William E. Nelson, E Pluribus Unum: How the Common Law Helped Unify and Liberate Colonial America, 1607-1776
NELSON, WILLIAM E. E Pluribus Unum: How the Common Law Helped Unify and Liberate Colonial America, 1607-1776. New York: Oxford University Press, 2019. 272 pp. ISBN 978-0-19-088080-4
Texte intégral
1Avec ce nouvel ouvrage, William E. Nelson, historien du droit, fait la synthèse de son formidable travail en quatre volumes The Common Law in Colonial America (2008–2017), réalisé à partir de minutieuses recherches dans les archives judiciaires coloniales d’Amérique du Nord, documentées par une bibliographie très étendue. Il part ici du constat que l’histoire politique a trop souvent été étudiée du point de vue national occultant de ce fait l’histoire coloniale prérévolutionnaire. Les historiens de la période coloniale se sont quant à eux trop souvent concentrés sur l’histoire sociale ou intellectuelle aux dépens de l’histoire légale. L’objectif de cet ouvrage est donc de mettre en lumière ce qui fait la particularité de l’histoire coloniale américaine, sa pluralité, incarnée par la formule consacrée « E Pluribus Unum », alors que nombre d’études ont plutôt cherché à souligner les points convergents entre les 13 colonies. Selon Nelson, il est impératif d’étudier la diversité des sociétés coloniales pour comprendre la loi car elle en est « le reflet » (p.1).
2L’ouvrage se décline en 4 thèmes majeurs suivant un développement chronologique même si les parties 2 et 3 couvrent approximativement la même période : « The initial settlements 1607-1660 », « The forging of empire 1660-1750 », « Altering empire to defeat France 1689-1750 » et « The collapse of empire 1750-1776 ». Ces grandes parties sont ensuite divisées en sous-chapitres, eux-mêmes ventilés en régions géographiques ou en moments significatifs, ce qui permet à l’auteur de démontrer comment les systèmes juridiques coloniaux se sont développés différemment à partir de multiples exemples au niveau local. Cette structuration donne au livre une apparence segmentée, mais qui n'est que le reflet d'un travail cherchant à mettre l'accent sur la variance plutôt que sur la cohérence. Néanmoins, l’auteur parvient à recentrer son argumentation par des conclusions générales à chaque fin de chapitre, ce qui permet de créer des liens entre les différents thèmes, ainsi que les espaces géographiques et temporels explorés.
3La première partie, divisée en trois chapitres, couvre la période 1607-1660 et se consacre à la diversité des origines des entreprises coloniales, qu’elles fussent religieuses (la Nouvelle Angleterre ou le Maryland) ou commerciales (la Virginie, la Nouvelle Néérlande), et à leurs différents systèmes légaux : la Nouvelle-Angleterre qui fonde son système juridique sur la parole de Dieu, le Maryland qui suit la tradition de du droit coutumier (Common Law), la Virginie qui règne par la loi martiale et le New York qui adhère au droit néerlandais d’inspiration romaine.
4La deuxième partie, composée de 5 chapitres, montre comment le droit coutumier n’a pas été apporté par les colons depuis la mère patrie, mais leur a été imposé par la Couronne après la Restauration dès 1660. Nelson met en avant la façon dont le droit a ainsi servi de mécanisme de pouvoir et de contrôle dans l’empire britannique nord-américain jusqu’au milieu du XVIIIe siècle. En effet, la Couronne se servit des avocats pour diffuser la pratique du droit coutumier de manière plus homogène sur le territoire. Si la grande majorité des colonies l’intégra facilement, le Massachusetts et le New York montrèrent davantage de réticence à la politique d’intégration de la couronne au moment de la Glorieuse révolution.
5La troisième partie, scindée en 3 chapitres, traite à la fois de la maturation des pratiques juridiques locales et de l’uniformisation de la religion protestante suite à l’avènement de Guillaume III, dont l’objectif premier était de vaincre l’empire français. Ces deux exemples, à première vue disparates, permettent de montrer tous deux que l’accommodement et le compromis plutôt que la coercition furent les meilleurs moyens de maintenir la primauté du droit et le contrôle britannique dans les colonies.
6La quatrième partie, qui se décline en 5 chapitres, analyse la façon dont le pouvoir fut progressivement transféré dans les mains des avocats, des juges et des jurys à partir du milieu du XVIIIe siècle, donnant toute sa force à la doctrine du contrôle judiciaire de la constitutionalité des lois (judicial review) et de la primauté du droit (the rule of law) qui se trouvent au cœur du système politique américain contemporain. Une conséquence importante de l’introduction de la Common Law fut la création de la profession juridique qui s’appuyait sur la suprématie du droit local et commença, après la Guerre de Sept-ans, à représenter des clients opposés à la politique britannique, et ainsi à agir dans la lutte pour l’indépendance.
7Dans sa conclusion, « A Historian’s Postscript », William Nelson met en avant trois grands principes montrant que le droit coutumier reste l’un des derniers liens entre la mère-patrie et ses anciennes colonies nord-américaines et qu’étudier l’Amérique coloniale par ce biais reste un très bon moyen de comprendre non seulement le fonctionnement des gouvernements coloniaux mais également de comprendre l’Amérique contemporaine. L’importance de la profession juridique qui administre ce droit coutumier aux Etats-Unis, tout comme la protection de la propriété privée et la liberté de signer des contrats qui structurent l’économie moderne, sont des héritages directs de la période coloniale. La prédominance des pouvoirs locaux, héritiers des gouvernements coloniaux, sur le gouvernement national en est la deuxième trace. Enfin, la domination de la religion protestante découlerait de la volonté d’uniformisation de la Couronne anglaise à la fin du XVIIe siècle.
8Si nous ne pouvons qu’adhérer à la thèse du lien manifeste entre la diversité des pratiques coloniales, l’adaptation du droit coutumier aux besoins coloniaux et le système politico-juridique tel qu’il fut mis en place au moment de la Révolution et dont l’époque contemporaine en est l’héritière, le livre ne parvient pas toujours à établir des liens clairs entre certains développements et la tradition de la Common Law. Le chapitre 10 sur « the law of religion » en est un exemple, le développement de la religion protestante aux Etats-Unis répondant, il nous semble, à d’autres facteurs que la prérogative royale. De même, le thème choisi pour la troisième partie n’est pas suffisamment convaincant et semble beaucoup trop disparate. Nelson a pour objectif de montrer que la nation britannique, et son appétence à imposer le droit coutumier sur ses colonies, sont nés de la lutte contre l’empire français. Or, l’exemple du fonctionnement du droit romain est ici totalement absent. L’auteur aurait pu contraster les empires coloniaux, expliquant que la France avait une propension à la centralisation impériale depuis la métropole alors que l’Angleterre acceptait le compromis en laissant les assemblées coloniales mener leur propre politique.
9Enfin, si le livre foisonne de détails fascinants, de références à des acteurs ou à des événements majeurs ou moins bien connus de la période coloniale qui sont toujours plaisants à découvrir, certaines de ses analyses sur les mécanismes légaux et juridiques nécessitent parfois une quantité importante de connaissances préalables, qui peuvent rendre l’ouvrage difficilement accessible pour les non-initiés aux rouages de la période coloniale ou à l’histoire du droit. De plus, on pourra lui reprocher un traitement trop succinct de la question de l’esclavage africain, qu’il présente en opposant, du point de la vue de la loi, un esclavage du Nord à un esclavage du Sud, sujet qui peut prêter à controverse, et qui est, quant à lui, traité de manière plus approfondie dans la nouvelle édition de Peter Charles Hoffer de Law and People in Colonial America (Baltimore: Johns Hopkins University Press) sortie la même année, en 2019, qui vient compléter ce travail de réflexion sur les mécanismes du droit coutumier à la période coloniale.
Pour citer cet article
Référence électronique
Anne-Claire Faucquez, « William E. Nelson, E Pluribus Unum: How the Common Law Helped Unify and Liberate Colonial America, 1607-1776 », XVII-XVIII [En ligne], 80 | 2023, mis en ligne le 31 décembre 2023, consulté le 09 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/1718/11535 ; DOI : https://doi.org/10.4000/1718.11535
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