Les Noces Chymiques de Johann Valentin Andreae dans Die Geheimnisse et Das Märchen de Goethe
Résumés
Goethe a vu dans les Noces Chymiques une œuvre poétique et plaisante qu’il s’était proposé en 1784 de réécrire afin d’en fournir à ses contemporains une version modernisée. Il n’en fit rien, mais la lecture de ce conte ésotérique lui inspirera le poème Les Mystères (1784-85), texte resté inachevé qu’il place d’emblée sous le signe de la Rose et de la Croix. Les motifs esquissés dans Les Mystères (l’idée de belle humanité, de tolérance) parcourent plus tard l’œuvre goethéenne : ils sont présents dans Wilhelm Meister (1795-1796,1821-1829) et en particulier le Conte qui clôt les Entretiens d’Émigrés allemands (1795). Dans ce dernier, Goethe empruntera au roman d’Andreae la forme en parodiant parfois les symboles alchimiques qui marquent dans l’Art le travail de métamorphose, mais réorientera la pensée du théologien luthérien dans un sens politique et moral. Le nouveau contexte historique, la Révolution française avec les bouleversements et les désarrois qu’elle suscite dans les pays allemands, les scissions qu’elle provoque au sein de l’élite cultivée, implique la subordination du projet individuel – la Bildung ou développement de soi, illustré par Andreae à travers l’initiation alchimique et chrétienne de son héros – à l’accomplissement d’une œuvre commune. La guérison du Corps souffrant, sa cohésion, ne se fera que grâce à l’alliance des forces vives de la communauté. Et comme dans l’œuvre d’Andreae, le dieu Éros, force créatrice et stimulante, est au cœur de l’entreprise de régénération.
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Mots-clés :
Goethe, Rose-Croix, francs-maçons, philosophie de la nature, alchimie, métamorphose, révolution française, individu, sociétéKeywords:
Goethe, rosicrucianism, freemasons, philosophy of nature, alchemy, metamorphosis, french revolution, individual, societySchlagwortindex:
Goethe, Rosenkreuzer, Freimaurer, Naturphilosophie, Alchemie, Transmutation, Französische Revolution, Individuum, GesellschaftPlan
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Réception des Noces Chymiques au xviiie siècle en Allemagne
- 1 Roland Edighoffer : Rose-Croix et société idéale selon Johann Valentin Andreae, 2 t. [1982]. Paris (...)
- 2 Andreae était avec le juriste Tobias Hess (1568-1614) membre d’un groupe d’étudiants luthériens, le (...)
- 3 Antoine Faivre : Accès de l’ésotérisme occidental, 2 t. Paris 1996, t. 2, p. 17-19.
1Dans l’ouvrage qu’il consacre à la Rose-Croix d’Andreae, Roland Edighoffer souligne que l’intérêt pour les écrits rosicruciens se manifeste particulièrement « au tournant des siècles »1, c’est-à-dire, pourrait-on préciser, à des moments-charnières de l’histoire où se trouve remise en question l’image traditionnelle de l’homme et du monde et s’inventent les nouvelles formes de la modernité. L’élite cultivée à laquelle appartenait le théologien Johann Valentin Andreae (1586-1654) était confrontée, en ce début du siècle baroque, à une situation de crise provoquée par l’incapacité d’une doctrine luthérienne sclérosée à répondre aux nouveaux défis soulevés par l’époque : la redéfinition des rapports entre l’homme, son monde et Dieu, entre la science et la foi2. On assiste dans les premières décennies du siècle à l’émergence d’une conscience critique désireuse de se libérer du carcan que lui impose un dogme religieux décadent et de revivifier l’enseignement de l’Église en se tournant vers des penseurs originaux, comme le médecin de la Renaissance Paracelse (1493-1541) dont l’œuvre est de mieux en mieux connue. Sa philosophie occupe une place importante dans le paysage intellectuel du xviie siècle, ce dont témoigne entre autres l’épopée de Christian Rose-Croix dans les Noces Chymiques, et le paracelsisme va contribuer à favoriser non seulement l’éclosion du courant rosicrucien, mais aussi de la théosophie qui connaît son « premier âge d’or »3 avec Jacob Boehme (1575-1624), contemporain d’Andreae. Il en ira de même au siècle suivant où penseurs et écrivains allemands recueilleront l’héritage spirituel de Paracelse et Boehme, en particulier leur vision dynamique et organiciste de la création. La Naturphilosophie romantique se constitue en opposition à la philosophie kantienne qui, en affirmant l’impossibilité pour l’homme de dépasser son moi empirique, est rendue responsable de la scission entre l’homme et la divinité, l’homme et sa propre nature, ce lieu originaire où il est à la fois sujet et objet, soi et univers.
2Le Baroque et le siècle des Lumières où s’élabore notre modernité et s’accélère sous l’impulsion de la Révolution française le processus de sécularisation, ont, il va de soi, une perception différente du moi et de ses rapports avec Dieu et le monde. Mais malgré les quelque deux siècles qui les séparent, des hommes de pensée et de culture comme Andreae et Goethe (1749-1832) ont des préoccupations proches. Tous deux vivent à des époques tourmentées (l’un sera témoin des troubles qui conduiront à la Guerre de Trente ans, l’autre de la Révolution et ses répercussions en Allemagne), et il s’agira dès lors pour eux de prendre parti et de répondre aux inquiétudes de leurs contemporains. Comment renouveler, reconstruire l’unité perdue entre l’homme et le monde, l’homme et son Dieu ? Comment guérir la fracture qui s’est établie entre le cœur et l’esprit, l’homme et le citoyen ? L’alchimie connaîtra dans ce contexte un regain d’intérêt : comme ancienne science de la nature et voie spirituelle d’accomplissement de l’homme (Paracelse la définira comme une technique de guérison), elle est présente dans le paysage culturel germanique depuis le Moyen Âge ; si Andreae et Goethe se gaussent des charlatans, ces « souffleurs » qui appâtent les naïfs en leur promettant de l’or, ils envisagent aussi l’Art royal sous son aspect lumineux : dans les textes examinés, l’alchimie est avant tout présentée dans sa dimension anthropologique et ontologique. En ce sens, elle peut apparaître comme une possible réponse aux préoccupations philosophiques, scientifiques, religieuses et morales du public lettré.
- 4 Johann Wolfgang von Goethe : Die Geheimnisse. In : Goethes Werke. Hamburger Ausgabe in 14 Bänden. H (...)
- 5 J. W. von Goethe : Das Märchen. In : Goethes Werke, Bd. 6 : Romane und Novellen I, p. 209-241.
3Pour Andreae, la tâche de restauration de l’unité incombe à un cercle d’élus, d’initiés comme Christian Rose-Croix. Goethe illustrera cette pensée dans l’un des deux textes que nous soumettrons à l’analyse : Die Geheimnisse (Les Mystères) rédigés en 17844, puis, à la suite des bouleversements provoqués par la Révolution française dans les pays allemands, il orientera le message du théologien dans un sens politique et moral : le deuxième texte, Das Märchen (Le Conte), qui fait suite aux Unterhaltungen deutscher Ausgewanderten (Entretiens d’Emigrés allemands) publiés en 17955, met l’accent sur la responsabilité collective dans l’œuvre de renouvellement du corps social.
Goethe et l’ésotérisme
- 6 Antoine Faivre : Philosophie de la Nature. Physique sacrée et théosophie XVIIIE-XIXE siècle. Paris (...)
- 7 La sclérose intellectuelle et l’isolation des scientifiques de la société des hommes sont critiquée (...)
- 8 René Le Forestier : Les Illuminés de Bavière et la franc-maçonnerie allemande [1914]. Genève 1974 ( (...)
- 9 Le Forestier : Les Illuminés de Bavière, p. 396-397. Sur Goethe et l’ésotérisme, cf. Christian Lepi (...)
- 10 Dietrich von Engelhardt : « Paracelsus im Urteil des 18. Jahrhunderts ». In : Gesnerus. Schweizeris (...)
4La naissance de la science moderne en Allemagne et son corollaire, le mécanisme qui pétrifie la vie, ont déstabilisé l’ancien ordre multiséculaire, et le siècle des Lumières va porter à leur comble, dans tous les secteurs (culturel, scientifique, social, politique et économique), les scissions générées par le rationalisme. De grands esprits comme Goethe et les penseurs romantiques ne s’inscrivent pas en faux contre l’Aufklärung et nombre d’entre eux pratiquent les sciences avec ardeur, mais ils refusent le divorce instauré par le projet moderne entre l’homme et la nature et participent d’un mouvement spirituel qui exprime une nostalgie de la totalité et un désir de restituer son sens à l’unité du monde6. Leurs aspirations entrent en résonance avec les idées exprimées dans les premiers manifestes rosicruciens dont les auteurs insistaient déjà sur l’unité des sciences, la nécessité de concilier la démarche scientifique avec la foi et l’engagement concret de l’individu dans la cité7. Le dernier tiers du xviiie siècle voit le développement de fraternités comme la franc-maçonnerie qui propage un idéal humaniste, les Illuminés dont l’Ordre fondé en 1776 à Ingolstadt par le juriste Adam Weishaupt (1748-1830) vise à dépasser la rupture entre les religions constituées8. Leurs membres fondateurs mettent l’accent sur la pédagogie, l’éducation et le développement de l’individu qu’ils entendent guider et préparer au rôle qu’il tiendra dans la société afin de l’améliorer et de faire face aux forces de désintégration. Un topos des textes littéraires qu’ils inspireront est le thème du voyage marqué d’épreuves entrepris par un personnage masculin qui, en se développant, prend conscience de sa responsabilité vis-à-vis des siens. Les deux livres qui constituent le roman goethéen : Wilhelm Meisters Lehrjahre (Les Années d’Apprentissage de Wilhelm Meister, 1795-1796), puis Wilhelm Meisters Wanderjahre (Les Années de Voyage de Wilhelm Meister, 1821-1829) témoignent de cet optimisme qui repose sur la confiance accordée à l’homme pour réaliser une tâche commune avec l’aide de ses semblables. Goethe adhérera à la franc-maçonnerie en 1780 et sera admis à la loge Amélie de Weimar, dont il ne sera pas un membre très actif, puis, en 1783, à l’illuminisme d’Adam Weishaupt9. La passion du siècle pour l’occultisme se traduit par l’attention accrue portée aux travaux de Paracelse qui comprend l’alchimie comme un savoir traditionnel de la nature envisagée comme une totalité signifiante et une ascèse qui aboutit à la transformation du corps physique et spirituel10.
- 11 Edighoffer : Rose-Croix et société idéale, t. 1, p. 241.
- 12 J. W. von Goethe : Aus meinem Leben. Dichtung und Wahrheit. In : Goethes Werke, Bd. 9, p. 341.
- 13 Geneviève Bianquis : « Étude sur le poème des Geheimnisse » [1926]. In : Bianquis : Études sur Goet (...)
- 14 Bernhard Suphan (éd.) : Johann Gottfried Herder. Sämtliche Werke, 33 Bde. Nachdruck der Ausgabe Ber (...)
- 15 Goethes Werke, Bd. 2, p. 705-710 (« Nachwort zu Die Geheimnisse »). Goethe avait sans doute lu auss (...)
- 16 Richard Müller-Freienfels (éd.) : Goethes Briefe an Frau von Stein. Mit dem Tagebuch aus Italien un (...)
- 17 Sur les Manifestes et les Noces Chymiques (sources, édition, analyse et réception des œuvres) : voi (...)
- 18 Goethes Werke, Bd. 3 : Vor dem Tor, v. 903-948.
- 19 Chymische Hochzeit, p. 52-53 (Dies II).
5Comme Andreae dont le père se livrait à des expériences dans un laboratoire installé dans le presbytère familial11, Goethe connaissait l’Art royal auquel il avait été initié par son amie piétiste Katharina von Klettenberg (1723-1774) et le médecin homéopathe Johann Friedrich Metz (1720-1782), lui-même alchimiste, qui l’avait guéri de la grave maladie (une hémoptysie) de l’hiver 1768-176912. Les Noces Chymiques seront rééditées en 1781, puis la Fama en 1784. L’intérêt pour la Rose-Croix se manifeste aussi par la publication à Berlin, entre 1783 et 1784, de l’Archiv für Freimäurer und Rosenkreuzer (Archives pour les Francs-Macons et les Rose-Croix)13, et d’analyses sérieuses portant sur sa dimension culturelle : le philosophe Johann Gottfried Herder (1744-1803) consacrera ainsi de nombreux passages dans ses œuvres aux facteurs ayant favorisé l’émergence puis la résurgence à son époque de la Rose-Croix et d’autres formes de l’ésotérisme dans les pays allemands, y louera à maints endroits la liberté d’esprit d’Andreae14. Il avait pris connaissance de l’œuvre d’Andreae par l’entremise de Gotthold Ephraim Lessing (1729-1781), bibliothécaire à Wolfenbüttel, et rédigé une préface élogieuse à la traduction allemande, en 1786, de poèmes latins d’Andreae appréciés par Auguste de Weimar, qui dira aussi son admiration pour le roman du luthérien. Goethe lui-même le lira, sans doute sous l’impulsion de Herder15. À l’instar de ses contemporains, Lessing, Herder ou encore Christoph Martin Wieland (1733-1813), il avait été séduit par le roman ésotérique d’Andreae et avait même pensé à en rédiger une version modernisée : « Ch. Rosenkreuz Hochzeit habe ich hinaus gelesen, es giebt ein schön Mährgen zur guten Stunde zu erzählen, wenn es wiedergebohren wird, in seiner alten Haut ists nicht zu geniesen », écrit-il dans une lettre adressée le 28 juin 1786 à Madame de Stein16. Il n’en fit rien, mais l’estime qu’il lui porta n’était pas seulement d’ordre esthétique : sa lecture le rendra particulièrement sensible à la dimension philosophique et sociale du texte, notamment à l’idée de transmutation, de transformation appliquée à l’individualité. Il s’en souviendra peut-être aussi en rédigeant Faust auquel il prête quelques traits de Christian Rose-Croix : il semble que la scène où Faust prend parti pour la vie en entendant la sonnerie des cloches de Pâques ait été inspirée des Noces Chymiques17. Comme le vieil anachorète Christian, le héros vit retiré du monde et le renouveau de la nature qui s’associe à la résurrection du Christ l’incite à entreprendre son périple avec Méphisto18. Christian de son côté quitte son ermitage le soir du vendredi saint pour l’achever le mercredi après Pâques et la nature tout entière participe à l’œuvre de sa régénération : l’ermite fait pour la première fois l’expérience d’une nature qui se manifeste dans son unité et ses formes en métamorphose19. On pourrait de même rapprocher le chant des déesses marines pendant la Cinquième journée des Noces de la Fête sur la mer Égée dans le Second Faust où est célébrée l’union de l’eau et du feu, symbole de la totalité ; nous y reviendrons dans notre étude du conte. Dans ce dernier texte et le poème précédemment cité : Die Geheimnisse l’influence d’Andreae est plus manifeste ; nous nous proposons d’en rendre compte et de montrer les fruits de la confrontation dynamique du grand poète avec l’initiateur du projet rosicrucien.
Die Geheimnisse (Les Mystères)
- 20 Il existe très peu d’études sur le texte. Citons celle de Geneviève Bianquis, la plus approfondie : (...)
- 21 Goethes Werke, Bd. 2, p. 283.
6Die Geheimnisse, texte rédigé peu avant le voyage en Italie (1784-85), est un poème resté inachevé20. Il relate un épisode-charnière de la vie d’une communauté de treize moines retirés dans un monastère après avoir œuvré dans le monde. Ils y accueillent chaleureusement le Frère Marc qui est parvenu jusqu’à eux au terme d’un périple dans la montagne et se présente comme l’émissaire de puissances supérieures : « Er sagt, woher er sei, von welcher Ferne / Ihn die Befehle höhrer Wesen senden », v. 85-86. Ces hommes lui confient leur désarroi : après de longues années passées en leur sein, leur Supérieur Humanus, l’âme de leur confrérie, désire bientôt les quitter sans même avoir nommé son successeur. Dans le commentaire que Goethe adjoignit au texte, paru en 1816 dans le Morgenblatt de Cotta, il les dépeint comme des êtres d’exception (« die trefflichsten Männer », die « ausgezeichneten Individuen ») venus d’horizons différents et honorant Dieu chacun à sa façon (« wo jeder von ihnen Gott auf seine eigenste Weise im stillen verehre »)21. Tous sont conquis par la pureté de cœur, la sagesse de Marc (v. 93-96), et un vieillard entreprend de lui conter la légende d’Humanus qui s’entend comme un parcours initiatique où le jeune garçon s’est volontairement soumis à la volonté d’un père qui lui a volé son enfance en l’obligeant à servir les autres (v. 195-224). Le récit du moine est entremêlé de motifs empruntés à différentes traditions : chrétienne (l’Annonciation qui est faite à la mère du garçon rappelle le message de l’ange Gabriel à la Vierge, et une Étoile apparaît à son baptême, symbole de la manifestation divine, v. 154-156), ou encore hébraïque (un vautour, oiseau de proie, donc un animal potentiellement dangereux, se mêle aux colombes au cours de la même cérémonie – figuration de la pacification des forces infernales – ; le jeune Humanus frappe comme Moïse le rocher du désert dont il fait jaillir la source, v. 157-160, v. 169-176). D’autres éléments font référence à la mythologie grecque (il étrangle le serpent qui menace sa sœur – un épisode rappelant l’exploit d’Héraclès, v. 161-168), et à la magie (comme Christian dans la Fama, l’homme a le pouvoir de guérison : il est le mage-médecin, le thaumaturge dont Paracelse annonçait la venue, v. 211-214).
- 22 Le terme vient de spao : diviser, qui fait allusion à la première phase du processus alchimique (so (...)
- 23 Sur le symbolisme de la rose, cf. René Guénon : Symboles de la science sacrée. Paris 1962, p. 74-75 (...)
- 24 Chymische Hochzeit, p. 53 (Dies II).
- 25 Carl Gustav Jung : « Paracelsus als geistige Erscheinung ». In : Gesammelte Werke, Bde. 1-19, Olten (...)
- 26 L’animus et l’anima sont des catégories de la psychologie analytique de Carl Gustav Jung. Ses étude (...)
7Le symbole de cette communauté est la Rose et la Croix qui sont figurées au portail d’entrée du cloître et attirent l’attention de Marc, surpris de cette alliance : « Es steht das Kreuz mit Rosen dicht umschlungen / Wer hat dem Kreuze Rosen zugesellt ? » (v. 69-80, v. 279-280). Des roses ornent également la ceinture des tuniques que portent des jeunes gens entraperçus par Marc dans les allées du cloître et qui rentrent probablement d’une fête nocturne, vêtus de tuniques blanches, le symbole chrétien et franc-maçonnique de la pureté (v. 348). Ce détail suggère que la rose qui figure la Vierge dans l’iconographie chrétienne (le blason de la famille d’Andreae comportait une croix de Saint-André avec quatre roses) revêt une tout autre signification dans le poème : elle est liée à la vie et à la joie, c’est-à-dire à la terre. En ce sens, elle est davantage un symbole alchimique que chrétien : dans l’art spagyrique22, la rose (comme la roue ou le cercle) représente l’unité de la matière ; son symbolisme s’apparente à celui de l’ouroboros, le serpent enroulé qui se mord la queue, figure de la totalité et des métamorphoses d’un monde en perpétuel devenir23. Dans son poème, Goethe lui attribue le caractère traditionnellement féminin de la « douceur » (« Weichheit ») tandis que la croix est désignée par sa matérialité brute : « le bois rugueux » (« das schroffe Holz »). Comme la rose, celle-ci n’a donc pas la signification qui est la sienne dans l’iconographie chrétienne où elle illustre la mort et la renaissance du Christ. Elle s’apparente davantage à l’Arbre de vie, l’Arbor Mercurialis que Christian Rose-Croix aperçoit au début de sa marche et auquel est fixée une Table alchimique dénommée d’après Hermès-Mercure, le dieu du Grand Art (Tabella Mercurialis), qui instruit Christian sur les quatre voies à choisir pour l’élaboration de la Pierre24. La présence symbolique d’Hermès-Mercure revêt ici une double signification : le dieu de l’alchimie est celui qui guide le voyageur sur la voie de son devenir, mais le Mercurius est aussi la substance transformante, secrète, l’esprit agissant au cœur de la matière que Paracelse dénommera la ‘lumière de la Nature’25. La qualité attribuée par Goethe au bois de la croix (« rugueux ») suggère qu’il désigne le principe masculin. Dès lors, l’enlacement de la rose et de la croix (« Es schwillt der Kranz, um recht von allen Seiten / Das schroffe Holz mit Weichheit zu begleiten », v. 71-72) signe la conjonction des polarités contraires, de l’animus et de l’anima, prélude dans l’Art royal à la renaissance26. Le triple rayon qui s’élance du centre : « Und aus der Mitte quillt ein heilig Leben / Dreifacher Strahlen, die aus einem Punkte dringen » (v. 75-76) est une vision de l’union de la Nature, de l’Homme et de Dieu, de la totalité cosmique. La rose et la croix expriment ainsi la plénitude du monde, un dynamisme vital qui est au fondement de la vision du monde alchimique. Elles incarnent ensemble la pulsation du vivant, la loi du devenir qui se concrétise dans la biographie d’Humanus et des Frères de sa congrégation.
- 27 Jean Chevalier / Alain Gheerbrant : Dictionnaire des symboles, p. 407-409.
- 28 J. W. von Goethe : Wilhelm Meisters Lehrjahre. In : Goethes Werke, Bd. 7 : Romane und Novellen II, (...)
8Die Geheimnisse relèvent comme les manifestes rosicruciens de la tradition littéraire de l’ésotérisme médiéval dont le roman Parzifal de Wolfram von Eschenbach est un exemple accompli : on y retrouve le topos d’un maître spirituel détenteur d’une Sagesse acquise au cours de ses épreuves et regroupant autour de lui des hommes pieux jugés dignes de recevoir son enseignement, qui consignent scrupuleusement sa parole dans leurs écrits à l’attention de la postérité (v. 141-144). La voie que le Supérieur a suivie est celle de l’alchimie spirituelle dans la mesure où elle débouche sur une transmutation de soi et du monde : Humanus (l’Humaniste) au nom évocateur a fondé une Fraternité qui pratique les vertus actives de charité et de tolérance. À travers lui et ses disciples sont exprimées en filigrane les idées éducatives des Pères de l’Aufkärung, ces penseurs et poètes fidèles à un idéal : éclairer l’humanité sur elle-même afin de l’aider à se construire – pensons à Lessing avec Die Erziehung des Menschengeschlechts (L’Éducation du Genre humain, 1780) et Nathan der Weise (Nathan le Sage, 1779), Herder avec les Ideen zur Philosophie der Geschichte der Menschheit (Idées sur la philosophie de l’histoire de l’humanité, 1784-1791) ou encore Schiller avec Über die ästhetische Erziehung des Menschen, in einer Reihe von Briefen (L’Éducation esthétique du genre humain, 1793). Le poème préfigure aussi le thème goethéen de la maîtrise de soi et du renoncement, illustré une décennie plus tard dans Das Märchen, puis Wilhelm Meister : Humanus a accepté de mener une vie humble et rude, a accompli de dures années d’apprentissage en se pliant à la volonté paternelle, avant d’être admis dans l’Ordre auquel sa naissance le prédestinait : « Und so trat er geprüft in einen Orden / Zu dem er durch Geburt berechtigt worden » (v. 231-232). L’épée que lui transmet son père au moment de son adoubement (v. 230) est un symbole solaire : elle est associée à la lumière, au feu divin27. Le chevalier tient maintenant sa puissance des forces spirituelles et s’engage à servir un idéal de paix et de justice. Le Supérieur est un exemple pour les autres hommes et les princes qui les gouvernent, car c’est de la volonté de l’individu à maîtriser ses instincts égoïstes et violents que dépend la cohésion de la société : « Von der Gewalt, die alle Wesen bindet, / Befreit der Mensch sich, der sich überwindet » (v. 191-192). Parce que Marc possède naturellement ces qualités : la simplicité et la sagesse du cœur, douceur et amour, il pourra succéder à Humanus : « Im Vorhof bist du freundlich aufgenommen, / Und scheinst mir wert, ins Innere zu kommen » (v. 319-320). Son initiation sera maçonnique comme le laissent penser l’évocation du Temple précédé d’un parvis, l’appellation « les Frères » (« die treu verbundnen Brüder », v. 293), le tapis et le voile qui recouvrent les mystères, l’existence de Supérieurs inconnus qui influencent la destinée des hommes, un motif récurrent dans les romans d’initiation, présents dans Wilhelm Meisters Lehjahre (1795-1796) à travers La Société de la Tour qui agit comme une loge : constituée d’un petit cercle d’élites, elle agit sur la destinée des hommes, travaille à son amélioration et celui de la société28.
- 29 Chymische Hochzeit, p. 123 (Dies VII).
- 30 Chymische Hochzeit, p. 98-99 (Dies V).
- 31 J. W. von Goethe : Faust. In : Goethes Werke, Bd. 3 : Dramen I, p. 20.
- 32 Gorceix : La bible, p. 52, 108. Si Christian franchit sans encombre les trois portes du Château, pe (...)
9Marc et Humanus sont différents de Christian Rosencreutz : les Noces Chymiques invitent le chrétien à descendre en soi pour se transformer, et les images alchimiques illustrent la progression de son âme vers Dieu. Mais le héros se contente de jouer le rôle d’auxiliaire ou de spectateur dans le travail de transmutation qui s’accomplit et il ne doit finalement son salut qu’à la miséricorde divine. Christian est un homme simple qui consent à être l’instrument passif de la volonté du Tout-Puissant, il ne possède pas les vertus actives de patience, d’effort, de modestie qui soudent les membres de la communauté. Il reste un pécheur qui cède à la tentation : en haut de la Tour d’Olympe, il continue d’être habité par de mauvaises pensées, se repent d’avoir avoué sa faute devant le Roi et doit se faire violence pour accepter son châtiment29. N’avait-il pas auparavant contemplé Vénus endormie nue dans le souterrain et profané le Temple30 ? La déesse figure la Vie, la Nature qui ne s’offre à aucun accaparement, mais seulement à la découverte attentive et respectueuse de ses possibles, de son mystère. Il est ici semblable à Faust avide d’aller au-delà du miroir et de connaître « ce que la nature contient de secrète énergie et de semences éternelles » (« Schau’alle Wirkenskraft und Samen », v. 384)31. Le roman d’Andreae semble ainsi moins le récit d’une expérience intérieure – nous n’assistons pas aux Noces du héros, à la conquête de son intégrité existentielle – qu’un dithyrambe à la louange du Dieu qui, dans sa bonté, guide l’homme sur la voie du Salut. Pour évoquer le processus de transformation de Christian, le théologien met selon nous davantage l’accent sur la grâce divine, la descente de Dieu en l’homme, qui lui permet de comprendre le monde et de le renouveler32. Or, l’alchimie paracelsienne place l’homme au centre de l’univers : c’est à lui qu’il incombe de rédimer la création ; par la connaissance et le déchiffrement des signatures, les ‘marques’ de la présence divine dans l’ici-bas, l’opérant s’élève peu à peu vers Dieu. Il est ainsi l’artisan de sa ‘seconde naissance’ et enrichit les autres en se développant. Dans Die Geheimnisse Goethe privilégie ce second mouvement du pèlerinage : les Frères sont allés à la rencontre du Christ dans le monde, s’y sont formés avant de se retirer à l’intérieur du cloître.
- 33 Nous trouvons exprimée ici la notion d’Église intérieure, une attitude d’esprit qui se passe des ri (...)
- 34 Goethes Werke, Bd. 2 : Gedichte und Epen, p. 283.
- 35 Ibid., p. 283-284.
- 36 J. W. von Goethe : Die Metamorphose der Pflanzen. In : Goethes Werke, Bd. 13, p. 64-101.
- 37 J. W. von Goethe : Zur Farbenlehre. In : Goethes Werke, Bd. 13, §175, p. 367-368. Michael Plathow y (...)
- 38 Gorceix : La bible, XXIII.
10Les disciples d’Humanus, avons-nous dit, sont mus par une même quête et rendent grâce à Dieu comme ils l’entendent, sans se référer à un enseignement dogmatique : c’est par l’expérience intime que le croyant approche le Seigneur ; il ne le trouve pas dans un lieu de culte, mais dans son cœur qui est aussi un organe de connaissance33. La congrégation est le modèle d’un christianisme tolérant, défendu et mis en pratique par le théologien Andreae tout au long de sa vie. Le Supérieur est porteur d’une religion universelle, d’un déisme qui associe différentes traditions, comme le suggèrent les représentations imagées de sa vita. En lui se concentrent, écrit Goethe, les grandes religions qui correspondent aux sommets atteints par l’Esprit au cours du devenir historique : « Hier würde sich denn gefunden haben, daß jede besondere Religion einen Moment ihrer höchsten Blüte und Frucht erreiche, worin sie jenem obern Führer und Vermittler sich angenaht, ja sich mit ihm vollkommen vereinigt »34. Chacun des douze disciples représente l’une de ces époques à son apogée : « Diese Epochen sollten in jenen zwölf Repräsentanten verkörpert und fixiert erscheinen, so daß man jede Anerkennung Gottes und der Tugend, sie zeige sich auch in noch so wunderbarer Gestalt, doch immer aller Ehren, aller Liebe würdig müßte gefunden haben »35. Toute forme religieuse procède ainsi d’une religion originelle, est partie d’une totalité qui l’englobe. Le poète esquisse dans ce texte la théorie du phénomène premier (Urphänomen) qui est au principe de sa philosophie de la nature et apparaît pour la première fois explicitement dans les textes théoriques : Die Metamorphose der Pflanzen (La métamorphose des plantes) de 179036, puis Die Farbenlehre (Le Traité des Couleurs) de 1810. Les phénomènes premiers, ces forces qui animent le vivant, en constituent la structure intime, s’appliquent également au monde moral : les affinités électives, l’amour entre les êtres et aussi le sentiment religieux en procèdent. Goethe qualifie l’essence phénoménale de « mystère manifeste » (« ein offenbares Geheimnis ») : il se révèle tout en se dérobant, se déploie dans le foisonnement de formes particulières, mais ne se distingue pas d’elles. Il est identique à elles, s’y condense37. C’est pourquoi le maître peut s’effacer et quitter la confrérie au terme de sa mission : l’universel concret qu’il représente se concentre en chaque membre de sa communauté qui perpétuera son esprit en initiant le jeune Marc. Le poète présente ici une vision de l’homme dans ses rapports avec Dieu et le monde qui entre en résonance avec la pansophie d’Andreae, entendue comme la « synthèse ordonnée, harmonique, de toutes les sciences, et de toutes les croyances […] »38.
- 39 J. W. von Goethe : Wilhelm Meisters Wanderjahre. In : Goethes Werke, Bd. 8 : Romane und Novellen II (...)
11Si Goethe n’a pu achever son poème, il en développera le message dans une œuvre de la maturité. Wilhelm Meisters Wanderjahre (1821,1829) illustre dans le Deuxième Livre l’idée d’une religion primordiale qui prend corps dans les religions particulières et habite un destin individuel. La Province pédagogique où est éduqué le fils de Wilhelm Meister est dirigée par un mystérieux Supérieur (« der Obere ») qui initie les enfants aux mystères sacrés dans les sanctuaires de la Province pédagogique (« die Heiligtümer ») : « Hier vernahm er [Wilhelm] nun, daß der Obere sich gegenwärtig bei den Heiligtümern befinde, dort unterweise, lehre, segne […] »39. Il n’y a point d’église dans le lieu, mais le héros observe dans une grande salle octogonale diverses représentations des mythes qui fondent les religions à des époques signifiantes de l’humanité, manifestant la présence du divin dans le flux du temps. Le guide fournit au visiteur étonné une explication rationnelle sans lui révéler la signification profonde de ces signes :
- 40 Ibid., p. 159.
[…] Ihr werdet bemerken, daß in den Sockeln und Friesen nicht sowohl synchronistische als symphronistische Handlungen und Begebenheiten aufgeführt sind, indem unter allen Völkern gleichbedeutende und Gleiches deutende Nachrichten vorkommen. So erblickt Ihr hier, wenn in dem Hauptfelde Abraham von seinen Göttern in der Gestalt schöner Jünglinge besucht wird, den Apoll unter den Hirten Admets oben in der Friese […].40
- 41 Ibid., p. 155.
12Leur contemplation active invite les élèves à découvrir cette présence vivante et doit éveiller en eux le respect (Ehrfurcht) pour ce qui se situe au-dessus, en dessous et à côté d’eux, car c’est en reconnaissant ses semblables et en s’alliant à eux que l’individu pourra se confronter au Monde : « Das erste ist Ehrfurcht vor dem, was über uns ist […]. Das zweite : Ehrfurcht vor dem, was unter uns ist […]. » Et : « Nur in Verbindung mit seinesgleichen macht er [der Zögling] Fronte gegen die Welt […] »41. La Bildung est donc ici définie par le biais de ces figures exemplaires comme une histoire, une ‘marche’ qui engage les protégés de la Province, avec le concours des pédagogues, à une réflexion, un effort en vue de l’accomplissement d’eux-mêmes : cette forme de pèlerinage ne se fonde pas sur un idéal de perfection mais de totalité. De même, l’alchimie spirituelle des Noces n’oriente pas Christian vers un but précis, la conquête d’une plénitude qui serait pétrification de l’esprit, mais au contraire vers un lieu qui lui est donné de construire, ce que suggère la fin ouverte du roman.
13Le Märchen composé une dizaine d’années plus tard, en 1795, traite sous forme symbolique des thèmes exposés dans le poème ; il leur confère cependant une dimension politique et sociale dictée par le contexte de l’époque : les répercussions du choc de la Révolution française sur la société allemande.
Das Märchen (Le Conte)
- 42 J. W. von Goethe : Unterhaltungen deutscher Ausgewanderten. In : Goethes Werke, Bd. 6 : Romane und (...)
- 43 Cf. art. « Die Horen ». In : Der grosse Brockhaus. 20 Bde. Leipzig 1931, Bd. 8, p. 671.
- 44 J. W. von Goethe : Das Märchen. In : Goethes Werke, Bd. 6, p. 209.
14Das Märchen est inséré à la fin du récit : Unterhaltungen deutscher Ausgewanderten (Les Entretiens d’Émigrés allemands) parus en 1795 dans Die Horen (Les Heures), la revue littéraire de Friedrich Schiller42. Les Heures figurent les divinités de l’ordre dans la société ; ces trois filles de Zeus sont nommées par Hésiode Eunomia (l’Ordre des bonnes lois), Diké (la Justice) et Eirénè (la Paix)43. Peu après le début de leur amitié, Schiller avait demandé à Goethe une contribution, ce qu’il fit de bonne grâce tout en continuant à rédiger son roman : Wilhelm Meisters Lehrjahre (Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister) et à se consacrer à ses travaux d’anatomie comparée. Il s’était proposé d’écrire un texte plaisant qui toucherait un large public et le distrairait de ses nombreuses activités. À l’instar d’Andreae pour son roman, il conçut donc la rédaction du Märchen comme un jeu. Schiller ne désirait pas voir traiter de questions politiques ou religieuses dans sa revue, mais Goethe ne se pliera qu’en partie à ses vœux : l’histoire-cadre des Unterhaltungen s’inscrit dans l’actualité politique de l’époque et traite de l’exode, en 1793, de nobles allemands fuyant l’avancée de l’armée révolutionnaire française ; les troupes occupaient alors des territoires de la rive gauche du Rhin et menaçaient Francfort. Une noble, la Baronne de C. accompagnée de ses enfants, d’amis et de domestiques a quitté précipitamment ses propriétés pour se réfugier en terre allemande. Les conversations de cette société désœuvrée portent naturellement sur la réalité politique (le conseiller aulique, partisan de la tradition, fustige la Révolution, tandis que le jeune Charles s’enthousiasme pour les idées démocratiques), mais sous l’impulsion de la baronne et de son ami, un ecclésiastique, les débats s’orientent vers des considérations d’ordre moral : comment répondre aux urgences culturelles du temps ? Comment l’individu doit-il réagir au chaos qui menace l’ordre social ? Quelle est sa place et sa mission au sein de la communauté ? Comment peut-il préserver sa propre intégrité dans une époque troublée ? Un rôle important est dévolu au discours, au dialogue qui est le soubassement de la culture. Pour distraire et instruire ses amis, l’abbé entreprend de leur conter deux histoires morales, celle du Prokurator (Le Procureur) et de Ferdinand qui thématisent la responsabilité du sujet vis-à-vis de ses semblables, insistent sur la nécessaire solidarité entre les membres d’un groupe et le devoir échu à chacun de dominer son égoïsme. Ces deux textes préfigurent sous une forme édifiante l’idéal visé dans le Märchen. À Charles, auquel a peut-être déplu l’intention didactique des deux récits, l’abbé promet pour la soirée la lecture d’un conte. Celui-ci, dit-il, correspondra à ses attentes car, comme œuvre d’art, il lui sera en lui-même une réelle source de plaisir et d’intelligence : « Diesen Abend verspreche ich Ihnen ein Märchen, durch das Sie an nichts und an alles erinnert werden sollen »44. Il sera symbolique, au sens goethéen du terme, car il fera signe vers une universalité, une totalité concrète – la loi hermétique de métamorphose appliquée au domaine politique et moral. Et si l’auteur emprunte dans cette dernière œuvre maintes figures à l’alchimie, le choix de celles-ci est déterminé par l’évolution du contexte culturel : dans le Magistère illustré par le cheminement des personnages domine la phase de coagulation (coagula) qui représente la recréation, la recomposition d’une matière imparfaite (la prima materia), opération qui s’entend comme une ‘guérison’, le rétablissement de l’harmonie visée. Place est faite dans le conte à l’alchimie opératoire : il s’agira de préparer une ‘matière’ qui est le corps du Prince déchu afin qu’il puisse s’unir à Fleur de Lis et rétablir la cohésion du royaume, de même que les cadavres du Roi et de la Reine dans les Noces Chymiques sont sublimés avant leur hyménée. Le personnage central de l’alchimie – Hermès / Mercure – est dans le texte goethéen une figure-clé : médiateur entre le Ciel et la Terre, pacificateur des opposés, il apparaît sous son aspect diurne pour présider à l’œuvre de reconstruction à laquelle convie le poète.
- 45 Sur Le Conte, voir l’étude très complète de Gonthier-Louis Fink : Naissance et apogée du conte merv (...)
15La recherche n’a pas relevé la pertinence du discours alchimique dans une étude comparée des textes de Goethe et d’Andreae : il est mis au service d’une critique de leur époque, mais remplit aussi une fonction constructive en leur permettant d’ébaucher un programme ambitieux qui se conçoit comme une thérapie du Corps moderne souffrant45.
- 46 Les références au Märchen sont indiquées dans l’étude par la lettre M suivie du numéro de la page.
- 47 Fink : Naissance et apogée, p. 661. Dans la Fama fraternitatis, Christian Rose-Croix entreprend un (...)
16Das Märchen prend son point de départ dans la réalité banale : au bord d’un fleuve que les pluies ont fait déborder vit un vieux passeur, homme paisible et serviable. Puis, sans transition, l’auteur transporte le lecteur dans un monde féerique en mettant en scène des animaux et des esprits élémentaires doués de la parole et des traits de caractère des humains, renouant ainsi avec la tradition du Moyen Âge : deux feux follets prient l’homme de les transporter sur la rive opposée, et dans une crevasse de la montagne habite un serpent vert qui avale l’or avec avidité. La vie suit son cours dans le pays, mais elle apporte peu de réjouissances : le fleuve est un obstacle à la circulation des biens et des habitants, et son eau est létale : la main d’une vieille femme (« Die Alte ») devient noire quand elle l’y plonge et elle-même ne sent pas malgré sa faiblesse le poids des choses mortes : « Alles Tote, was sie trug, fühlte sie nicht » (M 218)46. Elle possède un chien, animal associé aux puissances inférieures, comme le barbet noir dans Faust (dans le Moyen Âge chrétien, le chien était synonyme de vice, d’impureté). Le géant qui habite les lieux ne tient sa force que de son ombre (M 213) et Fleur de Lis, la princesse orpheline de son peuple, vit enfermée dans un jardin transformé en cimetière : à son grand désespoir, son regard tue quiconque le croise et tout contact avec son corps est mortel (M 223-224). La femme participe ainsi des forces nocturnes (son élément est l’eau associée à la lune). Le prince est lui-même un souverain déchu qui erre comme un vagabond parmi ses terres (M 221) et le cœur du royaume, le Temple, est enfoui sous la terre : comme Barberousse dans le Kyffhäuser, trois rois pétrifiés attendent leur délivrance. Ils sont composés d’or, d’argent et d’airain qui incarnent dans l’idéal franc-maçonnique la Sagesse, l’Art et la Force ; un quatrième roi est constitué de ces différents métaux, dérisoire alliage composite qui est à l’image du pays privé de Centre (M 215-216). À travers la figure symbolique et alchimique du roi malade, le poète suggère que la nature et la création tout entières sont en deuil et attendent leur ‘rédemption’. Une chape de plomb pèse sur ce monde régi de surcroît par des lois rigides et absurdes qui sont le propre des formes étatiques totalitaires et déliquescentes : on ne peut traverser le fleuve qu’à des moments particuliers (au milieu du jour avec l’aide du serpent ou le soir, sur l’ombre du géant) (M 213), et le tribut qu’il demande par l’entremise de son serviteur, le nocher, doit se composer de fruits de la terre (trois choux, trois artichauts, trois oignons), car il refuse d’être rémunéré avec l’or distribué généreusement par les feux follets (M 210). L’eau et le feu dont l’or est la figure ne s’accordent pas, une dualité exprimée aussi dans l’organisation chaotique de l’espace : la modeste cabane du passeur avoisine le jardin-charnier de Fleur de Lis tandis que le Temple et son gardien, l’homme à la lampe, se trouvent sur la rive Ouest. Or, c’est de l’Orient, ce lieu mythique où se cristallise la nostalgie d’une Sagesse primordiale, que devrait venir le renouveau47.
17La première partie du récit donne ainsi à voir l’enlisement qui affecte toute une communauté, la scission qui divise le corps social. Cet état correspond en alchimie à la nigredo, évoquée ici par la prégnance de la couleur noire et du thème de la mort : l’œuvre au noir est le moment de la ‘nuit’ de la matière et de l’âme où se dissolvent et se recomposent les formes individuées. Comme dans les Noces Chymiques d’Andreae, les allusions à l’ars magna abondent dans le récit et nous démontrerons que sa structure épouse le mouvement ascendant de la transmutation alchimique.
18La vie s’est figée, mais Goethe n’en révèle pas la cause au lecteur : il lui importe surtout de suggérer les moyens à mettre en œuvre pour libérer le pays du mal dont il souffre. L’arrivée inopinée des feux follets marque l’amorce d’un processus de renouveau en plusieurs étapes qui s’enchaînent rigoureusement, comme dans la conduite progressive d’une action dramatique. Ces feux follets qui surgissent de nulle part et désirent ardemment rejoindre le palais de la princesse vont susciter un mouvement de fond dans cet univers confiné.
- 48 La cérémonie d’initiation est précédée d’un voyage mouvementé dans les profondeurs du fleuve : lors (...)
- 49 « […] sie hatte den Schleier weggeworfen, und ihre Wangen färbten sich mit der schönsten, unvergäng (...)
19Résumons l’action : le passeur cache l’or que lui ont offert les feux follets dans une faille de la montagne. Il est découvert par le serpent vert qui l’avale, et son corps-athanor transforme le métal en lumière ; son parcours souterrain le mène vers le Temple, la source lumineuse réveille les trois rois qui engagent le rituel de son initiation selon la tradition franc-maçonnique : trois questions lui sont posées qui ont pour but de lui faire prendre conscience de sa vocation. Sa réponse pertinente à la dernière : « Qu’est-ce qui est plus réjouissant que la lumière ? » (« Was ist erquicklicher als Licht ? »), à savoir « le dialogue » (« das Gespräch ») qui manifeste notre présence à l’autre, signifie qu’il a surmonté son individualisme et s’achemine vers l’idéal de fraternité défendu par le Märchen (M 215). Sa lumière attire selon la loi d’analogie un autre personnage dans le sanctuaire : l’énigmatique homme à la lampe qui comprend que « l’heure est venue » : le Temple éclairé est le signe d’un retournement salvateur (l’Œuvre au blanc ou albedo en alchimie), promesse d’un nouveau règne. Mais auparavant tous les habitants doivent affronter diverses épreuves qu’ils surmonteront en unissant leurs forces : ainsi, le serpent-ouroboros forme un cercle magique autour du prince pour préserver son cadavre de la décomposition, mais dès le coucher du soleil il a besoin de l’aide des autres (la lampe, le voile de la princesse, les feux follets) pour protéger le corps de l’action délétère des forces de destruction. La renaissance du jeune homme est rendue possible par le sacrifice du serpent puis par sa propre purification, sa ‘préparation’ au temple48. La phase finale, la rubedo ou Œuvre au rouge suggérée par la couleur du voile de Fleur de Lis49, sera le fruit d’un travail collectif : l’union des époux, les noces royales, symbole de l’unité recouvrée, signent le Grand Œuvre social appelé par le poète de ses vœux pour répondre aux urgences culturelles du temps.
20Le développement spirituel et moral des personnages du Märchen s’effectue comme celui de Rosencreutz sous l’égide d’alchimia. Dans les Noces Chymiques, l’alchimie comme voie de transmutation se confond avec l’ascèse chrétienne, elle sert une idéologie religieuse qui se veut le moteur d’une conversion collective, de la rénovation d’une société déchirée. La transformation de Christian a valeur d’exemple pour la communauté. Le dessein de Goethe ne diffère pas de celui d’Andreae, mais les êtres qu’il dépeints ici puisent leur force en eux-mêmes et se passent du Créateur.
21On mesure la distance qui sépare cette œuvre du poème précédent : dans ce dernier, la réalisation de l’unité existentielle est confiée à une petite communauté masculine coupée du monde féminin et de la Nature, ici est dépeint un travail commun entrepris par des partenaires solidaires engagés dans une dynamique de reconstruction.
22Les feux follets, le serpent vert, le passeur, l’homme à la lampe sont, nous allons le voir, des enfants d’Hermès, le dieu païen de l’Art sacré.
23Il est mentionné dans le récit d’Andreae sur la plaque que porte le lion dans le jardin royal où se purifient les néophytes et y est assimilé à la Pierre philosophale aux vertus curatives :
- 51 J. W. von Goethe : Zur Farbenlehre, §739, p. 488. Sur la définition du phénomène originaire : Ibid. (...)
24Hermès est dans la mythologie grecque le messager des dieux et le guide des âmes humaines. Passeur entre les mondes, l’Olympe, la terre et l’Hadès, ce voyageur aux pieds ailés figure le principe de mobilité, de transformation – sa nature changeante est souvent symbolisée par l’eau, la fontaine hermétique – et dans une acception plus large le dynamisme universel, qui se confond dans l’alchimie spéculative avec l’âme du monde. Le père de l’alchimie, tel qu’il apparaît à travers ses diverses représentations dans le Märchen, est un paradigme : dans la philosophie de la nature goethéenne, il fait partie de ce que le poète nomme des phénomènes primitifs (Urphänomene) que nous déjà mentionnés dans l’étude précédente. Ceux-ci désignent des forces secrètes, des puissances de métamorphose qui sont à la source du dynamisme universel, organisent en profondeur le monde sensible. Ces structures fondamentales du réel, « alle Wirkenskraft und Samen », selon les mots de Faust (v. 384), sont d’abord des phénomènes qui relèvent des sciences de la nature et se confondent avec le principe de vie : le magnétisme animal, l’électricité représentent ainsi des phénomènes purs. Mais ils peuvent tout aussi bien désigner des faits de la vie morale ou intellectuelle, comme l’attraction entre les êtres ou encore l’acte créateur qui se manifeste sous forme symbolique dans le mythe, l’art, la science. Hermès est pour Goethe la force vitale animant la matière et l’esprit, l’incarnation de la loi de métamorphose ou de polarité qui régit le développement de chaque individualité, le devenir de l’homme et celui de la nature. L’auteur définit en ces termes le dynamisme qui détermine l’existence, la systole et diastole du vivant : « Das Geeinte zu entzweien, das Entzweite zu einigen, ist das Leben der Natur ; dies ist die ewige Systole und Diastole, die ewige Synkrisis und Diakrisis, das Ein- und Ausatmen der Welt, in der wir leben, weben und sind »51.
- 52 Parfois les alchimistes assimilent le dieu à l’âme mercurielle ou anima, corps subtil à la vertu at (...)
- 53 Chymische Hochzeit, p. 88-89 (Dies IV).
- 54 Chymische Hochzeit, p. 116 (Dies VI).
- 55 Chymische Hochzeit, p. 102-103 (Dies V).
- 56 Goethes Werke, Bd. 1 : Gedichte und Epen I, p. 128. Sur le pouvoir unificateur et formateur d’Éros, (...)
- 57 Goethes Werke, Bd. 2 : Gedichte und Epen II, p. 18-19 : « Und so lang du das nicht hast, / Dieses : (...)
25Un avatar d’Hermès dans le récit d’Andreae et Das Märchen est Éros : force liante qui crée la vie52, il est l’une de ces puissances de métamorphose qui agissent dans les deux mondes, matériel et spirituel. Il apparaît dans les Noces Chymiques à l’intérieur du souterrain de Vénus, sa mère-nature, est l’aiguillon qui incite les jeunes filles, sur un ton plaisant, à faire des avances au vieil ermite Christian et à ses compagnons53, mais il préside aussi au mariage royal, à l’union de l’âme avec le Créateur54. Le dieu est magnifié sous ses multiples visages par les déesses marines lors de l’odyssée en mer de Christian55, et Goethe se souviendra de leur hymne en composant un poème inséré dans une lettre destinée à Madame de Stein : « Woher sind wir geboren ? / Aus Lieb’/ […] Was hilft uns überwinden ? / Die Lieb’ / […] Was soll uns stets vereinen ? / Die Lieb’ »56. Il unit les Chevaliers sous la bannière de la croix et de la rose et se manifeste dans sa forme la plus sublime au moment du sacrifice du serpent qui rappelle le « Stirb und werde » du poème Selige Sehnsucht57, évocation du ‘dépouillement du Vieil homme’ de la mystique chrétienne – un thème qu’inspireront à Goethe les dernières strophes du chant des nymphes, prélude à l’hymen des Altesses royales :
- 58 Chymische Hochzeit, p. 103 (Dies V), traduit par Gorceix : La Bible, p. 101-102, ici p. 102 : « […] (...)
[…] So wir noch leben,
so wirdt Gott geben,
Das wir die Lieb und groß Huldschafft,
Sie theilet hat mit grosser Krafft,
Also wir auch durch Liebes Flamm,
Mit Glück sie wider bringen zusamm
(VI). Da soll diß Leyd,
In grosse Frewd,
Wens noch viel tausent Junge geit,
Verkert werden in Ewigkeit (VII).58
- 59 J. W. von Goethe : Faust. In : Goethes Werke, Bd. 3 : Dramen I, p. 256 (v. 8464-8487).
- 60 Ibid., p. 256.
26Éros est aussi présent à la Fête des Éléments à la fin de Klassische Walpurgisnacht (Nuit de Walpurgis classique), dans la deuxième partie de Faust, où l’esprit devenu feu d’Homoncule s’unit à Galatée, allégorie des eaux originelles59. Il est possible que cette scène soit une réminiscence de la fête marine des Noces Chymiques, son pendant au niveau de la sphère élémentaire : les sirènes célèbrent dans le drame le hieros gamos, le mariage chimique des opposés qui marque la phase ultime du Grand Œuvre, la rubedo illustrée par le Sceau-de-Salomon, et lui rendent hommage dans leur incantation : « So herrsche denn Eros, der alles begonnen ! »60 (v. 8479).
- 61 Chymische Hochzeit, p. 82 (Dies III).
- 62 Hermès est une énergie plastique qui se déploie aussi dans la sphère inférieure : n’est-il pas le p (...)
27Hermès est considéré dans les textes d’Andreae et de Goethe sous son aspect affirmatif, salvateur : sous son patronage, Dame Alchimia accompagne Christian Rose-Croix sur la voie de son développement61, tandis que ses diverses représentations dans le Märchen ont pour fonction de diriger le Grand Œuvre social visé par le poète62.
28Les feux follets et le serpent, symbole antique de la régénération (le caducée est avec la corne d’abondance un attribut du dieu), représentent sa nature chthonienne. Les premiers sont des elfes agiles, superficiels et plaisants dont l’élément est le feu. S’ils jettent à la ronde, comme Faust, l’or matériel que refuse le passeur (M 210), ils figurent aussi, à l’instar de Méphisto, un principe actif qui s’oppose à l’inertie du monde et sauve les habitants de la léthargie : leur arrivée inopinée agit comme un détonateur qui déclenche l’action émancipatrice des protagonistes.
- 63 Jean, 3,14. Cité dans Alexander Roob : Alchimie & Mystique, p. 401. L’animal joue dans le récit le (...)
- 64 L’homme à la lampe enjoint à la jeune femme de toucher de la main gauche le serpent et de la droite (...)
- 65 En voulant saisir sa corbeille, la Vieille touche par inadvertance le serpent, provoquant la mort d (...)
29Le serpent vert est la vertu curative, le spiritus mundi des alchimistes, que l’on pourrait rapprocher du serpent d’airain cloué par Moïse à la croix « afin que le peuple le vît et guérît de ses maux »63. L’or des feux follets qu’il avale d’abord goulûment est sublimé au cours de son parcours individuel et se confond avec le feu secret des alchimistes, le principe vital qui apparaît à l’Adepte comme un sang profond que contient un réceptacle vert : c’est le ‘sang du dragon’ (le serpent lui est assimilé) ou le ‘sang du lion vert’ qui passe comme un flux magnétique dans le corps de Fleur de Lis et qu’elle transmet au prince (M 233)64. Ce creuset est aussi le Graal, vase d’émeraude ou de cristal vert qui renferme le sang du Dieu incarné, symbole d’amour et de sacrifice. La luminosité du vase-athanor exprime le mystère de la mort et de la renaissance, c’est le corps étincelant du serpent qui meurt pour que vive sa communauté : il se décompose en pierres précieuses (« leuchtende Edelsteine ») qui vont servir à la construction du pont entre les rives opposées (M 238)65. Ainsi le monde des profondeurs qui est le sien est aussi éclairé, il se révèle le lieu d’un possible dépassement, d’une expérience extatique.
Ill. 1 : L’Opus Magnum : Le Serpent.
In : Abraham Eléazar : Uraltes chymisches Werk (Traité de chymie très ancien), Leipzig 1760. Repr. avec la permission de Stiftung der Werke von C. G. Jung, Zurich. Source : http://doi.org/10.3931/e-rara-4955. 10.4.2018.
30Le nocher et l’homme à la lampe figurent l’Hermès ouranien, l’émissaire des forces supérieures. Personne ne soupçonne leur pouvoir occulte, car ils ne semblent tout d’abord jouer qu’un rôle subalterne, le premier se contentant de mener les voyageurs sur l’autre rive tandis que le second a l’allure humble d’un simple paysan (« Er war als ein Bauer gekleidet »). C’est au moment du couronnement du prince qu’ils vont dévoiler leur fonction médiatrice et salvatrice : l’homme à la lampe éclaire pour le jeune homme les marches du Temple, aidé du nocher qui est vêtu d’une tunique blanche, la couleur des rites de passage – ici symbole maçonnique de l’initiation – et muni d’une rame d’argent (« ein silbernes Ruder »), manifestant ainsi sa nature hermésienne de passeur (M 236). Représenté en alchimie avec une clé destinée à ouvrir le sanctuaire de la nature, l’homme à la lampe est le psychopompe ou guide des âmes qui mène la personne royale à l’autel où se déroulera l’hyménée avec Fleur de Lis. Cet homme effacé va se muer en maître de cérémonie, gardien du lieu sacré et détenteur des mystères, qui remet au prince les insignes du pouvoir.
Ill. 2 : L'Opus Magnum : La conjonction.
In : Rosarium philosophorum, secunda pars, Frankfurt am Main 1550. Repr. avec la permission de Stiftung der Werke von C. G. Jung, Zurich. Source : http://doi.org/10.3931/e-rara-10570. 10.4.2018.
- 66 Dans la phase primordiale du Grand Œuvre, la nigredo, se joue de manière dramatique, dans l’obscuri (...)
31Le pouvoir unificateur d’Hermès est de même exemplifié dans le Grand Œuvre au moment de la phase sacrificielle du ‘mariage’ où se joue la conjonction de la matière et de l’esprit : les époux royaux sont mis à mort pour se retrouver en un seul corps sublimé, image de la totalité ontologique66.
- 67 Cf. R. Geiger : Goethes Märchen : Das Märchen ist « das Hohelied der Gemeinschaft », p. 122 et Spit (...)
32Dans le roman d’Andreae, ces Noces sont des noces mystiques signant l’union de l’âme avec le Créateur. Goethe s’est inspiré de cette scène de la Sixième journée pour figurer l’union ; mais la conjonction des opposés, le mariage de Fleur de Lis et du Prince, incarne dans son récit un désir actif appelé à se déployer dans la réalité sensible : le couple y représente le prototype d’une communauté solidaire, d’une belle humanité67.
- 68 Paul Kluckhohn / Richard Samuel / Heinz Ritter / Hans-Joachim Mähl / Gerhard Schulz (éd.) : Schrift (...)
33Les mêmes préoccupations sociales sont partagées par les contemporains romantiques du poète : ainsi, le mythologème du couple royal est aussi présent dans Glauben und Liebe (Foi et amour, 1798) de Novalis (1772-1801)68. Mais alors que pour ce dernier il incombe au souverain d’éduquer ses sujets pour les aider à devenir eux-mêmes des rois, des hommes complets, ce sont dans Le Conte les membres qui s’emploient à revitaliser le Grand Corps. Le prince doit sa guérison à l’action commune de ses sujets et Fleur de Lis, homuncula prisonnière de son ‘alambic’, comme son parent masculin dans le Second Faust, se délivre elle-même de son état larvaire pour s’incarner, accéder à une existence terrestre.
34L’alchimie a ceci de commun avec les autres ontologies qu’elle travaille au dépassement de la scission, à la construction d’une totalité, mais s’en distingue par ce qu’elle bâtit son utopie ‘d’en bas’, qu’elle part de la réalité concrète sans renoncer pour autant au principe de transcendance : ora et labora est sa devise. Tradition, ordre et hiérarchie doivent ainsi régner dans la nouvelle société car, adjoints à la puissance formatrice de l’amour, ils sont les garants de la pérennité de l’Œuvre. Le serpent puis le maître à la lampe et les rois transmettent au prince les forces qu’ils symbolisent : sagesse, art et force procèdent du pôle solaire de la vie, le Soleil ou la Pierre auquel elle est assimilée étant l’archétype de la stabilité et de l’équilibre (M 237-238).
- 69 De même, la voie suivie par le Serpent est une ‘reconduction en terre’, une incarnation : son corps (...)
35Rosenkreutz de son côté devient Chevalier de l’Ordre de la Pierre d’or (Eques aurei Lapidis), une fraternité qui l’engage à mener une vie charitable. Après Andreae, Goethe insiste sur la complémentarité des deux moments du processus de régénération : à l’Œuvre au noir succède un mouvement ascensionnel qui suppose que l’homme comme tout véritable alchimiste intègre son existence spirituelle dans le monde : l’Adepte ne se situe pas au-dessus du temporel, il ne désire pas comme Faust devenir le maître du temps, mais aspire au contraire à être de son temps, à se situer au centre de l’espace naturel où coule notre existence terrestre69.
- 70 La notion d’‘âme du monde’ est reprise au xviiie siècle par le philosophe Schelling : il la définit (...)
36Le recours dans ces œuvres aux figures de l’art hermétique pour illustrer l’idée de métamorphose fait tout d’abord partie d’un jeu littéraire : Andreae n’a-t-il pas défini à l’adresse de ses contemporains son roman comme un ludibrium ? Subtilité et humour caractérisent également le Märchen et s’opposent à la lourdeur didactique des deux contes moraux des Unterhaltungen. Mais le théologien et le poète envisagent aussi l’alchimie sous son aspect poïétique, transformateur : elle représente comme activité artistique un certain mode d’exister de l’humain qui s’articule sous forme symbolique. En ce sens, si on fait appel à la notion ontologique du symbole, ses signes sont à même de révéler l’universel dans le particulier, l’éternel dans le transitoire, l’unité dans la diversité. Ils sont pour Andreae la manifestation d’un Idéal en acte et pour Goethe celle de la loi de vie, âme du monde qui régit le développement de chaque individualité, le devenir de l’homme et du monde70. La force hermésienne transformatrice et régénérante s’exprime ainsi tant au niveau spirituel en s’incarnant dans les membres d’une fraternité chrétienne, celle évoquée dans Die Chymische Hochzeit et Die Geheimnisse, qu’au niveau moral et politique, dans la vie de la cité, comme le suggère le conte.
- 71 Schriften, Bd. 2, p. 485 (fragment 3).
37L’expression symbolique est contournée, figurée, elle revêt ici un sens numineux (Novalis la qualifiera de ‘mystique’)71 : ses formes sont proches des Signatures de la magie, ces empreintes du divin sur les choses naturelles que l’initié peut déchiffrer. Elles remplissent une fonction appellative et thérapeutique car elles incitent l’homme, en l’occurrence le lecteur, à s’engager dans un espace inconnu qu’il lui faut lui-même explorer afin de conquérir son moi supérieur, de sortir de l’état de crise ou d’incomplétude où il se trouve. C’est à ce travail de ‘guérison’, d’autométamorphose, que convient Andreae et Goethe.
Notes
1 Roland Edighoffer : Rose-Croix et société idéale selon Johann Valentin Andreae, 2 t. [1982]. Paris 1987, t. 1, p. 210
2 Andreae était avec le juriste Tobias Hess (1568-1614) membre d’un groupe d’étudiants luthériens, le « cercle de Tübingen ». Ils rêvaient d’une régénération de la société et avaient exprimé cet espoir en publiant anonymement, entre 1614 et 1616, trois manifestes : outre le récit allégorique qui nous préoccupe ici, la Fama Fraternitatis et la Confessio Fraternitatis. Seul le roman alchimique a été composé par Andreae.
3 Antoine Faivre : Accès de l’ésotérisme occidental, 2 t. Paris 1996, t. 2, p. 17-19.
4 Johann Wolfgang von Goethe : Die Geheimnisse. In : Goethes Werke. Hamburger Ausgabe in 14 Bänden. Hrsg. von Erich Trunz. München 1981, Bd. 2 : Gedichte und Epen II, p. 271-281.
5 J. W. von Goethe : Das Märchen. In : Goethes Werke, Bd. 6 : Romane und Novellen I, p. 209-241.
6 Antoine Faivre : Philosophie de la Nature. Physique sacrée et théosophie XVIIIE-XIXE siècle. Paris 1996, p. 8-9 : « […] l’essentiel est de refuser la séparation radicale entre connaissance de la Nature et connaissance de Dieu […]. Il s’agit d’enregistrer, dans un monde en train de se séculariser, les découvertes scientifiques en les accordant à la foi ou du moins à une vision téléologique des processus naturels […]. »
7 La sclérose intellectuelle et l’isolation des scientifiques de la société des hommes sont critiquées en ces termes dans la Fama Fraternitatis, p. 17, 28 : « […] auch bey den Gelehrten [ist] der Stoltz und Ehrgeitz so hoch, daß sie nicht mögen zusammen tretten und auß allem, so Gott in unserm seculo reichlich mitgetheilet in librum naturae, oder regulam aller künsten söndern möchten […] ». Les citoyens de bonne volonté sont appelés à rejoindre la Fraternité pour œuvrer dans le monde : « […] in Demut und Liebe [sollen sie] die mühsambkeit dieser Welt überzuckern und in den wunderwercken Gottes nicht also blind umbgehen […]. ». Nous utilisons l’édition allemande de Richard van Dülmen : Joh. Valentin Andreae. Fama Fraternitatis. Confessio Fraternitatis. Chymische Hochzeit : Christiani Rosencreutz. Anno1459. Stuttgart 1973, et la traduction française de Bernard Gorceix : La bible des Rose-Croix. Paris 1970, p. 4, 16-17 (« Échos de la fraternité ou confrérie du très louable ordre de la Rose-Croix ») : « […] Les hommes de science sont pleins d’une fierté et d’un orgueil tel qu’ils refusent de se réunir pour jauger la foule des révélations dont Dieu a gratifié notre siècle par le livre de la nature, ou par la règle de tous les arts. […] que quelques-uns s’annoncent et se réunissent pour promouvoir notre fraternité par leur nombre […] en adoucissant les misères de ce monde, et en ne maniant pas avec autant d’aveuglement les merveilles divines ».
8 René Le Forestier : Les Illuminés de Bavière et la franc-maçonnerie allemande [1914]. Genève 1974 (sur la critique du dogme religieux, cf. p. 584-587) ; Helmut Reinalter (éd.) : Freimaurer und Geheimbünde im 18.Jahrhundert in Mitteleuropa. Frankfurt am Main 1986 ; Roger Dachez / Alain Bauer : La Franc-Maçonnerie. Paris 2013 ; René Le Forestier : La Franc-Maçonnerie templière et occultiste aux xviiiE et xixE siècles, préf. d’Antoine Faivre (éd.), introduction d’Alec Mellor. Paris / Louvain 1970. Sur les Rose-Croix, cf. Harald Lamprecht : Die Rosenkreuzer. Faszination eines Mythos. Berlin 2012 ; Jean-Pierre Bayard : Les Rose-Croix. Paris 1986 ; Claus Priesner / Karin Figala : « Rosenkreuzertum ». In : Alchemie. Lexikon einer hermetischen Wissenschaft. München 1998, p. 306-308.
9 Le Forestier : Les Illuminés de Bavière, p. 396-397. Sur Goethe et l’ésotérisme, cf. Christian Lepinte : Goethe et l’occultisme. Strasbourg 1957 ; Rolf Christian Zimmermann : Das Weltbild des jungen Goethe. Studien zur hermetischen Tradition des deutschen 18. Jahrhunderts, 2 Bde., Bd. 1 : Elemente und Fundamente, Bd. 2 : Interpretation und Dokumentation. München 1979 ; Josef Strelka : Esoterik bei Goethe. Tübingen 1980 ; Ronald D. Gray : Goethe the Alchemist. A study of alchemical symbolism in Goethe’s literary and scientific works. Cambridge 1952 ; Gustav F. Hartlaub : « Goethe als Alchemist ». In : Euphorion. Zeitschrift für Literaturgeschichte. Heidelberg 1954, 48. Bd., p. 19-40 ; Otto Krätz : « Die Begegnung mit der Alchemie ». In : Krätz : Goethe und die Naturwissenschaften [1992]. München 1998, p. 18-31.
10 Dietrich von Engelhardt : « Paracelsus im Urteil des 18. Jahrhunderts ». In : Gesnerus. Schweizerische Zeitschrift für Geschichte der Medizin und der Naturwissenschaften 51 (1994), p. 165-182, ici p. 169 et 177. À l’époque romantique, les lecteurs ne pouvaient pratiquement consulter les ouvrages du médecin suisse que dans l’édition ancienne de Johannes Huser (1589-1591). Goethe le lira, ainsi qu’il l’indique dans Dichtung und Wahrheit (In : Goethes Werke, Bd. 9, p. 342). Les acquis de sa lecture de Paracelse formeront quelques-uns des thèmes centraux de ses Faust et des Wahlverwandtschaften (Les Affinités électives).
11 Edighoffer : Rose-Croix et société idéale, t. 1, p. 241.
12 J. W. von Goethe : Aus meinem Leben. Dichtung und Wahrheit. In : Goethes Werke, Bd. 9, p. 341.
13 Geneviève Bianquis : « Étude sur le poème des Geheimnisse » [1926]. In : Bianquis : Études sur Goethe. Paris 1951, p. 14.
14 Bernhard Suphan (éd.) : Johann Gottfried Herder. Sämtliche Werke, 33 Bde. Nachdruck der Ausgabe Berlin 1877-1913. Hildesheim 1967, Bd. 16, p. 298-299 : « […] er sah allenthalben Fehler und Mängel, träumte allenthalben von Wegräumung derselben zum Genuß einer freien Wahrheit, einer glücklichen Ordnung […] ». Il recommandera dans un autre passage la lecture des Noces Chymiques aux lecteurs : « Also war seine Chymische Hochzeit blos ein ludibrium, damit er die zahlreichen monstra seiner Zeit durchzog : er siehts selbst als eine Comödie oder Roman an, mit dem er sich seiner übermässig gesammleten Lectur habe entledigen wollen. Und wahrlich, das ist das Buch, jedem, ders uneingenommen lieset » (Bd. 15, p. 59-64, ici p. 60).
15 Goethes Werke, Bd. 2, p. 705-710 (« Nachwort zu Die Geheimnisse »). Goethe avait sans doute lu aussi le chapitre consacré aux Rose-Croix dans l’œuvre majeure du piétiste et historien des religions, Gottfried Arnold (1666-1714) : Kirchen- und Ketzerhistorie (1699-1700), dont il fait l’éloge dans Dichtung und Wahrheit, appréciant son approche sans a priori des différentes formes de l’ésotérisme (In : Goethes Werke, Bd. 9, p. 350). Cf. Gottfried Arnold : Unparteiische Kirchen-und Ketzerhistorie vom Anfang des neuen Testaments bis auf das Jahr Christi 1688 [1729]. Hildesheim 1967, 2 Bde. : I.1.2. ; II.3.4. Sur les Rose-Croix : Bd. I.2., p. 1114-1130 (« Von denen Rosen-Creutzern »).
16 Richard Müller-Freienfels (éd.) : Goethes Briefe an Frau von Stein. Mit dem Tagebuch aus Italien und Briefen der Frau von Stein, 4 Bde. Berlin 1924, Bd. 3, p. 227.
17 Sur les Manifestes et les Noces Chymiques (sources, édition, analyse et réception des œuvres) : voir les excellentes introductions de Gorceix : La bible, IX-LXIV, et Van Dülmen (éd.) : J. V. Andreae, p. 7-12 ; Faivre : Accès de l’ésotérisme occidental, t. I, p. 198-213 : « Les Noces Chymiques de Christian Rosencreutz comme pèlerinage de l’âme », t. II, p. 263‑289 : « Les manifestes rosicruciens (1614-1615) et la tradition ésotérique occidentale » ; Roland Edighoffer : « La signification des Noces Chymiques ». In : Edighoffer : Rose-Croix et société idéale, t. 1, p. 333-339 ; R. Edighoffer : « Les Rose-Croix et Paracelse ». In : Aries. Association pour la Recherche et l’Information sur l’Ésotérisme 19 (1994), p. 67-80 ; Gerhard Wehr : « Johann Valentin Andreä und seine Rosenkreuzerschriften ». In : Johann Valentin Andreä. Ein universaler Geist des 17. Jahrhunderts in internationaler Sicht. Bad Liebenzell 1987, p. 26-36 ; Carlos Gilly : « Die Rosenkreuzer als europäisches Phänomen im 17. Jahrhundert und die verschlungenen Pfade der Forschung ». In : Carlos Gilly / Friedrich Niewöhner (éd.) : Rosenkreuz als europäisches Phänomen in 17. Jahrhundert. Bibliotheca Philosophica Hermetica. Amsterdam 2002, p. 19-56 ; Roland Edighoffer : « Die Manifeste der Rosenkreuzer ». In : Rosenkreuz als europäisches Phänomen, p. 161-175 ; Carlos Gilly (rédaction) : Cimelia Rhodostaurotica. Die Rosenkreuzer im Spiegel der zwischen 1610 und 1660 entstandenen Handschriften und Drucke. Ausstellung der Bibliotheca Philosophica Hermetica Amsterdam und der Herzog August Bibliothek Wolfenbüttel. Amsterdam 1995 (Chymische Hochzeit, p. 81-84).
18 Goethes Werke, Bd. 3 : Vor dem Tor, v. 903-948.
19 Chymische Hochzeit, p. 52-53 (Dies II).
20 Il existe très peu d’études sur le texte. Citons celle de Geneviève Bianquis, la plus approfondie : « Étude sur le poème des Geheimnisse » p. 7-43 ; voir aussi Trunz : « Nachwort zu Die Geheimnisse » ; Hans Eibl : « ‘Die Geheimnisse’ von Goethe » [1942]. In : Festschrift zum 200. Geburtstag Goethes : Chronik des Wiener Goethe-Vereins. Wien 1949, p. 31-39 ; Michael Plathow : « Kreuz und Rose. Ihre Symbolik in Goethes Dichtung, in Hegels Philosophie und in Luthers Kreuzestheologie für die Beziehung von Glaube und Vernunft ». In : Lutherjahrbuch 79 (2012), p. 139-157 (sur les Geheimnisse, p. 144‑147). Les auteurs insistent dans leurs approches sur l’influence des idées de Herder, Lessing ou Voltaire, ces Pères des Lumières qui propagent un idéal de tolérance religieuse et morale et manifestent leur foi en les possibilités de l’homme. G. Bianquis et E. Trunz s’intéressent aussi aux sources maçonniques, rosicruciennes et théosophiques (pour G. Bianquis, « il existe une parenté de dessein général » entre les Geheimnisse et Les Erreurs et la Vérité (1775) du théosophe Louis-Claude de Saint-Martin). Ce faisant, ils ne relèvent pas l’analogie entre l’initiation maçonnique et la transmutation alchimique ; or, l’alchimie spirituelle est aussi une ascèse : en ennoblissant sa matière, l’alchimiste travaille à son propre perfectionnement (nous verrons que la Rose enlaçant la Croix est une image de la totalité ontologique visée dans le Grand Art).
21 Goethes Werke, Bd. 2, p. 283.
22 Le terme vient de spao : diviser, qui fait allusion à la première phase du processus alchimique (solve).
23 Sur le symbolisme de la rose, cf. René Guénon : Symboles de la science sacrée. Paris 1962, p. 74-75 ; Alexander Roob : Alchimie & Mystique. Köln 1997, p. 690 ; Jean Chevalier / Alain Gheerbrant : Dictionnaire des symboles. Paris 1982, p. 822-824 ; Fulcanelli : Le Mystère des Cathédrales et l’interprétation ésotérique des symboles hermétiques du grand œuvre. Paris 1964, p. 91, 109, 138-139. La rose apparaît dans de nombreux traités d’alchimie comme le Rosarium philosophorum (Le Rosaire des Philosophes) paru en 1550 à Francfort ou le Rosarium novum olympicum et benedictum de Benedictus Figulus (Benedict Torpfer) paru à Bâle en 1608.
24 Chymische Hochzeit, p. 53 (Dies II).
25 Carl Gustav Jung : « Paracelsus als geistige Erscheinung ». In : Gesammelte Werke, Bde. 1-19, Olten / Freiburg im Breisgau, 1960-1983, Bd. 13 (Studien über alchemistische Vorstellungen), p. 127-209. Sur la ‘lumière de la nature’ : ibid., p. 127-150 et l’esprit mercuriel, ibid., p. 211-269 (« Der Geist Mercurius »).
26 L’animus et l’anima sont des catégories de la psychologie analytique de Carl Gustav Jung. Ses études approfondies de la typologie alchimique formée de paires d’opposés (comme le Roi ou principe masculin, et la Reine ou principe féminin) entendus comme des puissances, qui dans leurs rapports dynamiques, structurent non seulement l’homme mais aussi le cosmos et même la divinité, il a tiré une clé herméneutique qu’il a appliqué à la psychologie : la nature humaine étant bisexuelle, tout homme doit intégrer sa part de féminité (l’anima) et toute femme sa part de masculinité (l’animus) pour atteindre la plénitude existentielle qu’il nomme le soi, le centre le plus secret de la personne. Cf. Carl Gustav Jung : Aion (1951). In : Gesammelte Werke, Bd. 9/2, p. 32-45. Le psychologue fait plusieurs fois allusion dans ses textes sur l’alchimie au poème de Goethe (cf. C. G. Jung : Studien über alchemistische Vorstellungen, p. 314-319 : « Das rosenfarbene Blut und die Rose », ici p. 318).
27 Jean Chevalier / Alain Gheerbrant : Dictionnaire des symboles, p. 407-409.
28 J. W. von Goethe : Wilhelm Meisters Lehrjahre. In : Goethes Werke, Bd. 7 : Romane und Novellen II, p. 462 sq., 493, 504, 547 sq., 564. La Tour est un motif fréquent dans l’iconographie alchimique. L’athanor des alchimistes emprunte la forme d’une tour pour signifier que les transmutations visées dans leurs opérations vont dans le sens d’une élévation, d’un état de conscience supérieur (dans les Noces, la résurrection du Roi et de la Reine s’opère en sept étapes dans les sept étages de la Tour d’Olympe).
29 Chymische Hochzeit, p. 123 (Dies VII).
30 Chymische Hochzeit, p. 98-99 (Dies V).
31 J. W. von Goethe : Faust. In : Goethes Werke, Bd. 3 : Dramen I, p. 20.
32 Gorceix : La bible, p. 52, 108. Si Christian franchit sans encombre les trois portes du Château, pendant la Deuxième journée de son initiation, il le doit, dit-il aux hôtes déjà présents, « à la grâce divine dont vous vous êtes tant moqués, jugeant ridicule d’avoir besoin de Dieu en une si mince affaire ! » Et pendant la Sixième journée où il assiste à la ‘préparation’ des époux royaux, la phase ultime du Grand Œuvre alchimique, il rend « grâce à Dieu de [l’]avoir tenu en éveil en un instant aussi favorable, et de [lui] avoir donné d’assister à un spectacle qui [lui] permettait de mieux comprendre toutes les opérations auxquelles se livrait la dame ». (la dame est une allégorie de l’alchimie). En valorisant la grâce au détriment de la liberté humaine, Andreae était sans doute porté à voir, dans l’auto-accomplissement de l’homme et de la matière pendant le travail opératoire, une dangereuse hérésie.
33 Nous trouvons exprimée ici la notion d’Église intérieure, une attitude d’esprit qui se passe des rites applicables à une communauté religieuse et caractérisera en particulier le piétisme.
34 Goethes Werke, Bd. 2 : Gedichte und Epen, p. 283.
35 Ibid., p. 283-284.
36 J. W. von Goethe : Die Metamorphose der Pflanzen. In : Goethes Werke, Bd. 13, p. 64-101.
37 J. W. von Goethe : Zur Farbenlehre. In : Goethes Werke, Bd. 13, §175, p. 367-368. Michael Plathow y fait une courte allusion dans son étude du poème : l’Insondable ou l’Absolu se déploie dans le monde naturel, les productions de l’art et des personnalités d’exception. Cf. « Die Symbole Kreuz und Rose in Goethes dichterischer Ausdruckswelt des Humanums und ihre Bedeutung für das Verhältnis von Glaube und Vernunft ». In : Plathow : « Kreuz und Rose », p. 147.
38 Gorceix : La bible, XXIII.
39 J. W. von Goethe : Wilhelm Meisters Wanderjahre. In : Goethes Werke, Bd. 8 : Romane und Novellen III, p. 258.
40 Ibid., p. 159.
41 Ibid., p. 155.
42 J. W. von Goethe : Unterhaltungen deutscher Ausgewanderten. In : Goethes Werke, Bd. 6 : Romane und Novellen I, p. 209-241 (Das Märchen).
43 Cf. art. « Die Horen ». In : Der grosse Brockhaus. 20 Bde. Leipzig 1931, Bd. 8, p. 671.
44 J. W. von Goethe : Das Märchen. In : Goethes Werke, Bd. 6, p. 209.
45 Sur Le Conte, voir l’étude très complète de Gonthier-Louis Fink : Naissance et apogée du conte merveilleux en Allemagne : 1740-1800. Paris 1966, p. 647-686 ; G. L. Fink : « Das Märchen. Goethes Auseinandersetzung mit seiner Zeit ». In : Neue Folge des Jahrbuchs der Goethe-Gesellschaft 33 (1971), p. 96-122 ; Josefine Müllers : « Das sich offenbarende Geheimnis : Goethes ‘Märchen’ der Erlösung. Ein Beitrag zum symbolischen Verstehen ». In : Peter Gerlitz (éd.) : Symbolon. Jahrbuch für Symbolforschung. Frankfurt am Main / Berlin / Bern / New York / Paris / Wien 1999, Bd. 14 (Weltuntergang und Erlösung, Opfer und Ritus), p. 59-81 ; Alice Raphael : « Das Märchen ». In : Alice Raphael : Goethe und der Stein der Weisen. Amsterdam 1990 (traduit de l’anglais par Henriette Schulz), p. 101‑142. Original : Goethe and the Philosopher’s Stone. London 1965 ; Ronald D. Gray : « The Märchen ». In : R. D. Gray : Goethe the Alchemist. Cambridge 1952, p. 163-181 ; Rudolf Steiner : Goethes geheime Offenbarung in seinem Märchen von der grünen Schlange und der schönen Lilie (zwei Aufsätze aus den Jahren 1899 und 1918 und elf Vorträge aus den Jahren 1891, 1904, 1905, 1908 und 1909). Dornach 1999 ; Rudolf Geiger : Goethes Märchen. Bilder einer konkreten Utopie. Stuttgart 1993 ; Dietrich Spitta : Goethes Einweihung und sein Märchen von der grünen Schlange und der schönen Lilie. Stuttgart 2008. G.-L. Fink mentionne les sources maçonniques, rosicruciennes, alchimiques et chrétiennes, les thèmes empruntés à Andreae, montre bien que Goethe produit par le biais de ce conte ésotérique un discours sur son temps, mais n’analyse pas la dimension subversive du langage alchimique dans l’œuvre ; J. Müllers, A. Raphael et R. D. Gray examinent les symboles sans tenter de les relier en une totalité signifiante et en faisant abstraction du contexte historique qui est à la source du récit ; l’anthroposophe Rudolf Steiner entrevoit dans le développement des personnages un processus de purification spirituelle, le cheminement de l’âme vers le monde suprasensible – une élévation qui doit être suivie d’une descente, d’une incarnation dans la réalité concrète qu’il faut régénérer ; R. Geiger et D. Spitta défendent le même point de vue, comme l’indiquent les références constantes aux écrits du maître.
46 Les références au Märchen sont indiquées dans l’étude par la lettre M suivie du numéro de la page.
47 Fink : Naissance et apogée, p. 661. Dans la Fama fraternitatis, Christian Rose-Croix entreprend un périple qui le mènera entre autres à Fez, une ville d’alchimistes selon la tradition où il est accueilli par des sages unis par l’amour des hommes et de la science dont ils divulguent volontiers les secrets. L’harmonie et la douceur qui règnent entre eux contrastent avec les querelles d’école qui divisent philosophes et gens d’Église contemporains d’Andreae (Fama Fraternitatis, p. 18-19).
48 La cérémonie d’initiation est précédée d’un voyage mouvementé dans les profondeurs du fleuve : lorsque l’homme à la lampe prononce pour la troisième fois : « Es ist an der Zeit », l’ancien temple de bois abritant les protagonistes s’ébranle comme un bateau quittant le port et continue son périple sous le fleuve. En remontant à la surface, il emporte la cabane du nocher dont les planches vont s’assembler pour constituer un nouveau temple, plus petit que le premier et en argent ; c’est dans celui-ci qu’aura lieu l’adoubement du prince (M 235-238). Cette scène évoque l’odyssée marine de la Cinquième journée des Noces Chymiques, le voyage vers l’île où va se dérouler la renaissance des rois. L’eau est un motif fréquent en alchimie : souvent symbole du Mercure, il figure la dissolution (solve) ou Œuvre au noir (nigredo) qui précède la coagulation ou phase de régénération de la prima materia (qui est ici, en l’occurrence, le prince).
49 « […] sie hatte den Schleier weggeworfen, und ihre Wangen färbten sich mit der schönsten, unvergänglichsten Röte […] » (M 238). Dans la Farbenlehre (Le Traité des couleurs, 1810) qui porte l’empreinte des théories alchimiques, Goethe considère le pourpre comme la couleur suprême qui contient « en partie en acte, en partie en puissance toutes les autres couleurs » et procure à l’observateur un apaisement idéal. J. W. von Goethe : Zur Farbenlehre. Didaktischer Teil, p. 499, § 793, 794 : « […] eine eigentliche Beruhigung, die wir eine ideale Befriedigung nennen möchten […] ». Le nom de la jeune femme : ‘Fleur de Lis’ évoque le ‘Temps du Lis’ appelé de ses vœux par le théosophe Jacob Boehme (1575‑1624) dans les dernières lignes de son traité De signatura rerum, oder Von der Geburt und Bezeichnung aller Wesen (1622). La fleur y désigne la nouvelle naissance de l’homme, sa transformation spirituelle orientée par la lumière de la grâce. Will-Erich Peuckert (éd.) : Sämtliche Schriften [1730]. Stuttgart 1955-1960, 11 Bde., Bd. 6, Cap. 16, § 48 : « Eine Lilie blühet über Berg und Tal, in allen Enden der Erden. Wer da suchet, der findet. Amen ».
50 Chymische Hochzeit, p. 85 (Dies IV), traduit par Gorceix : La Bible, p. 82 : « Hermès prime. Après tant de malheurs / Qui frappèrent le genre humain, / Sur le conseil de Dieu et avec l’assistance de l’art, / Médecine dont la fin est la santé, / Je coule ici […] ». Il est évident qu’Andreae se réclame de l’alchimie paracelsienne qui est envisagée comme une sotériologie, un moyen de guérison du corps et de l’âme.
51 J. W. von Goethe : Zur Farbenlehre, §739, p. 488. Sur la définition du phénomène originaire : Ibid., §175, p. 367-368.
52 Parfois les alchimistes assimilent le dieu à l’âme mercurielle ou anima, corps subtil à la vertu attractive qui maintient la cohésion du monde.
53 Chymische Hochzeit, p. 88-89 (Dies IV).
54 Chymische Hochzeit, p. 116 (Dies VI).
55 Chymische Hochzeit, p. 102-103 (Dies V).
56 Goethes Werke, Bd. 1 : Gedichte und Epen I, p. 128. Sur le pouvoir unificateur et formateur d’Éros, cf. Mullers : « Das sich offenbarende Geheimnis », p. 75-76.
57 Goethes Werke, Bd. 2 : Gedichte und Epen II, p. 18-19 : « Und so lang du das nicht hast, / Dieses : Stirb und werde ! / Bist du nur ein trüber Gast / Auf der dunklen Erde ».
58 Chymische Hochzeit, p. 103 (Dies V), traduit par Gorceix : La Bible, p. 101-102, ici p. 102 : « […] Si nous vivons encore, / Dieu fera par sa grâce, / Que, comme son amour et sa grande générosité / Les a brutalement séparées, / Nous aurons l’heur de les réunir / Par les flammes de l’amour / (VI). Cette douleur / En joie profonde / Même s’il faut des milliers de générations, / Se métamorphosera éternellement (VII) ».
59 J. W. von Goethe : Faust. In : Goethes Werke, Bd. 3 : Dramen I, p. 256 (v. 8464-8487).
60 Ibid., p. 256.
61 Chymische Hochzeit, p. 82 (Dies III).
62 Hermès est une énergie plastique qui se déploie aussi dans la sphère inférieure : n’est-il pas le psychopompe guidant les hommes dans l’Hadès ? Parfois, il ne fait qu’un avec les forces de désintégration, manifestant ainsi sa face sombre (voir notre remarque sur Faust, note 67).
63 Jean, 3,14. Cité dans Alexander Roob : Alchimie & Mystique, p. 401. L’animal joue dans le récit le rôle d’un agathodaimon ou esprit bienfaisant (« die wohltätige Schlange », M 232). Dans ses études des représentations alchimiques, Carl Gustav Jung relève l’analogie suggérée dans certains traités entre le Serpent et le Christ. Chez les Ophites, tenants d’une secte gnostique égyptienne du iie siècle, le Serpent est synonyme du Noûs, de l’Esprit. Cf. C. G. Jung : Studien über alchemistische Vorstellungen, p. 363.
64 L’homme à la lampe enjoint à la jeune femme de toucher de la main gauche le serpent et de la droite le corps inanimé du prince : elle se mue ainsi en médium transmettant à l’homme la force vitale de l’anima.
65 En voulant saisir sa corbeille, la Vieille touche par inadvertance le serpent, provoquant la mort de son corps physique. Les pierres sont un symbole christique et alchimique d’ennoblissement : elles évoquent le corps de lumière du Rédempteur et la Pierre des Sages des alchimistes obtenue à l’issue de l’ultime métamorphose de la matière.
66 Dans la phase primordiale du Grand Œuvre, la nigredo, se joue de manière dramatique, dans l’obscurité du Vase de transmutation, la dissolution des corps ‘lépreux’, imparfaits, du roi et de la reine : il s’agit d’une expérience initiatique où la rencontre amoureuse des corps, ces ‘noces sacrées’ (hieros gamos) – figure traditionnelle de l’union des contraires – est aussi entendue comme une commune libération. Stolcius de Stolcenberg : Viridarium chymicum [1624], p. 288, cité dans Françoise Bonardel : Philosophie de l’alchimie. Grand Œuvre et modernité. Paris 1993, p. 212. « Les corps putréfiés, enfermés dans la tombe, recevront, don splendide, une âme rénovée, qu’ils retiendront dès lors qu’elle leur sera unie, se délivrant ainsi l’un par l’aide de l’autre ». C’est bien dans ce sens que Goethe conçoit dans le Märchen la pratique alchimique.
67 Cf. R. Geiger : Goethes Märchen : Das Märchen ist « das Hohelied der Gemeinschaft », p. 122 et Spitta : Goethes Einweihung ; p. 252 : « In diesen Bildern des Märchens offenbart uns Gœthe […], wie eine heilsame Entwicklung der Menschheit nur möglich wird, wenn jeder Einzelne so an sich arbeitet und sich innerlich so verwandelt, dass er in neuer und bewusster Weise den Weg zur Verbindung mit der geistigen Welt findet und dadurch erst wahrhaft reif wird zur menschlichen und damit zur sozialen und politischen Freiheit ».
Goethe se souviendra encore de sa lecture de la scène du mariage royal dans les Noces Chymiques en rédigeant Faust, mais il lui donnera une tout autre portée. Dans le troisième acte du Second Faust, c’est comme guide des morts qu’Hermès au caducée d’or conduit la Reine Hélène et le cortège des femmes vers le château de Faust, le seigneur d’un nouveau royaume voisin (v. 9116-9121). Des noces du Roi et de la Reine devrait résulter le Grand Œuvre, l’unité originelle considérée dans le drame sous l’angle de l’anthropologie et de l’histoire. L’accouplement des amants royaux, symboles des pôles complémentaires masculin et féminin, figure en effet la Pierre : dans une perspective jungienne, celle-ci est le Soi ou centre inaltérable de la personne (cf. C. G. Jung : Aion, p. 32-45). La rencontre de Faust avec Hélène, principe féminin, pourrait en ce sens signer le processus de régénération du héros privé de Centre, l’alliance de ses deux âmes désaccordées. Mais Hélène est dans le drame un être irréel, elle se définit elle-même comme une « idole », mot dont le sens premier signifie ‘image’ (eidôlon en grec), cf. v. 8879-8881. Dès lors, la coniunctio ou mariage divin qui signe l’avènement de la belle totalité se réduit ici à un jeu d’ombres, une chimère : la scène relatant l’union baigne dans une lumière blafarde qui forme un contraste saisissant avec le pourpre qui colore le visage de Fleur de Lis dans le Märchen (le rouge et l’or sont les couleurs de l’accomplissement en alchimie). De plus, Hélène est aussi la Grèce, c’est-à-dire dans l’imaginaire romantique l’âge d’or à venir. La souveraine, ‘lieu’ de l’or spirituel, de l’Absolu, ne semble ici que le reflet de ce qu’elle fut, avouant d’ailleurs ne désirer que le repos : « Beschluß der Irrfahrt wünsch’ich. Ruhe wünsch’ich nur » (v. 9140). Ainsi, la Grèce n’est pas la terre promise située en avant de l’homme, mais un âge d’or lointain et révolu, à supposer qu’il ait même existé. La puissance du désir nostalgique porte Faust vers un néant : la mise en présence de la symbolique hermétique sert dans le drame à démontrer l’impossible réalisation de l’unité, à mettre à nu la crise de l’individu et de son monde. Elle remplira la même fonction dans Die Wahlverwandtschaften (1809).
68 Paul Kluckhohn / Richard Samuel / Heinz Ritter / Hans-Joachim Mähl / Gerhard Schulz (éd.) : Schriften. Historisch-kritische Ausgabe, 4 Bde. Stuttgart 1960-1988, Bd. 2, p. 485‑498 (Glauben und Liebe oder Der König und die Königin).
69 De même, la voie suivie par le Serpent est une ‘reconduction en terre’, une incarnation : son corps forme le soc sur lequel s’érigera une nouvelle société : « Intègre est sa puissance [celle d’Hermès], si elle est convertie en terre », dit la Table d’Émeraude, traité considéré comme la ‘Bible des alchimistes’. Cf. Jo. Jacobus Manget (éd.) : Bibliotheca chemica curiosa. Genf 1702, 2 t., t. 1., p. 381, cité in Françoise Bonardel : Philosopher par le Feu. Anthologie de textes alchimiques occidentaux. Paris 1995, p. 45-46.
70 La notion d’‘âme du monde’ est reprise au xviiie siècle par le philosophe Schelling : il la définit comme un principe spirituel sous-jacent à l’univers visible et déterminé par le jeu de forces antagonistes, positives et négatives. Cf. Friedrich Wilhelm Joseph von Schelling : Von der Weltseele, eine Hypothese der höhern Physik zur Erklärung des allgemeinen Organismus (1798). In : Manfred Schröter (Hg.) : Sämmtliche Werke. München 1927ff., Bd. II, p. 381 : la loi de polarité est au principe de la nature (ein « die Welt zum System bildendes Prinzip »).
71 Schriften, Bd. 2, p. 485 (fragment 3).
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Titre | Ill. 1 : L’Opus Magnum : Le Serpent. |
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Légende | In : Abraham Eléazar : Uraltes chymisches Werk (Traité de chymie très ancien), Leipzig 1760. Repr. avec la permission de Stiftung der Werke von C. G. Jung, Zurich. Source : http://doi.org/10.3931/e-rara-4955. 10.4.2018. |
URL | http://journals.openedition.org/rg/docannexe/image/723/img-1.png |
Fichier | image/png, 351k |
Titre | Ill. 2 : L'Opus Magnum : La conjonction. |
Légende | In : Rosarium philosophorum, secunda pars, Frankfurt am Main 1550. Repr. avec la permission de Stiftung der Werke von C. G. Jung, Zurich. Source : http://doi.org/10.3931/e-rara-10570. 10.4.2018. |
URL | http://journals.openedition.org/rg/docannexe/image/723/img-2.png |
Fichier | image/png, 216k |
Pour citer cet article
Référence papier
Annie Zdenek, « Les Noces Chymiques de Johann Valentin Andreae dans Die Geheimnisse et Das Märchen de Goethe », Recherches germaniques, HS 13 | 2018, 125-150.
Référence électronique
Annie Zdenek, « Les Noces Chymiques de Johann Valentin Andreae dans Die Geheimnisse et Das Märchen de Goethe », Recherches germaniques [En ligne], HS 13 | 2018, mis en ligne le 05 février 2019, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/rg/723 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rg.723
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