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AccueilNumérosVol. 64 - n° 3Prix des jeunes auteuricesL’ambulance confédérale. Comment ...

Prix des jeunes auteurices

L’ambulance confédérale. Comment la CGT fabrique la reconversion professionnelle de ses cadres syndicaux

Premier prix ex-aequo
The confederal ambulance: How the CGT built the professional retraining of its trade union officials
Nicolas Simonpoli

Résumés

Cet article étudie l’activité d’un service de la Confédération générale du travail (CGT) chargé d’accompagner, au cours des décennies 1970-1990, la transition professionnelle des cadres militants de l’organisation. À rebours d’une explication individualiste, il démontre combien la reconversion des syndicalistes est le produit d’un travail collectif orienté par les accompagnateurs confédéraux. Le propos s’attarde d’abord sur la genèse du service confédéral, puis sur les modalités concrètes du soutien accordé aux syndicalistes et, enfin, sur la manière dont ceux-ci peuvent évoluer sur les différents marchés du travail et/ou de la formation universitaire. Ce faisant, on comprend comment se fabrique le périmètre d’influence des accompagnateurs confédéraux mais aussi quelles en sont les limites. En effet, si le service confédéral est un support essentiel du reclassement des syndicalistes, son action reste dépendante des opportunités professionnelles offertes par les réseaux du militantisme cégéto-communiste. En dehors de ceux-ci, les accompagnateurs peinent à trouver un emploi à leurs anciens camarades. Au travers de cette étude de cas, on saisit alors les dynamiques relationnelles et collectives qui président à la fabrication des trajectoires singulières de transition professionnelle.

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Notes de la rédaction

Premier manuscrit reçu le 13 septembre 2021 ; article accepté le 12 mai 2022.

Notes de l’auteur

Je remercie Mauricio Aranda, Jean-Baptiste Paranthoën et Tristan Rouquet pour leurs conseils éclairés sur une première version de cet article. Je tiens également à remercier les membres du Prix des jeunes auteurices de Sociologie du travail pour leurs suggestions et leurs encouragements. Enfin, j’exprime ma profonde gratitude à Anne Bertrand pour sa disponibilité, son travail éditorial et son accompagnement bienveillant.
 

Texte intégral

  • 1 Quelques exemples : « Les carrières syndicales à l’épreuve de la reconversion », Le Monde, 15 mai 1 (...)
  • 2 Au cours des années 1990, le renouvellement des effectifs du service, conjugué à la réorganisation (...)
  • 3 Le groupe des salariés dits « permanents » de l’organisation englobe des hommes et des femmes qui o (...)

1Depuis le début des années 1980, au gré des congrès ou des scandales confédéraux, des nominations gouvernementales ou des missions ministérielles, les reconversions professionnelles des dirigeants syndicaux français font l’objet d’un intérêt régulièrement réactivé. On ne compte plus les articles de presse, les ouvrages autobiographiques ou les analyses sociologiques détaillant les parcours de syndicalistes devenus chef d’entreprise, consultant, universitaire, directeur de Think tank ou haut fonctionnaire1. Si une grande partie de ces contributions adopte une approche par les trajectoires individuelles, fondamentale pour saisir les recompositions identitaires vécues par les reconvertis (Rimbert, 2005 ; Giraud, 2007 ; Contamin et Misset, 2019), elles sont moins nombreuses à considérer les structures d’accompagnement dont bénéficient nombre d’entre eux. Or, c’est précisément ce soutien institutionnel que nous souhaitons mettre au jour dans cet article en nous intéressant au cas du secteur « Promotion des cadres syndicaux » de la Confédération générale du travail (CGT). Actif tout au long des décennies 1970-19902, ce service a eu pour mission de fabriquer la transition professionnelle des « permanents » cégétistes arrivés au terme de leurs fonctions syndicales3. De par sa fonction d’intermédiaire, il fournit une porte d’entrée originale pour envisager la reconversion comme le produit d’un travail collectif.

2Dans la lignée des recherches dédiées aux intermédiaires du retour à l’emploi (Mazade, 2005 ; Gonnet, 2019), cet article propose une étude des dispositifs institutionnels chargés de construire les transitions professionnelles des syndicalistes. Quelques contributions scientifiques ont déjà signalé le rôle joué par ces structures d’encadrement. Examinant les circuits de reconversion internes aux centrales (Ubbiali, 1999), les accords entre organisations syndicales et entreprises (Chappe et al., 2019) ou les voies universitaires de validation des acquis militants (Willemez, 2006), elles ont démontré tout l’intérêt d’explorer le cadre institutionnel dans lequel se déploient les itinéraires de reconversion singuliers. Les travaux de Sophie Pochic portant sur les services confédéraux d’accompagnement des permanents de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) en offrent une parfaite illustration. Analysant les « façons de sortir » de la carrière syndicale, elle retrace l’histoire de la prise en charge des reconversions au sein de ce syndicat (Pochic, 2014). Elle démontre que les conjonctures politiques, les remaniements de l’organigramme, le profil des acteurs en responsabilité ou encore les outils mobilisés (bilan de compétences, formation universitaire, etc.) offrent « un support » aux reconversions des ex-cadres de l’organisation (Jourdain, 2014).

3C’est précisément cette focale institutionnelle que nous avons choisi d’adopter au sujet de l’activité du secteur Promotion des cadres syndicaux de la CGT. En nous appuyant sur les archives de ce service et sur plusieurs témoignages de reconvertis, l’objectif consiste à comprendre le travail d’intermédiation réalisé par les acteurs de l’institution. Inscrit à la confluence de savoir-faire administratifs et militants, ce travail relève d’une activité de conseil et d’appariement qui implique à la fois de préparer la réinsertion professionnelle des syndicalistes et de créer les conditions de valorisation de leur profil sur le marché de l’emploi (Bessy et Chauvin, 2013). Dessinant des circuits de mobilité, définissant « le projet » de reclassement, assurant un soutien moral et matériel, les accompagnateurs confédéraux façonnent ainsi, par des tâches diverses, l’itinéraire du requérant. Dans une perspective relationnelle, on peut dire qu’ils participent à élaborer « le taux de convertibilité » (Bourdieu et al., 1973, p. 88) appliqué au capital syndical des permanents cégétistes afin de faciliter sa retraduction dans des espaces sociaux plus ou moins éloignés des mondes militants. La reconversion peut dès lors être appréhendée comme le résultat d’un travail collectif de conversion des compétences individuelles visant à accroître leur valeur dans un nouveau domaine d’activité (Roueff, 2013 ; Sinthon, 2018).

4Les matériaux empiriques à notre disposition se prêtent à la poursuite de cette hypothèse constructiviste (Darmon, 2011). Produits dans le cadre même de l’accompagnement confédéral, ils permettent d’observer l’intermédiation « en train de se faire », c’est-à-dire au moment où s’élaborent l’orientation, le sens et la portée des transitions professionnelles (encadré 1). Ils viennent ainsi compléter les études biographiques réalisées à partir soit de récits de vie (Denave, 2015), soit d’une observation sur le temps long des itinéraires de reconversion (Paranthoën, 2014).

5Après avoir restitué la genèse du service, on détaillera le rôle d’accompagnement des reconvertis qui lui est dévolu, puis le travail de placement sur les marchés de l’emploi et de la formation qu’il opère.

Encadré 1. Aux sources de l’accompagnement confédéral
Cet article s’appuie sur les archives du secteur Promotion des cadres syndicaux conservées par l’Institut d’histoire sociale de la CGT (IHS). Elles comprennent un grand nombre de documents produits par le secteur (et par les entités administratives qui lui ont succédé) au cours des décennies 1970, 1980 et 1990. Cet ensemble contient notamment une partie des dossiers individuels des reconvertis (n = 263) traités au cours de la période, qui regroupent des matériaux divers. On y trouve souvent un questionnaire biographique élaboré par le service, auquel s’ajoute tantôt un curriculum vitae, tantôt des comptes rendus de réunion, des correspondances et divers documents administratifs (formulaire d’inscription au chômage, contrat de travail, résultats universitaires, etc.). Matière première de l’activité des responsables confédéraux, ces documents sont d’une grande richesse pour le chercheur car ils renseignent à la fois la trajectoire du requérant et le travail d’accompagnement réalisé par le service confédéral. Leur intérêt tient ainsi à ce qu’ils donnent à voir les démarches effectuées en faveur du militant, les catégories de jugement employées à son égard ou encore les négociations entourant sa transition professionnelle — autant de traces des orientations possibles, parfois non advenues, qui structurent de l’extérieur l’itinéraire de reconversion. Grâce à ces éléments, on voit se dessiner les leviers d’un encadrement institutionnel de la reconversion des syndicalistes. Toutefois, il convient de garder à l’esprit que ces sources n’offrent qu’une image imparfaite du travail des acteurs. En effet, il apparaît évident que les cas de reconversion traités par la confédération étaient supérieurs au nombre de dossiers conservés dans les archives. S’il est impossible d’évaluer le volume des sources qui nous ont échappé, on sait que certains phénomènes logistiques ont entraîné la disparition d’une partie des fonds : le déménagement du siège confédéral de Paris à Montreuil en 1982, le départ en retraite du fondateur du service en 1989, la réorganisation de l’appareil confédéral en 1992 puis 2000, etc. En complément des sources archivistiques, nous avons réalisé une quarantaine d’entretiens biographiques avec les responsables confédéraux chargés des missions de reclassement dans les années 1990-2000 (n = 4), et d’anciens permanents reconvertis au cours des décennies 1980-1990 (n = 37).

1. Un service confédéral chargé des reconversions

6Au sein de l’appareil cégétiste, l’administration des reconversions est dévolue au secteur Promotion des cadres syndicaux. Créé en 1975, ce service a pour mission originelle de codifier les diverses politiques — de recrutement, de formation, de mutation, etc. — qui rythment la carrière de la main-d’œuvre militante (Boulland et Simonpoli, 2021). Toutefois, très rapidement, sous l’effet des rapports de force internes à l’appareil, son activité se spécialise dans la gestion des reclassements des permanents en fin de mandat. Ses membres sont ainsi conduits à proposer des orientations et à développer des outils qui permettent d’accompagner la transition professionnelle des cadres cégétistes.

1.1. Acteurs d’une politique confédérale

  • 4 Jusqu’à la fin des années 1990, l’appareil confédéral de la CGT est divisé en services spécialisés (...)

7À partir du milieu des années 1970, la direction de la CGT entreprend de développer et de spécialiser l’organisation de son siège national. Elle institue des services dédiés à la gestion de la main-d’œuvre militante (service du personnel, coordination des activités, etc.), adopte des instruments (convention collective, grilles de rémunérations, etc.) et des mesures de spécialisation (formation des cadres, hausse des salaires, etc.) visant à perfectionner « l’outil confédéral »4. C’est dans ce contexte qu’apparaît le secteur Promotion des cadres syndicaux dont la direction est confiée à André Allamy, secrétaire confédéral, et Guy Moineau, son adjoint. Les deux hommes forment le duo chargé d’élaborer la politique de gestion des cadres cégétistes en vigueur tout au long des décennies 1970 et 1980. Ces dirigeants ont pour principaux atouts de disposer d’une longue expérience de permanent syndical et de connaître personnellement la majorité des cadres de l’organisation.

8Né en 1927, titulaire du brevet d’enseignement supérieur, technicien de l’industrie chimique, militant communiste, membre du Bureau confédéral, André Allamy5 est l’un des piliers de la direction nationale cégétiste lorsqu’il prend la tête du service. Successivement chargé des questions de la Jeunesse, de l’Immigration et de l’Enseignement, il fréquente la confédération depuis plus de dix ans. Il a donc été conduit à travailler avec un grand nombre de permanents de l’organisation. De plus, en sa qualité d’ancien secrétaire de Benoît Frachon et de Georges Séguy, il est un dirigeant de confiance, serviteur fidèle de l’institution, sur lequel Henri Krasucki, le nouveau secrétaire général de la CGT, entré en fonction en 1982, entend s’appuyer. Pour sa part, Guy Moineau6 est considéré comme un spécialiste de la formation des militants. Né en 1920, bachelier, ancien séminariste, militant communiste et résistant des Forces françaises de l’Intérieur, secrétaire général de l’Union départementale de la Drôme (1954-1964) puis de la Fédération des Cuirs et Peaux (1964-1975), il est un intervenant régulier du Centre confédéral d’éducation ouvrière, de l’Institut des sciences sociales du travail et de l’Institut de recherche marxiste où il a l’occasion de repérer et de former les responsables de la centrale syndicale.

  • 7 « Ce qui ne va pas dans la maison confédérale », Note à Henri Krasucki, 1984, IHS 399 CFD 24.
  • 8 Par comparaison avec le très petit effectif du secteur Promotion des cadres syndicaux, le secteur O (...)

9Au sein du secteur, ces deux dirigeants sont accompagnés de deux permanents et d’une secrétaire administrative. Ce groupe aux effectifs réduits a pour mission d’élaborer et de coordonner une politique de gestion des cadres militants en collaboration avec différents services confédéraux. Ensemble, ces services sont censés établir le statut social des permanents, élaborer les critères de recrutement des salariés ou encore rationaliser le fonctionnement logistique de l’appareil. Toutefois, très rapidement, une relation de concurrence s’instaure entre le secteur Promotion des cadres syndicaux et un autre secteur confédéral, celui de « l’Organisation ». La consultation des archives respectives des deux entités révèle les télescopages et les tensions qui émaillent leur relation tant au sujet du partage des informations sur le corps dirigeant que de la codification du travail syndical. En 1984, dans une lettre au Bureau confédéral, André Allamy signale les dysfonctionnements nés de ce rapport conflictuel. Il décrit un secteur Organisation « replié sur lui-même […] qui s’enferme dans des schémas usés et se refuse concrètement à une collaboration »7. Effectivement moins doté en moyens humains8 et moins puissant institutionnellement, son propre service est progressivement marginalisé (Simonpoli, 2020). Sa juridiction professionnelle se concentre dès lors, par défaut, sur les seules reconversions militantes, domaine d’intervention particulièrement sensible et délaissé par les autres services du siège.

  • 9 « Les problèmes de la conversion des cadres syndicaux », 1980, IHS 399 CFD 33.

10Cantonnée à la gestion des reconversions, l’équipe d’André Allamy possède peu d’expérience dans ce domaine et ne peut s’appuyer sur aucune politique existante. Le secrétaire confédéral déplore d’ailleurs le manque d’anticipation en la matière. À ses yeux, la centrale a trop longtemps traité l’enjeu des reconversions « à la serpette », c’est-à-dire de manière désorganisée, sans aucun égard pour les perspectives d’avenir ou « les problèmes humains » posés aux militants9. Face à ce constat, il propose de repenser complètement la gestion des reconvertis. Le début des années 1980 s’apparente ainsi à une période d’expérimentation durant laquelle les membres du secteur élaborent « sur le tas » les modalités de leur travail d’accompagnement. Ils s’approprient une posture, des savoir-faire relationnels, des méthodes d’intervention et des outils devant leur permettre d’administrer au mieux les reclassements de leurs camarades militants (encadré 2). À la lecture des archives, on constate la spécialisation de leurs instruments de travail. Progressivement, ils mettent sur pied un suivi des dossiers en cours de traitement, des modalités de recensement des cadres sur le départ ou encore un questionnaire de trois pages qui permet de renseigner l’état civil, la formation scolaire, le parcours professionnel et syndical de l’intéressé. À cela s’ajoute l’élaboration d’une politique confédérale novatrice en matière de reconversion dont ils édictent peu à peu les grandes lignes.

Encadré 2. Des cadres intermédiaires du syndicalisme
À partir des 263 dossiers conservés par l’IHS CGT et mobilisés dans cet article, nous avons identifié 138 dossiers de reconvertis qui disposent de suffisamment d’informations communes pour faire l’objet d’une sociographie sommaire (date de naissance, profession d’origine, scolarité, etc.). 85 % de ces dossiers ont été constitués au cours de la période 1978-1990. Ils permettent de dresser le portrait des reconvertis lors de la première décennie d’existence du secteur confédéral.
Les syndicalistes en reconversion sont majoritairement des hommes (66 %), âgés en moyenne de 41 ans, occupant un poste de permanent depuis une dizaine d’années, mariés (74 %) et résidant en Île-de-France (77 %). Un tiers d’entre eux possèdent un diplôme de l’enseignement technique (30 %), souvent un Certificat d’aptitude professionnelle ou un Brevet d’enseignement industriel. Un quart ont fréquenté l’enseignement secondaire (25 %) sans toutefois intégrer l’enseignement supérieur. Ils ne sont que 12 % à posséder une certification universitaire, proportion équivalente à celle des non-diplômés. Leur catégorie professionnelle d’origine les rattache aux ouvriers qualifiés (33 %), aux employés de bureau ou de laboratoire (32 %) et aux techniciens (15 %) des secteurs privés. Leurs fonctions syndicales signalent qu’ils sont des cadres intermédiaires de la CGT puisqu’ils sont 43 % à exercer une fonction de dirigeant (secrétaire ou secrétaire général) et 29 % à occuper des postes de collaborateurs politiques ou techniques.
Délimiter les frontières de cette population invite à s’interroger sur les militants qui en sont absents. D’abord, on ne compte pas de membres du Bureau confédéral. Ces dirigeants nationaux, disposant de nombreuses relations à l’intérieur comme à l’extérieur de la CGT, se reclassent de façon autonome sans recourir à l’accompagnement des services confédéraux. Ensuite, on trouve peu de dirigeants des entreprises nationalisées (cheminots, industries électriques et gazières, transports publics, etc.). Propriétaires de diverses infrastructures para-syndicales, ces corporations offrent souvent à leurs permanents des voies de reconversion autonomes (centres de soin, caisse de retraite, institut de formation, etc.). Enfin, aucun des requérants n’est issu de la fonction publique. Les fonctionnaires détachés auprès d’une organisation syndicale disposent en effet d’un droit à la réintégration professionnelle. Au terme de leur mandat, ils retrouvent leur administration d’origine.

1.2. Élaborer une politique en matière de reconversion

  • 10 Rapport d’André Allamy au Bureau confédéral, 1983, IHS 399 CFD 12.

11« Le secteur Promotion des cadres syndicaux n’est pas une sorte d’hôpital de campagne dans le couloir duquel on dépose tel blessé de guerre »10. Ces mots d’André Allamy synthétisent la représentation spontanément attribuée à l’activité de son service. Jusqu’au début des années 1980, celui-ci est perçu comme « l’ambulance » ou la « voiture-balai » dédiée aux syndicalistes sur le déclin (Derville et Labbé, 1995, p. 20). Pourtant, dès sa prise de fonctions, le secrétaire confédéral fait tout pour renouveler cette image et propose de nouvelles orientations en matière de reconversion.

12Il réaffirme, tout d’abord, combien la mise en place de voies de sortie du syndicalisme constitue « un devoir » et « une responsabilité » de l’organisation envers ses membres. Leur accorder des conditions de reclassement acceptables signifie reconnaître leur implication et leur dévouement à la cause cégétiste, gratifier les services rendus et les inciter à défendre les intérêts du syndicat dans leurs futures fonctions. Cette solidarité constitue, à ses yeux, une variable fondamentale pour l’engagement des jeunes générations de permanents, seul moyen de leur assurer qu’ils pourront bénéficier du soutien de l’institution jusqu’au terme de leurs mandats.

  • 11 Rapport d’André Allamy au Bureau confédéral, 1983, IHS 399 CFD 12.
  • 12 « Les problèmes de la conversion des cadres syndicaux », 1980, IHS 399 CFD 33.
  • 13 Cette volonté de valoriser les reconvertis explique probablement l’abandon au bout de quelques anné (...)
  • 14 Note de synthèse des sept sessions d’étude des secrétaires généraux, 1985, IHS 399 CFD 37.
  • 15 Au cours des années 1980, les salaires des permanents de la CGT (confédération et organisations int (...)
  • 16 Note de synthèse des sept sessions d’étude des secrétaires généraux, 1985, IHS 399 CFD 37.
  • 17 « Réflexion pour une mise à jour de la politique de cadres de la CGT », 1990, archives Détrez, non (...)
  • 18 « Les problèmes de la conversion des cadres syndicaux », 1980, IHS 399 CFD 33.
  • 19 Note de synthèse des sept sessions d’étude des secrétaires généraux, 1985, IHS 399 CFD 37.

13Par-delà l’affirmation de cette responsabilité collective, la seconde ambition du service consiste à modifier le regard porté en interne sur les reconvertis. André Allamy mène un travail de recadrage de cette question. Pour lui, il faut rompre avec l’idée que les permanents en partance seraient des « rebuts »11 du syndicalisme, uniquement caractérisés par leurs qualités négatives. Au contraire, il entend démontrer qu’après des années de militantisme, le cadre syndical est « un homme nouveau » capable de développer « des potentialités qui seraient restées sans vie » en dehors de l’action militante12. Souligner la détermination de l’organisation à former des responsables et à les « recycler » dans d’autres domaines d’activité est donc un moyen de reconnaître la valeur de l’engagement cégétiste en le faisant rayonner par-delà les rangs confédéraux13. Dans une note de 198414, la figure du dirigeant cégétiste est décrite comme celle d’un cadre à part entière, c’est-à-dire un individu affûté culturellement ayant acquis « une personnalité nouvelle », une expérience et un goût des responsabilités qui lui permettent de postuler à divers emplois d’encadrement. Cette représentation concorde avec l’idée que l’accès à des responsabilités syndicales constitue pour beaucoup de militants une véritable voie de mobilité sociale. Si elle est peu rémunératrice financièrement15, elle induit une promotion professionnelle qui se caractérise souvent par la sortie du monde ouvrier, une formation intellectuelle poussée, l’exercice de missions dirigeantes et une mobilité géographique vers Paris ou une capitale régionale. Tous ces éléments façonnent le capital syndical dont sont porteurs les cadres cégétistes (Boulland et Simonpoli, 2021). C’est en ce sens que le secteur défend une politique de reclassement ambitieuse. Le retour à la profession d’origine — souvent un métier d’exécution — n’apparaît pas comme un avenir souhaitable. André Allamy compare cette éventualité à « un véritable gâchis [qui revient à] laisser d’anciens permanents syndicaux perdre leur âme et leurs connaissances dans des emplois sans intérêt (pour personne) »16. La formulation d’offres professionnelles gratifiantes constitue, de ce point de vue, une perspective essentielle afin que la reconversion n’apparaisse pas comme « dégradante »17, « mutilante »18 ou « traumatisante »19. La sortie de la carrière de permanents doit ainsi s’effectuer « par le haut », dans le prolongement de la promotion sociale opérée par le syndicalisme.

  • 20 « Les problèmes de la conversion des cadres syndicaux », 1980, IHS 399 CFD 33.
  • 21 Rapport d’André Allamy au Bureau confédéral, 1983, IHS 399 CFD 12.

14Pour ce faire, les membres du secteur nouent des contacts avec des acteurs extérieurs à l’espace cégétiste afin de fournir des débouchés professionnels, des voies de formation diplômantes et des liens institutionnels aux futurs reconvertis. Ils échangent avec des universités, des ministères, des cabinets de conseil, des instituts de formation professionnelle. L’objectif est d’élaborer un système qui permette d’effectuer une gestion routinisée des reconversions. Tout au long des années 1980, André Allamy affirme ainsi son ambition de « pourvoir en cadres un certain nombre d’organismes ou d’organisations […] dont le caractère social appelle notre présence [celle de la CGT] »20. Progressivement, il structure une sorte de « bourse d’emplois »21 composée d’organisations de la Mutualité, du tourisme social, de caisses de retraite, d’instituts de formation ou de municipalités communistes, censée offrir des voies d’insertion professionnelle régulières aux cadres syndicaux.

  • 22 Décret n°56-1201 du 27 novembre 1956 relatif à l’examen spécial d’entrée dans les universités dont (...)
  • 23 Décret n°85-906 du 23 août 1985 fixant les conditions de validation des études, expériences profess (...)

15À cela s’ajoute la formalisation de partenariats avec des universités franciliennes qui visent à faciliter la reprise d’études des militants en reconversion. Les membres du secteur se rapprochent d’universitaires communistes, notamment ceux en poste à la Sorbonne (Jean Lojkine, Catherine Mills, François Hincker, etc.), qui leur proposent d’utiliser les voies d’accès dérogatoire à l’enseignement supérieur22 ou les dispositifs de validation des acquis professionnels et personnels23 pour encourager la certification des cadres militants en fin de mandat. Cet ensemble de débouchés forme le périmètre d’intervention dans lequel s’élabore le travail d’accompagnement mené par le secteur.

2. Faire accepter et accompagner la reconversion

  • 24 La littérature sur les transitions professionnelles distingue les reconversions « volontaires », qu (...)

16Les dossiers gérés par la confédération traitent majoritairement de reconversions dites « subies », en ce sens qu’elles concernent des permanents qui se voient imposer de quitter leur emploi24. Les raisons justifiant ces départs sont multiples ; il peut s’agir soit d’un conflit politique avec l’organisation, soit d’un déficit financier ne permettant plus d’assurer le salaire du permanent, soit encore d’une volonté de renouveler le titulaire du poste. Le syndicaliste entre alors dans une phase de « désengagement professionnel » particulièrement incertaine (Mazade, 2005). C’est à ce moment-là que les membres du secteur Promotion des cadres syndicaux interviennent — soit à l’initiative de l’employeur syndical soit à la demande de l’intéressé — afin d’accompagner le syndicaliste dans ses démarches de reclassement. Ils occupent alors une fonction tutélaire impliquant de prodiguer un soutien au requérant tout en assurant un contrôle de son positionnement face à l’exit. Il s’agit ainsi de l’aider à appréhender en pensée et en pratique le déplacement professionnel qui l’attend. À l’instar des « dispatcheurs » étudiés par Sébastien Chauvin (2010), cet accompagnement requiert de conserver une juste distance vis-à-vis des syndicalistes, correspondant au double rôle de représentants de l’employeur syndical et de pairs militants.

2.1. Imposer un cadre d’interprétation de la reconversion

17La première étape consiste à effectuer un cadrage de la situation de reconversion. L’équipe du secteur Promotion des cadres syndicaux veille ainsi à garder la main sur son déroulement afin que ni ses rythmes ni son interprétation ne lui échappent. On constate, par exemple, combien la fin de carrière des permanents est négociée plusieurs mois à l’avance par le sommet de la hiérarchie syndicale. Cette anticipation ne doit rien au hasard. Tout d’abord, elle laisse à l’intéressé le temps de préparer son reclassement. Ensuite, elle offre à l’organisation l’opportunité d’insérer le départ du responsable dans les étapes ordinaires de la vie syndicale. En attendant la tenue d’un congrès ou l’organisation d’une élection, l’institution maintient l’image d’un processus régulier inscrit dans le fonctionnement démocratique des instances. Ces précautions visent à éviter une mise en cause publique de la direction cégétiste qui ne manquerait pas d’être présentée, dans les médias ou les rangs militants, comme une « affaire » ou un « scandale » interne à la centrale.

  • 25 Afin de préserver l’anonymat des permanents reconvertis, nous avons fait le choix de modifier de fa (...)

18L’objectif est ainsi d’instituer un cadre d’interprétation de la reconversion qui soit accepté par le bénéficiaire. Toutefois, la manœuvre n’est pas toujours aisée. Nombre de reclassements relèvent de situations conflictuelles où s’affrontent plusieurs définitions concurrentes de l’événement. On le constate lorsque les syndicalistes sur le départ retraduisent dans les termes du contentieux professionnel les aléas de la vie militante et assignent la direction confédérale à ses obligations d’employeur. En même temps qu’ils quittent leurs mandats syndicaux, les permanents perdent également leur emploi et les perspectives professionnelles qui l’accompagnent. Certains n’hésitent donc pas à retourner les outils du droit du travail contre l’entreprise cégétiste. À la lecture des dossiers individuels, on remarque que le cadrage proposé par la confédération ne correspond pas toujours à celui adopté par ses salariés. La situation fait ainsi l’objet d’une négociation qui tourne parfois au rapport de force entre les deux parties, notamment lorsque l’équipe d’André Allamy estime que la confédération est mise en cause abusivement, par exemple lorsqu’on lui assigne une image de « patron » fautif incapable d’assurer ses devoirs d’assistance envers ses personnels. Le contentieux s’établit entre ce qui relève légitimement de la relation professionnelle et ce qui est relatif à l’engagement militant. La tendance se vérifie d’autant plus qu’une partie des militants possède une trajectoire très fortement professionnalisée, inscrite de longue date dans le giron syndical, qu’ils perçoivent ainsi comme leur principal domaine d’activité professionnelle. Le cas de Maurice Houard25 démontre combien cette ambivalence structure la reconversion.

  • 26 Dossier personnel de Maurice Houard, IHS CGT 398 CFD 27.
  • 27 Lettre du 22 juillet 1984 au secrétariat du Bureau confédéral.
  • 28 Dossier personnel de Maurice Houard, IHS CGT 398 CFD 27.

19En 1984, ce secrétaire général de l’union départementale (UD) du Doubs décide de quitter son poste après quatorze années d’exercice. Au moment de proposer sa « démission », il demande à demeurer « employé de la CGT » le temps de retrouver un emploi. C’est dans ce cadre qu’il sollicite la confédération en vue d’obtenir un reclassement professionnel. D’emblée, il précise qu’il n’acceptera que des offres d’emploi dans son département ou dans les départements limitrophes. Cette restriction géographique s’explique par l’achat récent d’une maison située dans le chef-lieu du département, où travaille son épouse. Très vite, les exigences professionnelles de Maurice Houard tendent à limiter ses opportunités de reclassement. Il décline ainsi cinq offres d’emploi successivement proposées par le secteur Promotion des cadres syndicaux. Après un an d’attente, alors que se tient le congrès devant acter sa succession, sa relation avec la confédération se dégrade. L’intéressé décide de renoncer à sa démission, conteste les résultats obtenus par sa remplaçante et continue de se présenter comme « le seul secrétaire général représentatif »26. Son refus de céder sa place s’appuie également sur sa condition de salarié permanent qu’il n’entend pas abandonner. S’il n’est plus reconnu comme le premier dirigeant, il se considère toujours comme « un cadre » employé par l’UD CGT. Aussi entend-t-il conserver les prérogatives attachées à ce statut : son bureau est fermé à clef, il monopolise la voiture de fonction de l’organisation et se réserve le droit « de se servir dans la caisse pour rembourser ses frais d’essence »27. Empêtrée dans ce conflit sans issue, l’UD CGT décide de procéder à son licenciement. L’intéressé conteste cette décision devant l’Inspection du travail puis devant le tribunal des Prud’hommes. Bien que ses démarches restent vaines, elles offrent un aperçu des registres d’action, à la fois militants et salariaux, utilisés par le permanent — qu’il mobilise devant la presse, puisqu’il joue de la double casquette de salarié floué par son entreprise (« je me retrouve comme devant un employeur qui me reprocherait de ne pas avoir assez produit ») et de syndicaliste sanctionné par sa direction nationale (« Krasucki était au courant […] on m’a reproché de ne plus être dans la ligne »)28.

20À travers son exemple, on comprend combien le cadrage d’une situation de reconversion est dépendant des conjonctures et des négociations dans lesquelles elle s’inscrit. Cette contingence oblige les responsables confédéraux à s’adapter aux équilibres du rapport de force. Dans le cas de Maurice Houard, ils usent successivement de différentes stratégies afin d’en conserver le contrôle. Tant que l’enjeu de son reclassement demeure interne à l’organisation, la confédération mobilise des méthodes incitatives telles que des offres d’emploi ou de formation, la possibilité de conserver son salaire ou de racheter son véhicule de fonction. Toutefois, à partir du moment où l’ancien permanent met en cause publiquement l’employeur cégétiste et s’exonère des règles de vie internes à la centrale, son attitude est présentée comme « fractionnelle ». Il fait alors l’objet d’une campagne d’exclusion aussi bien au plan politique que professionnel. Licencié et discrédité, il est condamné publiquement par les fédérations et les organisations territoriales de la CGT. Ce double recadrage signale la volonté de la direction nationale de ne pas se laisser enfermer dans un rôle d’employeur coupable en rappelant au permanent qu’il est tenu de se conformer à l’autorité de l’institution pour espérer bénéficier de son soutien.

21Dans ce type de situation, les membres du secteur Promotion des cadres syndicaux veillent à ajuster leur positionnement entre sévérité et compréhension. Cette gestion de l’équilibre met en valeur les compétences de certains d’entre eux. C’est le cas de Guy Moineau. Ancien élève du grand séminaire, il est le produit d’une socialisation catholique poussée qui lui permet d’entretenir des dispositions à l’autorité, à la rigueur mais aussi à l’empathie. Celles-ci se révèlent dans les échanges avec les requérants. Le collaborateur confédéral sait durcir le ton, exprimer ses désaccords ou encore rappeler à l’ordre les futurs reconvertis. Mais il sait également faire preuve de compassion, administrer sans les juger les cas sensibles et les réinscrire dans la perspective du progrès personnel du militant. De 1980 à 1986, les courriers échangés avec Gauthier Clément mettent en lumière cet idéal de salut individuel qui guide l’accompagnement. En bon « entrepreneur d’assistance » (Retière, 2002, p. 15), Guy Moineau s’attache à ne pas blâmer le passé du militant mais plutôt à se concentrer sur ses perspectives d’avenir.

  • 29 Lettre du 1er juillet 1981 à Guy Moineau, IHS 399 CFD 13.

22Né en 1945, chimiste, adhérent de la CGT en 1965, devenu permanent fédéral en 1975, Gauthier Clément est exclu de sa fédération en 1978. Sans qu’on en connaisse précisément les motifs, il semble que cette éviction soit particulièrement douloureuse pour l’intéressé. Dans ses lettres à Guy Moineau, il évoque régulièrement ses « antécédents » et « la pesante gamelle de la Fédération » qu’il tente de faire oublier29. Il raconte également son isolement :

« [Cet isolement est né] d’un bannissement du mouvement qui a tout emporté avec lui : réseau d’insertion sociale, responsabilités et bien entendu la confiance (des autres en moi et de moi en moi-même), les relations, le milieu politique, les liens amicaux anciens… Malgré le poids des fautes, des erreurs, des faiblesses, des bêtises commises, je me suis accroché, surtout cette dernière année, à me sortir de la peau d’un “défroqué” » (lettre de Gauthier Clément à Guy Moineau, 22 septembre 1982, IHS 399 CFD 13).

23Face à ce témoignage de souffrance et de repentir, Guy Moineau adopte une posture compréhensive rappelant à son interlocuteur qu’il n’est pas chargé de revenir sur son passé mais de travailler à lui construire un avenir professionnel. Dans une lettre de juillet 1981, il lui confirme ainsi :

« Un mot seulement pour te dire, à nouveau, que tu as toute notre confiance (celle d’André et la mienne). À ton retour, nous reparlerons des pistes qui s’ouvrent à toi pour l’avenir. Et c’est vers l’avenir qu’il faut regarder. Pourquoi en dire plus ? » (lettre de Guy Moineau à Gauthier Clément, 1981, IHS 399 CFD 13).

  • 30 Lettre du 22 septembre 1982 à Guy Moineau, IHS 399 CFD 13.

24Cette attention est très appréciée par son interlocuteur qui lui exprime régulièrement sa « reconnaissance » pour « la patience » et « la confiance » qu’il lui témoigne30. On mesure ici combien, avant de se consacrer à la reconversion de leurs camarades, les membres du secteur doivent être en mesure d’encadrer leur désengagement de la carrière syndicale, ce qui implique d’adapter leur posture aux différents cas à traiter et à leurs évolutions successives.

2.2. Assurer un accompagnement des reconvertis

25Ces savoir-faire relationnels sont des atouts essentiels au moment d’organiser la transition des permanents, notamment lorsque celle-ci implique de pénétrer dans l’intimité de leur vie privée. En effet, le soutien apporté aux syndicalistes apparaît d’autant plus nécessaire qu’un grand nombre d’entre eux connaissent, au moment de quitter leurs mandats, des déplacements — sociaux, géographiques, familiaux, etc. — de grande ampleur, ou des changements biographiques majeurs. À cette occasion, les accompagnateurs confédéraux prennent connaissance de certains éléments de la vie personnelle des requérants. Les soucis de santé, les heurts de la vie familiale ou encore les problèmes conjugaux sont des maux fréquemment évoqués par les syndicalistes en reconversion. En règle générale, les membres de l’équipe d’André Allamy prennent en considération ce type de difficultés personnelles, toutefois ils veillent à ne jamais s’impliquer dans les souffrances psychiques exprimées par les militants. Les références aux afflictions intimes sont souvent évacuées par des formules incitant leurs interlocuteurs à « garder espoir », à « se reprendre » ou à « tourner la page ».

  • 31 En 1978, après d’importants conflits au sujet de l’autonomie des syndicats soviétiques, le Bureau c (...)

26En effet, le secteur cherche surtout à assurer matériellement et administrativement les parcours de reconversion, notamment lorsque leurs interlocuteurs ne peuvent mener seuls les démarches liées à leur changement de situation. Souvent opéré au bénéfice d’un individu ou d’un foyer, cet accompagnement implique d’anticiper divers aspects de la transition professionnelle. Par exemple, en 1978, chargé d’organiser le retour des dirigeants cégétistes de la Fédération syndicale mondiale (FSM) basée en Tchécoslovaquie31, le secteur se met en quête d’un emploi et d’un logement pour chaque arrivant. Ses membres élaborent ainsi un bilan du niveau de vie des responsables internationaux, en tenant compte de la valeur de leurs salaires nationaux (payés en monnaie locale), de leurs « avantages locaux » (exonération de loyer, frais médicaux gratuits, etc.) ou encore des difficultés liées à leur déménagement (vente des meubles, prix du fret, etc.). Pour chaque cas, ils tentent de trouver des solutions de remplacement. La tâche n’est pas simple puisque les personnes à accompagner reviennent par familles entières. Leur déménagement implique ainsi de prendre en compte les contraintes propres à chaque ménage. Certains permanents sont mariés à des citoyen·nes tchécoslovaques, parfois dissident·es du régime communiste, qui ne peuvent quitter le territoire sans autorisation ; certains subissent un handicap physique qui les contraint à ne pouvoir accepter n’importe quel logement ; d’autres doivent s’assurer de retrouver une formation pour leurs enfants scolarisés à Prague. À chaque fois, Guy Moineau prend contact avec les ambassades étrangères pour faciliter la venue des proches. Il sollicite les municipalités communistes d’Île-de-France (Gennevilliers, Nanterre, Montreuil, Saint-Denis, etc.) pour dénicher un logement ou une école. Enfin, il cherche des employeurs qui pourraient embaucher les nouveaux venus.

27Aider les permanents à subvenir aux impératifs matériels de la reconversion requiert de mobiliser d’autres ressources financières que les seuls fonds syndicaux. Au sein des archives du service, on trouve ainsi une multitude de projets visant à les accompagner dans leurs démarches d’obtention des subsides publics. Outre leurs droits au chômage, les syndicalistes peuvent prétendre aux indemnités de la formation continue ou aux bourses universitaires. Jusqu’aux années 1990, ceux engagés dans une reprise d’études bénéficient — le temps de la formation — d’allocations de chômage équivalentes à 70 % de leur rémunération. Toutefois, cela implique d’ajuster le dossier du candidat au cadre institutionnel. Ainsi, avant de se séparer d’un de ses salariés, la CGT n’hésite pas à gonfler artificiellement ses trois derniers mois de salaire afin de lui assurer une indemnité similaire à ses revenus antérieurs. Dans le cas où cette augmentation est impossible, la confédération prend à sa charge la différence de rémunération entre le revenu syndical et le montant de l’allocation. Si ces calculs peuvent paraître dérisoires, ils jouent en réalité un rôle fondamental dans l’accompagnement à la reconversion. En effet, garantir financièrement la période de recherche d’emploi ou de formation constitue un moyen de restreindre l’incertitude et donc de convaincre le permanent de s’y engager durablement. Au fil des années, ce soutien ne cesse de s’institutionnaliser par l’intermédiaire de nombreux dispositifs de formation ou de retour à l’emploi mis en place par les pouvoirs publics. On compte notamment l’élargissement, en 1984, du droit au Congé individuel de formation (CIF) puis, en 1988, la création de l’Allocation de formation-reclassement (AFR), qui multiplient tous deux les possibilités de financement (Dubar, 2004). Le rôle du secteur ne consiste alors pas à financer les reconvertis, mais à les accompagner dans l’obtention de ressources extérieures. Le document ci-dessous fournit un exemple des projections réalisées par les responsables confédéraux à propos d’un permanent inscrit en formation. On peut y voir de quelles manières les variations de revenus sont anticipées et présentées à l’intéressé. Celui-ci dispose d’une vue précise sur les aides à la formation, ses « périodes d’attentes », ses indemnités de licenciement et « les compléments » versés par la confédération.

Figure 1. Calcul des indemnités chômage pendant la période de reconversion

Figure 1. Calcul des indemnités chômage pendant la période de reconversion

Le sigle « AS » signifie « allocations sociales », il s’agit des allocations de chômage perçues par l’ancien permanent au moment de son départ. Le sigle « IF » renvoie aux « indemnités de formation » versées par l’assurance chômage au moment de la formation universitaire.

Reproduit avec l’aimable autorisation de l’IHS CGT.

28Pris dans l’entrelacs d’enjeux salariaux, militants et familiaux, le suivi individuel réalisé par le secteur consiste, en premier lieu, à fournir au syndicaliste un cadre temporel et matériel rassurant. Il implique, ensuite, de l’inscrire dans les circuits de reclassement professionnels ou universitaires tracés par l’organisation. La mission d’accompagnement prend alors la forme d’un travail d’adaptation qui consiste à jouer « des homologies structurales » afin d’ajuster offre et demande de reconversion (Roueff, 2013, p. 161).

3. Placer les syndicalistes en emploi ou en formation

  • 32 Depuis les années 1960, plusieurs grandes entreprises ont élaboré des accords internes qui proposen (...)

29De manière générale, en dehors d’accords internes préétablis32, il est très difficile pour les permanents syndicaux de se reconvertir au sein d’une entreprise privée, qu’il s’agisse de leur établissement d’origine ou d’un nouvel employeur (Chappe et al., 2019). Ce constat se confirme dans le cas des cadres syndicaux étudiés ici. Bien souvent, l’étiquette d’ancien dirigeant cégétiste s’avère trop lourde à porter au moment de s’insérer dans le secteur marchand, aussi privilégient-ils un retour à l’emploi dans l’administration, les structures de l’économie sociale et solidaire ou les entreprises proches du système d’action cégéto-communiste (« organisations démocratiques », entreprises « amies », etc.). C’est justement lorsqu’ils empruntent cette voie de reclassement que la fonction d’intermédiaire jouée par le secteur d’André Allamy apparaît la plus évidente. Celui-ci occupe alors un rôle d’entremetteur entre les différents interlocuteurs de ce marché du travail militant, position qui rappelle celle dévolue aux cabinets de chasseurs de têtes (Gautié et al., 2005) ou aux agences pour l’emploi (Chauvin, 2010), puisqu’elle implique de façonner conjointement offre et demande de travail pour faciliter leur appariement. Parallèlement à cette activité de placement, le rôle d’intermédiaire apparaît également dans la gestion des voies diplômantes de reconversion. Dès le début des années 1980, le secteur accompagne ainsi les syndicalistes inscrits dans une reprise d’études à l’université.

3.1. À la frontière d’un double marché de l’emploi

30Les travaux consacrés aux discriminations syndicales mettent en lumière les obstacles rencontrés par les syndicalistes en quête d’un reclassement professionnel au terme de leurs fonctions militantes (Chappe et al., 2019). Dans l’impossibilité de faire valoir leur expérience de cadres dirigeants, obligés de renouer avec un métier d’origine qu’ils ne pratiquent plus depuis des années, ceux‑ci souffrent d’une fin de mandat souvent vécue sur le mode du déclassement professionnel. Toutefois, ces trajectoires de désillusions ne sont pas les seules issues possibles à la carrière syndicale. Pour le comprendre, il convient de rompre avec l’idée que le marché de l’emploi serait une réalité unifiée, en le considérant davantage comme un espace divisé en tronçons fragmentés. Les économistes de la théorie de la « segmentation » (Doeringer et Piore, 1985) ont bien montré comment il est possible de distinguer plusieurs niveaux de marché (interne et externe, primaire et secondaire, etc.) qui apparaissent sinon imperméables, du moins commandés par des normes — d’entrée, de mobilité, etc. — partiellement autonomes. Cette réalité est tout à fait saillante dans le cas des responsables cégétistes en poste au cours des décennies 1970-1990, qui se confrontent à deux marchés du travail distincts.

31Le premier peut être qualifié de marché « classique » ou « externe » puisqu’il apparaît extérieur au monde militant. Régi par les règles ordinaires de l’employabilité, il accorde une grande valeur aux qualifications garanties par des titres scolaires, aux compétences techniques du salarié ou encore à son aptitude à se conformer aux objectifs de l’entreprise. Ce marché « classique » est très défavorable aux syndicalistes en reconversion, notamment parce qu’il accorde une valeur minime aux savoir-faire développés au cours de l’engagement. Les années de militantisme ne sont porteuses d’aucune plus-value pour les recruteurs qui considèrent souvent les ex-permanents en fonction de leur profil professionnel d’origine. Lorsqu’ils sont issus de métiers d’exécution ou qu’ils disposent de titres scolaires peu reconnus, on les juge trop peu qualifiés pour postuler à des emplois d’encadrement ou à des professions intellectuelles. De plus, affublés du stigmate cégétiste (« marqué au fer rouge », nous dira l’un d’eux), ils subissent le discrédit attaché dans beaucoup de milieux professionnels à l’engagement communiste. Les employeurs les soupçonnent d’être rétifs à l’ordre hiérarchique, de détourner leurs collègues de leurs tâches de travail ou encore de diffuser des idées contraires aux intérêts de l’entreprise. Les recherches consacrées aux discriminations syndicales soulignent notamment la réticence des cadres intermédiaires des établissements privés à accueillir les ex-permanents dans leur service. Hostiles au fait syndical et aux pratiques du dialogue social, ils interprètent ces arrivées comme une menace pour leur propre autorité (Chappe et al., 2019). Longtemps, cette idée d’une forme d’incompatibilité entre les compétences professionnelles des permanents et les réalités de l’emploi dans les entreprises capitalistes ont découragé les syndicalistes eux-mêmes. En 1982, Gauthier Clément, ancien responsable de la Fédération de la Chimie, explique ainsi à Guy Moineau :

« Je m’agite à la recherche d’un emploi, je rédige et re-rédige des curriculum vitae susceptibles de moins desservir ma candidature sur le marché du travail “classique”. Là encore, ce ne sont que de “douces illusions” » (Lettre du 22 septembre 1982, dossier de Gauthier Clément, IHS 399 CFD 33).

  • 33 Créée en 1979, Indecosa est une association de la CGT dédiée à l’information et à la défense des co (...)

32Le second marché peut être qualifié d’« interne » au monde militant (Petit, 2012). Il regroupe un ensemble d’entreprises (de formation, de vacances, de presse, d’expertise comptable, d’assurance, etc.) ou des collectivités publiques dites « amies » (municipalités, conseils généraux, etc.), directement insérées, voire dépendantes du système d’action cégéto-communiste. La CGT et ses organismes (Indecosa, Avenir social, etc.33) constituent l’un des « ports d’entrée et de sortie » (Doeringer et Piore, 1985, p. 12) de ce marché militant dont les frontières s’étendent ou se rétractent au gré des conjonctures politiques et syndicales. Cet espace d’allocation d’emplois spécifique fonctionne selon des normes alternatives de recrutement. Si les qualifications scolaires ou techniques y sont certes prises en considération, leur importance est modulée par des critères d’évaluation alternatifs tels que le dévouement à l’organisation ou l’insertion dans les réseaux cégéto-communistes. Dès lors, il est possible d’y faire valoir des dispositions généralement dévaluées sur le marché du travail telles qu’un capital culturel autodidacte, une formation « sur le tas », le maintien d’un ethos populaire ou la maîtrise d’un encadrement bienveillant et participatif.

33La coexistence de ces deux marchés a des incidences sur la manière dont le secteur Promotion des cadres syndicaux appréhende son activité d’apparieur (matchmaker). Selon les cas, il oriente les dirigeants vers l’un ou l’autre de ces espaces en sélectionnant les offres d’emplois auxquelles chaque syndicaliste pourrait s’ajuster. Les stratégies d’insertion sont multiples. Le secteur tente parfois de masquer une partie du trajet militant en réclamant à l’intéressé « un double CV », l’un comprenant et l’autre ne comprenant pas la mention des responsabilités syndicales. Il leur arrive aussi de jouer de l’entre-deux en construisant un parcours hybride, par étapes, qui offre la possibilité de convertir une partie des savoir-faire syndicaux en compétences exportables après le passage par un cursus universitaire ou une période dans une entreprise « amie ». En ce sens, il convient de garder à l’esprit que ces deux marchés sont interconnectés. Aussi est-il tout à fait possible pour un même individu de transiter de l’un à l’autre, notamment au cours d’un processus de reconversion qui le conduit à « blanchir » son itinéraire militant (Ubbiali, 1999) en s’insérant d’abord sur le marché interne, puis sur le marché externe.

  • 34 Entre 1975 et 1985, sur l’ensemble des dossiers traités statistiquement, on constate que 69 % menti (...)

34Jusqu’au milieu des années 1980, la mission d’intermédiation opérée par le secteur d’André Allamy se concentre essentiellement sur le placement des syndicalistes sur le marché interne34. Les permanents confédéraux aident à la fabrication des curricula et des lettres de candidature, suivent les petites annonces, formulent des recommandations et tentent de sélectionner les profils idoines en fonction des postes vacants. Généralement, cette tâche d’appariement est assez simple puisque les emplois proposés réclament des savoir-faire proches de ceux mis en œuvre dans le métier syndical. Qu’elles soient qualifiées de « commerciales », « d’encadrement » ou de « relationnelles », les aptitudes recherchées favorisent les transitions entre domaines de compétences équivalents. Par exemple, il sera demandé à un secrétaire d’union départementale de prendre en charge un emploi de cadre dans l’antenne régionale d’une entreprise de tourisme social où il pourra réactiver des réseaux militants déjà constitués. Cette mise en correspondance entre l’offre « singulière » et la demande « de marché » (Gautié et al., 2005) est souvent d’autant plus aisée que les postes proposés sont peu codifiés formellement (pas de fiche de poste, absence de prérequis scolaires, etc.). Néanmoins, les démarches engagées n’en sont pas moins entourées d’âpres négociations concernant le niveau d’exigence du permanent et l’opportunité de saisir (ou non) tel ou tel emploi. En effet, au moment de quitter leurs mandats, certains syndicalistes n’hésitent pas à avancer des prétentions salariales ou statutaires partiellement déniées au cours de leurs années d’engagement — comme s’il s’agissait de rééquilibrer la balance des rétributions professionnelles, perçue comme déficitaire, de leur carrière syndicale. Le rôle du secteur consiste alors à fixer le cadre tolérable des attentes individuelles en aidant les responsables syndicaux à prendre conscience des réalités du marché (Paranthoën, 2020, p. 157). Nombre d’entre eux sont invités à réévaluer leurs prétentions professionnelles ou à effectuer de nombreuses concessions (salariales, géographiques, etc.) au moment de se reconvertir. L’accompagnement réalisé par le secteur implique donc d’opérer une sorte de formatage de l’offre de travail afin de renforcer sa propre crédibilité en tant qu’interlocuteur privilégié de la relation tripartite de recherche d’emploi.

3.2. Un garant des relations internes au marché militant

35Dans un marché militant fermé, le travail d’appariement connaît un certain nombre de spécificités. À l’inverse des entreprises de placement traditionnelles, souvent soumises à l’autorité du donneur d’ordre (Gautié et al., 2005), il exige de l’intermédiaire le maintien d’une double loyauté envers le futur employeur et envers le permanent en reconversion. Parce qu’elle s’établit entre pairs d’un réseau relativement restreint, censés épouser les mêmes principes d’engagement, la relation d’intermédiation doit demeurer inscrite dans des rapports de confiance eux-mêmes fondés sur le respect des « conventions » (informations, compétences, etc.) censées régir l’échange (Bessy et Chauvin, 2013, p. 92). Préserver l’entente entre les acteurs constitue donc une mission essentielle du travail du secteur confédéral. On le mesure particulièrement bien lorsque ladite relation de confiance se grippe et que l’honnêteté du service est explicitement remise en cause. Le marché interne étant relativement réduit, « les circuits de commérage » (Elias et Scotson, 1997, p. 207) propres au monde syndical atteignent parfois les futurs employeurs qui découvrent que le secteur n’a pas fourni de justes informations sur les candidats ou tente de leur proposer des militants aux agissements douteux. Sommés de répondre aux rumeurs entourant le passé des permanents, les responsables confédéraux se muent alors en « entrepreneur de réputation » (Chauvin, 2013, p. 135) et tentent de rectifier une image sociale parfois fortement dégradée. C’est le cas, en 1977, avec Denis Maigret dont la reconversion provoque une crise de confiance entre interlocuteurs.

36Né en 1930, syndiqué à la fédération des Métaux, Denis Maigret est secrétaire général de l’union départementale (UD) du Cher pendant vingt-quatre ans. En 1977, il est prévu qu’il quitte ses fonctions syndicales pour rejoindre l’organisme Tourisme et Travail. Toutefois, au cours du processus de recrutement, les responsables de l’entreprise apprennent par des tiers que certaines informations relatives au parcours du permanent ont été sciemment cachées par la CGT. Denis Maigret a notamment connu, par le passé, des « problèmes d’argent » impliquant directement les finances de l’UD. Suite à ces révélations, l’intéressé voit subitement les « affres » de sa mauvaise réputation ressurgir et ses chances d’être embauché s’évanouir. Pis, la crédibilité du secteur Promotion des cadres syndicaux est mise en cause par les dirigeants de Tourisme et Travail qui estiment avoir été trompés. Ils s’en ouvrent à André Allamy à l’occasion d’une réunion dont les notes ont été conservées dans les archives :

« Il faut informer le camarade MAIGRAIS [sic] de la difficulté, c’est-à-dire que nos camarades avaient surtout en tête cette question de “fric” et, ensuite des “on dit” de ci, de là, des camarades qui pensaient connaître MAIGRAIS [sic]. Donc l’informer des difficultés de façon qu’il ne soit pas ignorant sur cette situation. Lui dire que Tourisme et Travail est parfaitement au courant de son cas » (Dossier Denis Maigret, IHS 399 CFD 13).

37En réponse, les membres du service entendent rassurer leurs interlocuteurs sur l’attitude du permanent. S’ils reconnaissent avoir omis de signaler cette mésaventure, ils cherchent à plaider sa cause en faisant part de son repentir et de son attitude irréprochable depuis les faits.

« Raison de son dégagement : cela fait 20 ans qu’il est secrétaire général d’UD. Il a eu des problèmes que nous n’avons pas évoqués. Des problèmes d’argent. L’affaire a été réglée en son temps, il a réagi correctement, a remboursé et depuis aucun problème. Il faut donc éviter qu’il ait à manipuler de l’argent, c’est tout. Est-ce que l’on doit lui faire traîner cette casserole le restant de ses jours ? À notre sens NON ! D’autant qu’il a des qualités d’organisateur. Une tendance à être suffisant ? S’il fallait se passer de tous ceux qui dans nos rangs ont cette tendance ce serait le désert » (Dossier Denis Maigret, IHS 399 CFD 13).

38Ils veillent également à réaffirmer les nécessaires relations de confiance que les deux institutions doivent entretenir. S’ils sont gênés par cette fuite d’informations, ils reprochent aux cadres de Tourisme et Travail leur manque de loyauté, puisque ceux-ci ont glané des renseignements sur leurs permanents à leur insu. C’est donc le monopole des renseignements au sujet de leurs propres cadres et la fiabilité de leur jugement qui sont contestés. En ce sens, André Allamy note les termes d’une mise au point à l’intention des dirigeants de l’organisation démocratique. Ceci nous rappelle qu’en sa qualité d’intermédiaire, par-delà les cas traités, le service dispose d’une rationalité propre qui l’oblige à défendre son rôle dans l’évaluation et la valorisation des reconvertis.

« Notre travail commun ne peut reposer que sur une confiance réciproque, autrement il n’y a rien de possible. Vous avez besoin de couvrir un poste ? Vous nous en donnez le profil et c’est à partir de là que nous recherchons. […] Nous croyons nous que Denis Maigret correspond bien au profil de l’emploi. Évidemment, et c’est normal, en tout état de cause c’est T.T. [Tourisme et Travail] qui décide. Mais il faut comprendre que quelques expériences comme celles-ci risquent de remettre en cause notre collaboration parce que cela constitue une perte de temps préjudiciable à notre travail […]. En tout état de cause, lorsque nous aurons — nous CGT — quelqu’un à proposer à Tourisme et Travail et avant que ce dernier ne fasse quoi que ce soit auprès de l’intéressé, il doit y avoir une rencontre entre [le représentant de Tourisme et Travail] et le camarade qui se préoccupe de la question : de telle sorte que les choses soient claires et que nous n’allions pas vers des ambiguïtés » (Dossier Denis Maigret, IHS 399 CFD 13).

39L’adoption d’une perspective centrée sur l’activité des intermédiaires met en lumière la dimension relationnelle des reconversions professionnelles en milieu militant. Limitées à des espaces sociaux de petite envergure, exclusifs du marché du travail ordinaire, elles requièrent un haut degré de proximité et de confiance entre les participants. L’entretien de cette relation de fidélité est essentiel puisqu’en cas de mésentente, le service court le risque de perdre un éventuel débouché professionnel et le permanent, celui de subir une double marginalité sur le marché de l’emploi. À ce titre, on ne s’étonnera pas de constater qu’un grand nombre des interlocuteurs du secteur, qu’ils appartiennent au groupe des permanents ou à celui des employeurs, sont des contacts de longue date d’André Allamy et de Guy Moineau. L’accumulation d’un capital social personnel, allant au-delà du seul capital social collectivement détenu par la CGT, constitue en effet l’une des clés du travail de placement qu’ils assurent pour la confédération.

  • 35 À cet égard, on remarque que les conceptions en vigueur dans la vie militante sont transposées en m (...)

40Toutefois, il arrive que la rencontre entre l’offre et la demande de travail s’avère impossible à réaliser sur le marché interne. Les réseaux cégéto-communistes fournissant un nombre de postes limité, ils ne peuvent accueillir l’ensemble des syndicalistes à la recherche d’un emploi. Les membres du secteur se confrontent alors à la déception, voire à la rancœur, de permanents privés de débouchés professionnels. C’est la situation vécue par Simone Monnet qui, trois ans après avoir été licenciée de la confédération, est toujours sans emploi. Ayant été employée à des fonctions de permanente technique, elle ne peut prétendre accéder à certains postes d’encadrement sur le marché militant dans la mesure où ceux-ci sont présentés comme nécessitant des compétences de dirigeant, majoritairement conçues comme politiques et masculines35. Aussi s’oriente-t-elle vers la recherche d’un poste de documentaliste ou de chargée d’études qui correspond à ces qualifications professionnelles. Toutefois, elle ne parvient pas à se faire embaucher. Elle fait ainsi l’expérience concrète de la difficulté à exporter ses compétences en dehors du giron syndical. En 1984, dans une lettre adressée à Guy Moineau, elle impute son déclassement professionnel à l’inefficacité de l’accompagnement confédéral, incapable de lui accorder un soutien à la hauteur des services rendus à l’organisation.

« Il faut bien dire que la CGT qui m’avait promis un reclassement n’a pas tenu parole. Mois après mois, on m’a dit qu’on avait demandé à des camarades une aide. Rien n’est venu et les nombreux dossiers que j’ai transmis à la CGT ont été rangés dans un tiroir, sinon mis au panier. À la CGT, on a misé sur l’usure du temps et l’oubli. C’est regrettable. Je suis choquée par ce remerciement des camarades qui ont travaillé dans le parti et milité pour l’arrivée de la gauche pendant quelque vingt-cinq ans ! » (Lettre du 26 juin 1984 adressée au Secteur confédéral, dossier Simone Monnet, IHS 399 CFD 18).

41Les échecs de ce type illustrent la difficulté du secteur à proposer des postes extérieurs aux réseaux du militantisme cégéto-communiste. Au-delà de leur sphère d’influence, les responsables confédéraux peinent à apporter un soutien efficace au permanent en reconversion pour la simple raison qu’ils n’entretiennent aucun contact particulier avec les employeurs extérieurs. Dès lors, ils ne parviennent pas à mettre en valeur le profil du requérant qui se trouve brutalement confronté à l’évaluation « objective » — et souvent négative — de son parcours professionnel. Loin des bases syndicales, le travail d’intermédiation réalisé par la confédération perd ainsi de son efficacité.

3.3. Créer des passerelles vers l’université

42Au mitan des années 1980, confrontés à l’afflux des permanents victimes de la « crise » qui frappe la CGT, il apparaît évident aux responsables confédéraux qu’ils ne peuvent plus se limiter aux seuls débouchés offerts par le marché des organisations démocratiques. Aussi envisagent-ils de diversifier les circuits de reconversion proposés aux cadres syndicaux. Très rapidement, ils orientent leur activité vers la formation de partenariats avec des filières de l’enseignement supérieur afin de faire bénéficier leurs camarades des dispositifs universitaires de validation des acquis professionnels. Certains cursus dirigés par des professeurs proches du mouvement syndical, de la CGT ou du Parti communiste français (PCF) sont particulièrement ciblés, telle la licence-maîtrise d’Administration économique et sociale de l’université Paris-1 ou la licence en droit de l’université Paris XI. Les permanents en fin de mandat les investissent chaque année davantage. Comme l’a souligné Georges Ubbiali (1999), au long des décennies 1980-1990, cette scolarisation du processus de reconversion devient la marque de fabrique de l’accompagnement confédéral cégétiste. L’obtention d’un diplôme universitaire recèle un double avantage. Elle est tout d’abord perçue comme un moyen d’élargir les perspectives d’embauche des anciens syndicalistes en leur fournissant « une mise à niveau » scolaire dont ils pourront se prévaloir en dehors du marché militant. Elle constitue, ensuite, une alternative permettant de limiter l’urgence de la reconversion puisqu’en prolongeant — de quelques mois à plusieurs années — le retour à l’emploi, elle offre au secteur un délai supplémentaire au cours duquel il peut parfaire le projet du reconverti et accroître ses chances de retrouver un emploi.

43Toutefois, cette réorientation oblige les collaborateurs confédéraux à adapter leur travail d’accompagnement. Dorénavant, parallèlement à la recherche de débouchés professionnels, ils assurent également un suivi des syndicalistes entrés en formation. Pour ce faire, le secteur se dote de collaborateurs ayant eux-mêmes expérimenté une reprise d’études. Le premier à occuper cette fonction est Jean Trincard36 qui, dès 1987, au retour de sa formation en Sorbonne, se voit confier le suivi des syndicalistes inscrits à l’université. Il sera ensuite suivi par Michelle Perrot (1998) et par Jean-Pierre Séguin (2005). Leur vécu personnel constitue un atout indéniable dans l’accompagnement des néo-étudiants, d’abord parce qu’ils mesurent et cadrent les ambitions des syndicalistes : en fonction du parcours — scolaire, syndical et professionnel — de l’intéressé, ils proposent des voies de formation ajustées afin que le palier culturel ne soit pas trop dur à franchir. Ils fournissent, ensuite, un support administratif dont on retrouve la trace dans la confection des dossiers de validation des acquis, les démarches d’inscription aux épreuves de sélection ou l’obtention de bourses d’études. Ils prodiguent, enfin, un soutien scolaire et psychologique aux syndicalistes peu accoutumés aux rythmes et aux normes universitaires. Face à la violence d’une re-scolarisation à l’âge adulte, ils les aident à choisir leurs enseignements, se font le réceptacle de leurs plaintes ou encore leurs porte-paroles auprès des enseignants. Ils mettent en pratique une nouvelle forme d’intermédiation qui vise à préparer la conversion du capital syndical en capital scolaire.

  • 37 Dossier de Didier Sergent, IHS 399 CFD 33.

44Les archives conservent la trace des réunions organisées et des conseils dispensés pour préparer les syndicalistes à une reprise d’études. Ainsi, il arrive à Jean Trincard d’officier en qualité de professeur de substitution pour les militants souhaitant s’exercer sur des épreuves « blanches » de l’examen d’entrée. Il relit, annote et rectifie les commentaires de texte ou les dissertations que lui envoient les candidats. Sur les copies, ses remarques prennent des formes typiquement scolaires tant dans le vocabulaire employé, concis et péremptoire (« H. S », « Qui dit ça ? », « Danger Psycho ! »), que dans les injonctions à nuancer ou à détailler leurs propos37. Les observations sont toujours conclues par un paragraphe dans lequel il rédige le plan et la problématique qu’il aurait fallu adopter. L’ensemble reprend toutes les normes de l’évaluation scolaire et participe ainsi d’une forme de « socialisation préparatoire » à l’entrée en formation (Darmon, 2013, p. 21).

45Le travail d’accompagnement se poursuit durant l’année universitaire, notamment au travers de l’organisation de rencontres avec le groupe d’étudiants ou d’interventions au sein du conseil de faculté. Le rôle des membres du secteur consiste essentiellement à inculquer aux syndicalistes la bonne posture à adopter au sein de la communauté universitaire. Face au corps professoral, ils les encouragent à délaisser leur point de vue de militants pour s’approprier une position d’étudiants ordinaires. À chaque nouvelle promotion, ils insistent sur ce repositionnement afin que tous parviennent à se dégager des attitudes propres à leur ethos syndical. « Moi je leur répète que lorsqu’on entre à l’université, on est stagiaire de la formation continue, on n’est pas le délégué CGT de la formation. Certains ont du mal à le comprendre, du coup ça crée des tensions », précise Jean-Pierre Séguin lors de notre entretien. Il est certain que les moments de friction entre acteurs syndicaux et universitaires sont assez nombreux, notamment lorsque les enseignements traitent de thèmes — le droit du travail, la représentation politique, le paritarisme, etc. — qui font directement écho aux savoir-faire des militants. Leur travail de médiation vise essentiellement à créer les conditions de leur intégration dans les routines de l’institution et, par là même, à favoriser le processus de conversion du capital syndical en un diplôme universitaire qu’ils pourront ensuite mobiliser sur le marché du travail.

4. Conclusion

46Au terme de cet article, on peut affirmer que l’intermédiation mise en œuvre par le secteur Promotion des cadres syndicaux influence de trois manières la reconversion des syndicalistes. D’une part, elle participe à la délimitation de circuits de reclassement qui orientent la transition professionnelle des cadres cégétistes. En nouant des partenariats à l’intérieur comme à l’extérieur des réseaux militants, relatifs aussi bien à la recherche d’un emploi que d’une formation universitaire, elle façonne des périmètres de déplacement empruntés collectivement. Ensuite, elle contribue à fluidifier la mobilité des ex-permanents vers d’autres espaces sociaux. Qu’il s’agisse du marché du travail militant ou des filières de l’enseignement supérieur, elle garantit à ses interlocuteurs le sérieux, l’engagement et le niveau de compétence du reconverti. Enfin, en échange d’une fidélité renouvelée à l’organisation, elle offre aux partants un soutien logistique afin de leur assurer des conditions de reconversion acceptables. Au travers de ces missions, le secteur confédéral participe directement à la fabrication d’une convertibilité du capital syndical. À l’instar des courtiers sur les marchés financiers, chargés d’établir la valeur des produits qu’ils proposent, l’équipe d’André Allamy concourt à rendre plus visibles les atouts des cadres cégétistes et leur valeur professionnelle en dehors de la sphère syndicale (Orléan, 2011).

47Toutefois, une étude fine de leur activité livre également les limites de ce rôle d’intermédiaire. En effet, on constate qu’à mesure qu’ils s’éloignent de l’espace militant, les reclassements deviennent de plus en plus complexes à encadrer. Loin de l’entre-soi des réseaux cégéto-communistes, il est très difficile de faire la preuve de la valeur ou de l’employabilité des cadres de la centrale. En creux, on saisit alors les frontières du périmètre d’influence du secteur confédéral. Si dévoués que soient ses membres, ils ne peuvent pas toujours pallier les déficits de ressources sociales ou culturelles des candidats à la reconversion. Certains des débouchés envisagés, et en particulier ceux impliquant un déplacement social de grande amplitude, réclament un volume de capital spécifique — diplôme, réseau social, etc. — bien différent de celui détenu par les syndicalistes. Ils exigent ainsi le passage par des institutions socialisatrices tierces qui permettent à l’individu d’acquérir de nouveaux capitaux. En un sens, c’est le pari réalisé par la CGT au moment d’investir plus amplement l’université, puisque l’obtention d’une certification de l’enseignement supérieur participe à ouvrir l’espace des reclassements potentiels.

48Comparés aux travaux portant sur d’autres confédérations syndicales, et notamment ceux de Sophie Pochic sur la CFDT, ces résultats signalent les ressemblances et les différences entre les modèles d’accompagnement. Au rang des similitudes, on remarque que les deux politiques épousent les mêmes temporalités et objectifs. Initiées au cours des années 1970, renforcées au début des années 1980, elles suivent les rythmes de la professionnalisation des directions syndicales. Aussi sont-elles toujours conçues dans la perspective de valoriser les acquis de la carrière militante. De même, dans les deux cas, les reclassements des ex-permanents s’effectuent essentiellement sur un marché professionnel composé d’organisations militantes (associations, syndicats, etc.). Toutefois, ces politiques diffèrent dans les modalités d’accompagnement mises en œuvre. Alors que la CGT confie la charge des reconversions à des responsables non-spécialistes qui privilégient rapidement les formations universitaires comme principale voie de reclassement, la CFDT se repose très tôt sur des militants spécialisés dans les transitions professionnelles (enseignants, docteurs en sciences de l’éducation, etc.), qui mobilisent des outils (bilan de compétences, techniques d’entretien, etc.) et des conceptions davantage orientés vers une prise en charge individualisée des parcours de reconversion (Pochic, 2014).

49Cet article réaffirme ainsi que l’étude des transitions professionnelles des responsables militants ne peut faire l’économie d’une analyse des institutions qui encadrent, de multiples manières, les parcours de reconversion. Fort de cette connaissance des dispositifs d’accompagnement, il s’agirait désormais d’interroger leurs effets singuliers sur les trajectoires des intéressés. L’interrogation porterait sur le rendement différencié des circuits de reclassement suivant leur historicité, leurs débouchés ou leur niveau de prise en charge. À l’heure où les services internes aux centrales syndicales s’éclipsent derrière les accords d’entreprise (Chappe et al., 2019), où se développent des formations dédiées à la transition professionnelle des militants (Institut d’études politiques de Paris, Université de Bordeaux, Université Paris Dauphine, etc.), les syndicalistes sont sommés d’apprendre à se repérer dans une offre d’accompagnement en profonde recomposition. Or, force est de constater que les travaux de ressources humaines qui se sont intéressés à « l’employabilité militante externe » des cadres syndicaux oublient précisément de prendre en compte les mécanismes d’intermédiation qui s’offrent à eux. Trop centrés sur les « stratégies individuelles » des ex-permanents, ils omettent d’interroger les contextes organisationnels dans lesquels s’opère leur transition professionnelle (Becdelièvre et Grima, 2017).

50Par-delà les cas militants, cette contribution invite à prolonger l’étude des intermédiaires de l’emploi en s’intéressant aux intérêts spécifiques qu’ils défendent dans leurs rapports professionnels. Loin d’être des protagonistes neutres ou neutralisés des échanges, comme ils aiment parfois à se présenter, ils disposent en réalité d’une rationalité propre qui les entraîne à poursuivre des objectifs — politiques, économiques, réputationnels, etc. — qui dépassent les cas singuliers qu’ils administrent.

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Notes

1 Quelques exemples : « Les carrières syndicales à l’épreuve de la reconversion », Le Monde, 15 mai 1991 ; « André Sainjon- Le métallo patron », La Tribune, 10 mars 2003 ; « La très chère reconversion de François Chérèque », Le Point, 23 janvier 2013 ; « Jean-Claude Mailly, de la banderole FO au conseil patronal », Libération, 18 juin 2018.

2 Au cours des années 1990, le renouvellement des effectifs du service, conjugué à la réorganisation du travail au sein de l’appareil confédéral, entraînent un éclatement de l’accompagnement des reconversions professionnelles des syndicalistes. Par souci de cohérence historique, nous avons donc fait le choix de ne pas traiter la période qui s’ouvre dans les années 2000 dans la mesure où elle relève d’une gestion différente des reconversions (éclatement du service, division des tâches d’accompagnement, etc.).

3 Le groupe des salariés dits « permanents » de l’organisation englobe des hommes et des femmes qui ont accepté de faire de leur engagement un métier en se consacrant, à temps-plein et de manière rémunérée, à la gestion du travail militant (Ubbiali, 2001).

4 Jusqu’à la fin des années 1990, l’appareil confédéral de la CGT est divisé en services spécialisés dénommés « secteurs ». Chaque secteur regroupe plusieurs collaborateurs (permanents de l’organisation) qui sont placés sous la direction de deux élus nationaux : un secrétaire confédéral (membre du Bureau confédéral, direction resserrée de la CGT) et un chef de service (membre de la Commission exécutive confédérale, direction élargie de la CGT).

5 Voir sa notice biographique dans le Maitron : https://maitron.fr/spip.php?article9877.

6 Voir sa notice biographique dans le Maitron : https://maitron.fr/spip.php?article179723.

7 « Ce qui ne va pas dans la maison confédérale », Note à Henri Krasucki, 1984, IHS 399 CFD 24.

8 Par comparaison avec le très petit effectif du secteur Promotion des cadres syndicaux, le secteur Organisation compte plus d’une dizaine de permanents durant la même période. Il bénéficie en outre d’un réseau de « coopérants » étendu à l’ensemble de l’appareil cégétiste, qui lui confère un niveau d’information bien plus important.

9 « Les problèmes de la conversion des cadres syndicaux », 1980, IHS 399 CFD 33.

10 Rapport d’André Allamy au Bureau confédéral, 1983, IHS 399 CFD 12.

11 Rapport d’André Allamy au Bureau confédéral, 1983, IHS 399 CFD 12.

12 « Les problèmes de la conversion des cadres syndicaux », 1980, IHS 399 CFD 33.

13 Cette volonté de valoriser les reconvertis explique probablement l’abandon au bout de quelques années du mot « recyclage ». On peut imaginer que cette notion renvoyait trop directement à l’image négative de « déchets » hors d’usage.

14 Note de synthèse des sept sessions d’étude des secrétaires généraux, 1985, IHS 399 CFD 37.

15 Au cours des années 1980, les salaires des permanents de la CGT (confédération et organisations interprofessionnelles) sont équivalents à ceux d’un ouvrier professionnel ou d’un technicien de l’industrie.

16 Note de synthèse des sept sessions d’étude des secrétaires généraux, 1985, IHS 399 CFD 37.

17 « Réflexion pour une mise à jour de la politique de cadres de la CGT », 1990, archives Détrez, non cotées.

18 « Les problèmes de la conversion des cadres syndicaux », 1980, IHS 399 CFD 33.

19 Note de synthèse des sept sessions d’étude des secrétaires généraux, 1985, IHS 399 CFD 37.

20 « Les problèmes de la conversion des cadres syndicaux », 1980, IHS 399 CFD 33.

21 Rapport d’André Allamy au Bureau confédéral, 1983, IHS 399 CFD 12.

22 Décret n°56-1201 du 27 novembre 1956 relatif à l’examen spécial d’entrée dans les universités dont les conditions d’application sont modifiées par l’arrêté du 2 septembre 1969.

23 Décret n°85-906 du 23 août 1985 fixant les conditions de validation des études, expériences professionnelles ou acquis personnels en vue de l’accès aux différents niveaux de l’enseignement supérieur.

24 La littérature sur les transitions professionnelles distingue les reconversions « volontaires », qui seraient choisies et guidées par un « désir de changement », des reconversions « subies », présentées comme non anticipées ou non souhaitées, et qui interviendraient à la suite d’un licenciement économique ou d’un conflit professionnel. Cette opposition théorique est évidemment insatisfaisante puisqu’on peut considérer qu’elle oppose des situations qui s’inscrivent plutôt sur un continuum.

25 Afin de préserver l’anonymat des permanents reconvertis, nous avons fait le choix de modifier de façon raisonnée certaines de leurs propriétés sociales (nom, prénom et origine géographique), tandis que les accompagnateurs confédéraux, qui sont des dirigeants syndicaux connus et dont les notices biographiques sont publiques, sont désignés sous leur vraie identité.

26 Dossier personnel de Maurice Houard, IHS CGT 398 CFD 27.

27 Lettre du 22 juillet 1984 au secrétariat du Bureau confédéral.

28 Dossier personnel de Maurice Houard, IHS CGT 398 CFD 27.

29 Lettre du 1er juillet 1981 à Guy Moineau, IHS 399 CFD 13.

30 Lettre du 22 septembre 1982 à Guy Moineau, IHS 399 CFD 13.

31 En 1978, après d’importants conflits au sujet de l’autonomie des syndicats soviétiques, le Bureau confédéral de la CGT décide de prendre ses distances avec l’organisation internationale. Cette décision, relativement timorée, se manifeste essentiellement par le rapatriement en France de Pierre Gensous, président de la FSM, et de son entourage (Pernot, 2001, p. 340-361).

32 Depuis les années 1960, plusieurs grandes entreprises ont élaboré des accords internes qui proposent un déroulement de carrière à leurs syndicalistes, voire une réintégration. C’est par exemple le cas de la liste d’homologues chez EDF/GDF, qui permet d’évaluer l’évolution salariale du militant par comparaison avec les salariés de l’entreprise entrés au même poste, la même année et avec la même qualification professionnelle (Chappe et al., 2019).

33 Créée en 1979, Indecosa est une association de la CGT dédiée à l’information et à la défense des consommateurs. Fondée en 1906, l’Avenir social est une association de la CGT visant à promouvoir la solidarité et l’entraide à l’échelle nationale ou internationale.

34 Entre 1975 et 1985, sur l’ensemble des dossiers traités statistiquement, on constate que 69 % mentionnent comme premières perspectives de réinsertion professionnelle des emplois dans des structures du marché militant. Si ces pistes n’aboutissent pas forcément, elles constituent l’espace professionnel le plus investi par le secteur Promotion des cadres syndicaux. À compter du milieu des années 1980, la généralisation de l’entrée en formation universitaire tend à modifier les stratégies de placement ; toutefois, le secteur privilégie toujours, lorsque c’est possible, une reconversion vers le marché militant.

35 À cet égard, on remarque que les conceptions en vigueur dans la vie militante sont transposées en matière professionnelle. Au début des années 1980, les femmes ne représentent qu’un quart des membres de la direction nationale de la CGT (Andolfatto et Labbé, 1997, p. 156), ce qui explique aussi leur faible importance (un tiers) dans notre corpus.

36 Voir sa notice biographique dans le Maitron : https://maitron.fr/spip.php?article180840.

37 Dossier de Didier Sergent, IHS 399 CFD 33.

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Table des illustrations

Titre Figure 1. Calcul des indemnités chômage pendant la période de reconversion
Légende Le sigle « AS » signifie « allocations sociales », il s’agit des allocations de chômage perçues par l’ancien permanent au moment de son départ. Le sigle « IF » renvoie aux « indemnités de formation » versées par l’assurance chômage au moment de la formation universitaire.
Crédits Reproduit avec l’aimable autorisation de l’IHS CGT.
URL http://journals.openedition.org/sdt/docannexe/image/41695/img-1.jpg
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Pour citer cet article

Référence électronique

Nicolas Simonpoli, « L’ambulance confédérale. Comment la CGT fabrique la reconversion professionnelle de ses cadres syndicaux »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 64 - n° 3 | Juillet-Septembre 2022, mis en ligne le 01 juillet 2022, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/sdt/41695 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sdt.41695

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Auteur

Nicolas Simonpoli

Institut des sciences sociales du politique (ISP), UMR 7220 CNRS, ENS et Université Paris Nanterre
Maison Max Weber, 200, avenue de la République, 92001 Nanterre Cedex, France
nsimonpoli[at]gmail.com

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