• 1 Voir la contribution de Christian Rémy dans le présent volume.

1Il est avéré qu’au xiv^e siècle, à la faveur de la mainmise des ducs de Bretagne sur la vicomté de Limoges depuis le mariage d’Arthur de Bretagne et de Marie de Comborn, se produisirent des échanges de personnels, et de manière générale des rencontres entre Bretons et Limousins, notamment en matière administrative1. La question pouvait donc se poser pour le domaine religieux et justifier la recherche, dans le monde ecclésiastique, à la même époque et pour les mêmes raisons, de clercs d’origine bretonne bénéficiés en Limousin ou, à l’inverse, de clercs limousins dont la carrière aurait pu se dérouler en Bretagne. La gouvernance de la vicomté de Limoges par les ducs de Bretagne s’est-elle traduite par des mouvements de personnel ecclésiastique ? Les ducs ont-ils placé des hommes à eux sur des bénéfices en Limousin ? si oui, où, selon quelle temporalité, et à l’inverse, des clercs limousins entrés dans la familiarité et le service des ducs ont-ils pu s’implanter en Bretagne ?

• 2 Pistes d’autant plus restreintes chronologiquement que les lettres communes de la chanc (...)

2La principale période retenue pour cet examen est le début du xiv^e siècle, de 1305 à 1341, ce qui correspond aux années de règne de la dynastie des Dreux-Bretagne. En Limousin, cela couvre les règnes de Jean [III] (1305-1314), Guy VII (1314-1317/1318), Isabelle de Castille (1318-1328), Jeanne de Savoie (1328-1334) et à nouveau Jean III (1334-1341). Ces années coïncident avec le début de la période dite d’Avignon et plus précisément les pontificats de Clément V (1305-1314), Jean XXII (1316-1334) et Benoît XII (1334-1342). Avant même le règne de deux papes limousins, Clément VI (1342-1352) et Innocent VI (1352-1362), les Limousins sont bien représentés à la cour pontificale : les ducs de Bretagne ont-ils profité de ce rapprochement entre Limousin et Comtat Venaissin pour incorporer leur fief aquitain dans leur duché, aussi du point de vue des personnels ecclésiastiques ? Le clergé observé est celui de clercs séculiers eu égard au déploiement de carrières qui les font facilement circuler, dans la mesure où il leur est possible de cumuler plusieurs bénéfices. La documentation employée ici est constituée par les lettres émises depuis la chancellerie pontificale d’Avignon qui confère des bénéfices de plus en plus largement au nom du pape, partout en Occident, à la demande des requérants, surtout des canonicats et leurs prébendes. Sa publication et son indexation dans la base de données numérique Ut per Litteras Apostolicas permettent une recherche ciblée documentant largement les recrutements de personnels. C’est dans ces lettres de collation de bénéfices qu’ont pu être détectés des liens entre les deux régions, soit pour les faveurs octroyées, soit par les liens manifestés entre personnalités ecclésiastiques bretonnes et limousines, ce qui se traduit d’ailleurs souvent dans les mêmes bulles. Quelques précautions méthodologiques s’imposent cependant face à ce vaste corpus : tous les clercs ne passent pas par ces circuits de nomination au xiv^e siècle, tant s’en faut (notamment dans les églises qui relèvent de la collation laïque) et la recherche par indexation laisse forcément passer des lettres qui concernent bien des Limousins ou des Bretons, mais non désignés comme tels sans rappel de leur diocèse d’origine. On n’obtient donc là qu’une parcelle de la réalité des nominations mais qui permet d’aboutir à quelques pistes de réflexion2.

• 3 Voir sa biographie par Courtenay, William J., « Oliverius Salahadin », dans Angotti(...)
• 4 Vidal, Jean-Marie (dir.), Benoît XII (1334-1342). Lettres communes, Paris, de Boccard, 190 (...)

4Les clercs bretons gradués, quant à eux, quittent leur terre d’origine surtout pour le diocèse de Paris, voire pour la capitale elle-même, là où ils font leurs études et où ils établissent des liens avec des personnages d’influence localement, qui leur obtiennent des bénéfices leur permettant de poursuivre leurs études ou de faire souche. Il faut souligner, par exemple, le rôle essentiel de ce point de vue d’Olivier Saladin3, chanoine de Saint-Pol-de-Léon dans les années 1320-1330, docteur en théologie, visiblement très influent à Paris, lié aux chanoines de la cathédrale Notre-Dame et des collégiales parisiennes, et qui intervient pour beaucoup de provisions à des clercs gradués dont des Bretons. Il renonce, par exemple, à sa prébende de Saint-Pol-de-Léon en juillet 13364 quand il devient doyen du chapitre Notre-Dame de Paris et elle échoit à Rigaldus de Ruppe, clerc du diocèse de Tréguier. Des personnages de cette envergure permettent aux clercs bretons gradués d’obtenir aussi des bénéfices plus éloignés, notamment dans les provinces de Reims ou de Sens.

• 5 Voir la première contribution de Marjolaine Lemeillat dans le présent volume.
• 6 Albe, Edmond, « Prélats originaires du Quercy, diocèses de France », Annales de Sa (...)

6Plusieurs temps peuvent être distingués quant aux liens ecclésiastiques entre les deux principautés. La toute fin du règne de Marie de Comborn et d’Arthur de Bretagne, celui de Jean, fils d’Arthur et surtout de son frère Guy, manifestent la difficulté de l’implantation de la maison de Bretagne dans la vicomté de Limoges. Plusieurs indices peuvent être repris de la mise au point faite sur l’affaire qui oppose Guy VII et Isabelle de Castille pour la possession de la vicomté entre 1314 et 13185. On sait que Géraud de Lobestor (de Bisturre) († 1334)6, chanoine du chapitre collégial de Saint-Yrieix, plus importante institution canoniale du diocèse après le chapitre cathédral, joue un rôle important dans la résistance de plusieurs vassaux à l’autoritarisme de Guy. Les violences du vicomte sont particulièrement graves à l’encontre de la petite ville ; elles sont commises par ses gens en mai puis juillet et août 1316 aux alentours de Saint-Yrieix et dans la cité elle-même. La dernière expédition du 24 août 1317 voit plusieurs serviteurs de Guy maltraiter la population, molester les chanoines, briser les portes, piller les maisons avant de les incendier.

• 7 Lettre de collation d’un canonicat à Limoges (Mollat, Guillaume (dir.), Jean XXII (1316-133 (...)
• 8 Il est mort en cour d’Avignon (Regestum Clementis papae V, Rome, École française de (...)
• 9 Rémy, Christian, Les rois de France en Limousin et Périgord de Philippe Auguste aux dernie (...)
• 10 Ibidem, p. 145-146.
• 11 Rémy, Christian, « Châlucet et les châteaux de maître Géraud de Maulmont », Bulletin (...)
• 12 Matz, Jean-Michel, Diocèse d’Angers, Turnhout, Brepols, 2003, coll. « Fasti Eccles (...)
• 13 Thomas est doyen d’Angers depuis 1300 ; il est par ailleurs écolâtre de Nantes, cha (...)

7Géraud de Lobestor apparaît dans la documentation précisément en 1317 alors qu’il est nommé chanoine de Limoges le 6 juillet mais il semble qu’il soit déjà prébendé à Saint-Yrieix depuis quelque temps car son canonicat limousin est mentionné dans la lettre7. Sur place, il n’est pas un inconnu puisque le décanat de la collégiale a appartenu avant lui à un homonyme, autre Géraud de Lobestor († 1312)8, peut-être un oncle. Et avant Géraud I^er à la fin du xiii^e siècle, le décanat fut la possession de clercs dévoués au service des vicomtes de Limoges et appartenant à la famille de Maulmont : l’oncle Hélie I^er († 1294)9, doyen de 1276 à 1294 puis Hélie II († 1305)10, le neveu, de 1296 à 1302, quand Marie et Arthur étaient vicomtesse (1275-1291) et vicomte (1275-1305). Or, Hélie I^er est le frère de Géraud de Maulmont († 1299 ou 1300)11, serviteur de Guy VI puis de Marguerite de Bourgogne dès 1262 et conseiller des rois de France Philippe III et Philippe IV au parlement, peut-être dès 1272, qui s’opposa à Arthur après la mort de Marie. Hélie senior sert également les vicomtes Comborn de Limoges. La dynastie des Lobestor est probablement proche des Maulmont, même s’il semble qu’ils aient été quercynois d’origine, mais la trajectoire de Géraud II de Lobestor témoigne de cette adaptation de l’élite cléricale limousine à la présence bretonne. Dans sa lettre de nomination à Limoges en juillet 1317, Géraud est dit clerc et familier du duc Jean et de son frère Guy, ce qui peut surprendre eu égard à la situation décrite pour l’été 1317. En tout cas, sa carrière se déploie plus tard en complémentarité parfaite entre le service rapproché du duc Jean et celui de la papauté d’Avignon. Il s’élève dans la hiérarchie religieuse en dehors du Limousin devenant doyen d’Angers (1321)12, charge dans laquelle il succède à Thomas d’Anast devenu évêque de Quimper13, puis il est nommé abbé de Notre-Dame-la-Grande à Poitiers (1329) et chanoine de Saint-Martin de Tours (1330). Dès 1321, une fois les choses apaisées en Limousin sous Isabelle, il est envoyé en mission à la curie par le duc en compagnie de Thomas, il devient nonce dans la province de Sens en 1326, collecteur pontifical la même année jusqu’en 1335, et nonce en Bretagne en 1333 ; il est clairement devenu un proche du duc Jean qui a gagné sa fidélité pour son service et l’emploi des talents de Géraud en cour d’Avignon lui vaut de devenir aussi chapelain pontifical à la fin de sa vie.

• 14 Sur Pierre de La Chapelle et Roger le Fort des Ternes dont il sera question plus loin, (...)
• 15 Sur Raynaud de La Porte et Bernard Brun dont les tombeaux sont conservés à la cathédrale de (...)
• 16 Regestum Clementis papae V…, op. cit., n° 3377.
• 17 Ibidem, n° 5431.
• 18 Roy-Pierrefitte, Jean-Baptiste, « Le cardinal de la Chapelle-Taillefer, son tombeau et le (...)
• 19 Lettres qui mentionnent Ewen en 1316, 1317 et 1318 (Mollat, Guillaume (dir.), Jean XXII…, o (...)
• 20 Mollat, Guillaume (dir.), Jean XXII..., op. cit., n° 13694, 13695.
• 21 Ibidem, n° 19027. Son canonicat de La Chapelle est donné à un homonyme du cardinal Pierre, (...)

8En Limousin après 1317-1318, Guy VII n’intervint plus et Jean III ainsi qu’Isabelle se sont faits plus discrets. Sous le règne de la première duchesse et surtout de Jeanne de Savoie, les relations se maintiennent. L’on constate que, de manière ténue à partir des années 1310 et plus encore autour des années 1320, des liens se sont formés entre clercs bretons et clercs limousins, forcément par le biais de la présence des duchesses de Bretagne, mais en lien aussi – car cela ne peut se faire sans eux –, avec des Limousins influents en cour d’Avignon. Il s’agit des premiers cardinaux limousins, créés par Clément V et Jean XXII, qui ont formé autour d’eux au début du xiv^e siècle, un petit réseau très cohérent avec des parents et des fidèles que l’on retrouve partout et qui maîtrisent totalement les rouages du pouvoir ecclésiastique dans le diocèse de Limoges, en connexion avec le milieu royal et le milieu pontifical, où ils se placent efficacement. Le premier est Pierre de La Chapelle-Taillefer14, fils d’un vassal du comte de la Marche, prévôt du chapitre collégial d’Eymoutiers dans le diocèse de Limoges, professeur de droit civil à l’université d’Orléans, chanoine de Paris, élu évêque de Carcassonne en 1291 et transféré par le pape Boniface VIII à Toulouse en 1298. Il est admis dans la faction gasconne autour de Clément V, comme ancien maître du pape qui le fait cardinal dès 1305. Il meurt en 1312. Le second est Raynaud de La Porte15, fils d’un petit seigneur d’Allassac à côté de Brive, dans le sud du diocèse, chanoine de Limoges en 1291, vicaire général de Guy de Neuville, évêque du Puy en 1292, qui revient vite en Limousin comme archidiacre de Combraille en 1293. Il est élu évêque de Limoges, non sans mal, en 1294 et le reste jusqu’en 1316. Il coopère avec Philippe le Bel pour contrecarrer l’autorité anglaise en Limousin grâce à un traité de pariage conclu en 1307 qui marque le début d’une plus grande influence française sur place. Promu archevêque de Bourges entre 1316 et 1324, il est toujours dévoué au roi de France et il est créé cardinal à partir de 1320, jusqu’à sa mort en 1324. Il faut relier à ces deux personnages un certain Ewen Guilhoti ou Guillot, attesté comme trésorier de Saint-Brieuc dès 130816 quand il exécute une lettre pour un canonicat à Poitiers, et ce en compagnie du chantre du Dorat ; en 131017, il est le procureur de Guillaume de Saint-Georges, nouvel abbé de Saint-Sulpice de Bourges, qui résigne grâce à lui deux bénéfices du même diocèse qui vont à un moine, neveu du cardinal Pierre de La Chapelle. Ewen appartient donc manifestement au cercle qui gravite autour de Pierre. Mieux, en 131118, est fondé le chapitre de La Chapelle-Taillefer dans le nord du diocèse par le cardinal du même nom, avec treize chanoines dont un doyen. Le profil des dix-huit individus cités dans la documentation entre 1316 et 1333 montre que la plupart sont identifiés comme limousins, en lien avec la cathédrale et donc également proches de Raynaud de La Porte : en premier lieu, Roger le Fort des Ternes, autre neveu du cardinal Pierre qui était le doyen de Saint-Yrieix entre 1313 et 1318, au moment des troubles avec Guy, qui deviendra évêque d’Orléans en 1321 ; Hugues de Manonet, probablement poitevin, chapelain pontifical au moins depuis 1308, probablement grâce au cardinal Pierre, familier d’Arnaud d’Aux (évêque de Poitiers et devenu cardinal de Clément V en 1312), qui est abbé du Dorat à partir de 1325 ; Ewen Guillot qui, en 131619, est toujours trésorier de Saint-Brieuc et qui est dit alors « jadis » chapelain du cardinal Pierre mais aussi chanoine de Dol, de Quimper et de Guérande, chanoine expectant (soit en attente de prébende) à Tréguier puis prébendé, semble-t-il en 1318. Il reçoit une paroisse du diocèse de Tréguier en 1317. Sa carrière se déploie effectivement très essentiellement en Bretagne : il a eu une autre paroisse dans le diocèse de Tréguier jusqu’en 1316 environ, date avant laquelle l’évêque de Tréguier, Geoffroi de Tournemine, mort en 1316, a uni les fruits de la paroisse à sa mense épiscopale, ce qui est confirmé en faveur du nouvel évêque, Jean Rigaud en 1318. En 132120, il est aussi devenu chanoine du Mans. Ewen est mort avant février 132421 quand son canonicat de Tréguier est redonné à un Breton. Après lui, il ne semble pas y avoir eu de postérité de la lignée bretonne au chapitre de La Chapelle, surtout avec le régime de cooptation souhaité par le cardinal fondateur. Ce Breton ne vint probablement pas souvent en Limousin étant donné sa dispense de résidence obtenue en 1321, mais il garda son canonicat à La Chapelle jusqu’à sa mort en Avignon où il résida le plus souvent. Le biais de la rencontre entre Ewen et Pierre de La Chapelle, cardinal dès 1305, mais aussi Géraud de Lobestor et Roger des Ternes dans les toutes premières années du XIII^e siècle, est probablement la cour d’Arthur de Bretagne puis celle de son jeune fils Jean, et le lien s’est maintenu pendant le règne des deux duchesses. Il dut y avoir très probablement d’autres profils comparables ailleurs en Limousin jusqu’à la fin des années 1320, mais s’ils ont tous eu une carrière de curialiste comme Ewen, leur présence en Limousin fut sans conséquence.

• 22 Ibidem, n° 2915.
• 23 Guillaume de Rostreynen, écolâtre de Tréguier et chanoine de Saint-Brieuc, obtient en juill (...)
• 24 Bonabius de Rupeforti apparaît à plusieurs reprises dans la documentation. Il est (...)
• 25 Toujours par considération pour le duc Jean et Guy, son frère, seigneur de Penthièvre, Pie (...)

10Un examen rapide des clercs bretons manifestement protégés par les ducs et actifs sous Jean XXII montre néanmoins que la plupart d’entre eux étaient titulaires de bénéfices en Bretagne. Quels sont entre 1317 et 1320 les bénéfices demandés, sous Jean III et Isabelle de Castille, par les clercs mentionnés comme protégés des ducs pour le diocèse de Léon ? Pour Jean de Analgoria, par ailleurs chanoine de Rouen, Cambrai, Bayeux et chantre de Tréguier, c’est un canonicat avec prébende à Dol en février 131722, alors que Guy VII est encore vicomte de Limoges et que son titre et son appui sont clairement mentionnés dans la lettre. Le Limousin n’apparaît pas du tout dans les bénéfices de ce clerc bien possessionné. Il en est de même pour les autres protégés cités, dont la sphère d’action bénéficiale est la Bretagne (diocèses de Quimper, Tréguier, Saint-Brieuc, Nantes, Dol, Léon, Saint-Malo, Vannes et Rennes), et pour l’un ou l’autre d’entre eux, le diocèse de Durham23, celui du Mans24, ou encore de Coutances25.

• 26 Entre autres nombreuses lettres le concernant : Mollat, Guillaume (dir.), Jean XXI (...)

11Autre nuance, s’il y a eu quelques Limousins en Bretagne dans le courant du xiv^e siècle, il faut dire qu’il y eut aussi quelques Quercynois, effets ponctuels de la présence des méridionaux en cour pontificale. Dans ce cas, Jean XXII n’eut pas besoin de la présence en Quercy des ducs de Bretagne pour nommer des fidèles dans le duché : dans les années 1330-134026, on a l’exemple de Jean André, clerc du diocèse de Montauban, notaire pontifical, qui fait une carrière, évidemment grâce au pape, comme chanoine de Saint-Pol-de-Léon et de Vannes, qui intervient auprès de lui pour certains clercs titulaires de bénéfices surtout dans le Sud-Ouest, mais aussi en Bretagne, creusant par là le sillon de l’influence des Quercynois dans le duché, qui ne survit peut-être pas au pontificat de Jean XXII ou de Benoît XII, encore que ce Jean André est toujours notaire à la cour d’Avignon sous Clément VI.

• 27 Mollat, Guillaume (dir.), Jean XXII…, op. cit., n° 3530.
• 28 Ibidem, n° 13009.
• 29 Ibidem, n° 30715.
• 30 Rémy, Christian, Les rois de France en Limousin et Périgord…, op. cit., vol. ii, p (...)

12Cela n’a pourtant pas empêché la création d’un petit réseau qui unit prélats limousins et bretons dans le premier quart du xiv^e siècle : on l’a vu par les clercs qui gravitent dans l’entourage de Pierre de La Chapelle mais cela fut vrai aussi pour Raynaud de La Porte. L’archevêque de Bourges, ancien évêque de Limoges, a manifestement eu des liens avec des prélats bretons dans les années 1317-1318, soit quand il était à Bourges, avant même d’être cardinal : Jean Rigaud, évêque de Tréguier (mais aussi pénitencier apostolique sous Jean XXII), est exécuteur en 131727 de la lettre qui donne à Raynaud des privilèges pour ses clercs. À l’inverse, en 132128, Jean Rigaud reçoit du pape le privilège de donner à trois de ses clercs le droit de percevoir les fruits de leurs bénéfices en leur absence pendant trois ans : l’exécution de la lettre est confiée, entre autres, au doyen du chapitre de Limoges qui est Bernard Brun, neveu de Raynaud de La Porte, qui fit lui aussi une belle carrière : professeur de droit civil, doyen de Limoges, du Puy puis évêque du Puy, de Noyon et d’Auxerre grâce à Clément VI. La lettre bénéficiant à Raynaud en 1317 associait aussi comme exécuteurs d’autres personnages clefs de cet entourage : Audoin Marchès, professeur de droit civil, chanoine de Limoges et de Bourges, et Aymeric de Châlus, chanoine de Limoges mais aussi et plus tard d’Angers, archidiacre dans l’Église de Tours, archevêque de Ravenne (entre 1322 et 1332), évêque de Chartres (de 1332 à 1342), chapelain pontifical et cardinal de Clément VI (dans sa première promotion de 1342). Tous se connaissent bien pour se rendre mutuellement ces services. Les cercles bretons, limousins, ici berrichons, angevins et finalement avignonnais, se croisent donc. C’est même le réseau limousin au sens large qui intègre des clercs bretons : en 132729, Jean Bolardi récupère le canonicat laissé vacant à Tréguier par la consécration du chantre de Saint-Brieuc, Yves de Boisboissel, comme évêque de Tréguier la même année. Il est dit chapelain et familier de Pierre d’Arrablay, cardinal prêtre au titre de Sainte-Suzanne depuis 1316. Ce n’est pas un Breton semble-t-il : il détient une paroisse dans le diocèse de Valence et surtout une chapellenie dans la cathédrale de Bourges, un autre bénéfice à la collation de l’archevêque de Bourges, qu’il doit probablement au passage de Raynaud sur le siège archiépiscopal. Sa lettre est à l’exécution de l’abbé de Lesterps, collégiale régulière en Limousin. Pierre d’Arrablay30 n’est pas un cardinal limousin à proprement parler, cependant il est chancelier de Charles, comte de la Marche de 1314 à 1322, futur Charles IV, autre figure essentielle en Limousin à cette date, avec lequel Jean III et Isabelle de Castille furent en contact.

• 31 Mollat, Guillaume (dir.), Jean XXII..., op. cit., n° 16927.
• 32 Sur Guillaume d’Ayen, Roger des Ternes et Guy de La Chaume dont il sera question plus loin, (...)
• 33 Mollat, Guillaume (dir.), Jean XXII…, op. cit., n° 18947.
• 34 Des lettres de février et décembre 1328 donnent à Richard de Pinu, licencié en arts (...)

13Ce milieu agit donc, même si c’est dans une moindre mesure, dans le sens de l’introduction de clercs limousins en Bretagne : en 132331, un certain Bernard Bajuli (dont on ne sait d’où il vient mais il est clairement dit clerc et familier de Raynaud de La Porte), obtient de Jean XXII la paroisse de Ploemagoer, au diocèse de Léon, vacante par la mort en Avignon de Brieuc de Moelliano. La lettre est, de plus, à l’exécution du prieur de Notre-Dame-de-Sales, une collégiale du diocèse de Bourges. Cela est normal eu égard à l’occupation du siège de Bourges par Raynaud de la Porte, mais aussi du doyen de Saint-Yrieix, qui est Guillaume d’Ayen32, doyen depuis 1318, successeur de Roger des Ternes, et autre neveu de Raynaud. En 132433, la même paroisse passe à Pierre Bajuli, grâce à la résignation faite en sa faveur par Bernard, et deux des exécuteurs sont le même prieur de Notre-Dame des Sales et le doyen de Limoges, soit Bernard Brun. La cohérence des relations est donc parfaite, qu’elle agisse dans le sens Bretagne-Limousin ou dans le sens Limousin-Bretagne34.

• 35 Vidal, Jean-Marie (dir.), Benoît XII…, op. cit., n° 4387, 7734.
• 36 On ne compte pas moins de cinq chanoines de Paris portant ce patronyme au xiv^e siècle, dont (...)
• 37 Vidal, Jean-Marie (dir.), Benoît XII…, op. cit., n° 5062.
• 38 Ibidem, n° 8160.

14Les liens sont néanmoins beaucoup plus ténus sous le second règne de Jean III, en tout cas au regard de la documentation étudiée. L’examen de toutes les lettres communes émises sous le pontificat de Benoît XII et qui concernent les diocèses de Limoges, Dol, Nantes, Quimper, Rennes, Saint-Brieuc, Saint-Malo, Léon, Tréguier et Vannes révèle que les clercs bretons entretiennent toujours, à un titre ou à un autre, des contacts nourris et cohérents en Bretagne, mais aussi avec le Poitou, l’Anjou, Paris, Coutances. Un seul Limousin, Géraud de Maignac, détient en 133735 un canonicat dans la collégiale de Saint-Junien en Limousin (là d’où vient sa famille) et un autre à Nantes. Cet unique exemple interdit de tirer une quelconque conclusion, la famille de Maignac accédant par ailleurs dans le courant du xiv^e siècle à des bénéfices aussi importants que l’évêché parisien36. Les deux autres occurrences de personnages limousins dans la documentation pontificale concernant la Bretagne s’expliquent plus facilement : en 133737, Roger des Ternes, déjà rencontré, devenu évêque de Limoges en 1328, est mandé par le pape, avec son homologue d’Angoulême et l’abbé de Troarn au diocèse de Bayeux, pour participer à l’enquête sur la vie et les miracles de saint Yves dont le corps repose dans la cathédrale de Tréguier, alors qu’il semble qu’ils l’aient déjà été par Jean XXII. La poursuite de l’enquête en avait été demandée par le duc Jean et son frère Guy, qui se rendirent spécialement en Avignon pour en formuler la requête, en compagnie d’Yves de Boisboissel, alors encore évêque de Tréguier. Le choix de l’évêque de Limoges fut probablement suggéré par le duc pour soutenir la cause en canonisation et on a vu que Roger était intégré à l’entourage des ducs vicomtes depuis le début du siècle. En 134038 enfin, Guy de La Chaume, chanoine de Limoges (puis à son tour doyen de Saint-Yrieix à partir de 1342), est chargé par Benoît XII, ainsi que Pierre de Montfort, trésorier de Tréguier, de se rendre à Saint-Malo pour s’assurer que le chapitre cathédral a bien été sécularisé, comme l’a souhaité Jean XXII, quitte à revenir au statut régulier si nécessaire. Guy est un autre personnage clef du réseau entre Limousin et Avignon et c’est en vertu des fonctions qu’il exerce au service des papes successifs qu’il se rend peut-être alors en Bretagne mais il ne peut être inconnu à la cour des ducs.

• 39 Hayez, Anne-Marie (dir.), « Suppliques d’Urbain V » in Ut per litteras apostolicas, Turnho (...)

15Au-delà de la période qui s’arrête en 1341, les quelques investigations faites dans les lettres communes inédites pour les règnes de Clément VI et Innocent VI, semblent montrer que ni Jean de Montfort, ni Charles de Blois et Jeanne de Penthièvre n’ont sollicité les papes pour placer leurs protégés dans le diocèse, sans profiter même de la présence de deux Limousins sur le trône de saint Pierre. Sous Urbain V, pour lequel les dépouillements sont à nouveau plus faciles, il semble que les clercs bretons aient gardé les mêmes liens qu’au début du siècle avec les diocèses du Mans, d’Angers, de Paris, et qu’ils circulent surtout en Bretagne. Cela est toujours vrai pour les clercs familiers du duc et de la duchesse, tel cet Olivier Rouzaud39, clerc du diocèse de Léon, aumônier de Jeanne en 1364, chanoine de Notre-Dame de Nantes (et possessionné plus largement dans ce diocèse), puis curé dans le diocèse de Léon et expectant pour un canonicat à la cathédrale grâce à elle, mais semble-t-il malheureux.

• 40 Hayez, Anne-Marie (dir.), Suppliques d’Urbain V…, op. cit., n° 2394 ; Laurent, Marie-Hélèn (...)
• 41 Hayez, Anne-Marie (dir.), Grégoire XI…, op. cit., n° 49657.

16Quelques traces ténues de liens qui se maintiennent entre les deux régions sont repérables, du point de vue bénéficial, mais c’est toujours aussi discret, signe que les deux pontificats de Clément VI et Innocent VI n’ont pas été déterminants : sous Urbain V, par exemple (de 1362 à 1370), Hervé Carpentarii est clerc du diocèse de Léon. Il est dit familier et commensal du cardinal de Tulle, Hugues Roger, frère du défunt pape Clément VI ; il demande au nouveau pape en 136240 dans le rôle du cardinal, un bénéfice avec ou sans cure à la collation de l’évêque de Léon, ce qui est accordé, sauf en cathédrale. Sous Grégoire XI, dernier pape limousin de 1370 à 1378, on ne s’explique pas autrement que par le lien désormais ancien avec la Bretagne, le fait qu’un certain Ebblonus du Bois de Donzenac (bourgade au nord de Brive), bachelier en décret, soit pourvu en 137741 d’un canonicat et d’une prébende à la collégiale Saint-Aubin de Guérande dans le diocèse de Nantes, nonobstant le fait qu’il attende déjà un canonicat à Saint-Yrieix. Le bénéfice breton lui avait été déjà donné en décembre 1376 par Grégoire XI, à la suite de la mort hors cour de Rome d’un chapelain pontifical, Robin Ponitzon : cet Ebblon est probablement un protégé du pape corrézien qui dispose peut-être de bénéfices intégrés dans le réseau pontifical en Bretagne grâce aux ducs. En tout cas, du point de vue du personnel ecclésiastique, le Limousin n’a pas servi de caisse de résonance à la guerre de succession.