1Voilà des années que nombre d’entre nous s’interroge sur les solutions à mettre en œuvre pour renforcer l’accès des chercheurs africains, en particulier des jeunes chercheurs, à la publication et aux congrès et réunions scientifiques sur l’archéologie et les arts du continent. Parmi l’éventail des initiatives, les associations SAfA (Society of Africanist Archaeologists) et PANAF (Panafrican Archaeological Association) offrent des bourses de voyage pour participer à leurs colloques et congrès. Les formations à la recherche et ateliers d’écriture se sont multipliés. Comme d’autres revues de notre discipline (citons Nyame Akuma par exemple), Afrique : Archéologie & Arts s’efforce, depuis sa création, d’encourager la publication de travaux originaux de terrain, loin de la course à l’­impact factor, aux titres à sensation ou au seul prestige des signatures.

2Jusqu’à présent, la sous-représentation des chercheurs africains dans les congrès tenait en partie au manque de financements disponibles pour les déplacements. Même les congrès sur le continent africain ne permettaient pas une large participation, étant donné les tarifs prohibitifs des liaisons aériennes. Cette année, la nécessaire migration des manifestations scientifiques vers des formats en ligne a peut-être apporté des pistes supplémentaires, réduisant par ailleurs le bilan carbone de nos activités scientifiques. Paradoxalement, dans notre champ de recherche, les confinements ont pu créer et renforcer des liens. Dans ce numéro, Alexandre Livingstone Smith et ses collègues rendent compte du colloque international « Extraire le passé du présent » sur l’histoire précoloniale de l’Afrique, qui s’est tenu en ligne en mars 2021. Le taux de réponse à l’appel, dépassant toutes les projections s’explique en partie par la migration vers un format en ligne.

3À l’heure où nous écrivons ces lignes se tient le congrès SAfA (initialement prévu à Oxford en septembre 2020) sous un format inédit. Les traditionnelles sessions en parallèle, condensées sur une semaine, laissent place à un format étalé sur un mois et demi. Le temps prend une tout autre dimension et l’obstacle du financement de coûteux déplacements est levé. Avec un accès au numérique en progression rapide, il n’est pas impossible que ces expériences laissent place à de nouvelles pratiques à plus long terme en matière de rencontres scientifiques au format hybride (présentiel et en ligne).

4Ce nouveau numéro d’Afrique : Archéologie & Arts aborde des thèmes variés. Sa conception a pu bénéficier de l’expérience de trois nouveaux membres au sein du Comité de rédaction : Chloé Capel, chercheuse rattachée à l’UMR8167 du CNRS (France), Alice Mezop Temgoua-Noumissing, chargée de cours à l’Université de Yaoundé 1 (Cameroun) et Nicolas Nikis, chargé de recherches au Musée royal d’Afrique centrale et maître de conférences à l’Université Libre de Bruxelles (Belgique).

5La revue s’ouvre avec un article de Geoffroy de Saulieu, Yannick Garcin, David Sebag, Pascal Nlend Nlend, David Zeitlyn, Pierre Deschamps, Guillemette Ménot, Pierpaolo Di Carlo et Richard Oslisly, qui apporte une pierre de plus à l’édifice de la compréhension des dynamiques de population dans le contexte des migrations bantoues. À partir d’une importante base de données archéologiques géoréférencées (1139 dates calibrées au ¹⁴C provenant de 425 sites d’Afrique centrale occidentale), ils procèdent à une modélisation qui les conduit à déduire une possible croissance de la population entre ~2500 et ~1500 ans cal. BP, coïncidant avec l’apparition à l’échelle régionale de techniques et de pratiques spécifiques.

6Le second article constitue une précieuse contribution à la conservation d’une mémoire de la filière textile nord-béninoise. Olivier Gosselain y retrace les processus techniques de la teinture à l’indigo et le contexte d’une activité, florissante à la veille de l’occupation coloniale et disparue au début des années quatre-vingt-dix. Ses enquêtes de terrain minutieuses auprès de teinturiers – la plupart très âgés –, et sa prise en compte des traces archéologiques d’ateliers, ont été menées dans le cadre de l’Endangered Material Knowledge Programme du British Museum.

7Le lecteur trouvera ensuite une synthèse des connaissances et des pistes de réflexion proposées par Narcisse Santores Tchandeu et Hassimi Sambo sur les monolithes sculptés akwanshi/atal de la Cross River (Nigéria/Cameroun), parmi lesquels ils distinguent trois styles rattachés à des périodes historiques. Le rôle de ces monolithes, que leurs gravures apparentent à des êtres androgynes, a évolué au fil des temps. Destinés à l’origine à être des marqueurs territoriaux, ils apparaissent de nos jours en lien étroit avec les pratiques agraires. Bien qu’inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, ils sont aujourd’hui très prisés sur le marché international de l’art et font l’objet de pillages, de trafics, et d’un marché de copies faites en grande partie au Cameroun.

8Le dernier article est issu d’un véritable travail de fourmi au sein des archives (notes de terrain, plans, croquis, photographies) de Frank Willett conservées à l’université de Glasgow, documents inédits des fouilles qu’il mena sur le site d’Ita Yemoo (Ilé-Ifé, Nigéria). Léa Roth, Gérard Chouin et Adisa Ogunfolakan proposent une reconstitution et une relecture critique et rigoureuse des fouilles archéologiques conduites sur ce site lors de la première saison de six semaines (1957-1958) et d’un travail complémentaire effectué en 1962-1963. Comblant les lacunes dans la mémoire d’Ita Yemoo, connu essentiellement pour sa culture matérielle – notamment les fameux « bronzes » –, les auteurs ressuscitent des informations de contexte cruciales pour comprendre pleinement la culture d’Ilé-Ifé, préalable indispensable aux travaux futurs sur ce site. Cet article est le premier d’une série de trois qui seront entièrement dédiés à ce travail d’éclairage, mais aussi de réhabilitation des travaux de Frank Willett, éminemment célèbres mais, paradoxalement comme souvent, totalement méconnus.

9À l’issue de ces quatre articles et du compte rendu du colloque mentionné ci-dessus, nous avons souhaité attirer l’attention des lecteurs sur deux ouvrages d’art récents, tous deux abondamment illustrés. L’un, de Yaëlle Biro et de ses collègues, dont Bernard Nantet a fait la recension, permet ainsi de prendre part à l’exposition Sahel, Art and Empires on the shores of the Sahara, qui s’est tenue de janvier à mai 2020 au Metropolitan Museum of Art de New York. L’autre, de Roger Joussaume et Jean-Paul Cros, Art rupestre dans la Corne de l’Afrique, recension réalisée par Emmanuelle Honoré, présente une documentation réunie en plus de 50 années de recherches, qui en fait un ouvrage de référence indispensable à tout chercheur et amateur d’art rupestre.

10Le numéro s’achève avec un texte d’Anne-Lise Goujon – résumé d’une thèse de doctorat, fruit de dix-sept missions de terrain – qui nous fait naviguer dans la variété des groupes ethnolinguistiques des contreforts éthiopiens de la vallée du Rift, et la diversité de leurs traditions potières.

11En attendant de retrouver tous nos terrains respectifs, nous vous souhaitons bonne lecture de ce nouveau numéro d’Afrique : Archéologie & Arts, qui fête cette année ses vingt ans d’existence !