Entre alerte et propositions d’action.Chronique de l’activité de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) en 2022
Résumé
Toujours alarmée par l’accès aux droits et à la protection des justiciables les plus discriminés et isolés, la CNCDH approfondit ces investigations et suggère aux décideurs de nouveaux moyens d’action.
Plan
Texte intégral
1Après avoir été créée en 1947 à l’initiative de René Cassin, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), a fait l’objet d’une consécration législative à l’occasion de l’adoption de la loi du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe, dite Loi Gayssot, qui lui confie son premier mandat de rapporteur national indépendant. Il faut toutefois attendre la loi du 5 mars 2007 relative à la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme pour que celle-ci soit assimilée à une autorité administrative indépendante, sans pour autant que le texte consacre ce statut.
2La CNCDH est chargée de la promotion et de la protection des droits de l’Homme, et exerce à ce titre trois missions principales. La première est de conseiller les pouvoirs publics, notamment à l’aide d’avis, d’études et de rapports. La deuxième est de contrôler le respect par la France de ses engagements internationaux en matière de droits de l’Homme et de droit international humanitaire. La troisième est de sensibiliser et éduquer aux droits humains.
3Composée de 64 membres (associations, juristes, syndicats, universitaires, représentants de religions…), la CNCDH peut être saisie par les parlementaires ou se saisir elle-même sur divers sujets relatifs aux droits de l’Homme, tels que la torture, les droits de l’enfant, le droit au logement, l’éducation ou encore l’esclavage moderne. Elle publie à cet effet des recommandations et s’assure du respect de ces dernières par les pouvoirs publics. Ainsi, entre 2019 et 2022, plus de 40 avis et plus de 20 déclarations ont été adoptés en assemblée plénière sur divers sujets : la lutte contre le racisme, le droit des personnes handicapées ou encore la lutte contre la haine LGBTQI+... Dès 2020 néanmoins, l’activité de la CNCDH s’est concentrée sur la crise sanitaire et son impact sur les droits humains, comme l’accès à la santé, les mesures d’urgence ou les droits fondamentaux des travailleurs.
4En 2022, la CNCDH a rendu une quinzaine d’avis, rapports, enquêtes et déclarations sur des thématiques variées, illustrant l’étendue de son champ de compétence. Elle a ainsi pu approfondir et actualiser ses recherches sur la question des discriminations et des stéréotypes en France (I), s’intéresser à l’effectivité des droits et libertés fondamentaux et à l’accès au droit des justiciables les plus isolés (II), alerter sur la situation du secteur de la santé dans un contexte post-Covid (III) et émettre des avis sur des aspects tant nationaux que transnationaux de l’actualité mondiale (IV).
I/- Un constat alarmant de persistance des discriminations et stéréotypes en France
5En analysant les résultats de trois enquêtes approfondies menées par la CNCDH sur les thématiques du genre, de l’orientation sexuelle et de l’intersexuation (A), du racisme, de l’antisémitisme et de la xénophobie (B) et du handicap (C) en France, celle-ci constate la persistance de discriminations, préjugés et stéréotypes à l’égard de ces publics particulièrement vulnérables. Elle émet par conséquent des recommandations à destination des autorités publiques afin de faire cesser la marginalisation de ces groupes et sanctionner plus efficacement les comportements de haine, de violence et de discrimination dont ils font l’objet dans l’ensemble des espaces de la société.
A/- Rapport “Orientation sexuelle, identité de genre, intersexuation : de l’égalité à l’effectivité des droits” du 17 mai 2022
- 1 Au sein de ses rapports, avis et enquêtes les plus récents, la CNCDH utilise le qualificatif “LGBTI (...)
6Le 24 mars 2022, la CNCDH a adopté son premier rapport sur la lutte contre les LGBTIphobies et l’effectivité des droits des personnes LGBTQI+1, intitulé Orientation sexuelle, identité de genre et intersexuation : de l’égalité à l’effectivité des droits.
7Dans ce rapport, la CNCDH constate tout d’abord une évolution positive du cadre juridique interne relatif aux droits des personnes LGBTQI+, notamment sous l’influence des Nations Unies, du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne. Elle salue notamment l’intégration de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre au sein des 25 critères de discrimination interdits par la loi, l’interdiction des thérapies de conversion ainsi que la sanction des injures, de la diffamation et de la provocation à la haine ou à la violence à l’égard des minorités sexuelles et de genre. L’ouverture aux couples du même sexe du mariage et de la procédure d’adoption et l’accès aux couples de femmes à la procréation médicalement assistée illustre également le renforcement de la protection offerte par le cadre juridique français à l’égard des personnes LGBTQI+. Néanmoins, la CNCDH observe que des discriminations et obstacles juridiques continuent de restreindre l’effectivité des droits des personnes LGBTQI+. Elle regrette notamment l’absence d’interdiction explicite des interventions chirurgicales d’assignation d’un sexe sur les plus jeunes enfants intersexes. Elle déplore en outre la persistance d’obstacles à l’établissement de la filiation des enfants nés de parents transgenres et les restrictions encore nombreuses au changement de la mention du sexe à l’état civil des personnes transgenres.
8En complément de cette analyse juridique, la CNCDH procède également à une étude sociologique de la situation des personnes LGBTQI+ en France, en s’appuyant sur les résultats de son enquête État des lieux de l’hétéronormativité et des préjugés à l’égard des personnes LGBTI en France de 2020. Si elle constate une évolution générale de l’opinion et de l’attitude des populations en faveur d’une plus grande tolérance et acceptation des minorités sexuelles et de genre, cette banalisation ou « gayfriendliness » est à nuancer. En effet, l’hétérosexualité est toujours considérée comme le modèle dominant, naturel et acceptable. Cette hétéronormativité justifie le maintien d’une certaine défiance vis-à-vis d’une visibilité trop importante des personnes LGBTQI+ au sein de la société. La CNCDH constate également la persistance de préjugés et de stéréotypes sur les personnes LGBTQI+, au premier rang desquels figure la croyance selon laquelle l’orientation sexuelle ou la transidentité seraient un choix, ce qui justifierait la marginalisation des personnes les revendiquant.
9La CNCDH s’est également intéressée aux actes hostiles aux personnes LGBTQI+, dont elle déplore la sous-déclaration massive. En effet, 83 % des actes anti-LGBTQI+ ne font l’objet d’aucune plainte et échappent donc à la Justice, une réalité illustrée par l’expression « chiffre noir ». Or, on observe une hausse générale des actes anti-LGBTQI+ et une surexposition de ces minorités aux faits de violence et de harcèlement, et ce particulièrement dans le milieu scolaire et la sphère intrafamiliale. Afin d’améliorer la prise en compte et la sanction de ces actes anti-LGBTQI+, la CNCDH recommande l’établissement de statistiques mettant davantage en exergue les motifs de haine à l’origine des infractions. Elle demande en outre l’allocation de moyens financiers et humains pour assurer les enquêtes pénales et les poursuites portant sur ces faits. Elle propose aussi de lutter contre le « chiffre noir » en améliorant la formation des professionnels et en rendant le processus de dépôt de plainte plus sûr et accessible.
10Enfin, la CNCDH constate une surexposition des personnes LGBTQI+ aux discriminations dans l’éducation, l’accès aux soins, le monde du travail, l’accès à la justice, la prison, la culture et l’audiovisuel. Elle met ainsi en exergue l’impact néfaste de ces actes de violence, de discrimination et de harcèlement sur leur santé mentale. À ce titre, elle recommande un renforcement des moyens financiers alloués à la lutte contre toutes les formes de discrimination. Elle propose également de mettre en place des études approfondies et des politiques spécifiques dans chacun de ces secteurs afin d’identifier, quantifier et sanctionner de manière plus efficace les actes de discrimination. Elle insiste particulièrement sur la nécessité de former et sensibiliser les professionnels, d’informer toutes les personnes amenées à intervenir de manière directe ou indirecte et d’accompagner les victimes pendant toutes les étapes du processus de lutte contre les discriminations.
B/- Rapport sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie du 18 juillet 2022
11Le 18 juillet 2022, la CNCDH a publié un Rapport sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, réalisé sous la supervision de la sous-commission « Racisme, discriminations et intolérance ». La CNCDH y formule des recommandations afin de lutter plus efficacement contre les préjugés et les actes de haine, de discrimination et de violence fondés sur ces motifs. À cette occasion, la CNCDH a calculé l’indice longitudinal de tolérance à l’Autre, créé par Vincent Tiberj, chercheur à Sciences Po. Si cet indice met en lumière une évolution positive de la tolérance à l’Autre, la CNCDH s’inquiète de la persistance de préjugés et d’actes racistes, antisémites et xénophobes, dont elle souligne l’intensité et la récurrence dans la société.
12Afin de comprendre l’importance des préjugés encore présents au sein de la société française, la CNCDH recourt à différentes techniques et outils de mesure. Tout d’abord, elle utilise le « Baromètre Racisme », qui se fonde sur un échantillon représentatif des Français. Selon ce dernier, une personne sur quatre déclare être descendante d’une personne étrangère. La CNCDH analyse également les statistiques provenant des ministères de la Justice, de l’Éducation nationale et de l’Intérieur, ainsi que les données collectées par les signalements « PHAROS ». Ces sources de données, tant quantitatives que qualitatives, lui permettent d’évaluer « les perceptions et les attitudes vis-à-vis du racisme [...] analyser les opinions des Français à l’égard de l’autre, et [...] essayer de comprendre les logiques sous-jacentes à l’apparition et à la prégnance de certains préjugés » (p. 26).
13Dans son rapport, la CNCDH insiste tout d’abord sur l’existence d’un contexte social difficile, qui instaure un climat « plutôt propice à la défiance » (p. 28). Si elle constate une baisse générale du conservatisme moral, du niveau de racisme perçu et des opinions discriminantes, elle relève que 52% des Français estiment encore que de nombreux étrangers viennent en France pour profiter de la protection sociale et 35% considèrent que l’immigration est la principale source d’insécurité. Une tolérance accrue n’empêche ainsi pas les actes racistes et xénophobes d’augmenter, qu’il s’agisse d’actions ou de simples menaces. Dans son étude, la CNCDH met également en valeur la condamnation claire des attitudes discriminatoires. Cependant, les préjugés à l’égard des Juifs, Roms et musulmans continuent d’être tenaces. En effet, 66% des Français considèrent que « les Gens du voyage forment un groupe à part dans la société » (p. 36). La CNCDH alerte sur le fait que l’ampleur de ces préjugés racistes et antisémites est liée au contexte politique général. En effet, les crises économiques et sociales ont souvent pu fournir un terreau favorable à l’émergence de préjugés racistes et xénophobes, ce qu’illustre la fluctuation de l’indice longitudinal de tolérance au cours du temps.
- 2 Campagne nationale de promotion de la laïcité à l’école lancée par le ministère de l’Éducation nati (...)
14La CNCDH dénonce ensuite des défaillances dans la qualité du recueil des données ainsi que dans le choix de la nomenclature, qui constituent selon elle un réel frein dans la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. Elle explique dans ce rapport que ces obstacles sont dus à la fois à la qualité de la formation du personnel qui recueille ces données, mais aussi à la réticence des victimes à porter plainte. Face à ce constat, la CNCDH invite tout d’abord les autorités publiques à mettre en place des campagnes de sensibilisation efficaces ainsi qu’une évaluation de ces campagnes afin de mesurer leur réel impact sur la population. Elle rappelle à ce titre la nécessité de construire des campagnes nuancées, en réaction notamment à la campagne gouvernementale « C’est ça la laïcité »2, qui avait fait l’objet de controverses. La CNCDH insiste ensuite sur l’urgence d’une meilleure formation des professionnels dans l’ensemble des secteurs. Elle cite notamment le milieu scolaire et universitaire, particulièrement en ce qui concerne les problématiques de haine en ligne. La CNCDH mentionne en outre le cas des forces de l’ordre, pour lequel elle préconise une meilleure formation sur les questions relatives au contentieux raciste, tout en apportant une attention spécifique aux contrôles d’identité. Concernant plus généralement la discrimination au travail, la CNCDH recommande la mise en place de testing fréquents ainsi qu’une meilleure exploitation des données afin de mieux sensibiliser les entreprises.
15La CNCDH s’intéresse enfin à la difficile accessibilité à la justice pour une victime d’un acte raciste, antisémite ou xénophobe. À ce titre, elle préconise de mieux écouter les victimes et de faciliter le dépôt de plainte, notamment de manière dématérialisée. Elle recommande également de mentionner au sein des plaintes le caractère discriminatoire de l’infraction dénoncée ainsi que le motif sur lequel celle-ci se fonde. Enfin, elle alerte sur les abus de la pratique des mains courantes se traduisant par un phénomène de refus de plainte, particulièrement néfaste en termes d’accès au droit des victimes.
C/- Enquête sur les préjugés et stéréotypes à l’égard du handicap en France du 15 avril 2022
16Le 15 avril 2022, la CNCDH a publié son Enquête sur les préjugés et stéréotypes à l’égard du handicap en France. Dans l’attente de la publication d’un rapport définitif prévu pour 2023, le rapport qui en résulte dresse un panorama de l’état de la persistance des stéréotypes liés au handicap. La CNCDH s’appuie sur une méthode quantitative menée par des questionnaires auto-administrés dont les données ont été recueillies par l’institut Harris Interactive. L’objectif principal de la CNCDH est de cerner les principales tendances qui animent la pensée des Français sur la question du handicap. Ces recherches interviennent dans un contexte législatif encourageant en matière de lutte contre les discriminations. Néanmoins, les résultats de l’enquête font état de la continuité des discriminations, de fortes inégalités et d’une marginalisation persistante des personnes en situation de handicap. La CNCDH encourage ainsi les autorités publiques et la société française à revoir et à interroger leur perception du handicap.
17L’un des premiers objectifs de la CNCDH dans ce rapport est par conséquent de faire évoluer le regard sur le handicap. Pour y parvenir, la CNCDH estime qu’il est nécessaire d’identifier et, in fine, de mieux appréhender les différentes postures des individus face à celui-ci. Elle insiste ainsi sur l’importance de la sensibilisation de l’ensemble des parties prenantes aux enjeux du handicap. Une meilleure connaissance permettrait en effet de renforcer la lutte contre les préjugés, mais également d’aboutir à des politiques publiques plus protectrices et adaptées.
18À cette fin, le rapport insiste tout d’abord sur l’importance d’éclairer le public sur la définition et la réalité vers laquelle renvoie l’emploi du mot « handicap ». Selon la CNCDH, le handicap recouvre un ensemble de réalités et d’expériences vécues, en lien avec une déficience fonctionnelle durable, voire permanente, marquée par une diversité d’origines (génétique, acquise, congénitale, etc.) et de formes (sensorielle, physique, psychique, mentale, etc.). Il est donc le produit de l’interaction entre un individu porteur d’un déficit fonctionnel et d’un environnement qui ne lui est pas adapté. L’enquête s’est alors intéressée à la notion de familiarité avec l’expérience du handicap, qui désigne le fait de fréquenter de manière plus ou moins régulière des personnes en situation de handicap ou bien d’être soi-même porteur d’une déficience, reconnue ou non par l’administration. Cependant la représentation médiatique des personnes handicapées reste encore très faible.
19L’enquête rapporte ensuite que les personnes souffrant d’un handicap sont particulièrement exposées aux discriminations et violences, et ce de manière bien plus marquée que les personnes valides. Par exemple, 18% des personnes en situation de handicap ont été victimes de rejet en raison du sexe ou du genre, contre 10% chez les personnes valides. De plus, parmi les jeunes déclarant avoir subi une discrimination au cours de leur vie, les jeunes en situation de handicap sont huit fois plus nombreux. L’étude prend également en compte la perception de soi en tant que personne handicapée, et relève que celle-ci dépendrait en réalité de la visibilité du stigmate. Plus celui-ci est apparent, plus la personne risque d’être exposée à des actes discriminatoires. Il semble en outre que la situation professionnelle de la personne handicapée ait un impact significatif sur le niveau de discrimination qu’elle peut subir. Les personnes handicapées sans activité professionnelle sont en effet les plus sujettes aux discriminations. Cela s’explique notamment par l’impossibilité de facto pour certaines personnes handicapées de travailler en raison de déficiences particulièrement graves dont elles seraient atteintes.
20La CNCDH évoque en outre la question de la place sociale des personnes en situation de handicap, tant dans la sphère professionnelle que familiale. Dans la sphère professionnelle, on observe une réticence particulière à l’idée de travailler avec des personnes en situation de handicap. En ce qui concerne la vie familiale, les personnes sondées considèrent qu’il est possible de concilier parentalité et vie conjugale avec le handicap, mais que cela reste difficile. À cet égard, de nombreux Français disent percevoir le handicap comme un obstacle à la vie sexuelle. L’enquête questionne également la perspective d’avoir un enfant atteint de handicap. Si l’opinion va majoritairement dans le sens du soutien d’un tel projet familial, une partie des personnes interrogées exprime une forme de rejet ou de doute. L’enquête aborde en outre l’épineuse question de l’intégration des enfants handicapés en milieu scolaire. Ou encore, la CNCDH dresse un constat alarmant au sujet de la vie civique et citoyenne, puisqu’un tiers des Français se dit favorable à une restriction des droits pour les personnes en situation de handicap.
21Pour finir, le rapport s’intéresse au regard que les Français portent sur le handicap. Celui-ci est généralement perçu comme une difficulté, une souffrance. Cependant, la CNCDH s’inquiète d’une stigmatisation de la déficience individuelle qui tend à la transformer en déficience sociale. En effet, en se focalisant sur le handicap, la population tend à invisibiliser la personne et à la priver de la capacité de trouver sa place dans la société. Cela se justifie par l’omniprésence de l’idée de « tragédie » ou de « malheur » sous-jacente au handicap dans l’imaginaire des Français.
22Les enjeux individuels et politiques qui planent sur la situation des personnes en situation de handicap sont donc multiples. Ils reposent à titre principal sur la reconnaissance de leur place dans la société et la lutte contre leur exclusion. Mieux comprendre et connaître le handicap permettra d’apporter des réponses adéquates et de mieux lutter contre les stéréotypes.
II/- Une nécessité de renforcer l’effectivité des droits et libertés et l’accès au droit des justiciables les plus isolés
23Le 24 mars 2022, la CNCDH publiait deux avis portant sur le respect et les moyens de défense des droits fondamentaux des justiciables les plus isolés. Elle s’est tout d’abord intéressée à la lutte contre les non-recours afin de garantir un meilleur accès des justiciables au droit (A). Elle s’est ensuite focalisée sur la situation particulière des garanties des droits fondamentaux des personnes détenues (B).
A/- Avis sur l’accès aux droits et les non-recours du 24 mars 2022
24Dans son Avis sur l’accès aux droits et les non-recours, la CNCDH rappelle « l’inutilité de créer des droits sans mise en œuvre effective » (p. 2) et constate la persistance de nombreuses difficultés dans l’accès aux droits des justiciables.
25Afin de garantir l’effectivité des droits et face au faible taux de recours, la CNCDH recommande tout d’abord de repenser les politiques publiques, tout particulièrement de lutte contre les préjugés et les discriminations. Elle interpelle donc l’administration en rappelant que le défaut de connaissances en matière d’accès au droit ne doit plus jouer en faveur de celle-ci, qu’il est de sa responsabilité de garantir aux citoyens le plein accès à leurs droits. La CNCDH recommande également d’évaluer le dispositif d’accès au droit et de mettre en place un processus de reconstruction de celui-ci, qui accorderait une place centrale aux justiciables.
26La CNCDH propose en outre de repenser l’accès au droit en simplifiant les démarches. À ce titre, l’information des justiciables est primordiale. Ceux-ci doivent être en mesure de disposer de toutes les informations leur permettant de garantir et défendre au mieux leurs droits. En complément, les agents accompagnant les justiciables dans leurs démarches doivent également être bien formés et informés. Il est en effet indispensable que les professionnels puissent identifier et comprendre au mieux les besoins des justiciables afin de les orienter efficacement en adoptant une démarche davantage centrée sur la prise en considération des aspects humains. La CNCDH recommande également la mise en place d’ un « référent émotionnel » ou « tiers taisant » (p. 18) qui s’occuperait d’accompagner la personne et de restituer sa parole. Elle demande en outre la mise en place d’une base d’informations commune aux différentes démarches et suggère de faire peser sur les administrations et les institutions publiques la responsabilité́ de vérifier, à l’occasion d’une décision de rejet d’une demande, si un autre fondement ou une autre procédure est plus adapté à la situation du justiciable.
27Enfin, la CNCDH insiste sur l’absolue nécessité d’un suivi qualitatif des dossiers. Le droit à l’erreur doit être respecté et ne doit pas permettre à l’administration de faillir à son devoir de garantie des droits des justiciables. Lorsqu’elle est à l’origine de l’erreur, l’administration doit garantir une réparation rapide et correspondant au préjudice subi. En outre, l’individu doit être régulièrement informé de l’avancée des démarches. Pour cela, la CNCDH recommande d’étendre le principe selon lequel « le silence gardé par l’administration vaut acceptation » (p. 26). Pour finir, la CNCDH insiste sur l’importance de la création d’outils numériques adaptés aux situations et aux personnes. Elle évoque à ce titre la pertinence des plateformes au fonctionnement simplifié et adapté à n’importe quel support numérique, qu’il s’agisse de tablettes, d’ordinateurs ou de smartphones. L’objectif est ainsi de faciliter l’accès aux démarches, recours et informations utiles sur les droits des justiciables afin de garantir une meilleure effectivité de la protection de leurs droits et libertés fondamentaux.
B/- Avis sur l’effectivité des droits fondamentaux en détention du 24 mars 2022
28Dans son Avis sur l’effectivité des droits fondamentaux en détention, la CNCDH alerte sur les conditions de détention au sein des établissements pénitentiaires français et sur les atteintes portées aux droits fondamentaux des personnes détenues. Elle y formule des recommandations à l'intention des pouvoirs publics dans l’objectif de « renforcer le respect des droits fondamentaux des personnes détenues et de repenser les politiques pénales et pénitentiaires de l’entrée à la sortie de détention » (p. 2).
29Malgré de nombreux mécanismes, institutions et autorités administratives de vigilance, les atteintes aux droits et libertés fondamentaux des personnes détenues perdurent, non seulement en raison de leur extrême dépendance à l’égard de l’administration, mais aussi, et surtout, de la surpopulation carcérale. Cette surpopulation, qui peut être reliée à la multiplication de nouveaux délits punissables d’une peine privative de liberté et à la faiblesse des voies alternatives à l’incarcération, est un facteur puissant d’irrespect de toute intimité, de hausse des conflits entre détenus ainsi que d’une dégradation importante des conditions de travail du personnel pénitentiaire. Il faut ajouter à cela de nombreuses nuits passées au sol, en raison du non-respect du principe de l’encellulement individuel.
30Face à ce constat alarmant, la CNCDH recommande le recours à des mesures immédiates de libération pour réduire la pression carcérale. Elle rappelle en effet que le placement en détention doit intervenir en dernier recours. Pour cela, elle appelle à favoriser les alternatives à l’emprisonnement et les aménagements de peine ainsi qu’à favoriser la sortie, l’accompagnement et la réinsertion des détenus. Elle demande également de mettre un terme à la construction de nouvelles places en prison. Elle rappelle en outre que la vétusté et l’insalubrité des lieux de détention méconnaissent le principe de dignité de la personne humaine et sollicite leur réhabilitation ainsi que l'augmentation du budget alloué à l’entretien et aux conditions de détention. Enfin, elle réclame que le nombre d’agents pénitentiaires soit augmenté afin d’entrer en adéquation avec le nombre de détenus.
31Dans son avis, la CNCDH dénonce également les nombreuses atteintes au droit à la santé des détenus. Elle constate en effet que de nombreux rendez-vous médicaux n’ont pu être réalisés en raison du manque de personnel permettant d’assurer le transport des détenus jusqu’aux établissements médicaux. En outre, la CNCDH insiste sur la nécessité de proposer aux détenus un accès effectif et rapide aux soins somatiques et psychologiques. Elle recommande le développement d’un suivi psychiatrique et psychologique ainsi que d’un programme de sensibilisation des acteurs intervenant en milieu carcéral en matière de santé. Elle préconise la mise en place d’une politique de réduction des risques en détention ainsi qu’un encadrement plus digne de la fin de vie en prison.
32La CNCDH appelle en outre à garantir le respect du droit à la vie privée et familiale, en généralisant les unités de vie familiale, en améliorant les conditions matérielles d’accueil des parloirs, en diminuant le coût des appels téléphoniques et en garantissant une dotation minimale afin de lutter contre l’isolement. Le droit à la réinsertion doit ainsi être garanti par un parcours individualisé en détention. Pour cela, elle encourage le développement d’activités à l’intérieur des prisons ainsi qu’un accès à internet encadré. Elle préconise également de rapprocher le régime du droit du travail en détention du régime de droit commun.
33La Commission rappelle enfin que l’accès au droit et le respect des droits de la défense, bien que rendus difficiles par la détention, sont primordiaux. L’accès aux voies de recours, seul mécanisme permettant de dénoncer des conditions de vie indignes en détention, doit à cet égard être effectif pour garantir l’écoute du détenu dans son quotidien carcéral.
III/- Une situation alarmante du secteur de la santé dans un contexte post-crise sanitaire
34Dans ses deux avis publiés le 17 février 2022, la CNCDH dénonce les dysfonctionnements du système de santé actuel, notamment en matière de fin de vie (A) et plus généralement en matière d’égal accès (B). Elle dénonce un système sous tension reposant sur une logique davantage économique qu’humaine, et ce particulièrement depuis la crise sanitaire. La CNCDH recommande par conséquent aux autorités publiques d’allouer les moyens financiers et de personnel suffisant afin de garantir aux personnes un accès égal aux soins et le respect de la dignité humaine.
A/- Avis “Mieux accompagner la fin de la vie à la lumière des enseignements de la crise sanitaire” du 17 février 2022
35Dans un avis du 17 février 2022, la CNCDH s’est prononcée sur l’accompagnement de la fin de la vie, et des enseignements à tirer de la crise sanitaire de la Covid-19 sur le sujet. La CNCDH rappelle la distinction entre les notions de « fin de la vie » de « fin de vie ». La première consiste à accompagner les personnes en fin de vie ainsi que leurs proches, en fournissant les soins les plus adaptés, considération prise de leur volonté. La seconde est relative à des dispositifs encore interdits en France qui consistent à aider les personnes à mettre fin à leur vie selon leurs souhaits. La CNCDH se concentre ici sur la première notion, en explicitant que « les pratiques non reconnues dans notre pays que sont l’euthanasie et les différentes formes de suicide assisté […] mériteraient une autre étude approfondie » (p. 6).
- 3 Au sein de ses rapports et avis les plus récents, la CNCDH utilise l’expression “la Covid”
36La crise sanitaire a tout d’abord mis en exergue les failles du système de santé français actuel, notamment sur l’aspect de la fin de la vie. La CNCDH se montre très critique vis-à-vis de la gestion de la crise par le gouvernement qui a adopté des mesures extrêmement coercitives, telles que l’interdiction pour les proches de personnes atteintes du Covid3 de venir leur rendre visite à l’hôpital lorsque leur pronostic vital était engagé ou même de leur organiser des obsèques. La CNCDH qualifie ces mesures d’attentatoires aux droits fondamentaux des personnes, et particulièrement au droit au respect de la dignité humaine. Elle dénonce également leur caractère disproportionné, car, selon elle, des mesures alternatives plus respectueuses des personnes auraient pu être prises.
37La CNCDH critique ensuite les restrictions financières et en personnel imposées au secteur de la santé, particulièrement au sein de l’hôpital public. Durant la crise du Covid, le manque de place et de temps a conduit le personnel hospitalier à effectuer des tris parmi les patients, notamment en réanimation. La CNCDH observe à cet égard une recrudescence du phénomène de l’âgisme, qui consiste à discriminer les personnes âgées dans le secteur de la santé et à considérer que les soigner se ferait au détriment d’autres patients plus urgents. Le manque de moyens mène également à une prise en charge insuffisante des patients par le personnel soignant qui, débordé, se limite désormais à prodiguer les soins les plus urgents et délaisse l’écoute et le dialogue avec les patients. Pourtant, cette phase cruciale permet une bonne information du patient, qui peut donc faire des choix éclairés sur le traitement qu’il s’apprête à suivre, et finir sa vie dans des conditions plus respectueuses de sa volonté.
38Subsiste enfin un fort tabou autour de la fin de la vie dans un système où mourir, c’est échouer. La CNCDH invite à briser ce silence et à créer un débat public sur la question afin de sensibiliser la population et favoriser l’anticipation de la fin de la vie. Il s’agit avant tout d’aider la personne et ses proches à appréhender l’épreuve le plus sereinement possible. La CNCDH recommande donc une augmentation des moyens octroyés à l’hôpital afin de garantir un accompagnement de qualité des personnes en fin de vie, de développer les soins palliatifs dans des structures spécialisées, mais également à domicile, et de fournir un accompagnement psychologique aux proches ainsi qu’aux soignants confrontés à la fin de la vie.
B/- Avis sur les inégalités sociales de santé du 17 février 2022
- 4 Santé publique France, Les inégalités sociales et territoriales de santé, 17 mai 2021. Accessible e (...)
39Le 17 février 2022, la CNCDH adoptait un avis portant sur les inégalités sociales de santé (ISS) définies par l’Agence nationale de la santé comme des « différences systématiques, évitables et importantes dans le domaine de la santé »4. La CNCDH reprend cette définition, et se concentre sur la notion de systématisation. Selon elle, la première erreur faite en matière d’ISS est de les réduire aux simples comportements individuels des personnes, selon qu’elles prennent ou non des risques ou qu’elles fassent suffisamment attention à leur santé par exemple. Or, si le comportement des individus est une variable à prendre en compte, l’ISS s’inscrit également dans un cadre plus large qui comprend le milieu de vie, les différents systèmes de la société (éducatif, social, de santé) et enfin le contexte économique et politique global. Les ISS dépendent ainsi de déterminants sociaux multiples et interdépendants, qui s’aggravent mutuellement. Une difficulté d’accès à l’éducation peut par exemple conduire à une difficulté d’accès à l’emploi, ce qui augmente les risques d’un emploi précaire, conduisant souvent à un logement insalubre et, in fine, à un mauvais état de santé. Dès lors, les ISS sont un problème social et non simplement individuel. Leur appréhension doit donc être globale et transversale, fondée sur une prise en compte de l’intégralité des déterminants sociaux et des spécificités de chaque individu, afin d’élaborer des politiques publiques dédiées à la réduction de telles inégalités.
40La CNCDH explique à cet égard que les ISS sont un phénomène encore peu reconnu et qui ne fait pas l’objet de suffisamment d’études. Elle dénonce en ce sens le manque de cohérence et d’intelligibilité des dispositions en matière de santé, produites par les différents ministères. Elle attire l’attention sur le fait que 40 à 50% de la population n’est pas en mesure de bien comprendre et d’utiliser les informations liées à la santé. L’accès à la santé se révèle ainsi particulièrement difficile pour les populations précaires, comme les étrangers, les personnes analphabètes ou les personnes sans domicile fixe.
41La CNCDH critique également, comme elle a pu le faire à plusieurs reprises dans des publications précédentes, le manque crucial de moyens financiers et humains dont souffre le secteur de la santé, et notamment l’hôpital public. Cela conduit à un manque de formation du personnel soignant sur la gestion des ISS et donc à une stigmatisation aggravée de certaines populations. Ce manque de moyens tend en outre à entraver la démarche de prévention et de promotion de la santé. Le système français se retrouve ainsi centré sur la dimension curative, avec des actes coûteux qui viennent, encore une fois, exclure les populations les plus pauvres.
42Afin de remédier à cette situation problématique, la CNCDH préconise de créer une délégation interministérielle qui permette un meilleur dialogue entre les différents ministères ainsi qu’avec les élus locaux. Elle appelle également à collecter davantage de données sur les ISS pour pouvoir élaborer des politiques de santé publique plus complètes et de faire participer les usagers de la santé à ce processus. Enfin, elle recommande de repenser intégralement la stratégie de communication dans le domaine de la santé afin qu’elle soit davantage accessible, précise et inclusive.
IV/- Un engagement ambitieux de la CNCDH à l’égard des aspects nationaux et transnationaux de l’actualité mondiale
43En se prononçant à la fois sur la situation de ressortissants français détenus en Syrie (A), sur le conflit armé entre la Russie et l’Ukraine (B) et sur la directive européenne portant sur le devoir de vigilance des entreprises (C), la CNCDH adopte une position audacieuse en intimant à l’État français de s’impliquer davantage au niveau international. Elle interpelle le gouvernement et encourage une prise d’initiative de la France, d’une part, pour le rapatriement des ressortissants français, et d’autre part, pour l’accueil des réfugiés ukrainiens. Sur un autre plan, elle préconise une surveillance accrue des actions des entreprises aux niveaux européen et international en matière environnementale.
A/- Avis sur le jugement des ressortissants français détenus dans le Nord-Est syrien du 17 février 2022
44Dans son avis du 17 février 2022, la CNCDH s’intéresse à une soixantaine de ressortissants français détenus dans des camps ou centres pénitentiaires contrôlés par l’administration autonome du Nord-Est syrien depuis au moins mars 2019, et en attente d’un jugement.
45La CNCDH relève tout d’abord que cette situation dure depuis maintenant 3 ans, ce qui porte gravement atteinte au droit à être jugé dans un délai raisonnable. Elle s’appuie sur les travaux de la Commission d’enquête des Nations Unies sur la Syrie, qui établissent que les personnes détenues en Syrie sont dans une situation de flou juridique et sont donc exposées à une détention sans limite de durée. La CNCDH relève également que ces personnes se trouvent dans des lieux d’enfermement inadéquats dans lesquels elles font l’objet de traitements inhumains et dégradants. Elle dénonce en outre l’absence d’accès à des soins médicaux.
46La CNCDH demande ensuite le rapatriement des détenus français pour qu’ils soient jugés en France. À ce titre, elle rappelle la situation sécuritaire très instable dans le Kurdistan syrien, plusieurs centres de rétention faisant l’objet d’attaques de djihadistes de différentes nationalités en vue d’obtenir l’évasion de certains d’entre eux. La CNCDH révèle en outre des violations aux articles 9§3 du Pacte international des droits civils et politiques et 5§3 de la Convention européenne des droits de l’Homme qui garantissent le droit d’être jugé dans un délai raisonnable. Or, il existe plusieurs obstacles qui empêchent en l’occurrence un jugement par des juridictions internationales.
47D’abord, s’agissant de la Cour pénale internationale, la CNCDH constate qu’elle n'est compétente qu’en matière de crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre. La dimension terroriste n’est donc pas prise en compte par cette juridiction. Concernant ensuite la constitution d’un tribunal pénal international ad hoc par le Conseil de sécurité des Nations Unies, les États membres font face au droit de véto exercé par la Russie : un tel projet prendrait de toute façon des années à se réaliser, ce qui aggraverait l’atteinte portée aux droits des Français détenus en Syrie. Quant à la possibilité d’un jugement par les autorités du Nord-Est syrien, cela semble tout aussi difficile. En effet, même si l’administration autonome du Nord-Est syrien avait cette ambition, elle manque de moyens. De plus, aucune assistance n’a été apportée par la communauté internationale malgré les demandes en ce sens. En tout état de cause, les magistrats feraient face à des difficultés matérielles et juridiques. La CNCDH rejette enfin l’ambition du gouvernement français de juger les détenus par les tribunaux irakiens. Si cela a déjà été fait en février 2019, il ne s’agit pas d’une solution acceptable, dès lors que les détenus avaient été condamnés en mai et juin 2019 à des peines de mort par la Cour pénale centrale de Bagdad, et ce dans un contexte d’absence des garanties minimales du procès équitable.
48La CNCDH conclut alors en expliquant que la France a la compétence de rapatrier ces détenus français en vue de les juger sur le fondement de l’article 113-13 du Code pénal, qui dispose que « La loi pénale française s’applique aux crimes et délits qualifiés d’actes de terrorisme et réprimés par le titre II du livre IV commis à l’étranger par un Français ou une personne résidant habituellement sur le territoire français » : d’autant que ces détenus font l’objet d’un mandat d’arrêt international dont « l’objectif est de les traduire devant la justice française » (pp. 6-7). Le rapatriement des détenus est, selon la CNCDH, le seul moyen compatible avec les exigences des droits de l’Homme et avec la situation sécuritaire au Moyen-Orient et en Europe. Elle recommande donc à la France de procéder à un rapatriement le plus rapide possible de ses nationaux et rappelle que le jugement des personnes concernées est la seule manière de lutter efficacement contre l’insécurité et l’impunité.
B/- Déclaration “Agir en solidarité avec l’Ukraine contre les violations du droit international résultat de l’agression russe” du 17 mars 2022
49Le 17 mars 2022, la CNCDH a adopté, en assemblée plénière, une déclaration sur les violations du droit international résultant de l’agression russe à l’encontre de l’Ukraine.
50À l’occasion de cette déclaration, la CNCDH demande tout d’abord le respect du droit international et le retrait immédiat des forces russes en Ukraine. Elle rappelle que l’agression russe constitue une violation de l’article 2§4 de la Charte des Nations Unies et que les États sont tenus d’opter pour des règlements pacifiques des différends et de respecter l’intégrité territoriale des autres États membres. Par ailleurs, le 2 mars 2022, l’assemblée générale des Nations Unies a adopté une résolution dite Agression contre l’Ukraine, dans laquelle elle demande la cessation immédiate du recours à la force par la Russie et exprime une ferme condamnation de toutes les violations du droit international humanitaire et des droits humains. La CNCDH note également que l’agression russe contre l’Ukraine constitue une violation des normes, principes et engagements de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, dont la Russie fait partie. Elle rappelle en outre que le comité des ministres du Conseil de l’Europe a condamné cette agression sur le territoire souverain de l’Ukraine alors que, depuis le 16 mars 2022, la Fédération de Russie n’est plus membre de ce Conseil. La CNCDH mobilise à l’appui de son propos les condamnations répétées de cette agression par diverses organisations internationales ainsi que les sanctions, notamment économiques, infligées par celles-ci à la Russie.
51La CNCDH rappelle ensuite les grands principes du droit international humanitaire en mentionnant les quatre Conventions de Genève du 12 août 1949. Elle se montre particulièrement inquiète des menaces d’emploi d’armes chimiques et condamne l’emploi de bombes à sous-munitions. Elle dénonce également les conséquences lourdes sur les civils et sur l’environnement d’attaques ciblant des centrales nucléaires et autres sites sensibles. La CNCDH fait part de son souhait de préserver un espace humanitaire neutre, impartial et indépendant et appelle toutes les parties au conflit à respecter les obligations découlant du droit international humanitaire. Dans sa déclaration, elle demande ainsi à la France de réitérer ses appels aux protagonistes à respecter les dispositions de ce droit et ses interdictions.
52La CNCDH relève par ailleurs que le procureur de la Cour Pénale Internationale (CPI) s’est déjà saisi de l’affaire en ouvrant une enquête. Le Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies a également créé une commission d’enquête internationale indépendante dans le but d’identifier les personnes et entités responsables de violations ou d’atteintes aux droits de l’Homme ou au droit international humanitaire dans le cadre de ce conflit, afin que celles-ci soient tenues responsables. La CNCDH se réjouit de ces initiatives, car elle souhaite mettre un terme à l’impunité. Elle enjoint à cet effet à la France de collaborer avec la CPI afin de permettre le bon fonctionnement de la justice pénale internationale. Mais surtout, la CNCDH encourage le gouvernement français à poursuivre ses efforts pour assurer l’accueil et la protection de toutes les personnes exilées en raison de ce conflit armé. Elle insiste sur la nécessité de mettre en place des moyens pour assurer la sécurisation des déplacements des personnes et demande aux autorités françaises d’assurer un accueil sans « restriction aucune de toutes les personnes fuyant l’Ukraine, quelles que soient leur nationalité et leur situation administrative, comme le prévoient l’article 7 de la directive et l’article L581-7 du Ceseda » (p. 3).
53La CNCDH s’interroge également sur la situation des demandeurs d’asile en Ukraine qui devront faire une nouvelle demande dans un autre pays, dès lors que le règlement Dublin est difficilement applicable. Elle appelait la France, alors qu’elle était à la présidence du Conseil de l’Union européenne, à assurer le suivi de la mise en œuvre de la directive relative à la protection temporaire. Sur ce sujet, la CNCDH rappelle que l’hébergement des populations déplacées d’Ukraine ne doit pas se faire au détriment des autres demandeurs d’asile. Elle insiste également sur la protection et l’aide psychologique qui doivent être apportées aux enfants, aux personnes âgées et aux personnes en situation de handicap. Elle recommande en ce sens à la France de renforcer les liens de coopération existants avec les pays frontaliers de l’Ukraine et les autres pays d’accueil tout particulièrement afin de lutter contre la traite des êtres humains. Quant aux ressortissants déjà en France provenant d’Ukraine, de Russie ou de Biélorussie, elle demande un réexamen de leur situation au titre du « changement de circonstances » (p. 4) par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). La CNCDH souligne que la solidarité avec la population d’Ukraine s’accompagne d’un soutien aux acteurs de la société civile russe et biélorusse qui œuvrent pour la défense des droits de l’Homme et la paix.
54Enfin, la CNCDH annonce qu’elle restera vigilante en tant que membre de réseaux internationaux pour promouvoir les initiatives visant à renforcer les capacités des différents acteurs œuvrant pour la protection et la promotion des droits de l’Homme en Russie et en Biélorussie.
C/- Déclaration pour une directive ambitieuse de l’UE sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de droits de l’Homme et d’environnement dans les chaînes de valeur mondiales du 24 mars 2022
55Dans sa déclaration du 24 mars 2022, adoptée à l’unanimité, la CNCDH salue la publication par la Commission européenne d’une proposition de directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité en date du 23 février 2022.
56Cette proposition de directive s’inscrit dans un contexte favorable à l’édiction de normes visant à réglementer les comportements des entreprises au regard des droits humains et environnementaux, comme l’illustre la loi n°2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre. Si cette législation française est innovante et bienvenue, la CNCDH rappelle qu’une réforme aux niveaux européen et international reste le levier le plus pertinent pour réglementer les activités des entreprises multinationales. La proposition de directive européenne constitue en ce sens la première pierre de cet édifice juridique en faveur d’un développement durable et d'une harmonisation des règles en matière de transition écologique et de concurrence loyale.
57Néanmoins, la CNCDH relève des lacunes dans cette proposition de directive. Elle s’inquiète de l’effectivité des droits et obligations promus dans ce texte.
- 5 Considérant 25 de la proposition de directive
58La CNCDH recommande tout d’abord d’élargir le champ d’application de la directive. En effet, elle regrette que le texte se contente de viser les plus grandes entreprises européennes et les pays tiers au regard de leur chiffre d’affaires et des secteurs à fort impact dans lesquels ils interviennent. Cela mène en effet à exclure 99 % des entreprises domiciliées au sein de l’Union européenne. La CNCDH sollicite en conséquence une réglementation égalitaire de la responsabilité des entreprises, quels que soient leur secteur d’activité et leur taille. Elle propose également d’appliquer un contrôle plus strict des activités les plus risquées, et ce sans délai, et d’étendre le champ de la directive au secteur financier. Concernant les droits couverts par la directive, le texte impose une obligation de vigilance aux entreprises quant aux incidences négatives de leurs activités susceptibles de constituer une violation de droits consacrés par les textes internationaux listés dans l’annexe du texte. Or, la CNCDH juge cette liste incomplète et souligne par exemple l’absence de référence à l’Accord de Paris. Elle dénonce une « approche sélective » (p. 4) et une hiérarchisation arbitraire des droits couverts, qui seraient contraires à l’indivisibilité des droits de l’Homme et à l’objectif de « couverture complète des droits de l’Homme » affiché par la directive5.
59La CNCDH appelle aussi à renforcer le devoir de vigilance prévu par le texte. Selon elle, les modalités de mise en œuvre de ce devoir de due diligence reposent de manière excessive sur les clauses contractuelles et donc sur la volonté des entreprises, ce qui pourrait mener à des dérives. Elle déplore également l’utilisation de la notion de « relation commerciale établie » (p. 5), qui s’éloigne des textes internationaux et dont l’imprécision pourrait mener les entreprises à multiplier les partenariats commerciaux afin de se soustraire à leurs obligations. Par ailleurs, elle invite à renforcer la place des personnes affectées dans la détermination des sanctions prononcées contre ces entreprises qui manqueraient à leur devoir de due diligence. Plus généralement, elle souhaite que le texte implique davantage les communautés affectées, les organisations syndicales et les défenseurs des droits dans l’ensemble des stades du devoir de vigilance, notamment par le biais de consultations obligatoires. Elle recommande également de mettre en œuvre une obligation d’information plus large, détaillée et transparente concernant les actions des entreprises à destination de l’ensemble des parties prenantes. Enfin, elle demande l’élargissement de l’accès à la procédure de plainte et une interdiction explicite pour les entreprises d’exercer des représailles contre les victimes et les lanceurs d’alerte.
60La CNCDH propose finalement de renforcer les modalités de suivi et de contrôle ainsi que l’accès aux voies de recours et aux mécanismes de réparation pour les victimes. Le texte prévoit la compétence d’autorités nationales de supervision pour surveiller le respect par les entreprises de leurs obligations, ainsi que la possibilité d’engager leur responsabilité civile dans le cadre d’un contrôle juridictionnel. Néanmoins, la CNCDH regrette que l'accès au juge soit conditionné à l’existence d’un dommage et ne puisse donc être utilisé préventivement ou pour obtenir des injonctions. Par ailleurs, la CNCDH déplore la possibilité d’exclure la responsabilité des entreprises pour les dommages causés par leurs partenaires commerciaux indirects, ce qui contredit l’objectif de couvrir l’ensemble de la chaîne de valeur. Enfin, elle constate de nombreux obstacles empêchant les victimes d’accéder à la justice, notamment en termes de coûts, de délais, d’information et de charge de la preuve.
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Les Lettres « Actualités Droits-Libertés » (ADL) du CREDOF (pour s’y abonner) sont accessibles sur le site de la Revue des Droits de l’Homme (RevDH) – Contact
Notes
1 Au sein de ses rapports, avis et enquêtes les plus récents, la CNCDH utilise le qualificatif “LGBTI”.
2 Campagne nationale de promotion de la laïcité à l’école lancée par le ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports en septembre 2021
3 Au sein de ses rapports et avis les plus récents, la CNCDH utilise l’expression “la Covid”
4 Santé publique France, Les inégalités sociales et territoriales de santé, 17 mai 2021. Accessible en ligne : https://www.santepubliquefrance.fr/les-inegalites-sociales-et-territoriales-de-sante
5 Considérant 25 de la proposition de directive
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Référence électronique
Britany Andreopa, Rania Boucenna, Adeline Laporte, Emma Vieillard et Lucie Villenave, « Entre alerte et propositions d’action.Chronique de l’activité de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) en 2022 », La Revue des droits de l’homme [En ligne], Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 27 mars 2023, consulté le 17 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/revdh/17136 ; DOI : https://doi.org/10.4000/revdh.17136
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