• 1 Depuis le colloque de Brest et la soumission de ce texte, nous avons traité le contexte (...)
• 2 Roblin, Vincent, Recueil des actes des vicomtes de Limoges (x^e-xiv^e siècle), Genève, Librair (...)
• 3 Roblin, Vincent, Recueil des actes…, op. cit., p. 44.
• 4 Jones, Michael, Recueil des actes de Charles de Blois et Jeanne de Penthièvre, duc et duchess (...)
• 5 Très peu de mandements ou de lettres du duc concernant l’administration de sa vicomté ont sur (...)
• 6 Roblin, Vincent, Recueil des actes…, op. cit., p. 344, n^o 193.
• 7 Archives historiques du Limousin, t. ix, 1904, p. 167-169, n^o xxxii.
• 8 Jones, Michael et Charon, Philippe, Comptes du duché de Bretagne. Les comptes, inventaires et (...)
• 9 Jones, Michael, « The Breton Civil War », dans Palmer, J. J. N. (dir.), Froissart : Historian(...)
• 10 Tricard, Jean, Les campagnes limousines du xiv^e au xvi^e siècle. Originalité et limites d’une (...)

1Le mariage d’Arthur1, petit-fils de Jean I^er, duc de Bretagne, avec Marie, unique héritière de Gui VI et Marguerite de Bourgogne, vicomte et vicomtesse de Limoges, le 22 juillet 1275, fit entrer la vicomté dans le domaine des ducs de Bretagne2. Arthur, âgé de tout juste 13 ans au moment de son mariage (Marie a alors 15 ans), passa ensuite beaucoup du temps à Limoges avant son avènement comme duc en 1305, tout comme le fera également son propre fils, le futur Jean III (1312-1341), apprenant le métier de prince, assisté par quelques Bretons qui occupèrent plus tard des positions importantes dans l’administration auprès du duc. Après une courte période (1314-1317) au cours de laquelle Guy, frère puîné de Jean III, posséda la vicomté comme apanage3, Jean III exerça le gouvernement de la vicomté pour le reste de son règne. Cette période fut rappelée plus tard avec affection par quelques-uns de ses sujets Limougeauds, tels les consuls et habitants de la châtellenie de Limoges, qui, vers 1350, se souvenaient encore du gouvernement du « bon duc Jehan4 », bien que l’évidence documentaire qui fonde une telle assertion soit pour nous assez maigre5. De fait, la plupart des documents concernent des affaires financières : une quittance pour 1 000 livres reçues des habitants de Limoges lors de son adoubement comme chevalier en 13086, la nomination de monnayeurs à Nantes et à Limoges le 30 mai 13407, et la mention du trésor, comprenant une somme assez importante d’argent frappé à Limoges (1 980 livres monnaie de Limoges sur un total de 6 045 livres 15 sous), trouvé par les exécuteurs du testament du duc Jean III dans la sacristie de la cathédrale Saint-Pierre de Nantes en juin 13418, mention qui est peut-être à l’origine du récit de Froissart de la saisie prétendue par Jean de Montfort du trésor du feu duc Jean III à Limoges9. Ensuite, Charles de Blois et Jeanne de Penthièvre levèrent des sommes d’argent assez importantes sur leur vicomté. En cela, ils continuaient une politique bien établie par les ducs qui furent leurs prédécesseurs, exigeant un maximum de revenu du Limousin, bien que cette région fût beaucoup moins riche que la Bretagne10.

• 11 Jones, Michael, Recueil des actes de Charles de Blois…, op. cit., n^o 22 pour les droits de Je (...)
• 12 Spinosi, Caroline, « Un règlement pacifique… », art. cit., p. 453-467. Pour une protest (...)
• 13 Duchesne, André, Histoire de la maison de Châtillon, Preuves, Paris, Sébastien Cramoisy, 1621 (...)
• 14 Contrairement à Jean de Montfort, Jeanne et Charles avaient réclamé la succession de Limoges (...)
• 15 Spinosi, Caroline, « Un règlement pacifique… », art. cit., p. 453-467 (p. 453 pour la c (...)
• 16 Ibidem, n^o 30.
• 17 Ibid., n^o 22, 20 décembre 1343, pour les lettres (ayant la force d’un testament) de Jea (...)
• 18 Arch. dép. des Pyrénées-Atlantiques, E 624, n^os 1 et 2, édités dans Jones, Michael et Charon, (...)
• 19 Arch. dép. des Pyrénées-Atlantiques, E 863, édité en annexe ci-dessous.
• 20 Luce, Siméon, Histoire de Bertrand du Guesclin et de son époque. La jeunesse de Bertrand, Par (...)
• 21 Pas de mention de ces comptes dans Tricard, Jean, Les campagnes limousines…, op. cit., (...)

2Avant sa mort, survenue le 30 avril 1341, Jean III a assigné à sa troisième épouse, Jeanne de Savoie, un douaire sur sa seigneurie vicomtale11. Mais cette possession n’était que viagère, aussi il y eut, comme pour le duché de Bretagne, une question de droit à résoudre : à qui revenait la vicomté ? En effet, chacun des prétendants au duché de Bretagne affirma son droit sur la vicomté, alors que la sœur aînée de Jean de Montfort, Jeanne de Bretagne, dame de Cassel, faisait valoir des créances12. Par la suite, bien que l’arrêt de Conflans (7 septembre 1341) ait autorisé Charles de Blois à faire hommage pour le duché de Bretagne, au nom de sa femme Jeanne de Penthièvre, comme successeur de Jean III13, le couple ne put entrer immédiatement en possession de la vicomté, la duchesse douairière Jeanne étant toujours en vie et ce jusqu’en 134414. La mort de Jeanne de Savoie fit que Charles de Blois ainsi que Jean de Montfort firent valoir leurs droits sur la vicomté devant le parlement de Paris qui, par un arrêt du 10 janvier 1345, rejeta « les prétensions émises par Jean de Montfort » et autorisa Charles de Blois « à prêter hommage au roi de France pour la dite vicomté » comme il l’avait déjà fait pour la Bretagne15. Sans attendre cet arrêt, Charles de Blois avait incorporé dans sa titulature le titre de « vicomte de Limoges » qui figure dans des lettres données « en noz tentes devant Guerande » le 8 août 134416. Divers indices suggèrent qu’il faut placer entre décembre 1343 et février 1344 le moment où Charles et Jeanne établirent leur administration sur la vicomté17. Les fragments de comptes, qui sont le sujet principal de cette communication, tels ceux de Pierre Molin le jeune, receveur du duc de Bretagne dans la vicomté de Limoges, l’attestent : ils commencent en 1344 et ils se terminent au début de l’année 134718. Ainsi, sont-ils probablement les premiers comptes que cet officier ait préparés. Ils sont complétés par d’autres fragments de comptes d’Aymeri de Bonneval, receveur ou prévôt de la châtellenie de Ségur[-le-Château] pour les années 1345-134619. Ces comptes semblent être non seulement les premiers comptes vicomtaux mais aussi les premiers comptes seigneuriaux du Limousin. Siméon Luce les a cités brièvement dans sa remarquable Histoire de Bertrand du Guesclin et de son époque (1876)20, mais ils ont été presque ignorés par des historiens plus récents bien qu’ils donnent des informations intéressantes sur l’histoire sociale, économique et politique de la vicomté ainsi que sur son administration. Ils éclairent aussi une période difficile durant laquelle la vicomté a été affectée par les premières dévastations en lien avec la guerre de Cent Ans, génératrices, pour les décennies suivantes, d’une dislocation sociale et économique dont les effets se font sentir jusqu’à la fin du xv^e siècle ainsi que l’a montré Jean Tricard21.

• 22 Jones, Michael, Recueil des actes de Charles de Blois…, op. cit., n^o 54 et 59 pour l’hommage (...)
• 23 Ibidem, n^o 266, avant 13 février 1362, demande pour répit d’hommage à l’abbé de Saint-Martial (...)
• 24 Ibid., n^o 305, 1365, répit d’hommage donné par le doyen et le chapitre de Saint-Yriex à Jeann (...)
• 25 Roblin, Vincent, Recueil des actes…, op. cit., p. 14, figure 1.
• 26 Gribit, Nicholas A., Henry of Lancaster’s Expedition to Aquitaine, 1345-46. Military service (...)
• 27 Jones, Michael, Recueil des actes de Charles de Blois…, op. cit., n^o 88.
• 28 Gouffier de Lastours était l’un des nobles qui ont agi comme garants pour un prêt fait à Char (...)

3Avant de nous concentrer sur les comptes, évoquons en quelques mots la structure administrative de la vicomté et l’économie locale du Limousin au début du xiv^e siècle. Située au sud et à l’est des comtés de la Marche, d’Angoulême et de Périgord, limitée au sud par les vicomtés de Turenne et de Comborn, par l’Auvergne à l’est, la vicomté se composait de plusieurs châtellenies modestes. À la fin du xiii^e siècle, la plupart d’entre elles étaient aux mains du vicomte, mais il était obligé de rendre l’hommage pour quelques-unes à des seigneurs supérieurs comme l’abbé de Solignac (pour Aixe-sur-Vienne22), l’abbé de Saint-Martial de Limoges (pour une partie de la cité de Limoges elle-même, Pierre-Buffière et Château-Chervix23), et au chapitre de Saint-Yrieix (pour Ségur24). Par ailleurs, il partageait la juridiction de la ville de Limoges avec l’évêque, ce qui fut source de débats au long cours. La carte de « La vicomté de Limoges et son environnement (xiii^e siècle) » parue dans l’œuvre inestimable de Vincent Roblin, le Recueil des actes des vicomtes de Limoges, montre l’existence de treize châtellenies vicomtales principales25 (fig. 1). Dans nos comptes, des revenus proviennent de dix d’entre elles entre 1344 et 1347. L’importante châtellenie d’Auberoche était aux mains des Anglo-Gascons dès l’été 134526, sa perte étant actée par Charles de Blois, en janvier 1347, à la suite d’une transaction très compliquée impliquant Philippe VI et le cardinal Talleyrand de Périgord et ponctuée par sa vente pour la somme de 20 000 florins (probablement utilisés pour réduire les dettes de Charles et Jeanne contractées envers le roi)27. La carte de Roblin montre aussi dix autres châteaux vicomtaux secondaires, dont quelques-uns sont mentionnés dans nos comptes, mais aussi Mauscle (Génis-Moruscle) et Thiviers comme des seigneuries contribuant aux recettes vicomtales. Une petite poignée des seigneuries était tenue par d’autres familles seigneuriales, dont quelques-unes résidaient en dehors de la vicomté mais recevaient, de temps en temps, des dons des vicomtes ; celle de Lastours formait une enclave indépendante entre les châtellenies d’Aixe et de Chalus28.

• 29 La vicomté comporte 234 paroisses et 25 421 feux en 1328 (Lot, Ferdinand, « L’État des (...)
• 30 Ibidem, p. 189-190.

4L’enquête nationale, bien connue, de 1328 au sujet des feux sur lesquels des taxes pourraient être imposées, montre que le Limousin était l’une des régions du royaume la moins densément peuplée29 (fig. 2). Dans le Haut-Limousin, à l’ouest de la ville de Limoges, pourtant située dans la vallée fertile de la Vienne, la châtellenie d’Aixe n’avait que quelque 3,3 feux/km², alors que son économie bénéficiait vraisemblablement de sa situation sur une rivière navigable et de sa position proche du centre urbain le plus important de la vicomté. Ailleurs, en Bas-Limousin, la châtellenie d’Ayen possédait plus de 6 feux/km², ce qui était proche de la moyenne nationale. Mais d’autres châtellenies comme Auberoche, Ans, Excideuil et Ségur n’avaient que 2 à 3 feux/km², alors que Masseret ne comptait que 1,4 feu/km² et Château-Chervix moins d’un feu/km². Les villes étaient petites et les communications souvent difficiles. Dans le sud-ouest de la vicomté se trouvaient des sols plus riches et les contacts économiques avec la Guyenne étaient actifs, mais ailleurs, beaucoup d’autres parties de la vicomté ne disposaient que de sols pauvres, dont la plupart se situait au-dessus de 300 ou même 400 mètres d’altitude. La culture des céréales y était souvent problématique, la vigne absente, aussi l’élevage était l’activité agricole principale. En 1491, par exemple, on indiquait que Masseret était « la plus pauvre [châtellenie] de la Guyenne », « un pays de forêts, où la paisson, seule, pourrait rapporter gros30 ».

• 31 A¹ = Arch. dép. des Pyrénées-Atlantiques, E 624 n^o 2, un rouleau de cinq feuilles, dont (...)
• 32 Jones, Michael et Charon, Philippe, Comptes du duché de Bretagne…, op. cit., p. 403-416

5Quel est l’apport de nos fragments de comptes ? Écrits sur des feuilles de papier cousues ensemble pour former des rôles, ceux de Pierre Molin ont survécu en deux copies contemporaines, l’une en français rédigée par un clerc de langue d’oïl, l’autre, par un clerc connaissant la langue d’oc (fig. 3) Mais il n’est pas facile de situer l’une par rapport à l’autre ces deux versions du même compte (A¹ et A²)31. Si l’une (A¹) semble être, sans certitude aucune, un brouillon, l’autre (A²), malgré son apparence formelle plus soignée, n’en est pas l’exacte mise au net : elle comporte aussi, comme A¹, des ratures et n’en reprend pas tous les articles (cinquante-sept pour des recettes, et soixante-six pour des dépenses dans l’édition récente) (fig. 4). Elle a, malgré tout, été choisie pour base de l’édition, et on trouvera en note les articles non recopiés32. Les variantes orthographiques n’ont pas été, sauf exceptions notables, relevées. Deux sommes (« 70 s 6d » et « 4 l 10 s ») figurent, dans les deux versions, en marge de nombreux articles : elles portent tantôt sur un seul d’entre eux, tantôt sur plusieurs réunis dans ce cas par une accolade. Leur signification n’a pu être résolue. Afin de ne pas surcharger l’édition, ces sommes n’y figurent pas. De même, n’ont pas été signalées les réunions d’articles par d’autres accolades ni éditées les petites marques en face d’articles, tels que des croix ou des cercles, choix arbitraires mais qui correspondent à l’esprit de l’édition qui privilégie le fond sur la forme. Si une autre option avait été prise, il aurait fallu aussi indiquer les passages qui semblent avoir été ajoutés après coup, du moins si le changement de couleur d’encre autorise une telle interprétation. La section concernant les dépenses (« mises », à partir de l’article 58) ne figure que dans A², mais elle devait aussi être présente dans A¹ car la dernière feuille conservée porte, au bas, des marques de piqûres. Comme déjà mentionné, les comptes de Molin donnent des détails sur treize recettes, dont dix sont, suivant Roblin, des centres importants d’administration ; par contre, deux châtellenies ne figurent pas sur sa carte, Mauscle (maintenant Génis) et Thiviers. Étant donné l’état fragmentaire de deux rôles, A¹ et A², il est possible que l’on ait reçu des revenus des châtellenies manquantes mais les feuilles ont été perdues ; simplement, nous ne les connaissons pas.

• 33 Une version de ce tableau et une partie de l’analyse qui suit ont paru dans Graham-Goering, E (...)

7Les montants totaux, en livres tournois, sont rassemblés ci-dessous33.

• 34 En raison des incertitudes provoquées par des dégâts au manuscrit, nous avons p (...)

• 35 Annexe, art. 47-54, un total de 3 815¼ septiers de blé, y compris de froment, d’avoine et de (...)

8Ces chiffres nécessitent un traitement minutieux, et des ambiguïtés demeurent, comme le révèlent les chiffres entre crochets. Par exemple, plusieurs entrées dans A¹ contiennent des éléments qui ont été rayés ou qui ne figurent pas dans A². Les écarts les plus importants se produisent dans l’entrée pour La Roche-l’Abeille, où des recettes dépassant 180 livres ont d’abord été enregistrées puis barrées. À Aixe plus de 66 livres ont été déduites de cette façon, et 23 livres à̀ Masseret. Était-ce parce que les recettes présumées, d’un montant de plus de 300 livres, n’avaient pas été livrées ? ou bien, si elles l’avaient été, est-ce que les entrées ont ensuite été rejetées, mises sous une autre rubrique, ou traitées par un autre officier ? Notre impression est qu’au moins une partie en avait effectivement été recueillie, bien qu’elle ne soit pas clairement prise en compte dans les fragments survivants. Il est également évident à partir des comptes de Ségur (fig. 6) que Molin a reçu seulement une petite part (moins de 20 %) de l’argent géré par le prévôt local, qui a enregistré des recettes totales de 629 livres 14 sous 7½ deniers, et des dépenses de 626 livres 16 sous 6 deniers en argent (ainsi que des recettes considérables en nature)35. Si tel était le cas général, les comptes de Molin ne donnent qu’une vue très partielle des revenus de la vicomté et de la valeur de châtellenies individuelles.

• 36 Nous utilisons ici les paroisses comme une mesure de la taille des châtellenies plutôt (...)

9Cette conclusion est renforcée par le fait que les rendements enregistrés pour plusieurs châtellenies étaient sans commune mesure avec leur importance physique36.

• 38 Sumption, Jonathan, The Hundred Years War I : Trial by Battle, Londres, Faber and Faber, 199 (...)
• 39 Jones, Michael et Charon, Philippe, Comptes du duché de Bretagne…, op. cit., p. 412-413 art.  (...)

10Ans, comprenant dix-sept paroisses, était parmi les plus importantes de la vicomté, mais elle occupe seulement le huitième rang en fonction des recettes reçues par Molin. Pourtant, Ans a rapporté près du double des revenus de Nontron, alors qu’elle ne représentait que la moitié de sa superficie. L’explication de ces discordances repose en partie sur la turbulence croissante que cette région connaissait pendant la période concernée par les comptes de Molin. Ces deux châtellenies d’Ans et de Nontron, par exemple, ont cédé aux forces anti françaises au cours de l’été 1345, la dernière par la trahison de son capitaine, Ytier de Magnac, qui a livré le château aux Anglais38. D’Excideuil, l’une des plus grandes châtellenies, est revenue une somme dérisoire qui a été en grande partie annulée par les frais de sa défense39. Auberoche, avant même sa capture par les Anglais, n’a en rien contribué aux recettes de 1344 à 1345. En conséquence, nos chiffres ne doivent pas être considérés comme définitivement représentatifs des revenus de la vicomté. Ils fournissent simplement des indications générales sur les ressources disponibles pour le duc et la duchesse dans leur vicomté pendant les premières années de leur gouvernement, et sur la manière dont ils les ont utilisées.

• 40 Ibidem, p. 410 art. 58 (31 mars 1345). Comme le démontre l’itinéraire ducal présenté par Jon (...)
• 41 Jones, Michael et Charon, Philippe, Comptes du duché de Bretagne…, op. cit., p. 412 art. 65, (...)
• 42 Olivier, seigneur de la Ville-Anne (Ille-et-Vilaine), chevalier, fut un frère puÏné de Robert (...)
• 43 Receveur général de Bretagne en 1337 (BnF, ms fr. 26291, n^o 372) et toujours un conseil (...)
• 44 Peut-être chancelier de Bretagne avant Gautier de Saint-Pern, comme chantre de Dol, il était (...)
• 45 Jones, Michael et Charon, Philippe, Comptes du duché de Bretagne…, op. cit., p. 413 art. 101  (...)
• 46 Ibidem, p. 416 art. 128.
• 47 Ibid., p. 416 art. 42.
• 48 Ibid., p. 414 art. 110, « en espices », et p. 416 art. 131, « en espieces », que nous traduis (...)

11En ce qui concerne les dépenses qu’a effectuées Molin, ses comptes portent sur une période plus courte que celle des revenus enregistrés (environ dix-huit mois au lieu de trente et un). Du 31 mars 1345 au 23 septembre 1346, Molin a déboursé environ 3 919 livres tournois. La première des « mises » qu’il a enregistrées constitue le paiement le plus élevé, d’un montant de 1 500 écus (ou 1 350 livres tournois) livrés directement à Charles de Blois40. Molin lui a également versé 800 écus (ou 720 livres tournois) au nom des habitants de Limoges à la fin mai 1345 – s’agissait-il d’un prêt ou d’une amende ? – et le duc a reçu 240 écus (196 livres tournois) de plus en juin41. Outre ces exemples, il n’y a que six autres dépenses s’élevant entre 100 et 200 livres tournois qui ont été enregistrées sur un total de quatre-vingt-huit paiements ici détaillés. La plupart de ces sommes couvraient les frais administratifs au sein de la vicomté. Olivier du Guesclin42, Guillaume de Rougé43 et Rainfroi Le Voyer, archidiacre de Rennes44, qui avaient été envoyés de Bretagne à Limoges pour y surveiller des réformes à la fois civiles et militaires, ont reçu 165 livres tournois au début de 134645. Le sénéchal et gouverneur, Guillaume de La Marche, a reçu 163 livres 7 sous 4 deniers en juillet 134646 tandis qu’à peu près au même moment Jean de La Porte, capitaine de la vicomté, a obtenu 120 livres tournois (ou peut-être 140 livres), ainsi que d’autres sommes moins importantes47. Mais en sus des versements faits au duc, il n’y a que deux paiements importants effectués au-delà de la vicomté ; ceux-ci sont faits à la demande de Jeanne de Penthièvre pour son propre compte, l’un de 106 écus d’or 15 sous 3 deniers en mars 1345, et l’autre de 76 livres 6 sous 1 denier tournois en août 134648. En effet, au cours d’une période de hausse des coûts militaires et des difficultés économiques, la plupart des dépenses du receveur portaient sur le paiement des salaires au personnel, sur les dépenses militaires, sur l’expédition des messagers et sur de petits frais divers, y compris des aumônes et l’achat de chevaux.

• 49 Ibid., p. 404 art. 6 note, p. 410 art. 60, p. 414 art. 120, 121 et p. 415 art. 127 (Graslin) (...)
• 50 Ibid., p. 389 art. 2, p. 390 art. 6, p. 391 art. 11, p. 393 art. 24 et 29, et note 89, (...)
• 51 Ibid., p. 411 art. 67 et 71.
• 52 Ibid., p. 411 art. 68, p. 413 art. 93, 94, 102. Il fut plus tard évêque de Vannes, 1347-1359.

12Regardons ces dépenses d’un peu plus près. Parmi les agents de la vicomté qui recevaient des salaires réguliers figurent le juge de Limoges (maître Thomas Graslin), le procureur (maître Guillaume Texue), et le prévôt (mons. Foulquieux), tandis que maître Geoffroy de Champaigne, juge de Périgord, a également reçu 10 livres et 5 livres tournois « par ses gages » en 134649. Douze autres « maîtres » sont mentionnés dans les comptes – probablement tous des diplômés universitaires, dont plusieurs, semble-t-il, étaient également avocats50. Toujours dans le cadre de l’administration de la justice, des paiements à Johanot Le Gascon pour l’exécution des criminels, y compris Hugues d’Anse en 1345, peuvent être notés51. Parmi ceux qui n’appartenaient pas au personnel de la vicomté mais qui bénéficiaient des versements du receveur, le plus éminent était le chancelier de Bretagne, Gautier de Saint-Pern, qui a visité Limoges en mai 1345, avant de se rendre à Paris pour une mission diplomatique52.

• 53 Ibid., p. 411 art. 70 (Nantes) et p. 412 art. 85 (Excideuil). Pour d’autres dépenses militair (...)
• 54 Ci-dessous, annexe, art. 29, 31, 40.
• 55 Jones, Michael et Charon, Philippe, Comptes du duché de Bretagne…, op. cit., p. 413 art. 97.
• 56 Ibidem, p. 412 art. 75. En 1345 il fut donné par le duc et la duchesse « la haute et b (...)
• 57 BnF, pièces originales 1015, dossier 23184, n^o 3, 31 août 1369, quittance de Baude Dori (...)
• 58 Jones, Michael et Charon, Philippe, Comptes du duché de Bretagne…, op. cit., p. 412 art. 82, (...)

13Viennent ensuite les dépenses militaires : des arbalètes ont été achetées à plusieurs reprises (ce qui indique peut-être une fabrication locale), dont soixante-deux ont été envoyées à̀ Nantes dans le courant de l’année 1345, et dix à Excideuil en décembre 1345 ou janvier 134653. Là, quinze arbalétriers les attendaient, tandis que douze autres ont été mis en la garnison de Ségur, probablement en mai 134654. Les comptes de Bonneval pour cette châtellenie apportent des informations supplémentaires considérables sur la taille et le coût de la garnison, des armes, et des réparations à Ségur dans les mois précédant immédiatement leur arrivée. Ils mettent également en évidence le rôle d’Olivier du Guesclin et Guillaume de Rougé, « réformateurs » de Limoges, dans l’organisation des défenses, tandis que Molin réglait une partie de leurs dépenses « en visitant les chasteaux » en février 134655. Des seigneurs locaux semblent avoir été conservés à des fins militaires, comme mons. Guischart de Comborn, seigneur de Treighnac, qui a reçu 50 livres tournois pour son salaire en septembre 134556. Le mercenaire génois, Baldo Doria, était entré au service de Charles et Jeanne avant décembre 1345 et il resta avec eux pendant de nombreuses années avant de finir ses jours après 1369 dans celui de Charles V57. Il a reçu plusieurs paiements de Molin (d’un montant dépassant 200 livres tournois) bien qu’il n’ait probablement jamais visité la vicomté : il envoyait plutôt ses représentants pour récupérer son argent, puisque sa principale zone d’opération était dans le pays de Retz58.

• 59 Ibidem, p. 412 n^o 80.
• 60 Voir les énumérations des dons rapportés par les témoins en vue du procès de canonisation de (...)

14Par contre, les seuls religieux ayant reçu un don de bienfaisance du duc comme vicomte au cours de la période concernée par les comptes furent les dominicains de Limoges, et ceci de 5 livres tournois seulement.59 Cela peut étonner étant donné le zèle religieux si connu de Charles de Blois et le mécénat qu’il pratiquait en Bretagne60. Mais il n’y avait peut-être pas toujours les ressources pour répondre à des besoins non essentiels dans la vicomté. En ce qui concerne les dépenses, nous pouvons constater à partir des fragments subsistants que le receveur versait presque le double de ce qu’il avait reçu. Selon des moyennes certes un peu grossières, la vicomté apportait à Charles et Jeanne des sommes légèrement inférieures à 100 livres tournois par mois, alors qu’ils dépensaient environ 220 livres tournois. Toutefois, comme les comptes de Ségur le démontrent, les chiffres de Molin ne représentent pas l’ensemble des finances vicomtales.

• 61 Graham-Goering, Erika, Negotiating princely power…, op. cit., p. 88, note 14. Pour les pièce (...)
• 62 Quelques terres vicomtales furent vendues, comme Auberoche en 1347 (ci-dessus note 24), La Ro (...)

15Bien d’autres questions pourraient être soulevées : le monnayage et les taux de change61, les pratiques agricoles, le langage des comptes, la prosopographie des personnes nommées dans les comptes, l’administration du domaine vicomtal au cours des années suivantes62, pour n’en citer que quelques-unes. Mais nous espérons que nous en avons dit assez pour montrer que, bien que fragmentaires et isolés, ces rares survivants de dossiers financiers autrefois courants apportent une précision utile à notre compréhension des relations britanno-limousines dans une période critique au début de la guerre de Cent Ans.