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Éditorial

Jean Polet
p. 7-10

Texte intégral

Pourquoi une nouvelle revue ?

1La plupart des continents et des « âges » de la longue histoire de l’homme bénéficient, depuis très longtemps, de revues qui font connaître les découvertes récentes, publient des articles de synthèse, engagent débats et controverses nécessaires à toute discipline. Pour sa part, la publication des premiers pas de l’archéologie de l’Afrique a d’abord trouvé place dans les revues liées à l’histoire coloniale, où se côtoient récits de voyages, littérature ethnographique et rêves sur le développement des sociétés vaincues. Puis, peu avant la seconde guerre mondiale, les premières institutions de recherche d’un continent désormais presque entièrement colonisé produisirent leurs publications propres, dans la langue du colonisateur, bien entendu.

2Les années qui suivirent les accessions à l’indépendance ont été celles des premiers pas d’archéologies nationales –voire nationalistes– confortées par la découverte concomitante sur le continent africain des plus anciens ancêtres de l’humanité. La recherche liée à ces origines lointaines, très médiatisée, mobilise donc le plus grand nombre de chercheurs et les budgets de loin les plus importants mais ses résultats sont, sauf exception, publiés hors du continent dans des revues du monde développé : celui-ci s’est approprié les ancêtres –et l’interprétation de leurs traces dans la terre d’Afrique– au nom de l’universalité de leur descendance.

  • 1 Les Cahiers de l’ORSTOM, par exemple, dans leur série Sciences humaines, accueillaient naguère des (...)

3En France, à l’heure actuelle, si les revues spécialisées accueillent à l’occasion des articles d’archéologie africaine lorsqu’ils s’inscrivent dans leur ligne éditoriale1, si le Journal des Africanistes accepte des articles de synthèse et a même produit des numéros spéciaux sur le sujet, l’archéologie africaniste ne possède pas de revue qui lui soit propre. Deux couvrent une zone géographique particulière : les Annales d’Éthiopie et Archéologie du Nil Moyen, une autre, Archéo-Nil, une région et une période précises de l’histoire de l’Égypte. En Afrique francophone, le Bulletin de l’IFAN paraît de nouveau mais, aujourd’hui revue nationale, son champ couvre en priorité le Sénégal et les pays voisins. L’information est donc très éparse et cet émiettement est néfaste à une vision globale de l’accumulation des connaissances et de l’évolution de la discipline.

  • 2 Cf. McIntosh S. K., 1994, « Changing Perceptions on Africa’s Past : Archaeological Research since 1 (...)
  • 3 McIntosh S. K. and Bocoum H., 2000, « New Perspectives on Sincu Bara, a First Millenium Site in the (...)

4Les revues anglophones –dans une tendance lourde à l’hégémonie– veulent s’imposer comme lieu de reconnaissance obligé de toute création de savoir pour toutes les disciplines scientifiques, mais elles remplissent mal leur rôle en ce qui concerne l’archéologie. Nyame Akuma est un outil nécessaire pour appréhender rapidement, « à chaud », l’évolution des recherches. En revanche, le comité éditorial de l’African Archaeological Review est très déséquilibré par rapport à la communauté scientifique des mondes non anglophones. Il épouse la « démarche » de certains de ses auteurs qui remplacent, dans cette revue ou ailleurs2, l’argumentation scientifique par des critiques ad hominem. Il a récemment montré son peu de sérieux en laissant publier d’inadmissibles insultes3 qui, de plus, recoupent de vrais problèmes de méthode : si les archéologues ne peuvent réfléchir et publier que sur les sites qu’ils ont foulés aux pieds et doivent s’interdire toute analyse des travaux de leurs collègues, la mort intellectuelle de notre discipline est alors annoncée.

5Au-delà de notre droit à résister à la dictature de l’anglophonie, ce manquement à la déontologie et ce signe que le comité de lecture de la seule revue d’archéologie africaine qui se veut d’audience internationale ne remplit pas son rôle nous confortent dans l’idée de la nécessité d’une revue nouvelle.

6L’« Équipe de Recherches sur l’Afrique » de l’UMR 7041, Archéologies et Sciences de l’Antiquité, est la descendante directe du «Laboratoire de Recherches sur l’Afrique Orientale », laboratoire propre du CNRS qui a publié pendant de nombreuses années la revue Abbay. L’ouverture au Sahara d’abord, à l’Afrique de l’Ouest et à l’Afrique Centrale ensuite, ouvertures dues avant tout à l’arrivée d’une nouvelle génération de chercheurs, nous a conduit dans un premier temps, à la publication d’un bulletin annuel « Dossiers et Recherches sur l’Afrique », essentiellement consacré aux recherches des membres du laboratoire puis de l’équipe « Afrique » de l’UMR.

7Depuis deux ans, les équipes françaises peuvent à nouveau mener des actions de recherche en Afrique, dans toute l’Afrique. Ces opérations se font toujours en partenariat avec les centres de recherches, les musées et les universités des pays hôtes. Elle se fait aussi de plus en plus en partenariat complet avec des universités et musées européens qui ne rejettent pas l’usage de la langue française en tant que langue de communication scientifique (actuellement Leyde et Bruxelles).

8Cette nouvelle revue veut donc pouvoir traduire à la fois ce nouveau déploiement de la recherche française, européenne, mais aussi être un outil de publication pour nos collègues et nos homologues connus ou encore inconnus d’Afrique. Elle ne veut pas se limiter aux pays dans lesquels des équipes françaises interviennent mais être aussi un moyen de diffusion des travaux qui s’élaborent dans d’autres pays d’Afrique et dont les responsables souhaitent utiliser la langue française pour diffuser leurs résultats. Elle ne veut pas non plus se limiter à une succession de monographies, de rapports de fouilles. L’étude des sites d’Afrique mobilise des moyens analytiques, « archéomètriques », identiques à celle des sites d’Europe et, en même temps, les collections issues des fouilles participent au développement de ces techniques analytiques. Nous ne négligerons donc aucune de ces approches qui, dans un contexte où les possibilités de travail sur le terrain diminuent de façon drastique, notamment faute de crédits et pour des raisons de sécurité, permettent néanmoins de faire avancer des pans entiers de connaissance en Afrique.

9L’interpénétration de plus en plus effective du monde de la recherche à plein temps (CNRS et IRD en ce qui nous concerne) et de celui de l’enseignement supérieur (Universités de Paris I et de Paris VI, Panthéon-Sorbonne, EHESS) a modifié une nouvelle fois, au sein de notre équipe, les modes d’élaboration du savoir : les étudiants apportent, par une pratique de terrain ou par une pratique analytique parfois, mais le plus souvent surtout par la qualité de leur réflexion sur des documents publiés, des contributions fort importantes au développement des programmes de recherche. Leurs contributions seront donc publiées, entièrement ou sous forme d’articles, soit au fil des publications soit à l’occasion de numéros thématiques.

10De plus, cette revue n’exclura pas l’étude des productions artistiques des peuples d’Afrique. Archéologues et ethnologues, pour des raisons différentes, se sont peu souciés de cette qualité proprement humaine –celle de façonner des formes et de jouer avec la couleur– laissant le champ libre à une approche purement formelle, intemporelle de ces œuvres, à une terminologie inadmissible –« Premier », « Primitif »– bien peu soucieuse d’insertion dans l’histoire régionale des cultures. Nous tenterons enfin de faire alterner numéros « généralistes » et numéros thématiques, les thèmes n’ayant aucune direction ni limitation particulière.

11Un comité de lecture veillera à la fois à la qualité scientifique des articles et au respect de la déontologie entre chercheurs.

12Les premiers numéros seront largement diffusés en Europe et sur l’ensemble du continent africain grâce à trois aides généreuses mais ponctuelles : celle de l’UMR « Archéologies et Sciences de l’Antiquité », celle du Service des Relations Internationales de l’université de Paris I et celle de la Direction générale de la Coopération internationale et du Développement (D.G.C.I.D./Ministère des Affaires étrangères) . En fonction des réactions qui viendront à la fois des archéologues du continent africain et des archéologues africanistes d’Europe, il nous faudra, ensuite, décider d’une politique de diffusion qui ne rende pas la revue disponible qu’à ceux qui ont déjà les moyens d’accéder au savoir.

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Notes

1 Les Cahiers de l’ORSTOM, par exemple, dans leur série Sciences humaines, accueillaient naguère des publications d’archéologie, le plus souvent celles des chercheurs « maison ». La réduction du format, le changement de formule de la revue (devenue « Autrepart ») et une ligne de plus en plus consacrée à l’anthropologie sociale et économique ont tari cette ressource.

2 Cf. McIntosh S. K., 1994, « Changing Perceptions on Africa’s Past : Archaeological Research since 1988 ». Journal of Archaeological Research, 2 (2) : 165–198.

3 McIntosh S. K. and Bocoum H., 2000, « New Perspectives on Sincu Bara, a First Millenium Site in the Senegal Valley », African Archaeological Review, 17 (1) : 1–44.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jean Polet, « Éditorial »Afrique : Archéologie & Arts, 1 | 2001, 7-10.

Référence électronique

Jean Polet, « Éditorial »Afrique : Archéologie & Arts [En ligne], 1 | 2001, mis en ligne le 25 septembre 2023, consulté le 18 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/aaa/4489 ; DOI : https://doi.org/10.4000/aaa.4489

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Auteur

Jean Polet

Responsable de l’équipe Recherches sur l’Afrique

polet@univ-paris1.fr – UMR 8068 (TEMPS), MSH Mondes, 21 allée de l’Université, 92023 Nanterre cedex, France

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