Bernard Ceyssac, un concepteur de salles de cinéma des années 1960 aux années 1980
Résumés
Parmi les constructions architecturales réalisées tout au long des « Trente Glorieuses » en France, celles qui correspondent aux bâtiments destinées au spectacle cinématographique ont vécu un essor sans précédent, façonné par la concurrence croissante au sein du secteur de l'exploitation et par les vagues de modernisation du parc cinématographique. En raison de certaines dynamiques de production de ces architectures, une élite de concepteurs spécialisés s'est imposée dans le milieu français ; et pourtant, le parcours professionnel et l'œuvre de ces derniers (architectes, ingénieurs et décorateurs) restent encore méconnus dans l'historiographie française. Cette étude présente une première approche de l'un des plus prolifiques concepteurs des années 1960 aux années 1980, l'architecte parisien Bernard Ceyssac (1922-2016). Son parcours révèle l'existence de cette élite, plutôt méconnue dans les milieux architecturaux mais largement reconnue au sein du milieu des exploitants. Chef de file de ces « architectes des cinémas », à côté d'autres agences installées à Paris – dont celles de Georges Peynet, et de Vladimir Scob –, Ceyssac s'est forgé une carrière exclusivement consacrée à la conception de salles de cinéma, en contribuant aux transformations de ce programme architectural.
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- 1 Cinéma de France, no 32, février 1979, p. 55.
1Contrastant avec l'univers d'annonces publicitaires surchargées d'illustrations et de couleurs si fréquentes dans la revue corporative mensuelle Cinéma de France, une annonce sans images et pleine page publiée en février 1979 transmet d'une façon assez synthétique son message. Sur un fond clair, les quelques mots et chiffres en rouge et noir, distribués sur quatre lignes et parfaitement centrés dans la page : « Ceyssac, depuis 1963, 400 salles. France, T.O.M, Étranger » sont accompagnés d'une ligne en bas de page indiquant une adresse, deux numéros de téléphone, et signalant la mention « Architecte diplômé par le gouvernement »1. Ces coordonnées, et la référence aux 400 salles, servent à faire la promotion de l'un des plus importants cabinets d'architecture spécialisés dans la construction de cinémas en France : celui du prolifique architecte parisien, Bernard Pierre Ceyssac (3 janvier 1922-18 février 2016).
2Méconnu par l'historiographie française de l'architecture, Ceyssac a pourtant été l'un des principaux concepteurs de salles de cinéma en France des années 1960 aux années 1980. Cet article vise à mettre en contexte l'activité de cet architecte formé à l'École des Beaux-Arts de Paris (ENSBA), à partir notamment de l'analyse de la médiatisation que ses projets ont eue dans la presse cinématographique et la presse architecturale française de l'époque.
La carrière d'un élève de Perret
- 2 Cf. Dictionnaire des élèves architectes de l'Ecole des beaux-arts (1800-1968) AGORHA. 2011-. [Base (...)
- 3 Matricule : 10382 bis.
- 4 Le premier atelier Perret a fonctionné entre 1923 et 1930, puis de 1942 à 1954, cette fois en colla (...)
3Bernard Pierre Ceyssac2 a été admis en deuxième classe3 à l'École des Beaux-Arts de Paris le 13 juillet 1945 (avec un projet pour « une galerie à deux étages séparant les cours d'un lycée »), et a passé en première classe le 19 mai 1949. Après presque neuf ans dans l'École, il a obtenu son diplôme le 9 mars 1954, à l'âge de 32 ans, faisant partie de la 218e promotion, avec un projet pour un centre de loisirs (mention bien). La formation académique de Ceyssac s'est déroulée au sein des ateliers dirigés par Auguste Perret (1874-1954)4, Henri Larrieu (1902-1977), Paul Herbé (1903-1963), et André Remondet (1908-1998).
4L'influence de son célèbre ancien patron d'atelier est proclamée à plusieurs reprises lors d'entretiens publiés dans la presse cinématographique, ainsi que dans les introductions aux articles sur son activité pendant le sommet de sa carrière. C'est le cas en 1976 dans un texte introductif à l'entretien intitulé « Bernard Ceyssac. Profession : architecte de cinéma » dans le Film français :
- 5 « Bernard Ceyssac. Profession : architecte de cinéma », le Film français, no 1613, 20 février 1976, (...)
Élève d'Auguste Perret à l'École nationale des Beaux-Arts de Paris, dont il est sorti diplômé par le gouvernement en 1954, Bernard Ceyssac s'est spécialisé depuis 1963 dans l'architecture des cinémas. Son équipe, composée d'architectes, de décorateurs et de techniciens, a réalisé à ce jour plus de 40 écrans au Quartier Latin et environ 300 salles en France et dans les Territoires d'Outre-Mer. L'un des derniers projets, actuellement en cours d'études, fera certainement date dans l'histoire du cinéma en France et même en Europe : il s'agit du nouveau complexe de la Défense, qui groupera 10 salles et totalisera plus de 1 600 places. Sa date d'ouverture est prévue courant 1977.5
5Le parcours professionnel de Ceyssac – membre de la Société des architectes diplômés par le gouvernement (SADG) depuis 1958 –, commence à être documenté par les périodiques de cinéma et d'architecture au milieu des années 1960, avec ses premiers projets de bâtiments conçus pour l'exploitation cinématographique. En effet, Le Dragon et le Studio Logos à Paris sont ses deux premiers projets publiés dans les pages de la revue hebdomadaire le Film français, et plus précisément dans le dossier « Les plus belles salles de France » paru l'hiver 1965. À la différence des autres six projets présentés dans le dossier, dont cinq signés par Georges Peynet, la référence aux « 2 créations de Bernard Ceyssac, Arch. DPLG » se limite à deux images en couleur de l'intérieur de ces deux salles parisiennes situées dans le 5e et le 6e arrondissements.
6Le troisième projet de Ceyssac à être largement diffusé est le Studio de la Harpe, présenté comme une nouvelle salle d'exclusivité Art et Essai, incorporant dans sa conception et son parti décoratif, « toutes les caractéristiques chères à cet architecte » :
sobriété du traitement des parois verticales : moquette pain brûlé ;
sol de couleur neutre et fauteuils noirs ;
plafond particulièrement travaillé : alternance de larges plateaux horizontaux et de lames verticales rythmées ;
emploi d'éléments décoratifs, soit découlant de la structure même des ouvrages en béton armé (allègement du balcon par exemple, traité comme un bas-relief), soit constitués de matériaux particulièrement riches et brillants (céramique de couleur vert cru, mise en valeur par un éclairage indirect frisant).
7Ses premiers projets et la consolidation de sa carrière comme concepteur de salles de cinéma coïncident avec la dernière décennie (1965-1975) des « Trente Glorieuses », un moment charnière pour l'exploitation cinématographique, lorsqu'un changement d'échelle de ces espaces architecturaux s'est opéré, entraînant un problème de définition programmatique, voire sémantique :
- 6 Jacques Zandrowicz, « L'avenir du cinéma au présent : les multisalles », le Film français-la Cinéma (...)
[...] Multi–salles, salles multiples, mini-cinémas, tous ces vocables recouvrent-ils effectivement une nouveauté ou bien s'agit-il de vieux fantômes sous des draps neufs ? [...] Salles multiples, polycinémas, multicinémas, l'abondance des termes nouveaux est révélatrice d'un phénomène apparu plus rapidement que son nom. Jusqu'au terme officiel qui témoigne de cette même perplexité : « Établissements cinématographiques situés à la même adresse ». Cependant, le terme le plus utilisé est celui de « multi–salles ». Il désigne un ensemble de salles, totalement différent d'une juxtaposition accidentelle : que ce soit entre elles ou vis-à-vis de leur lieu d'implantation, les multi–salles ont des rapports totalement différents. Il ne s'agit pas de la simple pluralité de théâtres cinématographiques, mais d'une conception nouvelle de l'urbanisme, de l'architecture, voire de la fréquentation cinématographique.6
Quelle médiatisation dans la presse architecturale ?
8Malgré l'importante quantité de projets concernant les architectures pour le cinéma, développés en France pendant les « Trente Glorieuses », la médiatisation des salles reste exceptionnelle, voire marginale, dans les pages de la presse architecturale, sauf pour quelques dossiers publiés dans des numéros spéciaux consacrés de façon plus générale aux salles de spectacle.
- 7 [Anon.], « Cinémas d'art et d'essai de Bernard Ceyssac », l'Architecture française, no 317-318, fév (...)
- 8 Ibid., pp. 34-53.
- 9 Voir Andrés Avila Gómez, « Construire des salles de cinéma durant les Trente Glorieuses : le cas mé (...)
9Ainsi, un numéro double de l'Architecture française publié en février 1969 consacré aux « Salles de spectacle » montre dans ses pages un total de 41 projets, y compris des théâtres et de salles de cinéma. Sous le titre « Cinémas d'art et d'essai de Bernard Ceyssac »7, le lecteur trouve 13 salles conçues par l'architecte parisien (voir Tableau no 1), suivi par les « Nouvelles salles de cinéma de Georges Peynet » regroupant 14 salles conçues par cet architecte8, chef de file des architectes spécialisés dans la conception de cette architecture pendant cette période, à qui l'on attribue la conception d'environ 600 salles de cinéma entre 1942 et 19759.
- 10 Maurice Sokol, « Qu'est-ce qu'un “lieu théâtral” ? », l'Architecture française, no 317-318, février (...)
- 11 Et pourtant, le diagnostic global énoncé par Sokol semble également pertinent pour les salles de ci (...)
10Dans le texte introductif de ce numéro10, l'architecte DPLG Maurice Sokol s'interroge plutôt sur les caractéristiques actuelles du « lieu théâtral », sans rien dire explicitement des évolutions et des innovations vécues dans les années 1960 au niveau des architectures pour l'exploitation cinématographique11.
11Compte tenu de l'évidente hétérogénéité des projets réalisés par Ceyssac et choisis pour ce numéro, la dénomination « Cinémas d'art et d'essai... » donnée à leur présentation semble, en tout cas, arbitraire. Il est également important de signaler que l'ensemble des projets correspond à la production de l'architecte pendant les cinq ou six années antérieures à cette publication, depuis ses « premiers cinémas » (Le Dragon et le Studio Logos à Paris) : ce qui n'est pas du tout précisé par l'Architecture française.
12Quelques aspects ponctuels des projets de Ceyssac méritent d'être soulignés :
-
La plupart de ses projets sont situés à Paris : 11 dans la capitale, 1 en province et 1 en Territoire d'Outre-Mer.
-
La capacité d'accueil des salles ne dépasse pas les 350 places : 9 salles possédant entre 200 et 300 places. En effet, seul Le Concorde, un cinéma de 650 places implanté au cœur d'un nouveau quartier à Pointe-à-Pitre ; et Le Styx à Paris avec 137 places, ne sont pas dans cette moyenne.
-
Dans tous les projets, Ceyssac s'est associé avec d'autres architectes ou cabinets, pour résoudre principalement des aspects techniques ou décoratifs.
Tableau no 1
Nom de la salle |
Ville |
Places |
|
1 |
Le Mayfair |
Paris |
300 |
2 |
Le Dragon |
Paris |
350 |
3 |
St-Germain-Huchette |
Paris |
200 |
4 |
St-Germain-Village |
Paris |
200 |
5 |
Le Bilboquet |
Paris |
360 |
6 |
Le Marais |
Paris |
250 |
7 |
Le Styx |
Paris |
137 |
8 |
Studio Alpha |
Paris |
200 |
9 |
Studio Git-le-cœur |
Paris |
220 |
10 |
Studio Logos |
Paris |
220 |
11 |
Studio Médicis |
Paris |
220 |
12 |
Cinéma des Hauts Forts |
Avoriaz |
275 |
13 |
Le Concorde |
Pointe-à-Pitre (Guadeloupe) |
650 |
Source : l'Architecture française, no 317-318, février 1969, 24-33
13À cet égard on constate que Ceyssac s'est fréquemment associé à d'autres professionnels : décorateurs, éclairagistes, ingénieurs et bien entendu architectes. Ainsi, l'Architecture française cite les collaborations suivantes :
-
- 12 Nom provenant de la source d'archives du Dictionnaire des élèves architectes de l'École des beaux-a (...)
- 13 Admis en deuxième classe le 20 juillet 1950, et en première classe le 6 juillet 1953, Fouqueray a o (...)
Pour Le Dragon, et le Studio Logos à Paris, Ceyssac travaille avec un autre ancien élève de Perret, d'Herbé et de Remondet : l'architecte DPLG Bernard Marie Pierre Fouqueray12 (1929), diplômé en 195813.
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- 14 « Cette nouvelle station de sports d'hiver (dont les architectes ont reçu l'Equerre d'Argent 1968) (...)
- 15 Labro a été 2e Second Grand Prix de Rome, le 20 juin 1961, avec le projet pour un monastère.
- 16 Admis en deuxième classe le 4 juillet 1956, et en première classe le 26 novembre 1959, Orzoni a obt (...)
Pour le Cinéma des Hauts Forts à Avoriaz (Haute-Savoie), Ceyssac participe au projet en tant qu'architecte-conseil, en équipe avec l'Atelier d'Architecture d'Avoriaz – AAA14, composé par les architectes Jacques Labro (1935)15, Jean-Jacques Orzoni (1935)16, et Jean-Marc Roques (1936).
-
Pour le Studio Gît-le-cœur à Paris, et avec l'accord préalable du Service des Monuments Historiques, Ceyssac développe les détails de la façade avec le binôme d'architectes formé par Alicia et Hyéronyme Listowski :
- 17 « Cinémas d'art et d'essai de Bernard Ceyssac », l'Architecture française, no 317-318, février 1969 (...)
Près de la rue Saint-André-des-Arts, situé dans l'une des plus anciennes rues de Paris, l'immeuble où a été créée cette salle de 220 places, possède une façade en pierre de taille absolument intacte et deux escaliers intérieurs possédant encore leurs éléments d'origine. C'est la raison pour laquelle l'architecte [Ceyssac], en accord avec le Service des Monuments Historiques a résolument pris le parti de traiter l'ensemble de cette salle dans un style s'intégrant au cadre existant : la façade a été simplement ravalée, seuls quelques éléments modernes y ont été adjoints : grilles de fermeture en aluminium oxydé, dont le dessin rappelle celui des grilles à hampes du xvie siècle, enseignes en cuivre martelé et en fer forgé, au graphisme inspiré de textes d'époque réalisées d'après les études d'Alicia et Hyéronyme Listowski, architectes.17
- 18 L'Architecture française, no 317-318, février 1969, pp. 77-92.
- 19 Les autre cinq projets étant : Proposition pour un Théâtre de l'Europe à Enghien : Maurice Sokol ; (...)
- 20 L'information sur Zouari est assez lacunaire : né en Tunisie en 1936 ; diplômé en 1969 (?). Matricu (...)
14Enfin, dans les dernières pages de ce numéro, tout en inaugurant la rubrique « Recherche »18 consacrée aux « études originales ayant trait à la recherche » en France et à l'étranger « concernant les formes, les structures et les matériaux », le lecteur trouve six exemples de centres culturels et d'expérimentation pour la projection cinématographique et les arts scéniques19 dont un projet – non construit – conçu par Ceyssac avec la collaboration des architectes Fernand Zouari20 et Jean-Pierre Rault : le Centre Expérimental et Culturel du Cinéma. La description du projet est illustrée avec une coupe longitudinale, trois plans, et cinq photographies de la maquette du projet.
La reconnaissance au sein du secteur cinématographique
- 21 Association déclarée conforme à la loi du 1er juillet 1901, avec siège social au 92 avenue des Cham (...)
15Dans le cadre d'un cycle annuel de conférences organisé depuis 1968 par la Commission supérieure technique du cinéma français (CST)21, destiné à informer sur les nouveautés liées aux différents domaines de l'industrie cinématographique, le 21 avril 1969 a eu lieu une quatrième réunion d'information dans les locaux du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Lors de cette séance, Ceyssac intervient en tant que spécialiste, pour parler des nouvelles conceptions architecturales des salles de cinéma.
16Après les trois réunions précédentes consacrées successivement aux nouvelles couleurs dans les films, aux nouveaux matériaux pour la construction de salles de cinéma, et aux truquages cinématographiques, c'est l'opportunité pour les architectes de communiquer les principaux sujets de travail et de réflexion au sein de leurs cabinets. Le producteur de cinéma Fred Orain (1909-1999), président alors du comité directeur de la CST, introduit ainsi la séance :
- 22 Bulletin officiel de la Commission Supérieure Technique du Cinéma Français, Paris, Centre National (...)
Enfin, aujourd'hui, cette séance traitera des nouvelles conceptions architecturales des salles de cinéma ; je n'en dis pas plus, mais j'ajoute cependant qu'en raison des nombreux sujets qui s'y rapportent, nous avons été obligés de prévoir deux séances sur ce thème : l'une, ce soir même avec la participation de MM. SCOB et CEYSSAC, architectes, et du Commandant FRANCESCHI, Inspecteur Général à la Protection Civile ; la deuxième, après les vacances, avec la participation de MM. PEYNET et GRIDAINE, architectes.22
- 23 Né à Saint-Pétersbourg en 1907, Vladimir Scobeltzine a été admis en deuxième classe le 16 mars 1927 (...)
- 24 Le texte publié, intitulé « Une évolution des spectacles cinématographiques », n'est qu'un court ré (...)
17Tout d'abord, c'est l'architecte DPLG Vladimir Scob23, lui aussi spécialisé dans ce domaine, qui trace un bilan de l'évolution des spectacles cinématographiques24 depuis le moment où s'est amorcé l'essor de la télévision. Pour sa part, Ceyssac aborde le problème du regroupement des salles de cinéma dans certaines zones considérées comme privilégiées, au détriment des « salles de quartier », tout en traçant un panorama du phénomène parisien et de ses principaux centres d'implantation : St-Germain des Prés, le Quartier Latin, les Champs-Élysées et les Grands Boulevards. Ceyssac souligne la disparition des « grands vaisseaux » de plus de 1 500 places, et la préférence pour les salles ayant une capacité plus modeste, de moins de 200 places, dans lesquelles les notions de confort et de qualité deviennent les éléments déterminants d'une nouvelle conception des espaces pour la projection cinématographique. En résumé, « l'esprit et le style de la façade déterminent alors ceux de la salle » à l'intérieur de laquelle il y a quatre critères de qualité à satisfaire : siège, projection, son, et décoration. Bien entendu, les exemples fournis par Ceyssac sont ses propres créations, certaines étant publiées dans le no 317-318 de l'Architecture française dont Le Mayfair, Le Bilboquet, Le Marais, le Saint-Germain des Prés, Saint-Germain-Village et le Studio Gît-le-cœur ; ainsi que quelques autres comme Le Racine et les deux salles Lincoln à Paris, ou encore les deux salles du Centre de Cergy-Pontoise.
18Ceyssac définit une typologie de salles sous la dénomination plus ample d'« Ensembles intégrés », subdivisée en deux groupes : les groupements de salles, et l'exploitation des techniques nouvelles de projection. Ce dernier groupe est illustré avec un projet pour un Centre Expérimental et Culturel du cinéma – également publié dans le numéro cité de l'Architecture française – regroupant en un seul organisme toutes les ressources des techniques cinématographiques :
- 25 Bernard Ceyssac, « Nouvelles conceptions architecturales de salles de cinéma », Bulletin officiel d (...)
Il comble une lacune, aucun centre semblable n'existe à ce jour, et rassemble tout ce qu'il est possible, en la matière, de trouver actuellement dispersé aux 4 coins du monde : Polyecran à Prague ; Circarama aux USA et en URSS ; Cinéma Sphérique en Allemagne ou dans des expositions temporaires ; cinéma sans écran dans un petit laboratoire du CNRS.25
Tableau no 2
Possibilités de groupement de salles |
Caractéristiques |
Exemple |
|
1 |
Salles jumelées côte à côte |
Elles sont implantées à un même niveau, les cabines distinctes sont sur un même plan, communiquant facilement, elles permettent l'utilisation d'un seul operateur |
Le cas des 2 salles du Centre de Cergy-Pontoise |
2 |
Salles superposées |
Hall commun pour deux ou trois salles, situées par exemple au rez-de-chaussée, en sous-sol et au premier étage. Les cabines sont au-dessus des autres et communiquent par un escalier intérieur. Possibilité également d'un seul opérateur |
Le cas de St-Germain-Huchette et St-Germain-Village |
3 |
Salles opposées |
Elles sont implantées à un même niveau et desservies par une cabine unique en position centrale |
Le cas de l'ensemble des Mureaux |
4 |
Extension du principe de la cabine en position centrale |
En effet, une seule cabine de dimensions étudiées, peut desservir plusieurs salles rayonnantes |
Schéma du silo à cinémas (Proposition de M. B. Gourevitch) |
Source : Bulletin officiel de la Commission Supérieure Technique du Cinéma Français, 1969, p. 6-7
19Sur quatre niveaux le programme du Centre Expérimental et Culturel du cinéma devrait abriter :
-
Salles de cinéma :
-
3 salles de 250 places
-
1 salle de Polyvision de 800 places
-
1 Circarama de 150 places
-
1 Panrama de 100 places
-
3 salles de vision de 50 places chacune (avec 36 salles de montage en annexe)
-
-
Cinémathèque : groupant le Musée du Cinéma et les chambres fortes de stockage de films
-
Services administratifs
-
Services communs : restaurant, bar, cafeteria, garderie d'enfants
-
Services généraux : chaufferie, cuisines ; locaux personnels, vestiaires.
20Plusieurs photos de la maquette et quelques plans du projet accompagnent le document issu de l'intervention de Ceyssac lors de cette quatrième réunion d'information de la CST, donnant aux lecteurs une description assez détaillée du programme, notamment du point de vue technique.
21Pour la partie finale de la séance, l'architecte Vladimir Scob a organisé une discussion avec « un certain nombre d'élèves de l'Unité Pédagogique de Synthèse [sic], ex–École des Beaux-Arts » pour commenter quelques projets « sur le thème “Cinéma d'Essai” dans le cadre d'une étude pour un centre de loisirs dans le quartier des Halles » ; en affirmant dans le compte rendu de la séance que « cette confrontation entre les jeunes qui cherchent et les techniciens de la profession qui réalisent, est apparue comme utile aux uns comme aux autres ».
La consécration d'une carrière pendant les années 1970
22Au long des années 1960 et 1970, les projets de ces architectes spécialisés dans la conception de salles de cinéma ont été diffusés régulièrement dans les revues corporatives françaises le Film français et Cinéma de France. Sous différents formats, et dans des rubriques d'actualités informant aussi bien sur les ouvertures et les fermetures de salles dans le territoire français, que sur les nouveaux projets des circuits d'exploitation, les images de cette architecture constituent un riche corpus qui témoigne de l'activité des architectes comme Ceyssac, Peynet, ou Scob, et quelques autres ayant consolidé un réseau professionnel reconnu par le secteur cinématographique français et par une industrie du bâtiment de plus en plus spécialisée dans les produits et les matériaux pour les salles de cinéma.
23En particulier depuis le début des années 1970, le Film français a eu l'habitude de publier des entretiens aux architectes de cinéma : ainsi, par exemple, dans un dossier spécial publié en 1975, les lecteurs trouvent les propos des architectes Georges Peynet, Bernard Ceyssac, Jean-Pierre de Montaut, Guy Bisch, Vladimir Scob, Jean Touraine, Vincent R Wynsberghe et Artémisios Wang. Ils sont consultés à l'initiative des propriétaires de salles, des délégués des entreprises fournissant les matériaux et les services, et des fonctionnaires des associations privées et des institutions publiques liées au développement du secteur de l'exhibition cinématographique. Dans le texte de l'entretien intitulé « Bernard Ceyssac : “les grandes salles reviendront” », l'architecte parisien répond ainsi à la question « Vous êtes un architecte spécialisé dans le cinéma. Est-ce différent de construire une salle ou autre chose ? » :
- 26 [Anon.], « Bernard Ceyssac : “les grandes salles reviendront” », le Film français, no 1568, 21 févr (...)
Il est vrai que depuis quelques années, j'ai beaucoup travaillé pour le cinéma à Paris, en Province et à l'Étranger, notamment dans des salles de « prestige » et avec de programmes de plus en plus importants. En moyenne 30 salles par an et pratiquement pas de rénovation mais des créations. [...] Pour répondre directement à votre question, il n'y a pas de différence notable dans l'acte de bâtir une salle ou un immeuble de bureau, un centre médical ou culturel, pour prendre des exemples de mes propres activités en dehors du seul cinéma. En effet, un architecte doit être polyvalent. Il est celui qui dans tous les cas étudiés, « écoute » le programme, qu'on lui confie. Il étudie le thème, les éléments qui s'y greffent. La démarche est la même. J'ai bien fait des cliniques jadis.26
24Pourtant, une année plus tard, dans un nouvel entretien, à la question « L'architecture dans le cinéma, une spécialisation ? », Ceyssac semble avoir changé d'avis par rapport à sa réponse de l'année précédente à une question similaire :
- 27 [Anon.], « Bernard Ceyssac. Profession : architecte de cinéma », le Film français, no 1613, 20 févr (...)
Oui, car contrairement à ce que je croyais on ne s'improvise par architecte de cinéma : c'est le fruit d'une longue pratique, une confrontation incessante aux problèmes particuliers qui se posent et qui sont de tous ordres ; aux problèmes d'architecture pure, je dirais « classique » pour un architecte généraliste, s'ajoutent ceux posés par le respect des normes de la CST et également des règles de sécurité. [...] Des mois et des mois sont nécessaires à la formation de collaborateurs efficaces [...] Fréquemment, il m'arrive d'être sollicité pour donner des conseils à des confrères n'ayant pas cette expérience particulière ou à des élèves d'écoles d'architecture, à qui sont posés des problèmes touchant le cinéma.27
25À ce moment-là, son activité et la reconnaissance de son savoir-faire dans le milieu de l'exploitation cinématographique est indiscutable, comme on peut le constater dans une annonce sur une double page publiée également en 1976, dans laquelle à l'aide d'une carte de l'Hexagone et d'une liste de projets, on repère la localisation des principales réalisations du Cabinet Ceyssac : au total 16 villes françaises dont Paris, Rouen, Orléans, Blois, Nantes, Dunkerque, Lille, Charleville, Sedan, Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Avignon, Saint-Tropez, Nice, et Avoriaz. La liste signale 96 projets : 54 projets à Paris, 11 en banlieue parisienne, 26 en province, et 5 dans les Territoires d'Outre-Mer ; dont une dizaine « en cours d'étude » y compris le Campus Mouffetard (4 salles) et le Complexe de la Défense (10 salles) à Paris.
26Au début des années 1980, le Cabinet Ceyssac développera des projets tels que les 5 salles du Paramount City Odéon au cœur du Quartier Latin (113, boulevard Saint-Germain) pour Parafrance Films et les frères Jo et Samy Siritzky, tout en reprenant une ancienne salle située au sous-sol avec une capacité de 300 places, et incorporant les quatre nouvelles pour 250, 150, 100, et 100 spectateurs ; et le complexe de neuf salles au sein du centre commercial Les Quatre Temps dans le secteur de La Défense.
27Cette première approche de l'histoire de l'intense carrière de l'architecte Bernard Ceyssac comme concepteur de salles de cinéma met donc en évidence l'importance de mobiliser des sources hors du domaine de l'architecture, pour s'interroger notamment sur l'importance d'autres réseaux professionnels, et sur l'évolution vertigineuse d'un programme architectural toujours associé aux salles de spectacles.
Notes
1 Cinéma de France, no 32, février 1979, p. 55.
2 Cf. Dictionnaire des élèves architectes de l'Ecole des beaux-arts (1800-1968) AGORHA. 2011-. [Base de données en ligne]. Paris, Institut national d'histoire de l'art. Disponible sur http://www.purl.org/inha/agorha/001/7
3 Matricule : 10382 bis.
4 Le premier atelier Perret a fonctionné entre 1923 et 1930, puis de 1942 à 1954, cette fois en collaboration avec André Remondet de 1949 à 1954, et avec Paul Herbé de 1951 à 1954. Lui succède l'atelier Remondet (1954-1968), avec Herbé (1954-1958).
5 « Bernard Ceyssac. Profession : architecte de cinéma », le Film français, no 1613, 20 février 1976, p. 79.
6 Jacques Zandrowicz, « L'avenir du cinéma au présent : les multisalles », le Film français-la Cinématographie française, no 1422-1423, spécial hiver 1972, p. 25.
7 [Anon.], « Cinémas d'art et d'essai de Bernard Ceyssac », l'Architecture française, no 317-318, février 1969, pp. 24-33.
8 Ibid., pp. 34-53.
9 Voir Andrés Avila Gómez, « Construire des salles de cinéma durant les Trente Glorieuses : le cas méconnu de l'architecte Georges Peynet », les Cahiers de la recherche architecturale urbaine et paysagère [en ligne], Actualités de la recherche, mis en ligne le 08 juin 2019. URL : http://journals.openedition.org/craup/1422
10 Maurice Sokol, « Qu'est-ce qu'un “lieu théâtral” ? », l'Architecture française, no 317-318, février 1969, p. 45.
11 Et pourtant, le diagnostic global énoncé par Sokol semble également pertinent pour les salles de cinéma : « Les prolongements nécessaires du lieu théâtral se sont transformés ; celui-ci se trouve maintenant au centre d'un ensemble culturel plus au moins développé où nous trouvons d'autres lieux qui ne sont plus séparés du théâtre : bibliothèque, salles d'exposition, espaces consacrés aux loisirs, etc. ».
12 Nom provenant de la source d'archives du Dictionnaire des élèves architectes de l'École des beaux-arts (1800-1968).
13 Admis en deuxième classe le 20 juillet 1950, et en première classe le 6 juillet 1953, Fouqueray a obtenu son diplôme le 19 juin 1958, à l'âge de 29 ans, faisant partie de la 231e promotion.
14 « Cette nouvelle station de sports d'hiver (dont les architectes ont reçu l'Equerre d'Argent 1968) comporte un centre commercial au rez-de-chaussée de l'hôtel dont la salle de cinéma de 275 places fait partie intégrante » (p. 28).
15 Labro a été 2e Second Grand Prix de Rome, le 20 juin 1961, avec le projet pour un monastère.
16 Admis en deuxième classe le 4 juillet 1956, et en première classe le 26 novembre 1959, Orzoni a obtenu son diplôme le 22 février 1967, à l'âge de 32 ans.
17 « Cinémas d'art et d'essai de Bernard Ceyssac », l'Architecture française, no 317-318, février 1969, p. 30.
18 L'Architecture française, no 317-318, février 1969, pp. 77-92.
19 Les autre cinq projets étant : Proposition pour un Théâtre de l'Europe à Enghien : Maurice Sokol ; Centre d'Action Culturelle de Yerres (Essonnes) : Atelier d'Urbanisme et d'Architecture – Paul Chemetov, J. Deroche [etc.] ; Théâtre Saint-Gilles-les-Bains à La Réunion : Atelier d'Urbanisme et d'Architecture – G. Loiseau, J. Tribel, J. Deroche, J. Kalisz, J. Perrotet [etc.] ; Études de scénographie : Jacques Bosson ; Cinéma et salle de spectacle à Ugine : J. Maire, Bax et Roux.
20 L'information sur Zouari est assez lacunaire : né en Tunisie en 1936 ; diplômé en 1969 (?). Matricule de l'École des Beaux-Arts : 13758.
21 Association déclarée conforme à la loi du 1er juillet 1901, avec siège social au 92 avenue des Champs-Élysées (8e).
22 Bulletin officiel de la Commission Supérieure Technique du Cinéma Français, Paris, Centre National de la Cinématographie, 1969, vol. 2, p. 1.
23 Né à Saint-Pétersbourg en 1907, Vladimir Scobeltzine a été admis en deuxième classe le 16 mars 1927, et a passé en première classe le 16 juillet 1929. Il a obtenu son diplôme le 16 février 1932, en faisant partie de la 150e promotion.
24 Le texte publié, intitulé « Une évolution des spectacles cinématographiques », n'est qu'un court résumé de l'intervention de Scob.
25 Bernard Ceyssac, « Nouvelles conceptions architecturales de salles de cinéma », Bulletin officiel de la Commission Supérieure Technique du Cinéma Français, Paris, Centre National de la Cinématographie, 1969, vol. 2, p. 7.
26 [Anon.], « Bernard Ceyssac : “les grandes salles reviendront” », le Film français, no 1568, 21 février 1975, p. 53.
27 [Anon.], « Bernard Ceyssac. Profession : architecte de cinéma », le Film français, no 1613, 20 février 1976, p. 79.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Andrés Avila Gómez, « Bernard Ceyssac, un concepteur de salles de cinéma des années 1960 aux années 1980 », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze, 92 | 2020, 68-83.
Référence électronique
Andrés Avila Gómez, « Bernard Ceyssac, un concepteur de salles de cinéma des années 1960 aux années 1980 », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze [En ligne], 92 | 2020, mis en ligne le 03 janvier 2025, consulté le 12 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/1895/8175 ; DOI : https://doi.org/10.4000/1895.8175
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