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AccueilNumérosVol. 55 - n° 3Comptes rendusLa Petite Noblesse de l’intellige...

Comptes rendus

La Petite Noblesse de l’intelligence. Une sociologie des enfants surdoués, W. Lignier

La Découverte, Paris (2012). 360 p.
Stanislas Morel
p. 409-411
Référence(s) :

Wilfried Lignier, La Petite Noblesse de l’intelligence. Une sociologie des enfants surdoués, La Découverte, Paris, 2012, 360 p.

Texte intégral

1Les médias, relayant les représentations issues de l’univers médico-psychologique, ont contribué à rendre familière la figure équivoque du « surdoué » : doté d’une intelligence « supérieure » (QI ≥ 130), il n’en serait pas moins un enfant « vulnérable », souvent en difficulté psychiquement et scolairement. L’originalité du travail de W. Lignier est d’appréhender cet objet sous un angle sociologique. La construction d’un point de vue sociologique passe par l’analyse des conditions socio-historiques de l’émergence de la « cause » des surdoués et de son appropriation par certains groupes sociaux. Les deux premiers chapitres sont consacrés aux dynamiques structurelles et institutionnelles qui ont concouru à l’émergence de la question des surdoués, tandis que les trois suivants restituent les positions, les dispositions et les intérêts pratiques des parents qui s’approprient le diagnostic.

2L’entreprise de déconstruction du « surdouement » intellectuel s’appuie sur une posture à la fois empirique, historique, critique et compréhensive.

3Le parti pris empirique ne renvoie pas seulement aux dispositifs d’enquête (dépouillement des archives d’une association consacrée aux surdoués, analyse d’un corpus de textes de psychologues, questionnaire diffusé auprès de parents d’enfants précoces, entretiens). Il traduit aussi la volonté de l’auteur de ne pas seulement appréhender les surdoués à travers la définition « virtuelle » qu’en donne les psychologues et de privilégier l’analyse des pratiques par lesquelles les spécialistes et les parents construisent la précocité intellectuelle. « Sociologiquement, il importe […] d’appréhender la précocité intellectuelle comme un fait social effectif : dans cette perspective, un enfant n’est précoce que lorsqu’il est effectivement (et non potentiellement) identifié comme tel » (p. 151). Cette construction de l’objet, centrée sur la question de l’identification, mais aussi de l’appropriation et des usages du diagnostic, justifie la focalisation de l’enquête, dans les trois derniers chapitres du livre, sur les parents adhérant à une association consacrée aux enfants surdoués.

4Le détour par l’histoire fait apparaître la légitimation, relativement récente, de la cause des surdoués en France comme le produit de l’action d’une série d’acteurs : mobilisation pionnière d’une poignée de militants dans les années 1970, désactivation des controverses idéologiques (les enfants surdoués sont désormais qualifiés d’« intellectuellement précoces ») et diffusion de la cause sous l’effet du lobbying des associations dans les années 1980, forte médiatisation et construction d’une légitimité d’État à partir du milieu des années 1990, scientifisation dans les années 2000. Il permet aussi de rappeler les transformations sociales qui favorisent l’émergence de la question des surdoués et, en particulier, celles, décisives, du système éducatif.

5L’adoption d’un regard critique contribue à restituer les dimensions masquées du phénomène. Loin de se distribuer socialement au hasard comme le prétendent les militants, voire certains psychologues, les enfants intellectuellement précoces sont à 75 % des garçons majoritairement issus des classes moyennes et supérieures (72 % des enfants enquêtés ont au moins un parent exerçant une profession supérieure). Par ailleurs, contrairement à l’idée reçue de leur vulnérabilité, ils sont presque toujours en situation de réussite scolaire et presque aucun d’entre eux n’est suivi pour des troubles psychologiques sévères. L’identification des enfants intellectuellement précoces est enfin sous-tendue par des stratégies socialement situées dans les classes moyennes et supérieures. Elles visent à prendre appui sur une « noblesse psychologique » pour critiquer l’inadaptation de l’école (plutôt que celle de l’enfant) et revendiquer certains « privilèges » scolaires comme les sauts de classe. Ainsi, « l’appropriation d’un savoir de type médico-psychologique, par des personnes ou des groupes particuliers, peut renforcer leur pouvoir privé sur leur propre destin social, et plus précisément sur le destin éducatif de leurs enfants » (p. 11).

6La démarche est enfin compréhensive car elle ne réduit pas les stratégies des acteurs à un cynisme sous-tendu par des intérêts dissimulés. Un des apports essentiels de l’ouvrage est de montrer comment la croyance en la précocité s’enracine dans des trajectoires individuelles ou générationnelles particulières : parents exerçant en entreprise ou dans le domaine médico-psychologique et familiers de la culture psychométrique ; parents des classes moyennes et supérieures très attentifs au développement et aux performances scolaires de leurs enfants ; parents issus d’une « génération abusée » dont la confiance en l’institution scolaire est minée par l’unification des parcours scolaires jusqu’au lycée, la dévaluation des diplômes et la peur du déclassement et qui sont, de ce fait, enclins à des stratégies de prévention de l’incertitude via une certification alternative de l’excellence intellectuelle.

7En définitive, loin de l’être vulnérable décrit par la littérature spécialisée, l’enfant surdoué, dont la noblesse intellectuelle a été certifiée par les psychologues, serait, à l’inverse, un individu engagé par ses parents dans un parcours d’excellence scolaire et sociale. La force du livre est ainsi de faire apparaître une figure de l’enfant surdoué très différente de celle qui est habituellement donnée à voir. On peut néanmoins se demander si cette remise en cause de la vulnérabilité des surdoués n’est pas un peu radicale. En effet, si les surdoués sont, comme l’affirme Wilfried Lignier, très exceptionnellement en échec solaire, comment expliquer que les écoles spécialisées dans l’accueil de cette catégorie d’enfants soient décrites par les parents de l’enquête qui y ont été confrontés comme des établissements où se concentrent des élèves scolairement et psychiquement en difficulté (voir p. 292-301) ? Les figures du surdoué, de l’élève en difficulté et de l’individu « fragile » se superposent donc sans doute plus souvent que ne le laisse penser l’auteur. L’accent mis, dans cette recherche, sur les élèves en réussite n’est-il pas à mettre en lien avec les propriétés sociales très spécifiques des enquêtés, recrutés dans une association dont le siège est situé dans une banlieue parisienne très huppée ? Par ailleurs, il est probable que la propension des parents à répondre au questionnaire dépende de la perception, valorisante ou stigmatisante, qu’ils ont de la précocité, elle-même conditionnée par la situation de leur enfant. Or, ce biais n’est pas pris en compte. On peut donc penser que l’enquête, par ailleurs très convaincante, passe à côté de certains aspects du phénomène relatifs aux réelles difficultés rencontrées par certains enfants surdoués.

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Pour citer cet article

Référence papier

Stanislas Morel, « La Petite Noblesse de l’intelligence. Une sociologie des enfants surdoués, W. Lignier »Sociologie du travail, Vol. 55 - n° 3 | 2013, 409-411.

Référence électronique

Stanislas Morel, « La Petite Noblesse de l’intelligence. Une sociologie des enfants surdoués, W. Lignier »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 55 - n° 3 | Juillet-Septembre 2013, mis en ligne le 23 juillet 2013, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/sdt/11328 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sdt.11328

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Auteur

Stanislas Morel

Université de Saint-Étienne
2, rue Tréfilerie, 42000 Saint-Étienne, France
stanislasmorel2003[at]yahoo.fr

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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