Le Cinématographe dans le mouvement :une métaphysique des feuilles
Résumés
La réception du Cinématographe Lumière à son émergence suggère qu’avec lui s’institue une distinction entre deux types de mouvement : celui des figures (qui a été jusqu’ici analysé et reconstitué par les jouets optiques, la chronophotographie et les bandes du kinétoscope) et celui du fond qui demeurait jusque là indifférencié, neutre et devient, avec les Lumière, un milieu. L’anecdote reprise par Méliès du mouvement des feuilles des arbres dans le vent semble ainsi désigner un phénomène qui est celui de la captation/restitution des micro-mouvements de la matière, l’aérien, rendant tangible l’insaisissable éther. L’hypothèse de cette étude est que le cinéma accompagne par là la refondation du monde physique par la science sur la base de la crise du modèle mécanique – que proclame Albert Einstein – que font éclater les évolutions de la thermodynamique, l’optique, l’électromagnétisme et la microphysique. Le point de jonction se situe dans les rapports entre ces phénomènes naturels aériens, de poussières, de fumées ou de feuilles innombrables avec l’activité de l’émulsion du film et ses cristaux d’halogénures d’argent.
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- 1 E. Verhaeren, les Villes tentaculaires, Edmond Deman, Bruxelles, 1895 (ce poème fut ajouté à ce rec (...)
Dans le ferment, dans l’atome, dans la poussière,
La vie énorme est recherchée et apparaît.
Tout est capté dans une infinité de rets
Que serre ou que distend l’immortelle matière.
Émile Verhaeren, « Vers le futur »1
1« Les feuilles bougent... » : on connaît cette légendaire formule émise le 28 décembre 1895 à la vue des vues Lumière par certains spectateurs (dont Georges Méliès) et reprise depuis lors à satiété, donnant son titre à un article de Nicole Vedrès dans les Temps Modernes de 1948 qui l’a bien résumée et explicitée – en repartant de Georges Sadoul :
- 2 Nicole Vedrès, « Les feuilles bougent », les Temps Modernes, no 35, août 1948, pp. 348-354. La sour (...)
Georges Sadoul relève, parmi les échos de leur prudent enthousiasme [des spectateurs du Grand Café] (...) : dans le Déjeuner de Bébé, ce qui frappait le plus, ce n’était pas l’appétit manifeste de l’enfant à la Phosphatine, ce n’était pas non plus qu’on reconnût, gesticulant et remuant les lèvres, l’attendrissante famille Lumière. Non. Cela pouvait encore être du théâtre, cela pouvait être joué... Mais au fond, tout au fond du paysage (la scène se passait en plein air dans un décor de verdure naturelle) les feuilles bougeaient. Voilà ce que rien, aucune invention, aucun art n’avait encore offert ; voilà ce que le théâtre libre lui-même était impuissant à figurer, voilà ce qui enchantait à bon droit une époque passionnée du « comme c’est bien cela ! » (exclamation des mêmes spectateurs lorsque, après le Déjeuner de Bébé, ils pouvaient contempler les vues du port de La Ciotat : là encore, peu importaient le bateau, les passagers – le Châtelet faisait presque aussi bien – mais ce petit mouvement inutile des vagues, ce clapotis sans conséquence, qui est la palpitation même de la vie ! Voilà qui dépassait toutes les frontières de la vraisemblance, tous les procédés de « représentation » d’un temps qui cependant avait été bien loin dans la quête du naturalisme.2
- 3 M. Garrigues, Simples lectures sur les sciences les arts et l'industrie, Paris, Hachette, 1870 (nou (...)
2Pourquoi les arbres, le remuement des feuilles frappent-ils à ce point dans cette scène familiale, supplantant la scène elle-même, ses personnages et leur action, au demeurant banale, anecdotique mais concernant des êtres humains ? Pourquoi l’arrière-plan l’emporte-t-il ici sur le premier plan ? D’un article à l’autre, de Paris à Limoges ou à Nijni-Novgorod, on parle de fourmillement, de frémissement, de pulsation, d’animation vraie, de vie, en s’attachant à des phénomènes aériens, naturels telles que ces feuillages en mouvement. Il est vrai que « la feuille joue à peu près le rôle du poumon chez l’homme et les animaux ; c’est l’organe de la respiration... »3. En ce sens, cette vue Lumière « respire » par ces feuillages agités par le vent, indices de vie, plus encore que par les mouvements des personnages.
Deux types de mouvement
- 4 On peut opposer aux « feuilles qui remuent » l'arrivée du train (appartenant à un programme ultérie (...)
3Ces témoignages et la synthèse qu’en propose Vedrès mettent clairement en évidence la distinction entre deux types de mouvement au cinéma dans la perception qu’en ont les spectateurs : celui des figures en mouvement, qu’auparavant les jouets optiques, la lanterne magique, les ombres, le théâtre optique de Reynaud, le kinétoscope, etc., avaient animées à l’aide de leurs ressources propres et dans des dispositifs variés, et celui du mouvement général de la « vie », du milieu où se meuvent les figures – qui n’advient à la représentation qu’avec le cinéma et, pourrait-on dire, de la photographie en mouvement. Les mouvements de phénomènes diffus, les mouvements complexes, minuscules, difficilement identifiables et cernables, sans début ni fin, disons le « mouvant » (vagues, chutes d’eau, fumées, feuilles, agitées par le vent, poussières), frappent tout autant et, semble-t-il, plus que la mise en mouvement d’un mobile, d’un corps, d’un objet dans le cadre d’une action identifiable et le plus souvent délimitée (danseur, cheval au galop, jouteurs, promeneurs, véhicules, etc.)4.
4Deux types de mouvement qui peuvent être grossièrement distingués sur la base de deux oppositions classiques : celle de la figure et du fond et celle du mécanique et du vivant.
- 5 Pour Sadoul, « les premiers films tournés par Dickson pour Edison en 1894, s'inspiraient exclusivem (...)
5Pour ce qui est de la première, elle marque la différence qu’instituent, consciemment ou non, les Lumière avec leurs vues de plein air. Jusqu’alors les chronophotographies de Marey comme les images du kinétoscope offraient des démonstrations de figures animées se détachant sur un fond neutre, noir ou blanc laissant bien voir au spectateur – ou à l’analyse dans le cas de Marey – les articulations du mouvement animal ou humain, les actions effectuées, les prouesses. Le décor était soit aboli soit simplifié au profit de ce fond sur lequel s’enlevaient les figures. On comprend bien qu’Edison ne visait pas aux mêmes effets que Marey : si ce dernier avait besoin d’un fond neutre et si possible gradué pour permettre la mesure, l’établissement de courbes, pour permettre la comparaison et la mathématisation du vivant, Edison offrait une attraction, une performance. Mais le dispositif est le même. Ainsi le fameux Sandow faisant des exercices de musculatures, l’Athlete with Wand, la tireuse d’élite Annie Oakley, ou encore la danseuse Annabelle, ou encore les Sioux dansant, etc., vues datant toutes de 1894. Tous ces personnages, filmés dans le studio d’Edison, la Black Maria, effectuent une performance dans un cadre restreint et un espace neutre5.
- 6 F. Dillaye insiste dans sa présentation des appareils de projection d'images animées sur l'importan (...)
- 7 Dans leur Notice sur le Cinématographe de 1897, Auguste et Louis Lumière insistent sur cet avantage (...)
6Le fait que le kinétoscope ait fonctionné à partir d’images minuscules que l’on observait l’œil collé à un œilleton à l’aide d’une lentille grossissante – comme le Vitascope de Jenkins –, et de bandes de courte durée, en raison du plus grand nombre de photogrammes à la seconde (30) exigé par le déroulement continu et non intermittent de la bande, a pu renchérir sur la volonté de bien mettre en évidence la figure pour des raisons de « lisibilité »6. Quoi qu’il en soit l’image projetée, agrandie des Lumière ne rencontre pas les mêmes obstacles et peut déployer, sur un temps plus long (16 images/seconde, 17 mètres), un ensemble complexe7.
- 8 Le phantascope de Jenkins et Armat (1895) était un appareil de projection où le film se déroulait e (...)
7Encore fallait-il ne pas reconduire en projection agrandie les mêmes figures que dans la visionneuse individuelle – ce que firent Jenkins et Armat avec leur phantascope, trois mois plus tôt8.
- 9 Notamment dans l'Évolution créatrice, Paris, PUF, Quadrige, 2009 (1907), p. 304.
- 10 Sans parler du caricatural la Charcuterie mécanique (vue no 107, 1895) dont le fond est constitué d (...)
- 11 J'ai examiné cette question du « cinéma-machiniste » dans une communication au colloque « La magie (...)
8Les Lumière ne négligent en rien, bien sûr, le mouvement des figures : la marche, les défilés de cuirassiers (ce sont les exemples que prend Bergson9), le saut, la danse. On peut même relever – est-ce un hasard ? – que ces prestations se déroulent parfois avec, à l’arrière-plan, des personnages de « machinistes » tournant les manivelles de quelque appareil-miroir de l’appareil de prise de vue : la soufflerie de la forge que tourne l’assistant du forgeron (1895), le cric qui permet de faire s’écrouler le mur sous la surveillance d’Auguste (le Mur, Lumière, 1895), le hachoir à grains ou à paille, en fond des joueurs de boules, qu’active un ouvrier (Partie de boules, Lumière, 1896), l’orgue de barbarie à l’arrière d’une danseuse de rue à Londres (Chanteuse de rue, Lumière, 1896)10. Comme si se perpétuait, au sein des vues du Cinématographe, l’animation des figures du Zootrope ou du Praxinoscope mais intégrées à un milieu en mouvement. On trouvera même, dans un petit film Pathé de 1907 non identifié, une figure d’opérateur de « cinéma » animant à son gré les passants, les gendarmes, les policiers en accélérant leurs mouvements, inspiré sans doute de Work Made Easy (attribué à Stuart Blackton, 1907), qui fit beaucoup gloser à sa sortie et par la suite11.
9Mais ce qui change, dans les premières vues Lumière, c’est cette transformation du fond, son changement soudain de statut avec le plein air : il advient et il suscite un milieu où prennent place les figures, qui les environne et interagit parfois avec elles. Mieux, de fond neutre, inexistant en somme, il devient le lieu même de la « vie » restituée par le cinématographe : c’est à son propos que l’on parle de « pulsation », « grouillement », « fourmillement » vitaux.
10On a donc, qui se superpose à l’opposition « figure/fond », celle du « mécanique et du vivant », avec une distribution paradoxale des places respectives de ces entités : les figures ressortissent du mécanique et le fond du vivant ; la figure, qui était le vivant, devient mécanique et le fond, qui était inerte, devient le vivant. Ou plutôt le fond, le milieu renchérit sur l’effet de véracité et de vivacité à proportion de la complexité, de la malléabilité (fumée) et du caractère innombrables (les feuilles, les poussières) des phénomènes qu’il restitue. C’est cet « excès » par rapport à une animation sommaire qui donne au milieu cette prévalence « vitale » : il y a en somme une « métaphysique des feuilles » au sens où Bachelard a pu parler d’une « métaphysique de la poussière » (voir plus loin).
11Cet « excès » ne se mesure pas seulement dans les effets, complexes ici et simples là, de la « vue », il interroge directement le mécanisme de l’appareil de prise de vue et de projection et la mécanisation du visible qu’il engage. La décomposition photogrammatique est largement commentée dans toute cette période de gestation du cinéma (à commencer par la chronophotographie) mais elle s’applique à des gestes et des actions précisément décomposables, dénombrables et que l’on peut (Marey) schématiser. Les phénomènes diffus et fourmillants n’entrent pas dans ce modèle.
- 12 Thierry Pozzo, « La chronophotographie scientifique : aux origines du spectacle du monde vivant » d (...)
- 13 Marey s'y attaquera sur le tard, sans parvenir à des résultats comparables à ceux qu'il avait obten (...)
- 14 Cf. Georges Canguilhem, « Machine et organisme » dans la Connaissance de la vie, Paris, Vrin, 1965, (...)
12La chronophotographie avait institué un processus de décomposition du mouvement animal et humain, sa segmentation et sa reconstitution grâce au zootrope. Il y était envisagé « en termes géométriques et cinématiques comme une suite de postures (la géométrie des articulations) »12. Mais la chronophotographie n’a pas décomposé les mouvements du milieu aérien, élastique (ce qu’on appelle encore « l’éther »), celui du vent, des fumées, des innombrables feuilles des arbres13. Car le modèle mécanique implique, pour une configuration de solides en mouvement, que ce dernier n’abolisse pas la configuration et qu’elle demeure mesurable14.
- 15 « Lumière en possession d'une caméra qu'il pouvait faire fonctionner en tout lieu, eut la grande in (...)
13Quand, à propos des vues Lumière, on parle de « refaire la vie »15 ou de la restituer, la perception – ou la réflexion sur la perception qu’on en a – n’est pas la même que dans le cas des figures animées. Les commentaires de divers types (journalistiques ou de vulgarisation scientifique) indiquent très souvent cette différence, cet élément différentiel, et relèvent, en quelque sorte, la « valeur ajoutée » du cinématographe par rapport aux systèmes précédents de restitution du mouvement.
14Dans sa « Causerie artistique et scientifique », L. Chevolot, s’il ne voit pour commencer, dans le cinématographe, qu’« une amplification intelligente, à l’aide de projections, de l’invention d’Edison » trouve pourtant « l’effet obtenu autrement intéressant » :
- 16 Le Pêle-Mêle, no 13, 28 mars 1896, p. 3. Je souligne.
ce fourmillement de la rue presque grandeur nature, ce jardinier arrosant ses fleurs, ces baigneurs se précipitant dans la mer dont les vagues viennent échouer sur les galets, sont bien le spectacle le plus captivant qu’on puisse imaginer. [...] Nous sommes loin du modeste zootrope...16
- 17 Qui annonce, à la lettre, le Cineorama de Raoul Grimoin-Sanson de l'Exposition universelle de 1900. (...)
15Ainsi dans la présentation que fait Frédéric Dillaye du Cyclorama électrique de Chase, où l’on passe du panorama peint à un panorama photographique mobilisant plusieurs appareils ajointant leurs clichés projetés17, l’auteur préconise de dépasser encore ce dispositif avec le « cinématoscope de MM. Lumière et le bioscope de M. G. Demeny » :
- 18 La Science illustrée, no 437 de 1895 sous le titre « Le mouvement photographique » (pp. 299-300). J (...)
Avec de tels appareils, on a la possibilité de faire passer devant les yeux du spectateur et dans un espace de temps limité des vues animées, ce qui donnera tout de suite, si on applique ces propriétés au panorama, une animation vraie et une remarquable diversité qui manque dans le panorama ordinaire18.
16Dans le cas d’un panorama, ce ne sont pas des « figures en mouvement » qui sont visées, mais bien un mouvement général, un milieu en mouvement, avec ses micro-phénomènes.
- 19 Revue générale des sciences (séance du 11 juillet 1896), dans Sadoul, op. cit., p. 243.
- 20 « En vain la nature s'était cachée dans des lieux si profonds et si inaccessibles pour travailler à (...)
17Ce sont également ces phénomènes diffus – le nuage de vapeur qui s’élève quand les forgerons plongent le fer rougi dans l’eau « qu’un coup de vent venait chasser tout à coup », les flammes d’un incendie, la bavette d’une enfant soulevée par le vent –, qui font parler, comme André Gay, de « la sensation saisissante du mouvement réel de la vie ». Lui aussi évoque « les vagues de la mer qui viennent se briser sur les plages, le frémissement des feuilles sous l’action du vent... »19 Ce qu’il exprime, c’est ce sentiment, rapporté par Sadoul, d’une formule empruntée à Fontenelle, celui de « la nature même prise sur le fait »20 à laquelle fera écho la « vie à l’improviste » de Vertov.
- 21 Ainsi A. Michotte van der Berck parle uniquement d'objets corporels, de leurs déplacements, changem (...)
- 22 Gaston Bachelard, l'Activité rationaliste de la physique contemporaine, Paris, PUF, 1951, p. 57. Da (...)
- 23 M. Mauss, « Les techniques du corps », communication à la Société de Psychologie (17 mai 1934), pub (...)
18On ne peut exclure un effet rétroactif dans les réactions des premiers spectateurs qui dévalorisent en quelque sorte – sous les espèces du manque – l’animation des figures dont on s’était émerveillé jusqu’ici. On s’émerveillait bel et bien, en effet, de ce que la décomposition des mouvements puis sa reconstitution fussent de nature à les faire paraître « vrais » et à les mieux comprendre, en particulier avec la chronophotographie. Et on continuera d’accorder un certain privilège au mouvement des objets et des figures, en particulier dans les analyses ultérieures consacrées à « l’impression de réalité » au cinéma21. Il ne s’agit donc nullement de nier cet aspect dont la fonction révélatrice va se développer, en particulier dans le domaine scientifique. En subdivisant le déplacement d’un mobile le cinéma se révèle « la plus fidèle des mémoires dynamiques, la plus minutieuse des mémoires du mouvement » (Bachelard), notamment en enregistrant des mouvements « intermédiaires » échappant à la perception (en particulier dans le vol de l’oiseau qui supplante, comme exemple paradigmatique, la décomposition du galop du cheval révélé par la chronophotographie de Muybridge)22. En offrant aussi une mémoire des gestes et des habitus, de ce que Marcel Mauss appellera « les techniques du corps »23. Henri de Parville, énumérant un certain nombre de ces mouvements dans les bandes du kinétoscope, prévoyait déjà que « nos descendants [puissent] assister au mariage de leur grand’mère (...) On saura comment ils marchaient, on retrouvera leurs façons d’être... » [1894]). Les comptes rendus de presse du Courrier du centre de Limoges, après les premières séances de cinématographe dans cette ville, étendent cet examen des comportements à ceux de la rue, évoquant d’emblée cette nomenclature des mouvements de mobiles que les vues restituent :
- 24 Cités dans Pierre et Jeanne Berneau, le Spectacle cinématographique à Limoges de 1896 à 1945, Paris (...)
Le va et vient des fiacres et des piétons, le passage rapide des cyclistes, la marche lente du promeneur, celle plus accélérée du monsieur qui suit... [6 juillet 1896] ; Des fiacres qui passent au grand trot, des passants qui courent pour les éviter, un omnibus qui s’avance pesamment chargé... [8 juillet 1896]24
- 25 Dans le Larousse mensuel de 1907 (article « vitesse »), les rédacteurs se livrent à un examen compa (...)
- 26 Ballet mécanique de Fernand Léger (1923), Entr'acte de René Clair (1924), Impatience de Charles Dek (...)
19C’est un tableau des vitesses, des déplacements, des gestes afférents qui devient perceptible, un tableau comparatif, quantifiable25 qu’après les burlesques des années 1910 certains cinéastes d’avant-garde des années 1920 parcourront de manière débridée26.
- 27 Cf. Maurice Merleau-Ponty : « les vues instantanées, les attitudes instables pétrifient le mouvemen (...)
20La photographie n’avait pu, dans un premier temps, fixer les êtres en mouvement en raison de la lenteur des émulsions (d’où les paysages urbains inhabités ou alors ne retenant que des traces fantomatiques), puis elle les avait immobilisés en pleine action faisant même de l’instantané un « clou » souvent spectaculaire (Auguste Lumière immobilisé sautant par-dessus le dossier d’une chaise). Cette immobilisation ne donnait pas à voir la manière de marcher, sauter ou courir, a fortiori les vitesses de déplacement, les rythmes de la rue qui ne sont restitués que dans le cinématographe27.
21À cette observation permise par l’appareil s’ajoutent rapidement d’autres ressources permettant d’accélérer, de ralentir, de grossir et donc de préciser, au-delà de la perception humaine, la mécanique du mouvement. Walter Benjamin y insiste encore en 1936 :
- 28 W. Benjamin, « L'Œuvre d'art à l'ère de la reproduction mécanisée », dans Écrits français, Paris, G (...)
S’il n’y a rien que d’ordinaire au fait de se rendre compte [...] de la démarche d’un homme, on ne sait encore rien de son maintien dans la fraction de seconde d’une enjambée. [...] C’est ici qu’intervient la caméra avec tous ses moyens auxiliaires, ses chutes et ses ascensions, ses interruptions et ses isolements, ses extensions et ses accélérations, ses agrandissements et ses rapetissements.28
22Cet aspect sera exploré par le cinéma scientifique (Bull, Comandon, Painlevé) comme par les cinéastes d’avant-garde (Vertov, Epstein, Dulac, etc.) via le grossissement, le ralenti, la réversion des actions enregistrées, dont le corrélat est aussi la construction d’un mouvement sui generis via la décomposition photogrammatique et son extension au montage (Léger, Eisenstein, Dekeukeleire).
23Il y a donc un mouvement général du champ, l’écran est comparé à la lentille d’un microscope qui voit s’agiter les corpuscules et leurs mouvements incessants.
Un milieu en mouvement
- 29 Pierre Francastel, « Espace et illusion », Revue internationale de filmologie, Tome II, no 5, [1949 (...)
- 30 Henri Wallon, « L'acte perceptif et le cinéma », Revue internationale de filmologie, Tome IV, no 13 (...)
24Avec le mouvement l’image transforme la notion d’espace : selon la formule de Pierre Francastel, « l’espace ne contient pas les choses » mais ce sont « les choses qui, par leurs déplacements ou leurs rapports, définissent l’espace »29. Henri Wallon dit même plus précisément (en repartant de Hegel et Engels) : « ce qui est primitif, c’est le mouvement », « ce temps et cet espace communément regardés comme des milieux où se meuvent les choses sont en fait des abstractions », « ce qui fait leur réalité c’est le mouvement » ; « le mouvement a, par lui-même, une puissance efficiente »30.
25L’émerveillement devant les phénomènes naturels rendus dans leur complexité se poursuit, par conséquent, bien après la période de la découverte du cinéma (dite « novelty ») et de ses effets, en développant, notamment, une dimension de participation. Songeons aux commentaires de Rémy de Gourmont devant une vue des Chutes du Zambèse en 1908 :
- 31 R. de Gourmont, « Cinématographe » recueilli dans ses Épilogues, 1905-1912, Paris, Mercure de Franc (...)
[L]es Montagnes rocheuses, les chutes du Zambèze : le vent courbait les sapins ; l’eau bondissait. On voit la vie remuer. Au Zambèze, sous l’effort d’un remous, un petit arbuste, poussé au bord de l’abîme, s’agitait constamment, et ce tremblotis, venu de si loin se montrer à moi, me donnait je ne sais quelle émotion. Je m’intéressais à sa lutte ; quand on nous redonnera une nouvelle vue de cette prodigieuse mer d’écume, je chercherai cet arbuste courageux qui résiste à la puissance du fleuve : peut-être aura-t-il vaincu, peut-être sera-t-il vaincu, peut-être sera-t-il devenu un arbre.31
26Ou au texte de Georgette Leblanc dans le Mercure de France en 1919 :
- 32 G. Leblanc, « Propos sur le cinéma », Mercure de France, no 514, novembre 1919.
[la restitution de la vie] sous toutes ses formes. Des êtres, des bêtes, des insectes. Arbres, plantes, fleuves, mer, pluie ou soleil. La terre et tous les éléments. Et tous les mouvements de toutes ces forces, mouvements inconscients ou volontaires, sublimes ou absurdes, misérables ou infinis ! Ah ! que m’importait tantôt l’affabulation niaise qui se déroulait devant moi ! Les images multiples se succédaient sans relâche, m’apportant des flots de vérité et de réalité.32
27Ou encore celui de Colette rappelant une projection de Way Down East de Griffith où
- 33 Colette, « L'Opinion d'une femme. Cinéma », le Figaro, 15 juin 1924, p. 1. On relève dans les cas c (...)
l’assistance donnait de la voix, chaque soir, comme un seul homme, pour un long murmure d’admiration, devant un incomparable paysage argenté de soleil à son lever, de saules tremblants, de large rivière, trempé d’humidité matinale... En dépit du courage et du talent de Lilian Gish, le moment d’émotion véritable trouvait ici le lieu de son soupir, de sa détente et de son regret.33
28Cette captation du mouvement général du monde physique ne va cesser de mobiliser le cinéma notamment le documentaire : tout le film de Viktor Tourine, Turksib (1928), est ainsi voué à la restitution des pulsations végétales (blés sous le vent, cotonniers), animales (épaisses toisons moutonnières), de la fonte des neiges et du jaillissement des torrents, du déferlement de l’eau dans les canaux d’irrigation, des dunes de sables dans la tempête, tout en évoquant, face à cette nature primordiale, le mouvement mécanique de l’industrie humaine bêchant, creusant, récoltant, traçant une ligne de chemin de fer entre le Turkestan et la Sibérie.
- 34 Hanns Sachs, « Film Psychology », Close Up, vol. 3, no 5, novembre 1928.
- 35 « La naissance et le cheminement du Kino-Glaz » (1935) dans Dziga Vertov, le Ciné-Œil de la révolut (...)
- 36 D. Vertov, « À propos de mon amour pour l'homme vivant », dans ibid., p. 556.
29Or le diffus, l’imprécis, le fourmillant du « fond », du vent dans les feuilles, ces mouvements infinitésimaux d’une cinétique de la matière, gagnent rapidement les figures, en épaississent et en opacifient la gestuelle, l’effectuation trop simplement codifiée par les mesures de la mécanique. Hanns Sachs retient dans un plan du Cuirassé Potemkine le léger mouvement de la collerette d’un marin sous le vent, lors de la séquence de l’exécution des mutins pour l’exemple. Il voit dans ce frémissement la prémisse du refus de tirer sur ses camarades de la part du peloton, qui donnera le signal de la révolte34. Vertov, en 1935, se remémorant une expérience qu’il fit en 1919 de se filmer sautant depuis un monticule en prise de vue rapide (c’est-à-dire au ralenti à la projection) montre bien que cette captation décomposée-recomposée d’un geste, d’un mouvement humain va bien au-delà de la physiologie et de la cinématique. « J’avais pour objectif, écrit-il, de comprendre si le tournage avec une caméra à prise de vue rapide pouvait décrypter mon monde intérieur ». Le cinéma a, dit-il, capté les pensées de l’homme qui saute en le scrutant comme au microscope. Au ralenti, on voit qu’il hésite, qu’il a peur, se demande s’il va retomber sur ses pieds, se casser une jambe, chuter ; non, il voit qu’il se tient ferme sur ses jambes...35 Cette expérience d’un saut de quelques mètres, qu’il évoque quinze ans plus tard, fait ainsi écho au témoignage qu’il recueille dans Berceuse (Kolybel’naïa, 1936) d’une jeune femme qui saute pour la première fois en parachute : ce que capte la caméra, écrit-il, c’est une « sincérité absolue et évidente, [un] synchronisme total entre les pensées, les mots et l’image. Nous voyons en quelque sorte l’invisible, nous voyons les pensées sur l’écran »36.
- 37 W. Benjamin, Petite histoire de la photographie [1931], tiré à part d'Études photographiques no 1, (...)
30Ainsi les analyses de la marche ou du saut des figures se complexifient en s’éloignant de sa notation cinématique et font parler Epstein, Moholy-Nagy, Sachs, Benjamin d’« inconscient optique »37. Songeons à cet extraordinaire petit film de quelques minutes seulement de Michael Snow, See You Later (1990) où le mouvement d’une insigne banalité d’un « employé de bureau » quittant sa pièce pour aller déjeuner, revêtant son imperméable et passant devant une secrétaire à qui il dit sans doute la phrase du titre. Snow a étiré ce déplacement, qui ne prend en temps « réel » que quelques secondes (30), et la fait s’étendre dans toutes les directions, 17 minutes durant, au gré d’un panoramique, grâce au ralenti : le corps de l’homme s’enfle, lève comme une pâte, se déploie à l’instar d’une Loïe Fuller empesée, paraît devoir se disperser, éclater puis se ramasse à nouveau et glisse lentement jusqu’à la porte dans le borborygme incompréhensible de la phrase, elle aussi ralentie. La secrétaire assignée à sa place, elle, n’a pas bougé, cariatide moderne, elle soutient l’espace-temps du spectateur que l’homme distord en secrétant une angoisse existentielle à qui voudrait participer, comme le faisait Remy de Gourmont ou Georgette Leblanc, au phénomène auquel il assiste. Dans le temps étiré, enlisé s’établit aussi le rapport hiérarchique entre ces deux actants : homme/femme, patron/employée, mobile/statique, oisiveté/travail, liberté/assignation – « l’inconscient optique » délivre dans cette séquence de cauchemar son refoulé.
L’évolution des idées en physique
- 38 P. Francastel, « Espace et illusion », art. cit., p. 68.
31Il faut s’interroger maintenant sur ce que Francastel appelait les « cadres et [les] structures intellectuelles contemporaines où s’insère l’image mobile projetée sur l’écran »38 et, ajouterons-nous, les conditions culturelles de perceptibilité en quelque sorte des deux types de mouvements qu’on a isolés à des fins démonstratives. Quel est le contexte d’apparition du cinématographe ? On a souvent mis en regard de son avènement celui des rayons X, des études sur l’hystérie et de bien d’autres choses encore. Au-delà de ces coïncidences synoptiques, il y a sans doute des bouleversements plus profonds de la connaissance du monde physique qui dessinent ces cadres culturels et intellectuels.
- 39 H. Wallon, op. cit., p. 107. La citation de Hegel est reprise approximativement de la Dialectique d (...)
32Wallon dit très brièvement mais fortement dans son étude sur « L’acte perceptif et le cinéma » – où il s’interroge sur ce qui fait « la puissance du cinéma » – que « c’est seulement dans les mouvements que le temps et l’espace sont réels » (Hegel) et conclut : « Je crois que la physique moderne donne raison à Hegel : il n’y a pas de distinction initiale entre ces deux coordonnées, l’espace et le temps »39.
- 40 Abel Gance, Prisme, Paris, Gallimard, 1930 (préface d'Elie Faure) ; Saint-Pol-Roux, Cinéma vivant, (...)
- 41 J. Epstein, « Alcool et cinéma », Écrits sur le cinéma 2, op. cit., p. 219.
- 42 Ibid. Je souligne.
- 43 Émile Meyerson intègre le cinématographe parmi les appareils susceptibles de renouveler la connaiss (...)
33Si Abel Gance – et après lui Saint-Pol Roux40 – font un rapprochement vague entre cinéma et théorie de la relativité, Epstein, quelques années plus tard, sera plus précis et développera jusque dans les années 1950 ses idées sur la question. Pour lui le renouvellement de la vision apporté par le cinéma est de nature à rendre « palpable » ce que les physiciens ont élaboré à l’encontre de l’expérience commune, c’est-à-dire « la notion d’un espace-temps non-homogène, à structure granulaire ou cellulaire, c’est-à-dire discontinue »41 : « le cinéma apporte tout à coup des images nous permettant de voir comment les choses peuvent apparaître dans un espace-temps irrégulier et fragmenté, qui ne prétend d’ailleurs pas figurer fidèlement les espaces-temps des relativistes et des microphysiciens, mais qui nous rend concevable ce type de cadre spatio-temporel »42. Des propos qui consonent avec ceux d’Émile Meyerson énoncés quelques années plus tôt43.
- 44 La Science illustrée, no 419 à 470, 8 décembre 1895 au 29 novembre 1896. Le feuilleton paraît d'abo (...)
34Antérieur de quelques années au cinématographe, Didier de Chousy dans son roman d’anticipation Ignis, publié en feuilleton dans la Science illustrée44, évoque déjà l’éther et ses « pluies d’atomes » (Lucrèce) :
- 45 D. de Chousy, Ignis, Paris-Genève, Slatkine, « Ressources », 1981 [reprint de l'édition de 1883], p (...)
la chimie s’élèvera plus haut.
Écartant les éléments médiats qui obstruent ses alambics, elle puisera sa matière à la source pure ; elle captera l’atome ultimate dont les vibrations engendrent la forme des corps, l’atome irréductible entrevu par Épicure et contemplé par M. Graham, la fraction insécable au-delà de laquelle le néant commence. Elle fera vibrer cet atome, anatomisera cette larve cosmique, passera au crible cette poussière puerpérale...45
- 46 G. Bachelard, les Intuitions atomistiques, Paris, Boivin et Cie, 1933, p. 113.
35Le rattachement du cinéma à la refondation du monde physique par la science s’inscrit dans la crise du modèle mécanique qui prévalut d’Aristote à Newton. La cinématique étudiait depuis longtemps la mécanique des mouvements, elle était, avec la dynamique et la statique, une partie de la Mécanique. L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert avance bien la notion – qui ne subsistera pas – de cinetmique, « science du mouvement en général », dont la « méchanique » ne serait « qu’une branche », mais c’est, en fait, la mécanique qui se développe au xixe siècle et gagne la physique, s’appropriant tout phénomène mouvementé à l’aide d’appareils de mesures qui segmentent, décomposent et classent. Au cours de ce siècle, elle est « le seul savoir susceptible de pouvoir analyser scientifiquement le mouvement », « le mécanisme est l’espoir même de la science », il a « cette clarté qui prime tout : la clarté de l’idéal et du but »46.
- 47 F. Engels, Dialectique de la nature, op. cit., p. 90. Je souligne.
36C’est ce modèle mécanique que met en œuvre le physiologiste Marey, celui aussi qu’on va tenter d’étendre – et on y parviendra dans certaines limites – à des micro-mouvements. Marey lui-même s’attache, dans les dernières années de sa vie (1899-1901) à photographier des phénomènes aérodynamiques sur le modèle des fluides, tels que des filets de fumée. L’extension du modèle mécanique aux corps incertains devient un des enjeux de la fin du siècle, au moment même où apparaît le cinématographe. Ainsi la théorie cinétique des gaz qui trouve son expression mathématique avec Ludwig Boltzmann et James Clerk Maxwell. Le mystérieux fonctionnement de « l’éther » semble cependant échapper au modèle mécanique, quoique on ait l’ambition de l’y rattacher. Dans les années 1880 Friedrich Engels déplore que l’on n’en sache « pas plus sur l’éther » et lui prête une extension future : « ... lorsque nous serons au point de pouvoir exposer la mécanique de l’éther, elle embrassera aussi mainte chose qui aujourd’hui est nécessairement rangé dans la physique »47.
- 48 Albert Einstein, Leopold Infeld, l'Évolution des idées en physique. Des premiers concepts aux théor (...)
37Au contraire, les évolutions de la thermodynamique, de l’optique, de l’électromagnétisme et de la microphysique vont faire éclater le modèle mécanique ou en détrôner la suprématie. Les théories atomistiques se transforment avec la découverte de l’électron (en 1895). Einstein traitera en deux chapitres de son livre, l’Évolution des idées en physique, de « La naissance de la conception mécanique » puis du « Déclin de la conception mécanique »48 dès lors qu’il aura unifié les champs de la mécanique et de l’électromagnétisme grâce à la théorie de la relativité.
38Avec cet événement inédit des « feuilles qui remuent », le cinématographe accompagne donc et, pour partie, exprime, des mutations épistémiques d’importance de la fin du xixe siècle, tel que l’abandon de l’approche mécanique du mouvement, tout en rencontrant la nouvelle théorie de l’éther de Hendrick Lorentz développée entre 1892 et 1905 (année où Einstein congédie l’éther).
- 49 Jean Eisenstaedt, Avant Einstein, Paris, Seuil, 2005, p. 273.
- 50 L. Poincaré, la Physique moderne. Son évolution, Paris, Flammarion, 1909, p. 162.
- 51 Ibid., p. 185.
- 52 Gustave Le Bon, l'Évolution de la matière, Paris, Flammarion, 1905, p. 190.
39Paradoxalement, en effet, ressortissant en quelque sorte à une « physique phénoménologique » – avec laquelle Lorentz, Poincaré puis Einstein entendent rompre49 –, le cinéma rend tangible ce qu’on appelle « l’éther » depuis l’Antiquité et dont les physiciens modernes ne peuvent encore se passer pour penser leur objet en dépit des apories qui affectent ce terme, son caractère indéfinissable, en d’autres termes « métaphysique ». Lucien Poincaré dans son traité sur la Physique moderne (1909) lui consacre un chapitre entier (le 6e), repartant de Descartes, qui y voyait « une matière subtile qui serait le réceptacle de l’énergie universelle »50, de Newton, qui le définissait comme un fluide impondérable doué d’élasticité, qui se densifie ou se raréfie selon qu’il est « à l’intérieur des corps denses [...] ou dans les espaces vides qui les séparent » (Optique, Préface), pour aboutir à Fresnel (« l’éther lumineux ») puis Faraday (établissant l’influence des milieux dans les phénomènes électriques et magnétiques et attribuant cette influence à des modifications de l’éther que ces milieux renferment »), Maxwell (l’éther comme « tourbillons moléculaires ») et Hertz (propagation des ondes électromagnétiques) dans l’appréhension de ce « milieu » expliquant la lumière, la chaleur rayonnante et bientôt l’électricité, donnant « la clef de tous les phénomènes ». Jusqu’aux rayons X, « qui ont leur siège dans l’éther lumineux »51. Pour Gustave Le Bon ces rayons représentent « l’extrême limite des choses matérielles, une des dernières étapes de l’évanouissement de la matière avant son retour à l’éther »52, tandis que selon Paul Langevin la matière serait de l’éther liquéfié.
- 53 Henri Poincaré, la Science et l'hypothèse, Paris, Flammarion, 1902. Einstein et Infeld, dans un dia (...)
40Une sorte de signifiant vide, nécessaire (peu importe qu’il existe, dit Henri Poincaré, c’est une « hypothèse commode »53) mais décidément mystérieux.
- 54 L. Poincaré, la Physique moderne, op. cit., p. 197.
41Le physicien ne peut pas encore répondre à la question que lui pose le philosophe : « L’éther a-t-il vraiment une existence objective ? ». Mais, ajoute Lucien Poincaré, dans le droit fil des considérations de son oncle sur la question : « la solution n’est pas nécessaire à connaître pour utiliser l’éther ; dans ses propriétés idéales, on trouve le moyen de déterminer la forme d’équations qui réussissent et, pour un savant détaché de toute préoccupations métaphysiques, c’est là l’essentiel »54.
- 55 Cf. Françoise Balibar, Einstein 1905. De l'éther aux quanta, Paris, PUF, 1992.
- 56 Einstein, Infeld, op. cit., p. 149 ; et : « Après des expériences si malheureuses, le moment est ve (...)
42C’est pourtant à l’existence de cet « opérateur » idéal que mettra fin Einstein avec la relativité restreinte55, déclenchant une polémique entre savants qui l’amènera à concéder (à Lorentz en particulier) qu’on peut bien concevoir qu’il y a un éther (c’est-à-dire que l’espace a des propriétés physiques permettant la propagation des ondes électromagnétiques et donc de la lumière) mais dénué de tout état de mouvement. « Son histoire, écrit-il avec Infeld, est continuée par la théorie de la relativité »56.
Une métaphysique des feuilles ?
- 57 G. Bachelard, le Nouvel Esprit scientifique, Paris, PUF, 1946 [1934], p. 2.
43Avant Einstein on considère l’éther comme un milieu constitué de particules et, dans la multitude des théories qui l’expliquent, il est associé à des notions comme celles de vibrations, d’excitations, de contractions et de dilatations qu’on retrouve parfois littéralement dans les commentaires accompagnant les vues Lumière dont on a cité quelques-uns au début de cet article. Quelque chose paraît rendu perceptible dans ces vues où le champ de la représentation est agité en tous ses points bien au-delà des animations des figures mécaniques, l’air lui-même en même temps que des objets presque indiscernables s’y trouvent en mouvement. Cette agitation générale du champ perçu sur l’écran (à laquelle la perception visuelle n’a pas accès dans les mêmes proportions) semble rendre compte, comme sous l’oculaire d’un microscope, des micro-mouvements de la matière : il se forme, sur cette base évidemment non explicitée en ces termes dans les textes relatant l’expérience des premières projections, une « mythologie » des feuilles et de l’éther à l’avènement du cinématographe. Cela nous fait retrouver une ambiguïté dont Bachelard a bien rendu compte dans son historique des théories atomistiques, en particulier dans le chapitre intitulé « La métaphysique de la poussière », cas d’école de ce qu’il appelle ailleurs la nécessaire substitution des « métaphysiques discursives et rectifiées » aux « métaphysiques intuitives et immédiates »57. Cependant son raisonnement procède en deux temps car, commence-t-il par dire :
- 58 Id., les Intuitions atomistiques, op. cit.
Si l’expérience usuelle ne nous présentait pas les divers phénomènes de la poussière, il est à présumer que l’atomisme n’eût pas reçu des philosophes une adhésion si prompte et qu’il n’eût pas connu un destin si facilement renouvelé. Sans cette expérience spéciale, l’atomisme n’aurait guère pu se constituer que comme une doctrine savante, toute spéculative, où le risque initial de la pensée n’est justifié par aucune observation.58
- 59 Id., la Poétique de l'espace, Paris, PUF, 1984 [1957], p. 214.
- 60 Id., les Intuitions atomistiques, op. cit., pp. 17 et 40. Je souligne.
- 61 « Il faut avoir vu la poussière du chemin, au creux d'un ravin, prise et soulevée par un souffle fa (...)
- 62 « Observe (...) toutes les fois qu'un rayon de soleil se glisse et répand son faisceau de lumière d (...)
- 63 On se rappelle que Gorki parle des feuillages de cendre dans son article de 1896.
- 64 Dans le Mémorial des Vosges du 25 juin 1896, on souligne « la fumée qui les voile parfois aux yeux, (...)
- 65 Voir G. Bachelard, « Critique préliminaire du concept de frontière épistémologique » [1934] dans Ét (...)
44Toute la première partie de son texte semble goûter, avec la gourmandise du poéticien des matières et des rêveries, du partisan d’une « métaphysique concrète »59, aux descriptions de Démocrite, Lucrèce, Descartes, etc., de l’atomisme « naïf », qu’il qualifie de doctrine « de prime abord visuelle »60. Il s’attarde ainsi, à propos de Descartes, à la définition du tourbillon, « phénomène plus rare qu’on ne pense » dont beaucoup parlent « qui n’ont pas eu l’occasion d’en observer »61. Il y a un plaisir manifeste à cette phénoménologie des coups de vent, des envols de poussières, de la « danse des poussières dans un rayon de soleil » de Lucrèce62, comme, avec les alchimistes, aux évocations maléfiques des poudres, talcs, farines et cendres63. Comme on goûte au spectacle des fumées que le vent avive, emporte et tord sur elles-mêmes dans les Mauvaises Herbes (1896-7)64, comme on est étonné par la poussière des gravats dans Démolition d’un mur (1895) où tout l’écran est soudain envahi avant que se reconfigure la scène. Ces phénomènes échappant à la géométrie des solides et à la pesanteur donnent l’intuition d’une réalité corpusculaire. Mais l’ambiguïté de cet accès à la réalité physique où le cinéma accompagnerait l’évolution de la physique moderne tient précisément à ce registre visuel. L’intuition de ces micro-mouvements, de cet infiniment petit suggéré par l’image cinématographique tombe dans le travers des intuitions premières qui sont les obstacles épistémologiques par excellence65, même si le succès de l’atomisme tient à ces phénomènes observables qui l’ont inspiré et sans lesquels on eût moins promptement admis la structure atomique de la réalité.
45Cette distorsion pose alors un autre problème, celui de savoir si le cinéma, nouveau moyen d’enregistrement et de vision, peut être un outil d’investigation.
Le cinéma outil d’investigation
- 66 Occasion de parler de cet « autre milieu plus subtil, pénétrant partout, doué d'élasticité dans le (...)
- 67 G. Bachelard, « Lumière et substance », Revue de métaphysique et de morale, XLI, 1934.
46On peut soutenir l’idée de l’influence d’une technologie de la transmission, de la reproduction sur le développement des théories scientifiques. Ainsi L. Poincaré examine-t-il une « invention technique » du passé proche : la télégraphie sans fil66. Bachelard s’étonne de son côté que la photographie « n’ait pas d’abord posé un plus grand nombre de problèmes théoriques à la photochimie »67. Il soulève cette question au cours de sa réflexion sur l’évolution de la conception de la lumière en physique et en chimie au cours du xixe siècle qui va vers l’abstraction de la matière en rompant avec la conception substantialiste, sensualiste qui est encore celle de Newton. Il voit la raison de cette absence de « crise épistémologique » à l’apparition de la photographie – à laquelle on pourrait rétrospectivement devoir s’être attendu –, à la préoccupation avant tout pratique des inventeurs et expérimentateurs et de leurs convictions et intuitions « étonnamment réalistes », dit-il.
- 68 L. Poincaré, la Physique moderne et son évolution, op. cit., p. 171.
47On pourrait relever, d’une part, que sans être omniprésente la photographie est souvent mobilisée comme moyen d’enregistrement d’un phénomène dans les expériences qui se mènent à la fin du xixe siècle et au début du xxe dans une perspective qui ne ressortit guère au « réalisme » (c’est un nouveau mode de notation – celui que Marey utilise), en particulier quand le phénomène examiné est dans l’infiniment petit. D’autre part qu’on la requiert aussi comme terrain de démonstration de certaines théories physiques. La plaque photographique est souvent mise à contribution : ainsi Roentgen, en décembre 1895, plaçant dans du papier noir un tube de Crookes parvient à impressionner une plaque photographique ; ainsi les longueurs d’ondes lumineuses dont l’application par Lippmann permet de « résoudre d’une façon complète le problème de la photographie des couleurs »68.
- 69 G. Bachelard, le Nouvel Esprit scientifique (op. cit., p. 13) et la Formation de l'esprit scientifi (...)
- 70 Georges Potonniée, Histoire de la découverte de la photographie, Paris, Montel, 1925.
- 71 G. Bachelard, « Le monde comme caprice et comme miniature » dans Études, Paris, Vrin, 1970, p. 29 : (...)
- 72 L. Poincaré, op. cit., pp. 172-3.
48Sans faire chorus avec le « matérialisme des appareils » de Friedrich Kittler on peut donc considérer que la connaissance, « l’extension objective des notions » (Bachelard) à laquelle travaille la pensée scientifique, est débitrice de ces nouveaux appareils d’observation et d’enregistrement (« théories matérialisées » donnant lieu à une « phénoménotechnique »69). La photographie n’est pas seulement vouée à des tâches « réalistes » (Bachelard est sans doute influencé par la lecture qu’il fait de Georges Potonniée70 et par ce qu’il appelle ailleurs l’assimilation de l’œil à un appareil « toujours facile à mettre au point, toujours sensibilisé, toujours prêt à se régler sur les conditions objectives les plus mobiles »71). Si les travaux de Marey qui portent sur le mouvement des corps humains et animaux peuvent laisser planer une certaine ambiguïté, il n’en va pas de même dans les expériences de physique. Lucien Poincaré, dans sa Physique moderne, lui accorde même la possibilité d’offrir un critérium susceptible de trancher dans une controverse scientifique : si « l’impression photographique résulte de la force vive du mouvement vibratoire de l’éther », écrit-il, elle permet de trancher le différend entre Neumann et Fresnel au profit de ce dernier. Mais, objecte-t-il, citant son oncle : « nous ne savons rien sur le mécanisme de l’impression photographique » (Henri Poincaré). On ne saurait dès lors « considérer comme évident que c’est l’énergie cinétique qui produit la décomposition du sel sensible » ; si l’on supposait, au contraire, que l’impression « est due à l’énergie potentielle, toutes les conclusions seraient inversées, l’idée de Neumann triompherait »72.
49L’impression photographique se trouve ici au centre d’un débat scientifique et on peut souligner le rôle qu’elle joue en l’occurrence par rapport à la question de l’éther.
50Mais observe-t-on le même phénomène à propos du cinéma et sur le point non de la lumière – qui certes le concerne tout autant que la photographie et dans les mêmes termes (on n’y reviendra donc pas) – mais du mouvement ?
51On lit dans la Science illustrée de 1896 cette amère constatation :
- 73 La Science illustrée, vol. 17, 1er semestre 1896, p. 358.
Cette année l’exposition de la Société de physique a été en partie déflorée par les exhibitions du boulevard, les trois clous de l’année scientifique, les rayons Rœntgen, l’acétylène et les photographies animées ayant ouvert boutique en bien des endroits de la grande artère de la vie parisienne : ces nouveautés n’ont même point été exhibées. Une partie essentielle de la science a fait faillite (...) par suite de combinaisons du mercantilisme.73
- 74 Voir F. Albera, « Le paradigme cinématographique », 1895 revue d'histoire du cinéma, no 66, 2012.
- 75 Il s'agit du « téléchromophotophonotétroscope », « supprimant l'absence » en reproduisant électriqu (...)
- 76 Émile Meyerson, Identité et réalité, Paris, Alcan, 1908, pp. 239-240 : « Pour ce faire nous n'avons (...)
52A contrario on ne compte pas les références au cinéma ou, plus que cela, les raisonnements prenant appui sur ses procédés, de la part de philosophes et de savants74. Sans parler des fantaisies para-scientifiques de Didier de Chousy dans Ignis qui imagine un super-cinématographe75, on a cité plus haut Bachelard faisant du cinéma « la plus fidèle des mémoires dynamiques, la plus minutieuse des mémoires du mouvement » en enregistrant ce qui échappe à la vision humaine. On peut citer Émile Meyerson qui, en 1908, intègre le cinématographe parmi les appareils susceptibles de renouveler la connaissance de la réalité par l’intervention qu’il permet, notamment, sur le temps : le cinématographe nous permet de voir un « monde renversé » où les fruits précèdent les fleurs, le coq se transforme en œuf76.
- 77 A. Turpain, « Le cinématographe. Histoire de son invention, son développement, son avenir », Associ (...)
53Mais les exemples de Meyerson (ou d’Albert Turpain à sa suite77) tombent sous le coup des critiques épistémologiques de Bachelard en même temps qu’ils coïncident avec les sujets attractifs du cinématographe concernant les figures en mouvement – saut, chute, locomotive, etc. –, mouvements simples que la réversion néanmoins rend étranges, insolites sans pour autant en bouleverser l’appréhension (le renversement ne change pas l’objet mais son trajet, il intervertit la cause et l’effet). Le cas de la fumée, phénomène diffus, est distingué, c’est à son propos qu’il est question d’« impossible » dans le cas d’une projection à l’envers. On reste cependant dans le même réalisme mimétique. La référence au film par Einstein, faisant lui aussi fond sur sa capacité de réversion, est plus intéressant car il donne à comprendre un raisonnement « relativiste » :
- 78 A. Einstein, L. Infeld, l'Évolution des idées en physique, op. cit., p. 165.
Si notre vitesse était plus grande que celle de la lumière, nous serions capable de devancer un signal lumineux. Nous pourrions voir les événements du passé en rattrapant les ondes lumineuses lancées antérieurement. Nous les rejoindrions dans un ordre inverse à celui où elles furent lancées, et le cours des événements sur notre Terre ressemblerait à un film projeté à rebours en commençant par la fin.78
54Comme on le sait certains comiques français des années 1910 mirent à exécution ce principe de réversion ou d’accélération du temps (comme dans Onésime horloger de Jean Durand, 1912).
55Cependant on reste encore ici au plan des figures et des actions, sans « descendre » dans des couches plus profondes de l’image cinématographique, celles qui assurent ces effets stupéfiants de « vie » qu’on a évoqués au début. Il faut pour cela entrer dans l’épaisseur du support filmique.
Le mouvement brownien de l’émulsion
- 79 G. Bachelard, l'Activité rationaliste de la physique contemporaine, op. cit., p. 65.
56Il y a précisément un point de jonction entre les deux réalismes – celui, mimétique de la perception directe et celui, indirect, « solidaire de l’organisation technique »79 –, qui se situe dans les rapports entre ces phénomènes naturels aériens, de poussières, de fumées ou de feuilles innombrables avec l’activité de l’émulsion du film : ses composants ne sont point des éléments constitutifs des objets visibles, leurs « atomes » en quelque sorte, qui permettraient de les reconstituer par addition et association, ce sont des éléments « invisibles » et qui ont leur logique propre, mais dont la disposition dans la couche sensible de la pellicule et l’activité offrent une homologie avec la complexité du visible perçu, laquelle, loin de pouvoir être ramenée à un ordre et des schémas simples, ressortit à la dissémination, la propagation. On veut parler des cristaux d’halogénures d’argent.
- 80 J. Perrin, « Mouvement brownien et réalité moléculaire », les Annales de la chimie, 8e série, tome (...)
- 81 Ibid., p. 12.
- 82 Ibid., p. 28.
57Jean Perrin consacra en 1909 un étonnant article à « Mouvement brownien et réalité moléculaire » relatant des expériences destinées à élucider et donner « une base expérimentale solides aux théories moléculaires »80. Son hypothèse de départ est que « les corps, malgré leur apparence homogène, ont une structure discontinue et sont formés de molécules distinctes, mais encore que ces molécules sont dans une agitation incessante... »81. Et c’est « à l’observation des grains d’une émulsion et à l’étude de ce mouvement merveilleux qui suggère le plus directement l’hypothèse moléculaire »82 qu’il se livre.
- 83 Ibid., p. 13.
- 84 Ibid., p. 30.
58« Tant que nous pouvons observer quelque chose », écrit-il, on remarque que « ce n’est pas que les mouvements s’arrêtent, mais qu’ils deviennent de plus en plus désordonnés, qu’ils se disséminent de façon de plus en plus irrégulière en des parties de plus en plus petites »83. « On le voit de façon simple en notant les positions d’un grain à la chambre claire de minute en minute, puis, par exemple, de cinq en cinq secondes, et mieux encore en les photographiant de vingtième en vingtième de seconde, comme l’a fait Victor Henri pour cinématographier le mouvement »84.
59On relèvera pour commencer que ce sont des appareils de vue et de prises de vue – la chambre claire, l’appareil chronophotographique et le cinématographe – qui permettent ces expérimentations, rendant l’accès à « l’invisible » de plus en plus précis : la chambre claire permet le report sur papier d’un objet quelconque par le dessin ; la photographie le fixe ; le cinéma en enregistre les déplacements.
- 85 Il n'envisage pas, en particulier, l'interférence que peut produire le déplacement des « grains » d (...)
- 86 A. Gaudreault, S. Secq Campos de Vehlo, « La stochastique des cristaux d'halogénure d'argent : l'hi (...)
60En outre il y a une solidarité entre les expériences effectuées et le support du film qui les enregistre que Perrin ne signale pas85. En effet l’agitation « désordonnée » des cristaux d’halogénure d’argent en suspension dans l’émulsion du film fait que, comme le disent André Gaudreault et Solène Secq de Campos Vehlo, « la combinaison de l’obturation et de l’image photochimique caractéristique du Cinématographe implique du mouvement même dans la fixité de l’action »86. Mais les auteurs semblent sous-entendre que la restitution du mouvement – qu’ils étudient dans plusieurs procédés cinématographiques (y compris le Praxinoscope de Reynaud) – concerne avant tout l’action des figures. Dès lors la prise en compte de la « stochastique des cristaux d’halogénure d’argent » apparaît comme une donnée supplémentaire, voire secondaire. Elle nous semble, au contraire, fondamentale dans la mesure où cette activité granulaire et corpusculaire du support filmique offre, par une étonnante homologie – qui est peut-être celle d’une certaine continuité de la « matière » – avec le milieu, « l’éther » où se meuvent les êtres et les objets et, plus que cela, qui les gagne, les traverse par propagation dans ce qu’on peut appeler un « champ énergétique ».
- 87 A. Einstein, L. Infeld, op. cit., p. 65.
61C’est en s’appliquant à confirmer la théorie cinétique de la matière qu’Einstein et Infeld évoquent les expériences de Robert Brown. Ce dernier – qui était botaniste – avait observé au microscope l’activité de grains de pollen en suspension dans l’eau et constaté l’agitation incessante et désordonnée de ces granules. L’existence d’un mouvement qui n’est pas dû à une force extérieure et qui ne s’arrête jamais paraissait contraire à toute l’expérience avant que l’on admette que les particules browniennes visibles au microscope étaient bombardées par les particules plus petites qui constituent l’eau : « le mouvement observé est ainsi le résultat d’un mouvement non observable »87.
- 88 Conversation avec Beauviala du 4 juillet 2012. Pour pallier l'inertie de l'« image clinique » numér (...)
- 89 G. Bachelard, l'Activité rationaliste de la physique contemporaine, op. cit., p. 52.
62Ce phénomène caractérise également la pellicule dite argentique – que le passage à la technologie informatique (numérique) a abandonnée et sur lequel, le premier, Jean-Pierre Beauviala a attiré l’attention. Répartis de manière aléatoire et en suspension dans une solution de gélatine, les cristaux d’halogénure ou de bromure d’argent sont en mouvement continuel jusqu’à leur exposition à un rayonnement électromagnétique (la lumière) qui fait se noircir ceux qui ont été atteints par un photon. Ils libèrent alors un électron et se transforment en atomes métalliques, formant des agrégats. Il y a donc une activité (infinitésimale) qui précède l’exposition et qui se précipite au moment de cette dernière, laissant chaque photogramme impressionné dans une disposition des atomes d’argent – formant l’image latente – légèrement différente et qui, lors du défilement de la pellicule en projection, créera un léger mouvement en raison de la non coïncidence exacte des éléments filmés d’un instantané à l’autre. Chaque photogramme offre, en effet, dans la fraction de seconde qu’il immobilise lors de l’exposition à la lumière, un « état » particulier et aléatoire de cette disposition dans l’émulsion, créant dans le défilement de la pellicule un mouvement du « grain »88. Ce mouvement, dû à la nature du support et aux conditions de la prise de vue et de la projection, crée un effet de mouvement diffus, aérien, paraît restituer un tremblement de l’air : toute captation-restitution d’objets de petites tailles, telles les feuilles des arbres, a fortiori les poussières, ou de phénomènes atmosphériques comme les fumées ou les nuages, apparaît agitée par ces déplacements photogrammatiques des atomes d’argent qui réfléchissent la lumière. Ce mouvement de la « vie », dès lors, au-delà de « l’action » comme foyer du mouvement, dépassant la mécanique de l’automate dont on a décomposé puis recomposé les déplacements et que la machine de projection distribue avec la régularité de son mécanisme intermittent et du déroulement de sa bobine au gré du rythme machinal (la cadence) de la manivelle ou du moteur, se voit rendu à ces « mouvements tremblés, ces mouvements-hésitation, ces phénomènes de vibrations, d’oscillations, ces rythmes, ce mouvement qui ébranle tout un milieu et dynamise tout un espace » dont parle Bachelard89. Il n’est plus question du mouvement d’une figure, d’un objet mais d’un « mouvement qui cherche son mobile » dans un champ énergétique.
- 90 K. Malévitch, « Les lois picturales dans les problèmes du cinéma », Kino i Kultura, no7/8, 1929 (tr (...)
63C’est ce que Kazimir Malévitch avait salué dans les films de Vertov de la fin des années 1920 en reconnaissant chez lui cette dissociation du mouvement et des objets, une « valeur ajoutée » – c’est son expression – restituant leur puissance dynamique, « en dehors des objets eux-mêmes » : « Dans le futurisme, les objets eux-mêmes ont peu de poids par leur forme et leur telquellité parce que... le moment le plus important est le dynamisme... Les gares, les locomotives, les moteurs, les bateaux, les cheminées, les fabriques, les usines, l’électricité, les records sportifs, les batailles, les guerres révolutionnaires – tout cela est naturel pour le futuriste, mais il ne fait pas apparaître l’aspect des choses mais leur fonction, leur dynamique. »90
- 91 Dans la vue Edison de la tireuse d'élite, on a bien un dégagement de fumée lors du coup de feu, mai (...)
64On peut retenir deux niveaux dans ce qu’on a appelé la mythologie des « feuilles », des « fumées » et du « vent » qui naît avec les premières projections des vues Lumière. D’une part elle rendait compte de la précision, du détail de la prise de vue en mouvement du cinématographe, permettant de saisir l’agitation d’objets minuscules, impossibles à délimiter et à dénombrer. Ce premier niveau tient à la finesse du grain dans l’émulsion mais aussi à l’agrandissement de l’image de base (le photogramme), donc à la projection et, bien sûr, au choix de filmer en plein air91. D’autre part elle transcrivait, sans s’en rendre compte, une réalité physique de la pellicule argentique à laquelle on a accès à condition de se détourner de l’intuition première de nature visuelle et sensible. Mais cette mythologie transcrivait aussi les mutations qui s’opéraient dans le temps même de l’émergence du cinématographe au sein de la nouvelle physique passant « de l’éther aux quantas » en se montrant sensible à une cinétique de la matière qui n’était pas de l’ordre du visible et devait remettre en question le modèle mécaniste régnant.
Notes
1 E. Verhaeren, les Villes tentaculaires, Edmond Deman, Bruxelles, 1895 (ce poème fut ajouté à ce recueil dans l'édition de 1898) (Les Campagnes hallucinées. Les Villes tentaculaires, Paris, Gallimard « Poésie », 1982, p. 156).
2 Nicole Vedrès, « Les feuilles bougent », les Temps Modernes, no 35, août 1948, pp. 348-354. La source de l'auteure demeure vague. Georges Sadoul a publié plusieurs articles sur ce « moment » des premières projections Lumière parallèlement à la sortie du premier tome de son Histoire générale du cinéma en 1946 avec plus d'une variante. S'agissant de cette importance du mouvement des feuilles dans le Déjeuner de bébé, il ne faisait que reprendre à d'autres ce « détail [qui] eut un succès considérable et contribua beaucoup au triomphe du film » (« Louis Lumière metteur en scène », Intermède, no 1, printemps 1946, p. 91. Remerciements à Laurent Le Forestier qui m'a signalé l'existence de cet article. Relevons que Vedrès signe un article dans le même numéro). Ainsi le critique de la Poste du 30 décembre 1895 écrit : « dans le lointain, les arbres s'agitent » (le texte est repris partiellement dans René Jeanne et Charles Ford, le Cinéma et la presse, 1895-1960, Paris, Armand Colin « Kiosque no 14 », 1961, sans le passage sur les arbres. On le trouve intégralement dans Emmanuelle Toulet, le Cinématographe invention du siècle, Paris, Gallimard, « Découvertes », p. 135). De même Maxime Gorki dans Nijegorodski listok (4 juillet 1896) : « les feuillages gris comme la cendre sont agités par le vent » (trad. dans 1895 revue d'histoire du cinéma no 50, décembre 2006, pp. 116). Ou Henri de Parville en 1896 relevant qu'on « distingue tous les détails : les vagues de la mer, le frémissement des feuilles sous l'action du vent » (cité par Sadoul dans « Louis Lumière metteur en scène », art. cit., p. 90). Sadoul rapporte surtout un récit de Georges Méliès « rédigé vingt ans plus tard » où il écrit : « Puis défilèrent le Mur, s'abattant dans un nuage de poussière, l'Arrivée d'un train, le Bébé mangeant sa soupe avec, comme fond, des arbres remuant au vent, puis la Sortie des usines Lumière, enfin le fameux Arroseur arrosé. À la fin de la représentation, c'était du délire, et chacun se demandait comment on avait pu obtenir un pareil résultat » (Histoire générale du cinéma. Tome 1, L'Invention du cinéma 1832-1897, Paris, Denoël, 1946 [1ère édition], p. 237 [2e édition, 1948, p. 271]). Le texte de Méliès – que Sadoul emprunte manifestement à G.-Michel Coissac (Histoire du cinématographe : des origines à nos jours, Paris, Cinéopse/Gauthier-Villars, 1925, p. 192) en le modifiant quelque peu (il est ainsi écrit chez Coissac : « le Bébé mangeant sa soupe, avec (comme fond) des arbres dont les feuilles remuaient au vent ») – provient de la Semaine cinématographique qui date de l'année précédant l'édition du livre de Coissac, lequel cite cette source sans préciser la référence exacte qui a été établie par Santiago Hidalgo et Louis Pelletier (« Le mystère du grand tableau gris : l'animation des images fixes dans les premières projections cinématographiques », 1895 revue d'histoire du cinéma, no 83, été 2017, p. 91) : il s'agit du no 145, 28 mars 1924, p. 2 (« Contribution à l'histoire de la paternité du cinéma »). Consulté grâce à Jean-Pierre Sirois-Trahan et Jacques Malthête, le texte original se révèle exact chez Coissac à l'exception de différences de caractères dans la phrase (italique et romain) pour distinguer les titres des vues évoquées. Le texte de Méliès est entièrement en romain, il nomme donc moins des « titres » que des sujets. Sadoul revient à plusieurs reprises sur cet épisode et sur le fait que Méliès, après quelque temps, va tourner « délibérément le dos aux feuilles qui bougent, pour recréer le monde à sa manière, avec des toiles peintes, des costumes, des maquillages » (G. Sadoul, Georges Méliès, Paris, Seghers, « Cinéma d'aujourd'hui », no 1, 1970, pp. 17-18). Il demeure cependant ambivalent à cet égard quand il oppose « le décor exagérément feuillu » de l'Arroseur arrosé car « les personnages se détachent mal » dans « Louis Lumière metteur en scène », (art. cit., p. 96) (voir plus loin l'opposition figure/fond).
3 M. Garrigues, Simples lectures sur les sciences les arts et l'industrie, Paris, Hachette, 1870 (nouvelle édition refondue par M. Boutet de Monvel), p. 112 (« Botanique », « VIII : Fonctions des feuilles »). L'air pénètre dans le tissu cellulaire de la plante par la multitude de ses stomates, cellules situées sur l'épiderme des feuilles composées d'un cuticule, d'un épiderme, d'ostioles (orifices) et de méats aérifères, permettant le passage des gaz (dioxyde de carbone, dioxygène, vapeur d'eau). L'ouverture et la fermeture des stomates sont dues à des variations de turgescence en réaction à une stimulation de l'environnement (CO2, lumière, vent).
4 On peut opposer aux « feuilles qui remuent » l'arrivée du train (appartenant à un programme ultérieur) encore que dans cette vue, plus spectaculaire que le repas de bébé en raison du mouvement du mobile du fond vers l'avant-plan, les effets diffus – arbres agités, fumées – ne soient pas à négliger dans l'effet produit (qui a été beaucoup discuté, comme on le sait).
5 Pour Sadoul, « les premiers films tournés par Dickson pour Edison en 1894, s'inspiraient exclusivement des bandes zootropiques, telles qu'elles existaient déjà en 1833. Ils se ramenaient à la gesticulation d'un pantin dans une absence totale de décor » (« Georges Méliès et la première élaboration du langage cinématographique », art. cit., p. 23). Jacques Aumont, repartant de cette opposition Edison/Lumière dans l'Œil interminable. Cinéma et peinture (Paris, Séguier, 1989, pp. 22-25) dans le cadre de la promotion de la lumière et de l'air en « objets picturaux » dans le siècle « qui va inventer le cinéma » (p. 24), parle de la « générosité visuelle des films Lumière » et de la « pingrerie du kinétoscope » (p. 22). Charles Musser discute cette opposition trop tranchée entre Edison et Lumière sur la question du plein air : dès le 11 mai 1896, écrit-il, l'usage d'une caméra portative permet à l'équipe d'Edison de tourner à l'extérieur de New York aux chutes du Niagara (« Discourse and nationalism : the Lumière Cinématographe in the United States, 1895-1897 » dans Philippe Dujardin, André Gardies, Jacques Gerstenkorn, Jean-Claude Seguin, dir., l'Aventure du Cinématographe. Actes du congrès mondial Lumière, Lyon, Aléas, 1999, p. 146). Cependant l'opposition que fait Sadoul se situe entre les bandes du kinétoscope antérieures à l'émergence du Cinématographe Lumière et ce dernier. En tout état de cause, la réception contemporaine, en France du moins, est bien celle-ci.
6 F. Dillaye insiste dans sa présentation des appareils de projection d'images animées sur l'importance de la taille des « images primaires » afin d'obtenir une « grande finesse dans les détails ». Après avoir accordé sur ce point une supériorité des Lumière sur Edison (dont les images étaient accessibles « à l'aide de fortes loupes » [la Science illustrée, no 444, vol. 17, 1er semestre 1896, p. 354]) il donne sa préférence au Chronophotographe de Demenÿ qui utilise une largeur de pellicule de 0,06 m. « Elle peut donc fournir des images primaires présentant une surface utile de 0,035 m×0,045 m, c'est-à-dire une surface quatre fois plus grande que celle de tous les autres appareils similaires connus jusqu'à ce jour. » (la Science illustrée, no 463, 1896, p. 331).
7 Dans leur Notice sur le Cinématographe de 1897, Auguste et Louis Lumière insistent sur cet avantage de leur appareil (« Notre Cinématographe n'a pas ces défauts » [p. 2]). Dans la comparaison qu'ils font avec le kinétoscope, ils soulignent parmi les défauts de ce dernier, le temps très court pendant lequel chaque épreuve peut être vue « pour donner une impression nette », l'éclairement très faible qui en résulte entraînant le fait que « les scènes n'ont que peu de profondeur » (ibid.). Dans le Cinématographe, en revanche, « la profondeur sous laquelle on peut saisir les objets n'étant plus limitée, on arrive à représenter d'une façon saisissante l'animation des rues et des places publiques » (ibid.) (je souligne).
8 Le phantascope de Jenkins et Armat (1895) était un appareil de projection où le film se déroulait en continu et dont l'intermittence de la projection des photogrammes procédait de miroirs tournants tels ceux du Théâtre optique d'Émile Reynaud (1892). Il projetait les bandes d'Edison réalisées pour le kinétoscope.
9 Notamment dans l'Évolution créatrice, Paris, PUF, Quadrige, 2009 (1907), p. 304.
10 Sans parler du caricatural la Charcuterie mécanique (vue no 107, 1895) dont le fond est constitué de palmiers agités par le vent.
11 J'ai examiné cette question du « cinéma-machiniste » dans une communication au colloque « La magie des effets spéciaux. Cinéma – technologie – réception » (Montréal 5-10 novembre 2013), « L'ordinaire des effets spéciaux » (à paraître en anglais dans les actes du colloque).
12 Thierry Pozzo, « La chronophotographie scientifique : aux origines du spectacle du monde vivant » dans Coll., Images, science, mouvement. Autour de Marey, Paris, L'Harmattan, 2003, p. 16.
13 Marey s'y attaquera sur le tard, sans parvenir à des résultats comparables à ceux qu'il avait obtenus durant les nombreuses années de ses recherches sur la locomotion, le vol de l'oiseau, etc. On le créditera plutôt d'ouvrir, dans ces recherches-là, à l'esthétique, fût-ce involontairement (voir l'exposition « Mouvements de l'air, Marey, photographe des fluides » du Musée d'Orsay, 2004 et le livre-catalogue homonyme signé de Laurent Mannoni et Georges Didi-Huberman, chez Gallimard, 2004).
14 Cf. Georges Canguilhem, « Machine et organisme » dans la Connaissance de la vie, Paris, Vrin, 1965, pp. 102-104.
15 « Lumière en possession d'une caméra qu'il pouvait faire fonctionner en tout lieu, eut la grande intelligence de comprendre qu'elle devait être utilisée non comme un moyen d'imprimer mécaniquement des bandes de zootrope, mais comme une machine à refaire la vie. » (G. Sadoul, Histoire générale du cinéma, Tome 1, op. cit., p. 241).
16 Le Pêle-Mêle, no 13, 28 mars 1896, p. 3. Je souligne.
17 Qui annonce, à la lettre, le Cineorama de Raoul Grimoin-Sanson de l'Exposition universelle de 1900. Sur ce dispositif voir Jean-Jacques Meusy, « L'énigme du Cineorama de l'Exposition universelle de 1900 », Archives, no 37, janvier 1991.
18 La Science illustrée, no 437 de 1895 sous le titre « Le mouvement photographique » (pp. 299-300). Je souligne.
19 Revue générale des sciences (séance du 11 juillet 1896), dans Sadoul, op. cit., p. 243.
20 « En vain la nature s'était cachée dans des lieux si profonds et si inaccessibles pour travailler à la végétation des pierres, elle fut, pour ainsi dire, prise sur le fait par des curieux si hardis » (Bernard de Fontenelle, Éloge de M. Tournefort, dans Œuvres diverses, Paris, 1724, t. 3, p. 187). Sadoul emploie aussi l'expression de « prendre sur le vif » (« Georges Méliès et la première élaboration du langage cinématographique », art. cit., p. 23). Il la trouve aussi chez de Parville (« Lumière metteur en scène », art. cit., p. 90).
21 Ainsi A. Michotte van der Berck parle uniquement d'objets corporels, de leurs déplacements, changements de dimensions, etc., dans le champ et use avant tout de l'opposition figure/fond en laissant ce dernier dans l'indistinction dès lors qu'il n'a que la fonction de permettre la discrimination de l'objet : « ... dès que l'on parvient, par un procédé quelconque, à séparer les traits constitutifs de l'objet, du plan qui lui sert de support, le volume prend immédiatement un caractère de réalité évident (...). L'opposition entre le mouvement de la figure et l'immobilité de l'écran agit alors comme facteur de ségrégation et libère l'objet du plan sur lequel il était intégré. Il se substantialise en quelque sorte et prend une existence autonome, il devient une chose corporelle. » (« Le caractère de réalité des projections cinématographiques », Revue internationale de filmologie, no 3-4, octobre 1948, p. 257). Dans sa seconde contribution d'importance à la revue, « La participation émotionnelle du spectateur à l'action représentée à l'écran. Essai d'une théorie » (Revue internationale de filmologie, Tome IV, no 13, avril-juin 1953, pp. 87-96), Michotte reconduit cette prévalence de l'objet, du personnage (« héros »), et finalement de la narration, dans son approche.
22 Gaston Bachelard, l'Activité rationaliste de la physique contemporaine, Paris, PUF, 1951, p. 57. Dans le chapitre II de ce livre, Bachelard discute brièvement mais sans ménagement ce qu'il appelle « le mouvement des philosophes » (formule peut-être modelée sur celle d'Einstein rétorquant à Bergson lors de leur rencontre de 1922 : « le temps des philosophes n'existe pas »). Il discute notamment les exemples de Bergson (« images bien factices, sans valeur réelle »), relevant que sa critique de « l'abstraction initiale du cinéma » l'a « empêché... de prendre les leçons si riches du cinéma » telles les « études cinématographiques sur le vol des oiseaux de Marey », contemporaines des Données immédiates de la conscience, ou les travaux de Gilbreth dont le cyclographe « livre des détails aussi invisibles à l'œil le plus attentif qu'inconnus à la conscience dynamique » (op. cit., p. 57). Ces exemples, comme les premiers chapitres du livre de Siegfried Giedon, Mechanization Takes Command (New York, 1948) offrent, dit-il encore, « une sorte de revanche métaphysique du cinéma contre les critiques bergsoniennes » (ibid.).
23 M. Mauss, « Les techniques du corps », communication à la Société de Psychologie (17 mai 1934), publiée dans le Journal de Psychologie, XXXII, no 3-4, 15 mars-15 avril 1936.
24 Cités dans Pierre et Jeanne Berneau, le Spectacle cinématographique à Limoges de 1896 à 1945, Paris, AFRHC, 1992, pp. 17-18.
25 Dans le Larousse mensuel de 1907 (article « vitesse »), les rédacteurs se livrent à un examen comparatif des différentes vitesses obtenues et des distances parcourues en une heure par différents moyens de locomotion : nage, marche, course, cheval monté, cheval attelé, bicyclette, patins, hydroplane, aéroplane, canot automobile, paquebot, motocyclette, train rapide, automobile, train électrique.
26 Ballet mécanique de Fernand Léger (1923), Entr'acte de René Clair (1924), Impatience de Charles Dekeukeleire (1928) pour ne citer que ces trois-là – auxquels rend hommage Johan van der Keuken dans son film intitulé précisément On Animal locomotion en 1994. J'ai abordé cette question des vitesses comparées des mobiles et le rôle du cinéma dans « Vitesse et cinéma » (dans Paul Virilio, dir., la Vitesse, Paris, Fondation Cartier/Flammarion, 1991). Remarquons que les exemples que prennent Albert Einstein et Leopold Infeld pour examiner « L'énigme du mouvement » dans leur ouvrage l'Évolution des idées en physique. Des premiers concepts aux théories de la relativité et des quanta (Paris, Flammarion, 1938) sont ceux d'une automobile, des montagnes russes, des variations de vitesses et de directions que ces films illustreraient parfaitement.
27 Cf. Maurice Merleau-Ponty : « les vues instantanées, les attitudes instables pétrifient le mouvement – comme le montrent tant de photographies où l'athlète est à jamais figé. On ne le dégèlerait pas en multipliant les vues. (...) Le cinéma donne le mouvement, mais comment ? Est-ce, comme on croit, en copiant de plus près le changement de lieu ? On peut présumer que non, puisque le ralenti donne un corps flottant entre les objets comme une algue, et qui ne se meut pas. » (l'Œil et l'esprit, Paris, Gallimard, 1964, p. 78).
28 W. Benjamin, « L'Œuvre d'art à l'ère de la reproduction mécanisée », dans Écrits français, Paris, Gallimard, 1991, p. 163. Ce texte est contemporain de l'intervention d'Aragon lors d'un débat organisé par l'association des peintres et sculpteurs de la Maison de la Culture où il évoque le « défi de la photographie » et écrit : « ... ce que l'instantané révélait d'humain et de social, il faut venir jusqu'au cinématographe pour que la conscience en vienne à l'intelligence contemporaine. Le cinéma surprend des millions d'aspects fuyants et jamais fixés, du monde extérieur. Il nous enseigne sur les hommes plus que des siècles de peinture, expressions fugitives, attitudes invraisemblables et pourtant vraies, grâce et hideur : quelles révélations ne devons-nous pas au ralenti sur nos propres mouvements ? L'effort humain en connaissait-on, avant les vues au ralenti, les expressions d'abominables souffrances ? » (dans Jean Lurçat, Marcel Gromaire, Edouard Georg et al., la Querelle du réalisme, Paris, Éditions Sociales Internationales, 1936, p. 60 [rééd. Paris, Cercle d'art, 1987]).
29 Pierre Francastel, « Espace et illusion », Revue internationale de filmologie, Tome II, no 5, [1949], p. 73.
30 Henri Wallon, « L'acte perceptif et le cinéma », Revue internationale de filmologie, Tome IV, no 13, avril-juin 1953, p. 107. Wallon, comme Michotte et tous les contributeurs de l'Institut de filmologie, demeure cependant obnubilé par la narration, « le fil de l'histoire » et, conséquemment, reconduit l'opposition gestaltiste de la figure et du fond : « nous détachons du fond les objets en mouvement et nous en détachons les soi-disant milieux où ils déploient leur action » (Ibid.). Il est intéressant, à cet égard, de relever l'exemple qu'il donne de la perception d'une séquence par des spectateurs découvrant le cinéma : « On a souvent rappelé l'exemple donné ici même d'un explorateur anglais qui avait présenté un film à des Cafres. Interrogés sur l'impression qu'ils en avaient retirée, ils parlaient tous d'un animal qui avait traversé le film à un moment donné. Or, la présence de cet animal avait été purement accidentel et n'avait dans ce film aucune espèce d'importance ; tellement peu d'importance que ceux qui avaient tourné le film ne s'en étaient même pas aperçus. Quant aux spectateurs qui suivaient l'action du film et qui voyaient les choses d'ensemble, cet incident ne s'était pas imposé à leur attention, contrairement à ces Cafres, peu habitués à voir des films et peut-être davantage habitués à poursuivre des animaux dans la brousse » (Ibid., p. 102). Cet exemple offre a contrario des ressemblances frappantes avec certains partis pris de montage (c'est-à-dire de choix de la prise et du moment de la coupe) des cinéastes contemporains, Jean-Marie Straub et Danièle Huillet (présence d'un lézard traversant le champ dans une des prises à la 61e minute, 25e seconde de la Mort d'Empédocle, d'un mouvement aérien dans les branches d'un arbre, d'un effet de lumière, etc.) accordant, au contraire, toute leur importance à ces « incidents » ou « détails ».
31 R. de Gourmont, « Cinématographe » recueilli dans ses Épilogues, 1905-1912, Paris, Mercure de France, 1921, p. 146. Sur les mécanismes de participation, voir A. Michotte van der Berck, « La participation émotionnelle du spectateur à l'action représentée à l'écran. Essai d'une théorie » [1953], art. cit., et Edgar Morin, le Cinéma ou l'homme imaginaire, Paris, Minuit, 1956.
32 G. Leblanc, « Propos sur le cinéma », Mercure de France, no 514, novembre 1919.
33 Colette, « L'Opinion d'une femme. Cinéma », le Figaro, 15 juin 1924, p. 1. On relève dans les cas cités ici une relativisation de la narration, de l'interprétation.
34 Hanns Sachs, « Film Psychology », Close Up, vol. 3, no 5, novembre 1928.
35 « La naissance et le cheminement du Kino-Glaz » (1935) dans Dziga Vertov, le Ciné-Œil de la révolution. Écrits sur le cinéma, Dijon, les presses du réel, 2018.
36 D. Vertov, « À propos de mon amour pour l'homme vivant », dans ibid., p. 556.
37 W. Benjamin, Petite histoire de la photographie [1931], tiré à part d'Études photographiques no 1, novembre 1996, p. 12. Cf. également Jean Epstein dans Bonjour cinéma (1921) : « Le cinéma sournoisement radiographe vous pèle jusqu'au noyau, jusqu'à votre sincère idée qu'il étale. [...] À l'écran, tout le monde est nu d'une nudité nouvelle » ; jusqu'à l'Intelligence d'une machine (1946) où il est question de « psychanalyse photo-électrique » (« les transparences de l'écran présentent une coupe de la psychologie des personnages ») et au Cinéma du diable (1947) [tous trois repris dans Écrits sur le cinéma 1, Paris, Seghers, 1974, pp. 99-100, 305]) ; Hanns Sachs dans « Film Psychology » : « The film can be effective only in so far as it is able to make these psychological coherencies visible ; in so far as it can externalise and make perceptible – if possible in movement – invisible inward events. » [« Le film ne peut être efficace que dans la mesure où il est capable de rendre ces cohérences psychologiques visibles ; dans la mesure où il peut extérioriser et rendre perceptibles – si possible en mouvement – les événements invisibles intérieurs. »] (art. cit., p. 10 ; « Zur Psychologie des Films », dans A. Storler, A. Zweig [dir.], Die Psychoanalytische Bewegung, 1, Vienne, Internationaler Psychoanalytischer, 1929, pp. 122-126).
38 P. Francastel, « Espace et illusion », art. cit., p. 68.
39 H. Wallon, op. cit., p. 107. La citation de Hegel est reprise approximativement de la Dialectique de la nature de Friedrich Engels (Paris, Éditions sociales, 1952, p. 200 : « Son essence (l'essence du mouvement) consiste en l'unité immédiate de l'espace et du temps... »).
40 Abel Gance, Prisme, Paris, Gallimard, 1930 (préface d'Elie Faure) ; Saint-Pol-Roux, Cinéma vivant, précédé de l'Empire du soleil par Gérard Macé, Mortemart, Éditions Rougerie, 1972, p. 71. Non publiés de son vivant, ces cahiers de notes ont été déposés à la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet par la veuve du poète.
41 J. Epstein, « Alcool et cinéma », Écrits sur le cinéma 2, op. cit., p. 219.
42 Ibid. Je souligne.
43 Émile Meyerson intègre le cinématographe parmi les appareils susceptibles de renouveler la connaissance de la réalité par l'intervention qu'il permet, notamment sur le temps : le cinématographe nous permet de voir un « monde renversé » (Identité et réalité, Paris, Alcan, 1908). Voir plus loin.
44 La Science illustrée, no 419 à 470, 8 décembre 1895 au 29 novembre 1896. Le feuilleton paraît d'abord anonymement. Science, technologie et industrie sont convoquées pour expliquer et exploiter l'énergie géothermique, créer des animaux-machines et des systèmes de télécommunication et de transport perfectionnés.
45 D. de Chousy, Ignis, Paris-Genève, Slatkine, « Ressources », 1981 [reprint de l'édition de 1883], p. 228.
46 G. Bachelard, les Intuitions atomistiques, Paris, Boivin et Cie, 1933, p. 113.
47 F. Engels, Dialectique de la nature, op. cit., p. 90. Je souligne.
48 Albert Einstein, Leopold Infeld, l'Évolution des idées en physique. Des premiers concepts aux théories de la relativité et des quanta, Paris, Flammarion, 1938 [1936].
49 Jean Eisenstaedt, Avant Einstein, Paris, Seuil, 2005, p. 273.
50 L. Poincaré, la Physique moderne. Son évolution, Paris, Flammarion, 1909, p. 162.
51 Ibid., p. 185.
52 Gustave Le Bon, l'Évolution de la matière, Paris, Flammarion, 1905, p. 190.
53 Henri Poincaré, la Science et l'hypothèse, Paris, Flammarion, 1902. Einstein et Infeld, dans un dialogue philosophique imaginaire, refusent cette supposition d'une « substance hypothétique », d'une part parce que « nous avons déjà trop de substances en physique » et aussi parce que cela revient à tout vouloir expliquer en termes de mécanique (op. cit., p. 106).
54 L. Poincaré, la Physique moderne, op. cit., p. 197.
55 Cf. Françoise Balibar, Einstein 1905. De l'éther aux quanta, Paris, PUF, 1992.
56 Einstein, Infeld, op. cit., p. 149 ; et : « Après des expériences si malheureuses, le moment est venu d'oublier complètement l'éther et de nous efforcer de ne plus jamais prononcer son nom » (p. 172). Cf. Ludwik Kostro, Einstein and the Ether, Montréal, Apeiron, 2000.
57 G. Bachelard, le Nouvel Esprit scientifique, Paris, PUF, 1946 [1934], p. 2.
58 Id., les Intuitions atomistiques, op. cit.
59 Id., la Poétique de l'espace, Paris, PUF, 1984 [1957], p. 214.
60 Id., les Intuitions atomistiques, op. cit., pp. 17 et 40. Je souligne.
61 « Il faut avoir vu la poussière du chemin, au creux d'un ravin, prise et soulevée par un souffle favorable, pour comprendre ce qu'il y a à la fois d'architectural et de libre, de facile et de délicat, dans les volutes d'un tourbillon. Les tourbillons les mieux faits sont les plus petits, ils tiennent dans une ornière, ils peuvent vraiment tourner sur eux-mêmes comme une toupie qui dort. » (Ibid., p. 18).
62 « Observe (...) toutes les fois qu'un rayon de soleil se glisse et répand son faisceau de lumière dans l'obscurité de nos demeures : tu verras une multitude de menus corps se mêler de 1 000 manières, parmi le vide dans le faisceau même des rayons lumineux et, comme engagés dans une lutte éternelle, se livrer combats, guerroyer par escadrons, sans prendre trêve, agités par des rencontres et des divorces sans nombre : tu pourras te figurer par là ce qu'est l'agitation éternelle des corps premiers dans le vide immense. » (Lucrèce, De Natura Rerum, II, 114, sq, Paris, Les Belles Lettres, 1972, vol. 1, p. 46).
63 On se rappelle que Gorki parle des feuillages de cendre dans son article de 1896.
64 Dans le Mémorial des Vosges du 25 juin 1896, on souligne « la fumée qui les voile parfois aux yeux, et le vent qui soulève leur tablier ». Cette vue Lumière (no 64 du catalogue) a connu des remakes. Une imitation du sujet chez Pathé (les Brûleuses d'herbe, 1897-9) juxtapose au travail des paysannes qui manient des tas d'herbes à brûler à la fourche avec des effets de fumées, l'agitation de garnements au premier plan qui se battent entre eux et une profondeur de champ sur un paysage en pente.
65 Voir G. Bachelard, « Critique préliminaire du concept de frontière épistémologique » [1934] dans Études, op. cit. (« Nous pouvons donc admettre comme démontré que l'expérience transcende l'observation », p. 82) et « Idéalisme discursif » dans Ibid. (« ... pour bien faire valoir le prix d'une idée objective, il faut la replacer dans le halo des illusions immédiates. Il faut errer pour aboutir. Ainsi toute objectivation procède d'une élimination des erreurs subjectives... », Ibid., p. 89).
66 Occasion de parler de cet « autre milieu plus subtil, pénétrant partout, doué d'élasticité dans le vide et conservant son élasticité lorsqu'il pénètre dans un grand nombre de corps, dans l'air par exemple » qu'est l'éther lumineux, qui a « la propriété de pouvoir transmettre de l'énergie » et donc aussi « de transmettre des signaux » (L. Poincaré, la Physique moderne. Son évolution, op. cit., pp. 202-203).
67 G. Bachelard, « Lumière et substance », Revue de métaphysique et de morale, XLI, 1934.
68 L. Poincaré, la Physique moderne et son évolution, op. cit., p. 171.
69 G. Bachelard, le Nouvel Esprit scientifique (op. cit., p. 13) et la Formation de l'esprit scientifique (Paris, Vrin, 1938, p. 61).
70 Georges Potonniée, Histoire de la découverte de la photographie, Paris, Montel, 1925.
71 G. Bachelard, « Le monde comme caprice et comme miniature » dans Études, Paris, Vrin, 1970, p. 29 : « [dans l'œil] il semble qu'il y ait bien peu d'images qui soient fixées ou même révélées. L'appareil est bien ouvert, mais le photographe est distrait. L'énergie lumineuse peut bien toucher la rétine, mais elle n'est pas utilisée. » (Ibid.).
72 L. Poincaré, op. cit., pp. 172-3.
73 La Science illustrée, vol. 17, 1er semestre 1896, p. 358.
74 Voir F. Albera, « Le paradigme cinématographique », 1895 revue d'histoire du cinéma, no 66, 2012.
75 Il s'agit du « téléchromophotophonotétroscope », « supprimant l'absence » en reproduisant électriquement la figure, la parole, le geste d'une personne en une succession d'épreuves photographiques instantanées. Composé d'un « chromophotographe qui donne l'épreuve en couleur, d'un mégagraphe qui l'agrandit, d'un sténophonographe qui recueille et inscrit les paroles du sujet, aidé par un microphone qui les amplifie, et emmanché dans un téléphone qui se concerte avec un tétroscope pour propager l'image et le son », il a pour récepteur un Phénakistiscope, « lorgnette acoustique au moyen de laquelle on voit et on entend » (la Science illustrée, no 452, 1896, p. 125).
76 Émile Meyerson, Identité et réalité, Paris, Alcan, 1908, pp. 239-240 : « Pour ce faire nous n'avons qu'à nous munir d'un cinématographe, d'y insérer un rouleau d'images représentant des phénomènes du mouvement – tels que le saut ou la chute d'un cheval, une goutte d'eau qui tombe dans un étang, la chute d'une masse de pierres ou de sable – et à tourner la manivelle en sens inverse. Il est impossible de dépeindre l'impression d'étrangeté qui se dégage de l'aspect de ces tableaux. Ce n'est même plus de la sorcellerie, c'est quelque chose de plus ou de moins, c'est un monde manifestement absurde et qui ne présente aucune analogie avec celui que nous connaissons. Sans doute, si nous regardons ainsi une machine, l'impression ne sera pas la même : une locomotive aura l'air tout simplement d'être en marche arrière, et le phénomène ainsi retourné ne choque aucunement, semble-t-il, notre sensation de la réalité. Ainsi si nous observons une cheminée, nous verrons que la fumée, au lieu d'en sortir et de se dissiper, se forme au loin s'approche, s'épaissit, et finalement s'y engouffre, phénomène qui certainement nous paraîtra impossible ».
77 A. Turpain, « Le cinématographe. Histoire de son invention, son développement, son avenir », Association française pour l'avancement des sciences. Conférences faites en 1918 (Paris, 1918, pp. 163-181).
78 A. Einstein, L. Infeld, l'Évolution des idées en physique, op. cit., p. 165.
79 G. Bachelard, l'Activité rationaliste de la physique contemporaine, op. cit., p. 65.
80 J. Perrin, « Mouvement brownien et réalité moléculaire », les Annales de la chimie, 8e série, tome XVIII, septembre 1909, p. 113.
81 Ibid., p. 12.
82 Ibid., p. 28.
83 Ibid., p. 13.
84 Ibid., p. 30.
85 Il n'envisage pas, en particulier, l'interférence que peut produire le déplacement des « grains » dans l'émulsion de l'appareil enregistreur avec les mouvements dans l'émulsion observée, sans doute parce qu'il y a entre eux une disparité de taille. Victor Henri, dans son étude cinématographique du mouvement brownien des grains naturels du latex de caoutchouc, opérait avec des grains d'une taille d'1 m (1).
86 A. Gaudreault, S. Secq Campos de Vehlo, « La stochastique des cristaux d'halogénure d'argent : l'histoire mouvementée des procédés cinématographiques de restitution du mouvement », 1895 revue d'histoire du cinéma, no 82, été 2017, p. 47.
87 A. Einstein, L. Infeld, op. cit., p. 65.
88 Conversation avec Beauviala du 4 juillet 2012. Pour pallier l'inertie de l'« image clinique » numérique, Beauviala avait imaginé, en 2012, de monter le capteur de la caméra Aaton Pénélope Delta « sur un dispositif flexible qui décale aléatoirement la position physique du capteur d'un demi-pixel à chaque image » afin de « l'apparenter à la prise de vues argentique, où les grains d'halogénure d'argent en position aléatoire d'un cadre au suivant captent l'image en des endroits différents » (fiche technique sur le site de la Cinémathèque française, catalogue/appareils/caméra numérique).
89 G. Bachelard, l'Activité rationaliste de la physique contemporaine, op. cit., p. 52.
90 K. Malévitch, « Les lois picturales dans les problèmes du cinéma », Kino i Kultura, no7/8, 1929 (trad. franç. dans Cinémathèque no 8, 1995).
91 Dans la vue Edison de la tireuse d'élite, on a bien un dégagement de fumée lors du coup de feu, mais il est trop fugitif et ténu pour déplacer l'attention des figures sur lui.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
François Albera, « Le Cinématographe dans le mouvement :une métaphysique des feuilles », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze, 87 | 2019, 34-63.
Référence électronique
François Albera, « Le Cinématographe dans le mouvement :une métaphysique des feuilles », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze [En ligne], 87 | 2019, mis en ligne le 01 janvier 2023, consulté le 19 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/1895/6754 ; DOI : https://doi.org/10.4000/1895.6754
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