1Notre recherche part de l’hypothèse que le langage est tributaire de l’usage. Notre objectif global est d’explorer, dans le domaine de la périphérie, les relations entre l’usage du langage et le système linguistique. En analysant le discours naturel, nous cherchons à caractériser l’usage qui crée le système émergent à la frontière floue entre structure syntaxique et organisation discursive. Il s’agit de chercher des régularités éventuelles dans l’usage et la forme de certains éléments périphériques (voir définition section 1.2) en français et en anglais. Deux questions de recherche principales guident les travaux. (1) Quelles sont les relations entre les différentes propriétés des éléments périphériques ? La question concerne leur position, leur fonction, leur prosodie, la structure informationnelle de leur pourtour, et le statut grammatical de leur hôte (et éventuellement d’autres paramètres du co-texte). (2) Quelles sont les similitudes et les divergences entre le français et l’anglais, dans le fonctionnement des éléments périphériques ?
2L’article, qui s’inscrit dans une optique contrastive, est structuré ainsi : il commence par préciser ce que nous entendons par périphérie (1.2) pour ensuite décrire le choix de particules périphériques à étudier (1.3), les données retenues (1.4) et finalement l’intérêt de l’étude. La Section 2 explique la méthode adoptée pour l’étude pilote : le choix des corpus, les particules étudiées et le codage. La Section 3 rend compte des résultats obtenus à ce jour et en tire quelques hypothèses à poursuivre. Enfin, la Section 4 présente les conclusions. Tous les exemples, sauf indication contraire, sont pris dans le texte 14 du corpus CLAPI pour le français et les textes JA9 et JP7 du corpus BNC pour l’anglais (ces corpus sont référencés à la fin de l’article).
3Depuis une trentaine d’années et en parallèle à l’élargissement de la place accordée en recherche linguistique aux phénomènes discursifs, l’intérêt grandit pour les éléments qui se trouvent à la frontière entre phrase et discours, donc à la “périphérie” de la phrase. Par exemple, dans (1a), l’énoncé du locuteur L contient une phrase (“c’était un peu le but”), où le verbe, son sujet et son complément forment une unité syntaxique exprimant une proposition, suivie de trois éléments considérés comme étant à la périphérie (“hein”, “en fait”, “je crois”). Et dans (1b), l’énoncé du locuteur C contient également une phrase (“il y a une autre chose à vérifier”) accompagnée de deux éléments dits périphériques (“alors”, “quand même”).
(1) a. [L :] c’était un peu le but hein en fait je crois
[C :] oui oui c’est ça [CLAPI-14, après 00:57:57:60]
b. [C :] alors il y a quand même une autre chose à vérifier [CLAPI-14, après 00:16:20:40]
4Ces éléments en marge de la phrase (et dont la relation avec la phrase est discutée) sont décrits en grammaire traditionnelle comme, entre autres, des particules modales, des particules pragmatiques et marqueurs du discours, des prédicats transparents, des question-tag, des connecteurs, des vocatifs ou certains types d’adverbes de phrase. Ils sont connus aussi sous le nom de “constituants extra-clausaux” depuis Dik (1997), qui réunit pour la première fois un éventail d’éléments différents sous un seul terme (Kaltenböck et al., 2016 : 1). D’autres termes sont courants comme “unités non propositionnelles” (Biber et al., 1999) et plus récemment “thétiques” (Kaltenböck, 2016).
5Dans les approches récentes, le terme “périphérie” est employé dans plusieurs sens (cf. Beeching & Detges, 2014a : 1‑4 ; Degand & Crible, 2021 : 24‑29). Il peut s’agir de la périphérie du noyau de la phrase (le verbe et ses arguments), de la phrase, de l’énoncé, de l’unité de discours, du contour prosodique, du tour, voire d’une combinaison de ces unités (cf. Degand et al., 2014 ; Martin et al., 2014, où une unité de discours (le “segment”) est définie à moitié par la syntaxe et à moitié par la prosodie).
6Plus qu’une catégorie théorique, la “périphérie” constitue le plus souvent une étiquette utile pour désigner un ensemble d’éléments qui ont en commun de ne pas être intégrés à la phrase, ou de l’être à un moindre degré, et de fonctionner à un niveau non-propositionnel. Comme c’est le cas pour les catégories syntaxiques, c’est une combinaison de la distribution et de la fonction qui caractérise les “particules périphériques”. Il s’agit d’éléments non argumentaux qui portent typiquement sur l’ensemble verbe-arguments et dont la place est toujours dans la périphérie.
7En ce qui concerne la structure, deux approches se démarquent dans la littérature, selon que la périphérie est considérée comme structurelle ou non.
- 1 Traugott identifie les périphéries gauche et droite comme clause-initial and clause-final slots (20 (...)
8La première approche défend l’idée qu’il n’y a pas de frontière abrupte entre ce qui constitue un lien syntaxique et ce qui ne le constitue pas, mais qu’il y a des liens structurels plus ou moins forts pour rendre compte des positions occupées par les adverbes circonstanciels, les adverbes de phrase, les adjoints, les connecteurs, les particules modales et discursives, les vocatifs, etc. (cf. Traugott, 2015). Cette approche envisage ainsi un lien structurel, fût-il faible, entre élément périphérique et phrase.1
- 2 Pour Haselow (2015), [t]he periphery of an utterance is a conversational space surrounding a struct (...)
9L’autre approche, qui adopte la position que les éléments en marge de la phrase ne peuvent être représentés dans la structure syntaxique, considère que ces éléments sont rattachés à l’énoncé, que le lien entre périphérie et phrase relève donc de la pragmatique ou de la structuration du discours. Selon Haselow (2015 : 160), par exemple, la périphérie d’un énoncé est un espace conversationnel autour d’une unité structurelle telle qu’un syntagme ou une proposition.2
10Pour le français, ce point de vue est également défendu dans le modèle du Groupe aixois de recherche en syntaxe (GARS), qui considère que, dans la plupart des cas, les éléments périphériques sont “non régis”, c’est-à-dire qu’ils demeurent extérieurs aux relations de dépendance tissées par le verbe recteur de la construction (Deulofeu, 2021). Ainsi, du point de vue structurel, les éléments périphériques sont séparés de leur unité de référence, y étant simplement apposés. Pour rendre compte de ces relations non syntaxiques, divers cadres discursifs sont proposés. Ainsi, le GARS a proposé de décrire les éléments sans lien de dépendance avec un élément recteur comme entretenant une relation purement “macrosyntaxique” avec leur entourage (Blanche-Benveniste et al. 1990 ; Debaiseux dir. 2013 ; Sabio 2018).3
11Haselow (2016) envisage également de décrire sur une base macrosyntaxique les éléments en dehors des rapports de dépendance. Dans une série de publications, Kaltenböck, Heine et leurs collègues ont développé la notion de “grammaire thétique”, qui aborde très largement tout ce qui ne rentre pas dans le noyau de la phrase, mais qui occupe une place “[paren]thétique” (Kaltenböck et al., 2011 ; Kaltenböck & Heine, 2014 ; Kaltenböck, 2016). Cette approche distingue donc nettement entre les divers postes syntaxiques, tous structurels, d’un côté, et les diverses positions périphériques, non structurelles, de l’autre. Pour les éléments périphériques qui sont l’objet de notre étude, nous considérons que la portée d’un élément périphérique dépend de la situation discursive et que l’élément porte donc sur l’énoncé, ou sur une partie de l’énoncé, qui peut être réalisé par divers types d’unités linguistiques. (cf. section 2.4.2 ci‑dessous).
12(2) présente des exemples de rattachement à la périphérie gauche (PG), droite (PD) et en position interne (I). Dans (2a), donc est à la PG de l’énoncé sur lequel il porte, “on va y revenir” ; dans (2b), en fait est à la PD, portant sur “ici on utilisait rien du tout” ; dans (2c), en fait se trouve en position interne de “on conserve les murs”.
(2) a. donc on va y revenir [CLAPI-14, après 00:12:44:80]
b. ici on utilisait rien du tout en fait [CLAPI-14, après 01:06:15:20]
c. dans cette zone là on conserve en fait les murs [CLAPI-14, après 01:12:20:20]
13Notre étude tient compte aussi des particules isolées, sans rattachement.
14En ce qui concerne la sémantique, les périphériques servent à encoder d’une façon concise un éventail de perspectives du locuteur sur son discours et sur la situation de communication. Parmi ces perspectives : les relations de cohérence, les évaluations épistémiques et d’attitude, l’organisation du discours et de sa progression thématique, la gestion de l’interaction entre les locuteurs.
15Le terme “particule” est employé dans le sens de membre d’une classe fermée de formes fonctionnelles et non fléchies. Comme le remarque Haspelmath (2001 : 16539), “particule” est une catégorie “fourre-tout” pour les mots qui ne rentrent pas dans d’autres catégories, mais le terme a l’avantage d’être neutre par rapport aux fonctions précises de ces formes. D’ailleurs les formes des particules occupant la périphérie ont souvent plusieurs fonctions : polyfonctionnelles dans la périphérie, mais servant aussi comme adverbes ou autres dans la phrase, au niveau propositionnel.
16Nous pouvons distinguer, dans le cadre de la linguistique fonctionnelle ou cognitive, trois approches principales concernant l’étude des particules périphériques, toutes fondées sur des données de corpus.
17D’abord, l’approche diachronique qui cherche, dans le cadre des théories de la grammaticalisation, la pragmaticalisation ou la constructionnalisation, à identifier les mécanismes de changement linguistique impliqués dans le développement des particules à partir de leurs lexèmes d’origine (v. par ex., Traugott, 1997 et 2020 ; Brinton, 2017 et à paraître. ; sur alors Degand & Fagard, 2011 ; sur then Haselow, 2012).
18Ensuite l’approche pragmatique qui vise à identifier les diverses fonctions que remplissent ces particules dans le discours (v. par exemple : sur alors Hansen, 1997 ; sur then Haselow, 2011). L’importance de cette approche est reflétée dans l’emploi répandu des termes “marqueur pragmatique” et “particule pragmatique”.
19Mais l’approche pragmatique évolue vers une troisième orientation qui aborde le problème du statut structurel des particules discursives (v. par exemple : Kaltenböck, 2016 ; Kaltenböck et al., 2016) et cherche à élucider les relations entre sens et position par rapport à la structure dont elles dépendent (Beeching et Detges, 2014b ; Hancil et al., 2015 ; sur then Haselow, 2011 ; sur alors Degand, 2014, Le Draoulec & Bras, 2007) (voir la section 3.3 sur les profils sémantiques et discursifs).
20Dans leur ensemble, les approches récentes représentent peut-être une volonté d’incorporer l’étude des éléments périphériques dans la linguistique générale pour ne plus les considérer comme “purement” pragmatiques, sans intérêt pour les autres domaines de la linguistique, périphériques non seulement à la phrase mais aussi à la discipline. L’intérêt pour les diverses fonctions de formes particulières, donc pour des instances de polysémie, s’élargit ainsi à une considération, plus syntagmatique, du rôle systémique des particules dans le langage.
21La confrontation de deux systèmes linguistiques sur la base de similitudes fonctionnelles vise à identifier des divergences et des points communs qui demandent une explication. L’analyse contrastive des particules discursives a surtout été réalisée jusqu’à présent au niveau sémantico-pragmatique (pour une synthèse, v. Aijmer, 2020). Parmi ces études, plusieurs soulignent l’équivalence très partielle des polysémies de lexèmes apparentés par leur étymologie ou leur fonction (Hasselgärd, 2006 ; Hansen & Strudsholm, 2008 ; Defour et al., 2010 ; Lauwers et al., 2010). Récemment des études se sont centrées sur le rôle des positions périphériques et les éventuelles correspondances entre les langues en contraste (sur alors et then, Beeching, 2016 ; sur then et då, Aijmer, 2018).
22En ce qui concerne notre étude, l’approche contrastive permet d’aborder les questions suivantes. Du point de vue sémantique, à quel point des expressions temporelles qui fonctionnent de façon similaire sur le plan propositionnel, comme alors et then, ont-elles développé des polysémies semblables au niveau discursif ? Y a-t-il dans chaque langue des différences dans la fréquence et la distribution des expressions périphériques selon le genre, ou le medium - oral ou écrit - qui refléteraient un développement semblable ? Du point de vue structurel, est-ce que dans les deux langues la position (gauche ou droite ou interne) est en corrélation avec une différence fonctionnelle ou s’agit-il du même type ? Est-ce que des corrélations entre prosodie et fonction et/ou prosodie et position sont attestées dans les deux langues ? Les particules jouent-elles un rôle comparable en anglais et en français dans l’organisation thématique, informationnelle et interactionnelle du discours ?
23Pour commencer à répondre à ces questions, une étude est menée sur un petit corpus comparable de langue parlée spontanée (section 2.1). L’analyse consiste à repérer et coder toutes les occurrences des expressions cibles (section 2.3) pour d’abord chercher des régularités éventuelles entre les niveaux syntaxique, prosodique, sémantique et discursif, et ensuite confronter les résultats en français et en anglais.
24La haute fréquence d’emploi des particules alors et then et l’analyse de leur fonctionnement et de leur rôle dans le système langagier sont particulièrement intéressantes pour notre domaine de recherche, qui porte sur l’influence de l’usage du langage sur le système langagier. Il s’agit de décrire à la fois les niveaux syntaxique, prosodique, sémantique et discursif, un objectif majeur étant de dresser des profils complets pour identifier d’éventuelles corrélations.
25Toute étude contrastive repose sur un tertium comparationis, qui sera normalement lié aux sens ou aux interprétations de textes. Le choix des données est primordial. Une approche consiste à travailler sur un corpus parallèle, de textes traduits de la langue A vers la langue B et vice versa, de sorte à obtenir un corpus en quatre parties, dont deux traduites et deux natives et deux dans chacune des langues. Le tertium comparationis dans ce cas réside dans l’acte de traduction, c’est-à-dire dans le travail d’interprétation du traducteur : le sens que le traducteur extrait du texte source et s’efforce de rendre dans la traduction. L’avantage de l’emploi de traductions réside donc dans la proximité du contenu des deux textes. Les principaux inconvénients sont au nombre de trois. D’abord, la traduction varie selon les genres de texte et les buts de la traduction. La qualité peut varier aussi selon ces paramètres. Ensuite, il est établi que le texte traduit a tendance à diverger du texte écrit par des locuteurs natifs dans la distribution et la fréquence des expressions et des constructions (v. Baker, 1993 ; Mauranen, 2008). Enfin, les traductions “complètes” de productions orales spontanées et informelles sont rares. L’autre approche, que nous adopterons ici, est d’employer un corpus comparable, constitué de textes originaux dans deux (ou plusieurs) langues, et relevant du “même” genre : les textes sont choisis pour la similitude de leurs fonctions dans les deux communautés langagières ; le tertium comparationis est donc la situation sociale dans laquelle le discours a lieu. L’avantage est que les textes reflètent l’usage. Le principal inconvénient est que, les situations de communication n’étant jamais strictement équivalentes dans différentes communautés sociales, la comparabilité n’est jamais complètement acquise.
26Nous nous sommes attachés à ce que les textes présentent des caractéristiques communes tenant notamment aux genres textuels. Il s’agit dans chaque corpus d’une réunion de travail en contexte professionnel de type dialogique avec un leader et plusieurs interlocuteurs (en nombre variable). Voici quelques détails sur chacun des documents :
27Il s’agit d’une interaction en situation professionnelle entre trois locuteurs, enregistrée en 2002. Le texte est descriptif et négociatif. Intitulé “Réunion conception Mosaic architecture”, le document est la transcription d’une réunion de conception entre trois architectes à qui a été confiée la réhabilitation d’un château en centre de séminaires. Il présente une situation de parole professionnelle, caractérisée par une forte dimension interactionnelle entre les trois locuteurs, donc l’un d’eux (le locuteur C) joue le rôle de leader. Tous les exemples français, sauf indication contraire, sont pris dans ce document et sont suivis d’un numéro d’occurrence.
28Ce corpus appartient à la base CLAPI (Corpus de Langue Parlée en Interaction), qui est une banque de données multimédia qui a été initiée à la fin des années 1990, dans le but d’archiver et de préserver les corpus élaborés dans le cadre des recherches sur l’interaction du laboratoire ICAR (UMR 5191 CNRS - ENS de Lyon - Université Lyon 2). La base CLAPI contient des corpus enregistrés en situation réelle, dans des contextes variés : interactions professionnelles, institutionnelles ou privées, commerciales, didactiques, médicales… (Baldauf-Quilliatre, et al., 2016).
29Le document retenu est intégré au Corpus d’Etude pour le Français Contemporain (CEFC) ; il est librement consultable sur la plateforme Orfeo (Outils et Recherches sur le Français Ecrit et Oral), qui donne accès à un vaste ensemble de textes écrits et de transcriptions d’enregistrements en français contemporain (6 millions de mots à l’écrit et 4 millions de mots à l’oral) ainsi qu’à divers outils pour les exploiter. La base de données a été élaborée dans le cadre d’un projet ANR réunissant 7 laboratoires partenaires, sous la responsabilité scientifique de J.-M. Debaisieux, laboratoire Lattice (Benzitoun et al., 2016).
30Il s’agit également d’un contexte professionnel qui présente une interaction entre plusieurs locuteurs qui exposent des faits, argumentent et négocient. Le corpus anglais est un extrait du corpus plus large BNC (British National Corpus, 2007 ; Coleman et al., 2012) et regroupe deux enregistrements (JA9 et JP7) classés dans les “business context”. Ils sont ainsi décrits dans le BNC :
-
pour JA9, enregistré en 1993 : “Local Government Ombudsman office: planning meeting”.
Il s’agit d’une réunion de travail qui regroupe 10 participants autour d’un leader (David) qui fait de longs monologues. Ce dernier expose le bilan de l’année et évoque les questions financières à venir. Les participants se penchent ensuite sur des questions de recrutement.
-
pour JP7, enregistré en 1994 : “York Green Party business meeting: local politics”.
Cette réunion comporte 8 participants, dont un leader (Helen). Le thème tourne autour de l’organisation d’une manifestation (“the Big box pile up”). Les interlocuteurs se répartissent les tâches et cherchent des sponsors.
31Nous n’avons pas accès à l’enregistrement de la totalité des interactions. Chaque exemple anglais de l’article est suivi du code de texte BNC (JA9 ou JP7) et d’un numéro d’occurrence.
32Pour l’étude pilote les particules alors, then, en fait et in fact ont été choisies et cet article porte exclusivement sur alors et then. D’abord, il s’agit de particules qui sont fréquentes dans la conversation (cf. la section 2.3 de l’article “Étudier la conversation pour mieux comprendre le langage”4 dans ce numéro). Ensuite, il s’agissait de comparer des particules qui ont leur origine dans un même type de sens conceptuel. La grande majorité des particules discursives sont polyfonctionnelles, et cette polysémie est le reflet d’une évolution sémantique, les emplois discursifs étant plus récents que les emplois conceptuels. Ainsi alors et then sont choisis en raison de leur origine dans le domaine temporel, les deux signifiant “à ce moment-là”. L’un des buts est donc de comparer les expressions, dans la phrase et dans la périphérie, pour tracer les similitudes et les divergences.
33Au total, 59 occurrences de alors ont été récoltées sur 17 050 mots et 1 h 17 d’enregistrement. Pour l’anglais, 78 occurrences de then ont été trouvées sur 27 498 mots, dont 60 sur 2 h 30 d’enregistrement. Sur les 78 occurrences transcrites, 46 proviennent de JA9 (14 128 mots) et 32 de JP7 (13 370 mots). Dans nos textes, le taux d’occurrences de alors s’élève donc à 3,46 ‰ et celui de then s’élève en moyenne à 2,84 ‰ (soit 3,26 ‰ pour JA9 et 2,39 ‰ dans JP7). Le taux en anglais reste dans tous les cas inférieur au taux pour le français mais peut s’en approcher.
34Nous avons examiné les occurrences sous trois angles : syntaxique, prosodique et sémantique / pragmatique / interactionnel. Le codage est présenté dans le tableau 1. Nous avons fait le choix de ne pas faire une segmentation unique (syntaxique, prosodique, informationnelle ou en combinaison) du discours en amont de l’analyse, mais de coder chaque niveau dans ses propres termes pour ensuite confronter les résultats (voir section 1.2).
Tableau 1. Le schéma de codage
35Le schéma du tableau 1 pourra être élargi par la suite pour tenir compte d’autres paramètres du discours tels que les relations de cohérence fines. Notre objectif sera à l’avenir de distinguer plus précisément entre ces trois domaines fonctionnels lorsque nous disposerons de données plus nombreuses.
36Il concerne avant tout la distribution de alors/then dans les énoncés : se trouvent-ils à droite, à gauche, ou bien en position interne ? Toutes les occurrences sont codées, y compris celles qui pourraient être considérées non périphériques. Il faut comprendre ici droite / gauche / interne par rapport au segment sur lequel porte la particule. Comme mentionné en 1.2, cette portée concerne l’énoncé, ou une partie d’un énoncé, qui peut prendre des formes variées. Il peut par exemple s’agir d’un énoncé verbal complet (3) :
(3) at night | we’d be very uncertain if there had been an alarm bells rang then [JA9, 42]
ou bien d’un fragment d’énoncé (par exemple une proposition adverbiale en réponse à une question) (4) :
(4) because then at least you might be able to write out a few more [JA9, 30]
ou encore d’un GN isolé (5) :
(5) well Marlene then [JA9, 26]
37Il arrive également que la particule soit perçue comme isolée, ou qu’il soit impossible de déterminer la manière dont elle est rattachée au contexte environnant. (voir ci-dessous).
38Affecter une position (gauche, interne ou droite) aux particules présente une difficulté qui est liée au degré d’intégration se manifestant entre alors et la séquence suivante. Pour le français, deux cas se présentent :
391- Pour la majorité des occurrences, la particule est située avant une construction verbale avec laquelle elle semble entretenir un lien d’intégration ou de rattachement. C’est le cas dans l’exemple (6) :
(6) les gens qui sont là pour aller au restaurant ils sont obligés d’aller dehors [alors ils seront peut-être tentés] [15]
40Sur une base perceptuelle et interprétative, alors a été analysé comme relié à la suite de l’énoncé. Le sémantisme de conséquence (A alors B) contribue évidemment à l’impression de rattachement. Tous les cas où un tel lien de rattachement a été perçu ont été annotés “position gauche”.
412- Dans un petit nombre de cas, la particule - bien que située avant une construction verbale – ne semble pas entretenir de relation d’intégration avec la suite de l’énoncé. Dans (6), la particule est suivie par une disfluence (euh on) qui la fait percevoir comme isolée du contexte droit (7) :
(7) L: le blanc c’est le plan notre escalier le bureau là
C: [alors] euh on~ [utiliser l’espace derrière le monte-charge na na escalier pour en faire un local lingerie] [35]
42Les occurrences de alors qui ont été jugées non rattachées au contexte environnant restent cependant peu nombreuses (6 occurrences, soit 10 % environ).
43Afin de ne pas préjuger de l’analyse à opérer, nous les avons annotées comme “isolé / indéterminé”.
44Pour l’anglais, précisons que dans le cas de corrélations comme if… then.., nous avons considéré que then se trouvait en position gauche, puisqu’il sert à introduire la deuxième partie de l’énoncé (8).
(8) if it’s half less than half a mile away then it’s it’s fine [JP7, 55]
45En dehors des corrélations de la particule avec if, qui sont très fréquentes dans notre corpus anglais, nous avons relevé des cas de so…then. Then arrive alors en fin d’énoncé et devient redondant par rapport à so (9) :
(9) so have we taken a decision to target Bishopgate then? [JP7, 76]
46Nous avons ciblé également quelques constructions sémantico-syntaxiques particulières. Tout d’abord, les regroupements conventionnels, que l’on trouve aussi bien en anglais qu’en français. Par exemple alors voilà ou and then. Les deux morphèmes forment dans ce cas une seule unité sémantique. Les regroupements trouvés en français sont les suivants : alors voilà, alors là, et alors ça, et alors, mais alors, ou alors. Pour l’anglais, nous trouvons des combinaisons de then avec un coordonnant (and then, but then, but then again), ou avec un adverbe (now then, alright then, even then), et avec une conjonction de subordination (because then).
47Nous renvoyons à l’article sur “La prosodie au LPL : histoire, recherches actuelles et perspectives”5 qui est dans ce numéro, pour une présentation de la notion de prosodie en tant que partie intégrante du système linguistique qui sert de cadre théorique à l’approche que nous mettons en œuvre pour l’analyse prosodique.
48En ce qui concerne le codage prosodique, quatre critères ont été retenus.
- 6 Il est à noter que nous avons annoté G pour un then précédé de and ou but, comme dans But then you (...)
49i) Ce que nous avons appelé la position G(auche), D(roite), M(ilieu) ou I(solée), diffère de la position syntaxique vue plus haut. Ici il s’agit de la position prosodique par rapport à l’unité intonative (ci-après UI, dont les frontières sont marquées par une barre dans les exemples qui suivent) dans laquelle la particule se trouve : elle peut être en début d’UI, alors codée G (10).6
(10) a. I mean if we’re talking about existing staff | then it may not be enormous [JA9, 19]
b. alors là on va redémarrer sur notre enchaînement | parce qu’on va voir |
50Elle peut être en fin d’UI, codée D (11), ou en milieu, codée M (12).
(11) a. shall I alert Dick to its existence then? [JP7, 58]
b. ils vont y aller comment alors ?
(12) a. what I’ve then done | is take account of the various staffing changes [JA9, 4]
b. et alors ça | il fait des suggestions après | [9]
51Si la particule constitue une UI à elle seule ou avec un coordonnant, nous l’avons annotée I (13).
(13) a. I mean if complaints shoot up | but our budget is static | then | we just got to cope [JA9, 20]
b. bagagerie lingerie bureau administration entretien stockage mobilier logement gardien | alors | euh lui quand il dit OK pour le personnel |
52ii) Le contour réalisé sur alors/then a été pris en compte et codé R(ise) pour une montée, F(all) pour une chute et L(evel) quand la particule était prononcée sur un ton statique.
53iii) Le contour est à coupler avec le niveau du registre du locuteur, codé H(igh) pour le niveau aigu, M(id) pour le registre moyen ou L(ow) pour la partie basse. Ainsi un alors/then codé L pour le contour et H pour le registre est prononcé sur un ton statique haut.
54iv) Le degré de proéminence des particules étudiées nous a semblé revêtir une importance particulière et nous en avons codé quatre. Alors/then peut être le noyau de l’UI. Il sera alors codé N(oyau). Lorsqu’il n’est pas noyau, il peut tout de même être accentué et a été annoté A(ccentué). Si la particule ne porte pas un accent de phrase, elle peut avoir une prononciation réduite (avec un schwa pour then par exemple, ou même une forme encore plus réduite, ou une durée et une intensité très réduites pour alors). Le code sera R(éduit). Enfin alors/then peuvent être non accentués mais non réduits et ont alors été codés NANR.
55Ce codage comporte deux volets, le domaine et le sens. L’avantage de cette séparation est que la notion de domaine sera pertinente pour toutes les particules périphériques à étudier, alors que les sens (les polysémies) seront spécifiques à chaque particule.
56Le domaine concerne les niveaux de référence de la particule et nous en retenons trois. Dans chacun de ces domaines une particule peut fonctionner dans un ou plusieurs sens.
57Le premier domaine est le niveau propositionnel, qui concerne les événements dans le monde évoqués par le locuteur. Ce niveau correspond à ce que d’autres chercheurs ont nommé le domaine du “contenu” ou du “real-world” ou “socio-physique”. Dans le cas de alors et then c’est le sens temporel qui relève de ce domaine. Ainsi dans l’exemple (14), then se réfère à la date mentionnée par Loc A (le premier septembre) et relève donc du temps. Aucune occurrence de alors temporel n’a été trouvée dans les données françaises.
(14) Loc A : from the first of September are you talking about?
Loc B : I would have to see I think Mr..
Loc C : from round about then | cos I asked for the …
Loc D : after the summer period
Loc C : well yes [JA9, 32]
58Le deuxième domaine est le domaine modal, pris au sens large, et concerne les jugements et les attitudes que le locuteur porte sur le contenu du discours ainsi que les liens qu’il projette entre les idées exprimées. Il s’agit donc d’un domaine mental : ce sont des évaluations, des positionnements et des raisonnements du locuteur. Dans l’exemple (15), alors exprime un raisonnement du locuteur qui voit une éventuelle situation de conséquence entre ils sont obligés d’aller dehors et ils seront peut-être tentés…
(15) les gens qui sont là pour aller au restaurant ils sont obligés d’aller dehors | alors ils seront peut-être tentés .(568)
59Les sens modaux de alors et then concernent principalement la conséquence (dans les contextes cause/condition p > conséquence q) et l’inférence (du constat p, j’infère q).
60Le troisième domaine est [méta]textuel et concerne l’organisation du discours : la progression et la structuration des topiques ainsi que la gestion de l’interaction et des tours, etc. Dans l’exemple (16), alors sert principalement à gérer la progression topicale.
(16) L : ce qui est très très beau
M : oui
L : mais vraiment beau
M : c’est ça
L : c’est | cette boîte vitrée | alors y a un croquis aussi qui va avec | que j’ t’explique
61Ces domaines sont loin d’être distincts ; au contraire, des glissements sémantiques du [+physique] vers le [+discursif] font que beaucoup d’occurrences se prêtent à des interprétations sur plus d’un domaine (cf. la section 3.3).
62Au niveau interactionnel, nous avons relevé la position dans le tour : position initiale, finale ou autre. En d’autres termes, nous avons déterminé si la particule initiait ou terminait un tour de parole, ou bien se trouvait à l’intérieur d’un tour (par exemple dans un monologue) et n’était par conséquent pas liée à un changement de tour. Nous avons donc codé “Initial” le then /alors qui se trouve en tout début de tour de parole, combiné ou non avec d’autres marqueurs (ex. : now then). Il est alors lié à une prise de parole (v. la section 2.1 de l’article “Étudier la conversation pour mieux comprendre le langage”7, présent dans ce numéro).
63Nous avons codé “Final” les exemples où then /alors se trouve en fin de tour de parole et peut indiquer que le locuteur cède la parole à l’interlocuteur. Nous avons enfin codé “Autre” les cas dans lesquels la particule ne sert pas à marquer les tours de parole (17).
(17) G : that’s right | it was reallocated […] as a stage two
R : and then reallocated again | but I think that’s daft [JA9, 33]
64Cette position en début de tour de parole n’est en effet que fortuite, then ne servant pas à marquer un début de tour (il a une valeur uniquement temporelle).
65Nous avons enfin noté le type syntaxique de phrase dans lequel se trouve la particule : phrase déclarative, interrogative ou autre. Comme nous le verrons, ce paramètre a un rôle important dans l’emploi de la particule.
66Voici (Figure 1) les résultats concernant la fréquence et la distribution (pour l’anglais, le total est calculé sur toutes les occurrences transcrites) :
Figure 1. La distribution des positions : fréquences pour mille mots
67Ces chiffres sont très similaires à ceux d’autres études sur le français parlé (même si les classifications des positions n’étaient pas identiques). Ainsi, sur le corpus Valibel, Degand (2014 : 153) trouve une fréquence d’alors de 3,75 ‰ dont 86 % en PG (76,2 % dans nos données) et 12,6 % en PD (10,2 % dans nos données). Beeching (2016 : 217), sur le Corpus de référence du français parlé, trouve une fréquence de 3,4 ‰. Dans les trois études les occurrences médiales ne constituent que 3 %.
68Nos chiffres sur then ressemblent également à ceux d’autres études. Dans ses données du corpus ICE-GB, Haselow (2011 : 3608) a trouvé pour then, 60 % en PG (59 % dans nos données BNC). En PD, Haselow trouve dans trois études 18 %, 19 % et 24 % (2012 : 184, 2013 : 392 et 2011 : 3608 respectivement) (20,5 % dans nos données).
69Nous décrivons ainsi les occurrences qui occupent la zone gauche des énoncés, sans forcément être situées à l’initiale absolue. Cette position est nettement majoritaire dans le corpus français : 45 occurrences (soit 76,2 % du total) y apparaissent. La position gauche est également majoritaire en anglais, quoique moins fortement (59 %).
a- Tout début des énoncés
70Le plus souvent (27 occurrences), la particule alors est située à l’initiale absolue des énoncés et est suivie par une construction verbale déclarative. Par exemple (18) :
(18) a. alors c’est vrai que le f~ lui il a envie d’avoir hein toujours plus de chambres [7]
b. alors euh lui quand il dit O K pour le personnel il dit O K pour le personnel pour toute la la partie qui est dans les sous-sols [8]
71De façon minoritaire, alors est lui-même précédé par un élément connecteur en début d’énoncé : c’est ou alors qui arrive en tête (10 occurrences), et alors et mais alors ne totalisant que 5 occurrences en tout.
72Alors peut être suivi par un verbe à l’impératif (19) :
(19) C : mais alors attends dès qu’ils s’ouvrent après tu as le problème de la sécurité pour la personne qui va venir nettoyer [58]
73Il est difficile en ce cas de savoir si la portée de la particule se cantonne à cette forme verbale (alors attends) ou si elle couvre toute la construction qui suit.
74De façon très minoritaire (3 exemples), les particules n’ouvrent pas sur une construction verbale mais sur un morphème isolé ; on trouve voilà à deux reprises, et oui pour un exemple (20) :
(20) a. M : ouais c’est chouette d’accord
C : alors voilà bon maintenant [5]
b. C : alors voilà parce que finalement on en arrive donc on a fait le~ on a parlé du fitness agencement il veut diminuer le nombre d’ascenseurs [22]
c. C : c’est pour ça qu’il a envie de pousser l’ascenseur avancer si possible le monte-charge vers le couloir extérieur alors oui euh n~ n~ en faire un véritable ascenseur client oui c’était ça son idée hein [23]
75Dans ces exemples, alors voilà et alors oui constituent des “petits énoncés”.
76Pour ce qui est du corpus anglais, il ne présente que 5 occurrences de then en position gauche en tout début d’énoncé, non précédé d’un autre mot. Il a alors une valeur de condition/conséquence (21) :
(21) Loc A : we’ll just be too busy
A : then I’ll try and get something if I get time but [JP7, 68]
b- Position gauche, précédé par d’autres éléments
77Il arrive de façon minoritaire que les occurrences de alors situées avant le Noyau soient précédées par d’autres éléments du champ gauche (ou élément prénoyaux).8
78En voici quelques exemples :
79Dans l’exemple suivant, alors est précédé d’un SN qui fournit un cadre temporel (22) :
(22) [le soir]préN. [alors] [ça va être euh ou le jour il y aura un éclairage là ça pourrait être euh]No. [56]
80De même, dans l’extrait de dialogue suivant :
(23) L : mais finalement ces vestiaires là alors
M : plus
L : peut-être qu’ils sont pas
M : sanitaires
L : sont mal placés [17]
81On peut reconstituer la séquence suivante :
mais [finalement]préN. [ces vestiaires là]préN. alors [peut-être qu’ils sont pas sont mal placés]No.
dans laquelle alors, placé avant le Noyau, est précédé de deux éléments prénoyaux (un adverbe apportant un commentaire énonciatif et un SN disloqué avec un statut de “hanging topic”).
82L’exemple suivant est interrompu. La particule n’est pas suivie de la séquence Noyau que l’on attendrait, ce qui n’interdit pas de l’analyser en position gauche (24) :
(24) moi je trouve ça fonctionnerait assez bien hein puisque du coup alors […] [29]
83Ce cas de figure ne se retrouve pas dans le corpus anglais.
c- Après une subordonnée
84La position gauche inclut pour l’anglais les exemples de then corrélés à if, qui représentent 41 % des positions gauches (soit 19 occurrences) (25) :
(25) if you do indeed bring your target times down | then the amount of work which you’re passing over… [JA9, 8]
85Then exprime alors la conséquence. Cette valeur se retrouve également sans marquage explicite de la condition (2 occurrences) (26) :
(26) so you know I’m sure that there would be enough work for a complaint examiner | but whether that would then mean investigators were light is is really [JA9, 14]
86La question est de savoir s’il faut recruter un complaint examiner ou un investigator. Si un complaint examiner est nécessaire, la conséquence n’est pas nécessairement qu’un investigator n’est pas utile.
87Des différences se dessinent entre le français et l’anglais pour la position droite. Peu fréquente en français (10,16 %), elle est par contre bien représentée en anglais (20,5 %). Il est frappant que cette position apparaisse en français prioritairement dans les énoncés peu déclaratifs au plan illocutoire. On trouve :
-
3 questions partielles (en comment et où) (27) :
(27) a. ils vont y aller comment alors [12]
b. comment est-ce qu’on y va alors [50]
c. toi tu le mettrais où alors [34]
-
1 demande de confirmation, suivie de c’est ça ? (28) :
(28) les gens iront aux sanitaires et puis là i~ ils auront de nouveau une porte et ça ça sera le fitness center alors c’est ça [13]
-
1 énoncé faiblement assertif, qui se rapproche d’une demande de confirmation (29) :
(29) c’est au rez-de-chaussée alors [42]
88Sur les 6 occurrences de alors en position droite, une seule a une valeur pleinement assertive (avec un sens de conséquence) (30) :
(30) on va être très grand là finalement c’est on va pouvoir euh gagner des salles alors [49]
89En anglais, la position droite est la deuxième position favorisée, avec des contextes interrogatifs (6 occurrences) (31) :
(31) so have we taken a decision to target Bishopgate then? [JP7, 67]
mais également déclaratifs (4 occurrences) (32) :
(32) we’d be very uncertain if there had been an alarm bells rang then. [JA9, 42]
ou encore dans des fragments (6 occurrences) (33) :
(33) typing then [JA9, 1]
90Les valeurs sémantico-discursives de then en position droite sont variées : temporalité (2 occurrences), conséquence / inférence (9 occurrences), topicalisation (4 occurrences).
91Alors apparaît très rarement en position interne, c’est-à-dire à l’intérieur de l’élément noyau (seulement deux occurrences, soit 3,4 % des occurrences). L’exemple le plus clair est le suivant, dans lequel la particule figure entre le bloc verbal serait-il et l’Objet de être (34) :
(34) ne s~ serait-[il]S pas alors [plus intéressant]O d’y transférer les chambres trente-trois et trente-huit [43]
92Il faut préciser que cette séquence est lue par le locuteur : ce sont les suggestions rédigées par le propriétaire du château à l’attention des architectes. Que la seule occurrence manifeste d’un alors en position interne soit constituée d’un extrait écrit illustre le caractère formel de ce type d’emploi.
93L’autre exemple semble être disfluent (35) :
(35) ne faire qu’une seule alors une seule salle de l’ensemble du bar c’est ce qu’il dit [38]
94Cet énoncé présente un piétinement paradigmatique sur l’Objet du verbe faire, qu’on peut représenter ainsi :
ne faire qu’une seule
alors une seule salle de l’ensemble du bar
95En anglais, la position interne est la position la moins fréquente, mais qui s’élève quand même à 14 % des occurrences de notre corpus, par exemple dans (36) :
(36) what I’ve then done is take account of the various staffing changes [JA9, 4]
96Dans cette position, then peut exprimer la temporalité (4 occurrences), la conséquence / condition (7 occurrences).
97Nous classons à part les occurrences pour lesquelles le rattachement au reste de l’énoncé est particulièrement difficile à établir. 6 exemples sont concernés pour le français et 3 pour l’anglais.
98Nous retenons pour le français que :
-
la plupart des occurrences sont affectées à la position gauche (76 %) ; les séquences initiales en et alors / mais alors sont peu représentées.
-
la position droite - minoritaire – semble associée à une valeur illocutoire de question ou de demande de confirmation (10 %) ;
-
la position interne est très minoritaire (3,38 %) ; elle paraît associée à un registre formel.
99Pour l’anglais :
-
la position gauche est majoritaire également (59 %), quoique de façon moins saillante qu’en français ; elle est dans une grande majorité des cas associée à if (valeur de conséquence) ou and/but (valeur temporelle) ;
-
la position droite est bien représentée et peut être liée également à la forme interrogative, mais pas uniquement ;
-
la position interne est relativement fréquente, sans être particulièrement liée à un registre formel. Then exprime alors la conséquence ou la temporalité.
100Dans la section précédente, nous avons essentiellement considéré les formes alors et then comme morphèmes autonomes mais les corpus révèlent que ces formes donnent lieu à des regroupements réguliers, dont une partie au moins paraissent conventionnels.
101Pour l’anglais, then peut être associé de façon étroite à un coordonnant (and, but), de sorte à ne former qu’une seule unité sémantique, et parfois une seule unité prosodique (réduite, voir 3.3.2). En combinaison avec and, il a majoritairement un sens temporel continuatif (14 occurrences sur 17 de and then), qui se traduirait en français non pas par “et alors” mais par “et puis/ et après” (ou simplement “et”) (37) :
(37) a. I mean you get, straight | no I object to this planning extension | looks fine | and then you start enquiring and all sorts of nasty things appear [JA9, 24]
b. er but if you never the less want to go ahead this year and then fund it yourself from then on | then we we have actually got money available which we can use this year [JA9, 37]
102Mais la valeur de l’expression peut correspondre également simplement à une suite d’éléments dans une liste (2 occurrences) (38) :
(38) Fulford Road eighteen pounds | Presto Main Street Haxby eighteen pounds | another couple at Acomb for twenty pounds and then they also give just a cost for Ripon and Scarborough | so I don’t know about anybody else but that’s cheaper than I expected [JP7, 63]
103And then peut enfin servir à surenchérir (1 occurrence), avec un sens proche de “moreover” (39) :
(39) War on Want almost certainly weren’t at the top of the list | erm and then I think it was Andy actually who said that erm affiliation is something we could do with considering [JP7, 78]
104Associé à un but contrastif, then prend un sens conditionnel paraphrasable par “in that case” (“mais alors/dans ce cas”). But then est parfois renforcé par again pour donner l’expression but then again qui permet au locuteur de répéter son idée dans un sens contradictif, en opposition à l’interlocuteur (40) :
(40) H : well he said that was a possibility but I really | so | but then again | erm but then it starts getting very very silly [JP7, 57]
105Un dernier regroupement trouvé dans notre corpus anglais, plus conventionnalisé cette fois, est now then, qui a un rôle à jouer dans l’organisation discursive et interactionnelle (voir 3.3.4.2).
106Dans le corpus français, nous relevons quatre types de regroupements qui méritent d’être mentionnés de façon spécifique : alors voilà, alors ça, et alors et alors là.
107Le corpus en présente 2 occurrences :
(41) M : ouais c’est chouette d’accord
C : alors voilà bon maintenant(…) [5, ex. simplifié]
(42) C : je pense que c’est bien hein et puis ça compense le manque de salles de réunion
M : comme ils ont ils ont ils ont ça dans l~ dans les hôtels maintenant
C : oui travail au rez-de-chaussée
L : ou le point phone […]
C : alors voilà parce que finalement on en arrive donc on a fait le~ on a parlé du fitness agencement il veut diminuer le nombre d’ascenseurs baisse du coût d’aménagement de d’amé~ baisse du coût d’aménagement et des coûts d’entretien proposition supprimer l’ascenseur restaurant accès principal par l’ascenseur côté salle de réunions [22, ex. simplifié]
108Alors voilà présente un effet de clôture / ouverture thématique. Il signale la transition entre la fin du thème en cours et le début d’une problématique nouvelle. En (41), l’emploi de bon maintenant indique que le locuteur principal désire “passer à la suite” ; en (42), la séquence verbale on en arrive à… produit un effet similaire.
109Cette expression a été décrite comme un type particulier de marqueur de structuration (Hybertie 1996). Le corpus en présente 2 occurrences :
(43) euh O K en ce qui concerne la restauration quelle solution pour l’hébergement circulation linge propre et linge sale oui alors ça il fait des suggestions après donc on va y revenir [9]
(44) est il envisageable de n~ un système de mobile n~ de séparation de la chapelle en deux espaces alors ça c’est on va lui dire non tout de suite [42]
110On note cependant que alors ça ne forme pas dans ces deux exemples un énoncé autonome, mais que la séquence est suivie par une construction verbale : il fait des suggestions (43), on va lui dire non (44). Si bien qu’il n’est pas aisé de savoir si alors a ici une portée étroite, limitée au pronom ça, ou s’il porte de manière classique sur l’ensemble de la séquence placée à sa droite.
111Contrairement aux emplois dans lesquels et joue le rôle d’un connecteur classique (45)
(45) et alors si je supprime l’ascenseur […] je me retrouve avec un petit zigouigoui [18]
112le corpus présente deux énoncés interrogatifs en et alors ? qui semblent dotés d’une valeur pragmatico-sémantique particulière, et qu’on pourrait gloser par “et alors… que veux-tu que ça me fasse ?”.
(46) L : mais j’ai que des portes de quatre-vingt là
M : ouais tu m’as déjà posé la question
L : oui
M : c’est
C : et alors
M : c’est
L : et alors
M : pas un problème
C : non
L : c’est pas un problème [53, 54]
113Enfin, l’ensemble alors là apparaît deux fois :
(47) L : on leur re~ restitue donc euh une zone fonction d’accueil et puis son petit bureau comme il souhaite
C : oui mais alors là tu as éclaté
M : mais pourquoi moi
C : tu es pas en train de manger des chambres là-haut [32]
(48) C : mais alors attends dès qu’ils s’ouvrent après tu as le problème de la sécurité pour la personne qui va venir nettoyer
M : non ils vont être trop
L : ou alors là on était plus
C : bon là
L : au [59]
114Ces expressions conventionnalisées en français (alors là, ça alors) qui ont un fonctionnement particulièrement interactionnel ne possèdent pas d’équivalent en anglais.
115Comme mentionné en 3.1.1.1, dans notre corpus anglais, then est fréquemment corrélé à if pour exprimer la conséquence (19 occurrences) (49) :
(49) my analysis of that situation was that if we were going to achieve our target times | erm | then the theory would seem to be that we ought to make | er | two appointments now [JA9, 5]
116If indique un cadre hypothétique (ici “we are going to achieve our target times”) qui permet de déduire une conséquence (‘we ought to make two appointments now’). Il existe un rapport logique entre l’hypothèse et la conséquence. Le marquage de cette relation est très fort en anglais dans le type de discours étudié.
117Rien d’équivalent n’a été trouvé dans le corpus français. Blanche-Benveniste (2010) note que la formule [si p, alors q] n’est pas attestée dans les corpus de français parlé qu’elle a étudiés.
118Then se trouve également corrélé deux fois dans notre corpus avec so. So se trouve alors en début d’énoncé et a une valeur proche d’un marqueur de discours. Il permet au locuteur de prendre la parole soit pour enchaîner sur ce qui a été dit précédemment, soit au contraire pour partir sur une nouvelle thématique. Then se trouve quant à lui en fin d’énoncé et est redondant avec so, avec un sens de conséquence ou d’inférence très affaibli (50) :
(50) A : I think also if we could have some sort of timings when people could turn up
Loc C: yes sure | okay I’ll knock those up and I’ll have to run that by my household
A: mm yeah
Loc C : so when do you need those by then? [JP7, 52]
119Voir 3.3.4.4 pour l’analyse de ces constructions.
120En français, bien que le plus souvent enchaîné à ce qui suit, alors est souvent phrasé seul dans une unité intonative séparée et qui précède l’énoncé sur lequel il porte (53 % des occurrences). Dans ce cas, son intonation est souvent plate ou très compressée et son registre abaissé par rapport au registre de la phrase sur laquelle il porte (32 % des occurrences, voir figure 2).
Figure 2. Exemple de réalisation prosodique de alors en plateau bas initial avec un niveau de registre plus bas que l’énoncé qu’il introduit
121
122Il arrive toutefois qu’alors porte un contour descendant (18 %). Dans ce cas, ce contour se développe dans la partie basse ou infrabasse du registre, en contraste avec le registre rehaussé de la suite (figure 3).
Figure 3. Exemple de réalisation prosodique de alors avec un contour descendant et un niveau de registre plus bas que l’énoncé qu’il introduit
123
124Dans ces deux exemples, qui illustrent la moitié des cas du corpus (50 %), l’effet produit est de séparation/préparation de l’énoncé, même en l’absence de pause.
125Alors peut également être phrasé avec différentes particules pour former une seule expression plus ou moins figée (voir ci-dessus la section 3.1.2) : et alors, ou alors, alors là, etc. (37 % des occurrences). L’expression dans son ensemble est souvent phrasée dans un syntagme intonatif montant. Si alors est le mot final de l’expression comme dans et alors et ou alors, il porte la montée intonative du constituant (figure 4). Ces expressions contenant alors portent toujours sur l’énoncé qui suit.
Figure 4. Exemple de réalisation prosodique de l’expression ou alors
126
127Dans la figure 4, l’expression est phrasée dans une unité intonative indépendante et alors porte la montée intonative. Dans ce cas, l’expression est phrasée au même niveau de registre que l’énoncé qu’elle introduit.
128Enfin, le corpus CLAPI offre quelques exemples de alors finaux d’énoncés (1 %), soit phrasés en plateau ou compressés dans le bas du registre, le plus souvent à la fin d’une question ou d’une demande de confirmation.
129Dans le cas de la figure 5, alors est intégré à l’unité intonative finale de l’énoncé sur lequel il porte.
Figure 5. Exemple de réalisation prosodique de alors en plateau bas final d’une question
130
131En anglais, plus de la moitié (52 %) des occurrences de then se trouvent en position gauche (G) : then est le plus souvent intégré à une unité intonative plus longue et se trouve au début de l’UI, en position accentuée (A) (il est tonique de tête, c’est-à-dire premier accent) en plage Haute (ton statique (L) dans le registre Haut (H)) ou bien en position inaccentuée (R ou NANR) comme “pre-head”, dans le “Mid”, c’est-à-dire ton statique (L) dans le registre M (if you do indeed bring your target times down / then the amount of work / which… [JA9, 7], voir figure 6).
Figure 6. Exemple de réalisation prosodique de then en position Gauche inaccentuée non réduite (NANR) dans le registre moyen en statique (JA9, 7)
132
133On trouve 14 occurences de then (23 %) en fin d’UI en position post-nucléaire (position Droite donc), plutôt en plage basse (ton statique (L) dans le registre bas (L)) (if it didn’t go up then / I mean in the long term …, voir figure 7) ou en montée (“Rise”).
Figure 7. Exemple de réalisation prosodique de then en position Droite (post-nucléaire) en statique bas (JA9, 13)
134
135Huit occurrences de then (11 %) sont en milieu d’UI en position nucléaire (Noyau, souligné ci-après) comme dans l’exemple de la figure 8 (what I’ve then done | is take account of.. [JA9, 4]), mais pas toujours (Can we just take check then there | ...[JA9, 29]).
Figure 8. Exemple de réalisation prosodique de then en milieu d’UI en position nucléaire ici (JA9, 4)
136
137Enfin 7 occurrences (12 %) forment une unité intonative à elles seules (position prosodique Isolée) et sont donc noyaux. Elles sont toutes codées périphérie gauche en syntaxe et expriment toutes la conséquence, étant toutes liées à if. Elles sont souvent dans le registre moyen (“Mid”) très légèrement montantes ou en statique comme sur la figure 9 (if you work on a seven point five figure | then | you get up to… [JA9, 10]).
Figure 9. Exemple de réalisation prosodique de then en position Isolée (JA9, 10)
138
139La comparaison du traitement prosodique de then et alors montre des différences importantes. En français, les occurrences isolées de alors sont beaucoup plus nombreuses que les occurrences isolées de then en anglais. En outre, then est dans ce cas lié à if pour exprimer la condition, mais alors n’est pas lié à une autre conjonction et a plutôt un rôle d’introducteur de tour, de topique ou d’énoncé (voir les nuances sémantiques dans la section 3.3 ci-dessous). Au contraire, les occurrences finales d’énoncés se ressemblent dans les deux langues, occupant une position post-focale en fin d’unité intonative. Le plus petit nombre d’occurrences d’alors comparé à then dans ce cas est peut-être dû à des différences de style entre les corpus français et anglais : ce dernier pourrait comporter plus de questions ou de demandes de confirmation, qui sont les types d’énoncés qui présentent des alors/then en position finale dans les deux langues.
140La répartition des différents profils sémantiques et discursifs est présentée dans la figure 10 :
141Pour alors les chiffres sont similaires à ceux de Degand & Fagard (2011 : 44) qui ont trouvé pour le corpus VALIBEL 63 % d’emplois “métadiscursifs” et 35 % d’emplois dans des contextes de cause ou condition.
Figure 10. Distribution sémantique/pragmatique/discursif
142Alors est susceptible de prendre une valeur temporelle, comme dans (51) :
(51) J’ai rencontré Pierre en 1987. J’étais alors une jeune étudiante. (Hybertie 1996, cité Le Draoulec & Bras 2007)
143Cependant notre corpus ne fait aucun usage de ce type d’emploi, que ce soit dans sa valeur temporelle de concomitance (cf. à ce moment-là) ou de succession immédiate (cf. ensuite, après). Il faut toutefois noter que le corpus n’est pas narratif, ce qui ne favorise évidemment pas le recours à cette valeur sémantique. On pourrait faire l’hypothèse que la valeur temporelle de alors soit (soit devenue ?) un fait de “grammaire seconde”, peu susceptible d’apparaître dans la langue conversationnelle quotidienne (Blanche-Benveniste 1990). Contrairement à ce qui s’observe pour l’anglais avec and then, le fait de faire précéder la particule de et (et alors) ne facilite pas son interprétation temporelle.
144Dans le corpus anglais, qui comporte certains passages narratifs (un locuteur fait le bilan des opérations successives par exemple), then est par contre régulièrement utilisé pour sa valeur temporelle (21 occurrences). Il est alors fréquemment combiné avec and dans un sens continuatif (voir 3.1.2). Au niveau prosodique, then dans son sens continuatif n’est jamais en position de noyau et jamais à droite de l’UI. Il est très souvent réduit (52), et tout particulièrement lorsqu’il est combiné à and, les deux éléments étant souvent phonétiquement indissociables.
(52) | half the work has been done on all erm files then outstanding | [JA9, 8]
145Lorsque then est temporel, il peut avoir une portée locale (i.e. il peut porter sur un élément à l’intérieur de l’énoncé plutôt que sur l’énoncé dans son ensemble), bien que ce soit peu fréquent. C’est le cas dans l’exemple qui précède.
146Dans sa valeur temporelle, then peut occuper toutes les positions possibles (53) :
(53) a. Droite : no because we didn’t have them then [JP7, 49]
b. Interne : the secretary then gave a briefing on the big box pile up campaign [JP7, 48]
c. Gauche (tous les cas de combinaison avec and) :
well after after the big box pile up I’m I’m free on the Green Party | and then the elections and then get our act together [JP7, 69]
147Les valeurs modales vont de la condition à la conséquence d’une part et à l’inférence d’autre part.
148Pour le français, nous avons considéré comme conséquenciel / inférentiel les occurrences dans lesquelles alors peut être remplacé par du coup, en conséquence, en ce cas). Cette valeur sémantique apparaît minoritaire en français (10 occurrences, env. 17 % des cas). Par exemple (54) :
(54) c’est presque un accès privatif euh du fitness center sauf que les gens qui sont là pour aller au restaurant ils sont obligés d’aller dehors alors ils seront peut-être tentés [15]
149Il est remarquable que dans 6 des 10 occurrences (soit la majorité des exemples interprétés comme marquant la conséquence ou l’inférence), a) l’énoncé est interrogatif ou faiblement assertif, et b) la particule est placée ailleurs qu’en position initiale. Le plus souvent elle est en position finale ; par ex. (55) :
(55) ils vont y aller comment alors [12]
comment est-ce qu’on y va alors [51]
c’est au rez-de-chaussée alors [42]
150Dans un seul cas, déjà mentionné en 3.1.1.3, alors est réalisé en position interne, entre le bloc sujet-verbe et l’attribut du sujet (56) :
(56) mais il peut sortir sur l’extérieur ça c’est sûr si l’on supprime la descente au moins un à cet endroit ne s~ serait il pas alors plus intéressant d’y transférer les chambres trente-trois et trente-huit [43]
151Il sera intéressant d’étudier plus avant l’hypothèse d’une relation privilégiée entre position linéaire, valeur sémantique et type d’acte illocutoire.
152Nous avons rencontré dans le corpus anglais 4 cas clairs dans lesquels then était paraphrasable par in that case. Dans ces contextes, il ne se traduira pas par “alors” en français, mais par “dans ce cas”. Dans deux exemples, then est en combinaison avec because (because then = “parce que dans ce cas”) et évoque une condition (57).
(57) as you say it’s the sort of thing that might appeal to people because then they can go and look at their poster [JP7, 66] (= “parce que dans ce cas / ? alors ils peuvent aller voir leur poster”)
153Dans un cas, il forme une expression complexe avec even (even then = “même dans ce cas”), avec une valeur concessive (58) :
(58) D : oh | we’re we’re only talking about complaints examiner I think |
R : or complaint examiner | but even then the investment in that person if they come at the end of the year go | I I would say | what a waste [JA9, 17] (even then = even if we are talking about a complaints examiner; en français, “même dans ce cas” / *“même alors”)
154Trois occurrences sont difficiles à classer, entre condition et conséquence, qui constituent dans tous les cas une suite logique (59) :
(59) Loc C : we’ll just be too busy
A : then I’ll try and get something if I get time but [JP7, 68]
155Then peut ici se paraphraser par “in that case”.
156Then à valeur de conséquence est particulièrement fréquent dans notre corpus anglais : nous trouvons au total 33 occurrences de then exprimant la conséquence (ce qui représente plus d’un tiers des exemples relevés), dont 19 en combinaison avec if et 14 seul. Le then corrélé avec if ne trouve pas d’équivalent français dans notre corpus.
157Quant à la réalisation prosodique pour ce then à valeur de conséquence, elle est très variable. On le trouve dans toutes les positions, et il peut être accentué ou non, réduit ou non, en position nucléaire ou non. Ce qu’il est intéressant de noter cependant est qu’à l’exception d’un even then et d’un now then (les deux en position Isolée avec then comme noyau), seul le then de conséquence est en position de noyau dans notre corpus (8 occurrences, ex (60)) :
(60) what I’ve then done | is take account of the various staffing changes [JA9, 4]
158Il est donc aussi le seul avec even then et now then à être en position Isolée (5 occurrences, ex (61)) :
(61) if further investigators leave us | then | we wouldn’t be seeking to replace them [JA9, 27]
159Dans le corpus anglais, nous pouvons également dire que 7 occurrences de then ont un sémantisme d’inférence plutôt que de conséquence (même s’il est parfois difficile de faire le départ entre les deux). Dans ce cas-là, le locuteur fait une déduction personnelle d’après ce qu’il sait de la situation (62) :
(62) is that reflected in the cumulative figure then? [JA9, 2]
160Les valeurs discursives regroupent tout ce qui a trait au déroulement du discours : le marquage du topic et la gestion des tours de parole.
161Alors acquiert une valeur discursive dans la majorité des occurrences : 35 sur un total de 59, soit presque 60 % des cas. Pour ce qui est de l’anglais, on trouve 9 occurrences de then sur 78 avec une valeur discursive, soit 11,5 % des cas.
162La figure 11 ci-dessous représente le nombre d’occurrences en position initiale/finale/médiale de tour ou en position isolée pour 100 tours de parole.
- 9 Sont comptés comme tours de parole toutes les interventions sauf celles qui ne contiennent que des (...)
Figure 11. Distribution dans les tours de parole9
163Les premiers mots du document français sont les suivants (63) :
(63) alors c’est bon alors je vous explique un petit peu voilà alors le projet au niveau du plan masse euh tu l’avais vu ce plan masse toi hein [1, 2, 3]
164Cela montre que alors peut apparaître en tout début d’interaction, ce qui semble impossible en anglais. Il prend la valeur d’un marqueur d’ouverture, qu’on pourrait gloser par “on y va !”
165Alors initie un tour de parole à 23 reprises (39 % des cas). La particule paraît souvent liée à la gestion des thèmes en discussion dans l’interaction. Par exemple, dans l’extrait suivant (64), alors prend un effet de “clôture-ouverture” : le locuteur (leader de l’interaction) met fin au thème de discussion en cours et en impose un nouveau : cf. alors il y a quand-même une autre chose à vérifier.
(64) L : parce que il faudrait qu’il desserve que deux niveaux en fait parce qu’on peut l’accéder on y arrive au rez-de-chaussée nous on voulait euh donner euh un un un accès un peu confortable pour le~ toute la partie hébergement qui est quand même majoritaire dans cet angle là du bâtiment
M : oui oui pour aller au restaurant
L : et euh pour aller au restaurant mais c’est vrai que c’est pas indispensable
C : alors il y a quand même une autre chose à vérifier c’est que ce ces chambres là n’ont qu’un~ une issue de secours [11]
166Dans cet autre extrait (65), la séquence alors tu en étais où là initie le retour à la thématique précédente :
(65) C : parce que c’est que quand il a un grand groupe ils se réuni~ ils vont tous se réunir au bar ce qu il le~ lui permettra de faire des salles de de réunion
M : d’accord
C : dans le restaurant
M : d’accord
C : je pense que c’est pour ça
M : d’accord
C : mais il faut qu’on réorganise quand même tout ça
M : alors tu en étais où là supprimer la double circulation au niveau du bar [26]
167Dans ce troisième passage (66), en produisant bon alors, le locuteur invite ses collègues à revenir à la discussion “sérieuse” après un court moment de distraction (cf. “revenons-en à nos moutons”) :
(66) M : oui en fait i~ ce qui e~ o on descend là c’est ça donc euh ce qu’il ce qu’il veut c’est récupérer ça récupérer en fait euh ça
L : la moitié hum
C : oui ça c’est possible ça
L : hum
M : du coup ça fait vraiment étroit
L : hum ne dessine pas sur ces plans
M : ah pardon i~ une fois
L : je me suis fait gronder déjà
C : bon alors
L : mais comme ça oui je peux avoir mon petit mon petit palier qui va sortir et puis garder juste [45]
168Pour l’anglais, then est très rarement en position initiale de tour de parole dans notre corpus (4 exemples) et ne semble pas particulièrement lié à la prise de parole, même s’il peut permettre au locuteur de rebondir sur ce que vient de dire l’interlocuteur. C’est ce qui se passe lorsque then exprime une conséquence/condition (il est alors paraphrasable par “in that case” : 3 occurrences) (67) :
(67) R : we we we even had a party on faxing, didn’t we? which I suspect has lapsed
D : then we should fax the home one page letters [JA9, 40]
169Then n’agit pas ici comme un marqueur de discours. S’il permet au locuteur de rebondir sur le discours précédent, c’est en tant qu’ayant un sémantisme plein de conséquence/condition. Dans l’une des trois occurrences, then est associé à because et sa position en début de tour est fortuite.
170La quatrième et dernière occurrence de then en position initiale de tour se trouve en combinaison avec now (68) :
(68) A : get to try and choose site | right
H : erm now then it gives us a erm a price here which I think is weekly [JP7, 62]
171L’expression now then, qui s’est lexicalisée, permet ici au locuteur de prendre la parole tout en annonçant un nouveau topic (il serait l’équivalent en français de “bon alors” / “alors voyons”). Au niveau prosodique, now then se trouve ici Isolé avec un noyau en chute.
172Alors apparaît à l’intérieur d’un tour de parole à 31 reprises, soit dans 52,5 % des cas. La particule semble jouer le rôle d’organisateur discursif, dont le fonctionnement reste à décrire de manière plus précise. Nous nous contenterons de donner deux extraits (69, 70) qui contiennent chacun un passage dans lequel le locuteur lit à voix haute les consignes rédigées par le propriétaire du château (entre guillemets) ; prenant place juste après la partie lue, l’emploi de alors initie un commentaire personnel du locuteur à propos des consignes en question :
(69) voilà il est là donc conception générale donc lui « premier point projet actuel quarante-deux chambres dont tra~ trente-quatre belles chambres et huit cellules c’est un strict minimum qu’il serait souhaitable de pousser un peu si possible » alors c’est vrai que le f~ lui il a envie d’avoir hein toujours plus de chambres les seuls g~ gains qu’on peut avoir euh mais qu’on pourrait étudier qu’après c’est dans les toits [7]
(70) en gros hein prévoir des locaux de service O K pour le personnel « sauf euh salle de repos et repas manque bagagerie lingerie bureau administration entretien stockage mobilier logement gardien » alors euh lui quand il dit O K pour le personnel il dit O K pour le personnel pour toute la la partie qui est dans les sous-sols ici hein [8]
173On relève une occurrence de alors placée à l’intérieur d’un tour de parole qui a une portée sémantique étroite, limitée au SN le soir placé à sa gauche (71) :
(71) ouais ben c’est surtout et le soir alors ça va être euh ou le jour il y aura un éclairage là ça pourrait être euh [56]
174Dans notre corpus anglais, c’est en milieu de tour de parole que nous trouvons la très grande majorité des then (63 occurrences = 81 %), par exemple au milieu d’un long monologue du leader. Ils peuvent également se trouver en milieu d’un énoncé unique d’un locuteur (par exemple en corrélation avec if pour introduire la deuxième partie de l’énoncé). En d’autres termes, then est très peu utilisé en anglais pour marquer un changement de tour de parole. S’il n’a pas une valeur temporelle ou modale (conséquence/condition), il aura une fonction plutôt discursive. Notre corpus anglais comporte 9 occurrences de then avec une valeur liée à l’organisation du discours (principalement le marquage du topic). Ainsi dans (72) il s’agit de donner un nouveau tournant à la conversation et la particule joue ici un rôle cadratif :
(72) Loc A : possibly it is but it’s not a na proper signature | it’s a photocopied signature |
should we not accept an original
D : oh | got to have some bits of writing somewhere
Loc B : [laugh]
R : the act doesn’t refer to signatures does it?
Loc A : oh it does actually | yes | I have
D : okay | anything else on the green team?
Loc A : I’m not bothered either way as long as I can read it
R : right
D : looking at | looking at Marlene’s minutes then | page one [JA9, 41]
175Dans le contexte antérieur, les interlocuteurs se demandent si le document a été fait en bonne et due forme et commentent un problème potentiel lié à la signature. David, qui est le leader, demande ensuite si les autres ont quelque chose à dire ; personne n’a de remarque, donc il reprend le fil en annonçant le point suivant.
176Lorsque then sert à orienter le discours, il se trouve en position droite de l’énoncé. Cette position semble privilégiée en anglais pour le marquage du topic. Ainsi, il ne serait pas possible de faire passer then dans les exemples ci-dessus en position initiale d’énoncé (ce qui peut s’expliquer également par le fait que nous avons ici un fragment d’énoncé et non un énoncé complet) : ainsi, then dans les exemples (33) et (72) ne peut être placé à gauche (*then typing ; ??then looking at Marlene’s minutes). C’est cette même valeur que prend then en combinaison avec now en position gauche, en début d’énoncé (voir 3.3.4.2), mais aussi en combinaison avec but … again (pour former l’expression but then again).
177La position de alors en fin de tour est minoritaire : 5 occurrences, soit 8,5 % des cas. Cf. supra 3.1.1.2 pour quelques remarques sur les aspects interactionnels.
178En anglais, 9 occurrences de then se trouvent en position finale de tour, i.e. à la fin d’un énoncé juste avant la prise de parole d’un autre interlocuteur. Then a alors pour objectif de passer la parole à l’interlocuteur, comme dans (73) :
(73) G : performance and my sub team | of course they can clear more complaints than your sub teams | they’re getting the dross in
D : well they shouldn’t do cos cos Richard’s got Sarah
R : yes that’s right
G : well, | Marlene then | sorry | well you’ve got
M : […] [JA9, 26]
179Le locuteur revient sur Marlene et entend lui céder la parole (même si ce n’est pas immédiat). Cette fonction est claire également lorsque then se trouve à l’intérieur d’une interrogative (74) :
(74) Loc A : so when do you need those by then?
A : erm er middle of next week I suppose roughly [JP7, 52]
180Ce cas de figure est très majoritaire dans les fins de tours de parole (7 exemples sur 9), ce qui n’est pas étonnant : une interrogative dont la force illocutoire est une demande d’information terminera naturellement un tour de parole. Dans ces cas, then se trouve en périphérie droite et a une valeur modale inférentielle ou récapitulative (3 occurrences) ou encore une valeur de conséquence (4 occurrences). Le locuteur déduit quelque chose de la situation / de ce qui a été exposé auparavant et attend de son interlocuteur qu’il lui confirme (ou pas) son sentiment.
181On notera également dans l’exemple (74) ci-dessus la présence de so en début d’énoncé. Notre hypothèse, qui resterait à confirmer, est que so et then se partagent les tâches pour ce qui est des tours de parole : so est utilisé en début d’énoncé (en corrélation ou non avec then en fin d’énoncé) pour permettre au locuteur de reprendre la parole en orientant la conversation vers la thématique qu’il souhaite, alors que then est plutôt utilisé en fin d’énoncé pour céder la parole à l’interlocuteur. So, et non then, serait donc l’équivalent du alors en tête d’énoncé lorsque celui-ci a pour fonction de permettre au locuteur la prise de parole. So et then partagent d’ailleurs un sémantisme commun de conséquence.
182En ce qui concerne le marquage des tours de parole, nous retiendrons que then est utilisé, tout comme alors en français, essentiellement en fin d’énoncé et dans un énoncé de type interrogatif afin de céder la parole à l’interlocuteur. En début d’énoncé par contre, il semblerait qu’il ait besoin d’un autre support (comme now) pour assumer une fonction en lien avec les tours de parole, tandis que alors est très fréquent dans cette position pour marquer la prise de parole.
183Voici une rapide synthèse des principales caractéristiques de then et alors relevées dans notre corpus :
-
En termes de fréquence globale, alors parait notablement plus fréquent que then (3,46 ‰ contre 2,84 ‰).
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En ce qui concerne la position de alors et then dans les énoncés, la position gauche est majoritaire dans les deux langues, mais elle est plus nettement privilégiée en français qu’en anglais (76,2 % contre 59 %). En français les occurrences en position gauche apparaissent pour la plupart en début absolu d’énoncé, alors que l’anglais fait régulièrement précéder la particule de connecteurs (and, but). La position à droite des énoncés est plus fréquente en anglais qu’en français (20,5 % contre 10,6 %). Dans cette position, les occurrences de alors apparaissent prioritairement dans des énoncés interrogatifs ou peu déclaratifs au plan de leur valeur illocutoire. Cette tendance est moins saillante en anglais. Enfin, la position interne aux énoncés est quasiment absente du corpus français (ou bien elle paraît relever d’un style très soutenu), alors qu’elle est bien attestée en anglais (même si elle demeure la position la moins fréquente dans notre corpus).
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Alors et then se trouvent parfois employés en combinaison avec d’autres morphèmes : un regroupement récurrent en anglais consiste à faire précéder la particule du connecteur and ou but ; à l’inverse, les suites et alors / mais alors sont marginales dans le corpus français. D’autres regroupements paraissent davantage conventionnalisés : par exemple. now then, alors ça, alors là… Ces emplois – dotés d’une valeur très interactionnelle - ont la particularité de ne pas trouver d’équivalent direct dans l’autre langue.
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Au plan prosodique, alors est dans plus de la moitié des occurrences phrasé seul dans une unité intonative séparée et qui précède l’énoncé sur lequel il porte. L’intonation est dans ce cas très compressée, soit dans un registre abaissé, soit dans un contour descendant. Pour l’anglais, cette position est rare, on ne la trouve que dans des occurrences de then associé à if (dans ces cas, then sera alors porteur d’un mouvement mélodique, une chute ou une montée). A la différence du français, then est le plus souvent intégré à une unité intonative plus longue et est le plus souvent statique dans le registre moyen (“mid”) ou bas (“low”). Les séquences regroupées (ou alors, alors là) sont souvent phrasées dans un syntagme intonatif montant en français, alors qu’elles sont plutôt prononcées sur un ton statique et très réduites en anglais (and then, but then). Lorsque la particule apparaît en position droite, les caractéristiques intonatives sont assez semblables dans les deux langues et présentent un phrasé en plateau ou une réalisation compressée dans le bas du registre.
-
Les valeurs sémantiques associées à la particule présentent des différences remarquables entre les deux langues : une valeur de temporalité est régulière dans le corpus anglais, mais totalement absente du corpus français : la différence s’illustre clairement entre and then, régulièrement temporel et et alors, qui ne l’est jamais. Une valeur modale conséquentielle / inférentielle se trouve pour alors, mais de manière minoritaire (17 % des emplois). Elle apparaît le plus souvent en position finale et associée à une valeur interrogative ou faiblement assertive. Then introduisant une conséquence/inférence est en revanche particulièrement bien attesté (55 %). Cette valeur se réalise souvent sous la forme d’une structure corrélative en if… then dont on ne trouve pas d’équivalent en français (le regroupement si… alors est totalement absent de nos données). L’anglais présente quelques occurrences dotées d’un sémantisme proche de la condition, inconnu du corpus français.
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Les valeurs “discursives” (au sens large) sont très fréquentes pour alors (60 % des occurrences) alors qu’elles sont peu représentées en anglais (9 exemples en tout). Pour le français, alors est susceptible d’être produit en tout début d’interaction, comme marqueur d’ouverture, ce qui semble impossible pour then. Le placement de la particule en début de tour de parole révèle des différences : fréquent en français, où alors est souvent lié à la gestion des thèmes en discussion ; très rare en anglais, langue dans laquelle then semble ne pas pouvoir marquer la prise de parole, sauf en association avec un autre morphème (now then). En anglais, then apparaît majoritairement en milieu de tours de parole (81 % des cas) où il constitue essentiellement un marqueur de topic. C’est en fin de tour que then prendra le plus fréquemment une valeur interactionnelle de gestion des tours, marquant le passage de la parole à l’interlocuteur (en association avec la forme interrogative).
184Nous avons vu dans la section précédente que notre étude contrastive pointe des similitudes entre alors et then, mais aussi des différences. Tant then que alors ont développé au long des siècles de nouvelles polysémies similaires, à partir d’un sens temporel déictique, suivant des tendances déjà observées dans beaucoup de langues (cf. Heine & Kuteva 2019). Nous observons que les deux expressions ont évolué dans le même sens : temporel > modal > discursif et interactionnel. Pourtant il semble que then aurait évolué bien moins qu’alors. D’abord, l’usage le plus fréquent de then (86 %) est temporel ou modal, avec peu d’usages purement discursifs, contrairement à alors pour lequel 59 % des occurrences concernent l’organisation de l’interaction. Ensuite, alors est plus fréquent dans le discours que then, ce qui reflète un usage discursif, abstrait, qui rentre dans un très large éventail de contextes. De même, le nombre plus élevé de regroupements avec alors n’est pas surprenant étant donné son niveau de désémantisation plus important. Enfin, nous observons des régularités dans l’emploi de alors par rapport aux tours de parole : alors est employé régulièrement en début de tour, tandis que la position de then dans le tour ne manifeste aucune régularité. Il est possible que then continue à évoluer dans le même sens que alors. En même temps, nos données suggèrent l’hypothèse que plus leur sens devient abstrait et discursif, plus les deux expressions divergent. C’est là une question pour une recherche ultérieure sur une quantité de données plus importante.
185Pour les deux expressions, la position médiale est devenue progressivement moins fréquente de sorte que, dans les langues modernes, elles se trouvent de plus en plus souvent en périphérie. Une question qui se pose alors est de savoir s’il y a une relation étroite entre ces changements, sémantiques et syntaxiques, et dans l’affirmative, si l’évolution sémantique a précédé ou suivi le changement de position.
- 10 [T]he analysis seems to reveal that the appearance of new syntactic positions precedes the occurren (...)
186Degand et Fagard (2011) décrivent comment, à partir du XIIIe siècle, alors adverbe temporel a évolué vers des emplois causaux et ensuite conditionnels en position gauche. Ils observent une corrélation, d’une part entre la position médiale et le sens temporel (ce sens est presque absent du français parlé contemporain, tandis qu’il représente 88 % de leurs occurrences en vieux français (2011 : 49)), et d’autre part entre la position gauche et les emplois causaux et métadiscursifs, ces derniers étant les plus récents. La position droite reste dans leurs données très minoritaire. Degand et Fagard observent que le mouvement vers la position gauche semble précéder le changement sémantique, cette dernière étant largement majoritaire en moyen français alors que 65 % des occurrences sont toujours temporelles.10 La position pourrait donc favoriser le développement du sens de cause-conséquence, par une inférence que l’idée suivant alors est la conséquence de la précédente.
- 11 Selon van Kemenade & Links, Þonne establishes a causal link in imperatives and conditionals, indica (...)
187Dans une étude de trois adverbes temporels en vieil et moyen anglais, van Kemenade & Links (2020 : 10) trouvent que le vieil anglais Þonne (“then”) sert, entre autres, comme particule pour introduire le résultat anticipé dans la construction conditionnelle.11 Þonne survit en moyen anglais (devenant then) en position médiale comme adverbe temporel et également comme connecteur discursif établissant un lien de cause-conséquence, avant de commencer à être employé en position finale (2020 : 19). Ces observations suggèrent que le développement du sens de conséquence a précédé le changement de position. D’ailleurs l’emploi comme connecteur de conséquence est maintenu en position finale déjà en moyen anglais (Haselow 2012 ; van Kemenade & Links 2020), alors que la position finale de alors serait récente. C’est encore une question pour des recherches futures.
188Cette étude repose sur un petit corpus et peu de locuteurs. Nous avons vu pourtant que les fréquences et les distributions trouvées vont dans le même sens que d’autres études antérieures de ces particules. Notre étude a servi à identifier les pistes à explorer sur une quantité de données plus importantes et un échantillon de locuteurs plus grand. Il faudra également élargir l’étude à d’autres expressions de la périphérie dans le but d’explorer les points communs et les divergences entre périphérie française et périphérie anglaise. Par exemple, sur le plan sémantique, à quel point d’autres paires d’expressions, de sens très proches en français et en anglais dans le domaine propositionnel, développent-elles des emplois similaires dans la périphérie ? La réponse peut aider à identifier les motivations, cognitives ou discursives, etc., des extensions d’usage. Sur le plan prosodique, dans quelle mesure dans les deux langues les prosodies des particules se différencient-elles selon la position et/ou selon le sens ? Quant aux positions des particules périphériques par rapport à l’hôte, est-ce que pour les deux langues il est possible d’identifier des correspondances ou des tendances en commun ?