Navigation – Plan du site

AccueilHors-sérieHors-série 33«  La mer ne nous appartient plus...

«  La mer ne nous appartient plus  !  »

Quotas individuels transférables, marchandisation des ressources marines et processus de désappropriation des espaces maritimes en Islande (1991-2011)
Emilie Mariat-Roy

Résumés

L’instauration d’une politique de gestion des ressources marines par Quotas individuels transférables (1990) en Islande 1990 a eu des conséquences multiples et des implications profondes dans les activités de pêche et les représentations que les pêcheurs se font de leur environnement de travail et de leur métier. Dans cet article, nous focaliserons notre attention sur la pêche artisanale à bord de petites embarcations, qui a joué un rôle très important dans la relance ou le maintien de l’activité de pêche dans des régions dépendant étroitement du secteur de la production halieutique. Les difficultés qui touchent le monde des pêches artisanales sont consécutives d’une marchandisation des droits à produire au fondement d’une reconfiguration de l’activité de pêche. Nous entendons montrer jusqu’où cette marchandisation de l’accès aux ressources marines met à mal ce qui est au fondement de l’activité de pêche dans sa dimension la plus concrète et la plus fondamentale et stratégique : non seulement la production collective d’un savoir pratique sur le milieu maritime, mais aussi la reconnaissance, au-delà de la sphère professionnelle, de sa légitimité. Cet article se divisera en quatre parties : après avoir exposé quelques éléments de cadrage, nous analyserons l’évolution des pratiques de pêche à bord de petites embarcations entre 1990 et 2010 ; nous reviendrons sur le développement des petites embarcations pour une viabilisation des communes littorales ; nous montrerons ensuite comment les QIT ont transformé les valeurs du poisson et celle du travail ; enfin, nous terminerons avant de conclure par l’identification et l’analyse des processus de «  dés-appropriation  » et d’«  ensauvagement  » des espaces maritimes.

Haut de page

Texte intégral

  • 1 FMA n° 38/1990
  • 2 Il a été inscrit le 15 mai 1990 dans les Lois des Pêches que les ressources marines étaient le Bien (...)
  • 3 En 2011, les 18 plus importantes compagnies détiennent 72 % des TAC nationaux.
  • 4 Une «  taxe sur la ressource marine  » (Veiðigjaldið) avait été votée une première fois par le Parl (...)
  • 5 À «  specialized-fish exporting country  », pour reprendre les termes de l’historien Magnús S. Magn (...)

1Dans cet article, nous exposerons une réflexion menée sur la base de matériaux ethnographiques peu exploités à ce jour et collectés principalement avant et après la crise financière islandaise (2005, 2006 et 2011), à propos de formes de désappropriation de l’espace maritime en Islande. Cet article mettra l’accent sur le rapport au métier éprouvé par des pêcheurs artisans dans des régions dans lesquelles l’activité de pêche à bord de petites embarcations a nettement régressé. Dans le contexte islandais, cette forme de désappropriation pourrait être appréhendée à deux niveaux : d’une part, au niveau de la profession, pour les pêcheurs souhaitant maintenir leur activité, elle est consécutive d’un abandon de l’activité de pêche par des collègues endettés ou désireux de vendre leurs droits de pêche dont la valeur financière n’a cessé d’augmenter depuis l’instauration des Quotas individuels transférables (QIT) au début des années 1990 avec l’instauration du Fisheries Management Act1. La diminution des flottilles sur zones a entraîné pour les pêcheurs actifs dans les régions est et ouest une perplexité quant à l’efficacité de l’exercice d’une activité pour la réussite de laquelle des informations doivent être quotidiennement échangées. D’autre part, au niveau national, dans un pays dans lequel les ressources marines sont considérées historiquement comme le Bien de la Nation2 (Þjóðareign), la concentration des droits à produire dans des entreprises3, et le ressentiment nourri à l’égard d’un profit supposé insuffisamment redistribué participent d’une impopularité grandissante des QIT bien au-delà du secteur des pêches. Une partie de la population islandaise se sent ainsi spoliée et dépossédée d’un Bien prétendument national. Ce mécontentement a été exacerbé au lendemain de la crise financière de 2008 dans le sillage de laquelle les pouvoirs publics ont voulu faire en sorte que les profits réalisés sur la vente des produits halieutiques fassent l’objet d’une redistribution par le biais d’une nouvelle «  taxe sur la ressource  »4. Nous ne traiterons pas ce dernier aspect, mais il est important de signaler que dans un pays «  spécialisé dans la production halieutique5  » et dont la santé économique dépend des revenus des pêches à l’exportation, la pêche est considérée comme étant l’affaire de tous et de chacun.

  • 6 Les Islandais ont été sous domination danoise jusqu’en 1918, année où l’Islande devient un territoi (...)
  • 7 Les flottilles de pêche anglaises, françaises, belges, allemandes, féringiennes et néerlandaises.
  • 8 Ces tentatives nationalement ovationnées ont fini par être couronnées de succès et ont donné lieu à (...)

2La Nouvelle-Zélande et l’Islande sont les deux premiers pays ayant instauré une politique de gestion des ressources marines par Quotas individuels transférables pour s’engager dans une gestion de type marchand (market-based fisheries management) des ressources marines avec l’instauration de droits à produire devenus cessibles, divisibles et transférables. La Nouvelle-Zélande a instauré ce régime en 1986 et l’Islande en 1990 : elles ont ainsi fait l’objet de plusieurs études rétrospectives critiques (Dewee etYandle, 2003, Eythorsson 2003) à l’aune d’une confrontation des effets attendus avec les effets réels desdites politiques. En Islande, l’instauration du Fisheries Management Act entérinait un processus de financiarisation de l’accès aux ressources marines, de marchandisation du droit à produire et d’individualisation des pratiques de pêche qu’il était essentiel d’étudier au prisme de l’histoire du développement d’un système de production halieutique étroitement lié à l’extension progressive des eaux territoriales islandaises. En effet, si les Islandais avaient dès la Première Guerre mondiale tiré profit6 de l’absence de flottilles de pêche concurrentes7, au lendemain de la Déclaration d’Indépendance du pays le 17 juin 1944, ils n’ont cessé de revendiquer l’extension de leurs eaux territoriales, ce qui suscita plusieurs guerres de la morue avec les Britanniques, pourtant concurrents et alliés commerciaux de première importance8.

  • 9 En 2018, le volume total d’exportation des produits de pêche était de 670,775 tonnes et représentai (...)

3Ces cas d’études que sont l’Islande et la Nouvelle-Zélande sont au cœur de travaux sur les processus d’enclosure (Dolsak et Ostrom, 2003), de «  rationalisation  » de l’exploitation des ressources marines (Winder, 2017) et sur les conséquences de la privatisation de l’accès aux ressources par QIT sur des communautés littorales (Lowe et Carother, 2008) dont l’économie entière repose sur les productions et ventes des ressources halieutiques9. Ces études, portant un fort accent sur la dimension sociale de ces nouveaux outils de gestion, sont révélatrices, ici et ailleurs, de ce que les maîtres d’œuvre des politiques avaient jusqu’alors relégué au rang d’«  externalités  », «  avec une conception atomisée, sous-socialisée de l’action humaine  » (Granovetter, 2000, p. 178). Nous estimons que l’instauration des QIT est à la base d’une forme de rupture d’un contrat social dont les conséquences sur le long terme restent à explorer ; ce que nous nous proposerons de faire dans cet article pour l’Islande, où les habitants des villages littoraux ont le sentiment vis-à-vis de l’État islandais, d’être passés du «  tous pour un  » au «  chacun pour soi  » :

«  The overarching problem is that ITQs constitute the privatization of a public good that profoundly alters the social contract between fishing communities and the state a contract that has been in place for centuries in many European countries. The subsequent social transformation is very costly to the state and its citizens in the long term and remains largely unexamined in the literature  » (Pinkerton, 2015, p. 120).

  • 10 «  En 2011, on estimait à près de 4 600 les personnes actives dans les activités de capture soit 2, (...)

4Il reste de mise de dire qu’il y a un «  avant  » et un «  après  » l’instauration des QIT en Islande, où l’activité de pêche demeure essentielle pour les économies nationales et régionales10. Si des membres du secteur des pêches commerciales, des pouvoirs publics et des citoyens islandais le considèrent, c’est que les QIT ont eu des effets considérables non seulement sur le secteur des pêches lui-même, sur les conditions de production et de vente des produits halieutiques et sur la société islandaise tout entière, avec une possible remise en cause du caractère national de ressources marines considérées comme le «  Bien de la Nation  » (Eign Þjodarinnar). C’est donc doublement, à la fois au plan national et au plan local, que le titre de cet article «  La mer ne nous appartient plus  !  » peut être appréhendé. Nous ne nous focaliserons donc pas ici sur les controverses ayant eu lieu pendant la décennie 1990 et sur lesquelles les anthropologues Gisli Palsson, Agnar Helgason puis Niels Einarsson sont revenus. Leurs travaux ont analysé l’infraction aux droits humains fondamentaux et à la liberté de travail posée par une privatisation de l’accès aux ressources marines dénoncée publiquement et portée à grands renforts médiatiques devant la Cour internationale de justice de La Haye, ou encore les conflits soulevés par une inégale redistribution des recettes du secteur des pêches remettant en cause la dimension de bien commun historiquement constituée des ressources marines tout au long du XXe siècle, en contexte colonial (jusqu’en 1944) puis postcolonial (Einarsson 2011 ; Palsson 1998 ; Helgason et Palsson 1997).

5La mise en place des QIT en 1990 a eu des conséquences multiples et des implications profondes dans les activités de pêche et les représentations que les pêcheurs se font de leur environnement de travail et de leur métier. Nous mettrons au jour des aspects qui mettent très directement en lumière les conséquences des désaffections en cascade de pêcheurs artisans dans les régions est et ouest, là où dans d’autres régions, la pêche à bord de petites embarcations s’est maintenue, pour parfois connaître un développement à la base d’une forme de renouveau de l’activité locale (Dobeson 2019 ; Mariat-Roy 2014).

  • 11 Nous n’avons pas fait référence ici à des travaux s’intéressant non plus à la mer, mais à la notion (...)

6Nous souhaiterions rapprocher cette étude des travaux qui traitent de la spécificité de la notion de territoire. Appliquée à la mer, cette notion prend une acception de nature historique et sociale pour la première fois clairement mise en évidence par les anthropologues Bonnie Mac Cay et James Acheson (1987) puis sera appréhendée par les géographes11 en tant qu’outil de gestion (Ollivro 2016) avec notamment des enjeux de territorialisation (Trouillet, 2015) liés à «  une montée en puissance de processus multisources d’appropriation des mers  » (Trouillet, 2015, p. 51) ; elle s’inscrira désormais dans le sillage de la mise en place de nouvelles politiques de gestion des ressources marines soumises à des emprises technocratiques et bureaucratiques croissantes. Notre attention se focalisera sur les rapports à l’environnement et au métier de groupes de professionnels des pêches maritimes, car en l’occurrence, les politiques islandaises de gestion des ressources marines, si elles visent autant à assurer la renouvelabilité de la ressource qu’à accroître la rente du secteur des pêches, ont une incidence très nette sur le rapport au métier et à la mer des professionnels. La crise qui touche le monde des pêches artisanales et industrielles est consécutive d’une marchandisation des droits à produire au fondement d’une reconfiguration de l’activité de pêche, que l’anthropologue Courtney Carothers a qualifié de «  Tragedy of Commodification  » (2010) des pêcheries du golfe d’Alaska. Nous entendons montrer jusqu’où cette tragédie propage son onde de choc en mettant à mal, par diverses entraves, complications et restrictions, ce qui est au fondement de l’activité de pêche dans sa dimension la plus concrète et la plus fondamentale et stratégique : non seulement la production collective d’un savoir pratique sur le milieu maritime, mais aussi la reconnaissance, au-delà de la sphère professionnelle, de sa légitimité.

Cadrages méthodologiques, définitionnels et temporels en vue d’une prise en compte située du système pêche

  • 12 À l’exception notable de travaux pionniers en géographie halieutique de Jean Rieucau (1983), de Jea (...)
  • 13 Nous tenons en particulier à mentionner l’article du juriste Helgi Gretarsson qui a procédé à un ét (...)
  • 14 Les travaux du géographe Julien Noël en sont un bon exemple (Noël, 2011).
  • 15 Cette sélectivité est attestée par plusieurs études scientifiques (Biseau et al., 2016, p. 158)
  • 16 En usage de manière saisonnière pendant l’été

7Cette étude est ancrée dans le sillage de travaux engagés dans une approche des pêches en tant que système dont les termes ont été posés en premier lieu dans les nombreux travaux de recherche portant sur des pêcheries en Afrique de l’Ouest (Fay, 2000 ; Rey et al, 1997 ; Fay, 1994 ; Quensière 1994 ; Chaboud et Fontana, 1992). Nous nous référerons à la définition du système-pêche donnée par Gisli Palsson : « The ‘fishing system’ includes catching operations, processing and distribution  » (Palsson, 1991, p. 165). Cette étude rejoint plus particulièrement des travaux d’anthropologie maritime engagés dans des ports français – en métropole et dans les outre-mer – exposés à une même politique menée à l’échelon national et susceptible de révéler une unité et une diversité du système pêche dans ses déclinaisons et variantes locales à l’échelle d’une région dans l’Atlantique-Nord : Saint-Pierre-et-Miquelon et îles de la Madeleine (Geistdoerfer, 1987a) ; ports de Manche orientale tels que Boulogne-sur-Mer et Étaples notamment (Deldrève, 1996). Concernant les travaux menés dans l’aire atlantique-nord, elle rejoint aussi des travaux peu nombreux12 appréhendant la pêche en tant que fait social total incluant des dimensions sociales, environnementales, économiques et techniques, non moins que politiques et juridiques13. En cela nous partageons pleinement le point de vue de Tarik Dahou selon lequel «  l’insertion dans les politiques publiques et les rapports de pouvoir internes et externes  » aux collectivités «  sont particulièrement négligés  » (Dahou, 2007, p. 37) dans l’étude des transformations dans la gestion des pêches. Ce, bien que ces aspects aient été soulevés en tant qu’enjeux à part entière en 1998 à l’issue du colloque « Mutations techniques des pêches maritimes : agir ou subir  ?  » (Danic et al., 1999) sous l’angle d’une analyse de l’intervention des pouvoirs publics «  par l’intermédiaire d’une structuration et d’un encadrement des institutions professionnelles et paraprofessionnelles  » (Danic et al., 1999, p. 7), en dépassant l’étude classique du champ d’intervention de l’administration maritime pour orienter l’attention vers les recherches scientifiques et les politiques des pêches, ce que redéploieront des travaux initiés en sciences politiques Camille Mazé (Mazé et al., 2017) ou en écologie politique (De la Croix et Mitroi, 2020). Dans le contexte islandais, il était primordial de comparer, de port à port, les modalités locales d’appropriation des politiques publiques pour suivre comment, en retour, certaines réponses apportées localement ont, par le relai de réseaux professionnels, eu un impact sur les politiques nationales (Mariat-Roy, 2015), lesquelles ne sauraient être appréhendées indépendamment de rhétoriques environnementales globales diffusées à l’échelon international sur les vertus des « petites pêches » ou small-scale fisheries14 pratiquées avec des engins réputés plus sélectifs15, à faible impact tel que la palangre de fond ou la palangrotte16 et jouissant en Islande d’un apriori très positif. Ces dernières années, des discours environnementalistes émergeant dans un contexte décliniste et dans une rhétorique des effondrements ont eu, en Islande, un écho favorable pour l’Association nationale des armateurs de petites embarcations (Landssamband Smábátaeigenda) qui a joué un rôle de premier plan dans le processus de réallocation des TAC nationaux par les pouvoirs publics en faveur des petites embarcations, devenues dans certaines régions touchées par les fuites de quotas de pêche, les seules possibilités de relancer une activité économique locale. Cette appréhension des modalités d’appropriation des ressources marines à plusieurs échelles et sur la base d’une étude multisite a été indispensable en vue de rendre plus intelligible et pertinente la manière dont ces discours sont appropriés dans un contexte donné, en résonnance avec une histoire nationale singulière. La présente réflexion repose ainsi sur l’étude d’une des composantes du système dans la définition qu’en donne Gisli Palsson : celle de l’appropriation des ressources marines dans le sillage de l’instauration des QIT.

8Ces recherches ont été l’occasion de plusieurs embarquements à bord d’embarcations de pêches artisanales et industrielles, allant de quelques heures à une dizaine de jours en mer. Cette part du terrain s’imposait, en effet : «  Comment travailler avec des gens qui vivent en mer les deux tiers de leur vie sans les accompagner  ?  » (Geistdoerfer, 1988, p. 30) Cet aspect est absolument crucial, car c’est sur la base des relations sur zones entre flottilles et entre professionnels que nous avons observé les modalités d’exercice de ce qui demeure une activité profondément collective à la réussite de laquelle la contribution de chacun apporte sa robustesse, et génératrice de formes de sociabilité propres notamment entre pêcheurs professionnels armant depuis le même port de pêche. Ces terrains ont été réalisés dans sept ports de pêche, par l’étude approfondie de deux villages de la région des Fjords de l’Ouest ; puis de manière extensive dans deux villages dans l’Ouest et trois dans les Fjords de l’Est ; ce, pour comparer l’évolution des localités et en identifier les déterminants selon le degré de dépendance à l’activité de pêche. Cette diversité de configurations locales a révélé une variabilité des effets des politiques gouvernementales sur laquelle nous allons revenir.

  • 17 La période de référence communément invoquée au plan juridique est celle allant du 1er novembre 198 (...)
  • 18 Le calendrier pour les espèces pélagiques (hareng, capelan) n’est pas le même

9Dans le système-pêche, un nouvel objet est venu s’adjoindre à l’activité de production conditionnée par l’appropriation des ressources marines pour la précéder et en conditionner la réalisation légalement : le quota de pêche (kvotinn) ou Taux admissible de capture (TAC) individuel est alloué à une embarcation munie d’une licence de pêche. Depuis 1984, un armateur détient une portion individuelle fixe du TAC national par espèce ou quota share attribuée sur la base de l’expérience de pêche des embarcations, c’est-à-dire sur une moyenne des captures pendant trois ans17. Le quota ou part attribuée à une embarcation est fixe mais les volumes de captures, TACs ou catch quotas, varient d’une année sur l’autre en fonction des préconisations des biologistes marins dont l’avis est consultatif. Chaque 1er septembre18, le pêcheur se retrouve ainsi muni du quota dont il devra tirer le meilleur parti pendant les douze prochains mois et dont la Direction des Pêches islandaises (Fiskistofa) et ses antennes locales assurent et contrôlent le suivi en temps réel port par port. Ce nouvel objet, le quota de pêche, est un maillon stratégique de l’activité locale et met en relation divers publics directement et indirectement concernés par le bon fonctionnement de l’activité de pêche : les acteurs du secteur des pêches, les comptables des armements, les banquiers, les élus locaux et les habitants des villages littoraux. Au-delà de ces publics, les habitants de grandes villes ou de la capitale Reykjavik ont aussi un avis sur ce qui a trait à la distribution de la ressource sous forme de quotas ou de recettes des pêches.

10Objet de recherche à part entière, les quotas de pêche sont devenus non seulement le dénominateur commun de toutes les activités de pêche, mais du fait de leur autonomisation financière progressive au fil des années 1990, ils constituent un artefact essentiel de l’environnement social, économique, juridique et politique de l’activité de pêche qui agit sur les manières de pratiquer et de penser la pêche aux échelons nationaux et locaux et qui, localement, au cours d’une année de pêche, dicte le rythme de l’activité.

11La dimension temporelle constitue une dimension essentielle de cette réflexion pour mettre en évidence des jalons marquants des politiques nationales, avec les aménagements successifs apportés par les pouvoirs publics depuis 1984 puis pendant les années 1990 et 2000, avec le tournant décisif de 1991, puis de manière plus marginale après la crise financière de 2009.

  • 19 Ce nouveau cadre allait succéder et élargir la gestion à l’ensemble des espèces commerciales, car d (...)

12Revenons très brièvement sur l’évolution des politiques islandaises de gestion des ressources marines depuis l’instauration des Taux admissibles de captures individuels attribués aux embarcations de pêche à partir de 1984. Les pouvoirs publics ont instauré une gestion par contingentement des ressources dans le cycle d’une année de pêche pour les principales espèces démersales d’importance commerciale en 198419 : principalement par quota dans le cadre du système des quotas classiques ou aflamarkskerfið ou dans le système de pêche à l’effort appelé aussi «  système des jours de pêche  » ou dagakerfið caractérisé par un quota annuel de jours de sortie en mer. Ces mesures devaient initialement durer un an, mais ont finalement été reconduites pour une durée indéterminée, car l’état des stocks n’était pas jugé satisfaisant. À cette époque, seules les petites embarcations saisonnières de moins de six tonneaux de jauges brutes (TJB) n’étaient pas sous le régime des quotas, ce qui sera jugé plus tard comme une des nombreuses «  zones grises  » du système islandais de gestion des pêcheries (Grétarsson, 2010). En 1991, avec l’application du Fisheries Management Act (FMA or FMA no. 38/1990), les quotas deviennent divisibles, cessibles, et transférables, pour accélérer la restructuration du secteur en facilitant les possibilités de transfert des quotas de pêche entre les embarcations. En théorie, ce modèle devait profiter aux armateurs les plus compétitifs et, moyennant l’obtention d’une contrepartie financière, les propriétaires d’embarcations les moins compétitifs devaient cesser leur activité et vendre leurs quotas.

  • 20 Pour un aperçu réflexif et synthétique sur les thèmes croisés de la surpopulation mondiale et de la (...)

13Deux périodes de gouvernance peuvent être identifiées de façon rétrospective, l’une entre 1990-2004 et l’autre après l’année 2004. La première peut être qualifiée d’innovation, de restructuration et de rationalisation sur la base de critères financiers et économiques avec l’instauration de mesures assorties de quelques garde-fous et de réajustements dont l’objectif était d’enrayer les effets immédiats supposés des QIT de concentration des QIT dans quelques grandes entreprises d’armement. La seconde peut être qualifiée de période de réappropriation par le politique de ses prérogatives, avec une reprise en main gouvernementale et l’élaboration de politiques plus attentives au sort des habitants des villages littoraux, dont l’aboutissement sera les mesures instaurées en 2004 par lesquelles les pouvoirs publics alloueront une proportion des TAC nationaux à la pêche à la palangre à bord d’embarcations moins de 15 tonneaux jauges bruts. Une dernière mesure emblématique, instaurée en 2009, au lendemain de la crise financière, et portant sur les «  pêches côtières  », expression qui jusqu’alors n’avait jamais été employée par les pouvoirs publics pour qualifier les pêches pratiquées à bord de petites embarcations, doit être enfin mentionnée. Cette dimension temporelle inscrit cet article dans le sillage de recherches rétrospectives et critiques sur les politiques publiques notamment suscitées par une rhétorique décliniste20 et sur leurs effets, en vue d’en évaluer autant l’efficacité que les incertitudes qu’elles sont suscitées, analysant aussi la faiblesse de certaines articulations entre société, économie et environnement.

  • 21 Nous n’aborderons pas ici le secteur des pêches pélagiques, qui a ses caractéristiques et son calen (...)

14La dimension cyclique était à prendre en considération et les terrains ont été menés sur le cycle d’une année de pêche qui, pour les principales espèces commercialisées21, dure du 1er septembre au 31 août de l’année suivante. Cette donnée est cruciale, car elle détermine les niveaux d’activité locale : plus l’année avance, moins il reste de quotas ; il a été possible d’identifier des cycles d’activités saisonniers s’inscrivant dans des cadres pour les uns, environnementaux, en lien avec la capture de certaines espèces à des périodes définies de l’année – par exemple, le loup de mer Anarhicas lupus et le lompe ou grosse poule de mer Cyclopterus lumpus –, et dans des cadres plus strictement économiques et financiers, avec une année de pêche qui va de pair avec un amenuisement progressif du quota et nécessite des réajustements en termes de gestion de l’activité.

15Enfin, ces recherches, par les principes méthodologiques mobilisés, ont permis de mettre à mal un certain nombre d’idées reçues notamment sur les notions de local, de small-scale fisheries et de relations entre pêche artisanale et pêche industrielle, qui reste un sujet peu étudié, à l’exception notable de l’article d’Yvan Breton (1994). Ainsi, des entreprises «  locales  » n’ont plus rien de familial : elles sont devenues en quelques années des entreprises quiritaires «  étrangères  » dont les fondateurs ont fini par céder leur part à de nouveaux actionnaires. Ces travaux ont permis d’identifier une pêche à bord de petites embarcations (de moins de 15 tonnes) armées à la pêche industrielle et non à la pêche artisanale. Cet armement de petites embarcations par des armateurs à la pêche industrielle a permis d’identifier une catégorie de travailleurs inédite : celle de pêcheurs non-artisans affiliés à la pêche industrielle, matelots à bord de petites embarcations.

Des pêches reconfigurées : un développement canalisé des petites embarcations pour une viabilisation des communes littorales

16L’une des conséquences les plus connues des QIT en Islande a été dès le début des années 1990 un phénomène de concentration des droits de pêche dans de grosses sociétés d’armement et de transformation, avec pour contrepartie des zones sinistrées, tout particulièrement la région des Fjords du Nord-Ouest, qui a perdu de très importantes quantités de quotas après que les dirigeants de sociétés d’armement/transformation les ai vendus au prix fort. Les conséquences de ces « fuites  » de quotas ont été telles que des bateaux et des usines sont devenus des coquilles vides, car les quotas avaient été vendus, parfois par des armateurs-transformateurs locaux implantés depuis plusieurs décennies, plongeant les habitants dans une inquiétude plus vive encore du fait de leur dépendance vis-à-vis de l’activité de pêche : «  il fallait rester pour pêcher ou bien pêcher pour rester  » (Ounanian, 2019, p. 13). D’anciens capitaines de pêche et matelots à la pêche industrielle sans emploi se sont lancés dans l’armement d’une petite embarcation jaugeant entre six et douze tonneaux jauges bruts, d’abord sur un mode saisonnier. Ils sont venus grossir les rangs des pêcheurs artisans locaux, fils d’artisans. Les premiers, du fait de leur formation et qualification, avaient déjà une connaissance de la pêche locale et une maîtrise des équipements électroniques du bord ; les autres étaient moins avantagés en termes de ressources et d’aptitude techniques, mais avaient pratiqué la pêche de temps à autre en période estivale. Parmi ces nouveaux venus, seuls ceux qui avaient pratiqué la pêche pendant l’été avaient déjà des antécédents historiques de pêche sur leur embarcation. C’est une recomposition de la population des pêcheurs à bord de petite embarcation qui a eu lieu devant l’urgence, non seulement de «  se créer un emploi  » mais aussi de créer de l’emploi en embauchant du personnel pour la préparation et la maintenance des palangres de fond, en amont des opérations de pêche, et de créer de l’emploi dans l’usine de transformation locale ou dans l’atelier d’ébreuillage attenant à la criée locale. Si tous disent «  être partis  » de zéro, ils ne forment pas un groupe homogène. L’option techno-économique retenue par ces armateurs étaient étroitement surveillée par des responsables de collectivités locales ruinées soucieux d’une circulation du poisson et d’un profit redistribué à partir d’un quota de pêche qui soit créateur d’emploi pour produire de la valeur «  sur place  » (heima). Les habitants ont fait face, d’autant plus qu’ils se sentaient délaissés par les pouvoirs publics. Ces localités sont devenues des foyers de résistance dans lesquels un éthos de l’auto-détermination tout puissant allait se développer. Ce phénomène a été relevé dans d’autres villages de l’Atlantique-Nord affaiblis par une restriction des droits à produire : «  Although self-reliance is a well-known trait among rural communities, it also reveals a perception that higher state authorities are unlikely to intervene  » (Ounanian, 2019, p. 15).

17Dès le début des années 1990, le nombre de petites embarcations a été multiplié par deux. Leur régime d’exploitation était encore en dehors du système des quotas auquel elles ont été progressivement agrégées à partir de 1995. Le développement d’une petite flottille de pêche a été le résultat d’initiatives locales reprises en partie par les instances politiques et traduites en juridictions ayant eu d’abord un effet positif et stabilisateur pour les ports de pêche les plus touchés. Il était jugé impératif de stabiliser l’activité de pêche face à des quotas de plus en plus volatiles au gré de l’augmentation de leur valeur au kilogramme, le plus cher entre tous restant le quota de cabillaud. Si peu après l’instauration des QIT, pour éviter des phénomènes de concentration attendus, les pouvoirs publics avaient fixé des plafonds de part de TAC national par espèce et par entreprise, un processus de concentration des droits de pêche était amorcé, qui était partiellement mené à terme par des contournements réalisés avec la création de sociétés filiales. En tout état de cause, les pouvoirs publics étaient inquiets de ces «  épées de Damoclès  » pesant sur de nombreux villages dont les habitants se sentaient en sursis de ventes aux recettes toujours plus vertigineuses, avec un capital économique créé historiquement localement en un village donné, accumulé au fil de plusieurs décennies et devenu désormais sans racine (rootless capital) (Bromley, 2005), c’est-à-dire susceptible de migrer vers une autre société basée en un autre lieu/région.

18Dès le début des années 1990, la viabilité des communes rurales littorales est devenue une source de préoccupation des pouvoirs publics mise en évidence assez tôt par l’anthropologue Niels Einarsson (Einarsson, 1993). Si la culture et la société ont longtemps été considérées, à l’aune du discours économique dominant prôné par les experts et maîtres d’œuvre des QIT (Hannesson, 2004 ; Neher et al., 1989), comme « externalités  » non pertinentes, les gouvernements successifs ont légiféré graduellement pour contenir les effets d’un laisser-faire en théorie au profit d’une optimisation de la rente nationale de pêche et d’une stabilisation de l’activité, en réalité dévastateur.

19Face à l’augmentation rapide du nombre de petites embarcations, les pouvoirs publics vont progressivement légiférer sous l’impulsion d’initiatives locales relayées par des partis politiques et par l’Association nationale des propriétaires de petites embarcations (LS) créée en 1984, devenue en quelques années l’adversaire de l’Association des Armateurs d’Islande, créée en 1911. Les petites embarcations, dont la taille et le nombre ne vont plus cesser d’augmenter, passant de 6, à 10 puis à 12 tonneaux, seront progressivement cantonnées dans un régime de QIT propre à la petite flottille. Les captures de poisson pêché à la palangre ont un prix supérieur sur le marché et sont en général vendues par l’entremise de la criée locale à des usines de transformations extérieures à la localité. Des quotas de pêche vont être successivement mis en place pour le cabillaud (1995), puis pour le loup de mer et l’églefin (2001). Pour contenir et contrôler cet essor, les pouvoirs publics vont créer en 2004 le «  Petit Système  » Litla Kerfið pour les embarcations jaugeant moins de 15 tonneaux Jauges Bruts, avec des quotas spécifiques prélevés sur les TAC nationaux, les «  Petits quotas  », moins chers au kilo que les «  Grand Quotas  » ou quotas du « Grand système  » Stóra Kerfið des embarcations de tonnage supérieur armées en général à la pêche industrielle. L’objectif est alors de maintenir le soutien à la pêche artisanale dans des localités fragilisées, en interdisant un transfert de quota du «  Petit système  » vers le «  Grand système  » pour éviter que les armements puissants ne siphonnent ce fonds dédié à la petite flottille. La création de ce régime va de pair avec un contrôle de l’exercice de pêche par l’imposition des engins de pêche : dans le « Petit système  », les armateurs ont pour obligation de pêcher à la palangre de fond ou à la palangrotte/ligne à main (jig). Pour ceux qui détiennent une licence, ils auront le droit de pêcher le lompe au filet maillant entre mars et mai/juin. Ces petites embarcations d’un genre nouveau, les smábátar, fonctionnent à l’année et sont équipées de puissants moteurs. À leur bord travaillent généralement deux hommes, qui embarquent 24 cuves de 500 hameçons chacune. Un homme travaillant seul embarque 10 à 12 cuves.

20Dans le contexte d’une protection et d’une consolidation des pratiques de pêche à bord de petites embarcations par les pouvoirs publics, soutenue par une opinion publique favorable à une plus juste redistribution du TAC national, on a d’abord assisté à une période d’embellie, c’est-à-dire d’occupation des espaces maritimes en continuité avec l’activité de pêche saisonnière et artisanale dans des zones familières progressivement élargies collectivement à bord de ces petites embarcations nouvelle génération plus puissante. À cette période d’épanouissement dans la pêche artisanale va correspondre une augmentation nette du nombre de petites embarcations, une densification significative des flottilles en mer et une orientation des professionnels vers une stratégie d’exercice de l’activité de pêche à l’année.

  • 22 Au moment de la création du système des quotas en 1984, les professionnels avaient le choix entre d (...)

21Pendant la même période, trois éléments vont largement contribuer à assurer une prise de contrôle appariée à une standardisation des régimes administratifs d’affiliation des flottilles et à une uniformisation des pratiques. En premier lieu, on a assisté à la disparition en quelques années des pêcheurs artisans qui armaient à l’année une embarcation de fort tonnage composée d’un équipage de plusieurs hommes, embarcation qui était bien souvent polyvalente et amplement mobile ; les quotas du Grand système des pêches auxquels ces embarcations avaient été affiliées au moment de la création du système des quotas en 1984 ont été peu à peu rachetés par des sociétés du secteur industriel ; ensuite, les pêches saisonnières migrantes, qui étaient pratiquées depuis des décennies à bord de petites embarcations de pêche à la palangrotte ont régressé massivement à partir de 2004. Du fait de la création du « Petit système  », ces embarcations qui étaient affiliées au «  Système des jours  » dagakerfi appelé aussi «  Système de pêche à l’effort  »22, ce dernier ayant été aboli, de nombreux artisans voyant leurs «  jours de pêche  » convertis en quotas et se sentant lésés au terme de cette conversion, ont cessé leur activité. L’arrêt des pêches migrantes estivales, qui généraient débarquements et recettes dans les ports des Fjords du Nord-Ouest pendant l’été a constitué un manque à gagner important et une forme de rupture de relations professionnelles entre des pêcheurs qui, venus de différentes régions, se retrouvaient de manière cyclique pour parcourir ensembles les mêmes zones de pêche. Enfin, l’obligation de débarquement dans les 24 heures suivant leur sortie en mer des embarcations de faible tonnage pour des motifs sanitaires de fraîcheur du poisson quelle que soit la saison, a contribué à une restriction des itinérances notamment estivales.

  • 23 Le lompe est une des très rares espèces sous licence et non sous-quota

22Entre les années 1990 et 2004, on a abouti à une uniformisation des modalités techniques et juridiques des pêches dont le revers a été un appauvrissement consécutif d’une mono-spécialisation des activités, avec pratiquement les mêmes espèces pêchées toute l’année à l’aide des mêmes engins, à l’exception du lompe pêché au filet maillant entre mars et juin pour les pêcheurs détenteurs d’une licence23. Les pêcheurs déplorent cette perte de polyvalence, qui veut dire beaucoup en termes de pertes de ressources techniques et économiques et de connaissance des zones de pêche. On a abouti à une redéfinition des modes d’occupation des espaces maritimes à l’année consécutive des obligations de débarquement, qui ont entraîné une sédentarisation des activités, avec des pêches de proximité appelées heimaveidar, doublées d’un abandon des pêches migrantes estivales. Ces changements vont alimenter une forme de distanciation vis-à-vis du métier, avec un horizon qui va se «  refermer  ».

Du poisson réel au «  poisson virtuel  » : quand la créature échappe à ses créateurs

23Les transformations qui vont affecter le secteur des pêches dès les années 1980 vont avoir, avec l’instauration des quotas, des contrecoups très importants qui seront de deux ordres : l’un, celui d’une envolée financière d’une ressource devenue un bien marchand dont la valeur ne cessera d’augmenter, l’autre, celui, en rendant les quotas cessibles, divisibles et transférables, de porter au second plan une valeur travail indissociable de l’exercice de la pêche. Ces contrecoups, analysés dès 1998 par Gisli Palsson, joueront un rôle de premier plan dans ce processus de mise à distance vis-à-vis de la mer qui affectera les professionnels des pêches.

24Il est nécessaire de revenir sur le premier qui, avec l’autonomie d’un quota devenu capital, aura des conséquences directes sur les restrictions d’accès à la pêche, avec des quotas de plus en plus chers dans un système dont les professionnels diront qu’ils se «  verrouille  » et qui sera à l’origine d’une des plus extraordinaires bulles spéculatives de l’histoire des finances au début des années 2000. Dans leur article «  Iceland : crisis and regional development – Thanks for all the fish ?  », Karl Benediktsson et Anna Karlsdóttir (2011) retracent l’essor et la chute du secteur des finances islandais et l’associent à la restructuration du secteur des pêches dès 1984. Dans cette trajectoire vers une économie de moins en moins réelle, la réforme de 1990 constitue une étape décisive vers un «  capitalisme de marché débridé  » (Benediktsson et Karlsdóttir, 2011, p. 231). Benediktsson et Karlsdóttir rapportaient les propos d’un économiste néolibéral renommé vantant un «  miracle économique islandais  » : « We activated capital that was dead before. The fish stocks did not have a price tag. […] here in Iceland, capital was handed over to private owners, and then it became alive » (Benediktsson et Karlsdóttir, 2011, p. 231). Des économistes, des idéologues et des hommes politiques ont promulgué leur version islandaise du néo-libéralisme dans un pays dans lequel une «  idéologie de l’égalité sociale  » (Broddason et Webb, 1975) reste très forte à l’instar d’autres pays scandinaves. La privatisation était «  la  » solution pour faire advenir une richesse qui «  dormait  ». Ce discours est resté vigoureux, même en pleine crise financière (Arnason, 2008). «  The solution was privatization. Furthermore, quotas themselves come to have value when people can buy, sell and trade them » (Durrenberger et Palsson, 2015, p. xvi). Ces richesses auraient en outre la particularité d’être renouvelables ce qui ne serait jamais le cas du pétrole (Arnason, 2008, cité par Durrenberger et Palsson, 2015, p. xvi). En 2002, la valeur des QIT est arrivée à l’équivalent de plus de 40 % du GDP du pays. Privatisation dont pourtant jamais le nom n’a été prononcé, alors même qu’avec la marchandisation de l’accès aux ressources marines, il s’agissait plutôt d’une «  métaphore de propriété  » (metaphors of property) (Eythorsson, 1998) dont les effets étaient similaires à ceux d’une réelle privatisation.

  • 24 Les quotas de 1984 ont été établis sur la base de la période de référence 1981-1983 ; ceux de 1990 (...)

25Le second contrecoup a résidé dans le fait de mettre à mal une représentation de la valeur travail, indissociable de l’exercice même de la pêche, qui fait que c’est par la capture que le poisson devient marchandise : «  traditional Icelandic conceptions of common rights in fish incorporate the notion that fish can only be transformed into commodities through the act of catching  » (Palsson, 1991, pp. 44-46). Désormais, la situation est telle que c’est le poisson encore non pêché dont le quota est devenu le substitut qui fait l’objet de transaction marchande : «  In contrast, the idea that individuals or companies can own and sell rights to fish that have yet to be caught or even spawned – the crux of ITQ management – horrifies many fishers  » (Helgason et Palsson, 1994, p. 458). Devenu droit à produire marchandisé, autonomisé au plan financier, le quota n’est plus ce qu’il était dans sa définition première, à savoir une autorisation de pêche fixée sur la base de l’expérience ou antécédent historique de pêche d’une embarcation pendant une période de référence – correspondant aux trois dernières années d’activité. L’«  expérience de pêche  » qui servait d’étalon pour déterminer le volume de quota attribué à une embarcation n’est plus, ce qui signifie désormais que les nouveaux entrants, là où leurs prédécesseurs avaient reçu un quota en référence au travail effectué24, doivent désormais «  s’acheter du travail  » kaupa sér vinnu, ce qui créera une inégalité de situation financière entre les pêcheurs, les premiers ayant été «  les mieux servis  ». Surtout, cet état de fait a longtemps été un argument brandi pour dénoncer une marchandisation immorale qui réduit à néant la capacité individuelle et collective des pêcheurs à s’approprier les zones de pêche pour rendre cette dernière efficace et produire des recettes. Pour reprendre Helgason et Palsson: «  Fishers often challenge the privileging of capital over labour. Arguing that was their labour that “created the quotas” in the first place […] emphasizing that fishers were the makers of fishing history » (Helgason et Palsson, 1994, p. 459). Cet accaparement des ressources marines sera assimilé à l’aliénation d’un bien dont il est écrit dans les Lois des pêches et dans la Constitution islandaise qu’il est le Bien de la Nation. Il a été plus vivement critiqué encore au lendemain de la crise économique de 2008, où l’idée de spéculation sur les ressources marines au détriment du travail réel dans la pêche est revenue sur le devant de la scène politique et médiatique.

26Plus concrètement, les politiques successives de réallocation à l’échelon national des TACs nationaux ont généré localement de multiples formes d’instabilité, source de nouvelles précarités dans les secteurs industriels et artisanaux. Nous nous focaliserons encore sur les artisans pour l’illustrer. Ainsi, entre le début et la fin des années 1990, les réductions sur les quotas de cabillaud ont été d’une ampleur telle qu’il a fallu aux pêcheurs acheter des quotas supplémentaires pour maintenir une activité régulière. La réduction des TAC nationaux a provoqué un endettement lourd des pêcheurs artisans, considérablement aggravé par la crise financière de 2008, laquelle va contraindre les pêcheurs artisans à cesser leur activité. En corollaire de ces réductions de TAC nationaux, pendant la même période, les prix des quotas de pêche s’étant envolés, on a assisté à l’amorce d’une phase de déclin d’une pêche artisanale au profit d’une pêche industrielle pratiquée à bord de petites embarcations, consécutive de l’augmentation des prix des quotas de pêche au kilo dans un «  Petit système  » toujours plus prisé et d’un 2e phénomène de concentration des QIT. Ce «  Petit système  » créé à l’origine pour soutenir des particuliers a fini par être infiltré par les sociétés de pêche industrielle, tout notamment basées dans le Sud-ouest où se trouvent la criée d’Islande, le port de Reykjavik et l’aéroport de Keflavik, et qui expédient leur poisson sur glace non transformé au prix fort.

  • 25 Une «  année de pêche  » commence le 1er septembre et se termine le 31 août de l’année suivante, po (...)

27Ces processus vont contribuer, pour la flottille des petites embarcations, tous secteurs confondus, à une précarisation des conditions de travail des pêcheurs, voire, par période, à une stigmatisation inédite des pêcheurs artisans. À la fin d’une année de pêche25, moins de quota dira, pour les pêcheurs artisans, moins de main-d’œuvre, car moins de lignes à poser avec une activité de plus en plus solitaire, des sorties plus espacées, le passage de la palangre de fond à une ligne à main ne nécessitant pas la maintenance d’une ligne de fond. Ce pour «  faire durer  » son quota jusqu’à la fin de l’année en cours en travaillant au moindre coût. Moins de quotas dira, pour les embarcations de pêche industrielle, moins, puis plus aucune sortie en mer, avec des embarcations à quai pour le restant de l’été et une usine de transformation en «  pause estivale  », avec des employés «  en vacances forcées  ». L’été, qui était autrefois une période de grande effervescence, notamment avec les pêches migrantes, est devenu une saison de marasme, avec une distension des liens sociaux et le surgissement de conflits cycliquement précipités par l’octroi d’un quota d’aide. Ces conflits opposent les directeurs des usines d’armement et de transformation, les pêcheurs artisans, ces derniers n’ayant pas les faveurs des élus locaux, qui préfèrent attribuer le quota à ceux qui font transformer le poisson «  sur place  » (heima), en créant ainsi de l’emploi et de «  la valeur  » sur place. L’été est devenu cette période de l’année pendant laquelle culmine un processus d’individualisation des pratiques de pêche. Il s’agit d’une double peine pour des artisans endettés pour certains, qui, stigmatisés de manière cycliques, vivent avec difficulté ces périodes pendant lesquelles ils se sentent mis à mal. Le pêcheur s’est par moment effacé derrière l’image du stakeholder, c’est-à-dire du détenteur de quota.

28C’est aussi l’avenir de la profession d’artisan qui est en jeu désormais. Le QIT menace la reproduction de groupe de professionnels et ne résout en rien le problème de l’incertitude en mer, qu’il contribue au contraire à aggraver. Il est devenu un prérequis juridique pour pouvoir pêcher, mais, quand les pêcheurs sont moins nombreux sur zone, l’efficacité technique et sociale de leur activité est mise à mal. La valeur financière du quota, ou la dette, d’une autre façon, vont constituer autant de freins à la reprise, ce qui entraînera des ruptures dans la transmission des savoirs sur les territoires de pêche. Les jeunes seront de moins en moins nombreux à s’entraîner à la pêche à la palangrotte pendant l’été et, ce faisant, la mer sera de moins en moins « l’école de la vie  » qu’elle avait toujours été.

  • 26 Ce «  Système des pêches côtières  » actif pendant la période estivale seulement a pour conséquence (...)

29Les QIT seront source de multiples ruptures auxquelles autant de mesures de réparations/compensations progressivement mises en place par les pouvoirs publics tenteront de remédier. En témoignent les initiatives et dispositifs déployés par les pouvoirs publics dès l’implémentation du Fisheries Management Act, qui inquiètent beaucoup les professionnels pour qui les possibilités de poursuivre ne dépendent plus que des politiques publiques, avec des parts prélevées sur le TAC dédiées à des fonds spéciaux pour venir en aide aux villages littoraux : les quotas d’aide byggðarkvoti, créés au début des années 1990, les quotas du «  Petit système  » Litla kerfið (qui finissent par représenter près de 20 % des TAC nationaux), ceux du Supplément à la palangre Linuívilnun (2004) puis ceux du système des pêches côtières Strandveiðar (2009). Les pêcheurs qui bénéficient de ces quotas de pêche, qui sont le résultat de politiques de redistribution et réallocation des quotas ne peuvent pratiquer leur activité que parce que des dispositifs viabilisant cette dernière en soutien aux communes défavorisées ont été aménagés. En 2009, en pleine période post-crise financière a été créé le «  Système des pêches côtières  » ou Strandveidikerfi, premier dispositif d’exploitation non marchand. Un fonds spécial supplémentaire dit des pêches côtières a été créé et des quotas alloués à ce nouveau dispositif visant à renouveler la population des artisans indépendants (Þórðarson etVíðarsson, 2014) en favorisant l’accès des plus jeunes au métier, à renforcer les économies régionales et à montrer à l’opinion publique que la pêche ne se réduit pas à du «  business  » et consiste aussi en du travail réel. Par ce nouveau dispositif26, les pouvoirs publics entendent montrer qu’« entrer dans le système  » est encore possible et qu’il n’est ni forcé de «  s’acheter du travail  » ni de s’endetter pour s’installer. Ce «  système des pêches côtières  » se veut irréprochable, car il ne repose pas sur un principe marchand. Il est là encore une démonstration d’un soutien de la part des pouvoirs publics pour reconnaitre en creux, avec la création de fonds ad hoc dédiés à des actions de réparation, de consolidation et de compensation, de multiples inégalités induites par les QIT.

30Pour finir, au niveau national, pour apaiser une impopularité grandissante des QIT vécus collectivement comme un accaparement des ressources marines par des sociétés toujours plus puissantes, les pouvoirs publics vont créer en 2004 la «  taxe sur les captures  » Veidigjald qui, pour la première fois, avait pour objectif une redistribution d’une part des recettes générées par l’exploitation de ressources marines.

Des processus de «  dés-appropriation  » et d’«  ensauvagement  » des espaces maritimes

31C’est par l’analyse comparée des trajectoires de professionnels locaux qu’une variabilité des effets des politiques publiques a pu être mise au jour. L’étude ethnographique a permis de mettre en évidence une diversité de situations locales mettant elle-même en exergue une variabilité des effets des politiques publiques. Ainsi, c’est dans la région Nord-Ouest de l’Islande, là où les communes sont le plus dépendantes de l’industrie halieutique et ont été le plus durement touchées par les fuites de quotas de pêche que la flottille des petites embarcations s’est le plus durablement développée. Dans l’Ouest, la pêche artisanale a régressé au profit du secteur des pêches industrielles ; l’Est est la région dans laquelle la pêche artisanale a le plus notablement régressé au profit d’une pêche industrielle pratiquée à bord d’embarcations inscrites dans des entreprises « géantes  » à forte concentration verticale. C’est là où les professionnels ayant perdu leur emploi et n’avaient pas d’alternative que la pêche à bord de petites embarcations s’est le plus développée, avec la relance d’un engin de pêche, la palangre de fond, dont les pêcheurs de l’ouest de l’Islande sont coutumiers de longue date. Dans l’Est, le déclin de la pêche artisanale est allé de pair avec l’attractivité croissante d’autres secteurs d’activité dans les années 1990-2000 : construction d’une fonderie d’aluminium et d’un barrage et construction de plusieurs bâtiments dans les communes. C’est dans l’Est que les populations locales ont le plus violemment vécu ce transfert des droits de pêche des entreprises locales vers des actionnaires multiples basés dans d’autres communes, avec cette déterritorialisation d’un capital «  construit localement  ».

32C’est précisément en comparant les activités de pêche là où elles perdurent avec les endroits où elles ont fortement décliné qu’il est possible de saisir la multitude de significations que revêtit l’idée que «  la mer ne nous appartient plus  ». C’est en ce sens aussi que l’on saisit mieux ce que signifie, pour le milieu maritime, du fait de ses spécificités, la notion de communs, encore plus étroitement dépendante en mer des usages - techniques de pêche, outils, savoirs –, ce d’autant que toutes les espèces commercialisées sont migratrices : «  Ainsi les marins qui ne possèdent pas la mer, lieu de leur vie, objet de leur travail, lors de chaque “sortie”, de chaque “marée”, peuvent et doivent renouveler leur prise de “possession” de la mer et des ressources : les routes changent, les zones de pêche aussi selon les saisons, le temps, le cours du poisson, etc. La propriété, la maîtrise de la mer et de ses ressources ne sont donc jamais acquises, elles s’obtiennent au cours de l’usage, de l’investissement de chacun. Les marins ne marquent pas la mer de leur “labeur” comme le terrien sa terre  » (Geistdoerfer, 1989, p. 89). Usages qui sont des «  moyens techniques de production  » devenus des «  moyens d’acquisition d’un droit d’usage  » (Geistdoerfer, 1974, p. 32). Ainsi, dire que désormais, seuls certains «  possèdent le poisson dans la mer  » ou que les quotas sont «  entre de moins en moins de mains  » ne donne pas un ordre d’idée complet de ce que les pêcheurs perdent très concrètement en perdant leurs droits à produire qui sont en même temps leurs droits d’accès et d’appropriation des zones de pêche, donc des droits d’usage sur ces dernières. Nous avons vu les contraintes techniques, économiques, juridiques et sociales qui pesaient sur l’exercice de la pêche à bord de petites embarcations, avec des pêches de plus en plus mono-spécialisées et sédentaires, avec une perte de polyvalence, des périodes creuses au cours desquelles les restrictions sont tel que les artisans débauchent temporairement leur main-d’œuvre pour finir leur année de pêche et optimiser leur activité en travaillant au moindre coût. Néanmoins, malgré ces contraintes d’un genre nouveau résultant de choix en partie orientés par les instances régionales et nationales pour protéger des territoires, les pêcheurs gardent leurs prérogatives et peuvent œuvrer collectivement à l’exercice de la pêche, mais d’une pêche, la pêche à la palangre de fond, qui est particulièrement exigeante en main-d’œuvre, en boëtte et en technicité dans la mesure où les professionnels n’ont pas «  le droit à l’erreur  » étant donné qu’il faut que l’endroit où les lignes sont posées soit le bon, car, à la différence du chalut, on ne peut aller donner un coup ou trait ailleurs pour tenter un autre mise. Les stratégies territoriales des pêcheurs ne vont donc pas varier qu’en fonction des engins pratiqués, même si cette donnée est absolument décisive, selon que l’on pratique des arts traînants ou dormants (Dahou 2018, Dufour, 1987, Geistdoerfer 1987a), d’autant plus que les pêcheurs exploitent des espèces migratrices qui exigent qu’ils fassent varier leurs positions en fonction des modifications quotidiennes, irrégulières, de différents facteurs océanographiques ; les stratégies vont dépendre aussi des espèces exploitées saisonnièrement, pour un même engin et qui amèneront les flottilles à s’éloigner de leurs lieux de pêches habituels.

33En revanche, là où les pêcheurs artisans sont moins nombreux, les désaffections des pêcheurs artisans ont des conséquences profondes sur la pratique quotidienne de ceux qui continuent à travailler sur les zones dont on pourrait dire qu’elles sont en voie de désertification, et sur leur rapport à la mer. Ainsi, là où les pratiques perdurent, et par contraste avec les villages où elles ont tendance à se réduire, on prend toute la mesure de la dimension collective, continue, historique et partagée de l’information sur les zones de pêche, et de ce que le déclin de ce partage quotidien d’informations dont le corollaire est une réduction nette des flottilles de pêche sur zone provoque. Cette dimension a été particulièrement négligée et l’est encore aujourd’hui par les études menées dans des cadres de prospective ou d’aménagement des espaces maritimes.

Un processus de «  dés-appropriation  »

34Avec des désaffections en cascade tout au long des années 1990, les pêcheurs sont de moins en moins nombreux physiquement sur les zones et les informations relatives aux pêches sont de plus en plus «  lâches  » et dispersées. Dans le contexte de régression des pêches artisanales locales et des pêches migrantes estivales, les professionnels qui restent mesurent, d’une part, le poids de l’absence de leurs collègues et, d’autre part, les distances qui se creusent entre la mer et eux-mêmes. Cette régression remet en cause une territorialité vécue et appréhendée comme un «  arrangement pratique  » (Palsson, 1987, p. 11) en collectif de pêcheurs d’un port donné, voire en certaines périodes de plusieurs ports de pêche, une territorialité appréhendée comme un acte de coopération technique guidée par une tentative pragmatique pour réussir la conduite de la pêche.

35Là où la pêche artisanale a décliné le plus brutalement, des inquiétudes inédites ont vu le jour, qui sont plus vives encore chez tous ceux qui sont les derniers représentants locaux d’un métier – palangre, filet. Dés-investie physiquement et techniquement d’abord, la mer l’est aussi socialement et d’un point de vue symbolique : la mer fait l’objet d’un processus de désappropriation qui déstabilise ceux qui restent, qui fréquentent des zones sur lesquelles ils ont de moins en moins prise et emprise individuellement et collectivement et à propos desquelles ils disposent de moins de « nouvelles fraîches  » et partagées au sujet du poisson. Pour reprendre des propos de professionnels : «  On ne peut plus spéculer entre nous et nous demander mutuellement où le poisson peut se trouver.  » Par-delà les subtilités des conditions et canaux de diffusion et distribution de l’information entre les professionnels, qui ont fait l’objet de nombreuses études (Palsson, 1994 ; Wilson, 1990, Durrenberger et Palsson, 1987 ; Palsson, 1982) bien au-delà du skipper-effect, par-delà le degré de sophistication des équipements dont ces derniers disposent, ils déplorent le recul de cette dimension collective de la pratique qui est au fondement de leur identité professionnelle, de leur pratique et métier. Bien des nouvelles contraintes ont été étudiées et identifiées notamment par des économistes ayant fait l’ethnographie des pratiques économiques des professionnels dans le contexte des pêches à bord de petites embarcations (Dobeson, 2019 ; 2016) ; pour autant, ce ne sont pas les opportunités marchandes ni les perfectionnements techniques qui rendent efficace une entreprise qu’ils consolident, mais bien, encore une fois, l’exercice collectif de la pêche.

36Ce défaut d’entretien et de mise à jour de connaissances sur les zones de pêches résultant d’une appropriation collective a accéléré un déclin des repères, porteur d’une perte de familiarité et d’assurance dans l’exercice quotidien de la pêche. Ce manque va jusqu’à remettre en cause l’exercice d’un métier qui s’appréhende de moins en moins collectivement comme une évidence. Ce déclin pénalise les professionnels qui «  ne s’y retrouvent plus  » et se sentent désorienter «  ruglaðir  ». Ainsi, des processus de fragmentation et de parcellisation des connaissances compromettent l’efficacité technique et sociale de la pêche. En effet, quand un pêcheur poursuit seul ou de manière beaucoup plus isolée son activité, son travail individuel ne peut suffire à alimenter, à lui seul, toute sa soif de connaissances sur les zones, en lien avec les espèces du moment : «  The number of observations necessary to establish regularity is far too large for any single individual to acquire  » (Wilson, 1990, p. 14). Ces processus compromettent l’exercice, la circulation et la transmission des savoirs locaux sur les zones de pêche et menacent non seulement l’existence, mais aussi l’avenir des groupes d’artisans locaux.

37Dans un contexte de régression de l’activité due à une réduction des flottilles de pêche sur zone, la mer, appropriée, apprivoisée et surtout maîtrisée un temps, peut redevenir un univers «  étranger  », car moins occupé.

Un processus d’ensauvagement des espaces maritimes

38Pour reprendre les propos d’un pêcheur de l’ouest de l’Islande : «  Personne ne sort plus en mer. La mer n’est plus la même, la mer devient un tout autre environnement, les repères sont de moins en moins précis.  » Avec la baisse de fréquentation des zones de pêche, la mer est devenue par endroits comme un espace en friche ou un territoire inculte. C’est ce phénomène de déprise sociale sur les territoires de pêche que nous avons qualifié d’ensauvagement. La mer devient incertaine avec le recul d’un exercice collectif dont l’objectif était de «  réduire des incertitudes du milieu maritime  » (Palsson, 1987) ou encore de «  neutraliser le hasard de la production halieutique  » (Geistdoerfer, 1987b).

39Quand la pêche est pratiquée par un nombre toujours plus restreint d’individus, on en vient à se dire que la mer s’est comme «  ensauvagée  », qu’un rapport altéré à cette dernière la rend étrangère, voire hostile. Les pêcheurs ont beau être surveillés en continu par le système AIS, la solitude en continu en mer accroît un sentiment d’insécurité chez ces derniers, car travailler en solitaire, c’est être exposé à de plus grands périls. Le témoignage d’un pêcheur de Grundarfjörður (Ouest) souligne cet aspect : «  Le pire peut arriver quand on se trouve seul en mer […] C’est pire au large, en dehors du fjord, là il n’y a plus personne  !  » L’impression de solitude au sein d’un environnement moins maîtrisé marque le discours de professionnels qui se plaignent de ne plus rencontrer «  grand monde  » sur les zones de pêche. Ceux qui continuent à pêcher alors que leurs collègues ont cessé se sentent livrés à eux-mêmes et que la pêche soit une activité de plus en plus solitaire les préoccupe chaque jour davantage. Cette impression de solitude contrainte, en tout point différente de la solitude choisie toujours en référence à un groupe de collègues plus «  grégaires  », fait surgir des doutes sur le bien-fondé du métier : quand il y a de moins en moins de bateaux en mer et de moins en moins d’hommes à leur bord, on se demande si finalement l’heure n’est pas venue de la quitter à son tour.

40De cela, on tirera des leçons, notamment pour certains experts qui pensent qu’on pouvait, à grand renfort de technologie, pêcher «  les yeux fermés  », conserver une mémoire précise des zones de pêche, déléguer des compétences aux appareils du bord et, doter d’un quota de pêche, pouvoir individuellement planifier son activité de manière optimale : dans le cas présent, on voit bien que la technologie ne peut se suffire à elle-même, tant la dimension collective de l’activité reste caractéristique de l’exercice. L’équipement de haute technologie que les pêcheurs invoquent pour signifier qu’il les a affranchis de certaines contraintes fait bien preuve de toute sa vanité. Certes, les sorties en mer sont «  facilitées  » grâce au GPS plotter et les pêcheurs arrivent à réduire des incertitudes, mais la navigation ne fait pas la pêche et la technologie ne peut pallier les carences et les manques éprouvés par des professionnels travaillant dans un isolement croissant : «  même avec des engins très efficaces, on ne peut pêcher sans cette connaissance qui est transmise de pêcheur à pêcheur  » (Geistdoerfer, 1974, p. 33). Déjà, ironiquement, dans l’article «  Boats don’t fish, people do  », les auteurs rapportaient de la part d’un pêcheur interviewé «  it’s the size of the captain that counts  » (Miller etVan Maanen, 1979) pour souligner l’importance de la manière dont la pêche est conduite.

41Rien ne saurait se substituer à l’observation des zones de pêche, dont la robustesse vaut par le nombre et la multitude des expériences partagées, qui dit autrement la fragilité de l’expérience solitaire. Ce savoir pratique a une dimension irréductible «  nourrie d’expérimentation constante  », «  d’engagement perpétuel  » et de « connaissances tacites  », pour reprendre les termes de Palsson (1998) pour qui :

«  It may be essential, then, to pay attention to the practical knowledge of skippers, allowing for contingency and extreme fluctuation in the ecosystem. […] Much of the practitioner’s knowledge is tacit dispositions inscribed in the body in the process of direct engagement with everyday’s tasks  » (Palsson, 1998, p. 282).

42Pour peu que les observations soient moins nombreuses, moins continues et quotidiennes, moins régulières et partagées avant, pendant et après les opérations de pêche, un environnement familier peut vite devenir autre par défaut de pratique et par manque d’assiduité. Les pêcheurs eux-mêmes pensaient que les possibilités d’équiper leurs embarcations de moteurs de plus en plus puissants allaient garantir leur sécurité en mer et leur ouvrir des horizons. Cela fut le cas en partie, mais en même temps, socialement et professionnellement fragilisés, avec des équipages réduits à deux, voire à un seul homme, les risques d’accident sont accrus. Ils sont accrus aussi lorsque, quand les prix des poissons à la vente sont élevés et que les dettes et les banquiers pressent, les pêcheurs sortent au plus profond de l’hiver à bord de leur petite embarcation.

43En même temps qu’elle est désinvestie physiquement, techniquement et socialement, la mer perd le pouvoir d’attractivité qui la caractérisait : «  Il ne se passe plus grand-chose en mer, ce n’est plus vraiment excitant de sortir en mer  !  » L’absence d’entraide, de coopération, même de compétition, dont les conséquences sont un manque d’émulation et d’exaltation, attise les doutes des pêcheurs ayant décidé de poursuivre l’exercice d’une activité devenue sinon morne, risquée. Le repli sur soi est devenu une source de préoccupation professionnelle et existentielle. Les conséquences des cessations vont de pair avec une rupture dans les apprentissages et transmissions des savoirs sur les zones de pêche. Apprentissages et transmissions qui, pour l’observateur, parce qu’elles se font au cours de la pratique même des activités, sont

«  diffus et difficilement identifiables, car rarement matérialisés par des paroles, des gestes. […] L’analyse des deux principes, apprentissages et transmission, est fondamentale […] pour les ethnologues qui veulent étudier les différents modes de représentation des milieux natures et des techniques, médiatrices entre les hommes et leur environnement  » (Geistdoerfer, 2005, pp. i-ii).

44Le déclin relevé en Islande est révélateur et instructif à bien des égards de la nature sociale et historique du processus d’appropriation de la mer : «  Skipper’s extensive knowledge of the ecosystem is the result of years of practical learning, the collective product of a community of practice  » (Palsson, 1998, p. 281). Cette relation de dépendance des pêcheurs pratiquant le même engin sur une même zone reste absolument valide : «  Economically efficient fishing requires the continuous acquisition of new knowledge about a complex and changing resource. Individual cannot accomplish this alone but must depend upon the knowledge of others and a means for distributing that knowledge  » (Wilson, 1990, p. 28), même s’il y a toujours de la compétition et même si, désormais, «  bien  » exploiter ses quotas est devenu une aptitude professionnelle à part entière.

Quand la terre gouverne, la mer «  rétrécit  »

«  Cette mer uniforme pour le profane est, pour les pêcheurs, non seulement rigoureusement différenciée, sélectivement appropriée mais aussi socialement et culturellement marquée  » (Dufour, 1985, p. 29).

45Le titre de cette conclusion fait référence à une partie du titre du paragraphe « Shrinking seas and modernist regimes  » dans l’article de Gisli Palsson «  The virtual aquarium  » (Palsson, 1998). Dire que la mer ne nous appartient plus, c’est dire en creux que c’est de plus en plus la «  terre qui gouverne  », «  préférant le capital au travail  » : «  the allocation of commoditized fishing rights to boat owners has resulted in a privileging of capital over labour, shifting power from sea to land  » (Helgason et Palsson, 1994, p. 465). Quand les pêcheurs déclarent que «  la mer ne leur appartient plus  », ils disent plus souvent que «  la terre gouverne  » pour souligner un sentiment de s’être fait confisquer un pouvoir sur la mer constitutif de leur métier et de leur identité professionnelle, de leur particularité sociale aussi, enfin, pouvoir assis sur des compétences spécifiques désormais fragilisées. En 1996, Valérie Deldrève écrivait :

«  Les récents bouleversements de la filière pêche, qui n’est plus désormais organisée en fonction de la production, mais de la demande de ces grands groupes – de grande distribution – risquent d’entraîner à plus ou moins long terme la disparition des systèmes pêches locaux, bien plus, selon nous, que le problème déjà ancien de la raréfaction de la ressource  » (Deldrève, 1996, p. 379) et «  S’il y a crise d’identité, elle provient de la raréfaction de ces pratiques, menacées par la politique gouvernementale et communautaire, ainsi que par les nouvelles exigences du marché halieutique  » (Deldrève, 1996, p. 396).

46En 2020, ces propositions gardent toute leur pertinence, avec un métier et des professionnels mis à mal en amont de la production, par les QIT, et, en aval, par les prix et une commercialisation souvent défavorable notamment aux producteurs indépendants.

47Nous avons relevé que la pêche à bord de petites embarcations était passée en trente ans, par endroits, de l’embellie au déclin. Rien ne nous autorise pourtant à être définitif quant à leur devenir ni à exclure de nouvelles évolutions, garanties, notamment, par l’effort, de la part des pouvoirs publics, de pérennisation de l’activité de pêche à bord de petites embarcations qui reste une composante économique structurelle des pêches islandaise (Sverrisson, 2002). Les villages sont toujours là, toujours dépendants de l’activité de pêche, le poisson est «  pleinement exploité  », il y a eu des manquements et des erreurs dans les politiques publiques, erreurs en partie reconnues depuis le début des années 2000. Dans ce contexte, les habitants tentent de vivre au mieux en composant avec beaucoup d’incertitude, mais avec une incertitude d’un genre nouveau différente de l’incertitude avec laquelle il fallait composer au gré des caprices de la mer ou des marchés commerciaux, avec cette fois une incertitude engendrée par les privatisation et financiarisation de l’accès aux ressources marines, qui constituent, en Islande, ces «  interstices  » et «  recoins du capitalisme  », pour reprendre l’expression d’Anna Tsing (Tsing, 2017), avec lesquels il faut désormais vivre. Avec une incertitude qui peut par moment et par surprise redevenir celle dont les Islandais sont familiers, avec, par exemple, l’arrivée du maquereau en volumes croissants dans la ZEE à partir des années 2008-2010, en pleine période post-crise financière, irruption fédératrice à l’échelon national.

48Pour en venir à la perception de la mer de groupes de professionnels, il fallait, pour reprendre la proposition de Tarik Dahou, bien connaître la «  société globale  » en intégrant les questions économiques et politiques plus larges (Dahou, 2018, p. 43), et révéler un environnement, en l’occurrence la mer et le milieu maritime, qui est plus pour reprendre les termes d’Élise Demeulenaere, que ce qui «  environnement les hommes  » (Demeulenaere, 2017, p. 72). Encore peu de travaux traitent des effets d’un contrôle bureaucratique et technocratique grandissant des pêches maritimes sur la pratique, l’avenir des groupes de professionnels et leur rapport à un environnement qui devient autre et «  autrement  » incertain. Ceux qui s’intéressent au thème de la perte des territoires abordent plus souvent la situation de professionnels menacés par le développement de nouvelles activités en zones côtières (Gasalla et Gandini, 2016) ou dans le contexte de la création d’aires marines protégées (Chakour et Dahou, 2009). Dans le cas des QIT, rien de tel puisqu’aucune zone n’est interdite, qu’il n’y a pas de cantonnement, sauf temporaire et socialement accepté, dans le cadre de périodes de frai. La perception de la mer qu’ont ses usagers à la pêche artisanale est révélatrice d’un rapport global et collectif à l’environnement social, technique, économique et politique, susceptible de conduire au-delà d’un dualisme nature-société (Palsson, 2016, p. 113). Cet environnement est en partie inachevé dans la mesure où rien ne semble jamais définitivement ni irréversiblement acquis : «  No environment is ever fully created ; it is always undergoing creation. It is, as it were ‘work in progress  » (Ingold, 1992, p. 50). Cette instabilité du rapport à l’environnement ne manque pas d’attirer notre attention quant à une labilité des frontières entre nature et culture, avec un rapport à l’élément marin qui ne saurait être réifié ou essentialisé, la mer étant, pour un espace et un temps donné, tantôt apprivoisée, socialisée, familière et maîtrisée par-delà les dimensions instables et imprévisibles de cette dernière, tantôt «  ensauvagée  » par défaut de pratique : tel est l’enseignement que nous pouvons tirer d’une ethnographie des usages sur les espaces maritimes susceptibles, à sa manière, de nourrir une réflexion sur les rapports entre nature et culture.

Remerciements

49Je souhaite remercier Sophie Laligant qui m’avait incitée à poursuivre une réflexion sur l’équipement de haute technologie utilisé par les pêcheurs en m’invitant à participer à la stimulante journée d’étude «  Usages du numérique en pratiques professionnelles  » – Laboratoire CITERES/Equipe COST – MSH Tours qu’elle avait organisée avec son collègue géographe Hovig Ter Minassian en juin 2018. J’y avais présenté une communication dont le titre était «  “Un écran de fumée”  ? Identification et analyse comparée des usages du numérique et des enjeux et conséquences de leur diversification. Ethnographie des activités de pêche artisanale et industrielle en Islande (1990-2010)  ».

Haut de page

Bibliographie

Arnason, R., 2008, Iceland’s ITQ creates new wealth, Electronic Journal of Sustainable Development, 1(2), pp. 35-42

Benediktsson, K., A. Karlsdóttir, 2011, Iceland : crisis and regional development – Thanks for all the fish  ?, European Urban and Regional Studies, 18 (2), pp. 228-235

Breton, Y., 1994, Liens entre pêche industrielle et pêche artisanale. Changements et conséquences pour la recherche, Anthropologie et Sociétés, 18, 1, pp. 93-106

Broddason Þ., K. Webb, 1975, On the myth of Social Equality in Iceland, Acta Sociologica, 18, 1, pp. 49-61

Bromley, D. W., 2005, Purging the frontier from our mind: crafting a new fisheries policy, Reviews in Fish Biology and Fisheries, 15, 3, pp. 217-229

Biseau, A., D. Kopp, S. Mehault, 2016, Rapport bibliographique «  Sélectivité des engins de pêche  », Ifremer n° 13/1210867/NF, 246 p.

Carothers, C., 2010, Tragedy of Commodification: Displacements in Alutiiq Fishing Communities in the Gulf of Alaska, Maritime Studies, 9, 2, pp. 95-120

Carré, F., 1988, Pêches maritimes et pêcheries de l’Ecosse, Thèse d’État, Brest, 1870 p.

Chaboud, C., A. Fontana, 1992, L’approche système dans les pêches, dans : Brêthes, Fontana (ed.), Recherches interdisciplinaires et gestion des pêcheries, Centre International d’Exploitation des Océans, Halifax, pp. 111-145

Chakour, S.-C., T. Dahou, 2009, Gouverner une AMP, une affaire publique  ? Exemples Sud-Méditérannéens, VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [En ligne], Hors série 6 | novembre 2009, URL : http://journals.openedition.org/vertigo/9156 ; DOI : https://doi.org/10.4000/vertigo.9156

Chaussade, J., 1983, La pêche et les pêcheurs des Provinces maritimes du Canada, Montréal, Les Presses Universitaires de Montréal, 303 p.

Corlay, J.P., 1993, La pêche au Danemark. Essai de géographie halieutique, Thèse d’État, Brest, 2 volumes, 1331 p.

Danic, G., A. Geistoderfer, G. Le Boëdec, F. Theret (dir.), 1999, Actes du Colloque «  Mutations techniques des pêches maritimes : agir ou subir  ?  », IFREMER-CNRS, Lorient, 264 p.

Dahou, T., 2018, Gouverner la mer en Algérie. Politiques en eaux troubles, Paris, Khartala, 284 p.

De la Croix K., V. Mitroi (dir.), 2020, Ecologie politique de la pêche. Temporalités, crises, résistances et résiliences dans le monde de la pêche, Paris, Presses Universitaire de Paris Nanterre, 264 p.

Deldrève, V., 1996, Marins de pêche artisanale en Manche orientale. Étude des organisations professionnelles et des pratiques des pêcheurs du Boulonnais et de l’Est Cotentin, Thèse de sociologie, Université des Sciences et Technologie de Lille, 396 p.

Demeulenaere, E., 2017, L’anthropologie au-delà de l’Anthropos. Un récit par les marges de la discipline, in Blanc, Demeulenaere et Feuerbahn (dir.) Humanités environnementales, enquêtes et contre-enquêtes, Publications de la Sorbonne, Paris, pp. 43-73

Dewees, C., T. Yandle, 2003, Privatizing the Commons…Twelve Years Later : Fishers’ Experiences with New Zealand’s Market-Based Fisheries” dans : Dolsak et Ostrom (eds.), The Commons in the New Millennium, Challenges and Adaptation, Cambridge, The MIT Press, pp. 101-127

Dobeson, A., 2019, Revaluing Coastal Fisheries. How Small Boat Navigate New Market and Technology, Palgrave Macmillan, e-book

Dobeson, A., 2016, Scoping valuations: how digital tracking technologies shape economic value, Economy and Society, 45, 3-4, pp. 454-478

Dolsak, N., Ostrom E., 2003, The Commons in the New Millenium. Challenges and Adaptation, Cambridge, MIT Press, 369 p.

Durrenberger, P. E., G. Pálsson, 2015, Gambling Debt. Iceland’s Rise and Fall in the Global Economy, University Press of Colorado, 312 p.

Durrenberger, P. E., G. Pálsson, 1987, Ownership at Sea : Fishing Territories and Access to Sea Resources, American Ethnologist, 14, 3, pp. 508-522

Dufour, A.-H., 1987, Poser, Traîner : Deux façons de concevoir la pêche et l’espace, Ecologie humaine, 5, pp. 23-45

Dufour, A.-H., 1985, Connaissance et perceptions de l’espace marin dans une société de pêcheurs varois, Cahier d’Anthropologie Maritime, 5, pp. 25-29

Fay, C., 1989, Systèmes halieutiques et espaces de pouvoirs : transformation des droits et des pratiques de pêche dans le delta central du Niger (Mali), 1920-1980, dans : Verdeaux, La pêche : enjeux de développement et objet de recherche : 4. Mémoires inscrites, souvenirs effacés : transformations des représentations et des pratiques en matière de pêche, Cahiers des Sciences Humaines, ORSTOM, Bondy, 25, pp. 213-236

Fay, C., 2000, Des poissons et des hommes : pêcheurs, chercheurs et administrateurs face à la pêche au Maasina (Mali)  », dans : Chauveau, Jul-Larsen, Chaboud (dir.), Les pêches piroguières en Afrique de l’Ouest. Pouvoirs, mobilités, marchés, Éditions CMI-Éditions de l’IRD-Karthala, Paris, pp. 125-166

Einarsson, N., 2011, Culture, Conflicts and Crisis in the Icelandic Fisheries: An Anthropological Study of People, Policy and Marine Resources in the North Atlantic Arctic, PhD University Dissertation from Uppsala. Uppsala, Acta Universitatis Upsaliensis, 152 p.

Einarsson, N., 1993, Environmental arguments and the survival of small-scale fishing in Iceland, in Dahl (eds), Green arguments and local subsistence, Department of Social Anthropology, Stockholm University, pp. 117-127

Eythorsson, E., 1998, Metaphors of Property : The Commoditisation of Fishing Rights, dans : Symes (ed.), Northern Waters : Management Issues and Practice, Fishing New Books/ Blackwell Sciences, Oxford, pp. 42-51

Eythorsson, E., 2003, Stakeholders, Courts and Communities : Individual Transferable Quotas in Icelandic Fisheries, 1991-2001, dans : Dolsak, Ostrom (eds.), The Commons in the New Millennium, Challenges and Adaptation, The MIT Press, Cambridge, pp. 130-167

Gasalla, M.A., Gandini F. C., 2016, The loss of fishing territories in coastal areas : the case of sea bob-shrimp small-scale fisheries in São Paulo, Brazil, Maritime Studies [En ligne] 15, DOI : https://doi.org/10.1186/s40152-016-0044-2

Geistdoerfe,r A., 2005, Avant-propos, Techniques&culture, 45, pp. i-ii

Geistdoerfer, A., 1989, Les gens de mer, ces mal connus, dans : Les Français et la mer, La Nouvelle Revue Maritime, pp. 88-94

Geistdoerfer, A., 1988, Ethnologie Maritime en Bretagne, Evolution d’un champ de recherche et des méthodes, dans : Colloque d’ethnologie bretonne, Du Folklore à l’Ethnologie en Bretagne, Brasparts et Beltan, pp. 139-143

Geistdoerfer, A., 1987a, Pêcheurs acadiens, pêcheurs madelinots, Ethnologie d'une communauté de pêcheurs, Presses de l'Université Laval, Québec/Éditions du CNRS, Paris, 500 p.

Geistdoerfer, A., 1987b, Neutraliser Le Hasard : Les Aléas De La Production Halieutique (Atlantique Nord), Ethnologie Française, 17, 2-3, pp. 219-226

Geistdoerfer, A., 1974, Savoir et techniques des pêcheurs des Iles de la Madeleine (Québec), Journal d'agriculture tropicale et de botanique appliquée, 21, 7-9, pp. 169-217

Granovetter, M., 2000, Le Marché autrement. Les réseaux dans l’économie, Paris, Desclée de Brouwer, 239 p.

Gretarsson, H., 2010, Allocation of Demersal Harvest Rights in Iceland, Arctic Review on Law and Politics, 1, 2, pp. 299-318

Hannesson, R., 2004, The privatization of the oceans, Cambridge, The MIT Press, 202 p.

Haraldsson, G., 2008, Impact of the ITQ system on outsiders, Aquatic and Living Resources, 21, pp. 239-245

Helgason, A., G. Palsson, 1997, Contested Commodities. The Moral Landscape of Modernist Regimes, The Journal of the Royal Anthropological Institute, 3, 3, pp. 451-471

Helgason, A., G. Palsson, 1994, The Politics of Production: Enclosure, Equity and Efficiency, in Durrenberger, Palsson (ed), Images of Contemporary Iceland: Everyday Lives and Social Context, Iowa City, University of Iowa Press, pp. 60-85

Ingold, T., 1992, Culture and the perception of the environment, dans: Croll, Parkin (ed), Bush Base, Forest Farm. Culture, Environment and Development, Routledge, Londres – New York, pp. 39-56

Locher, F., 2013, Les pâturages de la Guerre froide : Garrett Hardin et la Tragédie des communs’, Revue d’Histoire moderne et contemporaine, 60, 1, pp. 7-36

Lowe, M. E., C. Carothers (eds), 2008, Enclosing the fisheries: People, places and power, Bethesda, MD: American Fisheries Society, 223 p.

Mc Cay, B., J. M. Acheson (eds), 1987, The questions of the Commons. The Culture and Ecology of Communal Resources, University of Arizona Press, 439 p.

Magnússon, M. S., 1985, Iceland in Transition: labour and socio-economic change before 1940, Lund, Ekonomisk-Historiska Föreningen, 306 p.

Mariat-Roy, E., 2015, Le poisson pêché à la ligne est le meilleur entre tous  ! Ethnographie de stratégies professionnelles de valorisation d’une marchandise à forte valeur ajoutée en Islande, Revue Internationale d’Ethnographie, 5, pp. 55-71

Mariat-Roy, E., 2014, When fishing means resilience: the evolution of small boat fishing practices in Iceland since 1990, Polar Records, Cambridge University Press, 50, 4, pp .421-429

Mariat-Roy, E., 2011, Si les quotas m’étaient contés : les conséquences sociales et économiques des politiques islandaises de gestion des ressources marines. Ethnologie de communautés littorales, Thèse de doctorat d’Anthropologie sociale et d’Ethnologie, Paris, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 1381 p.

Mazé, C., T. Dahou, O. Ragueneau, A. Danto, E. Mariat-Roy, M. Raimone et J. Weisbeine, 2017, Knowledge and power in integrated coastal management – For a political anthropology of the sea combined with marine environment sciences, Geoscience, 349, 6-7, pp. 359-368

Noël, J., 2011, Regards géographiques sur la mondialisation halieutique. L’altermondialisation et les formes de résistances des «  pêches artisanales  », Thèse de doctorat, Nantes, 475 p.

Miller, M. L., J. Van Maanen, 1979, Boats don’t fish, people do. Some Ethnographic Notes on the Federal Management of Fisheries in Gloucester, Human Organization, 38, 4, pp. 377-385

Neher, P. A., Arnason Ragnar, Mollett Nina, 1989, Right-based Fishing, Dordrecht, Kluwer Akademic Publishers, 555p.

Ollivro, J., 2016, De la mer au méritoire. Faut-il aménager les océans  ? Rennes, Editions Apogée, 180 p.

Ounanian, K., 2019, Existential Fisheries Dependance. Remaining on the Map through Fishing, Sociologica Ruralis, 59, 4

Quensière, J., 1994, La pêche dans le Delta Central du Niger. Approche pluridisciplinaire d’un système de production halieutique, Paris-Bamako, Editions de l’ORSTOM / Editions Karthala, 541p.

Palsson, G., 2016, Enskilment at Sea: Situated Knowledge, dans: Palsson, Nature, Culutre and Society. Anthropological Perspectives on Life, Cambridge, Cambridge University Press, pp. 115-138

Palsson, G., 1998, The virtual aquarium: Commodity fiction and cod fishing, Ecological Economics, 24, pp. 275-288

Palsson, G., 1994, Enskilment at Sea, Man, 29, 4, pp. 901-927

Palsson, G., 1991, Coastal Economies, Cultural Accounts: Human Ecology and Icelandic Discourse, Manchester & New York, Manchester University Press, 202 p.

Palsson, G., 1982, Territoriality among Icelandic fishermen, Acta Sociologica, pp. 5-13

Pinkerton, E., 2015, Groundtruthing Individual Transferable Quotas, in Durrenberger&Pálsson (eds), Gambling Debt. Iceland’s Rise and Fall in the Global Economy, University Press of Colorado, pp. 109-120

Rey, H., C. Joseph, B. Mesnil et al., 1997, Système halieutique : un regard différent sur les pêches, Paris, Institut-Océanographique-IFREMER, 275 p.

Rieucau, J., 1983, La pêche de l'estuaire de la Seine à la baie de Somme et les occupations conflictuelles du littoral, Thèse 3e cycle, Brest, 371 p.

Steinberg, P. E., 2001, The social construction of the ocean, Cambridge Studies in International Relations, New York, Cambridge University Press, 258 p.

Sverisson, A., 2002, «  Small boats and large ships: Social Continuity and Technical Change in the Icelandic Fisheries, 1800-1960  », Technology and Culture, 43, 2, pp. 227-253

Trouillet, B., 2015, Les enjeux spatiaux : la reconfiguration des espaces halieutiques, in Guillaume (coord.), Espaces maritimes et territoires marins, Paris, Editions Ellipses, pp. 51-88

Tsing, A. L., 2015, The Mushroom at the End of the World: On the Possibility of Life in Capitalist Ruins, Princeton University Press [traduit en français Le champignon de la fin du monde. Sur les possibilités de vivre dans les ruines du capitalisme, La Découverte, 2017], 352 p.

Wilson, J. A., 1990, Fishing for knowledge, Land Economics, 66, 1, pp. 12-29

Winder, G., (ed.), 2017, Fisheries, Quota Management and Quota Transfer. Rationalization Through Bio-economics, Sringer-MARE Publication Serie 15, 268 p.

Þór, J. Þ., 2003, Sjósokn og sjávarfang. Saga Sjávarútvegs á Íslandi, (Tome 2) Uppgangsár og Barningsskeið: 1902-1939 Vélaöld, Akureyri, Prentaútgáfa Hólar [Histoire des pêches, Motorisation de la flottille], 296 p.

Þórðarson, G., R. Víðarsson Jonas, 2014, Coastal Fisheries in Iceland, Icelandic Food and Biotech R&D, Skyrsla Matís, pp. 12-14

Haut de page

Notes

1 FMA n° 38/1990

2 Il a été inscrit le 15 mai 1990 dans les Lois des Pêches que les ressources marines étaient le Bien de la Nation (Lög nr. 38 um stjórn fiskveiða 1. gr.)

3 En 2011, les 18 plus importantes compagnies détiennent 72 % des TAC nationaux.

4 Une «  taxe sur la ressource marine  » (Veiðigjaldið) avait été votée une première fois par le Parlement islandais en 2002 (avec une mise en place effective au cours de l’année 2004/2005) puis une deuxième fois en mars 2012, dans le sillage de la crise financière.

5 À «  specialized-fish exporting country  », pour reprendre les termes de l’historien Magnús S. Magnússon (1985)

6 Les Islandais ont été sous domination danoise jusqu’en 1918, année où l’Islande devient un territoire autonome, par l’Acte d’Union. La restauration du Parlement d’Islande en 1845 avait auparavant été à l’origine des premières revendications en matière de protection des eaux territoriales et de restriction d’accès aux flottilles étrangères dans certaines zones pendant les périodes de frai du cabillaud – par exemple dans le golfe de Faxaflói, dans le sud-ouest de l’île. Les historiens des pêches islandais qualifient la période 1900-1920 de 1re révolution industrielle et d’Âge d’Or des pêches islandaises (Gullöld) (Þór Jón Þ., 2003)

7 Les flottilles de pêche anglaises, françaises, belges, allemandes, féringiennes et néerlandaises.

8 Ces tentatives nationalement ovationnées ont fini par être couronnées de succès et ont donné lieu à une extension à la frontière des 12, 50 puis des 200 milles marins, occasionnant trois Guerres de la morue (Þorskastrið) entre 1958 et 1976, année de ratification des derniers accords avec les Britanniques

9 En 2018, le volume total d’exportation des produits de pêche était de 670,775 tonnes et représentait un montant de 40 % de la valeur des produits à l’exportation – avoisinant les 1,878 million euros. Le cabillaud représente 42 % de la valeur des exportations.

10 «  En 2011, on estimait à près de 4 600 les personnes actives dans les activités de capture soit 2,7 % de l’emploi total en Islande. En outre, quelque 4 200 personnes travaillaient dans l’industrie de transformation du poisson soit 2,5 % de la main-d’œuvre totale. Le secteur de la pêche emploie dans son ensemble quelque 5,26 % de la main-d’œuvre totale. Bien que la contribution du secteur à l’économie ne ressorte pas de ces chiffres, l’industrie de la pêche est fondamentale pour l’ensemble de l’économie et en particulier pour le maintien de la croissance économique et le bien-être en dehors de la région de la capitale. Les pêcheries et entreprises de transformation du poisson sont les plus importantes sources de subsistance dans les communautés côtières, où les perspectives d’emploi sont limitées. Sur le plan régional, la part de l’emploi dans l’industrie de la pêche est la plus grande dans les Fjords de l’Ouest.  » (p. 39), [En ligne] URL : https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/note/join/2012/474540/IPOL-PECH_NT(2012)474540_FR.pdf

11 Nous n’avons pas fait référence ici à des travaux s’intéressant non plus à la mer, mais à la notion d’océan monde (world-ocean) appréhendée elle aussi dans sa dimension historique et sociale par le géographe Philip E. Steinberg (2020)

12 À l’exception notable de travaux pionniers en géographie halieutique de Jean Rieucau (1983), de Jean Chaussade (1983), de François Carré (1988) et de Jean-Pierre Corlay (1993).

13 Nous tenons en particulier à mentionner l’article du juriste Helgi Gretarsson qui a procédé à un état des lieux rétrospectifs des mesures de réallocation des TACs nationaux mises en place depuis l’instauration des Taux Autorisés de Captures en 1984 en passant par l’instauration des QIT jusqu’à la période post-crise financière après 2008 ; ce, sur la base de considérations d’ordre économique, social et politique.

14 Les travaux du géographe Julien Noël en sont un bon exemple (Noël, 2011).

15 Cette sélectivité est attestée par plusieurs études scientifiques (Biseau et al., 2016, p. 158)

16 En usage de manière saisonnière pendant l’été

17 La période de référence communément invoquée au plan juridique est celle allant du 1er novembre 1980 au 31 octobre 1983. Les quotas de 1984 ont été établis sur la base de la période de référence 1981-1983 ; ceux de 1990 ont été établis aussi sur une période de référence de trois ans

18 Le calendrier pour les espèces pélagiques (hareng, capelan) n’est pas le même

19 Ce nouveau cadre allait succéder et élargir la gestion à l’ensemble des espèces commerciales, car dès le début des années 1970, suite à l’effondrement du hareng, des quotas ont été mis en place au niveau pour le hareng et le capelan ; puis sur le cabillaud entre 1978 et 1983 après la publication de plusieurs «  rapports noirs  » (Svartar skyrslur) de l’Institut islandais des pêches maritimes (Hafrannsoknarstofnun Islands).

20 Pour un aperçu réflexif et synthétique sur les thèmes croisés de la surpopulation mondiale et de la «  déplétion des ressources  »/ »  pénurie planétaire  » (Locher, 2013, p. 20-21) portés par des chercheurs tels que Garrett Hardin et Paul Ehrlich et dont les retentissements seront très considérables, avec une appropriation de l’argument hardinien dans les travaux d’économie des ressources puis dans le dernier tiers du XXe siècle, par l’entremise du nouveau paradigme économique des droits de propriété, consulter Locher, 2013.

21 Nous n’aborderons pas ici le secteur des pêches pélagiques, qui a ses caractéristiques et son calendrier propres, mais plutôt les espèces démersales, dont les principales espèces commercialisées sont le cabillaud (Gadus morhua), l’églefin (Melanogrammus aeglefinus), le lieu noir (Pollachius virens), le sébaste (Sebastes viviparus), le flétan de l’Atlantique (Hippoglossus hippoglossus) et la plie commune (Pleuronectes platessa)

22 Au moment de la création du système des quotas en 1984, les professionnels avaient le choix entre des quotas classiques et une pêche à l’effort

23 Le lompe est une des très rares espèces sous licence et non sous-quota

24 Les quotas de 1984 ont été établis sur la base de la période de référence 1981-1983 ; ceux de 1990 ont été établis aussi sur une période de référence de trois ans

25 Une «  année de pêche  » commence le 1er septembre et se termine le 31 août de l’année suivante, pour les espèces concernées ici (cabillaud, églefin, lieu noir…)

26 Ce «  Système des pêches côtières  » actif pendant la période estivale seulement a pour conséquence une intensification soudaine des pratiques de pêche à la palangrotte, avec des plafonds régionaux mensuels atteints parfois en quelques jours, d’où le fait que ces pêches ont été qualifiées de «  jeux olympiques  »

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Emilie Mariat-Roy, « «  La mer ne nous appartient plus  !  » »VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [En ligne], Hors-série 33 | mars 2021, mis en ligne le 25 mars 2021, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/vertigo/29853 ; DOI : https://doi.org/10.4000/vertigo.29853

Haut de page

Auteur

Emilie Mariat-Roy

Anthropologue, PALOC MNHN/CETMA-Anthropologie maritime MNHN/ApoliMer, France, courriel : emilie.mariat-roy@mnhn.fr

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search