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Comptes rendus

Hamon, Yannick et Paola Paissa (éds). 2023. Discours environnementaux. Convergences et divergences (Rome : Aracne)

Sonia Gerolimich
Référence(s) :

Hamon, Yannick et Paola Paissa (éds). 2023. Discours environnementaux. Convergences et divergences (Rome : Aracne), ISBN : 979-12-218-0776-9, 256 pages.

Texte intégral

1Comme l’ont souligné plusieurs auteur.e.s de ce volume, les discours environnementaux couvrent une aire discursive très vaste, aussi bien du point de vue de la question environnementale qui concerne des sujets très variés, que des modalités discursives. C’est pourquoi il est difficile d’établir des rapprochements entre les différents articles de cet ouvrage. Mais c’est justement la variété des approches, des corpus et des sujets traités qui en fait sa richesse. Au niveau thématique, la question du changement climatique domine largement et l’appel à l’action individuelle et collective est souvent invoqué. Mais c’est surtout au niveau de l’analyse discursive que cet ouvrage présente un intérêt, car chaque contribution propose des objets d’études différenciés, le plus souvent polysémiotiques et polyphoniques, et emploie plusieurs approches (argumentative, pragma-énonciative, communicationnelle, lexicométrique, sémantique, sémiotique, technodiscursive, textométrique). A travers cette diversité, deux procédés discursifs ressortent de ces analyses sur les discours environnementaux : le recours fréquent à la dimension consensuelle et légitimante, et le rôle de l’argumentation. D’autres mécanismes récurrents sont mis au jour, comme la circulation massive des discours, notamment sous la forme de formules, le flou discursif, voire le non-dit, l’interdiscursivité, les postures axiologiques et enfin l’importance des représentations. C’est ce que nous tenterons de mettre en évidence dans chacune des contributions.

2Dans sa préface (7-13), Giovanni Agresti propose une entrée en matière efficace, montrant combien la question « climato-environnementale » est actuelle : il s’agit d’un enjeu discursif à l’ordre du jour, qui pousse à des « choix civilisationnels », soutenant ou non des décisions souvent difficiles, voire impopulaires, et il est temps que les linguistes prennent part à ce débat sociétal, afin de l’éclairer par des analyses fines et rigoureuses des nombreux discours sur l’environnement. Leur tâche, qui est de démêler l’articulation entre le dire et le faire (Laffont 1990), est indéniablement complexe. À partir du constat qu’une transformation sociétale est nécessaire au vu de la crise climatique, le débat public français évolue autour des différentes acceptions de la notion de « déclassement », dont celle de « décroissance » qui commence à se normaliser et par là à être acceptée, d’où l’apparition de stratégies discursives de riposte comme le greenwashing ou la caricature, auxquelles nous pouvons aussi ajouter le non-dit, qui seront d’ailleurs traitées par certains articles de ce numéro. Une « nouvelle narration collective » consciente et responsable des équilibres sociaux-environnementaux est souhaitable. Par ce constat, Agresti rejoint Lionel Charles qui en perçoit les prémices dans l’article conclusif de ce numéro.

3Yannick Hamon et Paola Paissa (15-29), qui ont coordonné cet ouvrage collectif, l’introduisent en soulignant l’abondance des flux d’informations liés à l’environnement qui investissent notre quotidien et qui nécessitent une « remise en ordre » des discours qui en découlent : « avec ce volume, nous avons voulu rendre compte de la pluralité des instances discursives qui poussent les sphères publique et privée à s’interroger sur les défis environnementaux ». Ils constatent l’existence d’un entremêlement de discours hétérogènes, investissant toutes les instances énonciatives de la société, de l’individu aux pouvoirs décisionnels, tout en passant par les organismes. Nous reprendrons les impressions conclusives de Hamon et Paissa à la fin, car ils ont parfaitement identifié les tendances discursives qui se dégagent de l’ensemble de ces contributions.

4L’ouvrage, composé de 12 contributions, est divisé en trois volets distincts. Le premier est dédié à l'analyse du discours de certains acteurs sociaux concernant les enjeux écologiques actuels. Le deuxième volet examine une modalité discursive particulière, à savoir le numérique. Enfin, le troisième volet se concentre sur un type spécifique d'instance énonciative : celui des organisations. Il va sans dire que ces trois critères peuvent se retrouver transversalement dans les autres volets et que la complexité des variables en jeu rend peu aisée toute tentative d’association.

5Le premier volet, intitulé « Environnement et réchauffement climatique », regroupe trois articles, assimilables au niveau du sujet traité, à savoir l’examen du comportement discursif de certains acteurs sociaux et médiatiques vis à vis de problématiques écologiques actuelles.

  • 1 Fukushima a suscité davantage de remous médiatiques que Tchernobyl (1986).

6La première étude (Laurence Vignes, « Réchauffement climatique, risque d’accident : le discours dissonant des instances nucléaires françaises », 33-48) constitue un point de départ parfait pour illustrer la complexité de l’interrelation des discours, et par là le rôle indispensable de l’analyste du discours pour en déchiffrer les rouages. L’auteure se penche en effet sur des discours d’orientation axiologique divergente, au sein d’une même communauté discursive, qui poursuit pourtant le même objectif, à savoir la promotion du nucléaire. À partir d’un corpus considérable (d’un côté, les productions publicitaires d’EDF, et de l’autre les instances de surveillance pour la sûreté nucléaire), Vignes s’appuie sur la sémiologie et l’analyse du discours pour examiner le fonctionnement de l’argumentation des différentes instances énonciatives. Concernant les publicités d’EDF, elle met en évidence la façon dont ces dernières arrivent à déjouer les instances de contrôle par un lexique « imprécis », comme « bas-carbone ». D’autres stratégies relevant du greenwashing sont employées pour camoufler le mot « nucléaire », en l’entourant d’arguments écologiques qui lui transfèrent leurs valeurs axiologiques positives. Tout est mis en œuvre pour renforcer l’idée que le nucléaire est bon pour le climat, mettant en avant le fait que cette énergie ne produit pas (ou peu) de CO2, mais en maintenant dans les non-dits la question épineuse du respect pour l’environnement. C’est surtout par rapport aux accidents nucléaires qu’il est intéressant d’observer le discours des différentes instances d’énonciation ; celles-ci se sont appuyées principalement sur des arguments difficilement contestables : comme celui du fait accompli « le nucléaire est là », ou bien l’argument de l’accident nucléaire tout d’abord « rarissime », qui se transforme à partir de la catastrophe de Fukushima en 20111 en une petite phrase proche de la « formule » (au sens de Krieg-Planque 2009) « il faut imaginer l’inimaginable ». Mais c’est l’argumentation basée sur « la possibilité d’un accident nucléaire en France » qui va être réutilisée par les instances de sécurité à leur avantage, car au niveau pragmatique cela apparaît, d’une part comme une mise en garde indispensable et donc appréciable et d’autre part, comme la justification des travaux coûteux de mise en sécurité imputés à EDF, ce qui renforce paradoxalement la cohésion entre l’exploitant et les autorités de sûreté. L’auteure montre ainsi que deux arguments apparemment opposés sur le plan axiologique (le nucléaire est bénéfique pour le climat vs il constitue une menace) peuvent concourir au « maintien d’une acceptabilité sociale du nucléaire civil » et donc à sa légitimation.

7La deuxième contribution de cette partie (Anneliese Depoux, François Gemenne et Olivier Aïm, « Le changement climatique au regard de la crise de la Covid. Croisements narratifs et intersections pragmatiques », 49-61) qui établit un parallélisme entre le changement climatique et la pandémie, s’attache surtout à montrer l’intérêt « d’une analyse communicationnelle comparée » des récits médiatiques qui ont abordé ces deux sujets anxiogènes. À partir du constat des similitudes entre les deux crises et de l’efficacité des mesures qui ont été prises pour la résolution de la pandémie, ils montrent qu’il est souhaitable de tirer des enseignements des autres crises, comme celle du sida, afin de trouver la meilleure manière de communiquer l’urgence du changement climatique. Toutefois, dans le cas du changement climatique, la représentation de la « proximité et l’immédiateté de la menace » est différente : les auteur.e.s font état de recherches récentes qui ont montré que l’échec de la prise de conscience de l’urgence climatique est principalement dû à la « distance psychologique » des individus, qui ne se sentent pas concernés, sans parler de leur « méconnaissance » de la question.

8Plusieurs travaux ont montré que l’argument sanitaire a un très fort impact sur le comportement des populations, et que donc les médias peuvent jouer un rôle important en mettant en corrélation la santé et le changement climatique. Les auteur.e.s mettent en garde cependant sur l’assimilation de la crise climatique à la crise pandémique, en raison du fait qu’il ne s’agit pas d’une crise éphémère, mais d’une « transformation irréversible ». Des études psychologiques ont d’ailleurs montré que la conception de la crise climatique gagnerait à être rapprochée des campagnes de santé vouées à des changements de comportements à long terme ou permanents, qui se déclinent avant tout en termes de « pathologie de la représentation », basée sur une logique de peur et d’anxiété. C’est sur la base de ces observations que les auteur.e.s proposent de repenser la manière de « formuler la communication d’une urgence de changement ».

9Alors que dans les deux contributions précédentes, c’était surtout le climat qui était sujet de débat, le troisième article (Erica Lippert, « Le Mont-Blanc, figure de mobilisation écologique dans la communication présidentielle française », 63-74) est plutôt axé sur la question écologique. À partir d’une vidéo de 12’ sur la visite du président Macron à la Mer de glace, accompagné d’experts, Lippert analyse par le biais du logiciel Tropes la stratégie communicative de Macron concernant l’inquiétante fonte du glacier du Mont Blanc, emblème écologique indéniable. Le thème de cette vidéo répond en quelque sorte aux souhaits exprimés dans l’article précédent, puisque par sa proximité, le réchauffement climatique apparaît plus tangible et peut facilement générer un sentiment d’inquiétude. L’auteure montre que tout est mis en œuvre pour que Macron dévoile un « ethos écologique » et un « ethos de sauveur », que ce soit par les mots utilisés ou par sa visite même ; on le montre à l’écoute des experts, dont la parole domine largement, faisant ainsi office de discours d’autorité à partir duquel Macron pourra prendre ses décisions.

10Même si c’est la dimension à la fois didactique et scientifique qui l’emporte, et par là tout un ensemble de termes objectifs (recours fréquents aux chiffres et à des termes de géologie), les termes « subjectifs », créant le pathos, ne manquent pas (46,3%), ainsi que les « actes promissifs » (action collective passant par la médiation de Macron). Il y a donc comme une « mise en récit » où le président accompagné des scientifiques se met en marche pour affronter la destruction environnementale initiale, et proposer plusieurs « stratégies de lutte » comme solutions finales. Mise en scène qu’on retrouve souvent dans les discours environnementaux, ainsi que cela apparaît dans d’autres articles de ce volume. En outre, l’auteure analyse plusieurs indices énonciatifs et en particulier le pronom « on », hautement fréquent ; s’il caractérise principalement le discours scientifique, il est aussi employé, bien que dans une moindre mesure, comme référence inclusive, renvoyant à la communauté des humains, tous concernés par la question. Le « on » apparaît également pour occulter le sujet véritable, servant parfois à culpabiliser le destinataire ou passer sous silence certaines responsabilités gouvernementales (« si on traitait mieux ces forêts », « on surexploite les ressources »), ce qui contribue à la construction de l’ethos du président.

  • 2 « Un média est social quand sa forme et son contenu sont construits par les relations que les utili (...)

11La deuxième partie, intitulée « Discours environnementaux sur les médias numériques », réunit quatre articles qui envisagent les discours environnementaux à travers des supports numériques de type « social » (Paveau 2013)2, tels que les mèmes (Attruia et al.), les tweets (Cagninelli, Santone), ou les blogs (Reboul-Touré).

12La première contribution (Francesco Attruia, Stefano Vicari, « Polémiques et propos haineux dans les mèmes Internet autour de Greta Thunberg », 77-99) s’attache à analyser les mèmes qui circulent autour de la célèbre activiste écologiste. À partir d’un corpus de 44 mèmes, les auteurs montrent à travers des analyses très fines, reposant sur l’analyse du discours, que cet outil discursif est employé avant tout pour véhiculer un discours de haine, discréditant la parole et la pensée de la jeune militante, considérée comme un personnage symbole. Il ressort de leur étude que malgré leur force communicationnelle, liée à une importante diffusion virale, les mèmes ne sont pas en mesure de développer une véritable argumentation, basée sur le logos et la rationalité, pouvant aboutir à un véritable contre-discours anti-écologiste.

13Les auteurs mettent néanmoins en évidence les nombreux rouages discursifs des mèmes. Une des structures les plus répandues est celle de la juxtaposition de deux images, permettant de rapprocher des éléments éloignés qui délégitiment les propos de Greta. D’autres cas sont illustrés comme le « brouillage énonciatif » qui favorise l’anonymisation de la source et ainsi la déresponsabilisation. Afin de mieux saisir les principaux traits énonciatifs de ce « technographisme » (Paveau 2017), les auteurs en proposent un éclairage intéressant, en s’appuyant sur les différents travaux existant sur le sujet : ils le présentent comme « un objet de la culture populaire [...] qui se réplique et mute, s’assurant une circulation et propagation massives ». On en vient à parler de « mémétique » (memetics) qui serait la théorie de la propagation de « culturèmes » dans les communautés numériques. Le mème, qui peut être aussi bien un technographisme qu’une association image-texte ou une simple image, se caractérise surtout par sa capacité à être défigé et recomposé pour s’adapter à de nouveaux contextes communicatifs. On peut même le comparer à une « formule » (Krieg-Planque 2009), car il arrive à « cristalliser des référents sociaux ayant un impact sur les mentalités, les comportements et les actions des groupes sociaux » (81). Le mème correspond de plus à une sorte de dialogisme intertextuel puisqu’il fait écho à tout un ensemble de discours antérieurs, comme les renvois fréquents à la culture populaire et au cinéma (89-90). Ces observations éclairent parfaitement le fonctionnement des mèmes, dont l’efficacité communicationnelle est indéniable, bien qu’elle ne repose sur aucune argumentation bien construite.

14L’étude de Laura Santone (« À vélo entre politique, publicité et web : co-construction du sens et responsabilité collective », 101-115), observe à travers un corpus constitué à la fois de discours institutionnels et de « voix croisées » (sites, tweets et publicités), la mise en place du « plan vélo » entre septembre 2018 et mars 2021, voué à faire partie de la transition écologique poursuivie par le Gouvernement français. Il s’agit d’un corpus très riche et l’examen qu’en fait l’auteure est minutieux et précis, si bien que le lecteur est parfois un peu perdu. L’analyse proposée consiste à examiner les éléments qui participent à la co-construction du sens, liée aux différentes postures énonciatives (degré de proximité ou de distance dans le sens de Rabatel [2017]). Contrairement à ce qui a été observé dans la communication de Macron sur le Mont Blanc, Santone constate que c’est la posture de co-énonciation qui prévaut ici, dans une logique de convergence (forte présence du « nous », mots comme « collectivité », emploi du pluriel et de « tous », verbes au présent et à l’infinitif...) et qui permet la « co-construction d’un point de vue (PDV) commun ». À cela s’ajoute la centration empathique sur le destinataire, la construction d’un sens social et le rappel d’un savoir partagé qui conduit à un ethos de « citoyen participatif et responsable » vis-à-vis des valeurs écologiques. De la même façon, à travers le corpus de tweets créé à partir de l’hashtag « parlonsvelo », l’auteure a pu observer la mise en place de tout un jeu de relations entre les usagers du web, « s’exprimant selon un principe coopératif » ; elle propose de considérer l’hashtag comme un « marqueur de mobilité empathique » en raison de sa force d’agrégation. Elle lui attribue même un caractère performatif puisque par son action il provoque les occasions d’échanges : il s’agit bien d’une « action technodiscursive qui modifie l’environnement » (Paveau 2017 : 201).

  • 3 Ce pôle réunit deux classes : la plus importante se distingue par une représentation dramatique des (...)

15L’étude de Claudia Cagninelli (« Qu’en est-il de la question climatique face à la pandémie de Covid-19 ? Polarisations discursives sur Twitter », 117-139) se concentre sur la mise en relation de la question climatique avec la pandémie de la Covid-19 sur Twitter, pendant 13 mois (déc. 2019 - déc. 2020). Son analyse, de type sémantico-discursive, se focalise sur l’environnement technologique des tweets, au moyen de deux approches complémentaires, l’une extractive et l’autre contextualisante, qui tient compte des cooccurrences et des concordances. Au moyen du logiciel Iramuteq, il lui a été possible de dégager quatre grosses classes lexicales à l’intérieur de deux pôles axiologiques opposés, correspondant d’une part à une posture négative, voire catastrophique par rapport à la situation climatique et d’autre part à une posture constructive d’invitation à l’action collective. La description que fait l’auteure des expressions privilégiées par chaque classe pour référer à la question climatique est particulièrement intéressante. En effet, les deux classes du pôle discursif négatif3 montrent un emploi massif du syntagme « réchauffement climatique ». Par contre, les deux classes du pôle positif, dont la visée est surtout proactive, montrent un emploi préférentiel de deux expressions différentes, à savoir respectivement « changement climatique » et « crise climatique ». L’emploi de « changement climatique », attestant une simple prise de conscience des modifications climatiques, correspond selon l’auteure à un point de vue plus neutre que « réchauffement ». En revanche, pour « crise climatique », Cargninelli émet l’hypothèse qu’il y a là une influence de l’expression « crise sanitaire », puisque cet emploi coïncide avec la période de la crise en question. L’auteure rapproche cette classe d’autres discours environnementaux, où l’emploi de « crise » apparaît comme un procédé discursif pour convaincre de la nécessité du passage à l’action. Cela correspondrait au constat d’autres contributions de cette livraison (notamment Lippert, Rakotonoelina, Vargas), qui montrent la présence fréquente dans les discours environnementaux d’une mise en scène à trois temps (menace > prise de conscience > action).

16L’article de Sandrine Reboul-Touré (« Biodiversité et blogs de vulgarisation scientifique : des discours pour la transmission des connaissances environnementales », 141-158) est composé de deux parties complètement distinctes, aussi intéressantes l’une que l’autre.

17Dans la première partie, elle traite des mots « écologie » et « biodiversité », qui sont entrés progressivement dans les discours, permettant ainsi d’enrichir la notion d’environnement, de mieux la spécifier. Elle les considère comme des « mots témoins », c’est-à-dire des mots qui rendent tangibles certains « faits de civilisation ». D’ailleurs, leurs premières apparitions dans des sphères publiques importantes constitue en quelque sorte un « acte de baptême », à savoir un acte de langage par lequel « on catégorise les objets du réel » et qui correspond au concept de « nomination » que Reboul-Touré emprunte à la praxématique. Leur dynamicité, confirmée par Ngram Viewer ou la base de données Factiva, montre que ces deux nouvelles notions se sont amplement diffusées auprès de publics diversifiés, donnant naissance à toute une série de nouveaux mots créés à partir des préfixes « éco » et « bio ». Le succès de ces deux notions témoigne de l’importance de la circulation des discours, ce qui conduit l’auteure au deuxième pan de sa contribution, consacrée aux blogs de vulgarisation scientifique. Reboul-Touré considère ces derniers comme un nouveau genre contribuant à la diffusion des discours environnementaux. D’autant plus qu’en raison de leur dimension interactive et de leur prise en main par de simples amateurs, les instances publiques ont commencé à s’y intéresser. Après une description des caractéristiques des blogs, l’auteure met en évidence que la démarcation entre les blogs scientifiques et les blogs de vulgarisation n’est pas nette et qu’on doit voir un continuum entre les deux. D’ailleurs, la tendance actuelle au partage des connaissances, au développement d’une science ouverte et collaborative permet de créer une passerelle entre les citoyens et les spécialistes. Grâce aux blogs, les journalistes scientifiques ne sont plus à considérer comme des médiateurs mais comme des « passeurs de sciences ». Ainsi, selon l’auteure, du fait de son caractère interactif et propagateur, ce type de réseau social permet un accès facilité aux questions environnementales.

18La troisième partie (« Discours des organisations ») rassemble à son tour quatre contributions ayant comme dénominateur commun l’analyse de discours produits par des groupes (ONG, associations, entreprises, ou groupes d’experts comme le GIEC).

19L’article de Florimond Rakotonoelina (« Transdiscursivité sur les sites des ONG environnementalistes : stratifications et maillages discursifs de l’information », 161-177) est une parfaite entrée en matière pour cette partie portant principalement sur les sites des organisations environnementalistes. En effet, l’auteur essaie de dégager la structuration globale de ces sites par une approche systémique, qui permette de saisir la complexité de l’espace discursif. En partant de la notion de transtextualité de Genette (1982), il propose celle de transdiscursivité. Ces sites web possèdent une (archi)discursivité spécifique, à savoir une structure commune, basée sur plusieurs « stratifications » et « maillages discursifs de l’information », qui les caractérise. En outre, à chaque strate (Paratextualité, Intertextualité, Hypertextualité, Métatextualité), et sous-strate, on retrouve des « dénominateurs communs », ainsi que des visées semblables, même si les formes linguistiques diffèrent. À titre d’exemple, dans chacun des sites examinés (WWF France, Greenpeace France, Fondation Nicolas Hulot), on relève la présence de l’axe des mesures incitatives (au niveau de la paratextualité), ou bien des « structures discursives » de campagnes de sensibilisation se basant sur un schéma quasi identique (Problème > solutions possibles > projets proposés) (au niveau de l’intertextualité), ou encore la présence de formulaires typiques pour les demandes de soutien relatifs à des projets environnementaux (au niveau de l’hypertextualité). Ainsi ces sites forment un ensemble certes complexe mais cohérent et dynamique, qui conduit l’auteur à y voir un processus non figé, une (archi)discursivité.

20L’étude d’Élodie Vargas (« Publicités “greenwashing” vs “discours environnementaux” : quelles convergences, quelles divergences ? » 179-200) se démarque des trois autres en ce qu’elle se penche essentiellement sur le discours marketing – publicités papiers et on-line (1990-2021) – d’entreprises européennes polluantes. À travers son analyse, basée sur la sémiotique visuelle et l’observation détaillée de l’argumentation produite aussi bien par les discours environnementaux que par les entreprises, elle montre clairement le mécanisme qui sous-tend le greenwashing (écoblanchiment) et la façon de le reconnaître comme tel, en le comparant aux caractéristiques générales dominantes des discours environnementaux, très clairement décrites ; en effet, si les entreprises semblent reprendre à première vue le schéma mental (scénario en trois temps) et les champs lexicaux de ces discours (194-196), Vargas illustre bien comment elles s’en différencient (images positives, non-mention des causes, labels créés par les entreprises mêmes, projets sans obligation de performance, solutions technologiques vagues).

21Dans son dernier paragraphe qui porte sur le discours de l’industrie nucléaire, l’auteure illustre le non-respect des maximes conversationnelles de Grice (1979), et en particulier celle de la quantité et de la modalité, puisque leur discours s’appuie sur le non-dit, à savoir un « représentation partielle ou sélective de la réalité », faisant ainsi écho aux propos de Vignes. De ce fait, le greenwashing se présente comme une stratégie utilisée par les entreprises non seulement pour améliorer leur image environnementale, mais aussi pour légitimer leur activité industrielle et éviter ainsi toute contestation.

22La contribution qui suit, de Sandrine Graf et Albin Wagener (« Un moteur pour l’innovation. L’environnement comme ressource symbolique mesurable dans le discours corporate des entreprises », 201-221) porte également sur le discours des entreprises, mais d’un tout autre type, à savoir le « discours corporate », produit par l’entreprise sur sa raison d’être ; ce discours appartient à la classe des discours « institutionnels » (Krieg-Planque 2012), surtout depuis la promulgation de la loi PACTE en 2019, qui oblige les entreprises à « prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux ». La production de ce discours corporate est à considérer comme une « pratique sociale », visant à déterminer le positionnement des entreprises par rapport à des sujets sociétaux cruciaux, comme l’environnement. Leur étude consiste à examiner la mise en discours du terme « environnement » pour comprendre les mécanismes discursifs qui y sont à l’œuvre. À cet effet, grâce à une analyse quantitative et qualitative de type textométrique (à l’aide des logiciels Iramuteq et Wordsmith) les auteur.e.s peuvent mesurer la présence effective de ce terme, même si statistiquement limitée, au sein du champ lexical consacré à l’entreprise même. Au niveau qualitatif, l’analyse des colocations lexicales et du cotexte permet de mettre au jour « l’expansion sémantique » du terme « environnement » ; de la sorte, il est lié d’une part aux solutions techniques de l’entreprise et apparaît ainsi comme une ressource avantageuse, du ressort de l’expertise, ce qui permet de neutraliser le potentiel conflictuel du terme ; d’autre part, associé à des mots comme « respect, préservation », il acquiert une caractéristique morale, correspondant à la représentation collective de l’environnement, ce qui conduit les auteur.e.s à le rapprocher de la « formule » telle que définie par Krieg-Planque (2009 : 7), qui cristallise tout enjeu politique ou social.

23En passant au monde associatif et avec une autre méthodologie, l’étude suivante, de Jana Altmanova et Sarah Pinto, qui porte sur « Les discours des associations contre le réchauffement climatique : discours d’adhésion et d’exhortation à l’action » (223-237), parvient à des constats similaires. En effet, les procédés employés dans ces discours conduisent à un partage implicite des mêmes valeurs, à une « doxa commune ». Toutefois, même s’il s’agit ici aussi de discours « institutionnels » – puisque les associations ont un certain poids juridique auprès des politiques publiques – les auteures montrent qu’en réalité ces discours possèdent en bonne partie les caractéristiques des discours d’exhortation à l’action, mais aussi des discours promotionnels. Leur analyse, qui s’appuie sur la sémantique discursive, et plus exactement sur une analyse pragmatique, liée aux actes de langage (Austin 1970), met en évidence toutes les stratégies mises en œuvre pour une communication à visée proactive, afin de solliciter une action (actes illocutoires indirects, verbes d’action, abondance des infinitifs, mobilisation de certains topoï comme les « écogestes », requête d’actes perlocutoires). Cela passe aussi par une stabilisation de syntagmes souvent elliptiques comme « Action climat », qui relèvent de l’interdiscours, et correspondent à des « formulations conventionnelles », circulant dans l’espace public dont parlent Krieg-Planque et Ogier (2010 : 92), qu’on peut apparenter aussi à une forme de « stéréotypisation discursive » (Amossy et Herschberg Pierrot 1997), que l’on retrouve au niveau macro dans une « polarisation organisée autour de la dichotomie “pour/contre” généralisante » (229). Leur visée autopromotionnelle, présente dans le contenu illocutoire des boutons « faire un don » ou « nous soutenir », apparaît dans la mise en place d’une argumentation basée sur des « valeurs partagées » et sur l’importance de la collectivité (omniprésence du « nous », champ sémantique de l’identité collective, lexèmes axiologiques positifs, adjectifs quantitatifs) et au moyen d’autres stratégies promotionnelles (expressions évaluatives, expertises comme arguments d’autorité, création d’un désir d’action ou au contraire d’un sentiment de culpabilité, slogans). L’analyse qui nous est proposée, à la fois dense et bien motivée, a le mérite de montrer combien un discours basé sur l’homogénéité, la clarté et la simplification peut être efficace au niveau « illocutoire et communicationnel », masquant toutefois la complexité d’un sujet comme l’environnement.

24Une dernière étude (Lionel Charles, « L’environnement irrésolu : socio-épistémologie des questions environnementales et de leurs itinéraires discursifs et sociaux », 239-256) clôt parfaitement l’ouvrage, en montrant, à travers une « mise en perspective pluridisciplinaire », et une approche sémantique et interculturelle, les difficultés d’appréhender aussi bien la notion que le terme d’« environnement », dues à son caractère « ouvert » et « indéterminé ». En effet, « “environnement” ne désigne aucun objet particulier », mais plutôt « le rapport indéfini dans lequel ils [un ensemble indifférencié d’éléments] se situent en relation à un agent vivant ». La forte polysémie que recouvre ce terme, selon les cultures et les époques, et son emploi dans un grand nombre de domaines ont conduit à une « cacophonie » de discours, à des emplois plurivoques, ne tenant pas compte de la complexité de cette notion. La notion d’environnement, de par son aspect indifférencié, dynamique et fluide, s’intègre difficilement dans un cadre institutionnel, ou dans une langue contraignante comme le français. Cela a abouti à des choix terminologiques mal adaptés, comme « greenwashing », à la différenciation technique des champs scientifiques (pollution de l’air et de l’eau, bruit, déchets, protection de la nature...), ou à l’introduction de nouveaux concepts comme « développement durable » ou « transition énergétique », ne prenant pas en compte de la « transversalité propre à l’environnement ».

25Les nouveaux enjeux, engendrés récemment par le changement climatique, la pandémie de la Covid-19 et surtout par la situation énergétique causée par la guerre en Ukraine a accru la prise de conscience de l’écart existant entre « l’horizon humain » et la « dynamique terrestre » et par là, la nécessité de prendre en considération les aspects biologiques et géophysiques. Cette nouvelle appréhension de l’environnement doit cependant apprendre à concilier progressivement la « dimension rectrice », propre à l’homme à la « dimension d’incertitude », liée à l’environnement, par une démarche attentive et réflexive, visant à renouer les liens entre monde du vivant, éthique et santé, dans une optique d’interdépendance.

26Ainsi que Hamon et Paissa l’ont très bien évoqué dans leur introduction, l’impression qui se dégage des différents articles, c’est l’existence d’une certaine convergence dans les caractéristiques discursives, allant au-delà de leurs divergences : il ressort de ces discours l’impossibilité de concilier la question de l’urgence environnementale qui impose de changer de modèle social, et ce dernier, qui est basé sur une croissance économique infinie. Il s’ensuit l’emploi de discours flous, souvent implicites, évitant les dissensions (neutralisation, standardisations...), et par là débouchant sur un certain « conformisme », pour ne pas trop « bousculer » les habitudes, le statut quo. Cela rejoint ce que Krieg-Planque (2010) avait déjà constaté à propos de la formule « développement durable » : « un opérateur de neutralisation de la conflictualité », qui permet d’aplanir les contrastes, ainsi que les auteur.e.s le rappellent très justement. D’ailleurs même dans l’unique étude du volume sur les « discours anti-écolo » (Mèmes relatifs à Greta Thunberg), l’absence d’argumentation tangible corrobore ce sentiment d’accommodation. Cela les amène à en conclure que les convergences qui ont été dégagées dans les différents articles de cet ouvrage, montrent bien le « pouvoir heuristique de l’analyse du discours ».

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Bibliographie

Amossy, Ruth & Anne Herschberg Pierrot. 1997. Stéréotypes et clichés : Langue, discours, société (Paris : Nathan)

Austin, John L. 1970. Quand dire, c’est faire (Paris : Seuil)

Genette, Gérard. 1982. Palimpsestes. La littérature au second degré (Paris : Seuil)

Krieg-Planque, Alice. 2009. La notion de formule « formule » en analyse du discours. Cadre théorique et méthodologique (Besançon : P. U. de Franche-Comté)

Krieg-Planque, Alice. 2010. « La formule “développement durable” : un opérateur de neutralisation de la conflictualité », Langage et société 134, 5-29

Krieg-Planque, Alice & Claire Oger. 2010. « Discours institutionnels. Perspectives pour les sciences de la communication », Mots. Les langages du politique 94, 91-96

Krieg-Planque, Alice. 2012. Analyser les discours institutionnels (Paris : Colin)

Laffont, Robert. 1990. Le dire et le faire (Montpellier : Praxiling)

Paveau, Marie-Anne. 2013. « Technodiscursivités natives sur Twitter. Une écologie du discours numérique », Epistémè 9, 139-176

Paveau, Marie-Anne. 2017. L’analyse du discours numérique. Dictionnaire des formes et des pratiques (Paris : Hermann)

Rabatel, Alain. 2017. Pour une lecture linguistique et critique des médias. Empathie, éthique, point(s) de vue

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Notes

1 Fukushima a suscité davantage de remous médiatiques que Tchernobyl (1986).

2 « Un média est social quand sa forme et son contenu sont construits par les relations que les utilisateurs y entretiennent » (Paveau, 2013 : 4).

3 Ce pôle réunit deux classes : la plus importante se distingue par une représentation dramatique des conséquences dues aux modifications climatiques et l’autre par une prise de position idéologique contre les climato-sceptiques et plus spécifiquement contrent ceux qui contestent les discours scientifiques.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Sonia Gerolimich, « Hamon, Yannick et Paola Paissa (éds). 2023. Discours environnementaux. Convergences et divergences (Rome : Aracne) »Argumentation et Analyse du Discours [En ligne], 34 | 2025, mis en ligne le 10 avril 2025, consulté le 21 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/aad/9042 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13q0p

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Auteur

Sonia Gerolimich

Università degli Studi di Udine (Italia)

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Droits d’auteur

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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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