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Dynamique du système d’interaction enseignant/élève porteur de troubles du spectre de l’autisme lors de deux activités à l’école maternelle

Dynamic of the “teacher-child with autistic spectrum disorder” system of interaction during two preschool activities
Amael André, Pascale Deneuve, Julien Despois et Maxime Tant
p. 101-115

Résumés

En s’appuyant sur l’approche des systèmes dynamiques complexes, cette recherche vise d’une part à identifier les configurations typiques d’interaction enseignant/élève inclus dans deux activités à l’école maternelle (accueil et motricité) et d’autre part à étudier la variabilité de ces configurations au cours de cinq mois. Les résultats indiquent la présence d’interactions typiques contrastées dans les deux activités. Par ailleurs, ils montrent que leur évolution diffère au cours du temps. En motricité, les comportements d’observation et de non-participation de l’élève porteur de troubles du spectre de l’autisme se renforcent alors qu’à l’accueil des comportements de jeu parallèle en l’absence de guidance de l’enseignante se développent.

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Texte intégral

Nous souhaiterions remercier l’Institut de Recherche Interdisciplinaire Homme et Société de l’université de Rouen Normandie pour son soutien à cette recherche.

Introduction

1La loi du 11 février 2005 pour « l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » promeut en France une école inclusive. Elle ouvre le droit à la scolarisation en milieu ordinaire pour tout enfant en situation de handicap et le droit à la compensation quels que soient l’origine et la nature de la déficience, l’âge ou le mode de vie. Dans le cadre de l’éducation inclusive, les élèves ne sont plus handicapés mais à besoins éducatifs particuliers (BEP) et les enseignants sont amenés à prendre en compte cette diversité dans la classe (Ebersold, 2009). La loi préconise notamment l’inclusion des élèves en situation de handicap lors de la petite enfance (Ministère de l’Éducation nationale, 2013). En France, les jeunes enfants de 3 à 5 ans sont scolarisés dans des écoles maternelles qui accueillent un nombre croissant d’élèves en situation de handicap depuis 2005. Un rapport réalisé en 2011 mentionnait l’inclusion de 35 036 élèves porteurs de handicaps divers (autisme, troubles du comportement social, déficit intellectuel, handicaps moteurs…) à l’école maternelle (Blanc, Bodonneau & Choisnard, 2011). Pourtant, dix ans après la mise en œuvre de la loi, les études françaises portant sur les effets de l’inclusion lors de la petite enfance demeurent rares (Janner-Raimondi & Bedoin, 2016). Il paraît dès lors intéressant de s’interroger sur les effets de l’inclusion à l’école maternelle.

La participation sociale : un indicateur clé de la qualité de l’inclusion lors de la petite enfance

2Un des arguments majeurs en faveur de l’inclusion lors de la petite enfance est que les enfants en situation de handicap peuvent bénéficier au niveau développemental et social d’une participation sociale avec les pairs ordinaires (Odom, McConnell, McEvoy et al., 1999). Dans les études anglo-saxonnes, cette participation sociale constitue un indicateur clé des effets de l’inclusion. Pour Odom et Bailey (2001), la participation sociale concerne à la fois l’engagement dans les tâches proposées et le développement de relations positives avec les pairs. D’une part, le degré d’engagement de l’élève inclus est un bon indicateur de la qualité de l’inclusion car il constitue une condition de l’apprentissage (Kishida & Kemp, 2006). D’autre part, les relations avec les pairs qui concernent les interactions des élèves inclus avec leurs pairs ordinaires sont particulièrement importantes lors de la petite enfance car elles sont déterminantes pour le développement social, émotionnel et cognitif des jeunes enfants et jouent un rôle préventif par rapport aux conduites à risque (isolement, dépression, agressivité… ; Ladd, 1999). Les études portant sur des handicaps divers lors de la petite enfance indiquent que la participation sociale est plus élevée en milieu inclusif par rapport au maintien dans le milieu spécialisé (Guralnick, Connor, Hamond et al., 1996 ; Stoneham, 2001). Par exemple, Stoneham (2001) indique que des enfants affectés par des troubles de la communication s’engagent davantage dans des jeux et ont plus d’interactions sociales positives dans les classes inclusives que dans des milieux spécialisés. Pour Odom et Bailey (2001), l’inclusion offre l’opportunité aux élèves en situation de handicap d’apprendre des habiletés sociales par observation de pairs ordinaires socialement compétents et de familiariser les enfants en situation de handicap avec les schémas d’interactions sociales typiques.

L’inclusion en milieu ordinaire : des effets contrastés sur la participation sociale des élèves porteurs de troubles du spectre de l’autisme

3Les études montrent également que les enfants en situation de handicap inclus en milieu ordinaire ont une participation sociale moins élevée que leurs pairs ordinaires (Hundert, Mahoney, Mund et al., 1998). En effet, ils sont moins engagés activement dans les tâches proposées et entretiennent moins d’interactions avec leurs pairs. Ce constat est d’autant plus prégnant concernant les élèves porteurs de troubles du spectre de l’autisme (TSA). Nahmias, Kase et Mandell (2012) montrent que les élèves porteurs de TSA font de plus grands progrès cognitifs et interagissent davantage avec leurs pairs en milieu inclusif par rapport au milieu ségrégatif. En revanche, les études de Kishida et Kemp (2009) révèlent un degré d’engagement supérieur des élèves porteurs de TSA en milieu ségrégatif par rapport au milieu ordinaire. De plus, ces mêmes travaux indiquent que ces élèves interagissent autant avec les pairs en milieu ségrégatif qu’en milieu ordinaire. Il est également observé que les élèves porteurs de TSA inclus en milieu ordinaire sont généralement engagés sur de plus courtes périodes que les autres (McGee, Feldmann & Morrier, 1997). Durant les périodes de jeu libre, ces enfants préfèrent souvent déambuler plutôt que de s’engager dans des jeux fonctionnels.

4Même si les élèves porteurs de TSA recouvrent des profils divers en fonction de la nature du handicap et de sa sévérité, globalement, ces derniers ont souvent une participation sociale peu élevée lorsqu’ils sont inclus en milieu ordinaire (Gillis & Butler, 2007). En effet, ces élèves ont des difficultés à interagir avec leurs pairs et s’engagent souvent dans des comportements répétitifs et restreints qui nuisent à leur engagement dans les tâches proposées (Weiss & Harris, 2001). Ces résultats suggèrent qu’il ne suffit pas d’accueillir physiquement un élève porteur de TSA pour obtenir des bénéfices au niveau de la participation sociale et incitent à s’interroger sur les conditions susceptibles de l’affecter (Kishida & Kemp, 2009). Parmi ces conditions, nous nous intéressons plus particulièrement à la guidance des adultes.

Participation sociale des élèves inclus et guidance des adultes

5Le comportement social des adultes vis-à-vis des enfants peut agir comme un facilitateur ou un inhibiteur des interactions entre pairs de l’élève inclus. Ainsi Harper et McCluskey (2003) montrent que plus les interactions entre adultes et enfants inclus sont importantes moins les élèves interagissent avec leurs pairs. Dans la même optique, Tsao, Odom, Buysse et alii (2008) indiquent qu’après une interaction avec un adulte, les enfants inclus ont moins d’opportunités d’initier une interaction avec un pair. Dans le cadre de l’inclusion des élèves porteurs de TSA, il est reconnu que l’augmentation de l’aide apportée par les adultes ne mène pas toujours au développement de l’engagement et des interactions avec les pairs (Odom & Bailey, 2001). En effet, une quantité trop importante d’aide peut accroître la dépendance vis-à-vis de l’adulte et limiter la participation sociale. Anderson, Moore, Godfrey et alii (2004) observent que les interactions entre les adultes et les élèves porteurs de TSA sont souvent utilisées par les adultes pour aider alors qu’elles ne sont pas sollicitées par l’enfant et s’avèrent parfois inefficaces. Ces auteurs suggèrent que, pour faciliter sa participation sociale, le type de guidance doit plutôt se présenter sous la forme d’incitation et de suggestion en réponse aux besoins que sous une forme directive, initiée par les adultes.

6Cette guidance des adultes est particulièrement à prendre en considération dans le contexte de l’inclusion en France. En effet, à l’école maternelle, selon Martin-Noureux (2016), l’inclusion peut déstabiliser l’enseignant qui doit gérer à la fois l’ensemble des élèves de la classe et l’élève porteur de handicap. Cette inclusion peut mener l’enseignant à ressentir une angoisse liée à l’obsession du contrôle de la classe. Pour faire face à la difficulté de prise en compte des élèves en situation de handicap dans le collectif classe, les enseignants de l’école élémentaire ordinaire française rapportent avoir recours de manière dominante aux stratégies de guidance individuelle (Mazereau, 2011). La guidance peut être définie comme une aide individualisée conduite par l’enseignant pendant son cours et/ou comme un contrôle plus important du travail de l’élève en cours de réalisation. Plus précisément, selon Tsao, Odom, Buysse et alii (2008), cette guidance peut être directive (fondée sur la contrainte et initiée par l’adulte) ou semi-directive (fondée sur l’incitation, le questionnement et la réponse aux besoins).

7Si les études précédemment citées s’intéressent à l’influence du comportement social de l’enseignant sur la participation sociale de l’élève inclus (Harper & McCluskey, 2003) ou aux comportements de guidance de l’enseignant en contexte d’inclusion (Tsao, Odom, Buysse et al., 2008), elles n’étudient pas les influences réciproques entre la participation sociale de l’élève et le comportement de guidance de l’enseignant. Or, comme le notent Grimaud et Saujat (2011), si le comportement social de l’enseignant a une influence sur la participation sociale de l’élève inclus alors comment en retour le comportement de l’élève influence-t-il le comportement social de l’enseignant ? D’autre part, ces études quantitatives qui sont fondées sur des analyses intergroupes ne permettent pas de comprendre le déroulement temporel des processus d’interactions adulte/enfant au niveau intra-individuel (Steenbeck & Van Geert, 2013). Pourtant, il apparaît intéressant d’étudier la variabilité intra-individuelle du processus car l’inclusion est un processus variable au cours du temps (Janner-Raimondi & Bedoin, 2016).

Interactions entre la participation sociale de l’élève inclus et la guidance de l’enseignant : apport de la théorie des systèmes dynamiques complexes

8L’approche des systèmes dynamiques complexes (SDC) (Hollenstein, 2007) offre l’opportunité de mieux saisir la complexité de l’inclusion. En effet, elle permet d’une part d’identifier, en tant que système, le couplage entre la guidance de l’enseignant et la participation sociale de l’élève inclus. D’autre part, elle permet d’étudier l’évolution de ce système au cours du temps au niveau intra-individuel (sujet unique). Dans le cadre des interactions humaines, les travaux sont d’abord centrés sur les interactions mère/nourrisson (Granic & Lamey, 2002). Puis, dans le domaine de l’éducation, certains travaux récents ont exploité l’approche des SDC dans le cadre des interactions enseignant/élèves (Steenbeck, Jansen & Van Geert, 2012). En effet, ces travaux mettent en évidence que l’enseignant et les élèves peuvent être considérés comme étant engagés dans un processus mutuel dans lequel les comportements des élèves déterminent le comportement de l’enseignant et vice versa.

9La théorie des SDC met en évidence l’émergence d’attracteurs (traduction du terme anglais « attractors ») et d’états repoussoirs (traduction du terme anglais « repellers »). Les attracteurs correspondent aux configurations d’interaction les plus fréquentes. À l’inverse, les états repoussoirs sont des configurations d’interaction très peu fréquentes. Dans le cadre de l’inclusion, l’identification des attracteurs et des états repoussoirs peut être particulièrement intéressante pour mettre en évidence les configurations typiques de couplage enseignant/élève les plus utilisées au cours du temps. En effet, les comportements d’aide individuelle des adultes en relation avec la participation sociale des élèves inclus peuvent constituer des indicateurs permettant de distinguer différents profils d’accueil (André, Kogut, Tant et al., 2014) : l’insertion, l’intégration et l’adaptation. Dans un profil d’insertion, l’élève est très peu engagé dans les tâches proposées et l’aide de l’adulte est rare. Les degrés de participation sociale et de guidance sont donc faibles. Dans un profil intégratif, l’élève inclus dispose d’une aide individuelle importante de la part de l’adulte pour participer comme les autres. Les degrés de guidance individuelle et de participation sociale sont élevés. Enfin, dans un profil adaptatif, les tâches sont adaptées aux besoins de l’élève à BEP afin de favoriser sa participation sociale en autonomie. Dans ce profil, le degré de participation sociale est élevé alors que la guidance est faible.

10La théorie des SDC permet également d’identifier la variabilité des profils d’accueil au cours du temps. La baisse de la variabilité du système témoigne de phases de stabilisation des profils d’accueil les plus fréquemment observés (c’est-à-dire les attracteurs se renforcent). À l’inverse, l’augmentation de la variabilité du système révèle une phase de déstabilisation des profils d’accueil les plus fréquemment observés (c’est-à-dire pendant cette phase, les attracteurs initiaux deviennent moins forts et peuvent laisser la place à de nouveaux attracteurs).

11À notre connaissance, une seule étude a tenté d’éclairer les interactions enseignant/élève inclus à la lumière de l’approche des SDC dans le cadre de l’inclusion (Despois, André, Deneuve et al., 2016). Cette étude portant sur l’inclusion d’un élève porteur de TSA pendant l’accueil à l’école maternelle montre que les configurations dominantes d’interaction relèvent d’un profil d’insertion caractérisé par l’absence de guidance individuelle et le non-engagement de l’élève inclus. De plus, les résultats indiquent qu’au cours des trois mois étudiés, le système tend à devenir plus stable. Toutefois, cette étude ne porte que sur une activité, l’accueil, qui constitue le premier moment de la journée au cours duquel les élèves sont amenés à jouer librement. Qu’en est-il pour d’autres types d’activités dans lesquelles les tâches sont dirigées par l’enseignant ?

Type d’activité proposée et dynamique du système d’interaction enseignant/élève inclus

12Dans le cadre de la théorie des SDC, le type d’activité proposée peut être considéré comme une contrainte qui pèse sur le système d’interactions. Lorsque cette contrainte (c’est-à-dire l’activité) évolue, elle peut déstabiliser le système et favoriser l’émergence de nouveaux attracteurs (Hollenstein, 2007). Pour Odom et Bailey (2001), les activités proposées lors de la petite enfance peuvent se distinguer au regard du degré de contrôle de l’enseignant. En effet, le contrôle est important et contraignant pour les élèves lorsque les activités sont dirigées par l’enseignant. En revanche, il est limité lorsque les élèves sont à l’initiative des tâches. Kemp, Kishida, Carter et alii (2013) ont montré les effets du type d’activité sur la participation sociale de l’élève inclus et sur le comportement de guidance de l’adulte. En effet, dans les activités choisies et dirigées par les enfants (jeux libres), la participation sociale de l’élève porteur de TSA inclus est plus importante et la guidance individuelle des adultes moins élevée que dans les activités dirigées par les adultes. Toutefois, cette recherche étudie les deux variables séparément et ne permet pas d’identifier les configurations dominantes d’interactions ou attracteurs du système. D’autre part, cette étude expérimentale ne permet pas d’appréhender la variabilité du système au cours du temps. Dans les écoles maternelles françaises, l’accueil correspond à une activité dans laquelle les enfants choisissent librement les jeux auxquels ils souhaitent participer alors que les séances de motricité, qui sont des activités proposées de manière quotidienne, sont souvent des activités dirigées par les adultes. Dès lors, il paraît intéressant d’étudier la dynamique d’interaction enseignant/élève de manière contrastée lors de ces deux activités.

13Cette recherche poursuit deux objectifs. Le premier est d’identifier les configurations typiques d’interaction « participation sociale de l’élève inclus/guidance de l’enseignant » lors de deux activités mises en place à l’école maternelle : l’accueil et la motricité. Le second est d’étudier la variabilité de ce système d’interaction au cours de cinq mois dans ces deux activités.

Méthode

Participants

14Cette recherche porte sur le cas d’un élève porteur de TSA et de son enseignante. Comme l’indiquent Walsh et Kemp (2013), les études à sujet unique sont adaptées pour les recherches sur l’inclusion, notamment celles portant sur des élèves porteurs de TSA au regard de la grande variabilité de cette population. En outre, la méthode du cas unique est une voie appropriée pour étudier les trajectoires individuelles d’enseignement/apprentissage car elles peuvent fournir des informations utiles sur la dynamique au cours du temps même si les résultats ne sont pas généralisables à l’ensemble de la population (Steenbeck, Jansen & Van Geert, 2012).

15Achille est un élève porteur de TSA de 4 ans qui est scolarisé dans une classe de toute petite et petite section (TPS et PS) comptant 24 élèves dans une école favorisée urbaine. Il est accueilli une matinée par semaine dans cette classe et le reste du temps dans une crèche. L’observation d’Achille à l’école a mis en évidence des problèmes affectant son développement sur les plans social, cognitif et moteur. Tout d’abord, Achille présente un déficit au niveau des habiletés sociales. Il manifeste peu d’expressions faciales et éprouve des difficultés à exprimer ses émotions. Il a des difficultés à interagir et à créer des liens avec ses pairs dans sa classe ou dans l’école. Achille adopte souvent une distance interpersonnelle inadaptée avec ses pairs. Quand il veut attirer l’attention d’une personne, il incline sa tête à quelques centimètres de son visage avec un regard fixe et insistant, ce qui occasionne des manifestations de rejet. Il ne tient pas ses pairs par la main pour se ranger ou dans les jeux. Ensuite, ses compétences langagières ne sont pas développées. Il ne parle pas, ne pointe pas du doigt des objets en les nommant. La compréhension des consignes constitue un obstacle à l’apprentissage, et la focalisation sur l’action entreprise est difficile. Achille est distrait par l’environnement qui l’entoure, et une surcharge d’informations visuelles ou la survenue d’un événement inhabituel le perturbent. Enfin, la maîtrise des compétences motrices est difficile au regard de ce qui peut être attendu pour un enfant de 4 ans. Achille présente en marchant une asymétrie entre les mouvements des bras et ceux des jambes. Il chute fréquemment sans mettre en place d’ajustements posturaux anticipés ni de réactions posturales pour se protéger de la chute. Ses difficultés d’anticipation entravent aussi sa coordination visuo-manuelle. Globalement, les productions motrices d’Achille sont pauvres, ralenties, différées dans leur exécution avec des difficultés lors de l’initiation du geste. Il a besoin de temps et d’explorer à sa façon.

16L’enseignante est expérimentée (plus de 15 ans d’ancienneté en école maternelle) et volontaire pour accueillir l’enfant à BEP. Elle a rencontré la famille et s’est documentée sur l’autisme. Toutefois, elle n’a pas d’expérience dans l’accueil d’élèves en situation de handicap et n’a reçu aucune formation spécifique dans ce sens. Elle ne dispose pas d’informations précises concernant les particularités d’Achille. L’observation des séances de motricité indique qu’elle adopte un style directif fondé principalement sur l’imitation/modélisation et qu’elle veille à ce que tous les élèves entrent dans la tâche assignée. L’Agent territorial spécialisé des écoles maternelles (ATSEM) constitue la seule aide humaine dans la classe. Sans formation sur les besoins de l’école inclusive, elle est très souvent en retrait et n’interagit que très rarement avec Achille. Au regard de la quasi-absence d’interactions entre l’ATSEM et Achille, seuls les comportements de guidance de l’enseignante ont été retenus.

Procédure

17Les séances de classe ont été filmées une fois par mois pendant cinq mois (d’octobre à février), lors de deux activités correspondant à des temps d’apprentissage différents : l’accueil et les séances de motricité (rondes et jeux dansés). La durée des séances était de 25 minutes. Ces deux activités ont été choisies car elles sont, d’une part, typiques de l’école maternelle et proposées quotidiennement. D’autre part, elles correspondent à des degrés différents de contrainte exercée par l’enseignante et ainsi de liberté offerte aux élèves (Kemp, Kishida, Carter et al., 2013).

18La séance d’accueil constitue le premier temps d’apprentissage de l’élève. Ce temps d’adaptation permet à l’enfant de passer d’une activité individuelle à l’activité partagée. Un dispositif de choix d’activités lui permet d’agir seul ou avec les autres ou encore avec l’enseignant dans la salle de classe. Ce temps est particulier car les tâches proposées aux élèves sont au libre choix. Les espaces sont pensés par l’enseignante mais choisis et vécus par les enfants. La circulation est possible d’un espace à l’autre au gré des désirs et des intérêts. Dans notre étude, différents types d’ateliers sont proposés aux élèves : jeux de société, jeux de graphisme, conception de colliers, jeux de construction, jeux sensoriels… Les activités offertes évoluent en fonction des besoins des élèves au cours de l’année mais elles se déroulent toujours dans les mêmes lieux, ce qui est sécurisant. De nombreux repères permettent aux enfants d’avoir accès à un matériel attractif et varié.

19Les rondes et jeux dansés (JRD) visent la communication au travers d’actions à visée expressive guidées par l’enseignante. Les élèves coordonnent leurs gestes et déplacements en tenant compte des autres tout en chantant dans un environnement physique stable et combinent les actions collectives et individuelles. Dans notre étude, les différentes tâches sont dirigées par l’enseignante, laissant peu de choix aux élèves. En effet, les phases d’imitation de l’enseignante sous forme individuelle alternent avec des phases collectives de ronde dirigées par l’enseignante. Ces activités se déroulent dans une partie de la salle de motricité de l’école sans matériel particulier. L’enseignante décide des formes gestuelles, des supports sonores et des groupements. C’est par la pratique de jeux imposés que les élèves structurent l’espace, le temps et leurs relations avec les autres. Au cours des cinq mois, les exigences des tâches sont de plus en plus fortes au niveau moteur (vers plus de coordination et de dissociation), au niveau du repérage spatial (de l’espace proche à l’espace lointain) et temporel (de la définition de tempo à la traduction corporelle de rythme), au niveau cognitif (vers davantage d’anticipation) et au niveau social (d’actions individuelles vers des actions collectives coopératives).

Instruments

20Le degré de participation sociale de l’élève inclus et le degré de guidance de l’enseignant, variables du système, sont mesurés indépendamment. Pour cela, deux observateurs codent les comportements toutes les cinq secondes :

  • le degré de participation sociale est codé en six catégories (Odom, McConnell, McEvoy et al., 1999 ; Kishida & Kemp, 2009) :
    1. non-participation passive : est inoccupé ;
    2. non-participation active : est engagé dans une tâche non proposée ;
    3. participation passive : observe les pairs ou les adultes dans la tâche ;
    4. participation active seul : réalise une tâche proposée seul ;
    5. participation active à côté des autres : réalise une tâche proposée en parallèle aux autres élèves ;
    6. participation active avec les autres : réalise une tâche collaborative proposée ;
  • le degré de guidance individuelle de l’enseignant est codé en quatre catégories (Tsao, Odom, Buysse et al., 2008) :
    1. absence de guidance ;
    2. guidance semi-directive : interrogative, suggestive, centrée sur les résultats ;
    3. guidance verbale directive : impérative, injonctive, centrée sur les procédures ;
    4. guidance corporelle directive : guidance physique, fait à la place de.

21Deux observateurs préalablement entraînés à l’observation de la participation sociale des élèves porteurs de TSA et de la guidance individuelle de l’enseignant ont codé indépendamment les vidéos. L’accord inter-observateur était très bon pour le critère « participation sociale de l’élève porteur de TSA » (k = 0,86) et pour le critère « guidance individuelle de l’enseignante » (k = 0,94).

Analyse des données

22Les State Space Grids (SSG) sont utilisées pour étudier la dynamique du système d’interaction enseignante/élève au cours du temps (Hollenstein, 2007). Cet outil donne l’occasion de visualiser graphiquement la dynamique du système. En effet, il permet, d’une part, d’identifier le paysage des attracteurs dans les deux activités par la mesure de la fréquence et de la durée des visites sur chacun des états du système. Il permet, d’autre part, de mettre en évidence la variabilité des configurations d’interaction enseignant/élève au cours des cinq mois par la mesure de l’entropie (voir annexe méthodologique).

23Cette analyse quantitative est complétée par une description qualitative de certaines situations extraites des séances. Cette description permet d’illustrer et de mieux comprendre les interactions entre la guidance de l’enseignant et la participation sociale de l’élève porteur de TSA dans le contexte des tâches proposées.

Résultats

Étude des configurations typiques d’interaction

Figure 2. State space grids au cours des 5 mois en RJD

Figure 2. State space grids au cours des 5 mois en RJD

24L’observation de la figure 2 indique la présence de deux attracteurs dominants lors des 5 mois en RJD : (a) non-participation active/absence de guidance et (b) participation passive/absence de guidance. En effet, concernant ces deux états, les fréquences d’apparition sont respectivement de 0,33 et 0,39. Ces deux états représentent donc environ les ¾ des états observés.

25En outre, la figure 2 met en évidence six catégories d’états repoussoirs : (α) participation active à côté de/absence de guidance (F = 0,07) ; (β) états relatifs à l’absence de participation active/somme des guidances directives (F = 0,05) ; (γ) somme des participations actives/guidances directives (F = 0,03) ; (δ) participation active seul/absence de guidance (F = 0,02) ; (ε) somme des participations actives avec les autres quelle que soit la guidance (F = 0,01) ; et (ζ) somme des états relatifs à la guidance semi-directive quelle que soit la participation (F = 0,01) (voir tableau 1).

Tableau 1. Attracteurs et états repoussoirs du système en RJD durant 5 mois

Attracteurs États repoussoirs
NPA/AG(a) PP/AG(b) PAC/AG(α) ∑APA/GD(β) ∑PA/GD(γ) PAS/AG(δ) ∑ PAA(ε) ∑ GSD(ζ)
Fréquence 0,33 0,39 0,07 0,05 0,03 0,02 0,01 ≤ 0,01

Lecture : NPA/AG : état du système « non-participation active/absence de guidance » ; PP/AG : état du système « participation passive/absence de guidance » ; PAS/AG : état du système « participation active seul/absence de guidance » ; PAC/AG : état du système « participation active à côté des autres/absence de guidance » ; ∑PA/GD : états couplant « somme des participations actives » et « guidance directive » ; ∑APA/GD : états couplant « somme des absences de participation active » et « guidance directive » ; ∑ GSD : états regroupant la « somme des guidances semi-directives » ; ∑ PAA : états regroupant la « somme des participations actives avec les autres ».

26Dans les tâches visant à chanter et à imiter les actions de l’enseignante sur des comptines (par exemple : « j’ai un gros nez rouge »), Achille déambule dans la salle de motricité ou observe tandis que l’adulte l’ignore. Il ne chante pas et ne mime pas non plus les animaux ou le clown, tout au plus se déplace-t-il parfois au milieu d’eux. Il ne mobilise pas le train supérieur comme le demande l’enseignante allant jusqu’à mettre ses mains dans ses poches. Lors des rondes comme « le fermier dans son pré » ou « le petit lapin », il se déplace seul au centre quelques instants puis s’éloigne du groupe pour rejoindre une fenêtre ou la porte. Quand les élèves dansent par deux (par exemple : « bonjour ma cousine »), Achille se positionne à la périphérie et tourne sur lui-même pendant que les autres frappent le rythme avec leurs mains. Il observe ses pairs et l’enseignante en action en particulier quand du bruit retient son attention. C’est le cas quand le clown saute au plafond ou lorsque les petits lapins sautent à pieds joints. Quand l’activité est plus calme, Achille a tendance à regarder dehors et à déambuler sans but précis ou à s’allonger au sol.

27La figure 3 présente l’état du système lors des cinq mois durant les séances observées à l’accueil.

Figure 3. State space grids au cours des 5 mois à l’accueil

Figure 3. State space grids au cours des 5 mois à l’accueil

28À l’accueil, l’observation de la figure 3 met en évidence un nombre d’attracteurs plus important qu’en RJD. Autrement dit, le système se disperse davantage et visite plus d’états à l’accueil qu’en RJD. Ceci est confirmé par le degré d’entropie qui est supérieur (E = 1,862) à l’accueil par rapport à celui des RJD (E = 1,771). Les résultats sont présentés dans le tableau 2.

Tableau 2. Attracteurs et états repoussoirs du système à l’accueil lors des 5 mois

Attracteurs États repoussoirs
NPA/AG(a) PP/AG(b) PAC/AG(c) PAS/AG(d) ∑APA/GD(α) ∑PA/GD(β) ∑GSD(γ) ∑PAA(δ
Fréquence 0,32 0,22 0,13 0,13 0,07 0,03 0,02 ≤ 0,01

29Quatre attracteurs peuvent être distingués :

  • (a) la non-participation active/absence de guidance (F = 0,32), que nous pouvons illustrer par la séquence suivante : alors que ses pairs participent aux différentes activités mises à leur disposition telles que la motricité fine, des abaques, du graphisme ou des encastrements, Achille déambule librement d’un dispositif à l’autre. Lorsque l’enseignante le sollicite et tente de le maintenir sur ses genoux pour enfiler des formes sur les abaques, il refuse la guidance corporelle de l’adulte, se libère et choisit de se déplacer en toute liberté avec le landau ;
  • (b) la participation passive/absence de guidance (F = 0,22) correspond à l’observation par Achille de ses pairs dès lors qu’il l’a lui-même décidé. Lorsque l’adulte lui dit « regarde Achille ! », celui-ci se détourne et part ;
  • (c) la participation active à côté des autres/absence de guidance (F = 0,13) est observée en l’absence de la présence de l’adulte, Achille faisant rouler par exemple un camion sur la table à côté de ses pairs utilisant le même matériel que lui.
  • (d) la participation active seul/absence de guidance (F = 0,13) s’illustre par une action impulsée par la seule volonté d’Achille sans qu’il soit à côté d’autres élèves réalisant la même tâche, ce qui est le cas lorsqu’Achille déplace le landau à travers la classe, par exemple.

30Quatre types d’états repoussoirs sont identifiés :

  • (α) somme des états relatifs à l’absence de participation/guidance directive (F = 0,07) ;
  • (β) somme des participations actives/guidance directive (F = 0,03) ;
  • (γ) somme des guidances directives quelle que soit la participation (F = 0,03) ;
  • (δ) somme des participations actives quelle que soit la guidance (F ≤ 0,01).

Variations du système dans les deux activités au cours des cinq mois

Figure 4. State space grids aux mois d’octobre, décembre et février lors des RJD

Figure 4. State space grids aux mois d’octobre, décembre et février lors des RJD

31L’observation de la figure 4 met en lumière la rigidification du système en RJD qui se resserre autour des attracteurs lors des cinq mois. L’entropie a tendance à baisser d’octobre (1,958) à février (1,646), ce qui signifie que le système est moins dispersé au cours du temps. L’attracteur « participation passive/absence de guidance » se renforce au cours des cinq mois (F = 0,33 en octobre ; F = 0,55 en décembre ; F = 0,53 en février), tout comme l’attracteur « non-participation active/absence de guidance » (F = 0,22 en octobre ; F = 0,23 en décembre ; F = 0,32 en février). Au fil des séances, Achille se positionnera de plus en plus en observateur sans que l’adulte intervienne. Lorsqu’il observe ses pairs en activité, il ne les imite pas. Il continue à ne pas participer aux jeux dansés et ses propres actions n’évoluent pas au cours des cinq mois. Il déambule et s’écarte du groupe pour aller à la fenêtre de plus en plus fréquemment. Il agit et se déplace de plus en plus en toute liberté en dehors de toute guidance adulte. Alors qu’en début d’année, l’enseignante tente de faire participer Achille aux activités de ronde en lui tenant la main, cette guidance disparaît à partir du mois de décembre ; l’enseignante se concentrant sur la gestion du reste de la classe.

32Nous pouvons d’ailleurs observer que les états relatifs à la « participation active/guidance directive » présents en octobre (F = 0,17) ont tendance à disparaître dès le mois de novembre (F = 0,04) et deviennent des repoussoirs du système. C’est également le cas concernant l’état « participation à côté des autres/absence de guidance » qui était visité en début d’année (F = 0,20 en novembre), Achille se déplaçant à sa manière parmi les animaux, et qui ne l’est pratiquement plus à partir de décembre (F = 0,04).

33Les autres repoussoirs du système restent stables. En effet, les états relatifs à la guidance semi-directive, quelle que soit la participation, restent très peu visités (nulle en octobre ; F ≤ 0,01 en décembre et en février) ; tout comme les états relatifs à la participation active « avec les autres » quelle que soit la guidance (F = 0,01 en octobre ; nul en janvier et février). Les résultats sont présentés dans le tableau 3.

Tableau 3. Variations des configurations d’interaction au cours des 5 mois en RJD

Entropie NPA/AG PP/AG PAC/AG ∑PA/GD ∑NP/GD ∑GSD ∑PAA
Octobre 1,958 0,22 0,33 0,05 0,17 0,11 0 0,01
Novembre 1,703 0,29 0,39 0,20 0,04 0,01 0,01 0
Décembre 1,831 0,23 0,55 0,04 0,08 0,08 > 0,01 0,07
Janvier 1,717 0,59 0,20 0,02 0,04 0,05 0 0
Février 1,646 0,32 0,53 0,02 0,02 0,04 > 0,01 0

34La figure 5 présente les états du système lors des séances observés aux mois d’octobre, décembre et février lors de l’accueil.

Figure 5. State space grids aux mois d’octobre, décembre et février lors de l’accueil

Figure 5. State space grids aux mois d’octobre, décembre et février lors de l’accueil

35À l’accueil, l’observation de la figure 5 montre à la fois que le paysage des attracteurs évolue au cours des 5 mois et que le système se resserre autour de l’absence de guidance. Les résultats indiquent que l’entropie baisse d’octobre à janvier puis augmente lors du dernier mois (voir tableau 4).

Tableau 4. Variations des indices de la dynamique du système au cours des 5 mois à l’accueil

Entropie NPA/AG PP/AG PAC/AG ∑PA/GD ∑NP/GD ∑GSD ∑PAA
Octobre 2,406 0,20 0,14 0 0,07 0,20 0,04 0
Novembre 1,827 0,40 0,14 0 0,06 0,02 0,04 0
Décembre 1,654 0,39 0,19 0,25 0,05 0 > 0,01 0
Janvier 1,648 0,42 0,36 0,03 > 0,01 0,02 0 0
Février 1,774 0,18 0,25 0,36 0,07 0 0 0,01

36Deux nouveaux attracteurs apparaissent : « participation passive/absence de guidance » (F = 0,14 en octobre et novembre ; F = 0,19 en décembre ; F = 0,25 en février) et « participation active à côté des autres/absence de guidance » (nul en octobre et novembre ; F = 0,25 en décembre ; F = 0,36 en février). Alors qu’en début d’année Achille a tendance à déambuler d’atelier en atelier et à jouer seul (par exemple : faire rouler le landau à travers la classe), à partir de décembre, il observe davantage ses camarades en train de jouer (par exemple : il observe ses camarades en train de dessiner ou de jouer au sable) et joue à côté des autres de plus en plus fréquemment en l’absence de guidance (par exemple : de sa propre initiative, Achille va à la table à sable et joue au milieu de ses pairs avec une pelle, un râteau ou une cuillère ; après avoir refusé la guidance de l’adulte « je vais faire avec toi, d’accord ? », Achille quitte la table mais y retourne après seul et joue à côté des autres à attraper des objets avec une pince à nouilles).

37L’observation de la figure 5 montre également que la guidance de l’enseignante disparaît. Les états relatifs à la guidance individuelle quelle que soit la participation sont de moins en moins visités (F = 0,27 en octobre ; F = 0,05 en décembre ; F = 0,07 en février). Au mois d’octobre, l’enseignante sollicite Achille et tente de le contraindre à participer aux ateliers de la classe. En revanche, cette guidance disparaît dès le mois de novembre.

38Certains états repoussoirs restent constants au cours des cinq mois. En effet, les états relatifs à la participation active « avec les autres » restent très peu visités (nul en octobre, novembre, décembre et janvier ; F = 0,01 en février) tout comme les états relatifs à la guidance semi-directive (F = 0,04 en octobre ; F = 0,01 en décembre et nul en février).

Discussion

39L’objectif de cette recherche était double : le premier était d’identifier les configurations typiques d’interaction « participation sociale de l’élève inclus/guidance de l’enseignant » lors de deux activités proposées à l’école maternelle (accueil et motricité) ; le second était d’étudier la variabilité de ce système d’interaction au cours de cinq mois dans ces deux activités.

Configurations typiques d’interaction dans les deux activités

40Les configurations typiques d’interaction diffèrent en partie dans les deux activités. En effet, plus d’états sont explorés à l’accueil par rapport aux RJD. Nous pouvons penser que ces différences d’états résultent d’une articulation différente entre les contraintes relatives aux tâches, aux caractéristiques des sujets (élève inclus et enseignante) et au contexte de classe dans les deux activités.

41En RJD, les deux configurations typiques les plus prégnantes sont : la non-participation active en l’absence de guidance et l’observation toujours en l’absence de guidance. Ces deux états révèlent un profil d’accueil correspondant à l’insertion. En effet, l’insertion se caractérise par un faible engagement dans les tâches proposées et une absence d’aide des adultes (André, Kogut, Tant et al., 2014 ; Grémion & Paratte, 2009). Ces résultats confirment ceux obtenus sur la faible participation sociale des élèves porteurs de TSA lorsqu’ils sont inclus en contexte ordinaire (Kishida & Kemp, 2009). Nous pouvons supposer que les demandes des tâches dirigées par l’enseignante sont en décalage avec les possibilités d’Achille, limitant ainsi sa participation. Ces tâches en RJD sollicitent fortement le plan cognitif. Durant le jeu « j’ai un gros nez rouge », l’attention et la mémorisation sont très mobilisées pour imiter le clown, ce qui ne correspond pas aux capacités de cet enfant. Dans ce jeu, les productions motrices attendues demandent un fort contrôle moteur, une planification et une séquenciation, comme dans le jeu « bonjour ma cousine » durant lequel les élèves doivent ne tendre qu’une main au partenaire puis tourner sur place accrochés par le coude, alors qu’Achille présente un retard moteur et des difficultés à traiter l’information par rapport aux élèves de son âge. En outre, les RJD sollicitent un repérage spatial pour les évolutions codifiées (rondes, cortège…). En dansant et chantant « bonjour ma cousine », les élèves doivent se déplacer vers l’avant puis à un moment précis vers l’arrière et ensuite se positionner en duos face à face. Aucun signal sonore spécifique ne l’avertit d’un changement de déplacement. Or l’espace non matérialisé ne permet pas à Achille de respecter les trajets et le sens de déplacement. Il s’ensuit que, probablement devant l’impossibilité de s’engager à côté des autres, Achille observe beaucoup ses pairs et l’enseignante. Ce type d’activité tel qu’il est enseigné de manière traditionnelle et transmissive (basée sur l’imitation/modélisation) laisse peu d’opportunités et de temps à l’enseignante pour guider Achille car cette dernière est confrontée à la nécessité de diriger le groupe classe (Grimaud & Saujat, 2011). Quand l’enseignante exerce une contrainte corporelle pour maintenir Achille dans la ronde « du fermier dans son pré », elle le libère aussitôt pour gérer d’autres élèves perturbateurs. Cette faible guidance des adultes est sûrement accentuée par le contexte spécifique de cette classe marquée par une hétérogénéité des élèves (deux niveaux : TPS et PS) et dans laquelle aucun adulte spécialisé dans la guidance d’Achille n’est présent.

42À l’accueil, le paysage des attracteurs est plus dispersé. Achille joue davantage seul et à côté des autres sans intervention de l’enseignante. De sa propre initiative, il fait rouler un landau, une voiture ou encore joue avec le sable. Cette dernière configuration d’interaction caractérise le profil du registre « adaptation » qui correspond au fait que l’élève participe comme les autres sans aide supplémentaire. Nous pouvons penser que cette différence est liée à l’influence jouée par le degré de liberté offert aux élèves dans ce type d’activité sur la participation sociale des élèves porteurs de TSA (Kishida & Kemp, 2009). Durant la phase d’accueil, les ateliers sont choisis par les élèves et la guidance des adultes est faible ou semi-directive car c’est un moment de transition entre le monde de la famille et le monde de l’école qui vise à développer l’autonomie de l’élève et la découverte progressive du milieu. D’ailleurs, contrairement aux RJD, la guidance semi-directive de l’enseignante envers Achille y apparaît. La liberté offerte à Achille concernant le choix des ateliers et la manière de s’engager dans ces ateliers lui a sûrement permis de participer à des activités proches de ses besoins ; ceci d’autant plus que le matériel riche et varié était incitatif à la participation et pouvait induire des réponses différentes en fonction des ressources des élèves.

Variabilité des profils d’interactions dans les deux activités

43En RJD, le profil d’interaction relatif à l’insertion se renforce au cours des cinq mois. En effet, les interactions se cantonnent de plus en plus à une « non-participation » d’Achille aux tâches assignées ou à une observation en l’absence de guidance de l’enseignante. La guidance de l’enseignante, présente en début d’année, pourrait témoigner d’une volonté d’intégration d’Achille, lui demandant de réaliser la même tâche que les autres avec une aide (Grémion & Paratte, 2009 ; André, Kogut, Tant et al., 2014). Toutefois devant l’échec de l’intégration, ce profil disparaît par la suite pour laisser la place à un profil d’insertion. Au début de l’année, dans le jeu du « petit lapin », l’enseignante tient fermement une main d’Achille pour qu’il participe à la ronde et confie une guidance corporelle à un autre élève : « attrape-lui l’autre main ». Cependant Achille se dégage et part. Nous pouvons penser que l’inefficacité des actions de soutien pour favoriser la participation d’Achille provoque leur abandon. Ces actions sont avant tout fondées sur une aide directive corporelle ou orale visant à contraindre Achille à faire comme les autres. Or ce type d’aide s’avère souvent inefficace avec des enfants porteurs de TSA (Tsao, Odom, Buysse et al., 2008). En outre, cette difficulté liée à la prise en compte de l’élève en situation de handicap a pu faire naître chez l’enseignante une angoisse et une fragilité face à l’étrange (Martin-Noureux, 2016). Dès lors, sans guidance de l’enseignante, face à la difficulté des tâches, à l’instabilité de l’espace (liée aux déplacements continus des élèves et au manque de repères spatiaux,), du temps (liée aux accélérations comme c’est le cas dans « j’ai un gros nez rouge »), l’activité d’Achille se restreint à l’absence de participation ou à l’observation. Cette dynamique s’amplifie certainement au cours des mois car le décalage entre les ressources d’Achille et les demandes des tâches s’accentue. En effet, les tâches se complexifient progressivement au niveau moteur, cognitif et social (avec l’apprentissage du sautiller, la reformation rapide de la ronde après dispersion par exemple), ce qui amène Achille à être de plus en plus en difficulté compte tenu du rythme de son développement. Les comportements qu’adopte Achille en dehors de toute guidance n’évoluent pas au fil des mois. Il déambule, va à la fenêtre ou à la porte, observe mais n’entre pas en conduite exploratoire. Nous pouvons penser que la salle de motricité, petite et encombrée par les autres élèves de la classe qui sont investis dans la tâche assignée, ne laisse pas à Achille d’espace à investir à sa guise. Achille ne trouve pas non plus de matériel à disposition qui pourrait l’inciter à s’engager car la séance de RJD se réalise sans petit matériel (plot, cerceau, foulard, etc.).

44Comme en RJD, lors de l’accueil, la guidance de l’enseignante présente en début d’année disparaît par la suite. Nous pouvons penser que, comme en RJD, devant l’échec de l’intégration, cette configuration disparaît. Toutefois, contrairement aux RJD, l’absence de guidance permet l’émergence d’un profil d’adaptation. En effet, Achille participe à côté des autres (c’est-à-dire il joue avec les mêmes supports que les autres en parallèle) sans aide de l’enseignante. Ses activités se diversifient au fil des mois. Cantonné à des activités répétitives en début d’année (faire rouler le landau), il évolue vers des activités plus fines comme les saisies avec la pince à nouilles ou des jeux de sable. La participation « à côté des pairs » est probablement favorisée par le milieu stable et structuré de l’accueil, par la liberté offerte à Achille dans ce type d’environnement et par son développement. Tout d’abord l’organisation spatiale stable a pu favoriser l’évolution favorable de la participation d’Achille qui y a construit des repères. De plus, le milieu riche et varié incite Achille à s’engager d’autant plus qu’il peut choisir ses jeux. Achille peut s’engager dans une tâche autodéterminée. Il peut se positionner lui-même en situation de découverte ou de réinvestissement. Enfin, nous pouvons penser qu’il s’est développé et qu’il a progressé dans les acquisitions, en particulier en ce qui concerne des habiletés sociales. De ce fait, les pairs acceptent qu’il participe à une activité à côté d’eux.

Conclusion

45En s’appuyant sur l’approche des SDC, cette recherche visait d’une part à identifier des configurations typiques d’interaction enseignant/élève inclus dans deux activités à l’école maternelle et d’autre part à étudier la variabilité de ces configurations au cours du temps.

46Les résultats indiquent que les configurations d’interaction diffèrent dans les deux activités. Ces configurations témoignent de profils d’accueil différents. En RJD, l’insertion est le profil dominant alors qu’à l’accueil, les profils insertion et adaptation cohabitent. Par ailleurs, les résultats montrent qu’en RJD, le profil intégratif disparaît au profit de l’insertion tandis qu’il disparaît au profit de l’adaptation lors de l’activité d’accueil. Cette étude met en évidence deux enseignements principaux. D’une part, elle révèle le rôle joué par l’activité proposée dans la participation sociale des élèves porteurs de TSA. En effet, dans une activité non dirigée par l’adulte, l’élève porteur de TSA se montre progressivement capable de participer activement aux activités proposées et d’interagir avec ses pairs contrairement aux activités très structurées et dirigées par l’adulte. D’autre part, cette recherche met en évidence les difficultés rencontrées par les enseignants dans la guidance des élèves porteurs de TSA en montrant notamment que la guidance directive s’avère souvent inefficace. Ces résultats interrogent ainsi les modalités d’accueil mises en place à l’école maternelle des élèves en situation de handicap tant du point de vue des activités proposées que du type de guidance utilisé par les enseignants.

47Bien que cette étude révèle les variations des configurations d’interaction dans deux activités dans un contexte particulier, les résultats méritent d’être examinés avec précaution. Tout d’abord, la singularité du contexte limite les possibilités de généralisation. De plus, le nombre d’observations dans cette étude était réduit à une par mois pendant cinq mois. Un nombre plus élevé d’observations (trois ou quatre par mois) permettrait de limiter l’impact potentiel des facteurs contextuels (par exemple : modification de l’environnement) ou personnels (par exemple : santé de l’enfant). Ensuite, l’évolution des contraintes relatives aux enseignants comme de leurs représentations du handicap et de l’inclusion mériterait d’être davantage étudiée. Dans cette optique, il serait intéressant d’analyser l’incidence d’une formation de l’enseignant sur la variabilité de ces configurations. Enfin, cette étude quantitative pourrait être enrichie par des méthodes plus qualitatives permettant de mieux comprendre les significations propres aux différents acteurs en contexte d’inclusion.

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Annexe

Le logiciel Gridware est utilisé afin de construire les State Space Grids (SSG). La procédure est la suivante :

  • les données recueillies sur chacune des deux variables (degré de participation sociale de l’élève porteur de TSA et type de guidance des adultes) à chaque intervalle de cinq secondes sont récoltées par les observateurs ;
  • après la phase de recueil et de codage, ces variables sont combinées en une seule variable d’interaction. Cette variable est caractérisée par le couplage des données issues des deux variables précédentes à chaque intervalle de cinq secondes. Par exemple, si l’élève participe à côté des autres (modalité 5) et si la guidance est absente (modalité 1), alors la variable d’interaction correspond à la modalité 5/1. Au total, la variable d’interaction peut correspondre à 24 modalités possibles (six degrés de participation sociale*quatre degrés de guidance) ;
  • les SSG permettent ensuite de représenter l’évolution de la variable d’interaction sur les 24 cases de la grille. Chaque case correspond à une modalité possible de la variable d’interaction. La figure 1 illustre cette SSG. Sur cette figure, chacune des deux variables (degré de participation sociale de l’élève porteur de TSA et type de guidance de l’adulte) représente respectivement l’abscisse et l’ordonnée. Pour chaque intervalle de temps, la modalité de la variable d’interaction est symbolisée par un point. Plus le système est stable, c’est-à-dire que la variable d’interaction conserve la même modalité dans le temps, plus le point est grand. Lorsque le système change de modalité (c’est-à-dire la variable d’interaction change de valeur), les transitions sont modélisées par des traits. Plus le nombre de traits augmente, plus le système peut être qualifié d’instable ;
  • le degré de stabilité du système est mis en évidence par la mesure de l’entropie. En effet, l’entropie rend compte de la prédictibilité des variations dans les interactions. Un système qui possède une forte stabilité a un degré d’entropie faible. En revanche un système qui possède une faible stabilité a un degré d’entropie plus élevé. L’entropie indique si le système se stabilise autour d’attracteurs forts ou s’il présente une instabilité qui le fait varier d’un état à un autre. Le calcul de la valeur d’entropie se base sur la formule de Shannon et Weaver (1949) : ∑(Pi. ln(1-Pi)), où Pi correspond au nombre de visites dans la cellule i divisé par le nombre total de visites dans la trajectoire entière. L’entropie permet à la fois d’objectiver la stabilité ou l’instabilité du système « degré de participation de l’élève TSA/type de guidance de l’adulte » et d’identifier si le système se rigidifie (baisse du degré d’entropie) ou devient plus flexible (hausse du degré d’entropie) au cours du temps ;
  • le potentiel d’attraction des différents états du système du système (c’est-à-dire la modalité de la variable d’interaction) peut être identifié par la mesure de la fréquence et de la durée des visites sur chacune des cases correspondant aux différents états du système.

Figure 1. Modèle de grille représentant la dynamique d’interaction « participation sociale de l’élève inclus/guidance de l’enseignant »

Figure 1. Modèle de grille représentant la dynamique d’interaction « participation sociale de l’élève inclus/guidance de l’enseignant »
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Table des illustrations

Titre Figure 2. State space grids au cours des 5 mois en RJD
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Titre Figure 5. State space grids aux mois d’octobre, décembre et février lors de l’accueil
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Titre Figure 1. Modèle de grille représentant la dynamique d’interaction « participation sociale de l’élève inclus/guidance de l’enseignant »
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Pour citer cet article

Référence papier

Amael André, Pascale Deneuve, Julien Despois et Maxime Tant, « Dynamique du système d’interaction enseignant/élève porteur de troubles du spectre de l’autisme lors de deux activités à l’école maternelle »Revue française de pédagogie, 196 | 2016, 101-115.

Référence électronique

Amael André, Pascale Deneuve, Julien Despois et Maxime Tant, « Dynamique du système d’interaction enseignant/élève porteur de troubles du spectre de l’autisme lors de deux activités à l’école maternelle »Revue française de pédagogie [En ligne], 196 | 2016, mis en ligne le 30 septembre 2019, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/rfp/5085 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rfp.5085

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Auteurs

Amael André

Université de Rouen-Normandie, laboratoire CIRNEF – amael.andre@univ-rouen.fr

Pascale Deneuve

Université de Rouen-Normandie, laboratoire CIRNEF – pascale.deneuve@univ-rouen.fr

Julien Despois

Université de Rouen-Normandie, laboratoire CIRNEF – julien.despois@univ-rouen.fr

Maxime Tant

Université d’Artois, RECIFES – maxime-tant@orange.fr

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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