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Recensions

Sophie Béroud, Paul Bouffartigue, Henri Eckert, Denis Mercklen, En quête des classes populaires. Un essai politique

Paris, La Dispute, 2016
Juan Sebastian Carbonell
p. 197-199

Texte intégral

1Le thème des classes populaires fait l’objet d’un retour en force en sociologie. De plus en plus de manuels, de colloques et de séminaires s’interrogent sur la manière dont s’est opéré le passage de la « classe ouvrière » aux « classes populaires », et sur les principales caractéristiques de ces classes populaires contemporaines.

2L’ouvrage de Béroud et al. ne se veut pourtant pas un nouveau manuel faisant un état des lieux du savoir sur le sujet. Le livre (que les auteurs qualifient volontairement d’« essai ») se pense plutôt dans un registre politique et polémique, questionnant les usages contemporains, à la fois savants et ordinaires, de la catégorie de « classes populaires ». Pour les auteurs, la limite des travaux récents repose sur le fait qu’ils évacuent la dimension conflictuelle de la construction des classes populaires contemporaines, considérées seulement à partir de leur position sociale dominée.

3La notion de « populaire » permet en effet de regrouper un certain nombre de fractions sociales que le terme restreint de « classe ouvrière » laissait dans l’ombre, à une période où le seul « populaire » qui comptait était l’ouvrier de la métallurgie. Cependant, ce terme garde une certaine ambiguïté : le « populaire » serait une notion politiquement utile, mais non scientifique, dont les frontières oscillent au fur et à mesure de l’intégration sociale du groupe ouvrier, des luttes sociales et des transformations du champ politique.

4Comment appréhender alors la réalité des classes populaires aujourd’hui en prenant en compte la domination sociale qu’elles subissent, les conflits qui les travaillent et les transformations de leurs styles de vie ? « L’enjeu est de taille », disent les auteurs, à raison.

5Le choix de faire un long détour par l’histoire, depuis la première irruption du groupe ouvrier sur la scène nationale jusqu’à l’effondrement de l’URSS, permet de montrer que ce à quoi on assiste depuis les années 1980 n’est pas la disparition de la classe ouvrière en France, mais la fin de son hégémonie politique sur les autres secteurs populaires. L’ouvrier d’industrie et l’usine auraient perdu leur centralité politique au profit d’une extension du salariat et d’un élargissement de la conflictualité populaire. Les « classes populaires » des sociologues seraient donc une invention conceptuelle récente, produit de l’« échec historique de la classe ouvrière ».

6Ce sont des révolutions, des insurrections, et des organisations politiques et syndicales (et les luttes de tendances qui les animent) qui ont contribué autant à façonner le groupe ouvrier que les lents processus économiques souterrains. La référence à Marx, ou à Louis Althusser, apparaît alors évidente pour les auteurs, puisqu’il s’agit de s’éloigner des lectures objectivistes et scientistes qui ont dominé le passé, au bénéfice d’une démarche constructiviste qui met l’accent sur les rapports sociaux conflictuels dans la construction des groupes sociaux.

7Les classes populaires se manifestent alors comme les restes d’un élan qui n’est pas arrivé à son terme, comme un agrégat que la sociologie appréhende exclusivement par sa position sociale subalterne. Le succès même de l’expression « classes populaires » est le résultat d’un constat pragmatique de la part des sciences sociales, celui d’un état de fait, du vide politique laissé par la classe ouvrière.

8Pour comprendre de quoi est fait le « grand corps démembré » des classes populaires contemporaines, il faudrait d’abord nuancer quelques lieux communs sur celles-ci. Á l’idée d’une dualisation du salariat populaire, qui opposerait ouvriers qualifiés et non qualifiés, précaires et stables, les auteurs répondent, d’une part, que le salariat n’a jamais été homogène et, d’autre part, que la barrière existante entre ces deux pôles n’est pas insurmontable.

9Le critère de la qualification, érigée en « ligne de fracture incontestable » entre ces pôles, néglige les processus de mobilités internes et les phénomènes de mixité sociale, notamment dans les ménages ouvrier-employée, qui perdurent. De la même manière, l’argument de la dépolitisation et démobilisation qui touche les nouvelles générations ne prend pas en compte les mobilisations de secteurs précaires, malgré leur atomisation et leur absence de qualifications, ou encore les formes de mobilisation considérées comme « dérangeantes », ou « apolitiques », par une partie de la sociologie française.

10On voit donc qu’il existe bien une certaine « unité » relative des milieux populaires contemporains et que les différences par rapport aux classes populaires du passé sont à relativiser. Pour les auteurs, la nouveauté se trouve plutôt dans la pluralité des vécus du « populaire », et notamment dans les formes instituées ou informelles de politique qui contribuent à la construction des classes populaires contemporaines. En tant que groupe socialement dominé, il se constitue en tant que tel seulement à partir des conflits et des luttes autour de ses conditions d’existence et de ses moyens de représentation.

11Ainsi, le concept de « politicité » apparaît comme un outil théorique qui permettrait de saisir cette production « en actes » des classes populaires, la manière dont elles donnent du sens à leur présent et tentent de se doter de formes organisationnelles. Qu’il s’agisse d’activités culturelles, ou formes infrapolitiques de solidarité, la « politicité » englobe l’ensemble des pratiques qui se distancient de la politique instituée et des formes classiques de protestation organisée. Certes, une partie importante des mobilisations des classes populaires prend encore forme au sein de la sphère du travail, mais d’autres formes de conflictualité se manifestent là où les organisations politiques et syndicales ont laissé un vide à combler.

12La mise au centre de la conflictualité dans la production des classes populaires contemporaines est une des principales contributions de l’ouvrage. Cependant, si celui-ci se veut avant tout un « essai », il avance certaines notions qui mériteraient d’être développées. C’est le cas de la notion de « salariat populaire » que les auteurs préfèrent à « classes populaires », ou « politicité populaire », censée embrasser les conflictualités qui dépassent le cadre des conflits au travail.

13Peut-être ceci tient-il à la nature de l’ « essai », puisque, comme il est dit, l’ouvrage se veut une contribution politique à la « réinvention d’un horizon d’émancipation ». Néanmoins, la prise en compte de la dimension conflictuelle dans la construction des classes populaires contemporaines et la prise en compte des dynamiques contradictoires qui les travaillent, est une contribution précieuse pour un débat qui semble loin d’être clos.

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Pour citer cet article

Référence papier

Juan Sebastian Carbonell, « Sophie Béroud, Paul Bouffartigue, Henri Eckert, Denis Mercklen, En quête des classes populaires. Un essai politique »Socio-anthropologie, 35 | 2017, 197-199.

Référence électronique

Juan Sebastian Carbonell, « Sophie Béroud, Paul Bouffartigue, Henri Eckert, Denis Mercklen, En quête des classes populaires. Un essai politique »Socio-anthropologie [En ligne], 35 | 2017, mis en ligne le 04 mai 2017, consulté le 16 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/socio-anthropologie/2624 ; DOI : https://doi.org/10.4000/socio-anthropologie.2624

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Auteur

Juan Sebastian Carbonell

Centre Maurice Halbwachs (ENS-EHESS-CNRS)

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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