysés en ethnographie dans des cadres rituels et festifs9. Mais, même dans leurs formes les plus contemporaines10, ces combats, dont la violence est diversement atténuée, prennent des significations collectives et socialement ritualisées là où les loisirs évoqués précédemment, à l’instar de nos chambres de destructions, se constituent comme pratiques individuelles ou amicales. Certaines pratiques de fitness jouent elles aussi avec les simulacres de la violence. Ainsi, tout en mettant en avant le sème violent de combat, le BodyCombat se présente sur les sites des salles de sport comme un « cocktail divertissant » de mouvements issus de sports de combats mais effectués en l’air sur un fond musical « entraînant ». L’intersubjectivité du combat en est donc évacuée. Comme dans la Zumba, autre pratique fondée sur le principe du « cocktail », cette fois-ci principalement de danses de couples latines, l’idée n’est pas d’apprendre une technique permettant de mener des combats – pas davantage que la Zumba n’apprend à danser à deux. L’exercice est coupé des visées initiales des pratiques qu’il mélange. En revanche, il lui est affecté de nouvelles fins, les objectifs sanitaires habituels du fitness : tonification musculaire, dépense énergétique à des fins d’amincissement (la dépense indicative est mesurée en calories), gain d’endurance cardiaque, etc. (Lipovetsky, 1989, 2009). Le rapport de la fury room à la simulation est plus complexe en ce que le geste de destruction y est mené à sa fin, nous y reviendrons. En outre, son caractère de divertissement événementiel la distingue de ces pratiques et accentue probablement ses spécificités marchandes.

Quel type de marchandise émotionnelle les fury rooms représentent-elles ?

Le cadre du capitalisme affectif

8Le rôle crucial joué par l’instrumentalisation des émotions dans la marchandisation capitaliste fait dorénavant l’objet de réflexions notoires et centrales, notamment depuis Les Sentiments du capitalisme d’Eva Illouz (2006 [2004]). Il est également éclairé par des travaux dont l’objet n’est pas directement les émotions dans le domaine social. Ainsi, même si elles ne mettaient pas la notion d’affect en leur cœur, les réflexions sur l’économie de l’attention ont participé de cette prise de conscience de l’exploitation économique de l’affect. Comme on le sait, développée dans les années 1970 puis de façon plus approfondie dans les années 1990, la notion d’économie de l’attention repose sur l’idée selon laquelle, dans un contexte de multiplication exponentielle de sollicitations, la ressource rare n’est plus le produit (les matières le composant, les savoir-faire nécessaires à sa confection) mais l’attention de clients à capter et retenir (Simon, 1971 ; Citton, 2014). Selon cette conception, les enjeux économiques se seraient déplacés de la production à la réception. Or, l’un des instruments principaux de la captation de l’attention est l’exacerbation des effets affectifs conçus comme un facteur déterminant dans la sélection de l’information. Il faut susciter l’émotion pour attirer et retenir l’attention afin d’orienter le choix dans le flot des offres.

9Cette stimulation émotionnelle se situe donc notamment dans la promotion d’un produit ou d’un service qu’elle a la tâche de rendre désirable à l’aide de différents mécanismes comme la projection, l’empathie ou l’identification (Martin-Juchat, 2015) suscitant des réactions émotionnelles. C’est l’objet du marketing sensoriel et émotionnel programmant des expériences sans lien avec les propriétés réelles de l’objet. Mais l’exploitation des réactions affectives du consommateur est aussi largement développée dans d’autres domaines. Ainsi les grands acteurs du web analysent-ils des réactions affectives orientées par leur sélection pour proposer des contenus menant aux actions désirées (Alloing et Pierre, 2017). Ce puissant levier économique repose sur la capacité des individus à être affectés. Plus généralement, dès 1999, Michael Hardt prenait en compte l’existence de ce qu’il nomme le « travail affectif » pour désigner des activités humaines reposant sur les interactions et consistant essentiellement dans la création et la manipulation d’affects, principalement « un sentiment d’aisance, de bien-être, de satisfaction, d’excitation ou de passion » (ibid. : 93, nous traduisons). Ces activités représentent des pans entiers du marché du travail où, derrière des fonctions définies comme le service à bord d’un avion, une grande part relève de la création d’un sentiment positif. Mais on trouve principalement les produits « impalpables » de ce travail affectif dans l’industrie du divertissement et de la culture.

10Dirigé par E. Illouz, l’ouvrage Les Marchandises émotionnelles (2019) tendrait à montrer qu’un pas de plus a été franchi dans cette économie affective lorsque l’émotion est devenue l’objet même de la transaction et que cet objet ou ce service acheté a pour vocation première d’offrir une expérience affective désirable. E. Illouz désigne par le terme emodities des objets dont l’effet émotionnel savamment calibré, programmé et annoncé repose souvent sur des créations d’atmosphère : détente des séjours proposés par le Club Méd, peur ni trop ni pas assez maîtrisable suscitée par le film d’horreur ou les parcs d’attractions à sensations. Il en est de même pour les états émotionnels étiquetés par les playlists musicales qui sont censées épouser des états affectifs éprouvés ou, peut-être plus souvent encore, susciter des états désirés (playlist « La vie est belle ») ou des émotions adéquates pour une action programmée, qu’il s’agisse de travail, de sport, de ménage ou d’un rendez-vous romantique. Si elles ne sont pas inédites, ces sélections connaissent un accroissement et un succès remarquables.

11La fury room s’insère aisément dans ce marché des marchandises émotionnelles en ce qu’elle repose essentiellement, dans sa dénomination, sur la revendication de l’exercice d’un affect : une « furie » qui, même prise au second degré, constitue son argument de vente principal. D’ailleurs, la dénomination du loisir tire souvent bénéfice d’un terme anglais transparent (fury, rage) qui identifie l’affect tout en le distanciant. Bien que, dès l’abord, le client potentiel se doute qu’il n’est pas ici question de créer une ambiance suscitant la colère extrême dans laquelle il pourrait se couler, il se dirige vers la consommation d’un service par la promesse d’une forme de rencontre avec une expérience affective. Ainsi le loisir trouve-t-il sa place sur un marché qui a développé un intérêt spécifique pour le moi et ses états émotionnels. On notera que, dans cette industrie affective le consommateur achète un éprouvé ou, du moins, sa promesse, l’objet est doté d’une grande puissance performative. On le suppose capable d’agir directement sur l’état affectif du consommateur, de le modifier presque magiquement et avec lui, in fine, toute la perception de son environnement. En même temps, cet effet est jugé maîtrisable, c’est-à-dire convocable et révocable à l’envi. La pratique est programmée dans ses effets et sa durée à partir d’une marchandisation du concept d’expérience.

L’inflation de l’« expérience »

12Notamment mise en lumière dans le secteur du tourisme (Pine et Gilmore, 2011) et des parcs d’attraction (Graillot, 2004), cette tendance à « reconceptualiser en expérience » nombre de marchandises du capitalisme tardif (Illouz, 2019 : 130) ne cesse de se renforcer. Théorisé dès les années 1980 (Holbrook et Hirschman, 1982), le marketing expérientiel a, ces dernières décennies, gagné du terrain dans tous les domaines. Censé offrir au consommateur une immersion dans des expériences extraordinaires plutôt que l’achat d’une valeur d’usage, il privilégie le sensible permettant une « incorporation des significations sous la forme d’expériences » souvent ancrées dans des simulations poly-sensorielles requérant la participation active et mise en scène du consommateur (Carù et Cova, 2006 : 100). Dans sa continuité, l’importance prise par l’expérience utilisateur dans le domaine du numérique et la pratique systématisée des retours évaluatifs des clients ont contribué à pleinement intégrer la primauté de l’usage sur le produit, celle de la pratique sur l’objet.

  • 11 U. Eco (1985 : 14) parle de la promesse du « more » récurrente dans la publicité : « Il y en aura p (...)

13La vente d’un « vécu » personnel se fait donc de plus en plus explicitement en lieu et place de celle du produit, la consommation ne reposant plus principalement sur des signes permettant d’afficher une différence et une affiliation (Baudrillard, 1996), mais sur l’achat « d’un sens répondant aux désirs existentiels du consommateur » et à sa quête identitaire (Carù et Cova, 2006 : 100). Cette expérience sensible visant à offrir un éprouvé de plus-de-vie11 passe par la simulation, notamment analysée à partir du concept d’hyperréalité. Si Umberto Eco (1985) et J. Baudrillard (1981) ont donné à ce concept des sens partiellement différents, notamment quant au lien que le « faux » entretient – ou non – avec un original dans ce cadre hyper réel, leurs analyses soulignent toutes deux l’importance prises par le simulacre dans la vente d’expériences. C’est dans cet univers de substituts, dont Las Vegas serait un paradigme, où tout est « poussé », semblant plus vrai que le vrai par la condensation de traits vraisemblables, que l’expérience se vit avec le plus d’intensité.

14Cette omniprésence du terme expérience mérite quelque attention sémantique. Loin de l’instruction acquise par l’usage de la vie ou de l’enrichissement en connaissances qui constitue étymologiquement son acception première, l’expérience visée dans l’industrie de loisirs est dérivée de son sens second : « l’acte qui procure l’expérience de quelque chose » (Le Robert, 2010), autrement dit l’opération ou la « pratique » permettant d’acquérir ces savoirs. De cet acte, l’expérience vendue par les loisirs a glissé vers la qualité propre au moment de cette pratique : un vécu émotionnel immédiat, avant tout associé au plaisir du présent. Presque réduite à ses propriétés sensibles immédiates, elle vise la vivacité du moment conféré par sa qualité sensationnelle propre – saut à l’élastique, marathon des Cimes à 6 000 mètres d’altitude – qu’il faut souvent rapporter soit au caractère insolite qui la caractérise au regard du marché et offre une rupture avec l’ordinaire, soit à la performance dont peut se prévaloir celui qui la tente. Par une nouvelle extension métonymique, cette « expérience » s’entend donc comme « le fait d’éprouver quelque chose, de le ressentir » (Larousse). Comme le notait Morris B. Holbrook (1997), elle dérive du culte romantique du « vivre grand », du changement et des émotions intenses permettant à l’individualité de se déployer. L’aspectualité – définie en sémiotique comme le point de vue du sujet sur le procès – de cette expérience-sensation est avant tout celle de la ponctualité. L’expérience vaut par son caractère circonscrit, supposé offrir une absorption totale dans le présent et un renouveau constant. Elle s’adresse au « cueilleur de sensations » (Bauman, 2010) qui fait l’idéal-type de l’homme moderne, nourrissant son avidité de sentir plus et son désir d’intensifier sa présence au monde et sa subjectivité (Lipovestsky, 2006 ; Garcia, 2016).

15L’offre de la fury room repose sur la promesse d’un éprouvé puissant déterminé par la grande densité et le caractère hyperbolique de l’affect évoqué. Si elle ne recrée pas toujours de cadre simulant une situation réelle, elle se présente comme un substitut (Baudrillard, 1981 : 6) permettant d’éprouver ses pulsions agressives. Ainsi promet-elle une expérience intense par son caractère non coutumier, relativement rare sur le marché des loisirs et supposé extrême par la violence mise en jeu. Donner une pièce à la furie, c’est présupposer la capacité de l’usager à éprouver un affect héroïque. Cette intensification de l’éprouvé est appelé à étoffer la subjectivation du participant, à lui offrir une expérience de lui-même unique et donc un accès inattendu à lui-même : vivre jusqu’à saturation, grâce à l’îlot créé, un comportement proscrit par la société, un comportement qu’il n’est en général pas donné de déployer pleinement, comporte, dans le contexte qui est le nôtre, une promesse d’accès inédit à soi, libérateur et porteur de mieux-être.

Le cadre général du « bien-être » et l’assimilation du négatif

16L’imaginaire affectif des fury rooms s’inscrit dans le paradigme de la santé psychique et physique qui sous-tend la marchandisation des émotions en services et produits. Malgré ses apparences agressives, l’activité proposée épouse un principe hygiéniste dans la mesure où elle a pour visée de se libérer d’affects néfastes, ou de se « défouler », c’est-à-dire de s’amuser en dépensant une énergie trop contenue par la régulation sociale quotidienne. L’état princeps y est donc considéré comme excessif et non approprié. Ainsi, au même titre que les salles de sport et le développement personnel, les fury rooms relèvent-elles d’une « sanitarisation » du corps et de l’esprit (Lipovetsky, 2009) et d’une idéologie du bien-être renvoyant chacun au devoir d’améliorer son soi affectif. Car si l’individu issu de l’idéologie néolibérale est un individu émancipé, il lui revient la responsabilité de son bien-être et d’une vie réussie impliquant le contrôle de soi pour mieux intégrer la société et régler sa relation à autrui.

17Ainsi l’esprit sain rejoint-il le corps sain, « détendu » et régulé, promu par la société néolibérale. Le corps y figure en tant qu’apparence optimisée, mais aussi en tant que lieu de ressenti intense et libéré, signe d’un accomplissement dont l’individu entrepreneur de lui-même peut être fier. Cependant, ce corps épanoui n’est obtenu qu’à la condition d’une « écoute » particulière. En effet, ce corps parle son propre langage qu’il faut apprendre à décrypter, et il a sa propre connaissance, souvent tenue pour plus vraie et plus authentique que celle de la raison (Martin-Juchat, 2014). Il signale les mauvais comportements dans la vie quotidienne, une fatigue ou un stress que le moi social ne voudrait pas reconnaître. Il est aussi le medium des affects, la chair par laquelle l’affect parfois non conscient s’exprime à destination d’autrui et de soi. Éventuellement niés dans la vie sociale, ces affects trouveraient là aussi souvent une formulation plus authentique que ce que la réflexivité psychique pourrait offrir.

18La fury room se glisse dans ce lieu d’injonction. Elle offre du mieux-être par une pratique corporelle libérant des affects ne pouvant s’exprimer socialement, avec la suggestion d’une amélioration plus fondamentale du soi. Pourtant, la subjectivité qui se construit dans cette pratique est largement déterminée par un récit programmatique dont on peut questionner la marge d’appropriation qu’il laisse à l’individu.

Objectivation, codification et normalisation émotionnelle : vers une aliénation affective ?

Une action programmée par le dispositif

19La mise en jeu de l’intimité émotionnelle est filtrée par la codification et la scénarisation de l’expérience sensible ici commercialisée. Cette normalisation de l’expérience est symptomatique de l’évolution de l’incitation à la consommation qui, après être passée par une normalisation des signes symboliques et iconiques (Barthes, 2014 ; Baudrillard, 1996), a concerné, principalement depuis l’après-guerre, « l’expérience sensorielle et affective » (Martin-Juchat, 2015). L’affect est construit afin d’être identifié et interprété de façon univoque dans le but de rassembler autour de représentations normalisées des dimensions sensibles de l’être. Cette codification de la sensation et de l’émotion exige de l’individu une objectivation et une rationalité réflexive plus fortes de ses éprouvés, et elle agit directement sur ses représentations. Ainsi les sphères économique et marchande influent-elles sur les changements des pratiques et régulations émotionnelles, sur les idées que l’on se fait sur les émotions et les valeurs qu’on leur attribue.

20En effet, loin de signer un retrait dans la sphère privée comme le redoutait Alexis de Tocqueville dans De la démocratie en Amérique (1835-1840), la promotion de la vie affective dans l’ère capitaliste implique, à l’inverse, une prise en charge systématisée des sentiments par la sphère publique, principalement à l’initiative des acteurs économiques : « Jamais le moi privé intérieur ne s’est autant manifesté publiquement et n’a autant été rattaché aux discours et aux valeurs des sphères économiques et politiques » (Illouz, 2006 : 17). Pratiques corporelles, loisirs et bien entendu réseaux sociaux incitent à développer une communication affective où s’opère une confusion entre « les ressources du marché et les langages du moi » (ibid. : 193). On doit prêter attention à son corps et à ses états émotionnels afin de mieux les comprendre et les signifier à autrui. Cette standardisation des représentations affectives se retrouve au premier chef dans les pratiques de communication numériques qui les exploitent comme le montrent les codifications de type emojis ou likes. Le marquage émotionnel préformaté vis-à-vis des informations proposées sert la vente de données aux annonceurs, mais aussi la manipulation des états affectifs comme cela est dorénavant bien documenté (Alloing et Pierre, 2017). Dans le cas d’un loisir ne reposant pas sur la communication affective, c’est le dispositif et son discours d’accompagnement qui construisent un récit, plus ou moins ouvert, de la pratique et de l’éprouvé de l’usager.

21Dans les termes de la sémiotique des interactions (Landowski, 2006), le dispositif de la fury room offre un régime d’action programmatique laissant très peu de place à l’aléa et à l’accident. Derrière l’apparente transgression du comportement proposé vis-à-vis des normes socioculturelles de vie en société, est planifiée une action parfaitement codifiée et contrainte par la transaction. La destruction est une action mécanique, une opération directe sur l’objet qu’elle disjoint. À la différence des combats euphémisés, elle ne met pas en jeu, d’intersubjectivité et on peut interroger la liberté qu’elle laisse à la pratique.

22Un dispositif oriente le sens qui sera donné à une pratique, il définit ses conditions de réussite (Fontanille, 2008) et programme la lecture de l’expérience affective et sensorielle vécue par le sujet (et donc la façon dont advient du sens). La pratique du sujet qui se déploie à l’intérieur de ce sens déposé, déjà mis en récit, construit une signification dans le cours même de son action « en interaction permanente avec les circonstances qui constituent l’horizon stratégique de la situation dans laquelle il se trouve » (Fontanille, 2010 : en ligne). C’est par cette pratique que peut advenir un « style de l’action », résultat de la rencontre entre programmation et ajustement (Fontanille, 2008 : 3). Un loisir est un dispositif de programmation de l’action et repose certes sur certaines règles valables sur un temps limité, mais il peut offrir plus ou moins de liberté aux pratiques, inciter ou non à l’improvisation et à l’inscription d’une subjectivité dans l’usage qui en est fait. C’est par là que les pratiques font advenir du sens. Or, ces possibilités de modifier l’agencement syntagmatique, d’y introduire de la subjectivité et de l’improvisation apparaissent ici très réduites. L’action se déroule en suivant sa régularité, sans imprévisible, ni aléa, sans nécessité d’ajustement : pas d’interdit transgressé, pas de propriétés inconnues de l’objet à détruire. Le dispositif s’apparente à la machine signalétique décrite par J. Baudrillard (1981 : 11) qui offre les signes du réel « et en court-circuite toutes les péripéties ». Il n’invite pas à une expérience allant dans le sens de la découverte. Là où la force de transgression propre aux affects hostiles repose sur leur pouvoir de rupture avec un ordre et une régularité, ils sont domestiqués et conduits à suivre une partition. L’affect négatif et les comportements violents sont donc « gérés » non seulement par le protocole d’action, mais aussi par le storytelling définissant au préalable le sens de l’activité et les affects supposés y agir.

… et le récit émotionnel

23L’un des intérêts du dispositif de la fury room est qu’il s’éloigne en apparence de l’incitation à la communication affective révoquée précédemment. L’objectif premier n’est pas de développer une attitude réflexive sur son état émotionnel. Il s’agit d’une sorte de « passage à l’acte » qui se passe de ressaisie et de communication à un tiers. Le dispositif n’induit pas d’introspection, ni de mise en circulation de signes d’affects de la part du client. Par son bruit, la destruction bannit presque la parole et laisse juste la place à des échanges minimaux avec son éventuel partenaire. L’idée n’est pas d’expliquer ou de montrer à l’autre son état, ni de verbaliser. L’activité ne se situe que sur le segment comportemental de l’émotion : l’acte de destruction censé suivre le stress ou la frustration. La réflexivité ultérieure n’est pas davantage suscitée dans la mesure où l’activité est réglée par une conception pulsionnelle de la décharge dont la séquence précédemment étudiée présente l’affect comme supprimé et non réélaboré à la suite de la séance. Le bénéfice de cette pratique comportementalo-affective n’est pas non plus celui de l’affichage et donc de la publication d’une identité affective que l’on souhaiterait faire reconnaître à autrui puisqu’elle se pratique de façon relativement cachée. Elle ne semble pas accorder au « moi » l’intérêt et le prestige qui lui sont d’ordinaire donnés par la promotion de l’affect.

24Pour autant, il est certain que le dispositif encadre l’identification d’un état émotionnel codifié au-delà de la dénomination de l’activité. L’expérience sensible y est programmée par une mise en récit selon une séquence passionnelle centrale dont le script orne la page d’accueil des sites comme celui-ci par exemple : « Stressé, fatigué, métro tombé en panne ce matin, envie de vous défouler ou juste de vous amuser, venez tout casser » 12. Si on laisse de côté la dimension purement ludique, derrière la furie annoncée, apparaît rapidement le mal affectivo-somatique majeur de notre société qu’est le stress. Tension nerveuse excessive causée par des facteurs plus ou moins identifiés et isolables, souvent diffus et inaperçu, il représente l’envahisseur sournois des vies modernes. Il trouverait ici son échappatoire dans des pièces à destruction devenues lieu de gestion émotionnelle. L’« anger management », ou gestion de la colère, se voit redoublé d’un « stress management ». La fury room rationnalise les stratégies de coping de chacun, c’est-à-dire les modes individuels d’ajustement aux contraintes créant un différentiel entre attentes et ressources trop important et générateur de mal-être. Tout en étant l’absente de la séquence dans cette narration, la « furie » est implicitement associée à la pression et aux diverses frustrations de la vie moderne – citadine, professionnelle – ou à la fatigue nerveuse qui leur est consécutive, toutes s’accumulant sans exutoire sinon une destruction furieuse.

25La gestion de ces affects néfastes passe alors par un transfert vers d’autres objets. En effet, les playlists proposées pour accompagner, désinhiber ou susciter les pulsions agressives (rock énervé, métal, punk, rap, etc.) attirent l’attention sur un aspect important de ce dispositif : l’absence de stimulus, soit la décontextualisation de l’affect. Si le client était en état d’ébullition au moment où il a réservé sa séance de destruction, il est peu probable qu’il le soit toujours quelques jours plus tard, quand il s’y rend. À la différence du boxeur qui voit son agressivité stimulée par les coups de l’autre, rien ne vient raviver celle-ci. Le dispositif de la fury room postule donc soit une permanence de la pression ou de la colère à évacuer, soit une possible réactivation de celles-ci par la musique ou des objets rappelant l’objet de la tension. Ce changement de stimulus s’accompagne d’un déplacement métonymique de l’agressivité et de la pulsion de destruction qui l’accompagne : du patron au mannequin à la mine autoritaire posé dans un coin de la pièce ou, plus lointainement, à la tasse en porcelaine.

L’imaginaire cathartique

26Le récit émotionnel proposé et l’imaginaire cathartique sur lequel il repose méritent d’être questionnés plus précisément. En effet, qu’on la prenne sous l’angle de l’« évacuation » du stress ou du défoulement ludique, la pratique de destruction ainsi proposée met en avant un principe de décharge indiquant une lecture de l’émotion largement pulsionnelle. L’affect perturbateur est pensé sur le mode d’une accumulation, d’un dépôt sans issue naturelle. Arrivé à un certain niveau, il faut purger le sujet pour évacuer l’excès grâce à une transaction se substituant à une impossible résolution dans les relations interpersonnelles. Après sa séance contractualisée et minutée, le sujet ressort vidé, jusqu’à la prochaine accumulation. Sous cet angle, le dispositif rejoint la conception libidinale de la consommation (Baudrillard, 1996). C’est l’une des formes du rêve de la « détox » récurrent dans notre univers d’abondance. On souhaite se purger d’émotions excessives comme d’un trop-plein alimentaire après les fêtes, selon un même désir de purification utopique.

27L’effet apaisant de l’activité de destruction n’a rien d’évident en termes d’économie psychique. Le ressenti de « défoulement » lié à l’acte de destruction correspond à une certaine réalité physiologique en ce que la dépense motrice est appelée par le stress et les affects colériques. Mais en termes d’équilibre psychique, si l’on prend au sérieux l’agressivité derrière le loisir, l’actualisation des pulsions sadiques de destruction n’est pas sans risque, même avec un déplacement de leur objet. L’expression brute du sadisme et l’océan de débris face auxquels il met le sujet peut conduire à plus de détresse et d’angoisse que de soulagement. Par ailleurs, les limites de cet imaginaire de l’évacuation énergétique s’éprouvent par la seule observation ou expérimentation. Le plaisir procuré par l’acte de destruction peut être vecteur d’excitation plus que de soulagement. Et la destruction n’a pas besoin de colère, ni de stress, pour être jubilatoire. L’acte appelle l’acte en offrant le pur plaisir de la sensation et celui de pouvoir contempler l’effet matériel de sa puissance. Transformer le monde, observer immédiatement les changements d’état de la matière, la pulvérisation immédiate de cette forme en verre, le fracas qui l’accompagne, l’éclat des projections. Les dispositifs de captation par des caméras subjectives proposés dans ces lieux pour permettre au « casseur » de se mirer à loisir dans cette mise en scène de soi magnifiée en sont la preuve : les affects potentiellement en jeu dans ce choix de loisir sortent en réalité largement du script passionnel l’encadrant.

28Dans le même temps, on note une contradiction dans ce script entre les affects d’appels mis en avant dans ces lieux et les signaux émis par le dispositif. La violence annoncée y est rendue la moins violente possible. De nombreux éléments visent à atténuer le caractère transgressif de l’activité proposée, qu’il s’agisse de la sécurité physique du client (port de tenues, masques et chaussures de sécurité, interdiction de consommation d’alcool fort pour les groupes) ou de sa conscience environnementale puisque la plupart des objets à détruire sont présentés comme « extraits de la chaîne de recyclage ». L’activité est censée satisfaire les pulsions destructrices mais ne contrevient pas à la morale, elle ne « heurte » pas et se fait, par la même, simulacre. Le caractère intrinsèquement transgressif et désorganisateur des pulsions agressives revendiquées dans le récit programmatique est neutralisé par un dispositif où prime la recherche d’innocuité. Au-delà du destin des objets, le « recyclage » en question semble d’ailleurs renvoyer à des passions qu’il s’agit peut-être de revivifier plutôt que de canaliser, dans l’espace « de régénération de l’imaginaire » que décrit J. Baudrillard (1981 : 21) : « Partout on recycle les facultés perdues, ou le corps perdu, ou la socialité perdue ou le goût perdu de la nourriture ». 

  • 13 Nous menons actuellement une analyse plus précise de ces commentaires et une enquête à partir de qu (...)

29Notre « faculté de communiquer nos expériences décroît » écrivait Walter Benjamin (1991 : 265) en déplorant la fin des récits. L’industrie culturelle offre un apparent étayage à cette perte de compétence. Elle propose des récits de vécus affectifs à travers lesquels l’usager programme puis ressaisit son expérience pour la transmettre à autrui – ses proches ou d’autres usagers – ou pour en garder souvenir. Ainsi le prêt-à-raconter risque-t-il de fournir une norme plaquée plutôt que de permettre une subjectivation du vécu et d’ouvrir à l’exploration singulière. Le récit programmant l’expérience du client se retrouve très largement dans le récit que l’usager fait publiquement de sa séance. En effet, les commentaires évaluatifs sur les sites consacrés répondent à cette scénarisation13. Positifs, ils reprennent en grande partie les éléments de récit donnés dans la programmation de l’activité ; négatifs, ils ne cherchent pas à explorer le hiatus entre l’expérience annoncée et leur éprouvé propre, mais portent sur des manquements matériels au contrat ou sur le non-respect des attentes élémentaires concernant un service (saleté du lieu, médiocrité de la prestation offerte pour le prix, personnel déplaisant, etc.). Ainsi assiste-t-on non seulement à la normalisation d’un langage affectif, tant dans sa syntagmatique passionnelle (la destruction comme exutoire au stress) que par les outils d’identification fournis, mais également, en-deçà, à la consolidation d’une normativité affective évacuant les affects négatifs du domaine social puisque la violence se pratique sinon de façon cachée, du moins loin du regard public. Le récit émotionnel posé sur l’expérience du sujet comme les contradictions qu’il entretient avec un dispositif évacuant la transgression semblent participer de la normalisation affective et d’une forme d’aliénation du vécu émotionnel. Celle-ci se prolonge dans le rapport que supposent ces lieux avec les sources de souffrances psychiques auxquelles ils sont censés apporter un remède ludique.

Le traitement ex situ de l’affect ou l’aliénation pragmatique

30Ce dispositif et ce récit cathartique paraissent faire de la chambre de destruction un parfait instrument d’adaptation traitant des affects symptomatiques hors de leur contexte social. Barbara Stiegler (2019) a minutieusement retracé les interprétations sociales qui s’élaborent autour de la notion d’adaptation darwinienne et ce en quoi on peut y trouver le creuset de la pensée néolibérale. Aux prises avec une société que son entrée dans l’ère industrielle a brusquement fait accélérer, est-ce à l’individu « en retard » de s’ajuster et d’adapter ses pulsions devenues inadéquates, comme l’estime Walter Lippmann dès La Cité libre (2011 [1937]), ou peut-on envisager d’adapter l’environnement à l’individu, comme le défendra John Dewey dans la controverse connue sous le nom de Lippmann-Dewey debate qui finira par les opposer ? Le triomphe du culte de l’individu capable de se forger lui-même dit combien s’est répandue, notamment dans l’industrie des loisirs, la croyance dans la conception lippmanienne de l’adaptation. Ce ne sont pas les facteurs professionnels ou environnementaux – la ville est stressante par la violence des visions d’inégalité qu’elle impose, par ses densités – contrevenants aux besoins « naturels » qui doivent être transformés. Ils sont considérés comme des facteurs environnementaux évolutifs auxquels l’individu doit s’adapter. C’est à ce dernier de développer ses propres stratégies de survie, à lui de réorienter ses pulsions vers de « bons » objets, en l’occurrence définis par leur caractère inoffensif comme la rhétorique sécurisante de la fury room le promet. La fury room apporte une solution individuelle évacuant un stress dont les causes sont extérieures et sans pertinence dans ce cadre. L’individu est invité à traiter son stress professionnel, urbain ou politique ailleurs que dans le cadre qui le suscite. Ainsi, aux États-Unis, l’activité des fury rooms s’est-elle considérablement accrue après l’élection de Donald Trump, nombre d’entre elles proposant des mannequins à l’effigie du nouveau président pour traiter son election stress disorder14. À la différence du carnaval traditionnel, c’est individuellement et de façon privée que chacun est ici invité à venir traiter sa frustration citoyenne. De même, au Japon, c’est en réponse à la crise de 2008 que ces lieux ont été inventés. D’ailleurs, l’entreprise est invitée à favoriser ce mode d’accommodation de l’individu et les annonces à destination des directions des ressources humaines en quête d’activité de « team building » abondent, « l’expérience fury room » étant supposé renforcer la cohésion des équipes‎. Les dispositifs avec apéritif, traiteur ou « fury mobile démontable » (avec objets à pulvériser et personnel pour nettoyer) fournie pour les soirées d’entreprise donnent une idée du degré d’assimilation des comportements et affects supposés subversifs dans ce cadre.

31Cette activité s’insère donc particulièrement bien dans un contexte professionnel marqué par un climat de fortes tensions et par la recherche d’outils visant une normalisation des affects et relations professionnels d’apaisement (Martin-Juchat et Ménissier, 2018). Elle intègre la longue liste des activités de développement personnel récupérées par l’entreprise (clown intérieur, séminaire de rire, cri primal) à des fins d’optimisation de la productivité et d’amélioration des relations professionnelles. La violence y apparaît détournée des champs où elle pourrait devenir transformatrice et notamment se réélaborer dans l’action sociale et politique. L’agressivité « gratuite », mais rendue inoffensive, est évidée de tout potentiel de désordre, au risque de valider le diagnostic d’impuissance du sujet. Le dispositif semble acter que le monde ne s’adaptera pas au sujet et qu’il ne lui reste plus qu’à adopter des stratégies individuelles de remédiation temporaire à son mal-être, comme cette évacuation du stress par « la casse ». La compétence pragmatique du sujet et sa capacité de transformation du monde y apparaissent nulles.

32Ainsi, traitée en symptôme, cette offre de loisir semble-t-elle significative de l’action de la sphère économique sur les représentations que nous avons de nos éprouvés et sur la faible capacité d’action que nous nous reconnaissons dans le champ social. Ces perceptions reposent sur des modifications de notre système de valeur et invitent à interroger, au-delà de la question de la normalisation affective et du traitement ex situ des souffrances sociales, la valeur du geste de destruction lui-même et le sens et la valeur qui peuvent lui être donnés.

Comment se réorganise le champ de la valeur ou le simulacre de dépense

33À la différence des combats, les fury rooms ont pour caractéristique de mettre en leur centre le seul rapport de l’individu à la réalité matérielle qui l’environne, interrogeant crûment celle-ci.

La valeur de la destruction

34Qu’achète-t-on lorsqu’on paie pour détruire ? On n’obtient pas à l’issue de sa séance un objet permettant une affiliation identitaire à des modèles. Même si elle toujours conditionnée par une forme de perte financière, l’acquisition qui constitue d’ordinaire le fond de l’acte de consommation repose ici sur l’articulation de deux suppressions : l’évacuation d’affects perturbateurs passe par la destruction matérielle d’objets qui constituent le cœur de la transaction. Celle-ci repose sur une mesure matérielle, mêlant la durée (entre 10 et 20 minutes), la quantité et le type d’objets. Si le nombre de participants augmente, la durée et le nombre d’objets doit augmenter et une certaine variété est attendue : à la vaisselle et aux bouteilles, on ajoute alors une imprimante, un écran ou un « meuble ». Dans la venting room d’origine, le coût de la destruction est établi à l’objet cassé et il est à peu près équivalent à celui de son acquisition (une tasse deux dollars, un élément plus gros onze dollars15). Dans certains lieux, il est possible d’apporter un objet à soi pour le détruire et le coût de la destruction est évalué en fonction de sa taille. Plus que la vaisselle ébréchée ou les éléments de bureautique jetés au rebut, on paie donc la durée et l’espace, les instruments de destruction et les protections, soit un espace émotionnel consacré à l’expression d’une émotion. La casse de vaisselle dans un lieu privé (cave ou jardin) serait relativement aisée. On achète donc, avec l’usage de cet espace, une sorte de droit de détruire des détritus. La transaction porte sur un dispositif autorisant ce qui n’est pas interdit par la loi mais socialement réprouvé pour la violence qui s’en dégage. Par l’achat, on lève une certaine honte des pulsions agressives mises au jour par le désir de destruction, tout en les actualisant de manière relativement cachée.

35L’acte mis en jeu, détruire, est certes aussi vieux que le monde, mais doit être interrogé dans notre contexte, celui d’un monde croulant sous les objets, une civilisation du jetable dont on ne peut plus ignorer la folie et le caractère insoutenable au sens littéral à travers la prédation qu’elle opère sur l’environnement. Les objets à détruire ont perdu toute valeur d’usage puisqu’ils sont déjà sortis de la chaîne de consommation. Un temps désiré, ils sont devenus déchets, c’est-à-dire qu’ils ne valent plus rien, mais qu’ils représentent un coût pour la société, celui de leur destruction puisqu’il faut les faire disparaître sans impact excessif sur l’environnement. Il se joue ici un nouvel épisode de notre rapport aliéné et ambivalent à ces objets jetables à l’obsolescence programmée, objets rendus éminemment désirables en même temps que coupables selon une insoluble double injonction constante ne pouvant que susciter une forme d’hostilité à leur égard. Dans le film Fight Club (Fincher, 1999) tiré du roman éponyme de Chuck Palahniuk (1996), il faut au personnage principal une dissociation de personnalité pour supporter sa vie comblée par la consommation. C’est en tant que Tyler Durden qu’il va détruire tous les biens qui lui étaient si précieux, créer un club de combat clandestin ultraviolent puis lancer le projet de destruction « Chaos » devant mettre la ville à sac. L’expérience de perte complète qu’il veut éprouver et qu’il politise petit à petit ne peut qu’être clivée de sa vie précédente d’accumulation matérielle. Dans notre cas, cette difficile transaction avec la perte est éludée.

36Dans les fury rooms, le fait que tout caractère précieux a été ôté à l’objet ne permet pas d’associer à sa destruction une forme de dépense au sens de La Part Maudite (1967), ouvrage dans lequel Georges Bataille se penche sur l’inclination au gaspillage et à la destruction qui prédomine dans différents comportements sociaux et contrevient aux principes d’utilité (d’acquisition, de conservation, de reproduction) censés régir rationnellement la vie sociale. Dans ces « dépenses improductives » que sont le luxe, les cultes, les arts, et que l’auteur oppose au principe économique de l’équilibre des comptes, « l’accent est placé sur la perte qui doit être la plus grande possible pour que l’activité prenne son véritable sens » (ibid. : 28). En interprétant ces phénomènes à l’aune du potlatch primitif, tel que Marcel Mauss l’a décrit dans son Essai sur le don (2007 [1923-1924]), la dépense débouche sur des valeurs improductives – et thymotiques selon les termes de Peter Sloterdijk – comme la gloire puisque la perte somptuaire et ostentatoire du potlatch vise à défier le rival.

37Cette construction du sens du geste de destruction fait apparaître par opposition certains aspects du geste étudié dans cet article. Le défoulement n’est pas dépense. L’objet à détruire dénué de toute valeur ne représente aucune perte personnelle. En détournant brièvement ces objets de la chaîne de recyclage, le dispositif assure bien au client qu’il ne s’agit pas de biens qui auraient pu être utilisés rationnellement pour une valorisation personnelle et sociale. Il ne va pas à l’encontre du principe d’utilité qui régit les échanges dans la société de consommation. Dans les termes de J. Baudrillard, loin de s’en tenir à un calcul rationnel, la société de consommation repose elle-même sur le principe du gâchis. Elle crée du superflu pour soutenir le mythe de l’abondance et en fait la marque de sa valeur. La dépense a alors lieu dans la production et la destruction environnementale qu’elle impose dans une logique extractiviste de prédation des ressources naturelles. À l’acheteur de l’assumer. Dans le cadre des fury rooms, l’individu qui détruit les produits de cette société du superflu est lui assuré de ne faire l’expérience d’aucune nouvelle dépense. Il s’insère simplement comme une redondance dans la chaîne de destruction de l’inutile. Il brise du rebut sans terminer une tâche qui reviendra aux machines dédiées. Il occupe une place qui ne revêt aucune fonction vis-à-vis de l’objet de consommation.

D’une expérience l’autre

38À cet égard, et pour terminer, nous plaçons en contrepoint de ce dispositif une expérience théâtrale de destruction, le spectacle Buffet à vif créé par la compagnie La Belle Meunière (Bordat, Cottin et Meunier, 2014)16. Mettant en scène deux hommes s’acharnant pendant plus d’une heure à réduire en petit bois un buffet artisanal, il rend sensible – et douloureuse – cette destruction d’un objet fabriqué par des hommes et brisé par d’autres. Le buffet se désassemble, rompt au milieu des rainures et languettes qui l’ont assemblé, craque en des endroits inattendus, résiste en d’autres, prévisibles ou non. Le spectacle suscite des émotions très variées, loin du voyeurisme de voir l’autre se livrer à une décharge pulsionnelle. Entre amusement, jubilation, étonnement ou détermination, la palette des émotions incarnées par les comédiens reconduit à une réflexion sensible sur ce qui en nous s’oppose à la conservation, ou plutôt à la conservation des choses en un état. Mais elle invite aussi à regarder les objets eux-mêmes et, en l’occurrence, ce buffet, unique et nouveau chaque soir de représentation. Elle entrave l’aveuglement vis-à-vis des objets de consommation précédemment évoqués, interchangeables.

39Lors d’une résidence17, la même compagnie avait proposé des « chambres de destruction » 18, proches en apparence du concept des fury rooms. Le spectateur de destruction avait la possibilité d’y devenir acteur de celle-ci en apportant un objet qu’il pouvait passer par plusieurs machines agricoles ou artisanales. Du martinet de triste souvenir au parapluie fonctionnant éternellement mal, en passant par le vieux godillot, tout un tas de causes et d’affects ont pu mener les participants à choisir tel ou tel objet. Dans les captations vidéos de certaines scènes de ces chambres, c’est aussi tout un spectre de gestes et d’émotions qui motivent l’acte même de destruction, parfois hésitant, parfois fort ou s’animant de vigueur dans son cours même, à d’autres moments appliqué mais acharné, las, surpris.

40L’exemple de ces « chambres de destruction » est intéressant en ce qu’on y voit s’ouvrir un espace d’expérience à l’opposé de l’expérience promue dans le loisir fury room. Il ne s’agit plus de l’expérience centripète en quête de sensations éternellement renouvelées et réintensifiées, mais d’une expérimentation qui, tournée vers l’extérieur, amène le sujet à prendre le temps d’examiner le monde dans lequel il évolue. Cette expérience-là incite l’individu à observer ce cours des choses qui n’est pas le cours de sa propre action, à noter les endroits où ces cours se rejoignent – dans le geste qui atteint son objectif – ou se disjoignent, lorsque l’intention du sujet et l’effet obtenu divergent. Il se déploie là une pratique, un « style », à l’intérieur d’un dispositif ouvert. Celui-ci permet d’exercer son attention, dans un temps non minuté et non commercialisé, un temps qui permet de voir se former des devenirs émotionnels non scénarisés On y remarque alors que, même sans recherche directe de réemploi, ce sont des transformations d’états et non des suppressions qui arrivent sous nos yeux, des jeux dans la matière, des façons d’occuper l’espace différentes pour les objets.

Conclusion

41« Que faire de nos colères ? » titrait en 2016 un article de Libération traitant de la multiplication des contestations populaires19. Si le loisir que nous avons étudié ici ne se présente certes pas comme un substitut aux luttes sociales, on peut considérer que son dispositif constitue un cas significatif de captation et de marchandisation d’affects négatifs. En se focalisant sur la dimension comportementale des affects en jeu, entre stress et frustrations menant à des éprouvés d’hostilité plus ou moins caractérisés, il propose, en lieu et place d’une ressaisie de l’expérience affective et de ses causes, un scénario émotionnel normalisé et un traitement hors sol des discordances entre l’individu et sa vie professionnelle notamment. Ainsi constitue-t-il un instrument d’adaptation d’autant plus efficace qu’il mime la transgression. À ce titre, il représente une forme de marchandisation des affects, avec ses risques d’immixtion dans nos représentations et valeurs à différentes échelles, puisque c’est autant la relation de l’individu à son vécu affectif que sa place dans la société et son rapport aux objets du monde qui s’y trouvent redéfinis. Le dispositif construit in fine l’image curieuse d’un individu se rêvant surpuissant et rappelé à une forme d’impuissance et d’inutilité sociales. La mise en regard du geste de destruction proposé dans ce dispositif commercial avec le même geste pris dans une démarche d’expérimentation scénique souligne combien l’expérience de destruction peut être rendue plurielle, équivoque et ouverte, notamment en suscitant une attention tournée vers le monde et disponible à la réinvention.

Haut de page

Bibliographie

Alloing, C. et Pierre J., 2017, Le Web affectif. Une économie numérique des émotions, Bry-sur-Marne, Ina Éd.

Barthes R., 2014 [1957], Mythologies, Paris, Éd. Le Seuil.

Bataille G., 1967, La Part maudite, Paris, Éd. de Minuit.

Baudrillard J., 1996 [1970], La Société de consommation, Paris, Gallimard.

Baudrillard J., 1981, Simulacres et simulation, Paris, Galilée.

Bauman Z., 2010 [1995], La Vie en miettes. Expérience postmoderne et moralité, trad. de l’anglais par C. Rosson, Paris, Fayard.

Benjamin W., 1991 [1936] « Le narrateur. Réflexions à propos de l’œuvre de Nicolas Leskov (1936) », dans id., Écrits français, Paris, Gallimard, p. 251-300.

Carù A. et Cova B., 2006, « Expériences de consommation et marketing expérientiel », Revue française de gestion, 162 (3), p. 353-367.

Chartier G., 2019, « Taper trop fort ? Règles d’interaction et qualifications violentes lors d’une bataille de polochons », Ethnologie française, 175 (3), p. 523-532. https://doi.org/10.3917/ethn.193.0523

Citton Y., 2014, L’Économie de l’attention. Nouvel horizon du capitalisme ?, Paris, Éd. La Découverte.

Eco U., 1985 [1973-1983], La Guerre du faux, trad. de l’italien par M. Tanant, Paris, Grasset.

Fontanille J., 2008, Pratiques sémiotiques, Paris, Presses universitaires de France.

Fontanille J., 2010, « L’analyse des pratiques : le cours du sens », Protée, 38 (2), 2010, p. 9-19. https://doi.org/10.7202/044947ar

Fournier L. (coord.), 2019, « “Même pas mal !”. Combats figurés et esthétisations festives de la violence », Ethnologie française, 175 (3), p. 455-462. https://doi.org/10.3917/ethn.193.0455

Fromm E., 2001 [1975], La Passion de détruire. Anatomie de la destructivité humaine, Paris, R. Laffont.

Garcia T., 2016, La Vie intense, une obsession moderne, Paris, Éd. Autrement.

Graillot L., 2004, « Une approche du phénomène d’hyperréalité à partir d'études des parcs Disney », Décisions marketing, 34, p. 41-52. www.jstor.org/stable/40592972

Grant A. et Gosnell K., 1980, « Judge Dredd: The Aggro Dome », 2000 AD Prog, 183, 25 oct.

Hardt M., 1999, « Affective Labour », Boundary 2, 26 (2), p. 89-100.

Hardt M. et Negri A., 2000, Empire, trad. de l’anglais par D.-A. Canal, Paris, Éd. Exils.

Holbrook M. B., 1997, « Romanticism, Introspection and the Roots of Experiential Consumption: Morris the Epicurean », Consumption, Market and Culture, 1 (2), p. 97-164.

Holbrook M. B. et Hirschman E., 1982, « The Experiential Aspects of Consumption: Consumer Fantasy, Feelings and Fun », Journal of Consumer Research, 9 (2), p. 132-140.

Illouz E., 2006 [2004], Les Sentiments du capitalisme, trad. de l’anglais par J.-P. Ricard, Paris, Éd. Le Seuil.

Illouz E. (dir.), 2019 [2018], Les Marchandises émotionnelles. L’authenticité au temps du capital, trad. de l’anglais par F. Joly, Paris, Éd. Premier Parallèle.

Landowski É., 2006, Les Interactions risquées, Limoges, Presses universitaires de Limoges.

Lipovetsky G., 1989 [1983], L’Ère du vide. Essais sur l'individualisme contemporain, Paris, Gallimard.

Lipovetsky G., 2009 [2006], Le Bonheur paradoxal. Essai sur la société d'hyperconsommation, Paris, Gallimard.

Lippmann W., 2011 [1937], La Cité libre, trad. de l’anglais (États-Unis) par G. Blumberg, Paris, Éd. Les Belles Lettres.

Martin-Juchat F., 2014, « La dynamique de marchandisation de la communication affective », Revue française des sciences de l’information et de la communication, 5. https://doi.org/10.4000/rfsic.1012

Martin-Juchat F., 2015, « Le capitalisme affectif : enjeux des pratiques de communication des organisations », dans S. Parini (dir.), Communications organisationnelles, management et numérique, Paris, Éd. L’Harmattan, p. 59-68.

Martin-Juchat F. et Ménissier T., 2018, « Comment se projeter affectivement dans la modernité radicale : action collective, réflexivité, autonomie », Revue française des sciences de l’information et de la communication, 14. https://doi.org/10.4000/rfsic.4068

Mauss M., 2007 [1923-1924], Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques, Paris, Presses universitaires de France.

Palahniuk C., 1996, Fight Club, New York, W. W. Norton.

Pine II B. J. et Gilmore J. H., 2011 [1999], The Experience Economy, Brighton, Harvard Business Review Press.

Simon H., 1971, « Designing Organizations for an Information-Rich World », dans M. Greeberger (éd.), Computer, Communications and the Public Interest, Baltimore, J. Hopkins Press, p. 37-72.

Sloterdijk P., 2010 [2006], Colère et Temps. Essai politico-psychologique, trad. de l’allemand par O. Mannoni, Paris, Fayard.

Stiegler B., 2019, « Il faut s’adapter ». Sur un nouvel impératif politique, Paris, Gallimard.

Tocqueville A. de, 1835-1840, De la démocratie en Amérique, Paris, C. Gosselin.

Haut de page

Notes

1 Accès : https://www.washingtonpost.com/nation/2018/12/13/she-created-anger-room-combat-violence-then-her-ex-boyfriend-beat-her-death-police-say/ (consulté le 9 juin 2020).

2 Accès : https://www.reuters.com/article/us-japan-stress-dish/dishing-out-anti-stress-therapy-in-tokyo-idUSTRE4BL1AV20081222 (consulté le 9 juin 2020).

3 Par exemple, voir une breaking room lyonnaise. Accès : https://www.facebook.com/RageRoomLyon/ (consulté le 10 juin 2020).

4 Accès : https://www.letemps.ch/societe/rage-room-on-paie-casser (consulté le 10 juin 2020).

5 On pourra trouver quelques exemples de fury rooms aux mises en scène élémentaires à Bruges (accès : https://www.facebook.com/Rageroomwreckit), à Paris (accès : https://www.facebook.com/thefuryroom/) et à Albuquerque (accès : https://abqrage.com ; consultés le 10 juin 2020).

6 L’escape room (ou jeu d’évasion grandeur nature) est un jeu de rôle où les participants doivent le plus souvent s’évader d’une pièce en un temps limité grâce aux indices disséminés dans le lieu. Déclinaisons physiques de jeux vidéo, les escape rooms mettent en général en œuvre une narration et des décors très immersifs.

7 On notera que dans cette dystopie post-atomique, « les ordinateurs domestiques sont équipés d’une unité de surveillance des niveaux d’agressivité dans la maison ». Pour un résumé de cet épisode, voir : http://dreddalert.blogspot.com/2014/04/judge-dredd-aggro-dome.html (consulté le 10 juin 2020).

8 P. Sloterdijk qualifie de « thymotiques » les affects ardents (fierté, colère) par lesquels l’individu vise à faire reconnaître sa valeur. Il les oppose aux affects « érotiques » reposant sur l’idée d’un manque à combler.

9 À ce sujet, voir L. Fournier (2019).

10 On peut penser aux batailles de polochons géants analysées par G. Chartier (2019).

11 U. Eco (1985 : 14) parle de la promesse du « more » récurrente dans la publicité : « Il y en aura plus que vous ne pourrez jamais en désirer, tellement qu’il y en a à jeter ; c’est ça le bien-être ».

12 Site internet d’une fury room à Paris. Accès : https://www.furyroom.fr (consulté le 10 juin 2020).

13 Nous menons actuellement une analyse plus précise de ces commentaires et une enquête à partir de questionnaires afin de confronter le récit empirique des usagers à cette analyse du dispositif.

14 Accès : https://www.mirror.co.uk/news/world-news/driven-blind-rage-donald-trump-10213324 (consulté le 2 mars 2020).

15 Accès : https://www.reuters.com/article/us-japan-stress-dish/dishing-out-anti-stress-therapy-in-tokyo-idUSTRE4BL1AV20081222 (consulté le 10 juin 2020).

16 Accès : https://www.labellemeuniere.fr/spectacles/buffet-a-vif (consulté le 10 juin 2020).

17 « La CoOp 2019 » à La Maison des Métallos (Paris). On trouvera le programme de cette résidence ici : http://labellemeuniere.fr/content/labellemeuniere.fr/4-laboratoires/3-les-coop/pdf-03-mars.pdf (consulté le 10 juin 2020).

18 Accès : https://www.maisondesmetallos.paris/on-detruit-pour-reinventer/la-chambre-de-destruction (consulté le 10 juin 2020).

19 Accès : https://www.liberation.fr/debats/2016/04/12/que-faire-de-nos-coleres_1445686?xtor=rss-450 (consulté le 10 juin 2020).

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Pauline Hachette, « Des dispositifs de captation de la colère ? »Questions de communication, 37 | 2020, 253-273.

Référence électronique

Pauline Hachette, « Des dispositifs de captation de la colère ? »Questions de communication [En ligne], 37 | 2020, mis en ligne le 01 janvier 2023, consulté le 16 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/questionsdecommunication/22982 ; DOI : https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.22982

Haut de page

Auteur

Pauline Hachette

Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, LHE, F 93526 Saint-Denis, France
phachette[at]yahoo.fr

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search