Introduction

1En octobre 2019, la première pierre a été posée en vue de la construction d’une zone de recyclage et de traitement des déchets sur un terrain adjacent à la colonie de Ma'ale Adumim, à l'est de Jérusalem (Heller 2019). Ce parc industriel absorbera les déchets de la ville de Jérusalem, mais aussi les déchets venant de l’ensemble d’Israël. Bien entendu, ce n’est pas la première usine du genre en Cisjordanie, il existe des dizaines d’usines traitant des substances dangereuses et toxiques.

2D'après Mosi Raz, qui fut un membre de la Knesset, élu du parti de gauche Meretz, le but de ce projet est de justifier le transfert de ressources financières aux colonies et de renforcer la mainmise israélienne sur les Territoires palestiniens occupés (Berger, Tzafrir 2018). Il paraît clair que ce parc industriel fait partie de la politique israélienne d'expansion coloniale. En 1996, la Haute Cour de Justice d'Israël a autorisé l'extension de la colonie de Maale Adumim au détriment des communautés bédouines vivant sur les terres concernées, accordant ainsi une légitimité et une base légale à leur transfert (HCJ 2966/95, 28/05/1996). En 1999, le gouvernement israélien a approuvé le plan E1 qui donne plus de terres à la colonie de Maale Adumim (une zone de 1200 hectares destinée à créer un bloc urbain entre Jérusalem et Maale Adumim). Entre 1997 et 2007, plus de 150 familles des communautés bédouines ont été expulsées de la région de Maale Adumim selon l’association israélienne de défense des droits de l'homme, B’Tselem. Le rapport de B’Tselem conclut que « l’Administration civile envisage d’expulser les communautés bédouines résidant actuellement dans cette région ».

3Certains colons s’opposent à la création de cette zone de traitement des déchets à cet endroit mais leur position tient plutôt de ce que l'on peut décrire comme un écologisme colonial, associé à une mode de consommation de la société post-industrielle. Cet écologisme est à distinguer de celui défendu par les Palestiniens et en particulier les Bédouins qui sont les plus touchés par ce projet qui relève d’un écologisme indigène ou « écologisme des pauvres » dont les origines se trouvent dans le conflit sur les ressources naturelles et la lutte contre leur pillage (Guha, Martinez-Alier 1997 : 17-18). L'une des communautés bédouines vivant dans la région est la communauté de Wadi Saab qui compte 24 familles ; 14 familles sont stables, vivent là toute l'année tandis que dix familles se déplacent ailleurs selon les saisons à la recherche de pâturages. Toutes les familles vivent à la fois de l'élevage de chèvres et de moutons et d’emplois dans la colonie de Maale Adumim. La communauté de Wadi Saab est originaire de la région de Beer Shevaa (Naqab). Ils ont été expulsés de leur région pendant la guerre qui a présidé à la création de l’Etat d’Israël en 1948. Leur nakba (catastrophe) se poursuit car ils sont menacés d'être, de nouveau, expulsés de Wadi Saab. Après l'occupation israélienne des Territoires palestiniens en 1967, ils se sont à nouveau retrouvés confrontés aux pressions de l'armée et des colons en vue de les faire partir. Ces pressions sont devenues au cours des dernières décennies de plus en plus intenses.

6Qui plus est, l'Etat-nation est, selon Anibal Quijano, une forme de la modernité qui émerge d'abord d'un processus de colonisation d'un peuple sur d'autres peuples et dépend d'une organisation centralisée de l'espace conquis (Quijano 2000 : 558). La formation de l'Etat d'Israël en est un exemple, elle s'inscrit dans un processus de colonisation dans la mesure où ont été mis en place toute une série de modalités de contrôle non seulement de l’économie et des statuts et droits mais aussi de tous les aspects de la vie des palestiniens.

7Je propose donc d'analyser l‘occupation coloniale israélienne, dont l'accélération et l'intensité caractérisent "le processus de paix", à partir du droit international de l'environnement : c’est-à-dire d’une part d’analyser les revendications des palestiniens dans ce domaine et, d’autre part la responsabilité de l'Etat israélien vis-à-vis de crimes environnementaux.

Entre les droits égaux la force décide

8Dans le cadre des accords d'Oslo, la coopération institutionnelle dans le domaine de l'environnement a été développée. Tout d'abord, l'annexe III de la Déclaration de principes de 1993 prévoyait des programmes de développement et de coopération économique qui nécessitaient la création d'un comité mixte de coopération économique s'intéressant à de nombreuses questions, notamment aux questions environnementales liées à l'eau, à l'énergie et à l'industrie. Puis, l'article 12 des accords d’Oslo II prévoyait un transfert limité des pouvoirs en matière d’environnement de l'administration civile israélienne d'occupation à l'Autorité palestinienne. Le transfert de pouvoirs a été lié à la division des territoires palestiniens en trois zones A, B et C. Comme l'ont reconnu les responsables israéliens et palestiniens, Oslo a échoué en ce qui concerne les questions environnementales (Alleson et al. 2013 : 16).

10Au contraire, par ses interprétations des Accords, la Haute Cour de Justice israélienne (HCJ) a permis l’exploitation des ressources naturelles et l’utilisation des terres des Palestiniens pour traiter les déchets provenant d’Israël et de ses colonies. Ici, je veux m'arrêter sur deux points évoqués par l'ancienne présidente de la Haute Cour de Justice israélienne, la juge Dorit Beinich, dans la décision concernant les carrières israéliennes dans les territoires palestiniens occupés (HCJ 09/2164). Elle a tout d’abord souligné que les modalités d’exploitation des carrières dans la zone C dépendraient du calendrier de négociations entre Israël et les Palestiniens. Selon la troisième annexe de l'accord intérimaire (Oslo II), les pouvoirs d'octroi de licences, de supervision, de croissance et d'emploi devaient être progressivement transférés de l'administration civile à la partie palestinienne dans le cadre d'un processus global de transfert de pouvoirs et de responsabilités dans ces domaines. Puis, elle a ajouté que les deux parties ont convenu que pendant la période transitoire les carrières continueront de fonctionner : les questions soulevées lors du processus de transfert des droits seront discutées par un comité paritaire qui réunit les deux parties qui se sont engagées à respecter ses recommandations, et que "jusqu'à ce qu'une décision soit rendue par le comité mixte, la partie palestinienne ne prendra aucune mesure susceptible de nuire à ces carrières".

12Susan Marks a développé la notion d'exploitation en droit international : une notion qui se réfère à une structure où ce qui est réalisé par une partie est aux dépens de l'autre partie. Cette structure est masquée par une idéologie de la mutualité (Ideology of mutuality) au sens d'une responsabilité partagée. En termes marxiens, « entre les droits égaux la force décide » (Marks 2008 : 302-305). Cela correspond exactement à la coopération israélo-palestinienne au sein du comité mixte de l’environnement. Ce comité mixte est composé d’un même nombre de représentants de chaque partie, son processus de décision se fait par consensus, et par conséquent ses références premières restent les ordres militaires israéliens. Parmi ces ordres, on peut souligner en particulier les ordres militaires tels que l'ordre militaire (2) 1967, qui considère que l'eau est une propriété publique qui doit être contrôlée par l'État occupant et les ordres rendus au cours des années 1967/1968 concernant l'octroi de licences, la fixation de quotas et la déclaration de nullité de tous les règlements antérieurs.

La « colonisation toxique » en Palestine

13La logique coloniale per se de l'occupation israélienne est de plus en plus fréquemment évoquée par des auteurs comme Virginia Tilley

It [colonialism] is a foreign grab for land and resources (here including symbolic resources, such as sacred sites) enabled by superior military power. Thus, a colonial conflict is not resolved by getting people to ‘see each other as human beings’ but by addressing the basic injustice of foreign domination and restoring the people’s capacity to exercise their right to self-determination. Similarly, an apartheid regime is not created out of ‘misunderstanding’, but to serve a group’s survival agenda by physically excluding other groups—a policy that has little to do with the nature of others except that they are, by definition, others. A group that believes it cannot survive and flourish with others, and so must absolutely dominate others to preserve a life-world essential to its own cultural or physical survival, will remain concerned to maintain that domination no matter what others do or say or any underlying justice of their demands (Tilley 2011: 12).

14Cette logique coloniale est analysée comme antérieure à 1967. Pour John Strawson, son origine date des années 1920 :

It's a colonial domination whose origins date back to the 1920's" (...)."The connection of the settlements to the settlement of the 1920's and 1930's in the mind of the Israeli regime legitimize each other. The case for the creation of the state of Israel was inextricably connected to the settlement of the land through the pioneers (the halutzim) who through their physical occupation provided the structure for Jewish immigration and the creation of a significant population, which claimed the right to self-determination (Strawson 2002: 371).

15Dans une perspective similaire, le politologue américain John Collins utilise le terme d'occupation non pas au sens du droit humanitaire (la présence militaire d'un Etat dans un territoire appartenant à un autre peuple ou Etat) mais au sens sociologique en distinguant l’occupation colonialiste de peuplement (settler colonialism) de l’occupation des Palestiniens du territoire par le fait d’y habiter depuis des siècles (Collins 2010 : 199).

Résister c’est rester

17Dans la zone C qui est riche en ressources naturelles, en terres cultivables, en espaces verts et en ressources en eau, vivent environ 300 000 Palestiniens. Outre les habitants dans les zones limitrophes des grandes villes comme Jérusalem, Hébron et El Birah et les habitants des villages de la vallée du Jourdan, on trouve 183 communautés bédouines dans la zone C. Les communautés bédouines sont les communautés les plus pauvres de la société palestinienne. Ils vivent surtout de l’élevage, et certains d'entre eux, également de l'agriculture. C'est pourquoi il est si important pour eux d'avoir accès aux ressources naturelles et aux terres. Ces droits ancestraux sur ces terres, qui sont liés au mode de vie spécifique de cette population autochtone, doivent être respectés. Parmi les villages palestiniens présents en zone C, seulement 16 ont obtenu l'approbation de leur "masterplan". Le masterplan est une condition préalable pour l’obtention de services tels que la construction d'écoles, l'assainissement, électricité, etc. De plus, sans ce plan directeur, les communautés bédouines sont susceptibles d’être expulsées de leurs maisons, de voir leurs fermes et leurs réservoirs d'eau détruits, et d’être déplacées en vue de s’approprier leurs terres.

19Du point de vue des droits humains, les États doivent adopter des mesures pour garantir que les groupes vulnérables ne soient pas victimes de discrimination. Par exemple, ils devraient adapter leurs politiques de services à ceux qui ont le plus besoin d'assistance, et ne pas cibler uniquement les groupes majoritaires. La puissance occupante a le devoir de fournir des services et des infrastructures, y compris l'eau et l'électricité, à la population locale, ce qu’elle ne fait pas.

20Pour décrire l'occupation israélienne, Human Rights Watch propose dans son rapport de 2010 quatre éléments dont le premier est la discrimination raciale. Ces discriminations raciales structurent la législation, l'exploitation des ressources naturelles et l'exploitation de la force du travail des palestiniens. De même, John Dugard et John Reynolds considèrent la colonisation israélienne comme une classification sociale fondée sur la race. Ils écrivent que même si la pratique de classification sociale ne repose pas explicitement sur le terme race, il est utile de l'utiliser pour comprendre et lutter contre les formes de discrimination et de brutalité de l'occupation israélienne.

Les identités juive et palestinienne, bien qu'elles ne soient généralement pas considérées comme des « races » au sens ancien (discrédité) des catégories biologiques ou de couleur de peau, sont construites comme des groupes se distinguant par leur ascendance ou leur descendance ainsi que par leur appartenance ethnique, nationalité et religion. En tant que tels, ils se distinguent les uns des autres sous un certain nombre de formes dans le cadre des paramètres de discrimination raciale en vertu du droit international des droits de l'homme (Dugard, Reynold 2013 : 889).

22La loi de Régularisation consacre un système d’apartheid où les intérêts d’un groupe, les colons, prévaut et domine au détriment de ceux des Palestiniens qui sont des personnes protégées selon le droit humanitaire. En Novembre 2017, le parlement israélien vote en majorité en faveur d’une loi dont l’objectif est d’assurer le maintien et le développement de la colonisation israélienne dans les territoires palestiniens occupés (la loi de la régularisation). La Knesset légifère pour la première fois sur une question ne relevant pas du territoire israélien. Dans le contexte de l’occupation militaire de la Cisjordanie, c’est en effet le commandement militaire qui détient le pouvoir de légiférer selon le droit international humanitaire. En votant la loi de dite de régularisation des colonies israéliennes en Cisjordanie, le Parlement israélien exerce une souveraineté sur un territoire qui n’est pas sous sa juridiction. Ce qui est considéré comme un acte d’annexion, un acte illégal selon le droit international.

The payment of a price or other adequate consideration does not; under such circumstances relieve the act of its unlawful character. Similarly, where a private individual or a juristic person becomes a party to unlawful confiscation of public or private property […].

24Ces violations du droit de la propriété ont également pour conséquences des violations du droit à l’emploi et à une vie digne. Dans ses recherches sur le transfert des déchets vers la région d'Idna/ Hébron, Ya'akov Garb souligne que le nombre de frets routiers à destination et en provenance de la zone sud de la Cisjordanie est bien supérieur à ce que les autorités officielles israéliennes savent et autorisent. Selon ces autorités, le nombre de camions, y compris ceux qui transfèrent de déchets, est de 600 par jour alors que l’étude de Ya'akov Garb a trouvé que ce nombre est de 3361 camions par jour. "The overall quantity of trucks was also much larger than expected: 3361 trucks in the 24-hour period" (Garb 2015: 100).

25L'étude de Ya'akov Garb est extrêmement importante, et les conclusions qu'il soutient sont, à mon avis, plus étroitement liées à la thèse sur la criminalité du parti dominant et puissant. Il voit la différence entre les attentes des autorités d'occupation et ce qui se passe sur le terrain, ce qui, selon lui, constitue une lacune dans le système de contrôle et de manipulation (ibidem : 106). Ce qui se passe sur le terrain reflète ce que Gregg Barack a affirmé, à savoir que l'État, à travers des politiques formelles et informelles, s'engage non seulement dans le contrôle de la criminalité, mais aussi dans le développement de sa criminalité et celle des autres. Selon lui, l'Etat est criminogène (Barak 1990 : 12).

La pertinence du droit international de l'environnement dans le contexte de la colonisation toxique

26La pertinence du droit international de l'environnement dans le contexte de la colonisation toxique s'appuie sur l'évolution de ce droit en un droit pénal de l'environnement en particulier en ce qui concerne le transfert des matières toxiques et dangereuses et sur ce qu'il implique comme critique à la centralité de l'Etat et sa responsabilité dans le système juridique international. Il favorise d'une part l'élargissement des droits aux autres sujets que l'Etat et d'autre part l'adoption d'une conception de responsabilité comprenant à la fois la responsabilité individuelle et collective.

28En ce qui concerne la responsabilité sur les crimes environnementaux, elle est à considérer comme étant à l'intervalle entre la responsabilité individuelle et collective. D'une part, il y a une responsabilité de la part des individuels dans un régime démocratique pour la continuité de la structure de domination (Finkelstein et al. 1994), et d'autre part la responsabilité de l'Etat s'appuie sur le fait que L'Etat légifère et tolère des activités polluantes de la part des acteurs privés endommageant les intérêts d'autres peuples.

Redéfinir la légitimité de l'Etat sur le plan international

29En matière de pollution, la Palestine a adhéré à plusieurs traités internationaux parmi lesquels se trouvent trois traités environnementaux sur la pollution : la Convention de Bâle de 1989, entrée en vigueur en 1992, la Convention de Rotterdam de 1998, effective en 2004, et enfin la Convention de Stockholm de 2001, appliquée depuis 2004. Il faut dire que les conflits ne suspendent pas l’application des traités sur l'environnement, ce qui signifie que ces traités doivent être interprétés conformément au droit des conflits et de l'occupation, qui comprend le droit international humanitaire et les droits humains. Selon le principe 23 de la Déclaration de Rio de 1992, l'environnement et les ressources naturelles d'un peuple sous occupation et sous contrôle étrangers doivent être respectés.

31Les Palestiniens pourraient renforcer leur position internationale en introduisant au sein du droit palestinien une distinction entre le crime de transfert interne d'une substance dangereuse et le crime d’importation de telles substances, ce qui n'est pas clair dans le texte de la loi palestinienne de 1999. Et ils pourraient même aller plus loin en introduisant la compétence extraterritoriale comme c'est le cas en Allemagne. Au paragraphe 3 de l’article 4 de la Convention de Bâle, « les États parties considèrent le transfert de déchets comme un crime », mais cela n’entraîne pas en effet la possibilité de poursuites internationales. Cette lacune a été prise en compte par certains États parties, comme l'Allemagne, dont le droit pénal (section 2, article 326, 1994) introduit la possibilité de poursuites au-delà de ses frontières.

32Ceci évoque la logique d’intégration au sens d'Emile Durkheim. La logique d'intégration permet de distinguer entre une conduite normale et une autre pathologique. Dans son ouvrage sur l'Allemagne en 1915, Emile Durkheim évoque la volonté de puissance de l'Allemagne qui à mon avis s'applique aujourd'hui à l'Etat d'Israël. Il écrit que pour les Allemands il était impossible de concevoir l'Etat sans la guerre et son droit à conduire une guerre constituait la principale caractéristique de sa souveraineté. Et d'ajouter que lorsque l'État est incapable de porter l’épée, il ne mérite pas son nom (Durkheim 1915). A la différence de l'Allemagne d'hier, l'Etat d'Israël justifie ses actions militaires non pas par le principe de la souveraineté mais par le droit à l'auto-défense. Selon la sociologue franco-israélienne, Eva Ilouz, la direction politique israélienne a, dès le début, lié Holocauste et nationalisme palestinien pour faire de la présence palestinienne une menace existentielle et pour justifier sa guerre continue contre le peuple palestinien par le droit à l'auto-défense (Ilouz 2020).

34L'avantage du concept de colonialité réside justement dans le fait qu'il met en exergue la lutte d'un peuple indigène contre une structure coloniale. Il implique une critique de la modernité dont l'Etat constitue une des formes. L'Etat est une forme moderne au moyen duquel s'exerce la colonisation et c'est au nom de l'Etat et de sa souveraineté que l’on continue à nier le droit à l'autodétermination de l'indigène. Il n'est pas étonnant que le juriste israélien Tal Becker parle de la relativité du droit à l'autodétermination du peuple palestinien vis-à-vis la souveraineté de l'Etat d'Israël (Becker 1998). S'appuyant sur le nationalisme, l'Etat ravive et modernise "les guerres privées" de la période féodale contre les minorités et les peuples indigènes (Tolstykh, Aasi 2020 :71).

the discourse of indigenousness leads to a denunciation of injustices (and crimes) committed against indigenous peoples (genocide, plunder, servitude, discrimination) and to the formulation of specific rights that derive from the injustices suffered (Lam 2000: 4).

36Il est à noter que le droit international défavorise les peuples indigènes en ce qui concerne le droit à l'auto-détermination. En limitant le droit à l'autodétermination aux peuples de territoires non-indépendants selon l'Article 73 de la Charte de l'Onu, la pratique internationale privilégie la question du territoire comme préalable à l’exercice du droit à l'autodétermination dans son lien à la question de la souveraineté et permet aux Etats de décider quel groupe peut faire valoir son droit à l'autodétermination (Summers 2005). De même, professeur James Anaya, de la Faculté du Droit à l'Université de Colorado, attire notre attention sur le fait que même dans le traité de l'Organisation International du Travail N0.169 (1989), la notion de peuple n'a pas la signification qu’elle a habituellement dans le droit international. Selon lui, en l’état, le droit international actuel exclut plusieurs groupes et ne prend pas en compte leurs droits à l'autodétermination (Anaya 2004 : 80-81).

37Le sociologue australien Tim Rowse est ainsi en faveur d’un retour au droit naturel, à partir de la centralité des valeurs morales des droits humains. Pour ce dernier, « un Etat illégitime moralement est soit un Etat dont les origines sont liées au pillage des biens de peuples autochtones et dans lequel les descendants de ces peuples continuent à en souffrir considérablement, soit un Etat dans lequel ont été perpétuées des pratiques racistes qui menacent l'existence des peuples autochtones » (Keal 2003 :141). Ces propos renvoient à la dimension structurelle moralement condamnable de configurations étatiques où l'idéologie raciste est omniprésente, mais nous invitent aussi à prendre en compte la continuité de cette structure et ses implications en termes du pillage des ressources naturelles et de destruction de l'environnement palestinien.

38Le droit international de l'environnement insiste sur cette dimension structurelle qu'il faut tenir compte lorsque nous abordons les crimes environnementaux et tout particulièrement quand la situation a perduré et s’inscrit dans la continuité (Nollkaemper 2010 : 326).

La responsabilité environnementale entre individuel et collectif

39En matière des crimes environnementaux, deux positions coexistent. La première est celle de la Cour de cassation française dans son arrêt datant du 25/03/1981, par lequel elle a condamné un directeur d'entreprise et un responsable des ouvriers pour leur négligence concernant la pollution des eaux fluviales par un employé (Littman-Martin 1982 : 158). Dans cette décision, la Cour a prêté attention à la hiérarchie des responsabilités et des pouvoirs pour déterminer la responsabilité des dommages environnementaux, c'est-à-dire qu'elle a privilégié la responsabilité à partir de la notion d'intention. Alors que dans l'accord de 1990 de la Commission Economique des Nations Unies pour l'Europe relatif à la responsabilité civile pour les dommages survenus lors du transport de matières dangereuses par voie routière, ferroviaire ou de navigation intérieure (CRTD), la responsabilité stricte et limitée a été adoptée. En se concentrant sur le résultat du délit environnemental on privilégie la responsabilité objective et la responsabilité de l'Etat dans le contexte international.

40Bien que marginalisée au cours du XX^e siècle, qui s'est concentré sur le principe de la responsabilité pénale individuelle, la responsabilité collective connaît un certain regain d'intérêt grâce à la montée en puissance du droit de l'environnement. Accordant une priorité au traitement des dommages sans nécessairement se pencher sur la source de l'action, qu’elle soit le fait du secteur public ou du secteur privé, aboutit à privilégier la responsabilité des États en matière d'environnement.

41Pour certains, la position du tribunal de Nuremberg stipulant que le droit pénal s'applique uniquement aux individus conduit à occulter la dimension collective des crimes internationaux qui impliquent une action et une responsabilité collectives (Fletcher 2002 : 1514 ; Fletcher, Ohlin 2005 : 542-544). Les crimes internationaux y compris les crimes environnementaux en tant que crimes de guerre sont des crimes individuels associés à la culpabilité morale collective. Développé par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), confirmé dans le principe 16 de la Déclaration de Rio de 1992, et mentionné par la Convention de Stockholm, le principe de "pollueur-payeur" paraît un principe en accord avec l'approche libérale et individuelle du droit pénal. C'est pourquoi, il est inapplicable en ce qui concerne l'entité étatique. Toutefois, à mon sens, ce principe peut tout à fait être étendu au-delà de l'individu au secteur industriel et à la société de l'État occupant. Le bénéficiaire ultime des entreprises de traitement des déchets dans les Territoires palestiniens occupés est la société israélienne. Ce qui implique qu'il est nécessaire de se pencher sur la responsabilité des individus et des entreprises, mais aussi de l'occupation en tant que structure productrice de crimes contre l’environnement (criminogène).

42Les actes individuels ne se font pas dans un vide, ils s'inscrivent dans une action collective et sont structurés par celle-ci. Je trouve que l'usage fait par André Nollkaemper du concept de "crime systémique" développé par B.V.A Röling est ici très approprié. Par ce concept, on entend que 'les gouvernements donnent l'ordre de commettre des crimes ou les encouragent ou les favorisent ou les tolèrent'. Ces crimes servent le système et sont causés par le système' (ibidem : 316). Ce qu'André Nollkaemper décrit comme un 'climat normatif prévalant au sein du système', c’est-à-dire impliquant l’autorisation large latente d'actes de violence par des formes de propagande ou/et de déshumanisation de l'autre, de la victime, correspond parfaitement bien aux propos de Gershin Baskin:

The settlement project in the West Bank is nothing less than an act of national suicide. The most significant and dangerous obstacle in our ability to reconcile peace with our neighbors is the continuation of the adherence to the archaic modes of our yearning for Zion expressed by settling the hilltops surrounding Palestinian towns, villages and cities that turn the lives of Palestinians into a daily hell (Baskin 2007).

44D'après certaines critiques, le droit international de l'environnement favorise le retour à la théorie traditionnelle de la criminologie qui se concentrait sur l'influence de la structure et considérait que l'État est une institution qui contrôle la criminalité et la génère (Ross 1998). Toutefois, à mon sens, il ne s’agit pas simplement d'un retour à la théorie traditionnelle de la criminologie. Ce que nous voyons c'est l'émergence d'une théorie nouvelle qui favorise la complémentarité entre les deux formes de responsabilité en matière des crimes environnementaux. A l'instar d'André Nollkaemper je défends l’idée qu'il n'y a pas d'alternative à la responsabilité individuelle et qu'il faut l'aborder comme une sanction contre le groupe dans le cadre d'une politique de réparation (ibidem : 336-337). Ce qui est nouveau dans le passage des conventions de Genève de 1949 à la convention de Rome de 1998 c'est que les individus ne peuvent plus se protéger derrière la responsabilité collective de l'Etat.

45En septembre 2018, le Procureur du Tribunal Pénal International a confirmé la compétence du Tribunal sur les affaires environnementales, ce qui ouvre bien entendu la porte à des poursuites pour les violations de l'environnement palestinien par l'occupation israélienne. Il s'agit d'actes d'anéantissement environnemental, du vol de ressources naturelles (pillage) et l'exploitation de l'économie locale au profit de l'occupation (spoliation), de même que le transport et le stockage illégal de déchets.

46La qualification d'un crime environnemental comme crime de guerre doit être fondée sur ce qui a été spécifié dans les articles du Protocole additionnel I 1977 (Article 35, paragraphe 3 et Article 55), c’est-à-dire qu’un niveau grave, répandu et durable de dommage environnemental doit être prouvé. Le rapport fait à la demande du procureur du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie à la suite des bombardements de la Yougoslavie par les forces de l’OTAN en 1999 les a pour ce motif mis en cause. Le rapport a été publié, mais l’identité du groupe d'experts qui l'a rédigé n'a pas été divulguée. La conclusion la plus importante de ce groupe d'experts est qu'il considère la protection de l'environnement comme faisant partie de la protection de la population civile (Bothe 2001).

47Il est à souligner que le droit pénal environnemental s'adresse principalement aux entreprises responsables de la production et de la distribution de matières dangereuses. D'une part, on trouve que dans certains systèmes juridiques nationaux on considère que les entreprises n'ont pas la capacité de décider car elles ne sont pas un être rationnel et moral responsable de ses actes. La loi allemande ne considère pas les entreprises puissent commettre des délits. De même, certains juristes privilégient le "soft law" en tant qu'une juridicité sans contrainte et au sens de la moralisation où les entreprises économiques peuvent offrir une culture éthique qui n'autorise pas les violations du droit international (Osman et al. 2018 :4). Récemment, les Nations Unies ont publié une liste de 500 entreprises étrangères et israéliennes dont les activités participent au développement des infrastructures dans les colonies juives en Cisjordanie. Le Haut-Commissaire aux droits de l'homme a envoyé une enquête à ces entreprises pour leur demander de cesser de participer à la violation du droit international. Cette étape s'inscrit dans une approche de "soft law" et soulève un principe moral pour obliger les entreprises à respecter le droit international.

48D'autre part, il y a ceux qui exigent, au contraire, un changement de paradigme en ce qui concerne la question des crimes de guerre commis par des entreprises et des institutions économiques afin qu’elles puissent être considérées comme responsables de leurs actes tout comme les personnes physiques. La responsabilité criminelle des entreprises économiques a été écartée par le traité de Rome 1998. Ce qui fait que le Tribunal Pénal International ne peut que punir les directeurs ou les responsables de ces entreprises selon le précédent de Nuremberg et non pas les entreprises elles-mêmes. Michael A. McGregor a montré que vu le rôle prépondérant des institutions économiques dans le pillage des ressources naturelles des peuples indigènes, il est crucial d'aller au-delà du précédent de Nuremberg pour lancer des poursuites contre ces institutions économiques (McGregor 2009 : 490-492), dans le cadre international ou extraterritorial.

Conclusions

49L'environnement est un domaine privilégié pour montrer les dispositifs de domination/exploitation décrite par le terme de colonialité du pouvoir dans les Territoires palestiniens occupés. Les positions des activistes environnementaux dans les colonies ainsi que l'analyse de Ya'akov Garb montrent bien la responsabilité de l'Etat occupant, ce qui exige une attention particulière à la dimension collective des actes criminels individuels. Il faut tenir compte du rôle de l'Etat ou de la partie dominante dans le conflit dans l'autorisation et la génération des crimes. Le droit international de l'environnement, tout en favorisant une certaine conception collective de la responsabilité, ne peut que conduire à l'émergence d'une criminalité environnementale où responsabilité individuelle et collective sont prises en compte.

50Qui plus est, accorder une compétence extraterritoriale en matière de dommages environnementaux aux juges palestiniens exigerait le développement du droit environnemental palestinien mais aussi un changement d'attitude de la part de la direction politique ainsi que de l'opinion publique palestinienne envers les juges palestiniens en matière d'interprétation. Il n'est pas raisonnable d'adhérer à des traités internationaux en matière environnementale et de s'abstenir de les publier dans le journal officiel. En outre, le texte de la loi palestinienne sur l'environnement N0.7 (1999) considère que les traités internationaux sont complémentaires de la loi nationale (l'Article 77), ce qui signifie que le juge national peut s'appuyer sur ces traités internationaux pour interpréter la loi palestinienne sur l'environnement (le principe de l'efficacité).