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Enquêter à distance : nouvel eldorado ?

Enquêter à distance : une spécificité, une incongruité… ?

Investigating at a Distance: A Specificity, An Incongruity…?
Stéphane Héas et Patrice Régnier
p. 25-46

Résumés

Le contact direct, in vivo in situ, avec les situations et les populations enquêtées est la pratique plébiscitée depuis des décennies dans les sciences sociales et humaines. Pour des disciplines comme l’ethnologie il s’agit d’un réquisit, même si des auteurs ont pu proposer des pistes heuristiques malgré une pratique scientifique en bureau « hors sol », exclusive ou non. Cet article précise quelques valeurs ajoutées et inconvénients d’enquêter à distance, par téléphone et, plus récemment, par l’entremise de l’Internet, à partir d’expériences professionnelles sur plusieurs décennies. Avec la distance, la non-ingérence concrète dans la vie matérielle des enquêté·e·s n’élimine pas les possibilités de recueil d’expériences approfondies, voire de confidences intimes. Or, ces informations peuvent être importantes pour mieux comprendre les situations vécues dans le cadre d’une activité professionnelle spécifique, d’un loisir sportif, d’une vie avec maladie, etc.

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Texte intégral

  • 1 D’autres enquêtes seront seulement évoquées pour ne pas alourdir le propos.
  • 2 Littéralement « bon tonus ». Méthode psychomotricienne proposée par G. Alexander en vogue à l’époq (...)
  • 3 Représentatif des moyennes françaises en termes de poids relatifs des professions (para)médicales.

1Les chercheurs et chercheuses en sciences humaines et sociales (SHS), au sens large, n’ont pas attendu les récentes pandémies – qui ont imposé des « distanciations sociales », des « confinements » limitant voire interdisant les enquêtes in vivo in situ – pour aborder leur terrain, exclusivement ou non, à distance. Ce texte précise l’usage de la plus ou moins grande distance physique lors de quatre1 enquêtes principales que les auteurs ont réalisées depuis le début de leur carrière ; l’une en distanciel après un entretien en face-à-face lors de la phase exploratoire concernant les praticiens de l’eutonie2 (Héas, 1992), l’autre en présentiel exclusif auprès des praticiens des méthodes de relaxation d’un département français3 (Héas, 1996), une enquête combinant présentiel et distanciel auprès des professionnel·le·s du monde équestre de France (Régnier, 2014), et enfin une enquête exclusivement à distance auprès d’experts corporels reconnus en France, Belgique et Suisse (Héas, 2010, 2011). L’intérêt de mobiliser même brièvement ces cas particuliers d’enquête (Becker, 2016) provient de la variété de configuration de la distance entre enquêteur/enquêté·e·s pour chaque recherche, mais aussi de l’évolution des technologies embarquées facilitant grandement les contacts distanciels, et de la relative évolution ces dernières décennies des manières de faire de la science dans les humanités, et notamment en sociologie.

2Rappelons dans cette entame quelques éléments historiques, contextuels et épistémologiques qui permettent de relativiser fortement la nouveauté de cette distance instaurée, parfois subie, lors d’enquêtes en SHS. Nous indiquerons ensuite des éléments de mise en scène des protagonistes de la recherche qualitative par entretien (en face-à-face ou en distanciel) ; puis, quelques valeurs ajoutées et limites en termes de contacts et d’analyses des situations et d’expériences vécues par des personnes inconnues ex ante des enquêteurs.

Un terrain circonscrit… toujours !

  • 4 Avec force prélèvements, plus ou moins officiels et légaux, d’objets rituels, d’images, de sons, e (...)
  • 5 Les controverses sont nombreuses à propos de l’immersion toute relative de scientifiques de renomm (...)
  • 6 Winkin Y. (1997), « L’observation participante est-elle un leurre ? », Communication et organisati (...)
  • 7 Pour reprendre une expression de la théorie économique.

3Même dans le cadre des méthodes les plus immersives comme « l’observation participante » et la « participation observante » (Soulé, 2007), les périodes de terrain sont et restent circonscrites dans le temps. Des différences notoires ont existé historiquement – même si elles doivent être relativisées – entre les manières de faire, par exemple, des ethnologues européens et celles des ethnologues américains (Winkin, 1997). Les premiers fonctionnaient sur le modèle des voyageurs étrangers issus des pays colonisateurs : pérégrinations nomades avec des observations ponctuelles, rapides, dans tel village, telle ville4, etc., souvent dans le cadre d’expéditions collectives « lourdes » en matériel et en personnel (le travail de M. Griaule et ses collaborateurs est caractéristique de cette époque et de cette manière d’ethnographier) ; lorsque les autres, les ethnologues américains notamment, ont eu plutôt une démarche davantage individuelle et sédentaire en restant « vivre » plus longtemps « avec5 » les personnes observées, suivant en cela le paradigme « immersionniste6 ». Ces différences qui n’existent plus de la même manière depuis n’étaient pas superficielles selon Y. Winkin, elles concernaient notamment l’ancrage culturel de ce/tout travail scientifique auprès d’humains : elles révélaient une opposition plus fondamentale de conception de l’être humain dans son rapport aux autres et à lui-même. Soulignant la possibilité de transparence de soi envers les autres et soi-même, les ethnologues américains considéraient l’observation participante dès lors comme possible et même aisée. Au contraire, les ethnologues européens et notamment français doutant de cette possibilité même de connaissance « pure et parfaite7 » considéraient impossible la pleine observation participante ou participation observante.

  • 8 Spécialité originelle d’étude de S. J. Gould : les escargots des genres Poecilozonite, puis Cerion(...)
  • 9 Voir la formule de C. Ginzburg : « les atomes ne parlent pas, les gens oui » (Ginzburg C. [2003], (...)

4Au-delà de ces différences sans doute largement stéréotypiques voire caricaturales, en SHS, l’observation et l’analyse des semblables exigent une rigueur (Olivier de Sardan, 2008) et un travail continus, puisque l’autoréflexivité sur le vécu sur le terrain est en permanence activée : avant, pendant et après la période d’observations et d’entretiens. Rappelons la boutade classique en épistémologie des sciences (paléontologiques et historiques avec S. J. Gould) ou des sciences humaines (avec Y. Winkin ou C. Ginzburg) : un escargot8, un virus ou un autre organisme vivant non humain9 ne risquent pas de contester les procédures méthodologiques, les interprétations scientifiques, pas plus d’écrire sur lui, ses congénères, a fortiori de préciser l’histoire des connaissances sur les autres organismes vivants. Or, ces prises de distance et ces résistances à l’enquête (deux phénomènes distincts suivant le rôle de chacun des protagonistes !), parfois ces objections aux interprétations mêmes ne manquent pas d’arriver à tous les stades d’une enquête en SHS ; c’est notamment le cas lors de recherches qualitatives où les relations entre chercheur·euse·s et enquêté·e·s peuvent être régulières, parfois empreintes d’amitié, de familiarité (Payet et Giuliani, 2010), quelquefois d’intimité (Poutrain, 2003 ; Chimienti, 2010).

  • 10 Il a été possible de réduire cette asymétrie en abolissant au maximum la distance physique, par ex (...)
  • 11 Dans les années 1970 les ethnologues recherchaient les villages les plus isolés, les plus étranger (...)
  • 12 Oester K. (2002), « La production de textes ethnographiques au regard du montage cinématographique (...)

5Reste que, dans tous les cas, une distance au moins spatio-temporelle est constatée. L’engagement « corps et âme » (Wacquant, 1989) des chercheuses et des chercheurs demeure limité à quelques semaines ou quelques mois ; moins souvent encore le séjour d’observation et de recherche dépasse une année. Plus récemment, le nec plus ultra méthodologique semble s’établir autour de la découverte puis de l’apprentissage d’une pratique (par exemple sportive, martiale…) par et au cours même de l’enquête. La chercheuse ou le chercheur passe donc de la place de néophyte, d’apprenti·e, largement sous l’influence d’un·e ou de plusieurs enquêté·e·s-expert·e·s, à, éventuellement, une place d’initié·e dans la pratique observée scientifiquement. Apprendre à boxer (Wacquant, 1989 ; Bujon, 2009 ; Beauchez, 2014), apprendre à pratiquer le tai chi chuan (Rouanet, 2011), l’équitation (Régnier, 2014), etc., sont caractéristiques de ces démarches davantage valorisées depuis quelques années maintenant, au moins avant la crise sanitaire actuelle. L’asymétrie en termes de maîtrise corporelle ou verbale, de pouvoir, de richesse, de possibilité de déplacement, etc., entre observateurs et observés étant censée, alors devenir, moins déséquilibrée10. L’asymétrie apparaît même inversée en partie lorsque l’enquêteur apprend une pratique d’une personne plus experte que lui par exemple tout au long de son terrain d’enquête. Cette innovation-valorisation méthodologique récente semble concorder avec le tournant qualitatif et ethnographique (Oester, 2002). L’immersion semble (re)devenue un fer de lance des méthodes de terrain en SHS. Remarquons simplement ici que, plus largement, l’immersion doublée d’observations est, matériellement et techniquement, plus aisée aujourd’hui. Deux éléments au moins sont repérables pour confirmer cette évolution favorable. D’une part, l’enregistrement des données est facilité avec la relative démocratisation et la miniaturisation des matériels enregistreurs, photographiques et filmiques (il n’est plus autant besoin que l’enquêteur « s’encombre » d’un matériel lourd et onéreux, encore moins qu’il soit accompagné d’un·e spécialiste en photographie, prise de son, etc.). D’autre part, le développement des voyages internationaux à moindre prix facilite grandement les déplacements dans des contrées qui deviennent, par le fait, moins éloignées, et plus du tout autarciques11 à quelques exceptions rarissimes près12.

6En même temps que cette ethnologisation des SHS, la part des émotions, ressenties, partagées, semble avoir suivi une même et lente prise en compte, voire une timide valorisation, dans le « bagage » des SHS : rire, pleurer, se mettre en colère ou avoir peur, etc., ne constituant plus autant des obstacles à la compréhension mais des vecteurs même de production de données – les « obtenues » de B. Latour (2001). Ces émotions observées, recueillies, semblent constituer très progressivement des éléments importants de réflexivité avant, pendant et lors du « retour » du terrain (Barley, 1986 ; Villani et al., 2014 ; Héas et Zanna, 2021). De même, la nécessité de contrôle des émotions attendu dans des sphères sociales données (le soin humain notamment) constitue des terrains d’étude explorés (Vega, 2000 ; Thouvenin, 2004 ; Bernard, 2009).

7Toujours est-il qu’en dehors des périodes sanitaires « risquées » comme celle que nous vivons depuis 2020, rares étaient celles et ceux qui interagissaient avec leur « terrain » et les populations enquêtées uniquement à distance. Nous allons préciser à partir de nos expériences d’enquête quelques ressorts de cette dernière modalité de pratique, qui est apparue longtemps comme hétérodoxe, parfois fortement dévalorisée. C’est le cas en ethnologie ou en sociologie par exemple où l’accès direct au terrain, in vivo in situ, constitue un réquisit disciplinaire.

  • 13 Olivier de Sardan J.-P. (2008), La rigueur du qualitatif. Les contraintes empiriques de l’interpré (...)

8Ici, une sociologie de l’expérience (notamment professionnelle) adopte des modalités d’« enquête ouverte » (Payet et Giuliani, 2010) tout autant qu’une considération ouverte de l’humanité, ce que nous avons appelé, dans le prolongement de la réflexion éliasienne, l’homo patens (Héas, 2005). Cette approche combine la rigueur du qualitatif dans sa « quête de plausibilité13 » et une attention particulière à la relation entre enquêteur·rice·s et enquêté·e·s, une attention sensible aux interrelations humaines (Héas, 1996), aux interactions humains-animaux (Régnier, 2014 ; Koop-Monteiro, 2021) et plus largement encore une interrelation avec l’environnement (non humain) (Chanvallon et Héas, 2011).

  • 14 À partir de la fin des années 1980 pour l’un, et la fin des années 1990 pour l’autre auteur.

9Au gré des expériences accumulées depuis nos premières enquêtes14, nous présentons tout d’abord la question des distances et des accès aux données articulée parfois aux limites financières et à leurs impacts sur l’enquête, puis nous préciserons quelques mises en scènes de soi, observées et collectées lors de ces enquêtes ; une mise en scène de soi influencée, voire induite, par cette distance. Enfin, nous présenterons quelques confidences recueillies y compris pour ne pas dire surtout lorsque la distance était maintenue entre chercheurs et enquêté·e·s. Nous montrons finalement que la connivence et même la syntonie (Héas, 1996) entre enquêteur·s et enquêté·e·s ne sont pas l’apanage d’une approche en présentiel, loin de là.

Distances imposées, accès aux traces de vie et résistances

10Dans certaines disciplines comme l’histoire ou l’archéologie, la distance temporelle et/ou spatiale-géographique s’impose à l’enquêteur·rice. Dans les disciplines (pré)historiques, le souci premier est d’accéder à des traces, des archives parfois limitées, souvent largement analysées, plus rarement totalement inédites et inexplorées. Avec le temps, les érosions naturelles, les multiples (re)constructions des édifices les plus imposants par exemple comme les cathédrales, les stades, etc., les destructions guerrières, les pillages, raréfient les vestiges du passé.

  • 15 Bercé Y.-M. (dir.) (2020), Archives des gens simples, Rennes, Presses universitaires de Rennes, p. (...)
  • 16 Corbin A. (1998), Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot, Paris, Flammarion, p. 43.
  • 17 Raymond R. (2010), « La problématique de l’“acteur faible” : un objet-piste », dans Payet J.-P., R (...)
  • 18 Santelli E. (2010), « Une enquêtrice en banlieue. S’exposer à la précarité et aux rapports sociaux (...)

11Il est classique de noter des différences entre les vestiges qui proviennent de lieux prestigieux en lien avec la vie des catégories hiérarchiquement supérieures d’une société donnée (dignitaires religieux, souverains, propriétaires terriens, etc.) et les vestiges des personnes lambda. En ce sens, les Archives des gens simples (Bercé, 2020) apparaissent plus difficiles à retrouver. Elles proviennent jusqu’à nous souvent d’une manière indirecte par l’entremise des écrits, et plus largement des héritages des puissants d’une époque par exemple. Les analyses de N. Elias, et leurs critiques, proviennent en partie de cette connaissance différentielle des catégories de la population à travers les archives disponibles des souverains, de leur cour, des noblesses (Bonny et al., 2003 ; Cahier, 2006). Par conséquent, seule la curiosité scientifique, l’exigence de complémentarité, ou bien une démarche davantage politique de visibilisation, voire de reconnaissance sociale d’un phénomène permettent d’analyser les trajectoires de personnes dont la vie n’a pas laissé de traces manifestes ; « les humbles individus du passé ont droit à l’étude, non par charité ou misérabilisme mais parce que leur connaissance appartient à l’histoire de l’humanité15 ». Dans les SHS, A. Farge, entre autres, a proposé une notion permettant d’appréhender ces vies passées le plus souvent oubliées : les existences « aux intensités faibles » (2002). D’autres auteurs évoquent les vies de cet « infini d’en bas16 », comme A. Corbin reprenant V. Hugo lorsqu’il a décrit et analysé Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot. Surtout, il s’agit bien de prendre en compte les situations, non pas d’essentialiser cette faiblesse, réelle ou supposée, de telle ou telle population enquêtée : « tout acteur est relativement faible et fort, passant souvent d’un état à l’autre17 ». La faiblesse objective, par exemple au niveau social ou économique, peut déboucher sur une résistance active et un pouvoir d’opposition à l’enquêteur et à l’enquête, tous deux appréhendés comme éléments « extérieurs » révélant, justement, la faiblesse socioéconomique des enquêtés, face à une enquêtrice « (très) diplômée » recueillant des vies masculines de non-diplômés par exemple18.

  • 19 Par exemple, P. Régnier a dû composer avec la fin de non-recevoir d’un enquêté au statut prestigie (...)
  • 20 Lorsque l’enquêteur·rice est payé·e pour ce travail face à des enquêté·e·s qui vivent une précarit (...)
  • 21 La comparaison entre le discours et la réalité s’est opérée par une visite impromptue sur le lieu (...)
  • 22 « Vernis logique » : expression de V. Pareto qui a fait l’objet de nombreux commentaires par des a (...)

12Toujours, la question de la distance (psychique, intellectuelle, culturelle, genrée…) au terrain constitue l’un des points essentiels de vigilance en SHS. Par exemple, lorsque Descola (1993) présente ses analyses, il n’oublie pas d’indiquer l’avantage d’être allé sur le terrain non pas seul mais accompagné, et plus précisément en couple (hétérosexuel). En effet, sur ce terrain précis des Jivaros Achuar, des usages et pratiques sont interdits à l’un des sexes, et ce, y compris dans une même résidence (les hommes usent et vivent dans une partie de la maison, les femmes, les enfants dans une autre). Un homme et une femme enquêtant de concert permettent alors de « couvrir » les territoires de ces différentes praxis genrées. Être ou paraître trop proche de la population enquêtée est souvent considéré comme un risque de « contamination » en termes de représentations sociales, d’usages, etc., voire d’admiration non contrôlée, a fortiori d’adhésion idéologique, etc. Être ou apparaître trop éloigné constitue aussi une relation au terrain délicate. Dans tous les cas, il existe des possibilités concrètes de résistances, voire d’obstructions caractérisées, directement par les personnes « ciblées » ou par les ayants droit, que ce soit au déclenchement, voire à la poursuite d’une enquête les concernant, peu ou prou. En effet, à la différence des sciences dures, les sciences « inhumaines » (Bourgin, 1950) dans les SHS, nous l’avons évoqué, les enquêté·e·s peuvent toujours exprimer leur désaccord avec telle ou telle question, tel ou tel mode d’investigation, voire avec telle ou telle approche de leur vie, de leur situation, passée ou présente. Lors de l’enquête et des premières analyses, les désaccords peuvent aussi poindre à partir par exemple de la façon dont sont retranscrits leurs propos19. Ces possibilités de résistance font le sel des engagements sur le terrain (Barley, 1992). Les ethnologues sont coutumiers de ces résistances qui se manifestent par de l’indifférence, de la raillerie, une opposition explicite, voire des violences à leur encontre en raison d’un décalage (social, culturel, économique, morphologique, etc.) entre l’enquêteur·rice et les enquêté·e·s. Le « risque d’indécence » (avec le sentiment de profiter des enquêté·e·s par exemple20) et finalement les malentendus peuvent provenir d’une interprétation-révélation d’expériences qui apparaît ou devient inadéquate aux yeux de l’un ou de l’une des protagonistes (Eyraud et Vidal-Naquet, 2010). L’analyse scientifique, en adhérant aux discours émiques qui, à un moment donné, invisibilisent les souffrances vécues peut heurter l’enquêté·e, a posteriori, pour qui l’expérience douloureuse non explicitée devient inappropriée, voire décalée. Les malentendus s’arriment aussi à la consistance (relative) d’un terrain lorsqu’une différence apparaît entre la position affirmée par l’enquêté·e et les observations par ailleurs de ses comportements (Payet et Giuliani, 2010). Par exemple, nous avons pu observer un enquêté arborant une confiance en soi importante et exprimant fièrement le développement de son activité professionnelle alors même que cette dernière était fragile, voire en cours d’abandon21 (Héas, 1992). Le « vernis logique » des propos tenus, conscientisé ou non, peut finalement brouiller le « crédit de sens » accordé à l’enquêté·e22 – ainsi lorsque est présenté un passage au service des urgences d’un CHU exclusivement à charge en parlant d’un « accueil honteux », d’une « incurie » alors même que les soins prodigués ont évité à la personne des désagréments plus importants encore, voire lui ont sauvé la vie. Il n’est pas rare non plus que les amitiés ou inimitiés dans les milieux investigués produisent des effets de tension pendant l’enquête même : citons l’effet boule de neige d’un côté (un enquêté donne les coordonnées d’autres enquêtés potentiels), et les inimitiés de l’autre qui sont autant des appuis pour des entretiens différenciés que les témoins de dissensions dans les manières de penser une même pratique. Nous avons vécu et analysé ces ambivalences observées et interprétées par différentes enquêtes menées, ensemble ou non, sur des objets d’études dont le « regard sociologique » (Hughes, 1988) principal est le corps et ses usages-expressions individuels et réflexifs.

Les limites financières comme ressources ?

  • 23 Pour ne pas remonter plus loin.

13Les contraintes, notamment économiques, peuvent inciter à enquêter à distance. Nous allons le préciser à partir de nos expériences d’enquête, soit à partir du début des années 1990. Nos premières enquêtes (en DEA et thèse23) n’étaient pas financées, ce qui a induit une approche du terrain mixte combinant des déplacements et des phases d’enquête en distanciel, terme inusité à l’époque, et recours méthodologique peu valorisé dans le milieu académique où le « présentiel » était considéré comme la panacée, de facto, obligatoire.

  • 24 Olivier de Sardan J.P. (2008), La rigueur du qualitatif, op. cit., p. 53.
  • 25 Ibid., p. 63.
  • 26 Ibid., p. 53.

14Le téléphone fixe permet depuis des décennies de converser calmement et posément avec des personnes à distance. À l’époque des premières enquêtes, cette technologie a été fortement utilisée pour à la fois prendre rendez-vous avec les enquêté·e·s, et pour finaliser les entretiens de recherche de type histoire de vie. Avec le téléphone fixe, l’enquêteur·rice enregistre les propos échangés et se transmute en « écouteur » au sens strict du terme24. Cette écoute navigue de l’empathie à la sympathie, en passant par la connivence, l’approbation mais aussi le désaccord, voire le conflit manifeste25. À l’époque du seul téléphone fixe, l’enquêteur perdait, ipso facto, sa fonction de « voyeur26 », ce qui n’est plus le cas désormais avec les caméras intégrées aux téléphones et aux ordinateurs. Ce désavantage perceptif n’est, désormais, plus d’actualité et permet de contrer ce « déficit » méthodologique passé.

  • 27 L’épouse d’un des auteurs était collègue sur l’un de ses postes avec cette professionnelle.
  • 28 L’approche psychomotricienne de cette professionnelle infusait donc fortement ses propres relation (...)
  • 29 L’enquêteur avait 25 ans et la professionnelle, une quarantaine d’années. Son mari, étranger prove (...)
  • 30 Ou alors dans un lieu public (comme une cabine dans la rue) ou un lieu privé fréquenté par du publ (...)
  • 31 Perturbations vécues à mettre sur le compte d’une expérience d’enquête débutante sans doute.

15Ainsi, lors de leurs diplômes d’études approfondies (DEA) respectifs (Héas, 1992 ; Régnier, 2001), le téléphone a permis des enquêtes plus étendues, à un niveau national, auprès de professionnel·le·s disséminé·e·s et difficiles d’accès autrement que par une ethnographie classique lors de séjours, de stages et de formations ad hoc. Pour autant, avant une phase réalisée uniquement à distance par téléphone fixe, en 1991, à l’amorce de cette enquête qualitative, un entretien avec une professionnelle de l’Eutonie a été réalisé dans sa résidence familiale, près de l’université d’attache du sociologue en herbe. Cette professionnelle avait été contactée par réseau de connaissance professionnelle et conjugale27. Cet entretien a été un déclencheur princeps dans la réflexion exposée ici – 30 ans après ! – des avantages et des limites mêmes d’observations et d’entretiens directement sur site avec les enquêté·e·s et par conséquent, en creux, de l’intérêt éventuel d’une enquête à distance. Des détails notés sur le carnet ethnographique à la suite de l’entretien « témoignent » de l’attention au contexte et des possibles perturbations de ce contexte sur la situation d’entretien in vivo in situ. Ainsi, un piano d’étude trônait dans la salle à manger dont le reste du mobilier était des plus modestes. Jamais la musique n’a été évoquée par la professionnelle comme pratique ludique ou non. Une particularité caractérisait cette maison par ailleurs banale dans ce lotissement dortoir d’une grande ville provinciale : toutes les portes intérieures avaient été ôtées, pour faciliter les échanges verbaux et dans un souci de transparence des comportements des résidents (un couple et une enfant)28. Le mari, présent au moment de l’entretien, avait sans doute volontairement et peut-être par jalousie29 perturbé les échanges plusieurs fois en passant bruyamment devant nous à maintes reprises en faisant traîner ses claquettes en marchant dans le couloir, en se préparant une boisson chaude (sans nous en proposer !), la dégustant à notre vue, en allant uriner avec bruit aux toilettes situées en face du bureau où se déroulait l’entretien, etc. Constamment il a jeté des regards dans la pièce où nous discutions sur une natte, à même le sol, puisque la professionnelle privilégiait une approche au contact du sol dans sa méthode psychomotricienne (i.e. sans divan, sans chaise, sans table de massage par exemple). Des décennies plus tard, l’enquêteur est incapable de déterminer si son embarras pendant l’entretien a conduit – inconsciemment – à ce que cette enquête se déroule entièrement à distance par la suite. Cette première enquêtée, dans la phase d’exploration, lui avait fourni la liste et les coordonnées de ses collègues eutonistes ; des entretiens par téléphone ont été menés ensuite dans toute la France. À l’époque, une enquête téléphonique exigeait quasiment que la personne enquêtée soit chez elle30, qu’elle ait pris des dispositions pour être disponible, qu’elle se trouve dans un espace le plus paisible possible pour faciliter les échanges langagiers à distance, ce qui n’avait guère été le cas avec ce premier entretien en présentiel31.

  • 32 À l’exception notable de l’enquêté évoqué ci-dessus qui se vantait d’une activité professionnelle (...)

16En fin d’enquête, pour confirmation, l’enquêteur avait participé à un séminaire en présentiel loin de sa résidence, de sa région même. Il y avait retrouvé des professionnel·le·s provenant d’autres pays comme l’Allemagne ou l’Italie, la France constituant une terre d’élection du développement de cette méthode psychomotricienne. L’observation en direct lors des séances, des moments de détente, et la résidence partagée pendant plusieurs jours du stage ont permis la combinaison de ces « regards sociologiques » (Hughes, 1988 (1996)), à distance et en présence. Cette combinaison méthodologique n’a pas été choisie pour l’analyse suivante auprès d’une population proche des praticiens de relaxation. Il a été décidé au contraire de rencontrer obligatoirement les professionnels sur leur lieu d’activité32 en ciblant un territoire circonscrit (Héas, 1996). Dans ce cadre de formation finale à la sociologie, le travail à distance quasi exclusif a donc été circonscrit à quelques mois au cours du troisième cycle universitaire.

  • 33 Olivier de Sardan J.-P. (2008), La rigueur du qualitatif, op. cit., p. 65.

17L’enquête doctorale de 2014 du second auteur avait permis de constater elle aussi des éléments « perturbateurs » de l’entretien in situ par le biais de coprésences notamment, questionnant l’intérêt d’un « entretien privé33 » où l’enquêteur·rice et l’enquêté·e se retrouvent seul·e·s (y compris chacun « au bout du fil »). Ces advenus méthodologiques avaient alors interrogé la possibilité d’accepter ou non d’autres protagonistes lors des entretiens de face-à-face, éventuellement avec la possibilité d’une prolongation des entretiens à distance dans un second temps. Alors, les entretiens étaient parfois menés avec la compagne de l’auteur sur place qui, de bonne grâce, se retenait d’intervenir alors que la compagne de l’interviewé, elle, intervenait volontiers. Dans d’autres cas, elle se trouvait en train d’attendre dans le véhicule durant toute la durée de l’entretien (troublant ainsi l’enquêté qui demandait si elle désirait quelque chose à boire en attendant ou se demandait si elle allait rentrer).

  • 34 Limite de la francophonie puisque cet enquêteur ne pouvait et ne peut réaliser d’entretien que dan (...)

18Depuis cette époque de formation initiale et finale à la sociologie, une seule enquête sans financement a été réalisée exclusivement, par téléphone (2008-2009). Toutes les autres enquêtes ont combiné approche en face-à-face (présentiel est le mot qui convient désormais) et approche en distanciel. Comme pour les enquêtés précédents, dans le cadre de l’enquête exclusive par téléphone de 2008-2009 auprès d’experts corporels, la difficulté était le caractère disséminé des enquêté·e·s sur tout le territoire français (y compris les Dom-Tom), en Belgique et Suisse (Héas, 2010, 2011)34. Tous relevaient de spécialités techniques différentes : apnée, human beatbox, chant, contorsion, danse, dégustation, dessin, équilibrisme, fakirisme, funambulisme, imitation, mime, « nez », œnologie, peinture, sculpture, yoga (n = 30) – soit des experts reconnus dont les habiletés entraînées constituaient l’essentiel de leur valeur ajoutée professionnelle à même le corps. Le moyen le plus rapide et simple de réaliser les entretiens, le téléphone, a permis de varier les supports techniques puisque le développement des connexions internétiques pouvait à cette époque le permettre. Mais seul un enquêté a préféré Skype en l’occurrence plutôt que le téléphone avec uniquement l’enregistrement audio. L’enquêteur et l’enquêté se sont donc vus pendant tout l’entretien, puis les échanges via le réseau Facebook ont été régulièrement tenus pendant plusieurs années après l’enquête proprement dite (au moment des anniversaires de chacun puisque ce réseau social permet l’interconnaissance des dates de naissance, au moment des nouvelles performances réalisées par l’enquêté, ou bien lors des publications orales et écrites réalisées à propos de cette enquête par le chercheur par échange de messages privés sur ce réseau social). Cet enquêté est le seul qui ait proposé d’utiliser le tutoiement et aussi d’être vu de l’enquêteur pendant tout l’entretien. Le lien entre ces deux éléments de méthode, tutoiement et utilisation d’une caméra, ne peut évidemment être généralisé. À l’époque, l’utilisation des caméras à distance était surtout le fait des professionnels de la communication et des médias. Or, cet enquêté était l’un de ceux qui avaient obtenu une forte reconnaissance professionnelle grâce à l’image, et notamment l’émission en prime time du samedi soir la plus populaire à l’époque à la télévision publique française (Le plus grand cabaret du monde présenté par l’imitateur P. Sébastien) ; pour cet enquêté, la captation vidéo faisait partie des usages réguliers de son activité professionnelle.

19Dans une autre enquête non financée, l’un des auteurs était limité dans le temps et l’espace par l’emploi qui l’occupait (Régnier, 2014). L’usage d’Internet et du téléphone a permis d’étendre sa capacité à réaliser des entretiens dans toute la France et de « toucher » un public plus vaste que celui autorisé par ses déplacements à proximité de son habitation. Les entretiens menés à cette occasion par téléphone et Skype (sans caméra, afin d’éviter de multiplier les approches en rendant l’appel Skype proche dans sa forme de l’appel téléphonique classique) ont ainsi permis à l’enquêteur de récolter les expériences des professionnel·le·s enquêté·e·s en tentant de standardiser l’enquête à distance (voir infra).

  • 35 Malgré une démarche officielle du laboratoire de recherche de l’époque, le « secret d’État » a été (...)

20Le téléphone, qu’il soit fixe ou dorénavant portable – et plus récemment l’usage démocratisé et surtout « embarqué » de l’ordinateur – a donc permis d’aborder une diversité de professionnel·le·s, mais a également constitué une entrave en raison éventuellement de maladresses de la part des enquêteurs, mais aussi en raison de la résistance active de la part des institutions culturelles les plus légitimes comme les opéras, les conservatoires de musique, de danse ou l’armée35. En effet, des refus nombreux et souvent brutaux ont été enregistrés auprès de ces institutions de tutelle lors des prises de contact à distance, par téléphone. Dans ces secteurs culturels, seules quelques personnalités ont accepté cette démarche d’entretien de type histoire de vie professionnelle. Le refus le plus marquant a été celui d’un chanteur contre-alto qui a déclaré « Pourquoi je vous répondrai gratuitement alors que mon temps est très bien rémunéré. Qu'y gagnerai-je ? » Plus prosaïquement la bureaucratie des institutions filtre efficacement l’accès aux inconnu·e·s, y compris aux chercheur·euse·s (via les secrétariats, les agents, les imprésarios, etc.). Les barrières à l’investigation se profilent donc très vite dès l’entame des premiers contacts avec une population inconnue. En ce sens, la distance physique peut constituer un obstacle, alors qu’il est possible que par l’entremise d’un·e insider, a fortiori d’une personne établie dans le milieu escompté (Elias et Scotson, 1997), ces contacts auraient pu déboucher sur le recueil de témoignages.

21Depuis 2020, avec les confinements, cette stratégie adaptative en distanciel s’est imposée et est mobilisée dans le cadre d’enquêtes concernant d’autres thèmes et populations (le sport-santé, les maladies de peau, les activistes antispécistes, etc.).

Des mises en scène particulières de soi à distance ?

22Les entretiens téléphoniques constituent-ils une mise en scène particulière de soi du côté de l’enquêteur·rice, mais aussi des enquêté·e·s ? A priori oui, au moins lors des périodes d’enquête où le téléphone ne permettait que l’échange verbal. Les vêtements et les bijoux portés, les expressions corporelles qui font le sel des interactions, les contextes concrets de vie (professionnelle, personnelle) étaient invisibles aux enquêteurs. Il était toujours possible à ces derniers de demander directement aux enquêté·e·s de décrire leur espace de travail par exemple, voire de leur demander de leur poster des photographies professionnelles. La diffusion large des plaquettes promotionnelles, des flyers professionnels était un moyen pour l’enquêteur de « confronter » l’enquêté·e à ce qu’il ou elle promouvait dans sa pratique. Les mots utilisés pour les slogans, l’ensemble des informations contenues sur ces flyers, y compris les photographies, les logos, les symboles, étaient l’objet d’un questionnement dit de « confrontation » lors de l’entretien téléphonique qui permettait de contrebalancer ce déficit observationnel in situ.

23En dehors des accents, des mots utilisés voire des tournures de phrase, les indications socioculturelles liées aux statuts, notamment professionnels, étaient donc davantage limitées a priori par la distance. Le premier contact par téléphone, s’il validait l’engagement de l’enquêté·e (avec un consentement oral), se poursuivait idéalement par une prise de rendez-vous ultérieure à la convenance des deux parties. Lors des enquêtes exclusives à distance, celle de 1992 et celle de 2008 (publiée en 2010 et 2011), le premier contact par téléphone permettait déjà d’évaluer l’adhésion ou la résistance à une enquête indépendante. Il fallait expliciter les tenants et les aboutissants (cadre universitaire, absence de financement, thème, etc.), le respect maximum de l’anonymat, la longueur présumée de l’entretien, etc., et donc convaincre de l’intérêt et de cette indépendance d’action. En 1991-1992, les personnes enquêtées n’avaient pas de possibilité de vérifier facilement qui les interrogeait : Internet n’existant pas, seul l’annuaire téléphonique ou le Minitel pouvaient éventuellement servir de moyen de vérification par les personnes enquêté·e·s du lieu de résidence par exemple de l’enquêteur.

  • 36 Alternative à l’approche légitime de la santé humaine que constitue l’approche biomédicale, dite a (...)

24Du côté des enquêté·e·s, ce terrain des méthodes psychocorporelles était à l’époque traversé par des dissensions importantes entre praticiens. Une crise avait éclaté entre professionnels, et une dissidence avait cours depuis quelques mois ; elle avait conduit à la création d’une « école » de formation alternative de ce qui était largement considéré comme une méthode psychocorporelle elle-même alternative36. Cette pratique psychomotricienne marginale bénéficiait cependant d’une aura internationale en raison probablement de son origine étrangère (Allemagne avec sa créatrice décédée deux ans après l’enquête) et de sa diffusion européenne (notamment au Danemark, en France et en Allemagne). À l’époque les voyages et donc les échanges transfrontaliers n’étaient pas si fréquents en dehors des périodes de vacances. Donc, pour les futurs praticiens, aller se former à l’étranger constituait, a priori, un coût matériel (frais et temps de transport et d’hébergement) mais aussi un atout distinctif non négligeable pour travailler en France ensuite.

  • 37 Il s’agit de l’expression consacrée, non francisée ici, même si le moteur de recherche internétiqu (...)

25Avec les évolutions technologiques et communicationnelles, lors de l’enquête de 2008, la possibilité de vérification sur Internet de l’enquêteur était possible : elle n’a pas été systématique de la part des enquêté·e·s ; aucun·e n’a fait allusion à une vérification du pedigree de l’enquêteur lors des entretiens où les échanges étaient libres malgré une grille d’entretien préétablie. Depuis cette époque – il y a un peu plus d’une dizaine d’années ! –, la situation est radicalement différente. Les enquêteurs sont manifestement « googlisés37 » et les enquêté·e·s ne se privent pas de l’indiquer, parfois en confirmant ce contrôle d’identité de l’enquêteur. Plus rarement, les enquêté·e·s évoquent cette googlisation dans le cadre d’un échange courtois, si ce n’est pour détendre l’atmosphère de l’enquête (« je n’ai pas écrit des ouvrages comme vous… », « à l’université, cela doit être différent, non ? »…) ; exceptionnellement d’après nos expériences, cette googlisation met ouvertement en porte-à-faux l’enquêteur vis-à-vis d’une institution, l’hôpital par exemple : « Vous ne connaissez pas les urgences, c’est vraiment une expérience traumatisante ! »

  • 38 Combinant entretiens à distance et en distanciel pour les rencontres difficiles en raison de la di (...)

26Cela s’est vérifié lors de l’enquête de 201438 (Régnier), quand les témoins annonçaient qu’ils avaient cherché qui était ce doctorant qui allait réaliser l’entretien. Il s’avère en outre que ces entretiens à distance ont été les plus longs, bien plus que les entretiens en présentiel. Deux fois, par exemple, les entretiens réalisés par Skype, de plus de deux heures, ont nécessité d’être reportés à un second rendez-vous afin d’être poursuivis et finalisés. Est-il possible que le confort de la résidence des enquêté·e·s leur ait permis d’étendre leur témoignage et leurs expériences de façon plus importante qu’en présentiel ?

Entre confidences et confessions : les avantages de la distance ?

  • 39 Tersigni S. (2010), « “Nous ne sommes pas des misérables.” Les limites de l’identification du cher (...)
  • 40 Sans doute accentué par les émissions plus récentes telles que La Nuit blanche sur Europe 1, puis (...)

27Très vite, nous nous sommes rendus compte de l’importance des confidences obtenues lors d’entretiens à distance et des bénéfices pour les deux protagonistes d’une non-intrusion physique, qui plus est dans le cocon rassurant du « territoire personnel39 » des enquêté·e·s. À l’époque des premiers pas sociologiques, des formes journalistiques avaient cours et bénéficiaient d’une popularité forte (Macha Béranger et son émission Allô Macha sur France Inter, 1977-2006). Sans doute que ce type d’enquête à distance a profité de cet engouement populaire40. En revanche, en tant qu’apprenti sociologue, cette enquête advenait à la suite des années 1980 qui, il faut sans doute le rappeler, ont été notamment marquées par la controverse entre sociologues (dans des universités ou des instituts de recherche publics) et sociologues travaillant pour le compte d’instituts de sondages (privés). Ces derniers construisaient parfois exclusivement leurs sondages à partir d’entretiens téléphoniques courts (Champagne et al., 1989). Ce travail d’enquête à distance était le plus souvent dégradé par les enquêteurs-sociologues estampillés par l’académie ou les centres de recherche publics (INED, INSEE, universités). L’un des auteurs étant inscrit dans une université qui valorisait une théorie sociologique qui avait participé à ce débat sur l’accès au terrain et le contact direct dans l’analyse notamment des cultures populaires (spécialité de cette époque du laboratoire), cette posture méthodologique à distance par téléphone a cristallisé les réticences des enseignants-chercheurs détenteurs du pouvoir académique et du pouvoir sur l’étudiant d’alors. Ce recours technique a largement fait basculer cette pratique d’enquête du côté du retro satanas aux yeux au moins des enseignants-chercheurs les plus influents alors. Pire encore, le sociologue en herbe osait tenter d’analyser les usages corporels humains en préservant cette distance corporelle, mal à propos nommée « distanciation sociale » ces derniers temps, et sans même avoir la possibilité – à l’époque – de voir les enquêté·e·s. Ce protocole constituait un sacrilège pour les enseignants-chercheurs les plus conventionnels de cette université de province.

28Pourtant, les entretiens à distance en « aveugle » offrent des avantages intéressants. Ils permettent d’uniformiser les conditions de passation des entretiens : enquêteur·rice et enquêté·e·s ne disposent pas du recours habituel au regard pour évaluer, voire juger l’autre : les tenues vestimentaires, les manières de bouger son corps n’apparaissent pas, etc. La distance et l’invisibilité mutuelle des protagonistes limitent en effet les inférences en termes de gestes, de postures, de communications non verbales, ce qui n’est pas négligeable lorsque l’enquête concerne des professionnels du corps ! Surtout, ces entretiens à distance articulent presque d’une manière archétypique le souci de maintien du secret et de la confiance, lié à la logique de confidence41, l’enquêteur·rice ne voyant pas l’enquêté·e, ne le rencontrant pas avec les contraintes évoquées ci-dessus des situations de face-à-face. Cet entretien peut très rapidement prendre les contours d’une discussion en alcôve : l’espace-temps semble se resserrer et devenir un entre-soi intime pour peu que l’enquêté·e s’assure d’un isolement pendant les échanges (sans être dérangé par quiconque). Avec l’expérience, la connivence entre l’enquêteur·rice et l’enquêté·e advient rapidement, le ton de la confidence pouvant être renforcé par des relances appropriées allant dans le sens de l’opinion exprimée par l’enquêté·e42 par exemple avec la dévalorisation ou au contraire la valorisation de telle pratique, voire de telle institution…

  • 43 Lors d’une enquête sur le VIH (Ferez, Thomas, 2012), un enquêté nous a indiqué sa séropositivité q (...)
  • 44 Sur des terrains, la fonction d’« écoutante » était fortement valorisée au point d’être l’objet de (...)

29Surtout, la connivence à distance entre enquêteur·rice et enquêté·e·s peut déboucher sur une discussion relevant davantage de la confession intime. Certains secrets douloureux voire traumatiques peuvent ainsi être partagés, tels des abus sexuels, des souffrances psychiques ou physiques difficiles à avouer même à des proches43, des doutes, des peurs, etc. D’après notre expérience d’entretiens de type histoire de vie, la confiance semble d’autant plus facile à obtenir que les situations de vie sont vécues douloureusement, tels la non-reconnaissance et les ratés professionnels, l’expérience de l’accident grave ou de la maladie invalidante, etc. L’entretien de recherche devient une chambre d’écho de ces difficultés personnelles, familiales, professionnelles. L’anonymat garanti permet de s’affranchir au moins partiellement de la retenue exigée dans les situations sociales plus contraintes. Les rancœurs, les colères, les espoirs aussi sont exprimés tout de go. Aux yeux des enquêté·e·s, la distance (par téléphone) semble alléger les risques perçus d’interférences négatives de l’enquêteur dans leur propre vie. La fonction empathique (Trier-Bienec, 2012 ; Abrahams, 2017) voire de soutien moral de l’enquêté·e n’est pas négligeable avec les entretiens (distanciel et présentiel). Cette fonction ne semble pas atténuée par la distance ; bien au contraire44 ; même si elle peut tout à fait être mobilisée en présence comme nous l’avons aussi expérimenté auprès des SDF (dans la rue ou dans les foyers ad hoc).

  • 45 Objectivement, peu de sociologues ou ethnologues sont aussi psychologues ou psychothérapeutes dipl (...)

30Pour autant, le sociologue n’est pas psychothérapeute45, et sans supervision, sans espace d’échange à propos de ces verbatim confidentiels ou traumatiques, seules la distance temporelle, les discussions entre pairs et l’écriture sont censées objectiver, si ce n’est « panser », ces partages de souffrances.

En guise d’ouverture

31Par un retournement étonnant, il semble que cette logique de confiance et de confidence soit appliquée aux enquêteur·rice·s eux-mêmes désormais. Ils et elles se doivent de plus en plus de préciser leurs difficultés, leurs sentiments. Se développe une « représentation confessionnelle » du travail de terrain en ethnologie (Bowles et al., 2021), et plus largement en SHS. Les éléments rapportés ici sur plusieurs dizaines d’années d’enquête participent sans doute de cette position modifiée au fil du temps. La reconstruction mémorielle est toujours active, pour les enquêté·e·s à qui il est demandé de se souvenir de leur passé, et pour les enquêteur·rice·s qui développent une approche sensible. Il s’agirait progressivement de « tomber les masques » (Dargère et Héas, 2015), de préciser plus finement les difficultés mêmes d’approche et d’analyse de nos contemporains sous l’angle des sciences humaines et sociales, que cela soit en distanciel ou non. La métaphore catholique du confessionnal est sans doute exagérée pour expliciter ces évolutions dans les manières d’appréhender le monde social. Reste un effort d’explicitation des différents éléments visant à améliorer les compréhensions sociales des situations récoltées et analysées en même temps qu’un effort réflexif qui est demandé à l’enquêteur·rice sur sa propre posture épistémologique et démarche émotionnelle, voire affective.

32La distance entre les enquêteur·rice·s et les enquêté·e·s ne constitue sans doute pas la moindre des caractéristiques à interroger aujourd’hui tant se développent des actions et des ambitions collaboratives et participatives dans une fraction au moins de la société civile en France. Nous avons montré que la connivence et même la syntonie entre enquêteur·rice·s et enquêté·e·s ne sont pas l’apanage d’une approche en présentiel. Avec la pandémie, les formes de participations et de collaborations entre scientifiques et enquêté·e·s ont été complétées par la force des contraintes gouvernementales par des dispositifs plus souvent exclusivement en distanciel, que ce soit pour des entretiens, des focus group, des passations de questionnaires, etc. Ce développement des échanges à distance commence à présenter des faiblesses, voire à devenir pathogène par exemple en soulignant la difficulté croissante d’attention, de perception des émotions, voire d’addiction aux écrans et aux dispositifs internétiques disponibles vingt-quatre heures sur vingt-quatre. En ce sens, les relations journalières vidéotransmises sont susceptibles de conduire à des déficits d’attention, d’information, et ainsi constituer un obstacle à des observations-relations futures fines et approfondies.

33Le marché des dispositifs automatiques de diffusions des images et des sons, de leurs enregistrements, voire de leurs traitements informatiques se développe en conséquence avec les risques afférents de fuite des informations personnelles, voire intimes. Toutes ces perspectives d’enquête révèlent également de nouveaux terrains à appréhender auprès des apprenti·e·s chercheur·euse·s au sein des cours de méthodologie, adaptés à ces pratiques spécifiques. Ces risques peuvent, éventuellement, par effet boomerang, réduire la confiance et ainsi conduire à une perte partielle de la qualité des échanges à distance entre chercheurs et enquêté·e·s, par conséquent contribuer à une perte partielle de données par TIC interposées. L’eldorado distanciel en sciences comme dans les autres secteurs professionnels se profile comme un horizon ambivalent en termes de bénéfices et de coûts.

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Notes

1 D’autres enquêtes seront seulement évoquées pour ne pas alourdir le propos.

2 Littéralement « bon tonus ». Méthode psychomotricienne proposée par G. Alexander en vogue à l’époque de l’enquête notamment auprès des enseignant·e·s d’éducation physique et sportive. Depuis, cette méthode semble davantage tombée en désuétude.

3 Représentatif des moyennes françaises en termes de poids relatifs des professions (para)médicales.

4 Avec force prélèvements, plus ou moins officiels et légaux, d’objets rituels, d’images, de sons, etc. Voir les restitutions-rétrocessions de « trésors » ethnologiques qui s’organisent ces derniers temps de France, d’Allemagne, de Belgique… Dans ces affaires en cours, les mots utilisés par des protagonistes comme le CRAN (Conseil représentatif des associations noires de France) ne laissent aucun doute sur les exactions commises : « trafic », « recel ». Voir par exemple https ://www.liberation.fr/debats/2020/10/05/une-restitution-des-tresors-coloniaux-en-trompe-l-oeil_1801445/

5 Les controverses sont nombreuses à propos de l’immersion toute relative de scientifiques de renommée internationale (comme M. Mead aux îles Samoa observant les jeunes femmes… de sa terrasse de la résidence allouée aux expatriés américains), ou bien la posture critique voire xénophobe d’autres chercheurs, relatée par eux-mêmes dans des carnets plus ou moins intimes de terrain (tel B. Malinowski).

6 Winkin Y. (1997), « L’observation participante est-elle un leurre ? », Communication et organisation,12, p. 2.

7 Pour reprendre une expression de la théorie économique.

8 Spécialité originelle d’étude de S. J. Gould : les escargots des genres Poecilozonite, puis Cerion.

9 Voir la formule de C. Ginzburg : « les atomes ne parlent pas, les gens oui » (Ginzburg C. [2003], « L’historien et l’avocat du diable ». Entretien avec Charles Illouz et Laurent Vidal. Première partie, Genèses, 4/53, p. 113-138, ici p. 126).

10 Il a été possible de réduire cette asymétrie en abolissant au maximum la distance physique, par exemple avec des SDF en fin de vie dans un foyer d’accueil en adoptant une position côte à côte (regard tourné dans la même direction, en l’occurrence une télévision, allumée ou non d’ailleurs, trônant dans la salle de détente pendant une période de terrain avec la diffusion télévisuelle d’une Coupe du monde de football), limitant la confrontation tactique précisée par Goffman dans les situations de face-à-face (Héas et al., 2006). La même posture dite « horizontale » a été à l’œuvre lors d’une enquête auprès des personnes précaires SDF en Bretagne pour le compte de la Drass (Le Bihan et Héas, 2006).

11 Dans les années 1970 les ethnologues recherchaient les villages les plus isolés, les plus étrangers aux relations avec la modernité : par exemple Descola (1993) relatant son enquête débutée en 1977.

12 Oester K. (2002), « La production de textes ethnographiques au regard du montage cinématographique », Ethnologie française, 32/2, p. 345-355, ici p. 347.

13 Olivier de Sardan J.-P. (2008), La rigueur du qualitatif. Les contraintes empiriques de l’interprétation socio-anthropologique, Louvain-la-neuve, Bruylant, p. 47.

14 À partir de la fin des années 1980 pour l’un, et la fin des années 1990 pour l’autre auteur.

15 Bercé Y.-M. (dir.) (2020), Archives des gens simples, Rennes, Presses universitaires de Rennes, p. 13.

16 Corbin A. (1998), Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot, Paris, Flammarion, p. 43.

17 Raymond R. (2010), « La problématique de l’“acteur faible” : un objet-piste », dans Payet J.-P., Rostaing C., Giuliani F. (dir.), La relation d’enquête. La sociologie au défi des acteurs faibles, Rennes, Presses universitaires de Rennes, p. 233-244, ici p. 233.

18 Santelli E. (2010), « Une enquêtrice en banlieue. S’exposer à la précarité et aux rapports sociaux sexués », dans ibid., p. 57-72, ici p. 65.

19 Par exemple, P. Régnier a dû composer avec la fin de non-recevoir d’un enquêté au statut prestigieux qui face à la retranscription mot pour mot, hésitation et lapsus compris caractéristique du langage parlé, a considéré que cette retranscription fidèle le ridiculisait en le faisant passer pour quelqu’un d’hésitant, de contradictoire, voire d’incompréhensible à certains moments de l’échange enregistré…

20 Lorsque l’enquêteur·rice est payé·e pour ce travail face à des enquêté·e·s qui vivent une précarité financière, ils peuvent réclamer leur part : « tu te fais du fric sur notre dos… » (ibid., p. 63) ; ou bien lorsque le temps consacré à répondre est rémunéré pour compenser une perte d’argent (Chimienti, 2010).

21 La comparaison entre le discours et la réalité s’est opérée par une visite impromptue sur le lieu d’exercice professionnel où une pancarte indiquait la date précise de la fin de l’activité professionnelle enquêtée…

22 « Vernis logique » : expression de V. Pareto qui a fait l’objet de nombreux commentaires par des auteurs aussi différents que J.-C. Passeron (1995), J.-P. Olivier de Sardan (2008) ou R. Boudon (2013).

23 Pour ne pas remonter plus loin.

24 Olivier de Sardan J.P. (2008), La rigueur du qualitatif, op. cit., p. 53.

25 Ibid., p. 63.

26 Ibid., p. 53.

27 L’épouse d’un des auteurs était collègue sur l’un de ses postes avec cette professionnelle.

28 L’approche psychomotricienne de cette professionnelle infusait donc fortement ses propres relations intrafamiliales.

29 L’enquêteur avait 25 ans et la professionnelle, une quarantaine d’années. Son mari, étranger provenant d’Amérique latine, parlait très peu le français et ne comprenait pas la teneur des propos échangés.

30 Ou alors dans un lieu public (comme une cabine dans la rue) ou un lieu privé fréquenté par du public (bar, hôtel, etc.).

31 Perturbations vécues à mettre sur le compte d’une expérience d’enquête débutante sans doute.

32 À l’exception notable de l’enquêté évoqué ci-dessus qui se vantait d’une activité professionnelle qu’il n’avait quasiment plus. Cette indication est importante car elle incite à penser aussi l’observation et l’entretien en présentiel comme moyens de contrôle (donc de méfiance méthodologique ex ante) des propos tenus par les enquêté·e·s.

33 Olivier de Sardan J.-P. (2008), La rigueur du qualitatif, op. cit., p. 65.

34 Limite de la francophonie puisque cet enquêteur ne pouvait et ne peut réaliser d’entretien que dans sa langue maternelle.

35 Malgré une démarche officielle du laboratoire de recherche de l’époque, le « secret d’État » a été invoqué pour refuser l’accès aux analystes (dits plus couramment les « oreilles d’or ») malgré l’accord de certains d’entre eux à titre individuel, que l’enquêteur avait « tracés » sur Internet à partir des reportages et des documentaires réalisés sur ces professionnels. Le poids de la hiérarchie militaire a été imposé sans état d’âme, interdisant l’enquête auprès de ces professionnels du renseignement.

36 Alternative à l’approche légitime de la santé humaine que constitue l’approche biomédicale, dite allopathique.

37 Il s’agit de l’expression consacrée, non francisée ici, même si le moteur de recherche internétique n’est pas celui-ci…

38 Combinant entretiens à distance et en distanciel pour les rencontres difficiles en raison de la distance et/ou des emplois du temps respectifs.

39 Tersigni S. (2010), « “Nous ne sommes pas des misérables.” Les limites de l’identification du chercheur à autrui », dans Payet J.-P., Rostaing C., Giuliani F. (dir.), La relation d’enquête, op. cit., p. 73-96, p. 82.

40 Sans doute accentué par les émissions plus récentes telles que La Nuit blanche sur Europe 1, puis Parlons-nous par la même psychologue sur RTL. Un ouvrage récent explore ce monde particulier : M. Beccarelli (2021), Micros de nuit. Histoire de la radio nocturne en France, 1945-2012, Rennes, Presses universitaires de Rennes.

41 URL : www.cnrtl.fr/etymologie/confidence

42 L’authenticité de l’enquêteur·rice est alors prise en défaut comme l’est éventuellement aussi celle de l’enquêté·e (Chimienti M. [2010], « Le stigmate de putain. Les défis posés par la relation d’enquête auprès de travailleuses du sexe migrantes », dans Payet J.-P., Rostaing C., Giuliani F. [dir.], La relation d’enquête, op. cit., p. 39-56, ici p. 54). D’où l’importance de la polymorphie des sources sur les situations et sur les populations enquêtées (Olivier de Sardan J.-P. [2008], La rigueur du qualitatif, op. cit., p. 73).

43 Lors d’une enquête sur le VIH (Ferez, Thomas, 2012), un enquêté nous a indiqué sa séropositivité qu’il maintenait cachée à ses collègues, mais aussi à sa propre mère qui devant le lit de mort du frère de l’enquêté (décédé du sida) s’était exclamée : « Bien fait petit PD ! ». Seuls son médecin traitant et le service du CHU qui le suivaient étaient tenus au courant de sa situation sérologique…

44 Sur des terrains, la fonction d’« écoutante » était fortement valorisée au point d’être l’objet de formation entre les bénévoles de cette association de malades de la peau.

45 Objectivement, peu de sociologues ou ethnologues sont aussi psychologues ou psychothérapeutes diplômés et, a fortiori, exerçant une clinique supervisée par un tiers.

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Pour citer cet article

Référence papier

Stéphane Héas et Patrice Régnier, « Enquêter à distance : une spécificité, une incongruité… ? »Socio-anthropologie, 45 | 2022, 25-46.

Référence électronique

Stéphane Héas et Patrice Régnier, « Enquêter à distance : une spécificité, une incongruité… ? »Socio-anthropologie [En ligne], 45 | 2022, mis en ligne le 28 avril 2022, consulté le 19 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/socio-anthropologie/11025 ; DOI : https://doi.org/10.4000/socio-anthropologie.11025

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Auteurs

Stéphane Héas

Stéphane Héas est sociologue à l’université de Rennes depuis 1996. Il analyse les expériences et les situations discriminées, altérisées. Il s’est progressivement spécialisé sur les analyses de la peau. Il a créé avec L. Misery la Société française en sciences humaines sur la peau en 2006, dont il est le vice-président. Il a créé en 2017 et dirige depuis les publications et éditions de la revue gratuite en ligne La peaulogie (www.lapeaulogie.fr). Il est l’auteur de dizaines d’articles scientifiques, il a écrit des ouvrages sur les méthodes de relaxation (2004), sur les sportifs et leurs peaux (2007), sur les discriminations dans les sports (2010), sur les experts corporels (2010, 2011) ; il a dirigé plusieurs ouvrages sur les violences sportives (2004, 2007, 2013), , sur les peaux (2006, 2007), sur les phénomènes de stigmatisation et de réclusion (2014, 2015, 2019), sur les émotions dans la recherche (2021). La plupart de ses travaux et communications sont visibles disponibles sur : www.stephaneheassociologue.fr

Patrice Régnier

Patrice Régnier est sociologue, membre associé au VIPS², formateur EPS en maison familiale rurale à Loudéac, chargé d’enseignement à l’université Rennes 2, l’UCOBS de Vannes-Aradon et à l’IFSI (soins infirmiers) de Pontivy. Il s’intéresse aux interactions corporelles au travers de travaux sur les arts martiaux (2000) et l’équitation (2016). Plus récemment, il travaille sur les pratiquants de Badminton et les enseignants d’EPS. Il a publié plusieurs articles (7), un ouvrage, et des chapitres d’ouvrages (6), et communiqué dans de nombreux colloques et congrès nationaux et internationaux (19).

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