1Koumbi Saleh, vaste site urbain du sud-est mauritanien, est célèbre pour être la prétendue capitale de l'un des plus anciens empires connus en Afrique de l'Ouest. Dès sa découverte en 1914, le site archéologique est associé à Ghana, autorité politique mentionnée dans les sources arabes, entre les VIII^e et XVII^e siècles, comme une importante formation étatique engagée dans le commerce transsaharien.

2La séquence archéologique mise au jour lors des fouilles effectuées sur le site, manifeste une grande continuité qui contraste avec les ruptures historiques mentionnées dans les sources écrites et orales: incursion militaire almoravide au XI^e siècle, invasion de l'empire du Mali en 1240.

3Sur le tell principal du site, les modifications architecturales qui ont marqué l'habitat construit ont permis de discriminer plusieurs phases d'occupation, perçues comme le reflet d'une urbanisation progressive. La permanence et le peu d'évolution que montrent les vestiges matériels associés à ces occupations –poterie, objets métallurgiques, matériel lithique et perles pour l'essentiel– constitueraient, selon les termes de S. Berthier : « le signe remarquable d'une stabilité et d'une homogénéité culturelle » propres à Koumbi Saleh. Ce particularisme culturel se distinguerait, notamment, par un style céramique caractéristique.

4L'étude systématique du matériel céramique exhumé lors de la fouille d'une unité d'habitat a permis à l'auteur d'individualiser une séquence tripartite, rythmée par l'apparition successive de nouveaux types morphologiques et figures ornementales.

5Dans le but de questionner l'appartenance de cette céramique à un ensemble culturel homogène, l'analyse des caractères technologiques de cette poterie a été entreprise sur un petit échantillon de référence. Afin d'appréhender la variabilité des différentes étapes de fabrication des objets céramiques, chaque individu sélectionné a été soumis à une série d'observations opérées à différentes échelles (observations macroscopiques systématiques, radiographie, pétrographie, diffraction des rayons X).

6Il s'agissait ici de mettre en place une méthodologie globale qui permette de travailler de manière systématique sur un large corpus archéologique et d'évaluer le potentiel interprétatif qu'offrait chacune des voies analytiques explorées.

7Les résultats de l'analyse ont mené à fortement remanier le schéma stylistique proposé par S. Berthier ainsi que l'interprétation archéologique qui en fut, en partie, le résultat. Il ressort principalement de ce travail que, dans le cas de la production de la poterie, une véritable tradition technique s'est maintenue tout au long de l'occupation du site. Comme tout système engagé dans un processus historique, elle est soumise à un certain degré de variabilité et est susceptible de se modifier dans le temps. C'est au cours de la phase III que sont introduites les principales innovations, alors que rien dans les formes ou les décors des récipients ne signale la moindre rupture. Les débuts de la phase III correspondent, à une échelle plus globale, à des niveaux marqués d'une rupture archéologique importante, puisque l'on assiste au sein de ces niveaux, dans les zones fouillées, à une phase majeure de reconstruction de l'habitat, datée des débuts du XIII^e siècle. Cette période correspondrait également à un moment historique important : l'implantation politique et militaire de l'empire du Mali dans la région de Koumbi Saleh, épisode auquel est associée la diffusion, en Afrique de l'Ouest, des systèmes à castes. Rien ne permet d'affirmer que les évolutions de la poterie à Koumbi Saleh soient liées à l'expansion de ces classes socio-économiques. L'hypothèse ne peut cependant être absolument exclue.

8Nous espérons avoir démontré que la reconnaissance des processus de fabrication de la poterie, menée en parallèle avec une classification formelle, permet d'éclairer sous un jour nouveau les dynamiques culturelles sous-jacentes à la genèse d'une culture matérielle, sur laquelle repose une bonne part des reconstitutions historiques que se permet l'archéologie dans cette région.