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Actualité internationale
Le point sur l’actualité internationale

La scolarisation empêchée, face cachée des déplacements de populations : l’exemple du Mali

Moriké Dembélé
p. 23-27

Texte intégral

  • 1  UNESCO (2011). La crise cachée : les conflits armés et l’éducation. Rapport mondial de suivi sur l (...)

1En raison de nombreux facteurs, des populations se déplacent souvent massivement d’une région à l’autre ou à l’intérieur d’un même pays, et ce sous la contrainte. Ces déplacements sont souvent analysés sous l’angle humain et humanitaire en termes d’accès à des abris de fortune, à l’eau, à la santé et à l’alimentation. Il arrive parfois que l’éducation ne fasse pas partie de cette liste de besoins immédiats des populations déplacées. La dimension éducative, associée à ces mouvements internes forcés, s’est imposée progressivement comme un angle d’analyse, à la suite de nombreuses publications des organismes humanitaires et du Rapport mondial sur le suivi de l’éducation pour tous (EPT) de l’Unesco en 20111. Ce dernier met en lumière les conséquences désastreuses des conflits armés sur les systèmes éducatifs. En s’appuyant sur l’expérience de plusieurs pays en situation de conflit ou de post-conflit, l’Unesco a attiré l’attention sur leurs conséquences à long terme, notamment en ce qui concerne l’affaiblissement de la scolarisation des enfants et de la trop grande déperdition scolaire. Plus récemment encore, le nombre d’écoles forcées de fermer à cause des conflits en Afrique de l’Ouest et du Centre a connu une augmentation exponentielle : en 2019, plus de 9 272 écoles étaient fermées dans huit pays de la région, affectant plus de 1,91 million d’enfants (Unicef, 2019). Les efforts de la communauté internationale en direction de ces nombreux enfants, victimes de la barbarie humaine, demeurent très insuffisants eu égard à l’ampleur du phénomène. Le Rapport du Haut-Commissariat pour les réfugiés a montré qu’en 2020, les enfants de moins de 18 ans ont représenté 42 % des personnes déplacées de force. Aujourd’hui plus qu’hier, la scolarisation de ces nombreux enfants déplacés, souvent sous-évaluée et négligée, interpelle fortement la communauté internationale.

Au Mali : une urgence éducative non prise en charge

2Depuis le renversement du régime de mars 2012, une forte instabilité s’est propagée dans les régions du nord et du centre du Mali. Elle s’est aggravée progressivement avec la multiplication des foyers de tensions ainsi que le nombre croissant d’acteurs non contrôlés semant le désordre et le chaos. Il y a quelques années, une nouvelle crise est venue s’ajouter à la liste : les malentendus interethniques et intercommunautaires, principalement dans les régions de Mopti et de Ségou, dans lesquelles une multitude d’acteurs se disputent la légitimité populaire en l’absence de service public de l’État. La conséquence immédiate de cette absence de l’État dans ces régions a été la désorganisation du service public, en particulier du tissu scolaire. L’école et les acteurs scolaires sont ainsi absents dans de nombreuses localités de ces régions, en raison de l’hostilité des groupes armés à l’égard de l’institution scolaire. Un rapport récent de l’Unicef (2019) indique que le nombre d’écoles fermées est passé de 280 en 2015 à 525 en 2019 pour la seule région de Mopti ; en 2020, il a atteint 900 sur l’ensemble du territoire malien.

  • 2  Loua S. (2020). « L’impact des grèves sur les élèves et étudiants au Mali ». Revue internationale (...)

3Cette situation préoccupante vient asphyxier un système scolaire très fragilisé et éprouvé par de nombreuses réformes et innovations pédagogiques inabouties, par une couverture scolaire territoriale très insuffisante, notamment dans les régions cibles de ces conflits, ainsi que par une situation encore aggravée plus récemment par des grèves prolongées d’enseignants2. Au Mali, de manière générale et depuis fort longtemps, beaucoup d’enquêtes ont souligné la contreperformance du système scolaire. De nombreux enfants ne vont pas à l’école et lorsqu’ils y vont, ils éprouvent des difficultés à terminer le cycle primaire (PASEC, 2014). La fermeture forcée de nombreuses écoles sur plusieurs années consécutives ainsi que les déplacements importants de populations laissent de nombreux enfants avec des chances très réduites d’acquérir le minimum éducatif : savoir lire et écrire. Ils sont alors placés dans trois types de situations dues à cette fermeture scolaire forcée : 1) les enfants et adolescents ayant quitté leur localité, à l’aide des réseaux parentaux et sociaux de solidarité, pour s’installer dans d’autres régions du pays plus stables où ils pourront poursuivre leur scolarisation ; 2) les enfants et adolescents restés dans leur localité d’origine bien que n’ayant aucune possibilité d’éducation sur place ; 3) enfin les enfants et adolescents faisant partie des populations déplacées internes, résidant dans les camps de déplacés. Les besoins éducatifs de ces deux dernières catégories sont considérables, les jeunes ayant parfois accumulé des pertes d’années scolaires successives sans compensation. La dernière catégorie, protéiforme, d’enfants et adolescents dits déplacés, se subdivise en trois sous-catégories : 1) les jeunes enfants en âge d’aller à l’école dans les camps de déplacés internes, 2) les enfants et adolescents en situation de déscolarisation précoce, 3) les enfants qui sont intégrés au système scolaire formel de proximité.

Des solutions scolaires éclatées et des pis-aller pédagogiques

  • 3  Bureau de la coordination des affaires humanitaires (BCAH ou OCHA, acronyme anglais pour Office fo (...)

4Des statistiques fournies dans le rapport de OCHA3 montrent que le Mali compte en octobre 2020 plus de 311 193 personnes déplacées internes. La prise en charge éducative des enfants déplacés se structure autour de propositions hétéroclites peu harmonisées. Il en découle une répartition des enfants en trois catégories différentes dont les frontières ne sont pas totalement étanches, notamment entre les deux dernières composantes.

Un tiers d’enfants et d’adolescents en continuité ou en reprise scolaire

5Il s’agit des enfants et adolescents qui ont intégré le système scolaire de proximité des camps de déplacés, soit une école formelle privée (camps de Mountougoula) ou publique (camps du Centre Mabilé, de Niamana et de Faladié). Dans l’ensemble, très peu d’enfants et adolescents sont en situation de continuité pédagogique et de reprise scolaire dans les camps de déplacés internes à Bamako et dans ses environs.

Tableau 1. Scolarisation des enfants dans les camps de personnes déplacées à Bamako et ses environs

Tableau 1. Scolarisation des enfants dans les camps de personnes déplacées à Bamako et ses environs

Source : données compilées par l’auteur.

6À peine un peu plus du tiers des enfants sont en situation de continuité scolaire, et près d’un tiers sont en abandon scolaire. Il faut noter aussi beaucoup d’enfants (257) n’étaient pas scolarisés depuis leur localité d’origine. On sait que le taux de scolarisation dans la région de Mopti est parmi les plus faibles du pays. Les populations, notamment peuhles, envoient très peu encore leurs enfants à l’école d’origine française, et privilégient plutôt l’école coranique et son apprentissage traditionnel. Le camp des déplacés internes de Faladié Garbali enregistre ainsi un effectif en continuité scolaire plus élevé en raison de la mise en place d’une medersa, forme scolaire améliorée de l’apprentissage traditionnel du Coran. Cette structure, mise en place par un organisme caritatif confessionnel musulman, accueille la quasi-totalité des enfants en continuité scolaire. On peut également noter que le Centre Mabilé, seul camp sous contrôle de l’État, enregistre un niveau élevé de continuité scolaire, principalement dû à sa proximité avec une école publique.

Quelques structures de suppléance assurant une continuité pédagogique

  • 4  1 500 FCFA soit 2,30 € de la 1re à la 4année et 2 000 FCFA soit 3,05 € de la 5e à la 9e année de (...)

7À défaut d’une prise en charge étatique mieux structurée, les organisations confessionnelles et caritatives ont développé des initiatives de prise en main éducative. Ainsi, elles ont créé une école informelle musulmane, communément appelée medersa, dans le camp des déplacés de Faladié Garbali. Cette école, encore non affiliée à une structure d’autorité publique d’éducation, dispose de quatre classes pour un effectif de 154 élèves : en 1re année 83 élèves (62 filles et 21 garçons) ; en 2e année, 27 élèves (15 filles et 12 garçons) ; en 3e année, 22 élèves (13 filles et 9 garçons) et en 4e année 22 élèves (12 filles et 10 garçons). Cette seule école assure la continuité pédagogique. Les nombreux enfants, qui fréquentaient l’école publique dans leur localité d’origine, ont été contraints à l’abandon ou à une réorientation scolaire. Ils sont très peu nombreux à choisir la deuxième option. L’offre scolaire ne correspondant pas toujours aux aspirations des familles et des enfants, l’option de la déscolarisation s’est imposée à nombre d’entre eux. D’autres formes de suppléance plus marquées sont observées dans les autres camps de déplacés internes. À Mountougoula, l’absence d’école publique de proximité a favorisé l’implantation d’une école franco-arabe (medersa) privée. Cette école avait accueilli en 2018 84 enfants du camp depuis son implantation. Faute de ressources pour le paiement régulier des frais d’écolage, pourtant très bas4 comparativement aux écoles similaires de la ville de Bamako, beaucoup d’enfants (48) ont abandonné, pour travailler dans le secteur informel.

De nombreux enfants et adolescents déplacés sur le marché du travail

8Nombre d’enfants et d’adolescents sont en rupture scolaire et bien d’autres n’ont jamais été inscrits à l’école. Depuis leur arrivée dans les camps de déplacés, ils effectuent des « petits services » urbains et assurent leur survie financière et celle de leur famille. Combien sont-ils ? Aucune statistique fiable n’est disponible, mais leur nombre est plus important que celui des deux premières catégories. Un comptage effectué par nos soins a permis d’identifier 1 223 enfants et adolescents. Plus de la moitié n’étaient pas scolarisés avant leur déplacement, et parmi les scolarisés, nombreux avaient fréquenté le cycle primaire de l’enseignement fondamental avant leur arrivée à Bamako.

9Faute d’aides publiques et de solidarités interpersonnelles agissantes, les enfants et les adolescents des camps de déplacement interne à Bamako ont développé des logiques de débrouillardise et d’adaptation à la fois individuelles et collectives au contexte urbain ou périurbain difficile, car les opportunités de production sont fonction des caractéristiques des camps d’accueil. Dans le camp rural de Mountougoula, les enfants et adolescents non scolarisés ou en décrochage scolaire effectuent prioritairement des activités de maraîchage, de manœuvre et d’agriculture. Au camp périurbain de Faladié Garbali, ils sont plus portés au triage des ordures, en raison principalement de la proximité de l’une des décharges les plus importantes de Bamako. Les filles, quant à elles, sont devenues des vendeuses ambulantes mais également des aides familiales dans les quartiers voisins du camp.

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10Si l’éducation est considérée comme une solution aux nombreux conflits qui secouent le monde actuel, elle demeure paradoxalement soumise à des restrictions notoires et hypothétiques dans nombre de pays en conflit, ce qui de toute évidence amenuise les chances d’un monde totalement apaisé. La communauté internationale se mobilise pour éteindre les foyers de tensions et gagner la paix à tout prix, mais elle se mobilise peu ou pas du tout pour sauver l’éducation et gagner, non pas la paix d’un jour, mais celle de tous les jours. La situation spécifique de la scolarisation dans les camps de déplacés du Mali, à l’instar de nombreux pays en conflit, montre combien d’enfants et d’adolescents sont privés de toute chance d’accès au minimum éducatif nécessaire à une participation sociale de qualité. Ces jeunes laissés pour compte pourraient devenir à nouveau des menaces sérieuses pour la paix de demain si des solutions alternatives efficaces ne sont pas envisagées en leur faveur. Le processus de sortie de conflit, qui sera long et parsemé d’embûches, doit intégrer, pour être efficace et total, la reconstruction de ces nombreux parcours éducatifs chaotiques, manqués, affectés. Enfin, repenser et dépasser une vision parcellaire et non intégrée des conflits et de l’éducation pourrait aider à faire des progrès importants en faveur des enfants et adolescents dans le monde.

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Bibliographie

DEMBÉLÉ M. (2016). « La face cachée des politiques scolaires de massification au Mali : les acquis des jeunes précocement sortis du système scolaire ». In T. Sissoko, Penser l’État, penser la jeunesse. Quelle gouvernance des politiques de jeunesse dans les États d’Afrique francophone ? Paris : L’Harmattan, p. 23-37.

PASEC (2014). Qualité de l’enseignement fondamental au Mali : quels enseignements ? Rapport d’évaluation diagnostique au Mali. Dakar : CONFEMEN. https://bit.ly/3lHhItM

UNICEF (2019). L’éducation en péril en Afrique de l’Ouest et centrale. New York : Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef).

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Notes

1  UNESCO (2011). La crise cachée : les conflits armés et l’éducation. Rapport mondial de suivi sur l’éducation 2011. Paris : UNESCO.

2  Loua S. (2020). « L’impact des grèves sur les élèves et étudiants au Mali ». Revue internationale d’éducation de Sèvres [en ligne], no 85, p. 16-20. https://doi.org/10.4000/ries.9950

3  Bureau de la coordination des affaires humanitaires (BCAH ou OCHA, acronyme anglais pour Office for the Coordination of Humanitarian Affairs).

4  1 500 FCFA soit 2,30 € de la 1re à la 4année et 2 000 FCFA soit 3,05 € de la 5e à la 9e année de l’enseignement fondamental.

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Table des illustrations

Titre Tableau 1. Scolarisation des enfants dans les camps de personnes déplacées à Bamako et ses environs
Crédits Source : données compilées par l’auteur.
URL http://journals.openedition.org/ries/docannexe/image/10740/img-1.png
Fichier image/png, 75k
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Pour citer cet article

Référence papier

Moriké Dembélé, « La scolarisation empêchée, face cachée des déplacements de populations : l’exemple du Mali »Revue internationale d’éducation de Sèvres, 87 | 2021, 23-27.

Référence électronique

Moriké Dembélé, « La scolarisation empêchée, face cachée des déplacements de populations : l’exemple du Mali »Revue internationale d’éducation de Sèvres [En ligne], 87 | septembre 2021, mis en ligne le 01 septembre 2022, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/ries/10740 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ries.10740

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Auteur

Moriké Dembélé

Moriké Dembélé est maître assistant à l’Université des lettres et sciences humaines (ULSH) Bamako III (département des sciences de l’éducation et de la formation) au Mali. Courriels : mdembele[at]refer.org ; morikdembele[at]yahoo.fr

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