1Le Ghoubbet est une région volcanique très aride, au fond du Golfe de Tadjoura, à Djibouti. Malgré un cadre de vie très défavorable, il a connu une occupation au cours de la Préhistoire récente. La côte est en effet marquée par des installations restées en l’état depuis leur abandon. Nous ne savions cependant que peu de choses sur le fonctionnement de ces sites, uniques dans la région. La première note en revient au Père Teilhard de Chardin en 1939. D’autres sites ont été découverts depuis par l'équipe de R. Joussaume et de X. Gutherz entre 1982 et 1996.

2Six aires d’habitat ont été recensées lors des différentes prospections : Narigue Koma sur la côte nord, Dankalelo Plage à l’Ouest, Dankalelo Amo, Asa Ragid Ouest et Centre, Wadar Guita sur la côte sud. Ils comportent généralement trois types de structures : des cercles de pierres, autour desquels sont concentrés des céramiques, des tombes en croissant et des amas coquilliers auxquels est associée une industrie de pics. Une deuxième industrie microlithique a aussi été mise au jour, particulièrement dans le second site.

3À ce stade de notre étude, nous pouvons imaginer que des groupes sont venus dans cette région pour pratiquer deux activités principales.

4La première d’entre elles est la récolte de sel, à l’aide des pics. En effet, ces outils ont servi à percuter pour trouer une matière présente dans l’aire du Ghoubbet. Parmi les produits issus de la mer, seule la récolte du sel demanderait un tel outil et justifierait sa confection en nombre. Sa découverte systématique dans l’aire de l’amas implique une activité spécialisée dans ce périmètre qui pouvait être celui de la taille et de la confection de pains de sel pour le transport et le salage de denrées destinées à être conservées et stockées.

5La pêche, seconde activité, pouvait être réalisée à l’aide des pièces microlithiques débitées sur place et emmanchées en barbelure sur un harpon. Des poids à gorge ou rainurés marquent aussi l’utilisation du filet. Aucun reste de poisson n’a cependant été retrouvé, soit par défaut de conservation, soit en raison d’un stockage entier, ailleurs.

6Les groupes vivaient (sans doute temporairement) dans des huttes, dont les traces subsistent sous la forme de cercles de pierres d’un diamètre compris entre 2 et 4 mètres. Leur nombre est restreint, 2 à 3 cercles à l’exception du site d’Asa Ragid qui en contient plusieurs. Quelques cairns s’étendent à proximité, d’une longueur pouvant atteindre 20 mètres. Les seuls restes de nourritures sont des petites coquilles d’ostrea disposées en amas d’un mètre de haut maximum.

7Ces ensembles constitués seulement de quelques structures ne forment pas de réels villages. Ils semblent destinés à quelques groupes familiaux, venus dans cette région avec un but précis, sans que nous puissions encore en évaluer le nombre. Les trois aires sont organisées en fonction de l’accès à la mer, avec rejet systématique des amas coquilliers à la périphérie de l’habitat. Cet accès au rivage a aussi conditionné le lieu d’installation, sur chaque espace plat suffisamment important. Le nombre des passages utilisables a ainsi déterminé celui des sites. Leur restriction a pu créer un système de « propriété » de ces accès dessinant alors des territoires habités par des petits groupes.

8Des tessons de céramique marquent cette occupation. Ce sont, pour l’essentiel, des récipients usuels, pour un emploi quotidien ou une réserve temporaire. Le corpus comprend 3 formes de bases, écuelle, gobelet, pot, parmi 95 récipients, dont 42 pour le seul site de Dankalelo Amo.

9Toutes ces céramiques ont un registre décoratif proche et les techniques employées sont identiques. La majeure partie des motifs est à base de lignes plus ou moins déployées, avec certains décors récurrents comme le zigzag, l’impression en bande du dos d’une coquille.

10Le caractère spécialisé des activités suppose une occupation temporaire de la région. Cette hypothèse est confirmée par la faible densité des structures d’installations, le nombre relativement faible des artéfacts et leur particularité (présence exclusive de trois catégories d’outils, principalement le pic, production sans réel soin pour une utilisation immédiate, détection d’une production microlithique plus soignée mais absente du lot ; céramique uniquement de faible volume…). Le climat aride des lieux, attesté depuis le 5ème millénaire av. J.-C., n’incitait pas non plus à une installation durable sur les côtes du Ghoubbet.

11La similitude de tous ces vestiges traduit une même entité culturelle dont nous n’avons pas encore repéré l’origine ni le rayonnement. Les groupes pouvaient provenir d’un seul centre géographique et s’installer sur les deux cotés du Ghoubbet. Ils pouvaient aussi arriver de plusieurs directions et occuper chacun une côte et peut-être même un espace.

12La multiplication des sites peut être due aux déplacements répétés de quelques groupes à la recherche des bancs d’huîtres et de poissons où des plaques de sel qui ont pu s’épuiser périodiquement.

13La contemporanéité des sites n’est pas non plus démontrée. L’homogénéité générale plaide néanmoins pour une courte fréquentation des lieux. Les produits collectés (pains de sel, poissons, pièces lithiques) devaient être destinés à des camps situés dans les montagnes en retrait du Ghoubbet, notamment dans les monts Hémed au Sud et dans le Day au Nord, où le reste de la population bénéficiait de conditions d’existence moins rudes. La nécessité de ces produits ont ainsi contraint des petits groupes à venir occuper provisoirement les côtes arides. Le sel pouvait servir à la conservation et au stockage de la viande, peut-être même des produits de la mer ramenés du Ghoubbet. Très prisé, il pouvait aussi faire l’objet d’un commerce.

14Nous pouvons supposer une installation dans le Ghoubbet au cours du 3^e millénaire, selon les rapprochements céramiques avec des cultures du Soudan. Aucun élément ne permet d’y affirmer une exploitation néolithique à cette période. Son environnement n’est pas propice à l’élevage, encore moins à l’agriculture. Aucune donnée n’est encore disponible des monts situés en arrière. Présent vers 2000 av. J. C. dans le pays, l’introduction du bœuf domestique a pu se réaliser à l’époque de l’occupation du Ghoubbet en provenance de l’Atbara et de la vallée du Nil. Les recherches sont alors à entreprendre pour le démontrer, pour replacer le Ghoubbet dans un système économique global, et dans le temps.